2
75 © 2014 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. Le coin biblio de la SFD Médecine des maladies Métaboliques - Mai 2014 – Vol. 8 – Hors série 3 Traitement du diabète de type 1 Le pancréas artificiel dans la vraie vie chez les enfants : fiable, efficace, mais pas sans contrainte Moshe P, et al. Nocturnal glucose control with an artificial pancreas at a diabetes camp. N Engl J Med 2013;368:824-33. L’ obtention d’un contrôle glycé- mique strict au cours du diabète de type 1 a pour principal effet secondaire le risque d’hypoglycémies itéra- tives, et notamment sévères. Ces dernières surviennent le plus souvent la nuit (75 % des comas hypoglycémiques chez l’enfant sont de survenue nocturne) et sont asso- ciées à un risque de décès de 6 % environ chez les patients de moins de 40 ans [1, 2]. Ce risque d’hypoglycémie demeure malgré les avancées technologiques en matière de diffusion de l’insuline (pompe à insuline sous-cutanée) et de surveillance glycé- mique (mesure continue de la glycémie par capteur sous-cutané). Plus récemment, des systèmes de pancréas artificiel ont été développés, couplant capteur de glycémie et pompe à insuline sous-cutanée en boucle fermée, et utilisant des algorithmes complexes permettant d’adapter le débit insulinique à la glycémie en temps réel. Ces systèmes, jusqu’ici testés exclusivement en milieu hospitalier, ont montré un bénéfice tant sur le nombre d’hypoglycémies que sur la qualité du contrôle glycémique nocturne [3,4]. L’objectif de cette étude multicentrique, en cross-over, était d’évaluer la sécurité et l’efficacité d’un système de pancréas artificiel pour contrôler la glycémie noc- turne, en dehors d’un cadre hospitalier, chez des enfants présentant un diabète de type 1. Cinquante-quatre patients (âge 13,8  ± 1,8 ans, durée de diabète 7 ± 3,5 ans, HbA1c 8 ± 0,7 %), traités par pompe à insuline sous-cutanée depuis au moins 3 mois (en moyenne 4,8 ± 2,8 ans), ont été randomisés soit (i) traitement par pancréas artificiel (PA) une 1re nuit puis traitement par pompe à insuline sous-cutanée associée à un capteur de glycémie (PC) une 2 e  nuit, soit (ii) la séquence inverse, à l’occasion d’un séjour de 3 jours en camp de « vacances ». En plus de la mesure de la glycémie en continu, des glycémies capillaires étaient réalisées en pré-prandial, 2 heures après les repas et toutes les 3 heures la nuit. Le déclenchement d’alarmes était fixé à un seuil de 0,75 g/l pour les deux systèmes et des collations préventives ou correctives étaient administrées en fonction des taux de glycémies et/ou des alarmes. La période dite nocturne était comprise entre 23h et 07h, le dîner étant pris à 19h. Les critères primaires de l’étude étaient le nombre d’hy- poglycémies nocturnes (glycémie mesurée par le capteur < 0,63 g/l pendant au moins 10 minutes), le temps passé avec des taux < 0,60 g/l, et la glycémie moyenne nocturne. Les critères secondaires comprenaient la variabilité glycémique, le temps passé à des taux compris entre 0,70 et 1,40 g/l, au-des- sus de 1,40 g/l, au-dessus de 1,80 g/l. Durant les 2 nuits d’observation, aucune hypoglycémie sévère n’a été rapportée avec les deux systèmes. Le nombre d’hypoglycémies était moindre sous PA que sous PC (7 vs 22), de même que le temps passé en dessous de 0,60 g/l (1,2 vs 5,5 min) alors que la médiane de glycémie nocturne n’était pas statistiquement diffé- rente (1,26 g/l sous PA vs 1,40 g/l sous PC). Comparativement à la PC, la stabilité gly- cémique était meilleure sous PA, le temps passé entre 0,70 et 1,40 g/l nettement supérieur (5,2 h vs 3,6 h), le temps passé au-dessus de 1,80 g/l nettement inférieur (19 vs 67 min). Alors que les débits de base d’insuline étaient identiques dans les deux systèmes, la quantité d’insuline délivrée était plus importante sous PA, avec plus d’extra-bolus correctifs. Le nombre de prise d’hydrates de carbone (préventives ou correctives) était identique avec les deux systèmes. Cette étude montre donc un bénéfice en matière d’hypoglycémies nocturnes, d’équilibre et de stabilité glycémique sous traitement par système de pancréas artificiel en boucle fermée comparativement à un traitement par pompe sous-cutanée enrichie d’un capteur continu de glucose, chez des enfants en conditions proches de la vie quotidienne. Les auteurs insistent sur la qualité des algorithmes utilisés permet- tant une bonne adéquation de la quantité d’insuline infusée, et sur l’existence d’un système d’alerte précoce permettant d’éviter des hypoglycémies ne pouvant être régularisées par les seules modifications du débit insulinique, faisant du système de pancréas artificiel un outil fiable et adapté. Néanmoins, ces résultats ne reposent que sur un enregistrement d’une seule nuit. De plus, les conditions de l’étude (surveillance renforcée par une équipe d’encadrement) n’étaient pas superposables à celles d’une vie « normale ». Enfin et surtout, il existe un prix à payer pour obtenir cette stabilité glycémique nocturne : alarmes « hypoglycémie » chez 39 des 56 patients sous PA dont 13 erronées (versus 41 et 27 respectivement sous PC), prise de

