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Le paysage, du projet à la réalité N° 159 - septembre 2011 trimestriel - 20 ISSN 0153-6184 www.iau-idf.fr IAU île-de-France

Le paysage, du projet à la réalitéLe paysage, réalité et projets L’Île-de-France dispose d’un patrimoine bâti et paysager riche et de grande qualité, célébré dès le

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  • Le paysage, du projet à la réalité

    N° 159 - septembre 2011trimestriel - 20 €ISSN 0153-6184www.iau-idf.fr

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  • PrésidentM. Jean-Paul HUCHONPrésident du conseil régional d’Île-de-France

    • Bureau1er vice-présidentM. Daniel CANEPAPréfet de la région d’Île-de-France, préfet de Paris

    2e vice-présidentM. Jean-Claude BOUCHERATPrésident du conseil économique, social et environnemental de la région Île-de-France

    3e vice-présidenteMme Mireille FERRI, conseillère régionale

    Trésorière : Mme Françoise DESCAMPS-CROSNIER

    Secrétaire : M. François LABROILLE

    • Conseillers régionauxTitulaires : Suppléants : Jean-Philippe DAVIAUD Judith SHANChristine REVAULT D’ALLONNES Aurore GILLMANNFrançoise DESCAMPS-CROSNIER Halima JEMNIMuriel GUÉNOUX Daniel GUÉRINJean-Luc LAURENT Éric COQUERELFrançois LABROILLE Marie-José CAYZACAlain AMÉDRO Thibaud GUILLEMETMireille FERRI Marc LIPINSKIClaire MONOD Jean MALLETPierre-Yves BOURNAZEL Frédéric VALLETOUXJean-Pierre SPILBAUER Martine PARESYSDenis GABRIEL Sophie DESCHIENSFrançois DUROVRAY Patrick KARAM

    • Le président du conseil économique, social et environnemental de la région Île-de-FranceM. Jean-Claude BOUCHERAT

    • Deux membres du conseil économique, social et environnemental de la région Île-de-FranceTitulaires : Suppléants :M. Pierre MOULIÉ Mme Nicole SMADJAM. Jean-Loup FABRE M. Jean-Pierre HUBERT

    • Quatre représentants de l’ÉtatM. Daniel CANEPA, préfet de la région d’Île-de-France, préfet de Paris ;Mme Sylvie MARCHAND, directrice régionale de l’Insee, représentant le ministrechargé du Budget ;M. Jean-Claude RUYSSCHAERT, représentant du ministre chargé de l’Urbanisme ;Monsieur le représentant du ministre chargé des Transports : N.

    • Quatre membres fondateursLe gouverneur de la Banque de France, représenté par M. Bernard TEDESCO;Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations,représenté par M. Patrick FRANÇOIS, directeur interrégional ;Le gouverneur du Crédit foncier de France,représenté par M. Florent LEGUY ;Le président du directoire du Crédit de l’équipement des PMEreprésenté par M. Dominique CAIGNART.

    • Le président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris, représenté par Mme Valérie AILLAUD.

    Composition du conseil d’administration de l’IAU îdFau 1er juillet 2011

    PUBLICATION CRÉÉE EN 1964

    Directeur de la publicationFrançois DUGENY

    Directrice de la communication Corinne GUILLEMOT (01 77 49 76 16)[email protected]

    Responsable des éditionsFrédéric THEULÉ (01 77 49 78 83) [email protected]

    Rédactrice en chefSophie MARIOTTE (01 77 49 75 28) [email protected]

    CoordinateursCorinne LEGENNE (01 77 49 75 61) [email protected] TRICAUD (01 77 49 79 02) [email protected] LARUELLE (01 77 49 75 69) [email protected] BARDON (01 77 49 77 82) [email protected]

    Secrétaire de rédactionGermain DUGAST [email protected]

    Contact presse01 77 49 79 05 - 01 77 49 78 94

    FabricationTerence GBAGUIDI (01 77 49 79 43) [email protected] COULOMB (01 77 49 79 43) [email protected]

    Maquette, illustrationsAgnès CHARLES (01 77 49 79 46) [email protected]

    CartographieJean-Eudes TILLOY (01 77 49 75 11) [email protected]

    Notes de lectureChristine ALMANZOR (01 77 49 79 20) [email protected] DRAPIER (01 77 49 79 23) [email protected] LARUELLE (01 77 49 75 69) [email protected] MARIOTTE (01 77 49 75 28) [email protected] THIBAULT (01 77 49 77 65) [email protected]

    Médiathèque – photothèqueClaire GALOPIN (01 77 49 75 34) [email protected]élie LACOUCHIE (01 77 49 75 18) [email protected]

    ImpressionPoint 44

    CouverturePhoto : © Raymond Depardon/Magnum Photos

    Crédits photographiquesp. 1 : Jean-Luc Comier/le bar Floréal photographie/Région ÎdFp. 2 : Christian Lauté

    ISSN 0153-6184

    © IAU île-de-FranceTous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés. Les copies, reproductions, cita-tions intégrales ou partielles, pour utilisation autre que strictement privée et individuelle, sont illicitessans autorisation formelle de l’auteur ou de l’éditeur. La contrefaçon sera sanctionnée par les articles425 et suivants du code pénal (loi du 11-3-1957, art. 40 et 41).Dépôt légal : 3e trimestre 2011

    Diffusion, vente et abonnement :Olivier LANGE (01 77 49 79 38) [email protected]

    France ÉtrangerLe numéro : 20 € 23 €Le numéro double : 33 € 35 €Abonnement pour 4 numéros : 79 € 89 €(Étudiants, photocopie carte de l’année en cours, tarif 2011) : remise 30 %

    Sur place : Librairie ÎLE-DE-FRANCE, accueil IAU - 15, rue Falguière, Paris 15e (01 77 49 77 40)

    Par correspondance :INSTITUT D’AMÉNAGEMENT ET D’URBANISME DE LA RÉGION D’ÎLE-DE-FRANCE15, rue Falguière - 75740 Paris Cedex 15Abonnement et vente au numéro : http://www.iau-idf.fr

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  • Le paysage, réalité et projets

    L’Île-de-France dispose d’un patrimoine bâti et paysagerriche et de grande qualité, célébré dès le XIXe siècle par des peintres tels que Sisley, Renoir, Monet, Pissaro ou Van Gogh.Le paysage rural et urbain est ainsi une composante majeurede l’identité de notre région. Il constitue le cadre de notre viequotidienne. Sa singularité est un facteur d’attractivité

    qui amène l’Île-de-France à jouer un rôle de premier plan dans le tourismemondial.Le paysage, c’est ce que l’on voit, mais aussi ce que l’on perçoit… c’est «un état d’âme» comme l’écrivait Henri-Frédéric Amiel.Situé à la croisée des enjeux environnementaux, sociaux et économiques, il est un élément primordial de nos vies. Il se transforme au rythme des saisons, mais aussi des évolutions sociétales, techniques, urbaines, en fonction des formes urbaines choisies, des types d’infrastructures misesen œuvre, de la manière d’intégrer la végétation et la nature dans la réflexion globale des projets de territoire…Consciente des enjeux d’un paysage dont la valorisation favorise la croissance verte, les bienfaits sur la santé et de la nécessité de promouvoir des éléments naturels dans l’urbanisation des métropoles,dans un contexte de crises environnementale, énergétique, climatique ou économique récurrentes, la Région Île-de-France se mobilise : quartiersdurables, biodiversité, trame verte et bleue, végétalisation renforcée de la ville, récupération des eaux pluviales… à l’instar du Conseil del’Europe qui a mis en place la convention européenne du paysage en 2000.Cette mobilisation catalyse les nombreuses initiatives locales, les expérimentations citoyennes, les politiques publiques ambitieuses qui sont actuellement conduites sur le territoire régional pour améliorer les modes de vie, notamment des plus pauvres et des plus dépendants à leur environnement.Ce numéro des Cahiers aborde ces enjeux pour ouvrir la voie à une nouvellemanière de penser l’aménagement, plus compact, économe en ressources,en espace et en énergie, mais aussi plus respectueux du vivant, de l’humainet de la qualité de vie.

    À l’aube d’une nouvelle révision du projet de schéma directeur régionalportée par le conseil régional, une place toute particulière devra êtreaccordée au paysage. Je souhaite que ce numéro des Cahiers, le troisièmeque l’IAU île-de-France consacre aux paysages, puisse éclairer les décisionstechniques et politiques qui permettront de mettre en dialogue paysagesnaturels et paysages urbains, et d’aider à offrir aux Franciliens comme aux Européens un cadre de vie créateur de richesses, thème des 5es assiseseuropéennes du paysage qui se tiennent à Strasbourg.

    Éditorial

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    Jean-Paul HuchonPrésident du conseil régional d’Île-de-FrancePrésident de l’IAU île-de-France

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    Paysages, de la compréhension à l’action

    Depuis la tentative du schéma directeur régional de 1976 visant à poserles principes de la composition des grands paysages urbains, tentativerestée sans effet, la prise en compte du paysage a progressé dans la législation française (1993, loi «paysage» ; 1995, loi sur la protection de la nature, incluant « l’amendement Dupont» sur les entrées de villes et l’intégration des plans de paysage aux documents d’urbanisme) et dans les conventions internationales

    (1992, prise en compte des paysages culturels par la convention du patrimoinemondial de l’Unesco ; 2000, convention européenne du paysage, signée à Florence sous l’égide du Conseil de l’Europe et ratifiée par la France en 2006).

    Dans le même temps, les outils de connaissance et de protection des paysages se sont largement développés (atlas de paysages, chartes paysagères communales ou intercommunales, réseau d’observatoires photographiques, sites protégés,opérations «grands sites», nouveaux parcs naturels régionaux, etc.), et les documentsd’urbanisme stratégique ont intégré des volets paysage de plus en plus déterminants.Les grands aménageurs (ONF, RFF, sociétés autoroutières, VNF, carrières…) et la profession agricole (Safer, chambres d’agriculture, syndicats…) ont désormaisune action consciente sur l’aspect des vastes territoires qu’ils impactent, gèrent ou aménagent.

    On peut dès lors s’interroger sur les raisons pour lesquelles les professionnels maisaussi le grand public, et de plus en plus les élus, déplorent la dégradation continue des paysages et l’extension du «moche», comme le soulignait l’une des équipesd’architectes de la consultation sur le Grand Pari(s). Les périphéries urbaines sont notamment le lieu d’un chaos que peu s’accordent à trouver beau, mais qui sont le cadre de vie et de travail de populations toujours plus nombreuses.

