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4 actualités Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012 L’Association AVK control milite pour la responsabilisation des patients traités par antivitamine K. Pour une représen- tante de l’association, Flore-Anne de Baudinière, le pharmacien doit jouer un rôle auprès des patients concernés dans le cadre d’actions coordonnées, en lien avec l’équipe médicale. Actualités pharmaceutiques : Quel est l’historique de votre association AVK control ? Flore-Anne de Baudinière : En 2001, l’enfant d’Agnès Pelladeau a été placé sous antivitamine K (AVK) et elle a ainsi découvert toute la spé- cificité de ce traitement : les mini-dosages, les INR (Inter- national Normalized Ratio) instables, le suivi par prises de sang très rapprochées, les veines de plus en plus diffici- les à piquer, sans parler de la douleur physique et morale de son enfant. Après maintes recherches, Agnès Pelladeau a découvert que si des autotests de l’INR existaient, ils n’étaient pas commercialisés en France. Elle en a donc acheté un à l’étranger. Après s’être rensei- gnée auprès de l’Agence fran- çaise de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue depuis l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), et de professionnels, elle a créé, en 2005, le site AVK control (www.avkcontrol.com) avec, pour objectifs, de faire connaî- tre ces dispositifs et de militer pour leur commercialisation en France. Une association “de fait” s’est créée, transfor- mée, en 2008, en association à but non lucratif, régie par la loi du 1 er juillet 1901. AP : Quels sont les objectifs de l’association que vous représentez et les actions mises en place ? F.-A. de B. : Nous voulons que les patients reçoivent une édu- cation thérapeutique réalisée par des professionnels de l’an- ticoagulation, que les autotests de l’INR bénéficient d’une prise en charge chez les adultes (elle existe pour les moins de 18 ans depuis juillet 2008) et faire aussi connaître l’existence des clini- ques des anticoagulants (CAC) afin qu’elles soient dévelop- pées sur notre territoire. Depuis longtemps, nous apportons notre soutien aux patients, les conseillons et les dirigeons en cas d’urgence. Le site internet AVK control, régulièrement mis à jour, permet à un grand nom- bre de personnes de trouver, à tout moment, soutien, conseils et informations. La rubrique “Questions/Réponses - La CAC vous répond” permet aux patients de rendre compte ano- nymement de leurs questions et de leurs doutes, mais aussi de recueillir l’avis du CREATIF (CAC de l’hôpital Lariboisière, à Paris). Ce service, délivré par des professionnels de l’anti- Entretien avec Flore-Anne de Baudinière Le pharmacien, un relais de proximité auprès des patients placés sous AVK coagulation, est gratuit et pris en charge par des bénévoles. Les patients ont également à leur disposition, si leur médecin est injoignable, un numéro de téléphone disponible 24 heures sur 24 en cas d’urgence. Bien entendu, nous poursuivons notre combat pour la prise en charge des autotests par divers moyens. AP : Comment qualifieriez- vous la prise en charge des patients traités par AVK dans notre pays ? F.-A. de B. : En France, la prise en charge des patients traités par AVK est médiocre. Énor- mément de personnes sont livrées à elles-mêmes, ne mesurant pas le danger que fait courir leur traitement s’il est mal conduit. Les patients naviguent entre laboratoire de ville, médecin traitant et phar- maciens, sans aucune coordi- nation solide et établie. Un résultat de l’INR peut ainsi être mauvais sans que qui- conque ne se préoccupe d’un éventuel réajustement des doses d’AVK : les laboratoires ne préviennent pas forcément les patients du résultat et les médecins traitants ne les contactent pas toujours pour les informer de la conduite à tenir. Un patient âgé, isolé ou peu informé des conséquen- ces, augmente alors son ris- que d’accident grave. Pour preuve : les hémorragies liées aux AVK sont, en France, la première cause d’hospitali- sation pour survenue d’effet indésirable liée à la prise d’un médicament. AP : Pensez-vous que la prise en charge est meilleure dans d’autres pays ? F.-A. de B. : Les pays écono- miquement équivalents à la France ont une prise en charge des AVK bien meilleure. Un classement récent basé sur le TTR (temps passé dans la zone thérapeutique) place ainsi l’Hexagone au 25 e rang mondial. Les résultats de cette étude internationale 1 évaluent le TTR national à 60 % (les études nationales le situent plutôt à 50 %) alors que les pays les plus avancés atteignent 77 %. Il est donc possible de dire que la France est un pays sous-développé en ce qui concerne le suivi des AVK. Tous les États dont les résultats sont meilleurs s’appuient, sans exception, sur des structures, diverses, spécialisées. Tous ont mis en place une organisation spé- cifique qui assure les fonc- tions de suivi, d’éducation et de recours par un personnel qualifié, spécialisé et compé- tent. L’automesure est égale- ment un des facteurs de leur succès. Si le remboursement des appareils et des consom- © DR

