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5/12/2018 Leprludedelagoutted'eaudeChopin.-slidepdf.com http://slidepdf.com/reader/full/le-prelude-de-la-goutte-deau-de-chopin 1/23 Le prélude "de la goutte d'eau" de Chopin. État de la question et essai d'interprétation Jean-Jacques Eigeldinger  Revue de musicologie, T. 61e, No. 1er. (1975), pp. 70-90. Stable URL: http://links.jstor.org/sici?sici=0035-1601%281975%293%3A61%3A1%3C70%3ALP%22LGD%3E2.0.CO%3B2-3  Revue de musicologie is currently published by Société Française de Musicologie. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/about/terms.html. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at http://www.jstor.org/journals/sfm.html. Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed page of such transmission. The JSTOR Archive is a trusted digital repository providing for long-term preservation and access to leading academic  journals and scholarly literature from around the world. The Archive is supported by libraries, scholarly societies, publishers, and foundations. It is an initiative of JSTOR, a not-for-profit organization with a mission to help the scholarly community take advantage of advances in technology. For more information regarding JSTOR, please contact [email protected]. http://www.jstor.org Fri Dec 21 17:30:16 2007

Le prélude de la goutte d'eau de Chopin

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Le prélude "de la goutte d'eau" de Chopin. État de la question et essai

d'interprétationJean-Jacques Eigeldinger

 Revue de musicologie, T. 61e, No. 1er. (1975), pp. 70-90.

Stable URL:

http://links.jstor.org/sici?sici=0035-1601%281975%293%3A61%3A1%3C70%3ALP%22LGD%3E2.0.CO%3B2-3

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J e a n - J a c q u e s E I G E L D I l V G E I i

Le prélude (( de la goutte d'eau ))

de Chopin

État de la question et essai d'interprétation

composition d'un Prélude associé à une lugubre soirée deLApluie passée dans la solitude d'une cellule à la Chartreuse

de Valldemosa, n'est-ce pas là un des épisodes les plus rebattus

de l'immense littérature consacrée à Chopin ? Assurément, si l'on

s'en tient à un critère purement quantitatif.Alais

force est de

constater qu'on reste sur sa faim dès que l'on recherche la préci-

sion dans l'exposé et l'interprétation des faits. Généralement,

biographes et commentateurs relatent l'év6nement et, se fondant

sur une pseudo-traditicn ou une opirion subjective, désignent

tel ou tel numéro de l'op. 28 pour être celui (( de la goutte d'eau a(les plus prudents se contentent d'énumérer les Préludes qui peuvent

entrer en considération) ou, à l'inverse, nient que Chopin ait pu

composer quoi que ce soit sous l'influence d'une iinpression extra-

musicale. A notre connaissance, la seule étude approfondie dela question réside dans les pages que G . Belotti l lui a dédiées

au cours de son article consacré à la datation des Préludes de

Chopin. Si à notre tour nous reprenons le sujet, ce n'est pas faute

de partager pour une bonne part les conclusions de l'auteur ; la

découverte d'un document inédit nous a engagé à reconsidérer la

question dans une perspective monographique et indépendante

des problèmes chronologiques posés par chacune des pièces qui

composent l'op. 28.

Toute argumentation concernant le Prélude dit de la goutte

I. Il problcma delle date dei Preliidi d i Chopin R i l ' i s t a i t a l i a ~ z ad i1,

musicologia 5 (19701, pp. 159-215 ; en particulier pp. 203-209.