    Entre uniformisation productiviste et déprise agricole, les paysages ruraux perdent aussi une part de leur identité. Face à ce constat, tous les moyens développés semblent davantage servir à comprendre qu’à agir, nous rendant observateurséclairés mais acteurs impuissants.

    Nous avons donc souhaité présenter dans ce numéro des Cahiers un certain nombre de clés permettant de passer de la connaissance à l’action, en reprenant la notion de projet de paysage telle que développée par plusieurs théoriciens du paysage,parfois dans des sens différents (Sébastien Marot, Pierre Donadieu, Anne Fortier-Kriegel…), de façon complémentaire et non contradictoire. Le projet de paysage donne un caractère visible et concret aux différentes dimensionsdu territoire – économique, sociale et environnementale – qui composent la démarche de développement durable. Le projet participe ainsi à la territorialisation des politiques publiques et à la redéfinition des modes de gouvernance.

    Dans la continuité des Cahiers 117-118, publiés en 1997, le présent numéro est conçu dans le but de permettre aux initiatives présentées de faire école, dans l’esprit de la convention européenne du paysage, qui donne une place privilégiéeaux paysages du quotidien, favorise l’évaluation des procédures mises en œuvre dans ce domaine par les institutions publiques et les collectivités territoriales, et encourage la négociation et la participation des acteurs, notamment associatifs, à l’amélioration de la qualité des paysages.

    Avant-propos

    François DugenyDirecteur général de l’IAU île-de-France

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  • ComprendreÉVOLUTION DES REGARDS

    Les trois âges du paysagePhilippe Montillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

    L’élu, acteur des évolutions du paysageInterview de Alain Renault . . . . . . . . . . . . 10

    L’atelier « Paysage » en Île-de-FranceJacques Deval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

    Nouveaux regards ?Nicolas Laruelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

    Le tramway, créateur de paysageInterview de Régine Charvet-Pello . . . . 16

    ÉVOLUTION DES PAYSAGES

    Identité des territoires et unités paysagèresPierre-Marie Tricaud, Corinne Legenne 18

    Paysage métropoliséCorinne Legenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

    Paysage mondialiséNicolas Laruelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

    Paysage résidentialiséCéline Loudier-Malgouyres . . . . . . . . . . . . 26

    Paysages ordinairesSerge Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

    ÉVOLUTION DES ACTIONS

    L’État et la préservation du paysage francilienJean-Luc Cabrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

    Le paysage, dans le sillage des droits de l’hommeAnne-Marie Chavanon . . . . . . . . . . . . . . . . 33

    1994-2011, les limites de la villeencore en questionInterview de Jacques Sgard . . . . . . . . . . . 35

    AgirLE GÉNIE DU LIEU

    Des études de paysage, pour quoi faire?Caroline Briand, Lucie Le Chaudelec,Magali Laffond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

    Du plan à l’élévationPierre-Marie Tricaud, Corinne Legenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

    Les Brichères, un quartier aux sourcesInterview de Serge Renaudie . . . . . . . . . . 44

    Dessiner (ou non) avant d’agir?Bertrand Deladerrière . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

    LE TEMPS LONG

    Les temps géographiques et les temps des paysagesFrançois Huart, Jacques Lorain, François Adam . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

    Un avenir concerté pour le paysageLaurence Renard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

    La plaine de Versailles «entre projet et réalité»Marie de Naurois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

    Fragments de paysages de métropoles mutantesPaul Lecroart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

    LE CARACTÈRE ÉVOLUTIF

    Essonne: un nouveau regard sur l’aménagement?Emmanuelle Vilarasau, Lisa Levy . . . . . . 58

    Imaginer le territoire «post-carbone» à partir du paysageSylvie Blaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

    Au Havre, le monde est au bout du jardinAlbéric Levain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

    Agir durablement sur le paysageLaure de Biasi, Patrick Gautier, Nathalie Madrid . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

    Le paysage, un indicateur de bien-être?Interview de Érik Orsenna . . . . . . . . . . . . . 69

    AnticiperUN PAYSAGE POUR QUI?

    Des architectes et des paysagistesdans les classesAnne Gaillard, Violaine Pécot . . . . . . . . . 72

    Éducation au paysage: «Ville, territoire, paysage»Jaume Busquets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74

    Le paysagiste, chef d’orchestreInterview de Marie Pruvost . . . . . . . . . . . . 76

    Promouvoir une approchepaysagèreYves Helbert, Dimitri Liorit . . . . . . . . . . . . 78

    UN PAYSAGE PAR QUI?

    Les sociotopes et le paysage des habitantsAlexander Ståhle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

    Les paysagistes face aux paradoxesde la concertationBrigitte Guigou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

    Le paysage, ressource de la ville fertileInterview de Michel Péna et Michel Audouy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

    Ressources

    À retenir ColloquesLa forêt, lieu d’innovationQuel avenir pour la forêt? . . . . . . . . . . . . . . . . 90Paysages de la vie quotidienne.Regards croisés entre la recherche et l’action . . . . . . . . . . . . . 91

    À lire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 913

    SommaireÉditorial : Le paysage, réalité et projetsJean-Paul Huchon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

    Avant-propos : Paysages, de la compréhension à l’actionFrançois Dugeny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

    Prologue: L’approche paysagèrepour mieux se projeterChristian Thibault . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

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  • PrologueLes Cahiers de l’IAU îdF

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    Le paysage, du projet à la réalité

    La conception et la mise en œuvre des projets font appel à des compétences et à desjeux d’acteurs de plus en plus multiples et complexes. Il est bien difficile de les articuleret concerter pour aboutir à une synthèse cohérente, quelle que soit l’échelle d’espaceet de temps. Le paysage, quand il est abordé, l’est trop souvent comme un critère de plus.L’approche paysagère pourrait pourtant jouer un rôle précieux de lien et de liant, avecdes apports considérables en termes de médiation, de pédagogie ou de sensibilisation.Le paysage peut être un levier puissant dans les projets dès lors que chacun se sentconcerné. C’est aussi, dans les diagnostics, une clé de décryptage du fonctionnement etdes dysfonctionnements des territoires.

    Donner sa place au paysage dans le développement durableLe paysage apparaît réduit à la portion congrue dans les démarches de développementdurable, y compris dans le Grenelle de l’environnement. On peut même craindre de nou-velles dégradations paysagères introduites par certains dispositifs dits « écologiques » ou« durables ». La performance énergétique d’un bâtiment ne doit pas se faire au détrimentde son agrément. Un projet vert ne consiste pas à mettre n’importe quelle végétationn’importe où (le paysage non plus !). Il y a des raisons culturelles sans doute, le paysageen France étant généralement réduit à un décor, comme le design est réduit à l’esthétique.Les actions de développement durable pâtissent aussi d‘effets de mode. Pourtant, le pay-sage s’adresse aux trois sphères du développement durable, ainsi qu’à l’enjeu transversalde la gouvernance. Bien davantage, il permet de les croiser et de les relier.

    En finir avec la banalisation des paysagesChaque lieu étant par principe unique, tous les paysages devraient être extraordinaires,et considérés comme tels. En Île-de-France, les paysages sont souvent qualifiés de banals.Mon point de vue est qu’ils ne le sont pas. Ils sont peut-être moins spectaculaires qued’autres. Mais il n’est ni fortuit ni anodin que la capitale de la France soit installée là etait connu ce formidable développement. Le socle naturel est exceptionnel : au cœurd’un très grand bassin sédimentaire, avec son fleuve qui déroule ses méandres, avec seslignes de force géomorphologiques. Certes il n’y a pas la mer, mais la mer des blés desplateaux offre des horizons et des ciels comparables. Certes les reliefs sont peu prononcés,ils n’en doivent que mieux être mis en scène. Et que dire de la composition paysagère,rurale et urbaine, que l’homme a insérée ? Toute médaille a son revers. La croissanceurbaine a ajouté de la valeur paysagère d’un côté, et en a retranché d’un autre. Les tramesfoncières ont été bousculées, les reliefs ont été écrasés par des constructions massives,les formes urbaines s’entrechoquent… cependant le renouvellement urbain offre toujoursdes opportunités.

    Mettre de la sensibilité dans les projetsLe paysage, c’est le reflet de l’âme d’un territoire. Sans âme, il n’y a pas de reflet. Pour lemettre en valeur, il faut connaître l’âme. Le paysage exprime l’attention qui est portée àun lieu, à un territoire. J’irais même jusqu’à dire l’amour qui lui est porté. On dit « choyerun paysage ». C’est essentiel pour l’estime de soi des habitants. L’approche paysagère apour mérite d’apporter de la sensibilité dans les projets. Or, les approches sensibles sontplus que jamais nécessaires pour contrebalancer la « technologisation » croissante dufonctionnement urbain et des modes de vie, ainsi que le caractère inhumain de la métro-polisation ou de la globalisation, dont la compréhension échappe à un grand nombrede citoyens. Le paysage permet de renforcer le lien entre les habitants et leur(s)territoire(s).Durabilité, anti-banalité, sensibilité : l’approche paysagère permet de s’appuyer sur leséléments fondamentaux et sur les éléments singuliers, sur les traces à révéler et sur lesenvies à concrétiser… pour mieux se projeter (au sens du projet).

    Christian ThibaultIAU île-de-France

    L’approche paysagère pour mieux se projeter

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  • Comprendre

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    La compréhension du paysage en tant qu’objet a considérablement progressé depuis vingt à trente ans. Il ne s’agit donc pas ici de revenir sur cette connaissance,mais de dégager les nouvelles questions qu’elle pose et les enjeux qu’elle fait apparaître. Quels sont les nouveaux regards, les nouveaux paysages et les nouvelles actions menées? Dans une société plurielle, comment faire cohabiter des regards parfois contradictoires tout en ayant chacun sa légitimité? Quel paysage et quelle société voulons-nous? Quelles relations entre les lieux, entre les gens, entre les lieux et les gens? Le paysage est un fait de société ;en cela il participe d’un des trois piliers du développementdurable : le social. Le paysage comme les autres faits desociété (manières de vivre, enracinement, engagements,sexualité, famille, politique, religion…) relevant de plus en plus des choix, il importe que ceux-ci soient éclairés. L’objectif demeure la durabilité et la soutenabilité, car il ne s’agit pas de viser une société ni des paysages figés,mais bien de prendre en considération leur évolution.