Le pharmacien, un relais de proximité auprès des patients placés sous AVK

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Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

L’Association

AVK control milite pour

la responsabilisation

des patients traités

par antivitamine K.

Pour une représen -

tante de l’association,

Flore-Anne de Baudinière,

le pharmacien doit

jouer un rôle auprès

des patients concernés

dans le cadre d’actions

coordonnées, en lien

avec l’équipe médicale.

Actualités pharmaceutiques : Quel est l’historique de votre association AVK control ?Flore-Anne de Baudinière : En 2001, l’enfant d’Agnès Pelladeau a été placé sous anti vitamine K (AVK) et elle a ainsi découvert toute la spé-cificité de ce traitement : les mini-dosages, les INR (Inter-national Normalized Ratio) instables, le suivi par prises de sang très rapprochées, les veines de plus en plus diffici-les à piquer, sans parler de la douleur physique et morale de son enfant. Après maintes recherches, Agnès Pelladeau a découvert que si des autotests de l’INR existaient, ils n’étaient pas commercialisés en France. Elle en a donc acheté un à l’étranger. Après s’être rensei-gnée auprès de l’Agence fran-çaise de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue depuis l’Agence nationale de sécurité du médicament et des

produits de santé (ANSM), et de professionnels, elle a créé, en 2005, le site AVK control (www.avkcontrol.com) avec, pour objectifs, de faire connaî-tre ces dispositifs et de militer pour leur commercialisation en France. Une association “de fait” s’est créée, transfor-mée, en 2008, en association à but non lucratif, régie par la loi du 1er juillet 1901.

AP : Quels sont les objectifs de l’association que vous représentez et les actions mises en place ?F.-A. de B. : Nous voulons que les patients reçoivent une édu-cation thérapeutique réalisée par des professionnels de l’an-ticoagulation, que les autotests de l’INR bénéficient d’une prise en charge chez les adultes (elle existe pour les moins de 18 ans depuis juillet 2008) et faire aussi connaître l’existence des clini-ques des anticoagulants (CAC) afin qu’elles soient dévelop-pées sur notre territoire. Depuis longtemps, nous apportons notre soutien aux patients, les conseillons et les dirigeons en cas d’urgence. Le site internet AVK control, régulièrement mis à jour, permet à un grand nom-bre de personnes de trouver, à tout moment, soutien, conseils et informations. La rubrique “Questions/Réponses - La CAC vous répond” permet aux patients de rendre compte ano-nymement de leurs questions et de leurs doutes, mais aussi de recueillir l’avis du CREATIF (CAC de l’hôpital Lariboisière, à Paris). Ce service, délivré par des professionnels de l’anti-

Entretien avec Flore-Anne de Baudinière

Le pharmacien, un relais de proximité auprès des patients placés sous AVK

coagulation, est gratuit et pris en charge par des bénévoles. Les patients ont également à leur disposition, si leur médecin est injoignable, un numéro de téléphone disponible 24 heures sur 24 en cas d’urgence. Bien entendu, nous poursuivons notre combat pour la prise en charge des autotests par divers moyens.

