Le Poème de Parménide

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  • 5/24/2018 Le Po me de Parm nide

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    LE POME DE PARMNIDEPAR ALAIN BADIOU (1985-1986)

    (Notes dAim Thiault et transcription de Franois Duvert)

    1ercours1

    2mecours2

    3mecours3

    4mecours5

    5mecours

    6

    6mecours8

    7mecours9

    8mecours10

    Raisonnement constructif et raisonnement par labsurde 11Le raisonnement

    constructif................................................................................................................. 11Le raisonnement parlabsurde........................................................................................................11

    9mecours13

    10mecours14

    Arpad Szabo : Les Dbuts des Mathmat iques grecques 15

    11mecours16

    12mecours17

    1ERCOURS

    Parmnide est le fondateur dun nouveau rgime de discours, la philosophie, mais en quel sensexactement ? Sous quelles conditions ? On ne connat pas exactement trs bien la date denaissance de Parmnide (vers 540 ? vers 450 ?) mais on suppose que son influence intellectuelle

    atteint son acm vers 504-501. Disons que Parmnide se situe la charnire du 6

    me

    et du5mesicle. Il appartient ce que lacadmie nomme les ant-socratiques et que Proclus opposaitdj en 2 groupes : les ontologues et les cosmologues.

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    Les premiers sont des grecs dItalie : Parmnide et Znon, son disciple principal, tous deuxdEle, Empdocle dAgrigente.Les seconds sont Hraclite dEphse (504), Anaxagore de Clazomne (n en 500), Thals deMilet (585) sont des grecs dAnatolie.Mais il est trs probable quaprs la chute de Milet (494), prise par les Perses, certains dentreeux se rfugient en Italie du Sud. Aussi, la situation gographique des pr-socratiques nest-ellepas pertinente quant la circulation de leurs ides que le mouvement de la colonisation et ledveloppement de lcriture ont sans doute favorise. Aussi:

    il convient de regarder de plus prs la thmatique et la pbtique communes tous cespenseurs, sans distinction dcole. La sphre parmnidienne ressemble au cerclehracliten de lternel retour (). Elle est lavatar ontologique du cercle cosmologique,la figure que le form sur soi doit prendre pour la pense qui ne demande pas par o touta commenc.DEphse Ele, ladiffrence est peut-tre moindre philosophiquement quetouristiquement . Parmnide ou la sagesse impossible, par Marceline Sauvage (Seghers,

    page 31, 1973).Cependant, une chose est certaine, la pense de Parmnide est encore une pense archaque, etnous sommes dans cette colonie de grande Grce ( Ele, au sud du Paestum, peu loigne

    aujourdhui de la station balnaire dAscea), trs excentre dAthnes, donc loin encore deSocrate, philosophe qui naquit en 470 ou 469. Avec Parmnide : la pense grecque toute neuve est en proie aux questions qui la hanteront jusquaubout. Eprise de lun, elle est pourtant sensible aux prestiges de la multiplicit extrieure(). Braque sur ltre, elle y pressent avec stupeur des trous lorsquelle considre lamenue monnaie des tres en lesquels il se partage. Elle a foi de charbonnier dans lelangage, elle ne saviserait pas de douter de sa connivence essentielle avec ltre et lunet voici quelle y subodore une collusion avec le non-tre et la multiplicit (opus cit,

    page 16).Un autre pb est de dbattu entre hellnistes : Parmnide est-il bien le pre fondateur de laphilosophie, ou est-ce Xnophane de Colophon (570-478 ?) ?

    cherchant lcole dEle, on ne descend jamais plus bas que Gorgias, mais on remonte

    parfois plus haut que Parmnide, jusqu Xnophane, auquel Platon fait expressmentremonter la gent latique (Sophiste 247d), et dont Aristote rapporte, comme un ondit, que Parmnide fut son disciple (Mtaphysique A5, 986 b20) (page 125). sans doute Platon met-il Xnophane dans leleatikon genos. Mais ce genos justementnest pas une cole, plutt une famille. Et il est significatif que ce mme passage duSophiste nen attribue point au Colophanien la fondation, puisquil y est dit que la gentlatique remonte Xnophane et mme plus haut. Plus haut, il ny a que la penseionienne et son affirmation de lun do naissent toutes choses (page 127).

    Il est probable que Parmnide ait t un auditeur de ce rhapsode itinrant venu srement verscette poque dans le pays en tranger chass de la Colophon natale. Mais si Xnophane posecomme Parmnide la primaut de lun, Xnophane, plus thologien quontologue,

    par sa libert moqueuse lgard des croyances populaires, reste typiquement ionien,

    et sa pense contraste avec la grave prophtie de Parmnide, comme aussi par sonagnosticisme souriant . Sans doute Xnophane et Parmnide se rencontrent-ils sur laffirmation de lun (maiscest un thme comme de la physique ionienne) et de son immobilit : le dieu uniquequi surpasse tous les dieux et les hommes, selon Xnophane, ne se meut ni ne change, ilmeut toutes choses sans labeur par sa seule pense . Mais cest peu pour parler dEcoleou mme seulement dinfluence, mme si lon refuse de suivre ceux qui voient, entre laversion thologique de ltre un inengendr et imprissable chez Xnophane, et saversion ontologique chez Parmnide, une diffrence dcisive (page 126).

    De toute faon, dtre le 2ndfondateur, Parmnide serait le vrai fondateur au sens o il fonde ceque le 1erlaisse infond. Ce quil nous reste du Pome de Parmnide qui, comme le livre

    dHraclite, discourent peri phuseos, sur la nature, sont des fragments filtrs par lesdoxographes de la tradition ultrieure et que lrudition philologique moderne tente dereconstituer dans leur originarit.

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    Nous laisserons les rudits leur travail comme leurs polmiques, et nous tenterons dluciderla figure philosophique de Parmnide partir de sa place dexception, savoir que Parmnideest prsent par la tradition comme la figure originaire de la philosophie. Nous tenterons decerner la place singulire de ce pas tout fait philosophique.Se constitue autour de Parmnide une lgende conceptuelle non pas sur sa personne, commecest le cas pour la vie lgendaire et mythique dEmpdocle, li son suicide qui concerne lasingularit absolue et fondatrice de son propos : Parmnide est mis en posture de figureoriginaire, savoir comme le pre de la philosophie. Parmnide, cest le nom propre delapparition de la philosophie en tant que telle. Le lgendaire conceptuel est mis en place dslge grec classique. Socrate / Platon prsente les prsocratiques comme des physiciens michemin entre cosmologie mythique et dispositif rationnel. En revanche, Parmnide institueraitun nouveau rgime de fonctionnement du discours, qui serait la philosophie. Je rappelle quontrouve la trace de cette fondation parmnidienne dans 2 dialogues de Platon : le SophisteetleParmnide. Dans le Parmnide, Platon imagine une rencontre fictive entre le vieuxParmnide et le jeune Socrate, qui engagent un passage en revue de toutes les apories o conduitla question de lun et du multiple. Dans leSophiste, ltranger dle commet le parricide sur lafondation dun discours philosophique dj constitu comme tel. Platon parle de notre pre

    Parmnide. Non pas mon pre, mais notre prs, ie le nom du pre, du fondateur de laphilosophie elle-mme, ie dun nouveau rgime de discours. Si il y a transmission de laphilosophie, ce nest pas simplement de la filiation platonicienne dont il sagit, il sagit dequiconque philosophe. Parmnide engendre la philosophie toute entire, il est prsent commele fondateur de la ligne philosophique dans toute son extension. On retrouvera la trace de cettefiliation transmise au dbut de la grande logique de Hegel :

    Parmnide tout dabord avait nonc la pense simple ltre pur comme labsolu etcomme unique vrit, et, dans les fragments qui sont rests de lui, avec lenthousiasme

    pur du penser qui se saisit pour la 1refois dans son abstraction absolue : seul ltre est,et le nant nest pas du tout.

    De mme, pour Heidegger, Parmnide cre le logos occidental. Il aurait prononc la destinationde la philosophie tout entire. En particulier, le destin de la philosophie serait dtre onto-logie.

    Destin qui se tiendrait dans laccointance de la parole et de ltre. Parmnide aurait dit : ltreen tant qutre se laisse accueillir, se dispose, se rassemble ( legein) dans la parole (logos).Jattire ici votre attention sur cette fonction lgendaire parmnidienne, qui nest pas uneconviction propre Heidegger, on la retrouve tout aussi bien chez Platon que chez Hegel, etnous verrons la complexit avec laquelle Aristote en traite. Parlant de Parmnide, Heideggercrit dans lIntroduction la Mtaphysique: ces quelques mots sont l dresss comme des

    statues archaques. Cette double mtaphore dsigne :- le caractre pr-classique originel du fondateur, pour Heidegger pr-conceptuel : le logoscomme parole, pas encore comme ratio.- un esthtique, savoir que ce mode de prsence comporte une nigme non transitive notreperception.Mais il faut bien comprendre comment la fondation de Parmnide, le nouveau rgime de

    discours, obit un systme de conditions qui font partie de la fondation elle-mme.

    Notez dabord le ton impratif et sacral de la paroleparmnidienne.Impratif : cest un rgime de certitude prescriptif qui dit et interdit (fragment 7).

    On narrivera jamais plier ltre la diversit de ce qui nest pas; carte donc tapense de cette voie de recherche, et que lhabitude la riche exprience ne tentranepas de force sur cette voie : celle o svertuent un il pour ne pas voir, une oreilleremplie de bruit, une langue, mais dentendement, dcide de la thse sans cessecontroverse que te rvle ma parole (Beaufret).Sacral : le pome se prsente au rgime dune hauteur exceptionnelle dinspiration

    potique (fragment I) : les cavales qui memportent mont conduit aussi loin que mon

    cur pouvait le dsirer, puisquelles mont entran sur la route abondante enrvlations de la divinit qui, franchissant toutes cits, porte lhomme qui sait.A la certitude prescriptive sajoute la profration (fragment 2):

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    eh bien donc je vais vous parlertoi, coute mes paroles et retiens-lesje vais te direquelles sont les 2 seules voies de recherche concevoir : la premire comment il est etquil nest pas possible quil ne soit pas est le chemin auquel se fier car il suit lavrit -. La seconde, savoir quil nest pas et que le non tre est ncessaire, cette voie,

    je te le dis , nest quun sentier o ne se trouve absolument rien quoi se fier. Car on nepeut ni connatre ce qui nest pas il ny a pas l dissue possible ni lnoncer en uneparole .