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  • Ces trois âges ne se remplacent pas lesuns les autres mais se superposent,comme les âges de la vie. Celui des pay-sans est le plus ancien et commence, en Île-de-France, il y a mille ans et plus. Mille ans, parceque si la civilisation agraire est beaucoup plusancienne, en revanche les éléments structurantsqui forment une grande partie du paysage fran-cilien actuel datent de l’organisation féodo-domaniale médiévale. Le temps de l’artiste(vocable englobant tant le jardinier que le pein-tre) est celui de l’époque classique où « les jar-diniers », les agronomes mais aussi les poli-tiques (Sully, les physiocrates) et les artistes,peintres notamment, vont imprimer une nou-velle marque au paysage. Cette marque n’estplus la seule conséquence de la nécessité cru-ciale de produire pour survivre, mais devientun miroir social aux multiples facettes. Enfin letroisième âge né il y a un siècle environ a vul’ancien paysage devoir composer avec l’urbainet l’industriel dans un souci de gestion de l’es-pace. Ces trois âges(1) expliquent le(s) pay-sage(s) actuel(s) de l’Île-de-France.

    L’âge du paysan ou la création du paysageLa tentation serait d’en faire le paysage du« réel ». Pourtant, il n’existe pas vraiment en tantque tel. Ce paysage est la conséquence du for-midable besoin de trouver la subsistance quo-tidienne à des époques où c’est la principaleactivité humaine. Cette quête a persisté plu-sieurs siècles. Le paysage est quasi « détourné »

    de la nature à des fins pragmatiques et pourune part s’y adapte, en ce sens qu’il doit tenircompte du « poids du sol(2) » (vallée, plateau,plaine) mais aussi du caractère du sous-sol(limon, sable, argile, calcaire…). Le paysage, quipeut paraître immobile, a en fait lui aussi évoluéau gré des adaptations techniques et de l’évo-lution des besoins. «L’usage ici précède l’image,quand la relation s’est inversée dans nos socié-tés urbaines(3) ».Les paysans sont les créateurs d’un paysage, enmême temps qu’ils créent des pays(4). Leuraction, dans une heureuse alchimie où le grandet le petit se mêlent, s’exerce sur une doubleéchelle. Celle du territoire à travers les grandsdomaines préfigurent l’organisation toujoursactuelle du territoire et ses grands paysages,avec la scansion entre les pleins des espacesbâtis et les vides des espaces naturels. Celle de l’échelle locale, du village, dont les différents démembrements (censives, tenures,

    ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

    n° 159 - septembre 2011

    Les trois âges du paysage

    « Vue d’optique du Jardin des Marchands ». Vue très parlanteillustrant les multiples fonctions du jardin avec ses métiers, ses activités.

    Le paysage francilien a connu desévolutions. Ce mouvement ne s’est paseffectué de manière unique et, surtout, il a été ressenti de façons diverses selonles époques, par ceux qui l’ont façonnépeu à peu, ceux qui le conçurent ou encore ceux qui le théorisent. Lesbesoins autant que les méthodes ontévolué. Le paysage en effet, plus que denature, est affaire de culture, au doublesens du terme, celui du sol et celui de la pensée. Ainsi, il est possible dediscerner les « trois âges du paysage».

    Philippe MontilletIAU île-de-France

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    Le paysage, du projet à la réalité

    Évolution des regards

    (1) Cette division en trois âges a déjà été pratiquée par d’au-tres. Voir Brisson Jean-Luc, dir., « Le jardinier, l’artiste et l’ingé-nieur », colloque de Besançon-Paris, Les éditions de l’Impri-meur,2000. Mais notre approche, qui reprend la méthode ets’inspire des termes, est différente sur le fond. Voir aussi Cho-marat-Ruiz Catherine, «Qu’est-ce que les artistes, les jardinierset les paysagistes nous transmettent du paysage », dans Patri-moine et Paysages, éditions Lieux dits, 2009, p.208.(2) Voir Les Cahiers de l’Iaurif, n° 129, 4e trimestre 2000, p.41et sq.(3) Lieutaghi Pierre dans la préface de la nouvelle éditiondu livre d’Olivier de Serres, Le Théâtre d’agriculture, ActesSud, 2001, p.45.(4) Sur le rapport paysage/pays/paysan, voir l’article d’HenriCueco cité en bibliogaphie, p.171.

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  • coutures…) recoupés avec le laniérage des par-celles, puis refaçonnés par les masses cultu-rales, générations après générations, façonnentle paysage local. Les plans d’intendance établispourtant à une époque où les choses évo-luaient(5) déjà, le montrent. Les masses y sontd’autant plus visibles que l’on s’éloigne deszones bâties alors que des terrains plus petits(jardins, vergers, enclos) enserrent le bâti. L’évo-lution paysagère du XXe siècle y trouve déjà sesorigines. En effet, le bâti s’adaptera à la fois auxpetites parcelles pour assurer la croissance desbourgs, pendant que les vastes domaines deproduction seront l’espace idéal pour les lotis-sements et les grands ensembles(6). Le paysagedes paysans franciliens imposera ses règles auxcréateurs des villes.Mais cette première époque si pragmatique aété suivie par une seconde où « l’artiste » a prisle pas du moins sur certains secteurs, sur le pay-san(7) en imposant une certaine rationalité.

    L’âge de l’artiste ou l’invention du paysageLe paysage idéalisé dont les premiers exemplesremontent à la Renaissance et nous vient d’Ita-lie, devient un paysage humanisé. Paysage éli-tiste aussi, et cela selon un double point devue : de celui qui le veut (le grand seigneurnotamment) et de celui qui le fait avec tout sonsavoir-faire (les artistes-jardiniers). Paysage théo-risé aussi dans lequel les perspectives et les ali-

    gnements prennent une grande importance carle « décor » prend le pas sur le seul souci deproduire. Mais ce qui marque véritablement larupture entre ces deux premiers âges est quedésormais, le paysage ne sera plus seulementl’affaire des paysans. Le paysage devient de plusen plus une affaire d’« urbains » qui vontdemander aux artistes de le représenter ou del’adapter. Les artistes sont à la fois ceux qui font,c’est-à-dire les jardiniers, et ceux qui présentent,et il s’agit alors des peintres de la nature. Lesdeux métiers étant réunis sous le même voca-ble de paysagistes. Les jardins et les parcs appor-tent une nouvelle dimension au paysage. Ilssont associés désormais intimement à lademeure dont ils forment l’extension naturelle.Cette extension s’entend au sens de l’espaceet le jardin devient une « autre pièce » danslaquelle, comme à Versailles ou dans les autresdemeures seigneuriales, on va faire du théâtre,écouter de la musique et plus tard « déjeunersur l’herbe»… Ainsi, les jardiniers(8) de l’époque

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    (5) Quinze ans avant le code civil qui allait instituer la pro-priété privée.(6) Le phénomène a été bien étudié par Jean Bastié pourles grands domaines du plateau du Longboyau dans sa thèseLa croissance de la banlieue parisienne, PUF, Paris, 1964.(7) Le paysan qui, en même temps, devient agriculteur (VoirLe Théâtre d’agriculture, d’Olivier de Serres). Changementsémantique important. Le paysan a construit le paysage, l’agri-culteur limite son action à l’ager – le champ. Dès lors, il yaura dichotomie entre le paysage, la nature et l’(agri)culture.La campagne prend le pas sur le pays.(8) Voir ouvrage de Cauquelin Anne cité en bibliographie.

    Occupation du sol au XIXe siècle

    Cette carte de l’occupation du solmontre l’harmonie que donne la gestion rurale du sol. Ce sont les finages qui organisentl’espace en plaçant les villages ou hameaux tous les cinq à sept kilomètres.Iau

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  • classique furent ceux qui utilisèrent, les pre-miers, des perspectives créant de l’espace etdes harmonies entre les couleurs et les végé-taux. Ils créent un décor, «un horizon fait à sou-hait pour le plaisir des yeux(9) ».Mais parce que le jardin peut avoir d’autresfonctions que simplement ludiques, le jardinierpeut vite se transformer en horticulteur et arbo-riculteur et apporter d’autres transformationsau(x) paysage(s). La Quintinie (1626-1688) etLe Nôtre (1613-1700)(10), le père des jardins « àla française» qui prolongent l’architecture clas-sique(11), forment un tout. On doit à La Quintinie(et à ses confrères) des techniques, commecelle du palissage sur mur, qui se retrouventdans les paysages bâtis (les murs à pêches deMontreuil ou de Bagnolet, les murs à vignes deThomery), et dont l’écartement a fixé la trameurbaine d’une partie de ces communes.Âge fondateur pour le paysage francilien, carses conséquences dépassent largement parcs,jardins d’agrément et potagers où il s’exprime.Mais si les artistes-jardiniers ont été les maîtresd’œuvre des parcs et jardins (du XVIIe au XIXe siè-cle(12)), ils furent accompagnés par d’autresartistes, les peintres, qui, eux, ont largementcontribué à l’image des paysages. Deux grandes« étapes » peuvent être distinguées. Dans la pre-mière (XVIIe-XVIIIe siècles), le paysage est plus oumoins stylisé avec une nature abstraite présen-tée à travers des archétypes qui sont répétés :des vallons « profonds », des éboulis, des tor-rents, des lacs. Ce paysage sert de décor de fondet de cadre. Il n’est pas vraiment localisé maiscela évoluera au siècle suivant. Au XIXe siècle,l’attitude de l’artiste a été différente. Le peintreva représenter le paysage de façon la plus réa-liste possible du moins selon lui et selon sonépoque. Ainsi les paysages vont prendre unevaleur au sens matériel du terme. « Cet intérêtpour les paysages réels […] est […] un chan-gement fondamental » (Lacoste, 1995). Noussommes à l’âge d’or du pittoresque et des sites.Notre vision, souvent nostalgique, des paysagesdate essentiellement de ce regard, surtout enÎle-de-France où tous les peintres de l’école de

    Barbizon et leurs successeurs (dans la valléede la Seine, de la Marne ou de l’Oise(13)…)jusqu’aux impressionnistes, ont marqué l’his-toire de l’art.Cet âge de l’artiste s’inscrit dans un donner àvoir qui est tout autant marque de pouvoir quedescription dans un but fonctionnel, ce quin’est pas sans danger pour le territoire. Danscette approche nouvelle, il naîtra deux mondes,celui « avec paysage » (par exemple, la forêt deFontainebleau(14)) qu’il conviendra de figer, etcelui « sans paysage» où les dégradations pour-ront s’effectuer sans émotion (banlieues, sec-teurs industriels…). Il en résultera des atteintesimportantes expliquant le revirement et la nou-velle approche du troisième âge.