AP : Comment qualifieriez-vous la prise en charge des patients traités par AVK dans notre pays ?F.-A. de B. : En France, la prise en charge des patients traités par AVK est médiocre. Énor-mément de personnes sont livrées à elles-mêmes, ne mesurant pas le danger que fait courir leur traitement s’il est mal conduit. Les patients naviguent entre laboratoire de ville, médecin traitant et phar-maciens, sans aucune coordi-nation solide et établie. Un résultat de l’INR peut ainsi être mauvais sans que qui-conque ne se préoccupe d’un éventuel réajustement des doses d’AVK : les laboratoires ne préviennent pas forcément les patients du résultat et les médecins traitants ne les contactent pas toujours pour les informer de la conduite à tenir. Un patient âgé, isolé ou peu informé des conséquen-ces, augmente alors son ris-que d’accident grave. Pour

preuve : les hémorragies liées aux AVK sont, en France, la première cause d’hospitali-sation pour survenue d’effet indésirable liée à la prise d’un médicament.

AP : Pensez-vous que la prise en charge est meilleure dans d’autres pays ? F.-A. de B. : Les pays écono-miquement équivalents à la France ont une prise en charge des AVK bien meilleure. Un classement récent basé sur le TTR (temps passé dans la zone thérapeutique) place ainsi l’Hexagone au 25e rang mondial. Les résultats de cette étude internationale1 évaluent le TTR national à 60 % (les études nationales le situent plutôt à 50 %) alors que les pays les plus avancés atteignent 77 %. Il est donc possible de dire que la France est un pays sous-développé en ce qui concerne le suivi des AVK. Tous les États dont les résultats sont meilleurs s’appuient, sans exception, sur des structures, diverses, spécialisées. Tous ont mis en place une organisation spé-cifique qui assure les fonc-tions de suivi, d’éducation et de recours par un personnel qualifié, spécialisé et compé-tent. L’automesure est égale-ment un des facteurs de leur succès. Si le remboursement des appareils et des consom-

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Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

mables est variable suivant les pays, il est toutefois de plus en plus effectif et l’automesure est partout reconnue comme un gain thérapeutique par les professionnels et les autorités médicales.

AP : Vous aviez lancé une pétition pour le rembourse-ment des appareils d’auto-mesure de l’INR. Où en est-elle ?F.-A. de B. : Cette pétition, lancée en 2009, a recueilli plus de 8 000 signatures que nous avons adressées à notre ancienne ministre de la Santé, Roselyne Bachelot-Narquin, avec copie à notre ancien Président. Nous n’avons jamais reçu de réponse…

AP : Comment avez-vous accueilli la mise sur le marché de nouveaux anti-coagulants ?F.-A. de B. : Avec prudence. Nous nous intéressons aux AVK et à leur suivi. Les nou-veaux anticoagulants enga-gent un autre débat.

AP : Quelles sont les contrain-tes quotidiennes subies par les patients sous AVK ?F.-A. de B. : La principale contrainte de ce traitement est le suivi strict de l’INR, qui implique une réorganisation des habitudes de vie qui peut parfois s’avérer complexe. Comment, par exemple, cor-réler travail ou école et rendez-vous au laboratoire, puis récu-pérer les résultats et informer son médecin pour réévaluer sa dose d’AVK du soir dans un court laps de temps ? C’est là que l’automesure devient intéressante : elle sécurise au quotidien et prévient les conséquences de certains aléas (médecin absent, labora-

toire fermé…). Comment faire un INR en urgence un soir ou un week-end parce qu’on sus-pecte qu’il est trop élevé ? Prendre un médicament n’est pas une contrainte au regard de celles liées à la prévention des risques (ignorés par beau-coup) : l’excès d’alcool qui peut modifier très vite l’INR, sans parler des nombreuses interactions médicamenteuses (phytothérapie et homéopathie comprises). Or, pour appré-hender ces “contraintes”, il est indispensable d’être acteur dans la prise en charge de son traitement.