    La mise en lgende combine donc lide dune hauteur exceptionnelle dinspiration (posie,profration, certitude) lenthousiasme de la 1refois (Hegel).Comment Heidegger traite-t-il de lenthousiasme de la 1refois ? Dans lIntroduction laMtaphysique, Parmnide aurait nonc la connexion de 2 diffrences qui ne se recouvrent pas :- la diffrence de ltre et du non tre: les 2 voies- la diffrence de ltre et de lapparenceEt cest la dlimitation de ces 2 voies diffrentes qui seraient constitutives de la philosophie, quiouvriraient le champ philosophique, mme si il ne rduit pas cette dlimitation, serait donccondition originaire du penser philosophique. Selon Heidegger, Parmnide propose 3 chemins la pense :

    - le chemin de ltre ncessaire du Parmnide- le chemin du non treimpraticable- le chemin de lapparence lopinion, la doxa. Cest, dit Parmnide, le chemin toujourspratiqu, la voie facile suivie par la majorit des humains. Mais on peut viter ce cheminpuisquil est couramment pratiqu par le commun des mortels. Il suffit de le dcider.1re remarque : la philosophie est donc une dcision. Et Heidegger part du ton de la dcisionparmnidienne, pas du tout de largumentation. Autrement dit, Parmnide nest pas le premierphilosophe, mais il dcide de la philosophie parce quil en dcrit les chemins. La mtaphore ducarrefour des routes est essentielle : cest le lieu de la dcision de la philosophie. Pour dcider laphilosophie, il faut la co-prsence de 3 voies : ltre, le non tre, la doxa. Heidegger crit:

    Parmnide cest le plus ancien document de la philosophie sur ceci que la voie dunant doit tre pense en mme temps que la voie de ltre.

    Lessence du penser parmnidien cest pour Heidegger de se tenir dans louverture des voies,ie au lieu dune dcision. La dcisionconsiste penser conjointement les voies sans en faire lasynthse ; dtre celui qui pense la voie du nant en mme temps que la voie de ltre et delapparence. Dans cette phase dinterrogation, tout se joue sur philosophie raison de 2interrogations :- dans quelle mesure dcider la philosophie constitue un document de la philosophie ?- Heidegger fait comme si lexplication des 2 voies, du carrefour, tait la dcision originaire dela philosophie.Or est-il bien vrai que Parmnide dcide la philosophie parce quil formule que les voies deltre et du non tre sont le lieu dune dcision? dcide-t-il de la philosophie en ceci seulementquil explicite le carrefour de la dcision? Est-ce vraiment bien l le point de dcision de laphilosophie ? Cest en tout cas la thse heideggrienne : l, la philosophie a t dcide, le lieu

    de la dcision est ce que la philosophie constitue. Pourtant, si la philosophie se dcide de ce seulpoint, savoir du penser conjoint de la voie de ltre et de la voie du nant, alors je dis que laphilosophie a t dcide bien avant Parmnide. Lisons parmi de nombreux textes, un textegyptien : le papyrus Brener Rhinf (3 ou 4 sicles avant Parmnide), et un hymne vdique peuprs de la mme poque/Commentaire aprs lecture des textes :1 nous avons bien affaire une dialectique de lexistant et de lexistence de ltant et de ltre : ladvenue de lexistence elle-mme, mdie dans lexistant comme dans une espce dauto-primordialit fondatrice. Ltre est pens comme closion qui dpose en mme temps commeindice de soi lexistant. Si la philosophie se dcide au lieu o est prsente la question de ltreet du non tre, on pourrait, par exemple, poser quelle est dorigine gyptienne.

    2 pourtant ces textes ne sont pas retenus par Heidegger comme des documents prsidant lanaissance de la philosophie. Cependant, Heidegger crit : le penser de Parmnide est encore potique, ie ici philosophique et non scientifique .

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    mais nous venons de voir, par comparaison du texte parmnidien avec des textes bcp plusanciens, que :- on y trouve la mme tension potique : le fait que le penser soit potique, iepris dans unenrobement mtaphorique du discours, ne fait pas partage.- on y trouve le mme environnement cosmologique et mythique : tous ces textes sont dans uncontexte mythologique et se rfrent une cosmologie primitive : destination cosmologique lie une ontologie. On ny trouve pas dontologie pure.Rq : toutefois, ontologie et cosmologie sont plus filtres chez Parmnide, les dialectiquesabstraites des cosmologies indiennes et vdiques sont plus emptes, plus opaques, verses duct du mythe.- lenjeu reste pourtant le mme : ces textes cherchent trouver la forme de dialectique entreltre et le non tre. Ils polmiquent contre ceux qui cherchent poser un tre du non tre.Une fois faites ces considrations, souvrent nous 2 possibilits:

    1re possibilit : on pche par occidentalo-centrisme soutenir que la philosophie ait tdcide uniquement en Grce par Parmnide.Ce point a aujourdhui une dimension denjeu conjoncturel, non sur la fondation du discours

    philosophique, mais sur le rgime gnral du discours philosophique. On garde le critre defondation, mais on abandonne ltre originellement grec de la philosophie.cf Jambet : la Logique des Orientaux.La topologie philosophique existante est fallacieuse en ce quelle concentre une vision purementoccidentale de la rationalit philosophique. A refuser la prise en compte des autres philosophies(ou supposes telles), on ne parvient pas apprhender la spcificit de la philosophieoccidentale en soi. En loccurrence, il faut rordonner son histoire en faisant intervenir, parexemple, la dimension orientale. En dernier ressort, toute philosophie comporte une dimensionautre quelle-mme sur laquelle il faut revenir.cf Lardreau : Di scours spir ituel et discours phil osophiqueLardreau sappuie, lui, sur le discours spirituel chrtien. Nous serions aveugles au rgime dedcision du discours philosophique : des dcisions fondamentales concernant celui-ci sont en

    quelque manire en sur-dcision sur son propre rgime de lacisation. Thse : le sujet qui dcidephilosophiquement ne peut le faire quen un lieu pr-philosophique au rgime singulier : savoir spirituel.Conclusion : il faut refonder la philosophie par lincorporation dnoncs extrieurs laphilosophie grecque, lextriorit en question tant prcisment linsu du discoursphilosophique occidental.Remarque : ces tentatives post-heideggriennes mettent en tout cas mal la thseheideggrienne dune fondation spcifiquement grecque de la philosophie.

    2mepossibilit : la spculation, fut-elle rationnelle, sur ltre et le non tre, ne fonde pas laphilosophie.Parmnide ne fonderait rien du tout : il ne serait quun gyptien raffin. Mais alors sur quoi la

    philosophie est-elle fonde ? dans le dispositif Socrate / Platon ? Il y a certes une objectionmajeure puisque Platon lui-mme nous assure de la paternit parmnidienne en philosophie.Nous sommes tout moment confronts au lgendaire entour de Parmnide, que ce soit chezPlaton, Hegel ou Heidegger qui crit : celui qui connat les dimensions dun tel dire pensantdoit perdre toute envie dcrire des livres. Il y a donc un caractre sans mesure du lgendaireparmnidien. Parmnide apparat comme un hros au sens mythologique qui, le 1er, profreltre dans son tre et invente du mme coup la philosophie en tant que telle.Une exception ce consensus : Nietzsche, pour qui Parmnide est

    sans parfum, sans couleur, sans me et sans forme, remarquable par sa totale absencede sang, de religiosit, de chaleur morale, son caractre de schme abstrait chez un

    grec ! (Naissance de la Tragdie lpoque de la tragdie grecque).

    A la grande figure lgendaire du fondateur sopposer la contre-figure nietzschenne deParmnide vu comme le fondateur de labstraction qui immobilise ltre dans une figure quimprise la vie.

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    La figure de Parmnide est sature soit comme fondatrice du discours philosophique, soitcomme fondatrice de son pril mme.Mais je pense que ces 2 interprtations sont inadquates. Il faut donc trouver le pointdinadquation. Pour rsumer, je soutiendrais la thse suivante:1 je pense comme Heidegger quil y a une fondation grecque de la philosophie. La philosophieest un rgime de discours occidental.2 pourtant, dans dautresres culturelles ont t prononcs des noncs sur ltre comme tel,sur la corrlation de la pense de ltre et de limpossible pense du non tre. Du moins, enapparence, lgal de Parmnide, ces autres paroles instaurent la pense au carrefour de ltre etdu non tre.3 cependant, ces noncs non grecs ne constituent pas un nouveau rgime du discours. Ilsnavaient pas de pouvoir sparateur, au sens o ils ninstaurent pas un nouveau rgime dediscours. Ils restent historiquement tenus dans la disposition prophtique et religieuse malgrlanalogie formelle du propos.4 mais on ne peut pas soutenir univoquement que lavnement de lontologie des 2 voies soit celle seule fondatrice de la philosophie. Il faut donc dconstruire le type de figure, stratifie parlhistoire, dun Parmnide lgendaire, hros mythique de la philosophie, ie voir en quoi ce

    systme dinterprtation ne rapporte pas la philosophie de Parmnide au systme de cesconditions dnonciation. Sinon il se pourrait, linstar de 3, que la dcision parmnidienne nese spare pas elle aussi de la profration religieuse ou mythologique.5 il faut donc une condition supplmentaire. La philosophie est sous condition dautre choseque la dcision concernant les 2 voies et la prononciation sur ltre. Je dirais quun lment delacisation fait dfaut.Si formellement, malgr la dcision ontologique, la prgnance du discours mythico-religieuxnest pas leve, quest-ce qui lacise le discours de Parmnide ?- ce nest pas sa forme, prise dans une potique originaire, sacrale et inspire- ce nest pas non plus parce que le discours serait homogne son propos, puisque le proposconsiste dans la dcision prisePour trouver la trace de la condition supplmentaire, au-del de la dcision sur ltre et le non

    tre, donc la trace extrieure (nous verrons quelle est en fait extrieure / intrieure) au texte deParmnide, il faut se retourner vers la condition de linterprtation heideggrienne.Nous serons donc daccord avec Heidegger pour dire que:- Parmnide est originaire en ce quil dcide la philosophie. Et il la dcide parce quil est au lieude la dcision sur ltre et le non tre. Sadcision est lessence de la chose, pas sa doctrine deltre. Nous serons donc daccord avec Heidegger, sinon que:- Heidegger dsigne le fondateur du point de la perte de la fondation par une mthodertroactive qui dsigne des critres de fondation non absolument radicaux. La diffrence delexgse repose sur une condition supplmentaire que la mthode de Heidegger ne pouvaitquignorer.- si on soustrait cette condition supplmentaire la dcision, tout se passe en effet comme sicette dcision tait un moment pochal de ltre: ltre advenant la dcision sur son tre.

    Autrement dit, loriginarit de la dcision, si elle est sans condition, ie sans extrieur, est elle-mme sa propre condition. Donc ltre est la condition du dire sur ltre.6 face linterprtation heideggrienne, lenjeu portera sur 2 noncs du pome:- fragment 3 : le mme, lui, est la fois penser et tre- vers 34 du fragment 8 : or cest le mme, penser et ce dessein de quoi il y a pense.Dans linterprtation inconditionne de Heidegger, le fragment 3 se laisse interprter commepure coappartenance de la pense ltre, dont Parmnide est le nom. Si nous faisonslhypothse dune condition supplmentaire comme condition de la pense, pas de ltre, nousaurons donner une autre interprtation. Nous aurons trouver la condition supplmentairecontemporaine dun rgime de pense sur ltre. Le litige portera sur le mme, car nous devronspenser le mme comme le non mme, ie introduire un rgime de dissymtrie. La difficult

    viendra de notre ct. Y a-t-il oui ou non une condition supplmentaire la dcision etlaquelle ? ou bien la dcision na-t-elle comme condition que ltre mme, ce qui alors

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    linconditionne? Quel est le rapport de la pense et de ltre au regard des 2 fragments qui ensont lenjeu? Dans le Pome, que signifie le mme ?Heidegger se tient dans lidentit de ces 2 formulations, je soutiendrais quelles sont distinctes.La distinction de ces 2 noncs sera le point cl pour lexgse deParmnide. Mais pour mettreen lumire cette distinction il faut que nous remontions vers la condition supplmentaire ladcision. Pour cela, nous allons examiner ce que Platon et Aristote disent du pre fondateur dela philosophie. Notre hypothse est la suivante : nous partons de ce qui sest trouv institucomme discours philosophique aprs Parmnide au rgime de cette condition. Nous neconsidrons donc pas Platon et Aristote comme le lieu dune perte do de lirait par rtroactionune origine fondatrice chez Parmnide. Nous partons donc de linstitu pour diagnostiquer lacondition supplmentaire, et nous examinons, nous scrutons comment Platon et Aristote pensentloriginarit de Parmnide. Une fois cette dmarche effectue, nous reviendrons au texteoriginaire.