    L’âge de l’ingénieur ou la gestion du paysageLa société industrielle de plus en plus urbainea fait entrer, depuis la fin du XIXe siècle, le pay-sage dans un nouvel âge, celui des technicienset des ingénieurs. Plus que créer (premier âge)ou donner à voir (deuxième âge), il s’agit désormais de gérer, souvent de réparer, un pay-sage comme élément d’un territoire dont iln’est devenu qu’une des composantes(15).Le paysage devient objet de discours, de théorie(Lacoste, 1995), de classifications(16) et de péda-gogie tout autant que d’enjeux notamment entant qu’espace public. Il est confronté à de mul-tiples pressions et aux jeux d’acteurs diversdans leurs attentes : État, notamment à traversses services déconcentrés, collectivités locales,associations, professionnels allant des paysa-gistes aux agriculteurs et aux forestiers. À la foispaysage de l’aménageur, du paysagiste et dugéographe après l’avoir été du militaire qui n’en

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    ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

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    Évolution des regards

    Les trois âges du paysage

    (9) Selon le mot de Fénelon, cité dans Balade en Essonne,présentée par Marie-Noëlle Craissati, Éditions Alexandrines,nouvelle édition, Paris 2010, p.30.(10) Mais, il ne faut pas oublier qu’avant de changer l’art desjardins, Le Nôtre était contrôleur général des bâtiments duroi.(11) Pensons à tous les grands châteaux : Versailles, Sceaux,Vaux-le-Vicomte pour ne citer que quelques exemplespublics.(12) Tous les parcs romantiques (Méréville, le désert deRetz…) sont aussi à prendre en compte. Ils apportent encoreune nouvelle dimension, n’étant plus seulement réalisés« pour le plaisir des yeux », mais aussi pour celui de l’âme, àmoins que ce ne soit pour son tourment…(13) Voir Les Cahiers de l’Iaurif, n° 117-118, 1997, p.11 et sq.(14) Sur ce point, voir les articles dans Patrimoine et Paysages,éditions Lieux dits, p. 12 à 39, La forêt de Fontainebleau estle premier espace protégé au sens moderne du terme, dès1853.(15) Correspondant bien au passage entre nos deux âges,retenons la belle formule de Gerald Hanning (op. cit. p. 8) :« composer, c’est mettre un dessein en dessin ».(16) Du paysage d’exception (classé au patrimoine mondialde l’Unesco) jusqu’au paysage « ordinaire » ou du quotidien,de multiples classifications existent (paysage fluvial, agricole,urbain, côtier, de montagne, de plaine, forestier…), chacunayant ses spécialistes, ses approches et ses défenseurs.

    Plan d’intendance de Courcelles(Val-d’Oise).

    Le potager du roi à Versailles,expression du génie de La Quintinie, construit en creux et entouré de murs pour protéger les cultures.

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  • retenait que son aspect stratégique (plis de ter-rain, points hauts…), il dépend toujours du spé-cialiste. Ce troisième âge a changé l’approche,et le paysage est à la fois objet d’étude et enjeude territoire.« Le paysage est un point de vue d’intellectuel,une abstraction et une fiction » comme le ditHenri Cueco, dont la sensibilité de peintre estbien à même de comprendre le changement.L’aspect fonctionnel et utilitaire prend unegrande part au point de créer un conflit quiapparaît rapidement entre tous les usages pos-sibles souvent plus ou moins irréconciliables.Les conflits sont loin d’être anodins car leursconséquences sont importantes. Elles portentsur la définition même du paysage et sur sapérennisation. Le paysage est objet de question-nement alors que durant longtemps il est « alléde soi » tout en évoluant. Y a-t-il un paysage ?Sous-entendu un paysage type, immuable. Lalégislation de préservation de la nature et doncdu paysage y trouve sa source, notamment leslois de 1906 et 1930 sur les sites. La patrimonia-lisation est admise comme le seul remède à cequi peut paraître comme une disparition irré-médiable. En Île de France, cela se traduit parles 2 390 km2 de sites protégés ou encore parla création de parcs naturels régionaux.Les questions liées à la controverse entre figerles paysages ou accepter leur évolution pren-nent d’autant plus de sens qu’ils perdent leurcaractère de gratuité. Des objectifs et des

    enjeux leur sont attachés. Il s’agit en priorité decréer ou de conserver les paysages à la foispour les « habitants » non seulement pour eux-mêmes, mais aussi dans une optique de déve-loppement durable. L’enjeu social est primor-dial, voire plus encore que l’enjeu esthétique,de part une sorte de « droit au paysage » dontchacun pourrait jouir à sa guise. Les paysagistescontemporains y trouvent une grande part deleur raison d’être. Mais leur mission est diffé-rente de celle qui faisait agir ceux qui créaientdu paysage par le passé. « Le métier de paysa-giste revient actuellement à celui de gestion-naire d’espaces publics à rénover, l’urbanisten’est pas loin, non plus que l’écologue oul’agronome… » (Cauquelin, 1989).Le cadre du paysage change. Si jusqu’à la findu XIXe siècle la notion s’est appliquée essen-tiellement au paysage naturel, même si le bâtiy trouvait aussi sa place, au XXe siècle le paysageurbain s’impose de plus en plus. Cette émer-gence correspond à une réalité, celle d’unmonde où la ville devient l’environnement pre-mier. Dans ce contexte, le paysage urbain mériteune attention toute particulière, d’autant quede nombreux paysagistes ne veulent pas sépa-rer la ville de son hinterland.Le paysage pris dans le jeu des fonctions, durapport complexe entre le fonctionnel et le gra-tuit, entre le souci de pérenniser et celui dedévelopper, entre le naturel et l’anthropisation,est à un tournant. Après ces trois premiers âges,sommes-nous à l’aube d’un quatrième ?

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    Références bibliographiques

    • Une version longue de cet article peutêtre consultée surhttp://www.projetsdepaysage.fr

    • CAUQUELIN Anne, L’Invention du paysage,Presses Universitaires de France, 2000(1re édition 1989, Plon).

    • CUECO Henri, «Approches du concept depaysage», in La Théorie du paysage enFrance (1974-1994,) sous la directiond’Alain Roger, éditions Champ Vallon,1995, pp. 168-181.

    • LACOSTE Yves, «À quoi sert le paysage?Qu’est-ce qu’un beau paysage?», in LaThéorie du paysage en France (1974-1994), sous la direction d’Alain Roger,éditions Champ Vallon, 1995, pp. 42-73.

    Un des emblèmes du paysage de l’aménageur moderne, la ligne à grande vitesse.

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    Les Cahiers – Votre regard a-t-il changédepuis que vous êtes élu?Alain Renault – Notre regard d’élu a changédepuis que le maire est responsable des docu-ments d’urbanisme. Ils nous aident à maîtriser,délimiter nos villages. Le Pos et le PLU peuventparaître restrictifs, la charte du parc apporte descontraintes à respecter mais le parc nous aideà définir ses limites.Avant, les élus avaientun regard passif,aujourd’hui noussommes actifs, respon-sables. J’aurais pudévier pour des inté-rêts personnels en vendant mes terrains à unpromoteur. Ma famille avait dix terrainsconstructibles, aujourd’hui il n’en reste quecinq, du fait des règles plus restrictives du Pos.J’ai entendu certains maires me dire «Tant quetu es maire, tu t’en mets » – sous-entendu desterrains urbanisables. S’il n’y a avait pas eu leparc, nous aurions eu tendance à ouvrir des ter-rains à construire car la pression foncière estforte. On retrouve cette tendance dans les com-munes hors parc. Le parc nous guide, nous offredes garde-fous. Il est l’acteur du changementde ce paysage. J’espère que le prochain maire– car je ne désire pas refaire un mandat – nedira pas que j’ai « défiguré » le paysage. Commej’appartiens à une vieille famille, je réfléchisavec mon passé, avec le regard de mon enfanceet les histoires de mes parents et grands-parents.C’est le remembrement qui a le plus changé lepaysage de la plaine. On a agrandi les champs,repris les chemins pour qu’ils soient plus recti-lignes et nous en avons enlevé certains. Monpère a suivi le remembrement de la commune.Le nombre d’agriculteurs a diminué : de 30, ilest passé à 7 aujourd’hui. La plaine était tour-née vers la polyculture-élevage. Il y a avait unpeu d’élevage de moutons, de vaches, de che-vaux. Pour nourrir ce bétail, on cultivait du sain-foin, de la luzerne. Il n’y avait pas de prairie. Lesmoutons après la moisson allaient manger lesrepousses dans les champs récoltés. Les cul-tures ont changé au profit du blé, du colza etde la betterave. Il y a eu du tournesol et dumaïs. Il n’y a plus la même diversité. Puis lesmaraîchers sont arrivés, expulsés de Montesson.Ils cultivent 100 ha sur les 550 de surface agri-cole utile (SAU) que compte la commune. Il ya des problèmes avec les maraîchers : leurscamions, les horaires de travail – ils commen-cent à quatre heures du matin – , l’arrosage sansarrêt qui abîme les chemins et les routes, sans

    compter les énormes dépôts de cageots quidéfigurent le paysage. Au moins, les tunnelsplastiques pas jolis ont été remplacés par desbâches au sol. Les maraîchers n’ont pas lamême approche de la terre, ce sont des gensde passage. Leur expropriation leur a permisd’acheter les terrains il y a quarante ans maisils ne les ont pas reçus en héritage. On a la sen-

    sation qu’ils n’ont pasd’attache au terrain,qu’ils partiront à leursretraites. Les maraî-chers d’Arbonne sontd’anciens céréaliers.Ils se sont mis au

    maraîchage car il fournissait un meilleur revenusur ces terres très sablonneuses. Ils faisaientdéjà de l’asperge. Ils se sont diversifiés pourrépondre à la demande du bio et de la vente àla ferme. Les autres maraîchers sont à uneéchelle industrielle et livrent à Rungis.