AP : Selon vous, quels sont aujourd’hui les besoins des patients sous AVK ?F.-A. de B. : Un patient sous AVK a besoin d’être informé sur l’objectif de son traitement, l’efficacité, la sur-veillance, l’importance du suivi, les risques : INR à réali-ser au minimum tous les mois et en fonction des événements médicaux (ajout de médica-ments, maladies, etc.). Il lui est également indispensable d’obtenir des conseils de vie au quotidien.Le patient doit être responsa-bilisé pour améliorer l’efficacité de son traitement, diminuer les risques de complications, aug-menter son autonomie tout en améliorant sa qualité de vie.Encore une fois, les appa-reils d’automesure sont, en la matière, l’outil le plus efficace.

AP : Qu’attendez-vous des pharmaciens qui vont désor-mais devoir accompagner plus étroitement les patients sous anticoagulants ?F.-A. de B. : Les pharmaciens ont d’abord un rôle dans la connaissance de leur “client”.

Pourquoi suit-il ce traitement ? Quelle est la cible de son INR ? Comment le contrôle-t-il ? Est-ce que ce suivi est réalisé selon les recommandations officielles ? Par expérience, cela n’est pas mis en œuvre aujourd’hui. Il serait bien aussi qu’ils proposent systématique-ment un carnet de surveillance de l’INR lorsqu’ils vendent une boîte d’AVK. Dans bon nombre d’officines, ces der-niers restent indisponibles et introuvables…Par ailleurs, les cliniques des anticoagulants sont fonction-nelles dans les centres hos-pitaliers universitaires, recon-nues et très bien organisées. Ce système, qui a fait ses preuves, doit être développé. Ces structures apportent une solution adaptée aux patients qui rencontrent un problème potentiellement grave, même en dehors des horaires d’ouverture d’une pharma-cie où ne sont pas forcément connus leur dossier médical, leurs antécédents, leurs habi-tudes de vie, leurs handicaps, etc. Les patients y établissent une relation de confiance avec un interlocuteur unique qui connaît leur dossier.Cependant, sur d’autres aspects – sécurité, obser-vance, contre-indications, interactions et éducation –, le pharmacien pourrait être associé à une démarche coordonnée. Mais pour que cela puisse être efficace, il est impératif que ces actions soient proto colisées et coor-données en permanence avec le corps médical. En résumé, par rapport à une mesure que nous pensons irréfléchie – car non concertée avec les profes-sionnels de l’anticoagulation et les associations de patients –, nous disons qu’il est urgent et

indispensable de remettre les choses à l’endroit. A priori, le pharmacien (sans parler de son rôle pivot) pourrait deve-nir un relais de proximité diffu-sant des messages thérapeu-tiques conçus et coordonnées par des autorités médicales compétentes et spécialistes des AVK.

AP : Quelles sont vos reven-dications aujourd’hui ?F.-A. de B. : Ce sont toujours les mêmes : qu’une prise en charge de l’automesure soit effective pour les adultes. Il est d’ailleurs aberrant que les personnes qui passent le cap des 18 ans voient bruta-lement leurs bandelettes ne plus être remboursées. Ces patients, qui ont pourtant reçu une éducation théra-peutique délivrée dans des centres référents, possèdent un autotest qu’ils ne peuvent plus utiliser par manque de moyens financiers. De plus, à cet âge, le foie arrive à maturité, ce qui génère de possibles variations de l’INR pendant une période plus ou moins longue. Dans ce cadre, AVK control a pour rôle d’in-former sur le traitement, les différents organismes impli-qués dans le suivi et l’intérêt des appareils d’automesure, dans l’optique de responsabi-liser le patient pour rendre son traitement efficace et sûr.

Propos recueillis par Sébastien Faure

Maître de conférences des universités

Faculté de pharmacie, Angers (49)

[email protected]

Note1. Pouyanne P, Haramburu F, Imbs JL, Bégaud B. Admissions to hospital caused by adverse drug reactions: cross sectional incidence study. French Pharmacovigilance Centres. BMJ. 2000;320(7241):1036.