    2MECOURS

    Aristote comme Platon reconnaissent en Parmnide leur pre, mais ils pensent que saphilosophie ne serait pas encore dlivre de lancien. Le problme est donc de savoir ce quinest pas encore compltement philosophique chez Parmnide. De plus, chez Aristote, larfutation de Parmnide est faite sous une lecture historique enjeu dtermin. Vous savezquAristote commence toujours par faire un expos historique des questions dont il traite. Nonpas dans loptique dune histoire de la philosophie, mais pour faire une histoire sous condition ausens strict, ie sous hypothse. Il donne les diffrentes dfinitions pralables du concept en cause,ie dresse une typologie des diffrents sens du concept nonces avant lui. Une ide axiale chezAristote est celle de la pluralit des sens. Si vous voulez rsoudre un problme, dit Aristote,faites en lhistorique. Il faut donc en faire une histoire complte, tre exhaustif, ne rien oublier.Telle est la mthode dAristote qui dclare en toute conscience la pluralit des sens dunconcept, taye et articule sur son histoire : il faut dresser la liste des sens du concept en cause,et se poser le problme de savoir si cette liste est close ou ouverte un sens supplmentaire. Laconviction aristotlicienne quil y a pluralit de sens le conduit donc faire lexpos desdoctrines philosophiques antrieures pour vrifier si celles-ci ont satur le pb trait, si latypologie est complte. Le dogmatique mao disait le mtaphysicien cest celui qui manquela pluralit, par une lecture unilatrale de la question souleve.Leidos, ou ousia eidetike, cest la substance formelle. Cest la substantialit, ou le fait dtre cequelque chose quon tait: to ti en einai. Cest lassomption de la constance: cest ltre dequelque chose qui dure tre ce quil est, qui perdure. Continuit didentit: la chose concideavec ceci que son identit se perptue.

    La cause formelle :

    -

    ousia eidetike- kata to eidos- kata tou logou

    Synonymes de :- forme (eidos)- essence (to ti en estin)- to ti en einai: lefait pour un tre de continuer tre ce quil tait (brhier).

    La cause matriellePour que le mode sur lequel une chose indiffrencie se diffrencie, que lidentit soit, il faut unprincipe dindiffrenciation, un substrat,hupokeimenon. Il faut de llmentaire indistinguable.

    La cause efficienteCe partir de quoi il y a mouvement ( arch ts kineseos)

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    La cause finaleCe en vue de quoi il y a le mouvement, le bien. Causalit tlologique : ce pourquoi une choseest.

    Or les causes se disent en 4 sens. En un sens, par cause nous entendons la substanceformelle ou quiddit (en effet, la raison dtre dune chose se ramne en dfinitive lanotion de cette chose, et la raison dtre premire est cause et principe ; en un autre sensencore, la cause est la matire ou le substrat ; en un 3mesens, cest le principe do partle mouvement ; et en un 4me, enfin, qui est loppos du 3me, la cause, cest la cause finaleou le bien (car le bien est la fin de toute gnration et de tout mouvement). Nous avons

    suffisamment approfondi ces principes dans la Physique (II, 3, 7) ; rappelons cependantici les opinions de ceux qui, avant nous, se sont engags dans ltude des tres, et qui ont

    philosoph sur la vrit, car il est vident queux aussiparlent de certains principes et decertaines causes. Cette revue sera profitable pour notre recherche actuelle : ou bien, eneffet, nous dcouvrirons une autre espce de cause, ou bien notre confiance sera affermiedans notre prsente numration. La plupart des premiers philosophes ne considraientcomme principes de toutes choses que les seuls principes de nature matrielle [les 4

    lments terre, air, eau, feu]. Ce dont tous les tres sont constitus, le point initial de leurgnration et le terme final de leur corruption, alors que la substance persiste sous ladiversit de ses dterminations : tel est, pour eux, llment, tel est le principe des tres.

    Ils croient pouvoir en tirer cette consquence quil ny a ni gnration ni destruction,tant donn que cette nature premire subsiste toujours (). Cest de cette faon que les

    philosophes dont nous parlons assurent quaucune des autres choses ne nat ni ne secorrompt, car il doit y avoir une ralit quelconque, soit une, soit multiple, do tout lereste est engendr, mais qui elle-mme est conserve . Les prsocratiques nauraientdonc pens que la cause matrielle. Ils lisolent et procdent ensuite des drivationscausales pour engendrer lensemble de ltre. Les anciens ont seulement postul le

    substrat comme principe de ltre. De ce fait, ils se heurtent sur le point que le substratnengendre aucune forme spcifique: lindiffrenci ne peut tre principe que de

    lindiffrenci. Impasse ou drivation fallacieuse? En vrit, nous dit Aristote : laralit elle-mme leur traa la voie, et les obligea une recherche plus approfondie etils pensrent une seconde cause sans la nommer : la cause efficiente. Une exception est

    faite cependant pour les lates. Eux posent un seul principe indiffrenci, et dclarentque lun est immobile, quelle que soit la forme de mouvement quils considrent parailleurs. Pour Aristote, ce sont des philosophes rigoureux quant leur dogmatisme, iequils sont rigoureux jusqu labsurde : ils ont succomb en quelque sorte sous laquestion quils avaient souleve. lcole italique exclusivement est suprieure auxautres par sa rigueur en ce quelle assume lunit du principe; mais infrieure quant aubon sens, car les consquences quelle en tire sont absurdes. A lintrieur de cette cole,

    Parmnide qui nonce lunit du Tout touche la cause efficiente : Parmnide est unrigoureux ridicule, mais pas tout fait ridicule puisquil fait merger 2 sens du mot cause

    (texte : exception faite peut-tre pour P, et encore est-ce dans la mesure o il supposequil y a non seulement une cause, mais aussi, en un certain sens, 2 causes). Comme

    Aristote najoute rien, il crdite donc Parmnide dtre une exception dans lexceptionlate. Dans le texte parmnidien, Aristote pointe :

    - la dcision : se tenir au lieu o il faut trancher sur les 2 voies, au lieu mme de la dcision, il ya 2 causes.- ce qui est dcid : le primat inconditionn de ltre: au point de ce qui est dcid, il y a un seulprincipe, ltre est.Pour Aristote, la rigueur est dans le dcid, alors que le 2 qui assouplit lun est dans la dcision.Les 2 principes seront en fait ltre et le non tre. Aristote amorce donc une division instruiteentre :

    - la logique de lunit du principe- la dcision ontologique antrieure lordre logiqueVoyons maintenant comment Aristote attaque la rfutation de Parmnide.

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    1 dans laMtaphysiqueAristote commence par dclarer que les critres de sa typologie historique ne sont pasapplicables aux lates :

    la pense des anciens philosophes qui ont admis la pluralit des lments de la natureest suffisamment connue par ce qui prcde. Il en est dautres, au contraire, qui ont

    profess que le tout est une seule ralit, mais lexcellence de lexposition nest pas lamme chez tous, ni la conformit avec les faits. Quoi quil en soit, la discussion de leursdoctrines ne peut en aucune faon rentrer dans le cadre de notre prsent examen descauses .

    Comme les lates, dont il est ici question, nient la multiplicit et le mouvement, et ne posentlun ni comme principe ni comme cause les critres de la typologie historique ne leur sont pasapplicables. En un certain sens, il ny a pas du tout de causes dans leur philosophie, puisquellessont insubsumables sous les hypothses. Les lates sont en posture surnumraire : ils nevrifient ni ne falsifient lhypothse aristotlicienne des 4 sens du mot cause. Ces philosophesdoivent demeurer lcart de linvestigation de faon absolue : ils sont absolutiss dans leurmanque au regard de lhistorique aristotlicien. Parmnide serait alors une pure et simple

    exception dans lexception lhypothse dinvestigation, un pur et simple effet de non-sens.Toutefois : voici cependant au point qui nest pas tranger notre examen actuel [examen portant

    sur la distinction de la cause matrielle et de la cause formelle, lesquelles apparaissentchez Parmnide et Mlissos, et trs confusment chez Xnophane]. Parmnide parat

    stre attach lunit formelle, et Mlissos lunit matrielle. Aussi cette unit est-ellepour le 1erfinie et pour le 2ndinfinie . Parmnide sincline devant les faits et pose donc 2principes : lunit formelle et la pluralit du sensible. Ds lors Parmnide retrouve nouveau un statut exceptionnel. Il est de nouveau en exception (late historiquement

    surnumraire) de lexception (sa pense de lun est en ralit une pense du 2).Parmnide se montre plus pntrant que Parmnide. Lessencede sa pense recle unexcs sur elle-mme. En tant que rigoriste de lun, Parmnide doit poser le 2, savoir les

    2 causes : lunit formelle et la pluralit du sensible, dont la diffrence est une diffrencede principe. En consquence, Parmnide revient dans la grille historique. Le site

    parmnidien est la fois surnumraire historiquement mais pointe 2 des 4 causes.Parmnide se situe en extriorit / intriorit la logique historique des 4 causes. Ainsi,la figure du pre fondateur est double :

    - impensable : il se soustrait la logique historique qui ne vaut pas pour lui- paradigmatique : la logique est un bon guide historique dinvestigation puisquelle permet lereprage de 2 causes chez Parmnide, ses contemporains nen percevant quune, la matrielle.

    2 danslaPhysiqueDans la Physique, lintrt dAristote se porte sur la phusis et pose il y a de la nature, ie il y a dumouvement. Aristote pose un autre site parmnidien. En effet, Parmnide, dans le rapport de

    ltre et de lun, identifie ltre et lun. Ltre est immobile, et Parmnide supprime lemouvement, donc la nature, et par consquent laphusisdevient impensable. Nous allons voirquune fois encore on retrouve la mme logique de lexception lexception.Dans un 1ertemps (Physique I, 1-2), Parmnide, qui pose limmobilit de ltre, se trouve rejet,car il contraint au silence. Et cest sur le fond de silence impos par Parmnide quAristotenonce :

    pour nous, posons comme principe que les tres de la nature, en totalit ou en partie,sont mus ; cest dailleurs manifeste par linduction.Traduction de Badiou : les tants selon la nature sont tous mus en totalit ou

    partiellement .On retrouve lexception lhistoricit de la question concernant la phusis(philosophie

    surnumraire).