    L. C. – Le parc étant dans l’aired’influence de Paris, un certain nombrede ses habitants sont de nouveauxrésidents. Ces différences engendrent-elles de l’incompréhension ou del’indifférence?A. R. – Le paysage délimite un lieu, ici la plaineest délimitée à l’ouest par le ru de Rebais, aunord par les bois que l’on nomme « rochers »(qui sont la suite des rochers de la forêt de Fon-tainebleau). Ce n’est pas une grande plainecomme la Beauce et la Brie. Elle est agréable àl’œil. La plaine de Bière c’est de la douceurdans le paysage, il n’y a aucune agressivité. Lapureté de la lumière a attiré les peintres del’école de Barbizon. D’ailleurs, un de mes ancê-tres allait fréquenter ces peintres «de mauvaisevie ». Les parisiens viennent chez nous pourcette qualité du cadre de vie. J’ai connu letemps où il y avait une vingtaine de maisonsde vacances de familles de Parisiens aisés quivenaient par la N7, puis par l’A6. Le premiertronçon s’arrêtait à Saint-Germain-sur-École. Lagare de Melun et le RER D ont permis aux Pari-siens de devenir des « rurbains ». Les maisonssecondaires ont été reprises par des Parisiensqui vivent à temps plein, augmentant la popu-lation. Cette nouvelle population amène unregard et des expériences d’ailleurs. Les per-sonnes arrivées depuis moins de dix ans ontbeaucoup d’idées mais ne sont pas toujourscapables de les mettre en valeur. Elles l’ont vuailleurs mais c’est parfois difficile à transcrire.C’est difficile de devenir un acteur responsable.

    Alain Renault est issu d’unefamille installée dans le pays de Bière depuis 400 ans.Agriculteur de père en fils, ilss‘appelaient des « laboureurs ».Il reprend la ferme familialeaprès une formation agricole à Beauvais de niveau ingénieur.Ces études lui permettent devoyager et de découvrir d’autrescontrées : en 1966 au Canada,en 1968 au Mexique et auxÉtats-Unis et une autre visite en Pologne. Quand il s’installe,il était de tradition familiale de se présenter aux électionsmunicipales. Il est élu de Saint-Martin-en-Bière commeconseiller municipal depuis1977 et comme maire depuis1983. Nous l’avons rencontrécomme président de lacommission Environnement etdu comité Paysage et Territoiredu parc naturel régional du Gâtinais français.

    L’élu, acteur des évolutions du paysage

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    ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

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    Le paysage, du projet à la réalité

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    »Avant, au conseil municipal, on réglait des conflits de familles […].

    Maintenant, on gère des conflits de culture. «

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  • Leur manque d’attache au passé peut nouspénaliser mais leur regard sur le paysage estaiguisé, plus critique. Un décalage se creuse. Ledoyen de Moigny m’a dit dernièrement « MoiMonsieur, aujourd’hui c’est moi l’étranger ».La vie associative du village a évolué. L’écolede danse et le conservatoire de musique sonttrès appréciés des nouveaux habitants. Lecomité des fêtes n’existe plus. Certains regret-tent la fête du 14 juillet où toute la communese retrouvait. Les associations des chasseurs etdes anciens combattants n’intéressent pas lesnouveaux habitants. Avant, les enfants del’école venaient chanter aux commémorations,maintenant les parents ne les amènent plus.Les nouveaux habitants ont peu de lien avecleur territoire alors qu’ils étaient attirés par sespaysages. Ils sont dans un paysage du quotidienlié aux nouveaux modes de vie. Ils l’utilisent,en profitent sans vouloir participer à son évo-lution. Les gens sont intéressés par leur intérêtparticulier, pas par le bien public.Grâce aux nouveaux habitants, nous avons pugarder deux classes ouvertes, même si une par-tie de la population plusaisée préfère mettre sesenfants dans les écolesprivées proches de Fon-tainebleau. L’école com-munale reflète encore ladiversité de la popula-tion. Les derniers com-merces ont fermé mais lepetit artisanat se main-tient. Les nouveaux arri-vants proposent du tra-vail par la réfection des maisons anciennes. Ilsont participé à la mise en valeur du village, dupaysage architectural.Avant, au conseil municipal, on réglait desconflits de familles, des histoires liées à l’activitéagricole, à des propriétés foncières. Maintenant,on gère des conflits de culture. Je ne sens pasde successeur même au sein de mon équipemunicipale. Le prochain maire, je ne sais quice sera. Il aura une tâche ardue. Je ne révise pasmon Pos en PLU alors que je dois le mettre enconformité avec la charte du parc d’ici à 3 ans.C’est un problème complexe au niveau tech-nique et politique que je laisse à mon succes-seur, sachant que le parc propose avec leschartes paysagères, l’atlas communal et lesrecommandations pour la révision du PLU deséléments d’aide à son élaboration.

    L. C. – Pourquoi le parc a-t-il mis en placele comité Paysage et Territoire? Quel estson objectif, comment fonctionne-t-il ?A. R. – La commission Environnement, que jepréside, et la commission Développement local

    se retrouvent au sein du comité Paysage et Ter-ritoire car il ne s’agit pas d’avoir une vision sta-tique sur le paysage mais d’avoir une action surson évolution. On hérite d’un paysage et lesobjectifs de la charte nous orientent sur sonévolution. Le paysage est partagé par tous etchacun prend sa part de responsabilité. Je vousai déjà dit que chacun doit être un acteur responsable. On écrit l’histoire. Christian Thibault(1) parle du « génie du lieu ». C’est luiqui m’a fait penser à l’importance denos huit chartes paysagères et de nos onze uni-tés paysagères.Le parc a un rôle fédérateur qui permet de trou-ver le juste milieu entre préservation et valori-sation. Nous avons besoin d’un témoin. Il prendla forme de l’observatoire photographique despaysages aussi bien remarquables que ceux quisubissent des pressions. Des bornes en grès dupays de Bière ont été commandées à l’un desderniers tailleurs du parc pour repérer lespoints. L’observatoire est une autoévaluation.Ces points sont aussi des lieux de sensibilisa-tion du public par le biais de valorisation artis-

    tique réalisée et en lienavec la commission patri-moine et culture.Il n’y a pas de cloisonne-ment entre nos commis-sions. Dans une mêmesoirée on essaye d’en réunir deux pour que les personnes puissent se croiser. La commissionEnvironnement travailleétroitement avec celle de

    l’agriculture, du patrimoine, de l’énergie. C’estrare qu’un dossier soit traité dans une commis-sion unique.Les projets des aménagements communauxsont discutés au sein d’un groupe de travail quiregroupe les personnes des CAUE, de la cham-bre d’agriculture, de la chambre de commerce,du Sdap, de la DDT(2)… Le croisement desregards enrichit les projets.

    Propos recueillis par Corinne Legenne et Lucie Le Chaudelec(3)

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    »Les nouveaux habitants ont peu de lien

    avec leur territoire alors qu’ils étaient attirés

    par ses paysages. […] Ils l’utilisent, en profitent

    sans vouloir participer à son évolution. «

    Nombre d’agriculteurs siégeant au conseil municipalEn 1977 11 conseillers dont

    7 agriculteursAujourd’hui 15 conseillers dont

    2 agriculteurs (1 retraité, 1 ouvrier)

    Photos aériennes d’un même secteur, avant et après remembrement.

    (1) Directeur du département Environnement rural et urbainde l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la régiond’Île-de-France.(2) Sdap (service départemental de l’architecture et du patri-moine).DDT (direction départemental des territoires).(3) Responsable du pôle paysage et énergie du parc naturelrégional du Gâtinais français.

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  • Des corridors biologiques aux monu-mentaux transports automatiques, desvéloroutes transeuropéennes auxchamps d’éoliennes, du canal Seine NordEurope et ses incidences sur les berges dufleuve, de grands projets se mettent en placeaujourd’hui.Face à la puissance de ces projets d’environ-nement, d’équipement et d’aménagement, uneréflexion s’est engagée au sein d’un atelier« Paysage » avec les directions régionales(2) del’État, s’inscrivant dans les dynamiques métro-politaines, en particulier celles du Grand Paris.Une diversité d’expertise a été rassemblée dansnotre atelier afin de concevoir et construire uneculture du projet territorial. L’objet est de révélerles figures du Grand Paris, de préfigurer des pro-menades urbaines et d’en soumettre les conclu-sions aux regards d’artistes pour transformerl’état d’esprit du travail de ces projets.L’existence d’atlas des paysages(3) développésdepuis plus de quinze ans est une source deconnaissances. Ce travail de projet s’appuie sur-tout sur les métiers du paysage : des architectes

    des bâtiments de France aux inspecteurs dessites, des paysagistes-conseils et des architectes-conseils de l’État aux paysagistes indépendantset à l’ingénierie de l’aménagement et de l’en-vironnement. À travers la méthode des figureset celle des promenades urbaines, cettedémarche « Paysage » nous amène une culturedu territoire née de l’approche sensible de

    ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

    n° 159 - septembre 2011

    L’atelier «Paysage» en Île-de-France

    «Stylites nocturnes/diurnes »,l’œuvre de Jaume Plensa, donneral’échelle au « territoire d’intérêtnational » en désignant le boulevarddes Arts de la Seine Amont dans le Val-de-Marne.

    Écrire «Paysage» avec une majuscule et entre guillemets permet d’éclairercette vaste notion de paysage par la diversité des regards. Face à la puissance des projetsd’aujourd’hui, notre atelier développe in visu la méthode des figures et des promenades urbaines. In situ,le regard d’artistes opère le nécessairechangement d’état d’esprit du travail de projet. C’est ainsi imaginer, partageret construire les paysages contemporainsà venir.

    Jacques Deval(1)

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    Le paysage, du projet à la réalité

    Évolution des regards

    Références bibliographiques

    • « Le patrimoine comme dynamique du territoire : un atelier de créationartistique en Seine Amont », La Pierred’Angle, 2005.

    • Atelier «Paysage» en Île-de-France 2009-2011, DRIEA, ouvrage collectif, (parutionprévue en septembre 2011).