Le pancréas artificiel dans la vraie vie chez les enfants : fiable, efficace, mais pas sans contrainte

  • Upload
    daniele

  • View
    214

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Dossier thématique 75

© 2014 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Le coin biblio de la SFD

Médecine des maladies Métaboliques - Mai 2014 – Vol. 8 – Hors série 3

Traitement du diabète de type 1

Le pancréas artificiel dans la vraie vie chez les enfants : fiable, efficace, mais pas sans contrainteMoshe P, et al. Nocturnal glucose control with an artificial pancreas at a diabetes camp. N Engl J Med 2013;368:824-33.

L’obtention d’un contrôle glycé-mique strict au cours du diabète de type 1 a pour principal effet

secondaire le risque d’hypoglycémies itéra-tives, et notamment sévères. Ces dernières surviennent le plus souvent la nuit (75 % des comas hypoglycémiques chez l’enfant sont de survenue nocturne) et sont asso-ciées à un risque de décès de 6 % environ chez les patients de moins de 40 ans [1, 2]. Ce risque d’hypoglycémie demeure malgré les avancées technologiques en matière de diffusion de l’insuline (pompe à insuline sous-cutanée) et de surveillance glycé-mique (mesure continue de la glycémie par capteur sous-cutané). Plus récemment, des systèmes de pancréas artificiel ont été développés, couplant capteur de glycémie et pompe à insuline sous-cutanée en boucle fermée, et utilisant des algorithmes complexes permettant d’adapter le débit insulinique à la glycémie en temps réel. Ces systèmes, jusqu’ici testés exclusivement en milieu hospitalier, ont montré un bénéfice tant sur le nombre d’hypoglycémies que sur la qualité du contrôle glycémique nocturne [3,4].L’objectif de cette étude multicentrique, en cross-over, était d’évaluer la sécurité et l’efficacité d’un système de pancréas artificiel pour contrôler la glycémie noc-turne, en dehors d’un cadre hospitalier, chez des enfants présentant un diabète de type 1. Cinquante-quatre patients (âge 13,8  ± 1,8 ans, durée de diabète 7 ± 3,5 ans, HbA1c 8 ± 0,7 %), traités par pompe à insuline sous-cutanée depuis au moins 3 mois (en moyenne 4,8 ± 2,8 ans), ont été