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    Dans un 2ndtemps, si ltude des Elates nest point physique, il leur arrive de formuler desdifficults qui sont dordre physique. Celles-ci peut-tre est-il bon de les discuter un peu, carcet examen nest pas sans intrt philosophique .Aristote va faire retour sur la thse de Parmnide alors que lobjet laphusistait manquantau discours parmnidien. Mais ce retour seffectue dans un trs minutieux protocole derfutation qui ne porte pas sur la thse de Parmn ide, mais sur largumentation de llatisme: en effet leurs prmisses sont fausses et leurs syllogismes mauvais. Autrement dit, commethse, Parmnide ne se pas rencontrer, mais vous pouvez traiter de largumentationparmnidienne.Je soutiendrais la thse suivante : Parmnide se trouve ici divis par Aristote- en une profration qui rduit au silence : si on pense Parmnide comme une thse sur ltre, sapense se soustrait lappareillage conceptuel de la Physique.- en une argumentation qui relve de la polmique rationnelle. Dans ce cas, la thse estrfutable.On trouve donc chez Parmnide une thse et une argumentation, et Aristote ne traite pas de lamme manire la thse et largumentation. Aristote distingue 2 adresses de la pense deParmnide :

    - pense adresse celui qui accueille le dire rvl. La parole de Parmnide se dispose hauteur dun dire potique, qui suppose laccueil dune rvlation et rduit au silence ceux quirefusent cette disposition.- pense adresse celui qui contrle et examine largumentation, ie tient ferme sur lesconsquences, ce qui suppose une pense instruite de ce quest une dmonstration.Le double parcours aristotlicien correspond donc la double adresse du texte parmnidien. Ilsagit de voir commentle sens de cette double adresse rinscrit Parmnide dans la Physiqueetla place de nouveau en situation dexception lexception.

    3MECOURS

    La 1refondation du discours philosophique est greve dindcidable entre Parmnide etHraclite, tandis que la 2ndeest univoque et autonorme, prise dans un cart danticipationrtroactive qui tranche sur lquivoque en faveur de la filiation parmnidienne pour Platoncomme pour Aristote. Il sagit de clarifier la fonction fondatrice de Parmnide, au -del du faitquil dcide de la philosophie. Autrement dit, au-del du propos ontologique parmnidien entant que nouveau rgime du discours, on cherche prononcer une condition supplmentaireorganique la dcision prise, ie prononcer un lment de lacisation interne aux conditionsoriginaires de la naissance de la philosophie comme telle, Parmnide tant le nom propre de cesconditions organiques. La dmarche propose est rgressive au sens prcis suivant : on prendacte que cette fondation se trouve reconnue comme indiscutable par Platon et Aristote, et oninterroge la figure inconteste du pre fondateur dans luvre de Platon et dAristote pour

    scruter quel systme de reprsentation de son propos originaire est interne au dispositifphilosophique dans son premier tablissement (Platon / Aristote). Notre dmarche suppose doncune thorie implicite de la double fondation.Si on pose que Platon et Aristote ont fond la philosophie, on se dispense dans le mmemouvement du problme de la fondation proprement dite. Non seulement Platon et Aristote sontdes philosophes reconnus part entire, mais la philosophie surgit de pied en cap dun gestefondateur auto-norm : Platon et Aristote tombent sous leur propre normativit.Au contraire, une problmatique correcte de la fondation ne doit pas viter le caractreindcidable de la fondation, qui ne produit pas immdiatement les normes de dcision laconcernant. Si on fait comme si la fondation de la philosophie produisait aussitt ses normes, onmconnat le suspens entre la fondation et ltablissement de la philosophie comme telle. Lafondation nest pas suspendue son effectivit, et le commencement se donne aussi comme un

    achvement. La philosophie chez Platon et Aristote serait reconnaissable dans sa forme acheve.La philosophie serait acheve en mme temps que dcide : sa dcidabilit serait alors inscritedans sa fondation. Or la fondation ne se confond pas avec le moment de conclure : entre la

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    La lecture dAristote porte sur le statut daltrit du non tre. Sous le nom du non tre,Parmnide a t oblig de pointer 2 causes. Pour Aristote, Parmnide a pens le 2. Bien queParmnide interdise la pense du non tre, Aristote ninterprte pas cette interdiction commeune forclusion, mais comme une dngation. Parmnide reconnat ce quil dnie - le non tre -devant lequel il aurait forc de sincliner. La dngation du non tre suppose donc sareconnaissance. La grandeur de Parmnide selon Aristote cest davoir pens le non tre, ce queprcisment Parmnide interdit radicalement de penser. Selon Aristote, il y a une telle puissancedu 2 chez Parmnide quil traverse linterdit parmnidien pour se laisser reconnatre. En ce sens,Aristote est un authentique interprte de Parmnide, sa neutralit analytique est plus queparfaite.

    2 dans la PhysiqueOn retrouve la mme 1recaractristique de la reprsentation de la 1refondation du point de la2me: discutable / indiscutable. Aristote scinde dans le texte parmnidien la thse delargumentation.Thse :Affirmer lunit de ltre absolument sans reste est une thse indiscutable et insense

    puisquelle se soustrait lappareillage de la Physique, notamment de la cause efficiente,principe de mouvement.- cette thse est absurde : elle interdit la nature- elle rduit au silence, la thse est indiscutableException quant lhistoricit de la typologie aristotlicienne, rendue impossible. Elle estsurnumraire.Argumentation :Mais argumenter en faveur de lun se discute. Laffect aristotlicien de la thse ce qui lajustifie : largumentation. On peut discuter une argumentation, donc sortir du silence. Discuterune argumentation peut amener la rfuter. Dans ce cas, Parmnide rentre dans lhistoire.Rintroduction de la logique de lexception dans lexception. Ceci nest possible que sil y a unexcs de largumentation sur la thse. Il faut que la manire dont on argumente soit affirmative

    en elle-mme et non pas seulement soumise la 1re

    thse, quelle ne soit pas une tautologie dela thse, mais que quelque chose sy dise qui soit une autre thse. Bref, que largumentation soittraite comme une 2ndethse.Aristote attaque les Elates sur la rciprocit de ltre et de lun, thse qui interdit le multiple.Une bonne notion de ltre ou de lun,cest une notion complte quant au sens.1 saine dfinition de ltreLtre se dit en plusieurs sens: qualit, quantit, sont des attributs qui supposent le support de lasubstance. Ltre nest jamais un: attribut + support, il y a le 2, sinon absurdit.2 saine dfinition de lunAristote entend rfuter que ltre est un en 3 sens. Lun du:- continu : car ce qui caractrise le continu, cest dtre divisible.- indivisible : car alors il serait impossible de le dclarer fini (la finitude inclut la divisibilit)

    - dfinition : car alors tout ce qui est aurait ultimement la mme dfinition. Il ny a plus deraison de dclarer quil sagisse de ltre plutt que du nant. Etre ou nant, cela devientindistinguable.

    Ide saine de ltrePour penser ltre du blanc, il faut penser le 2 de ltre, et donc rsilier lun de Parmnide.Ltre un de Parmnide est substance pure, pur support inqualifiable et innombrable : sansgrandeur. Ce que, contre attente, Aristote ne rfute pas. il utilise en fait le dispositif deParmnide. Existe une pure substance qui ne peut tre quinqualifiable et sans grandeur, doncltre ne peut pas tre un, fini comme le prtend Parmnide. Sinon la substance seraitdtermine quantitativement. La penser comme infinie ne sert rien, car la substance nest

    pensable que du point du fini. La finitude conduit au 2. Le point de difficult chez Aristoteprovient du fait quil ny a pas de rfutation de la substance pure. On passe une autre thse deParmnide, savoir que ltre estfini. Or, ces 2 thses ne sont pas identiques. Quel est le degr

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    de solidarit entre la thse ltre est un, et la thse ltre est fini ?pourquoi de ltre unne pourrait on pas dire quil est fini (ou infini: Mlissos est un parmnidien infinitiste), ou nifini ni infini ? Pourquoi Parmnide, au-del de la thse de lunit de ltre, produit celle,seconde, de sa finitude ? Chez Parmnide, le fragment 8 du Pomenonce une unit radicale deltre et de la finitude:

    et dautre part il est immobile dans les limites de lien puissants, sans commencementet sans cesse, puisque naissance et destruction ont t cartes tout au loin o les arepousss la foi qui se fonde en vrit. Restant le mme et dans le mme tat, il est l, enlui-mme, et demeure ainsi immuablement fix au mme endroit, car la contraignantencessit se maintient dans les liens dune limite qui lenserre de toutes parts. Cest

    pourquoi la loi est que ce qui est ne soit pas sans terme, car il est sans manque, maisntant pas il manquerait de tout.

    Ltre est indivisible, il ne tolre ni len plus, ni len moins, il est immobile, sanscommencement ni fin. Dans les liens dune limite peirasidesmon. Thse de limitation :peras, affirmation en intriorit de lclosion, du dploiement de ltre. La limite ne seprsente pas du dehors, elle nest pas ce qui doit tre franchie, ce nest pas une frontire outrepasser. Ltre se dploie danslouvert sans retrait. Il sagit dun dploiement naturel

    (phusis) par lequel ltre dispose sa propre limite. Le concept de limite nest pas une thsegnrale sur la quantit illimite, cest pourquoi ouk ateleuteton to e on themis einai, la loiest que ce qui est ne soit pas sans terme : telos au sens dune finalit, but. Le terme de tout tresavre dployer sa limite sans que sy inscrive un sens qualitatif propre. Donc Parmnide ne ditpas que ltre est fini, mais que ltre est en position de dployer sa limite, ie que ce qui est nepeut tre sans telos, car il est sans manque. Lexistence duperaset du telosrenvoient cepoint que ltre doit tre pens sans manque. Il y a une compltude radicale de ltre, ltre nevient pas manquer, il se dploie donc en vue dune fin : il ne peut tre sans terme(quivoque ?). La rfutation dAristote choue l mme o elle interprte comme finitudequantitative ce qui est plutt le manque du manque. Cest que Parmnide pense labsoluit deltre comme manque du manque. Les liens de la limite et la loi du terme, cest labsoluit deltre comme transitivit de la loi ltre.

    Quel est le point dimpensable pour Aristote? On le diagnostique dans la rfutation : Aristotelude la substantialit pure de ltre sans manque en linterprtant comme finitude quantitative.Il y a dans le texte dAristote une structure inconsciente dvitement. En quelque manire,Aristote vite de dire que Parmnide est psychotique. La rfutation aurait pu tre autrementconduite Aristote prfre ne rien vouloir savoir de la pure substantialit parmnidienne, laquelle rien ne fait dfaut : il va la rintroduire dans lhistoire en lui faisant perdre sa radicalit.si tout est qualit ou si tout est quantit, la substance existant ou non, cest absurde, sil fautappeler absurde limpossible . Dire absurde serait suffisant, pourquoi ajouter impossible ?Parce que Aristote authentifie comme impossible cet tre auquel rien ne manque. Et en effet,Aristote pointe un symptme. Mais pour Aristote la finitude cest la ralisation dun rel : pointdimpossible dont la philosophie se soutient. Donc cet impossible appelle un autre nom: sous lenom de quantit, limpossible devient labsurde (impassede largumentation). Quand Aristote

    dit de la thse parmnidienne quelle est indiscutable, il nomme le point de rel: ce quon nepeut discuter. Limpossible cest la thse, labsurde ressort de largumentation. Traiterdabsurde limpossible, cest faire passer tout le rel dans largumentation. Cette thseindiscutable (point de rel de largumentation) - rsultat dune discussion argumente il vadonc falloir la changer, puisquil savre quon ne peut pas la discuter.