    Webographie

    • www.promenades-urbaines.com• www.driea.ile-de-france• www.developpement-durable.gouv.fr

    (1) Jacques Deval est architecte et chargé de mission « Pay-sage » au sein du département atelier territoires métropole,service de l’aménagement, direction régionale et interdépar-tementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île-de-France, accompagné de l’expression graphique d’Ingrid Sau-mur, paysagiste DPLG.(2) L’atelier « Paysage » en Île-de-France a été initié par ladirection régionale et interdépartementale de l’équipementet de l’aménagement en partenariat avec la direction desaffaires culturelles et la direction régionale et interdéparte-mentale de l’écologie et l’énergie, l’Institut d’aménagementet d’urbanisme de la région d’Île-de-France et le CentreGeorges-Pompidou.(3) Les atlas des paysages ont été élaborés principalementpar les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environ-nement, les conseils généraux, les directions départementalesdes territoires et les services des directions régionales del’État en Île-de-France (Drac, Driee, DRIEA). Signalons aussi,parmi les outils de connaissance, le travail sur les unités pay-sagères réalisé par l’IAU îdF, présenté dans ces Cahiers, p.18.

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  • l’espace et de la nécessaire recherche de nou-veaux modes d’expression. Le savoir-faire car-tographique développé par l’atelier aujourd’huiest ancré spécifiquement sur la géologie et il s’agit de révéler les figures naturelles,construites et métaphoriques. La figure ici n’estdonc pas un plan mais un outil qui suggère desperceptions, des points de vue et donne deslignes de cohérence. Le dessin est certainementle premier champ d’investissement de grandecapacité opératoire de construction des figureselles-mêmes. La figure devient alors une vérita-ble dimension culturelle qui précise, montrepour ensuite révéler la continuité d’espace denos territoires.De leur côté, les promenades urbaines, sousl’égide du Centre Pompidou, ont démontré laqualité des connaissances recueillies du terri-toire, de ses acteurs et de ses habitants, par lerepérage, les modes et outils de restitution et

    les expressions créatives qu’elles mettent en œuvre (projection collaborative, dessins,coupes et perspectives d’ambiance, photogra-phie et vidéo).La richesse de cette conjonction autour del’atelier « Paysage » a ainsi favorisé la définitiondes figures du Grand Paris, en donnant à voircomme jamais auparavant les radiales,confluences et lisières urbaines de la métro-pole au sein du bassin de la Seine.Désormais, la perspective pourrait chercher àfaire émerger une confrontation entre cesfigures de paysage et des regards d’artistes, dansle même esprit que l’événement «Estuaire 2007-2009-2012 » de la métropole Nantes-Saint-Nazaire, et que l’IBA Emscher park, expositioninternationale d’architecture dédiée à la Ruhr,montrant l’utilité du regard d’artistes dans letravail de projet.

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    Coupe de la Bièvre d’Arcueil à la Bièvre du Montsouris,promenade urbaine de la radialesud universitaire dite « Jean-Claude Nicolas Forestier ».Ingrid Saumur, paysagiste DPLG.

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    « De la gare de Choisy-le-Roi au parc des Saules, promenadeurbaine du Paris d’Amont », Ingrid Saumur, paysagiste DPLG.

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  • Dans son ouvrage Paysages en mouve-ment, Transports et perception de l’es-pace, XVIIIe-XXe siècle, 2005, Marc Des-portes a montré comment la technique – etnotamment les techniques de transport – a jouéun rôle au moins aussi important que celui dela peinture dans la formation du paysage occi-dental, comment chaque mode nouveau a pro-posé et souvent imposé au voyageur de nou-velles façons de faire, de voir, de sentir, de serepérer – une nouvelle approche du paysage.Par exemple, au milieu du XIXe, le chemin de fercontraint le voyageur, livré à l’ivresse du glisse-ment, à porter son regard au loin, les abordsimmédiats de la voie défilant trop vite pourqu’il puisse les fixer. Un paysage ferroviaire, faitd’amples variations, prend alors corps.

    Paysages réelsAu cours des dernières années, les techniquesde transport ont accompagné des évolutionsurbaines paradoxales. Au centre des grandesvilles, les nouveaux tramways aux habitacleslargement vitrés et les rubans cyclables, rom-pant avec le rythme haché et le point de vuesurbaissé de la voiture, offrent à l’usager un tra-velling apaisé et presque aérien sur le specta-cle, sans doute idéalisé par une certaine penséeurbanophile(1), d’une ville réconciliée avec elle-même. Plus loin, la multiplication des rocadesroutières périphériques, même si elle a pu dansquelques rares cas redonner un point de vueenglobant sur la ville, s’est accompagnée d’uneprolifération exponentielle des ronds-points

    qui, bouchant l’horizon de l’automobiliste puis le lançant comme une toupie, le laissentdésorienté dans l’espace périurbain en expan-sion continue.Mais, plus que l’évolution des véhicules et desinfrastructures, c’est sans doute l’explosion desmobilités qui a modifié le regard sur le paysage.L’accroissement des déplacements quotidiensen nombre et en distance a agrandi l’étenduedes paysages traversés par habitude et souventpar contrainte, émoussant la capacité à repérerles changements à l’œuvre. À l’inverse, la démo-cratisation du transport aérien a peut-êtrerenouvelé le regard porté sur ces paysages duquotidien : « contemplé depuis une hauteur, unvaste espace de banlieue n’est-il pas aussi cap-tivant pour le regard que la plus bucolique desvallées alpestres ?(2) ». On repère le collègerécemment construit au-delà de la route quimarquait jusque-là le front urbain, ou le posteélectrique dont l’orientation rompt si manifes-tement avec la trame du parcellaire agricole.

    Paysages virtuelsC’est d’ailleurs la possibilité de survol gratuitqui a fait le succès de Google Earth,désormaisdoté d’un simulateur de vol, ou de Google

    ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

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    Nouveaux regards?

    Jeux de miroirs dans l’espacepublic. Grille métallique du parc Serge-Gainsbourg, Paris 19e.

    Les évolutions techniques récentessuscitent de nouvelles expériences de paysages – réels, virtuels ou hybrides – susceptibles tantôtd’aiguiser, tantôt d’émousser, mais toujours de modifier notre perception des paysages. Un état des lieux s’impose.

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    (1) Voir la note de lecture Antiurbain dans la rubrique Res-sources p.92.(2) Briffaud Serge, « Le monde vu d’en haut. Une histoire dela vision panoramique », Paysage et aménagement, n° 31,juin 1995. Cité par Perrin Laurent, « La ville panoramique. Évo-lution des regards aériens sur Paris et sa banlieue », LesCahiers de l’Iaurif, n° 120, janvier 1998.

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  • Maps. Ces plateformes en ligne permettent demultiplier et de confronter les points de vuejusqu’à pouvoir, dans Google Street View,arpen-ter virtuellement (et en 3D dans certains sec-teurs) une voie urbaine comme une route decampagne. Et c’est là peut-être un fait marquantdes évolutions techniques récentes : les mondesvirtuels apparaissent moins souvent commedes alternatives ou des substituts au monde réelque comme des sources d’enrichissement duregard porté sur ce monde réel.Les progrès réalisés en matière de représenta-tion des paysages réels sont impressionnants.Ainsi, traversant une ville avec leurs parentspour la première fois, des enfants sont capablesde les guider avec aisance parce qu’ils l’ontdéjà parcourue dans des jeux vidéo tels queMidtown Madness – dont les scènes parisiennessont d’ailleurs criantes de vérité, avec leursimmeubles haussmanniens, leurs bus RATP etleurs palissades de chantier vertes et grises ! Unchroniqueur de jeu vidéo, considérant que ladernière version de Spiderman vaut surtout parla qualité des décors de Manhattan, recom-mande à ses lecteurs de sortir du mode jeu etd’arpenter simplement les rues pour préparerleur prochain week-end new-yorkais – ainsienrichi plutôt que remplacé par le New Yorkvirtuel. Les perspectives de développement desjeux vidéo semblent d’ailleurs résider engrande partie dans les serious games, jeuxsérieux à vocation principalement éducative,qui proposent des situations virtuelles pour pré-parer les joueurs à mieux appréhender dessituations réelles.À l’inverse, un monde exclusivement virtuel telque Seconde Life est, malgré l’absence de pla-teforme concurrente, en perte de vitesse depuis2009, le continent principal commençantmême à se dépeupler. L’utilisation d’extraits deSecond Life dans le film The Dubai in me n’enest d’ailleurs pas moins intéressante : en mélan-geant paysages virtuels, films de publicitéimmobilière et paysages réels, le documenta-riste allemand Christian von Borries entenddénoncer la déshumanisation du monde réelà l’œuvre dans l’émirat.

    Réalité augmentéeAlors que Paul Virilio prophétisait il y a quinzeans un dangereux dédoublement du mondesensible entre le réel et le virtuel, le temps sem-ble donc être plutôt à l’hybridation du réel etdu virtuel en une réalité augmentée. Celle-cienrichit le regard porté sur le paysage tout enlimitant l’impact des panneaux indicateurs, destables d’orientation et des panneaux d’inter-prétation sur ce même paysage. On pense alorsà la citation de Paul Éluard : « Il y a un autremonde mais il est dans celui-ci ».

    La prolifération des smartphones, ou terminauxde poche, a encouragé le développement d’au-dioguides thématiques (notamment ZeVisit),accompagnant par exemple la découverte despaysages du mont Blanc depuis le train ou cellede la route des vins de Bordeaux. Avec l’inven-tion de l’accéléromètre détectant l’orientationde l’écran, elle a récemment suscité le déve-loppement d’applications proposant des infor-mations en surimpression sur l’écran lorsquecelui-ci est pointé sur un paysage (Layar) oumême vers le ciel (Skypix). On accède ainsi àdes informations sur la technique de construc-tion d’un bâtiment ancien, sur l’histoire d’unarbre remarquable, sur la distance d’une étoile.Bientôt, ces informations pourront apparaîtredirectement sur des verres de lunettes ou unpare-brise de voiture, comme l’envisage le pro-jet de General Motors. Celui-ci entend intégrerau pare-brise non seulement des informationsde guidage GPS (sous la forme d’un câble vir-tuel à suivre) mais aussi, par exemple, l’équiva-lent de nos panneaux d’animation culturelleet touristique, dits «panneaux marron», person-nalisés selon les intérêts de chacun : grandesfigures du jazz, patrimoine industriel…La prophétie de Paul Virilio n’est pas pourautant caduque. Demain, avec le développe-ment des hologrammes permettant de masquerune ligne électrique ou de faire réapparaîtreun château fort depuis longtemps détruit, uneréalité trop augmentée pourrait réactiver lesfrictions entre mondes réel et virtuel.