randomisés soit (i) traitement par pancréas artificiel (PA) une 1re nuit puis traitement par pompe à insuline sous-cutanée associée à un capteur de glycémie (PC) une 2e nuit, soit (ii) la séquence inverse, à l’occasion d’un séjour de 3 jours en camp de « vacances ». En plus de la mesure de la glycémie en continu, des glycémies capillaires étaient réalisées en pré-prandial, 2 heures après les repas et toutes les 3 heures la nuit. Le déclenchement d’alarmes était fixé à un seuil de 0,75 g/l pour les deux systèmes et des collations préventives ou correctives étaient administrées en fonction des taux de glycémies et/ou des alarmes. La période dite nocturne était comprise entre 23h et 07h, le dîner étant pris à 19h. Les critères primaires de l’étude étaient le nombre d’hy-poglycémies nocturnes (glycémie mesurée par le capteur < 0,63 g/l pendant au moins 10 minutes), le temps passé avec des taux < 0,60 g/l, et la glycémie moyenne nocturne. Les critères secondaires comprenaient la variabilité glycémique, le temps passé à des taux compris entre 0,70 et 1,40 g/l, au-des-sus de 1,40 g/l, au-dessus de 1,80 g/l.Durant les 2 nuits d’observation, aucune hypoglycémie sévère n’a été rapportée avec les deux systèmes. Le nombre d’hypoglycémies était moindre sous PA que sous PC (7 vs 22), de même que le temps passé en dessous de 0,60 g/l (1,2 vs 5,5 min) alors que la médiane de glycémie nocturne n’était pas statistiquement diffé-rente (1,26 g/l sous PA vs 1,40 g/l sous PC). Comparativement à la PC, la stabilité gly-cémique était meilleure sous PA, le temps passé entre 0,70 et 1,40  g/l nettement

supérieur (5,2 h vs 3,6 h), le temps passé au-dessus de 1,80 g/l nettement inférieur (19 vs 67 min). Alors que les débits de base d’insuline étaient identiques dans les deux systèmes, la quantité d’insuline délivrée était plus importante sous PA, avec plus d’extra-bolus correctifs. Le nombre de prise d’hydrates de carbone (préventives ou correctives) était identique avec les deux systèmes.Cette étude montre donc un bénéfice en matière d’hypoglycémies nocturnes, d’équilibre et de stabilité glycémique sous traitement par système de pancréas artificiel en boucle fermée comparativement à un traitement par pompe sous-cutanée enrichie d’un capteur continu de glucose, chez des enfants en conditions proches de la vie quotidienne. Les auteurs insistent sur la qualité des algorithmes utilisés permet-tant une bonne adéquation de la quantité d’insuline infusée, et sur l’existence d’un système d’alerte précoce permettant d’éviter des hypoglycémies ne pouvant être régularisées par les seules modifications du débit insulinique, faisant du système de pancréas artificiel un outil fiable et adapté. Néanmoins, ces résultats ne reposent que sur un enregistrement d’une seule nuit. De plus, les conditions de l’étude (surveillance renforcée par une équipe d’encadrement) n’étaient pas superposables à celles d’une vie « normale ». Enfin et surtout, il existe un prix à payer pour obtenir cette stabilité glycémique nocturne  : alarmes « hypoglycémie » chez 39 des 56 patients sous PA dont 13 erronées (versus 41 et 27 respectivement sous PC), prise de

76

Médecine des maladies Métaboliques - Mai 2014 – Vol. 8 – Hors série 3

Le coin biblio de la SFD

Traitement du diabète de type 1

collations (correctives ou préventives) chez la moitié des patients (25/56) avec les deux systèmes. Si la sécurité nocturne est effectivement assurée, il n’en est pas tout à fait de même du confort de sommeil…

Danièle Dubois-Laforgue

• Mots-clés : Diabète de type 1 – hypo-

glycémie – pancréas artificiel – pompe à

insuline sous-cutanée – capteur de gly-

cémie.

Références[1] Davis EA, et al. Hypoglycemia: incidence and clinical predictors in a large population-based sample of children and adolescents with IDDM. Diabetes Care 1997;20:1448-53.

[2] Sovik O, et al. Dead-in-bed syndrome in young diabetic patients. Diabetes Care 1999;22(suppl2):B40-2.

[3] Hovorka R, et al. Manual closed-loop insulin delivery in children and adolescents with type 1 diabetes: a phase 2 randomised crossover trial. Lancet 2010;375:743-51.

[4] Hovorka R, et al. Overnight closed loop insulin delivery (artificial pancreas) in adults with type 1 diabetes: crossover randomised controlled studies. BMJ 2011;342:d1855.