    Ide saine de lunSi on argumente sur la nomination, ie si on nomme ltre, ft-ce par le mot tre, ce quoirenvoie mais on a suppos que ltre a une signification univoque , lacte ne nomination nedistingue rien :

    si donc ltre en tant qutre nest ni lattribut de rien, si au contraire cest lui que

    tout sattribue, alors on demandera pourquoi ltre en tant qutre signifiera ltre pluttque le non tre .

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    Sous lhypothse de ltre un, on nest pas, au regard de la signification unique, en tat dedcider ; donc la prdication najoute rien ce qui a t prdiqu. Dclarer ltre est nest pasplus concluant que dclarer le nant est. Au regard de la signification unique, ce sont 2 thsesindistinguables. Parmnide ne peut donc pas dcider ltre est. Mais on sait dautre part quauxyeux dAristote le non tre est impensable. Sous cette hypothse, le dire ne sera plus nonc propos de ltre un des tants mais aussi bien sur leur non tre. Au sens de lunit de dfinition,ltre devient impraticable. Cette thse est indistinguable de la thse : ltre nest pas. Poser lunde ltre, cest poser il ny a pas de distinguable. Cette thse savre incompatible aveclexercice du symbolique, car sans le langage rien nest prononable comme tant. Aristoterenvoie Parmnide la figure du non tre. Mais cette disqualification est-elle une vritableobjection la thse de Parmnide ?Selon Aristote, pour penser lun de ltre, on se trouve dans limpossibilit de penser le non tre.Autrement dit, lobjection ne vaut que si, pour penser jusquau bout lun de ltre, il faut seconfronter ncessairement avec limpossibilit penser le non tre. Or, cest prcisment lathse parmnidienne selon laquelle prendre la voie de ltre contraint ncessairement rejeterlapense du non tre : dclarer que ltre est un confronte aussitt au non tre. Autrement dit,linterdiction de la voie du non tre est consubstantielle la dcision de pense. Ce qui chappe

    Aristote est ceci : le pb fondamental de Parmnide nest pas lexistence de ltre etlinexistence du non tre, mais laxiome, la question quest-ce que penser ? Et Aristote ne rfuterien de ce point de vue, il ne fait que dsigner le cur du problme. Il ny a en effet de pensede ltre quau risque du non tre. Au regard de la thse de Parmnide, Aristote dsigne ceproblme dans la modalit suivante, savoir quil rend absurde limpossible. Seuls lesfragments 3 et 8 peuvent nous guider dans linterprtation de Parmnide.- fragment 3 : le mme, lui, est la fois penser et tre- fragment 8 vers 34 : or cest le mme, penser et ce dessein de quoi il y a penseLimpossibilit du non tre la voie impraticablesinstitue du point o ltre est identique lapense, ie l o cest de la pense quil est question quant ltre. Cest pour autant que lemme est pense et tre quil y a une impraticabilitde la voie du non tre. La pense ne peuttre pense de ltre que sous la condition dune rvocation. Il y a impossibilit du non tre au

    sens de rvocation du non tre comme impossible pour que la pense soit pense. Le nud (trenon-tre pense) de la pense ltre se dcide dans le caractre impossible de la voie du nontre. Les 3 instances du nud sont en position borromenne, chacune liant les 2 autres.Linterdiction fonde la pense.Pourquoi le fragment 6 du texte parmnidien se donne-t-il comme un impratif, une injonction ?

    Ncessaire est ceci : dire et penser de ltant ltre ; il est en effet tre, le nant aucontraire nest pas: voil ce que je tenjoins de considrer.

    La pense ne peut tre pense, ie vrit, quau rgime dune interdiction. Linterdit fonde lapense comme pense de ltre, car alors pense et tre sont le mme. Parmnide interdit la voiedu non tre. Puis prvient contre les mortels double ttes : ... Mais ensuite de cette antre aveclaquelle se font illusion les mortels qui ne savent rien, doubles ttes ; car cest labsence demoyens qui meut, dans leur poitrine, leur esprit errant ; ils se laissent entraner, la fois sourds

    et aveugles, hbts, foules indcises pour qui ltre est aussi bien le non tre, le mme et ce quinest pas le mme, font loi. Tous sans exception, le sentier quils suivent est le labyrinthe.Ceux qui ne pensent pas sont ceux pour qui ltre et le non tre font loi. Ceux pour qui le nontre na pas t interdit. Ils sont aveugls pour ne pas voir o se trouve limpossible, ie non pasde ne pas voir, mais de trop voir, de vouloir tout voir. Parmnide intervient donc pour profrerlinterdit, iepour dcider dun lieu de limpossible penser, par quoi il fonde la pense commepense de ltre. Cest une tautologie. Dans son rapport cette fondation, Aristote ne saisit pasou nlucide pas le fait quavec Parmnide il a affaire au lieu de la pense et de linterdit, et passeulement une thse sur ltre. L o Aristote cherche rendre labsurde impossible,Parmnide, lui, dsigne constitutivement limpossible par linterdit, ce qui est une tout autreopration (avant Aristote, Platon tait alle doit la structure dinterdiction, par le parricide il

    stait engag contre ce que le pre fondateur avait interdit). Aristote a donn tout ce quil taitpossible de donner philosophiquement dans un rapport rgl la 1refondation. Aristote cherche sen prvaloir en pensant ce rapport originaire comme partiellement fond : la fondation

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    parmnidienne est pense comme vrit philosophique partielle. Aristote donne une imagefaible, juge immature la philosophie son fondement qui doit se complter pour devenir adulte.Cest du point de cette compltude quon peut se retourner vers lenfance de la philosophie et enmontrer les limites. De la 1re la 2mefondation, Aristote insiste sur lide de naissance: ilsagit dune refonte, parce que la philosophie, par naissances successives, est parvenue maturit. En revanche, pour Platon, il y a un geste fondateur, essentiellement dans la structuredun interdit. Le pb ne se pose pas en termes dincompltude mais de transgression. Il sagirapour Platon dune refonte par del linterdit. Aristote conclut en cernant, sans le rendre explicitedu fait mme quil se tient dans un rapport rgl la 1 refondation, lquivoque parmnidienne,ie la posture de vacillation dans laquelle se situe le pre fondateur de la philosophie. il pointeque la pense se noue ltre pour autant que la voie du non tre reste interdite, ie quil discernemalgr lui, en divisant Parmnide, une posture de vacillation entre une impossibilit de lapense et une primat historique de la pense. Cette quivoque est la condition de la fondationdun nud borromen entre tre / non-tre / pense.

    4MECOURS

    Parmnidenotre hrosparat, dans ce dialogue qui porte son nom, comme un personnage dela scne platonicienne. Il nest pas seulement mis en texte, mais mis en scne : ici se tientquelquun, Parmnide. Parmnide est, si jose dire, le seul pr -socratique en chair et en osprsent dans les dialogues platoniciens. Hraclite est seulement rfut. La mise en scne de cethtre est riche denseignements. Dans une rencontre suppose entre Parmnide et Socrate,Platon met en scne sa double filiation :- le pre fondateur : lanctre- le matre historique : SocrateLa scne de cette double origine nous montre Parmnide g de 65 ans qui discute avec Socratetrs jeune. Rencontre alatoire (cf Robin note 1 page 194 : si elle est autre chose quune

    fiction littraire orne danachronisme, elle doit sans doute se situer, au plus tt, la 3 meannede la 82meolympiade, soit en 449 av. JC Socrate n en 469 naurait que 20 ans la date

    prsume de lentretien) elle est saisie du point o Parmnide est trs vieux et Socrate trsjeune, cest en vrit une rencontre fictive mise en scne comme vnement de la pense. Deplus, cette rencontre de lanctre fondateur et du pre immdiat se situe dans une profondeurtemporelle qui voile Parmnide derrire des crans relais successifs. Autrement dit, le tient distance par une procdure narrative trs complexe, dont la fonction est la suivante :

    1ertemps : Cphale1erterme vanouissant de la picearrive de Clazomnes (ville dIonie,patrie dAnaxagore, ie des philosophes naturalistes qui sopposaient aux tendances idalistes delcole italique: Pythagoriciens et Elates, Parmnide en tte) Athnes et rencontre Adimanteet Glaucon, frres de Platon. Il cherche rencontrer un certain Antiphon, dont le pre

    Pyrilamps, 2

    nd

    mari de Priction, mre de Platon, fait de lui le demi-frre de Platon. Adimanteet Glaucon demandent Cphale : - mais que veux-tu au juste savoir ?- voici, dis-je, des concitoyens moi ; ils sont trs curieux des choses de lesprit; ils ontentendu dure que cet Antiphon a t en relation suivie avec un certain Pythodore,compagnon de Znon, et que les propos que jadis Socrate, Znon et Parmnide ontchangs, pour les avoir maintes fois entendus de Pythodore, ils les sait de mmoire.- cest bien vrai, dit-il- eh bien, voil, dis-je, le rcit que nous dsirons entendre (126 c).

    On va donc trouver Antiphon qui maintenant ne sintresse plus quaux chevaux; chez lui on letrouve occup un mors quil donnait arranger un forgeron . Antiphon est donc unrcitant neutre : il a appris par cur ce que Phytodore a appris par cur, et Antiphon accepte

    avec bien des difficults de le redire Cphale qui, nen doutons pas, lapprendra par cur.Quant Pythodore, disciple de Znon, il est prsent comme un Elate de la 3megnration.Platon rapporte donc la chose dans un trfonds temporel extrme sans quil y ait la moindre

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    interfrence transformatrice : les lves rptent ce qui a t dit. En fait, Platon tient ce quecette rencontre fictive soit mise en scne de telle sorte que la question de la transmissionparaisse invraisemblable. La dimension fondatrice de Parmnide est mtaphorise par le lointainde la transmission qui atteste la prcarit, le caractre vulnrable de ce qui sen transmet : ellena pas le caractre essentiel dune orthodoxie.

    Voici donc le rcit dAntiphon: ce que racontait Pythodore, on vit arriver un jour auxgrandes Panathnes Znon et Parmnide. Parmnide tait vraiment dj un hommedge : tout blanc, belle et noble prestance ; il pouvait avoir dans les 65 ans. Znonapprochait alors de la quarantaine : belle trille, bien de sa personne ; on disait quilavait t le favori de Parmnide. Ils taient descendus chez Pythodore, hors les murs, aucramique . l se rendit aussi Socrate, et dautres encore avec lui, toute une troupe ; ils dsiraiententendre les crits de Znon ; ctait alors la 1refois que grce aux 2 visiteurs, ils taientintroduits ici. Socrate cette poque tait tout jeune homme. La lecture fut faite devantlassistance par Znon en personne. Parmnide, de rencontre, tait sorti et il ne restait

    plus que peu de chose lire de tout le trait, lorsque lui-mme, son dire, Pythodoresurvint ; il entra accompagn de Parmnide, ainsi que dAristote, celui qui fut lun des 30

    (anti-dmocrate) ; et il ny eut plus que les derniers mots de lcrit quil leur fut donndentendre. Sous cette rserve toutefois que Pythodore en avait entendu de Znon une1relecture (127 bcd).