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    L’évolution des techniques de transport a souvent suscité chez le voyageur de nouvellesfaçons de faire, de voir, de sentir, de se repérer.

    Module holographique ici fixé par l’utilisateur sur le guidon d’un Vélib’. (Projet Icco 4.0 réalisé par Mathieu Romain et Léo Marzolf dans le cadre d’un partenariat entre l’IAU îdF et l’Ensaama-Olivier-de-Serres).

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    Les Cahiers – Comment vous est venuel’idée de considérer la ligne et le véhiculecomme un ensemble?Régine Charvet-Pello – J’avais déjà travaillésur plusieurs tramways et j’avais vu commentcela fonctionnait. À chaque fois, je n’avais euen charge que le design du matériel roulant.Mais je m’intéressais au lien avec l’espacepublic et à la mise en paysage de la ligne,même si je n’avais pas d’idées précises de ceque le tramway pouvait apporter à l’organisa-tion d’un territoire. Or, le tramway modifie d’unefaçon pérenne le territoire et la ville. On s’aper-çoit de cela après coup car, en général, ondemande aux intervenants de travailler sur uneligne par strates, politiques ou techniques, alorsque l’on devrait proposer une approche d’en-semble. À Paris, par exemple, la RATP s’occupaitde l’infrastructure, la Ville du paysage urbain,Alstom de la technique du véhicule etc. Le design des véhicules est arrivé en dernier,comme d’ailleurs les œuvres d’arts, « posées »le long de la ligne sans lecture globale préala-ble. L’ensemble est plutôt réussi mais manquepeut-être d’homogénéité. Après Paris, d’autresprojets m’ont permis d’affiner ma compréhen-sion du territoire.Toutes les histoires des tramways «de deuxièmegénération » comportaient des incohérences :des concepteurs quis’opposaient au site,des concepteurs quiétaient là pour mettreleur signature plutôtque pour servir la ville. Et puis, le projet de Toursest arrivé. J’avais très envie de mettre mon expé-rience et mes réflexions au service de ma villemais, en tant qu’élue, est-ce que je pouvaisrépondre à l’appel d’offres ? J’ai vérifié et je mesuis aperçue que je pouvais car je ne siégeaisni à la communauté d’agglomération, ni dansune commission chargée du transport. L’appeld’offre, élaboré par le groupement Cité Tram(Société d’équipement de la Touraine associéà Transamo, filiale de Transdev) en charge duprojet, proposait une idée merveilleuse : le tram-way n’était plus perçu comme un simple objetmais comme une ligne dans un ensemble. Cepremier tramway « de troisième génération »allait être un véritable déclencheur de nou-veautés et de mutations pour l’ensemble del’agglomération de Tours.Le tram, c’est l’objet qui circule. La ligne intègreles stations et ses deux terminus. L’appel d’offresdemandait de travailler sur la ligne, puis « de

    façade à façade », et enfin sur la porositéurbaine dans une bande de cinq cents mètresde part et d’autre de la ligne, c’est-à-dire un cor-ridor urbain large d’un kilomètre et long dequinze, une zone d’attraction forte. On devaitpenser l’identité de la ligne au-delà de celle dutram. C’était la première fois que j’étais en pré-sence d’une vision proche de la mienne : pen-ser le design urbain très en amont et pas seu-lement comme une résultante.

    L. C. – Cette approche globale a étéportée au sein d’un collectifpluridisciplinaire «Ensemble(s) la ligne».Comment êtes-vous arrivés à l’idée du«quatrième paysage»?R. C.-P. – J’ai bâti mon équipe autour de gensqui me semblaient capables d’avoir une visiond’ensemble très en amont. J’ai contacté cinqpersonnes. D’abord Daniel Buren, qui avait tra-vaillé au château de Tours. J’avais apprécié savision in situ et ma proposition de changerd’échelle pour travailler sur un territoire de15 km2 lui a plu. Puis Roger Tallon, père du design ferroviaire français (le TGV). J’avaisbesoin de son regard pour aborder la globalitédu transport, au service des gens, de leur mobi-lité dans la ville. Puis Jacques Levy, géographeet urbaniste. J’avais aimé sa réflexion sur les

    liens entre urbanité etmobilité dans lesvilles d’Europe. Il s’estfait accompagner parson alter ego local,

    Serge Thibault. Enfin, Patrick Rimoux, sculpteurde lumière, qui a travaillé sur les mises enlumière du Centre Pompidou de Metz ou les400 ans de Québec. Tours est une ville de patri-moine, elle avait besoin de ce regard. Et puisLouis Dandrel, un homme de l’Ircam, père desjardins musicaux et sonores, qui a travaillé surla première identité sonore de la SNCF.Aucun n’avait besoin de « planter son ego ».Tous avaient envie de se découvrir et de travail-ler ensemble, de se mettre au service d’un pro-jet. C’était pour moi un beau défi que de menercette équipe exceptionnelle, avec la volontéqu’elle fasse date en matière de réflexion surle tramway.J’ai mené en parallèle un travail très personnel.Je suis à Tours depuis 23 ans et je pense connaî-tre les qualités et les défauts de la ville. Mais j’aipris le temps, comme je le fais toujours maispeut-être plus encore cette fois, de faire des car-nets d’analyse du territoire, des parcours sensi-

    Formée à l’école Boulle, Régine Charvet-Pello pratiquedès 1980 le designd’environnement et le designgraphique dans des agencesparisiennes. En 1986, elle créeà Tours sa propre agence, RCPDesign Global, devenue depuisune référence en matière dedesign ferroviaire : Transilien(2000), tramway T3 de Paris(2002), d’Alger et du Mans(2004), d’Angers (2005) et tram-train de Lyon (2006).Elle s’est, par ailleurs,beaucoup impliquée dans la promotion du design, et plus particulièrement du designsensoriel. Elle a initié la création de l’associationValesens et du centre d’étude et de recherche universitaire en ingénierie sensorielle,Certesens, en cours de création.Elle est, en outre, maire adjointà l’éducation et àl’enseignement supérieur de la ville de Tours depuis 2001, et élue à la chambre de commerce et d’industrie de Touraine en région Centre.À l’origine du collectif« Ensemble(s) la ligne », elle propose pour le tramway de Tours une immersion inéditedans le paysage de la ville.

    Le tramway, créateur de paysage

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    Le paysage, du projet à la réalité

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    »On devait penser l’identité de la ligne au-delà de celle du tram.«

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  • bles dans lesquels j’inscris mes impressions, jecolle des photos. Et je me suis plongée dans lestextes inspirés par la région aux écrivains natifscomme à ceux de passage, de Ronsard à Lacla-vetine, pour y retrouver l’expression de lalumière, de l’indolence, la description des pay-sages, des gens. Je voulais m’immiscer dans« l’ADN du territoire». J’ai partagé ce travail avecmon équipe. On a commencé à échanger et,tout de suite, on s’est positionné en paysage,peut-être parce qu’on fait référence au paysagede la Loire qui est protégé par l’Unesco. Le pay-sage fait le lien entre le culturel, le construit, lagéographie, le naturel, et en même temps l’hu-main, et enfin l’époque contemporaine.Un mois après avoir gagné l’appel d’offres, j’aiembarqué dans un bus l’équipe au complet etles élus dont le maire de Tours, pour suivre letracé du tram. On s’est mis à discuter différem-ment car on était en mouvement. On a biencompris que l’on devait travailler au « vivreensemble », qui est unevraie volonté politique surce territoire, en traitant lesquartiers très sociauxaussi bien, même si diffé-remment, que les quar-tiers « nobles » du centre-ville. On a créé le collectif « Ensemble(s) laligne » – le « s » entre parenthèses reprend celuidu logo de l’agglomération de Tour(s), c’est unclin d’œil personnel au territoire et à l’immer-sion de notre équipe dans le projet.On a travaillé à un Livre blanc pour exprimernotre vision de la ligne : celle-ci allait créer unnouveau paysage qui devait s’insérer dans lepaysage existant, sans le perturber mais surtouten le valorisant, en le magnifiant. Il ne fallaitpas venir avec un cheval de fer, une modernitétapageuse, mais bien proposer une modernitéqui donne un sens à une ville patrimoniale duXXIe siècle.On a bâti une vision globale et intégrée du pay-sage, qui articule quatre composantes. Les troispremiers paysages (la Loire, les jardins, le patri-moine bâti) se sont construits au fil des sièclesselon un axe est-ouest et puis, au XXIe siècle, laligne de tram vient irriguer le territoire dans lesens nord-sud, avec la souplesse de la ligne vuecomme la Loire et les stations comme ses îles,renforçant la ville dessinée au XVIIe et XVIIIe siè-cle. Ce quatrième paysage n’est donc pas pla-qué mais se nourrit des trois premiers. Ilcherche à refléter les paysages qu’il traverse, enharmonie, comme ce miroir qui pare la carros-serie du tram, reflétant son environnement. Leconcept est simple, évident, peut-être presqueuniversel quand il s’agit d’intégrer un nouvelélément à des paysages existants : à Tours, c’estle quatrième paysage, mais ailleurs cela pour-

    rait être le troisième ou le cinquième, selon leterritoire.

    L. C. – Comment le nouveau regard deshabitants sur leur ville depuis le tramwaya-t-il été traité concrètement, tant auniveau de la conception du véhicule quede l’aménagement de la ligne?R. C.-P. – À Nice, on voyage dans le tramwaycomme on traverse une galerie d’art. Le tram-way permet ponctuellement d’avoir un pointde vue sur une œuvre. À Tours, grâce à DanielBuren, on a pu aller plus loin : le tram lui-mêmeest une œuvre et la ligne aussi. Les rayures deBuren, qui reprennent les éléments visuels dela ville (le tuffeau et l’ardoise, le blanc et le gris-noir) font le lien entre le tram, la ligne et la ville :elles parcourent le véhicule et se prolongentsur le sol des stations. Les rayures noires etblanches sont visibles et compréhensibles partous les usagers de la ville. Emergences de six

    mètres de hauteur surchacun des quais ; ellesguident vers les stations,lieux du rituel d’échangeoù les flux se mêlent,comme les identitéssociales et culturelles, où

    la « station mobile», le tram, rencontre la stationfixe, la ville. Tram et ville ne sont pas posés l’unà côté de l’autre mais s’interpénètrent dans uneœuvre de 15 km2.Cela est particulièrement vrai aux terminus. Laville commence à ses extrémités, selon JacquesLevy. Et aux deux extrémités, on a deux œuvresd’art importantes, construites par Buren autourdes objets fonctionnels que sont les parkings.Si le tram se prolonge ce n’est pas grave,puisque ces stations-parkings sont traitéescomme des entrées et le resteront.