    2ndtemps : larchitectonique du rcit dAntiphon1repartie : Znon et SocrateRemarque : Parmnide est sorti, il rendre pour entendre juste la fin du discours de Znon. Platonnentend pas que Parmnide cautionne Znon: Platon admire le Matre, pas le disciple.Znon crdite Socrate davoir bien saisi son argumentation contre le multiple. Cependant, ilprcise Socrate que ses arguments sont destins ceux qui rfutent Parmnide. Znon cherchedonc faire taire les critiques, non prsenter le corps de la doctrine de son Matre.

    il y a ceci qui tchappe: pour rien au monde, il nesttant de prtention dans mon

    crit, quil cherche, compos prcisment dans lesprit que tu dis, se dissimuler auxhommes et se donner pour un grand exploit ! Leffet que tu signales nest quun accident.Cest en vrit une assistance quapportent mes crits la thse de Parmnide, contreceux qui sessaient la tourner en drision pour ce que, si lun est, multiples et bouffones

    seront les consquences subir pour cette thse ainsi que les contradictions. Cest doncune rplique que mon crit, contre ceux qui affirment la pluralit ; il leur rend coup pourcoup, et mme au-del, voulant montrer ceci : que plus bouffones encore seront les csq

    subir pour leurs hypothses : si la pluralit est que pour celle de : lun est, si lonest capable de les dvelopper. Cest dans un tel got de revanche que, jeune encore, jecomposais cet crit, et quelquun men drobe la copie, de sorte que je neus pas mme dlibrer si je devais ou non le produire au jour. Voil donc ce qui tchappe, Socrate:ce ne serait pas le got de revanche dun jeune homme, ton sens, qui maurait fait

    crire, mais lambition dun homme mr; autrement je te lai dit, ta faon de voir nestpas mauvaise (128 cde).

    Socrate accepte la mise au point de Znon, puis il mobilise la doctrine platonicienne desIdes et de la participation, pour dmolir les argumentations de Znon sur un ton sarcastique, la limite du mpris, et surtout avec la fougue et larrogance juvnile dun jeune homme, voiredun adolescent de 16 ans:

    mais pour ce qui est des tres dont je parlais tout lheure [Ides], que lon commencepar distinguer spcifiquement les unes des autres dans leur essence absolue les Ides, parexemple la Similitude et la Dissemblance, la Pluralit et lUnit, le Repos et le

    Mouvement, et tous les tres de cette sorte ; puis, quon nous fasse voir quentre elles-mmes elles sont capables de se mlanger et de se sparer, je serais, dit Socrate, pour ma

    part, ravi merveille, Znon ! Ton sujet, cest avec une belle vigueur, mon avis, que tulas trait ; bien plus grand toutefois, je le rpte, serait mon ravissement devant quiserait capable de saisir cette mme difficult parmi les Ides elles-mmes, o elle

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    prsente toutes sortes dentrelacements, et si, de mme quaux objets visibles la montrevotre discours, pareille en ceux aussi quatteint le raisonnement en nous la rvlait(129 e, 130 a).

    Parmnide, de retour la fin de lexpos de Znon, assiste donc la mise en pice de sondisciple. Il ne dfend pas son disciple, ni ne smeut de lattaque frontale de Socrate contrecelui-ci. Se trouve donc mis sur le mme plan de la non matrise la fougue de Znon qui, de sonpropre aveu, ne faisait que dfendre son matre, lui prtant assistance (128 d), rendait coup pourcoup par got de la revanche juvnile (128 d) et pas du tout port par lambition dun hommemr (128 e)donc dune quelconque vise de matrise. Dailleurs on droba le texte de Znon de sorte quil neut pas mme dlibrer si il devait o u non le produire - et lardeur juvnilede Socrate.

    telles furent, racontait Pythodore, les paroles de Socrate, cependant que, pour sa part,il simaginait qu chacune de ces paroles allait se fcher Parmnide, aussi bien que

    Znon. Ceux-ci, au contraire, lui prtaient la plus grande attention ; frquemment, ilschangeaient des coups dil, et par des sourires ils tmoignaient leur ravissement. Ce

    fut, de fait, le sentiment mme avec lequel, quand Socrate eut fini de parler, sexprimaParmnide : Socrate, dit-il, elle est bien digne de ravissement, ton ardeur pour

    largumentation (130 b).Pour dfendre la thse de son matre sur lunit de ltre, Znon vient de mettre en vidence lesparadoxes sur lun et le multiple o conduirait une thse contraire. Mais Znon prend desexemples dans le monde sensible, quoi Socrate rtorque quil faudrait montrer que lun en soi,lessence de lun, contient le multiple, et non pas seulement que des tants diffrents puissenttre considrs comme un.

    2mepartie : Parmnide et SocrateA partir de l, Parmnide va rfuter la rfutation de Socrate qui, dsempar par largumentationparmnidienne, se trouve conduit une aporie. Platon campe donc Parmnide comme le Matrede Socrate, lequel stait prsenten rival de Znon. Autrement dit, Platon rinstitue Parmnidedans la triple figure de la matrise :

    1 Parmnide savre le seul matre en ceci quil mprise le jugement moyen de Socrate, qui nematrise pas les points de singularit o son discours lentrane, et le confond avec lopinionmoyenne, dans cette mdiation fondamentale : la peur du ridicule.

    - et enfin les objets que voici Socrate ? ils pourraient mme sembler grotesques (parexemple : poil, boue, crasse, ou toute autre chose, la plus dprcie et la plus vile) ; es-tuaussi leur gard en difficult ? Faut-il dclarer que pour ces objets aussi il estrespectivement une ide part, et quelle est distincte des chantillons que nous pouvonsmanipuler ? ou est-ce le contraire ? Aucune hsitation, rpondit Socrate ; pour lesobjets de cette sorte, ceux qui nous sont visibles, ceux-l mmes existent ; quant imaginer quil est pour eux une Ide, gare lextravagance! Il mest arriv, je lavoue,de men tourment parfois lesprit : ne faudrait-il pas, lgard de tous les objets,admettre la mme hypothse ? Et puis, aussitt que je marrte ce parti, bien vite je

    men dtourne; je crains daller me jeter dans quelque abime de niaiserie, et de myperdre. Je reviens donc mon premier avis, aux objets pour lesquels, tout lheure, nousavons admis des Ides ; cest deux que je fais mon tude et mon occupation. cest quetu es jeune encore, Socrate, et tu nes pas encore sous la mainmise de la philosophie, au

    point o cette mainmise un jour lexercera sur toi (cest ma conviction), quand aucun deces objets ne sera dprci tes yeux. Pour le moment, tu as encore gard aux opinionsdes hommes ; ainsi le veut ton ge (130 cde).

    2 Parmnide est le matre, car il examine moins largumentation des thses socratiques que leurpoint de bute. Il radicalise la thse des Ides absolues, ft-ce dans la figure paradigmatique delIde de lIde, jusquau point de son impasse. Parmnide possde la matrise comme lieu de lapasse, matrise suprieure au simple art de la rfutation, bien que Platon le situe toujours la

    limite de la sophistique. Laporie est telle quon parvient la situation suivante : une compltesparation entre le savoir de la science suppose des Ides en soi, voir des dieux den haut lesplus aptes dominer ce savoir, et le monde den bas, celui des hommes englus dans le sensible.

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    La participation est non seulement pose comme un pb hypothtique, mais en fin de compteimpossible :

    - Tu vas voir plus dconcertant encore : ceci.- quoi donc ?- tu admettrais bien, sans doute, sil est en soi un genre de la science, quil y a bcp plusen lui de perfection que dans la science qui est en nous. Et ainsi de la Beaut et de tousles autres objets.- oui.- par csqt, si tant est quun autre tre ait part la science en soi, il nen est point qui,

    plus qu Dieu, tu accorderais la perfection absolue de la science?- ncessairement- est-ce que, dans ces conditions, il se pourra encore que Dieu connaisse les objets dicibas, si cest la science en soi quil possde?- pourquoi pas ?- parce que, rpliqua Parmnide, il a t convenu entre nous, Socrate, que ni les idestranscendantes ne peuvent lgard des objets dici bas exercer la relation quellesexercent, ni les objets dici bas lgard de celles-l, mais bien lgard dobjets comme

    eux, les objets de chaque catgorie.- cela a t convenu, en effet !- par csqt, si cest du ct de dieu que rside en soi la perfection absolue de ladomination, en soi la perfection absolue de la science, jamais la domination aux mains deceux den haut ne sera domination pour nous, jamais leur science ne nous pourraconnatre, nous, ni rien dautre ici bas; mais, tout comme il nous est impossible, nous,de leur commander, eux, aux moyens du commandement qui est en nos mains, ni de rienconnatre du divin au moyen de la science qui est ntre, eux en revanche, par la mmeraison, ne sauraient tre nos matres nous, ni connatre les affaires humaines, toutdieux quils sont!- mais, dit-il, gare cette surprenante raison, si cest dieu quon va dnier le savoir(134 cde).

    A supposer mme que le monde des Ides en soit existt, il faudrait trouver un homme capablede passer au crible de la critique toutes les difficults qui sy opposeraient:

    capable denseigner autrui toute cette thorie, layant premptoirement soumise sacritique (135 b). Or, ce serait plutt le contraire qui se prsenterait : mais, dun autrect, reprit Parmnide, sil se trouve qln, Socrate, ne point admettre quil y ait des

    Ides des tres, eu gard toutes les objections de tout lheure et dautressemblables, et sil se refuse dfinir une Ide de chaque essence singulirement, il nesaura de quel ct tourner son entendement, nadmettant point une Ide de chacun destres respectivement, ide toujours identique elle-mme ; et, de la sorte, cest la facultdialectique qui sera compltement abolie ! (135 bc).

    3 Parmnide se trouve dfinitivement rinstaur dans sa fonction de matrise, car il va proposer

    un exercice adquat et la singularit, et la passe. [suite directe de 135 bc] Voil le point sans doute dont tu as surtout eu, je crois, le

    sentiment.- tu dis vrai ! rpondit-il- comment feras-tu donc, en matire de philosophie ? quel parti prendre, dans linconnu,

    sur ces difficults ?- il nen est gure, je crois, que japeroive, du moins quant prsent!- il est tt, en effet, observa Parmnide ; tu nas pas encore dentranement, Socrate ()

    Il est beau certes et divin, sache le bien, llan qui temporte vers les arguments;assouplis-toi toutefois, entrane-toi davantage au moyen de ces exercices dapparenceinutile et que la multitude appelle bavardages. Fais cela tant que tu es encore jeune ;

    sinon, tu laisseras chapper la vrit (135cd)Socrate sempresse alors auprs de Parmnide sur la nature de cet entranement.

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    a) Parmnide dsavoue cette fois son disciple Znon, dont la dfense de son matre tait par tropfacile :

    quelle est donc, demanda-t-il, la tournure, Parmnide, de cet entranement ?- celle, rpondit-il, des arguments que tu as entendus de Znon ; sous cette rservetoutefois que, mon ravissement, tu formulais devant lui : tu ne voulais pas que, parmiles objets visibles et autour de ceux-ci, sgart lexamen, mais quil se tournt versceux-l que par excellence le raisonnement saisit et quon peut regarder comme des

    Ides.- il me semble en effet, dit-il, que, du ct des premiers, il ny a aucune difficult fairevoir quils sont semblables autant que dissemblables.

    b) lexercice adquat ou que de toute autre contradiction sont affects les tres- cest fort bien vu, dit-il.- mais voici un autre pas quaprs le prcdent il faut encore faire : ne point se borner, sitelle chose est, dans chaque cas, par hypothse, examiner les rsultats de cettehypothse, mais encore envisager le cas o la mme chose nest pas, titre de nouvellehypothse ; cest ainsi quon dveloppe son entranement.

    - que veux-tu dire ? demanda Socrate- soit, dit-il, si tu veux, cette hypothse que Znon supposait : si la pluralit est , quendoit-il rsulter pour eux-mmes, les plusieurs, relativement eux-mmes et relativement lun, et, pour lun, relativement lui-mme et relativement aux plusieurs ? Etinversement, sil nest pas de pluralit, derechef on examinera ce quil en rsulte, et

    pour lun, et pour les plusieurs, relativement eux-mmes respectivement etrciproquement (135de 136a).

    Parmnide est donc fondateur au sens prcis o il matrise la triple instance de la dterminationde la singularit, de la passe et de lexercice.

    Devant la difficult dun tel exercice, Socrate demande Znon de leffectuer, sur quoi Znonen appelle son matre, sen sentant incapable. Socrate et Znon sont donc bien tenus une

    position de non-matrise : - eh bien, toi, Znon, reprit Socrate, que ne nous traites-tu cela ? . A quoi Znon,contait Pythodore, rpondit en riant : cest lui, Socrate, quil nous faut prier, lui,

    Parmnide ; car ce nest pas rien, jen ai peur, ce dont il parle! Est-ce que tu ne vois paslnorme travail que tu demandes () Telle est lignorance de la multitude : elle ne sait

    pas que, faute de cette exploration en tout sens, faute de cette divagation, il est impossiblede rencontrer le vrai et den avoir la possession intellectuelle. En mon nom donc,

    Parmnide, avec Socrate junis ma prire ; je veux moi aussi redevenir ton auditeuraprs si longtemps ! (136de).

    Pourtant, sous la condition dun entranement intensif, Parmnide assure Socrate: quun jour, grce la perfection de cet entranement, tu pourrais, dun regard dematre, discerner la vrit ! (137 c).

    Mais lentranement en question est qualifi par la multitude (135 cd 136 de) de bavardages,ie dexercices sophistiques. Au regard de sa propre thse sur lunit de ltre, Parmnide entreen scne pour proposer un exercice dialectique. Sa thse ne sera pas prononce dans le dialogue,mais sera lenjeudun exercice, savoir quon fera lhypothse dune catgorie pour en tirertoutes les consquences, puis on rptera lexercice en supposant son inexistence.Cest donc un exercice de sophistique: on ne prend pas position de vrit partir de lhypothseprouve. Platon met labri Parmnide comme matre de vrit sous la figure dun vieuxmatre virtuose du savoir. Autrement dit, il excentre Parmnide en tant que matre de vrit : cequi est prsent et trait, cest un exercice de sophistique. La figure de Parmnide se trouve,dans le dialogue qui porte son nom, prsente sous les traits dun matre de capacit (critre decompltude des exercices proposs) et non sous les traits dun matre de vrit (nonciation de

    la vraie thse sur ltre au rgime de la pense du vrai).

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    Znon est-il vraiment un Elate ? Sous la plume de Platon, ni Parmnide ni Socrate ne letiennent pour tel, alors que sa fortune fut considrable par la suite. Parmnide, qui nassiste pas la dfense faite par Znon contre les attaques portes contre sa thse sur lunit de ltre,convient, en revanche, aprs avoir entendu les critiques sarcastiques de Socrate contre Znon, dela faiblesse de la thse expose par Znon pour dfendre son matre. Znon se situe donc enposition dfensive par rapport aux thses de fondation. Il reprsente la figure de la2me gnration dogmatique des disciples qui amnent les thses fondatrices sur le terrain deladversaire: en loccurrence dans le monde sensible. Znon sinsurge contre les dtracteurs deParmnide en essayant de montrer tout le ridicule quil y aurait soutenir une thse oppose celle de son matre, savoir la multiplicit de ltre. Mais quelle technique Znon recourt-il ?Dans un article rcent, la technique littraire des paradoxes de Znon (Dtectionsfictives),Milner prtend quil suit une technique purement littraire, qui non seulement ne se plie aucune rgle dune criture formelle, mais stt relve du genre comique. Soit largument (logos):Achille ne rattrapera pas la tortue, car Achille, le poursuivant, doit dabord avoir atteint le pointdo est parti le poursuivi. Aristote (PhysiqueVI 9 219 b14) rapporte largument sansmentionner la tortue, en sorte que le rsum usuel Achille ne rattrapera pas la tortue ne peutsappuyer sur la lettre dAristote (page 49).La tortue par contre est mentionne par Simplicius

    (Physicam, 1013-31, 239 b14), mais Simplicius ne mentionne pas seulement la tortue, ilmentionne aussi Hector (page 49).Aristote : le plus lent ne sera jamais rattrap la course par le plus rapide, car il estncessaire que le poursuivant gagne dabord le point do a pris son dpart le poursuivi,en sorte quil est ncessaire que le plus lent, chaque fois, ait quelque avance Delargument, il suit tout dabord que le plus lent ne sera pas rattrap ; mais il sy ajouteen plus que, dans une prsentation mlodramatique, il narrive mme pas que lechampion de rapidit rattrape le champion avec lenteur .Simplicius : Non seulement Hector ne sera pas rattrap par Achille, mais la tortue elle-mme ne le sera pas .

    Question : quen tait-il du texte de Znon ? Il contenait srement Achille, mais lassociait-il la tortue, ou Hector, ou aux 2 ?

    PAGE 44-46 TEXTE MILNER

    Si Milner a raison, la technique de Znon nest pas un essai de rgulation (rfutation?) formelle,mais emprunte Homre un procd littraireladynaton mais un Homre revu par le senspopulaire dEspoe, par quoi sopre un chiasme: Znon croise 2 termes poss commeidentiques. Achille, Hector et Livre tortue (Achille avec Tortue).Dans son article, Milner montre comment la mme technique littraire est luvre pour les 3autres logoi znoniens : la dichotomie, la flche, le stade. Nous retiendrons quant nous laconclusion de Milner, savoir que le site vritable de cette technique, qui opre par untraitement trivial de lpope, cest la comdie, savoir labaissement drisoire de ce qui esttenu pour grand. Znon ne fait que rendre la pareille ceux qui tournent en ridicule Parmnide.

    Le livre perdu de Znon est tout bonnement une comdie conceptuelle. quoiquil en soit, la technique conjecturer se retrouve semblable: un commentairedHomre clair par un adunaton populaire. Or, cette technique a un nom : cest un

    Homre travesti. Elle a aussi un lieu dlection: le genre comique, fond surlabaissement drisoire de ce qui est tenu pour grand (Aristote, potique, 5 49 a 32).Comment ne pas rappeler que la grande Grce, o naquit et vcut Znon, est aussi laterre dEpicharme, fondateur de la comdie intrigue? on sait quEpicharmereprsentait les hros dHomre dans des situations drisoires.Une uvre comique non thtrale, tel tait le genre littraire du livre de Znon.

    De linventeur de la comdie, entremlant son thtre darguments dialectiques, auphilosophe entremlant la dialectique de techniques comiques, la relation est bonne.

    Dautant que les mots sont l. Lorsque Platon, dans le Parmnide, fait parler Znon, ildit ceci : cf + haut . La conclusion simpose: si les adversaires, de Parmnide, on fait

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    comdie et si Znon leur rend la pareille, cest que, comme eux, il se range du ct de lacomdie et du rire. Quil y soit parvenu, on peut le supposer.

    2 remarques :- les polmiques comiques autour du grand homme Socrate devaient toucher vif Platon. Onsait quAristophane fait de Socrate un personnage grotesque la scne (cfles Nues). Or,Parmnide est aux yeux de Platon : notre pre, le pre fondateur que son disciple Znon neparvient dfendre que sous un angle comique, donc bien mal.- conclusion : il faut restituer le srieux de la fondation.Cest inluctable, un fondateur donne lieu une mle comique o partisans et adversairesperdent le point de matrise de la fondation. On assiste une symtrie du comique de la dfenseet du comique de la critique. Znon relve du dfenseur comique : il ne parvient faire quunecontre-comdie. Cest comme si Znon avait crit des contre-nues pour dfendreParmnide.Or, Platon entend restituer de 3 faons le srieux de la fondation parmnidienne :- par leffet de distance qui est toujours un effet de soupon: le soupon dune demi-perte desens.- par la triple instance de la matrise : singularit, passe, savoir, dj donne dans la filiation

    Parmnide matre de Socrate.- par la dissolution du comique : minima dissolution de la polmique subalterne.Le terrain est alors dblay pour la mise en scne. Cette fois dans tout le srieux tragique duparricide dans le Sophiste.

    5MECOURS

    Dans le Thtte, qui traite de la science, un nomm Euclide[1]a transcrit les entretiens entreSocrate, Thodore et Thtte. Ayant enfin trouv son ami Terpsion, Euclide lui fait lire le textede ses entretiens par un de ses esclaves. Mais loccasion de cette lecture est due au fait queThtte est mourant, victime de la guerre quAthnes et Sparte mnent contre Thbes. Thttesuccombe sous Corinthe en 369. Euclide qui cherchait partout son ami sur lagora lui relate cefait :

    - E : comme je descendis vers le port, je suis tomb sur Thtte, que, de larme devantCorinthe, on transportait Athnes.- T : tait-il vivant, ou bien dj mort ?- E : cest tout juste sil vivait encore! Il est en effet en un triste tat, du fait mme de jene sais quelles blessures, victime cependant, davantage encore, de la maladie qui svit

    sur les troupes (142 ab).Aprs avoir fait lloge de Thtte, Terpsion se souvient dun entretien quil avait pris soin denoter par crit entre Socrate et Thtte.

    Sur ce, donc, vois-tu, aprs lavoir escort, tandis que je men revenais, je rappelai mes

    souvenirs, et jadmirai quel point, prophtiques assurment en dautres occasions, lespropos de Socrate lavaient t en ce qui concernait Thtte. Ce fut en effet, si je ne metrompe, peu de temps avant sa mort quil fit la rencontre de ce dernier, alors adolescent,et que, stant longuement entretenu avec lui, il fut merveill par son beau naturel.Quand je venais Athnes, il me racontait les propos quils avaient changs dans cetteconversation, propos qui mritaient grandement dtre couts (142 cd)[2].