    Propos recueillis par Nicolas Laruelle et Corinne Legenne

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    Références bibliographiques

    • Dictionnaire des mots du sensoriel, éditions Tec&Doc,Lavoisier, 2011.

    • «Le design sensoriel », lettre technologique n° 1, le Lieu duDesign, Paris île-de-France.

    »Le tramway cherche à refléter les paysages qu’il traverse. «

    La Loire.

    Les jardins.

    Le patrimoine bâti.

    La ligne.

    La ligne de tramway, 4e paysage de l’agglomération

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  • Dans le contexte actuel d’industrialisa-tion et de mondialisation, qui tend àl’uniformité, la revendication de l’iden-tité se fait plus insistante. Cette question estposée à propos des individus, des peuples oudes territoires. C’est cette dernière dimensionqui est analysée ici, mais l’identité d’un terri-toire et celle de ceux qui l’habitent s’influen-cent réciproquement. Au départ caractère dece qui est identique, l’identité en est venue àdésigner ce qui est singulier, car ce sont lesmêmes critères qui permettent d’identifier cer-tains objets entre eux et de les différencier desautres. L’identité renvoie à l’ensemble des traitsqui font que cet individu ou ce pays est chacunlui-même et pas un autre.

    Carte d’identitéCe qui permet d’identifier un individu estrésumé sur ce qu’on appelle justement sa carted’identité : un visage, que montre la photod’identité, un nom, une adresse, une date denaissance, une taille, des signes particuliers. Etl’on peut transposer au territoire les compo-santes décrites par la carte d’identité : un nomreconnu, vraiment signe d’identité lorsque leshabitants portent un nom qui en est dérivé (cequi leur permet de faire de l’identité de leurterritoire une composante de la leur) ; uneadresse, c’est-à-dire une localisation ; une taille,c’est-à-dire une étendue ; à défaut d’une datede naissance, une histoire propre ; des signesparticuliers, que lui confère sa géographie ; unvisage, c’est-à-dire des paysages ; il peut aussi

    avoir des attributs symboliques – emblèmes,blason, logo, drapeau, hymne, devise, etc.

    Identité et paysageLes études et les projets de paysage font large-ment appel au concept d’identité – même s’ilsne sont pas les seuls, la question de l’identitédes territoires dépassant largement celle deleurs paysages. Cette démarche est encouragéepar la convention européenne du paysage, quiinvite chaque État signataire à identifier et qua-lifier ses paysages. Sans attendre cette conven-tion, les atlas des paysages, réalisés depuis unevingtaine d’années à l’échelle de départementsou de territoires tels que les parcs naturelsrégionaux, identifient des unités paysagères eten décrivent les caractéristiques qui font leursingularité.La recherche de l’identité n’est pas toujoursexplicite, les unités paysagères étant plutôt défi-nies par leur homogénéité, selon la méthodeofficielle du ministère en charge de l’environ-nement (Luginbühl, 1997). Mais les unités y sontidentifiées, le plus souvent par un nom et parles limites que créent les changements de lagéomorphologie ou de l’occupation du sol. Lenom apparaît souvent comme le révélateur dela force ou de la faiblesse des unités ainsidécoupées : On voit dans certains atlas appa-raître des noms incongrus, décrivant le senti-ment du paysagiste le jour où il visitait les lieux,peu attachés à l’histoire de ceux-ci et pouvants’appliquer ailleurs. C’est là que se mesure lefait que l’identité ne se réduit pas à une homo-

    ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

    n° 159 - septembre 2011

    Identité des territoires et unités paysagères

    Vue depuis la terrasse de Saint-Germain sur la vallée de la Seine.

    Face au paysage, l’identité est une attente fréquente. Qu’est-ce ce qui la façonne? Permet-elle de définir des territoirescomme tentent de le faire les atlas des paysages? Les territoires ont la vielongue et leur identité ne se réduit ni à leurs paysages ni à leurs projets,mais celle-ci est dans tous les cas un facteur important de sentimentd’une appartenance commune, donc de lien social et de solidarité.

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  • généité ou à ce qu’une personne, un jour, peuten ressentir, mais qu’elle se fonde sur unelongue histoire et sur une relation partagée desgens au territoire.

    Des territoires identifiablesLes unités paysagères ne se définissent pas uni-quement selon des critères directement visuels.La perception des paysages est aussi liée à leurusage : ceux qui sont parcourus quotidienne-ment sont davantage ressentis comme appar-tenant à la même unité que ceux en dehors.Les bassins de vie fournissent donc eux aussiun critère pertinent d’identification des unités.Les cas le plus favorables sont ceux où le bassinde vie se superpose à une unité de relief oud’occupation du sol, voire aux deux, et le casidéal est celui où, en plus, des points hauts per-mettent d’embrasser toute l’unité d’un seulregard(1) : c’est ainsi qu’apparaissent les agglo-mérations de Mantes, Meaux, Melun ou Monte-reau, bassins géographiques autant que de vie.Cependant, un découpage d’unités paysagèresne prétend pas s’imposer aux autres décou-pages du territoire : il n’existe pas de découpageidéal. Les unités paysagères sont plutôt un outilde connaissance, à prendre en compte par lesprojets qui les recoupent. Ainsi, un schéma decohérence territoriale (Scot), même s’il ne maî-trise que ce qui se passe à l’intérieur de seslimites, doit s’intéresser à ce qui se passe au-delà, sur toute la surface des unités paysagèresqu’il affecte. Une unité de paysage fortementidentifiée, comme la plaine de Versailles, resteplus difficile à bien gérer lorsqu’elle est parta-gée entre plusieurs intercommunalités(2).Les territoires voués à une longue durée de vie,comme les intercommunalités, ont intérêt à seconstruire autour d’une identité forte – que lepaysage soit un marqueur fort de cette identitéou un élément parmi d’autres. Les « territoiresde projet » ne sont pertinents que le temps duprojet qui les porte, plus bref que la durée desdécoupages institutionnels (à ce jour, 220 anspour les départements, 150 ans pour Paris dansses limites actuelles). Dans d’autres régions, lescommunautés urbaines ou d’agglomération sesont naturellement construites sur des entitésimmédiatement identifiables. De même, dansl’espace rural, de nombreuses communautésde communes se sont bâties sur des cantons,qui, bien avant que d’être des circonscriptionspour l’élection des conseillers généraux, repré-sentent une structure très ancienne de villagesgroupés autour d’un bourg-marché.En Île-de-France, la couverture intercommunalequi se met en place, partant d’unités trop petites(parfois deux communes !), s’oriente vers desensembles beaucoup plus vastes, qui souventne sont pas polarisés autour d’une ville centre.

    Même là où un centre est évident, le nom hésiteà y faire référence (Plaine Commune plutôtque Saint-Denis, Grand Parc à côté de Ver-sailles). D’autres noms n’échappent pas à labanalité (Deux Fleuves, Étangs, Boucles deSeine…). Comme le nom résume l’identité, unnom banal révèle une identité faible (collaged’entités sans rapport) ou mal assumée (refusde la prédominance d’un centre).Or, l’existence de collectivités correspondant àdes entités clairement identifiées est un enjeude démocratie locale. Le taux de participationaux élections cantonales est toujours plus élevéen milieu rural, où le canton est lisible autourde son chef-lieu (bourg-centre), qu’en ville, oùil se réduit à une circonscription. Les habitantsde ces nouveaux ensembles leur trouveront-ilsune identité témoignant de leur appartenance?

    La question de l’identité des territoires peut êtreaussi passionnée que celle des peuples ou desindividus. On sait à combien de guerres et derejets de l’autre a pu conduire l’identité(3), à telpoint que le projet de définir des territoiresidentifiés peut légitimement susciter laméfiance, au profit de « territoires de projet »plus consensuels parce que plus malléables.Mais la violence est toujours venue de laconception du territoire comme une propriété.Si à l’inverse on considère que ce sont les habi-tants qui appartiennent au territoire, renforcerl’identité de celui-ci peut aider tous ses nou-veaux arrivants à s’y intégrer sans renoncer àtout ce qui fait la leur.

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    Références bibliographiques

    • COLLIN Michel, Atlas des paysages du Val-d’Oise, direction départementale del’équipement et de l’agriculture du Val-d’Oise, 2010.

    • LUGINBÜHL Yves, BONTRON Jean-Claude,CROS Zsuzsa, Méthode pour des atlas depaysages. Identification et qualification.«Villes et territoires», ministère del’Aménagement du territoire, 1994,rééd. 2007.

    • MAZAS Alain, FREYTET Alain, Atlas des payset paysages des Yvelines, CAUE desYvelines, 1992, 243 p. ; CAUE de Seine-et-Marne, Atlas des paysages de Seine-et-Marne, conseil général de Seine-et-Marne, 2007.

    • TRICAUD Pierre-Marie. «De l’identité desterritoires», La Géographie,décembre 2002, pp. 34-47.

    • TRICAUD Pierre-Marie, LEGENNE Corinne,FESTAL Marion, BARDON Adelaïde, Unitéspaysagères de la région d’Île-de-France.Méthodologie, notice d’utilisation de labase de données et atlas, IAU îdF, 2010.www.iau-idf.fr/detail-dune-etude/etude/unites-paysageres-de-la-region-dile-de-france.html

    (1) Voir l’article de Jean-Christophe Bailly, « La ville entière »,dans le numéro éponyme des Cahiers de l’École de Blois,présenté ici p.91.(2)Voir l’article de Marie de Naurois dans ce numéro p.52.(3) Voir Lothar Baier, « Irritante identité», Études, octobre 1994,pp. 313-317.

    La communauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines est marquée par des symboles forts : la collégiale Notre-Dame, la centrale électrique de Porchevilleet la carrière de Mézières.

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    ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

    n° 159 - septembre 2011

    Évolution des paysages

    Identité des territoires et unités paysagères

    Unités paysagères en Île-de-France

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