    Le site de la parole de ce dialogue est donc pris entre Thtte quasi mort et Socrate mort depuisau moins 30 ans, quand lesclave de Terpsion commence la lecture de lentretien transcrit parEuclide, et que Socrate interrompt pour aller rpondre devant le tribunal de la cit desaccusations portes contre lui par Mltos. Cest donc en vrit lombre de la mort de Socratequi sert de csure entre le Thtteet leSophiste.1 le Sophiste est plac sous le signe de la mort de Socrate condamn mort : tragique et

    srieux de lvnement.2 le dialogue se droule au moment o le procs de Socrate est imminent. Plac sous le signede la mort de Socrate, le Sophiste, o seffectue le parricide symbolique de llatisme dans la

    http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/85-86.htm#_ftn1http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/85-86.htm#_ftn1http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/85-86.htm#_ftn1http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/85-86.htm#_ftn2http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/85-86.htm#_ftn2http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/85-86.htm#_ftn2http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/85-86.htm#_ftn2http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/85-86.htm#_ftn1
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    figure de son matre, apparat de toute vidence dans le contexte de cet autre parricide : lacondamnation mort par Athnes de celui que Platon tient pour le fils essentiel de la cit.3 le tragique de la situation rsilie donc la dimension de dfense comique tel que Znon lapratiquait lgard de son matre Parmnide.4 Socrate dj mort ne dirige pas le dialogue, mais cest lEtranger dEle, ie un disciple deParmnide. Tout se passe comme si, au lieu mme du 2 ndparricide, rel et non symbolique, lamise mort de Socrate par la cit dAthnes, ne pouvait tre convoqu que lanctre fondateursous la figure dun disciple, cette fois philosophe accompli la diffrence de Znon. La mort du2ndfondateur exige lappel un disciple du 1erfondateur.5 mais lEtranger dEle va oser prononcer le parricide sur la p ersonne de son vnr matreParmnide. Socrate dj mort est remplac par un disciple de Parmnide qui accomplit, dans lafigure de Socrate absent, le parricide de Parmnide.LEtranger dEle est un disciple de Parmnide qui accomplit le parricide.A la fin du sophiste, Socrate et Parmnide ont t mis mort : est engendr Platon comme tantdsormais le seul fondateur vivant. Platon est engendr dans la figure acheve du prefondateur, ie dans la figure du platonisme.- le Sophiste, cest le dialogue de lengendrement subjectif et doctrinal du platonisme dans le

    rglement de la question de la fondation. Autrement dit, quand on donne un sens univoque lquivoque de la fondation.- le Sophiste est la lisibilit de lengendrement du platonisme en excs sur Platon : du fils Platonsur Socrate et Parmnide.La question est la scansion platonicienne sur ltre en tant qutre sorganise donc autour de lathorie des Elates.

    1 le ParmnideDialogue qui porte sur la question de lUn. Cest un dialogue aportique. Il reste danslarchitecture de limpasse sur cette question, sans en dsigner le point de rel (cf cours de1985). Sa conclusion gnrale toutes les hypothses du dialogue est ngative :

    Eh bien ! tenons-le pour dit et ajoutons ceci : selon toute apparence, quil y ait de lun

    ou quil ny en ait pas, de toute faon, lui-mme ainsi que les autres choses, dans leursrapports soi, respectivement aussi bien que rciproquement, de tous les attributs, soustous les rapports, ont ltre et le non-tre, lapparence et la non apparence. - Cest lavrit mme ! .

    Le Parmnideest cependant central, car Platon donne la parole Parmnide en propre, ie enposition de matre incontest. Le Parmnide pourrait sintituler, suivre Platon, le dialogue dumatre ou du pre fondateur. Nanmoins, Platon prend soin dexcentrer Parmnide en tant quematre de vrit. Il le prsente comme un virtuose du savoir capable de traiter fond unexercice, lun est-il ? sous toutes ces modalits qui relvent de lart sophistique. Ce qui nonseulement excentre Parmnide du rgime de la pense du vrai, mais le situe au bord de laposition des sophistes.

    2 le ThtteRfutation de la thse hraclitenne : si ltre estdevenir, il ny a pas de connaissance en soi.

    3 le SophisteRfutation de la thse latique : il y a un tre du non tre. Fondement ontologique la critiquedes sophistes. LEtranger dEle, ie Platon, cette fois en position de matre de vrit, est lafigure de reprsentation soi-mme de Parmnide qui se rfute.

    4 lePoli tiqueTraite de de lessence du dirigeant politique.

    5 le Philosophe(manque)Annonc par Socrate dans le Sophiste: Thodore : de quoi veux-tu donc parler ?

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    Socrate : du sophiste, de lhomme politique, du philosophe (217 a).La question que pose lextraordinaire mise en scne de ces 4 dialogues est elle du problme dela transmission. Comment Platon figure-t-il le mode sur lequel qch de Parmnide lui esttransmis ? Les textes de Platon mettent en scne lalatoire de la transmission. Dans le Sophiste,Platon se dsigne comme fondateur travers un effet de distance temporelle qui entrane unedemi perte du sens : entre la 1reet la 2ndefondation se produit une mise distance de Parmnide,1eret seul vritable fondateur aux yeux de Platon. En effet, le site rel de la parole du Sophisteest pris dans une chane de rcits rtroactifs avant lesquels, pendent ou suite auxquels sestproduite la mort relle de Socrate.

    Ce que la mise en scne platonicienne agence est lhypothse de la double origine quant lafondation, dont les signifiants sont Parmnide et Socrate. Parmnide et Socrate qui occupent laposition de matrise dans le Parmnideet le Thttepostulent cette hypothse : on remarquedabord que le Thtte, le Sophiste et le Politique sont des dialogues rapports partir dunelecture dun rcit crit par opposition au Parmnide qui est donn comme un rcit oral de rcitoral. Au temps effectif de lcrit pas du dialogueles 2 matres en question sont morts. Dansle Sophiste et le Politique, Socrate ne mne dj plus les dbats. Platon linstitue dans le silence,

    ie dans lombre de sa mort : Socrate est dj mort. Au dbut du Sophiste, les 2 matres sontremplacs par un seul : ltranger dle qui apparat comme un philosophe vritable et divin,et dont Thodore assure Socrate quil nest pas un ces vulgaires sophistes qui voluent danslescits.

    Ce ne sont point l, Socrate, les faons de ltranger : il a plus de modration que lesfervents de la dispute. A mon sens, ce nest pas un dieu, en vrit, cependant, un tredivin (216 b). Aprs quoi ltranger conduira tout le dialogue, comme il conduitle Politique et devait conduire le Philosophe. Ds lors, Socrate entre dans le silence.

    Ltranger dle est corrl au silence de Socrate. Ltranger dle, ie le nom dePlaton, apparat donc comme le successeur des 2 matres. Autrement dit, de la doubleorigine la fois. En fait, nous assistons dans le Sophiste 2 parricides :

    - parricide explicite : rfutation de la thse de Parmnide : ltre est un

    - parricide implicite : Socrate se trouve rduit au silence dun jour (fin du Thtte) lautre(Sophiste / Politique).Ltranger dle croise ce double parricide en tant quil se trouve mis la place de cettedouble filiation, ie mis la place de Platon. Le point est lisible dans son nom : il est la fois parson lien Parmnide dans un rapport double de coprsence llatisme et dexpa triation ausens o il supporte une figure dexpatriation.1redsignation : partir du Sophiste, Platon se dsigne comme celui qui dsormais peut parleren son propre nom, ie celui par qui Socrate se tait.2ndedsignation : Platon sort llatisme de lui-mme, il expatrie Parmnide de son territoire,ie de la doctrine parmnidienne de lEtre.Remarque:- Thtte vient occuper par rapport ltranger dle la mme position quil occupait par

    rapport Socrate dans le Thtte.- dun dialogue lautre ce qui transite cest la figure du disciple en tant qulment invariant. Ily a substitution de matre par linvariance du disciple: lautre matre prend son autorit sur lemme du disciple.- dans le Parmnide, Socrate occupait cette position par rapport Parmnide.Il y a donc une problmatique des fils : qui quelque chose doit-il tre transmis ? Il y a 2 filssuccessifs : Socrate jeune, et Thtte. Ce qui, si on prend le complexe des 4 dialogues, fait deParmnide le seul tre prsent dans la figure du pre fondateur. Ce qui donne lieu aucomplexe suivant :

    Parmnide (matre dans Parmnide) Socrate (matre dans Thtte)

    tranger dle (matre dans le Sophiste) / Platon

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    On a donc le rapport de symtrie suivant : Parmnide est Socrate ce que Socrate est Platon.Mais alors Socrate est en position de non matrise par rapport Parmnide, ie en position de fils.Mais, matre dans le Thtte par rapport Thtte : il est donc la fois pre et fils, seulParmnide apparat dans la figure du pre fondateur. Mais quand ltranger dle, ie Platon,entre en scne, et fonde la philosophie, fils et pres sont morts : le systme gnral de filiationantrieure est forclos, car ceux qui lont incarn sont morts.

    Position de Platon sur la matrise :- la matrise se trouve lie un point de rel, savoir la mort relle du matre, pas seulement lamort symbolique. Tant que le matre reste vivant, sa mise mort symbolique ne se rvle pascomme une garantie suffisante de vrit.- on trouve chez Platon une relle pit filiale. Sa mise en scne nous indique quil fautconvoquer le point de rel de la mort du matre, afin que toute filiation puisse tre dploye etqualors, seulement, puisse advenir lautonomie de la nouvelle parole fondatrice.- comme Platon, par pit filiale, ne veut pas sen prendre au matre vivant, il faut absolumentque le parricide ait dj eu lieu dans un dni de culpabilit. Il faut donc effectuer un parricidefictif, dont nul nest coupable, savoir quun parricide symbolique est nanmoins requis pour la

    2

    me

    fondation.

    SCHEMA PAGE 57

    Le parricide proprement dit ne consiste pas dans une rfutation, mais dans une dclaration :lintroduction dun signifiant en plus, lautre comme nom du non tre. Ce qui conduit larfutation de Parmnide et au parricide symbolique est la ncessit de caractriser le sophiste,mais lurgence que Platon ressent donner un concept clair du Sophiste participe en vritdune double exigence rationnelle et politique.Politique : Platon, anti-dmocrate, considre les sophistes comme des dmagogues passsmatres dans lart de faire un usage cynique de la dmocratie.Rationnelle et philosophique : ce qui convoque la rfutation de Parmnide est en dernier

    ressort une situation, celle oprosprent les sophistes. Il faut sengager dans la voie du non treparce que la situation sophistique lexige. Cest toujours une situation qui convoque unetransgression. La situation politique dfinit le caractre sous condition de la philosophie.Du point de vue de Platon, les matres du faux, ce sont les sophistes. La radicalit des sophistescest le semblant, il faut donc un discours qui, cest le cas de le dire, ne serait pas du semblant.Autrement dit, il faut trouver ltre du sophiste, ie ltre du semblant lui-mme, recherche lie lhistoricit sophistique du semblant : les sophistes existent. Pour Platon, le semblant existeseulement comme puissance historique