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d'eau passe nécessairement par le récit de George Sand dansHistoire de m a vie ; bien que rédigé après la mort de Chopin et

postérieur de quinze ans à l'événement relaté, il constitue l'uniquesource de no tre connaissance de l'épisode. Or plusieurs biographes,et non des moindres, ont accueilli avec une défiance parfois sys-tématique le témoignage général de G. Sand sur Chopin, à causede sa partialité et de ses inexactitudes, qui seraient dues autantà des ornements littéraires qu'à des éléments passionnels. Réti-cents par principe à l'égard des souvenirs postérieurs à la mor tdu compositeur, les musicologues anglais manifestent souvent unscepticisme excessif face au témoignage de G. Sand , qu'ils s 'appli-

quent volontiers à discréditer. Caractéristique de cette tendanceest la position de M. J. E. Brown dan s la question qu i nousoccupe. Son bref article sur la chronologie des Préludes de Chopins'insurge à juste titre contre ceux qui veulent voir dans le Pré-lude op. 28/15 une description musicale correspondant à celle deG. Sand. Ceci posé, l'auteur tient le raisonnement suivant : lePrélude e n ré bémol maj. repose entièremen t s ur la note-pédale la b-

sol # ; cette répétition obstinée frappe l'imagination, et l'on donneau morceau le nom de (( Prélude de la goutte d'eau )I ; cette dési-

2 . ~~e édition en feuilletan dans L a P r es se , 14 août 1855, p. 2, col. 4-5(pour le passage concerné) ; ~ r edition en volume : Paris, V. Lecou, 1855,t. XX, pp. 148-152.

3. La rédaction du chapitre sur Chopin dans His to i re de m a v i e (Ve partie,chap. 12) remonte à août ou septembre 1854. Je dois ce renseignement ainsique quelques précisions bibliographiques à l'obligeance de M. Georges Lubin,l'éditeur de la Correspondance et des a u v r e s a u to b io g ra p hi qu es de G. Sand.

4. Le récit de Sand est manifestement la source de Liszt ; la éditionde son F . C ho pi n (d'abord dans L a Franc e mus ic a le XV [1851] en 17 livrai-sons réparties entre le No 6 [g février] e t le NO 33 [17 août], puis en volume :Paris, Escudier, 1852) ne comporte aucune allusion à l'orage de Valldemosapour la raison que l'ouvrage de G. Sand n'avait pas encore paru à cettedate. La version que Liszt donne de l'épisode et l'identification avec leNo 8 de l'op. 28 n'apparaissent qu'à partir de la 2e édition (Leipzig, Breit-kopf & Hartel, 1879, p p z73-274), remaniée avec le concours de la Prin-cesse Sayn-Wittgenstein.

Contrairement à une assertion répandue dans plusieurs biographies deChopin, Liszt n'est pas le premier à avoir tenté d'identifier le Prélude enquestion ; il a KARASOWSKIté précédé par M. ( F r i e d r i c h C h o p i n . S e i nLe be n , s eine W e rk e und Br i e f e [Dresden, 1877, 2 vol.]), dont l'ouvrage éta itpratiquement terminé dès 1863. Karasowski retient le NO 6 de l'op. 28(cf. Vol. II, p. 70, note 2 ) .

5; « The Chronology of Chopin's Preludes 11, T h e M u s i ca l Times NO.1374(aout 1957)~ p. 423-424 En dépit de l'argumentation de G. Belotti (cf.note 1).M. T. E. Brown n'a Das révisé son o~inion.omme on Deut le cons-tater dans 1 récente éditionLrevue et augmentée de son ho ph. A n I n d e xo f h i s W o r k s in Chronological Order (London, Mac millan, 1972 [2e éd.],pp. 102-103, 109-114, 127-128).

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72 JEAN-JACQUES EIGELDINGER

gnation étant entrée dans les mœurs, G. Sand est amenée, pour

la justifier, à broder un récit (flowery story) a posteriori. Selon

M . J . E. Brown, c'est là un exemple remarquable de légende étio-logique.

Une argumentation aussi spécieuse et conjecturale ne saurait

résister à un examen critique.- Quel intérêt G. Sand pouvait-elle avoir à inventer cette

histoire de toutes pièces ?- Pourquoi M. J. E. Brown choisit-il a priori les notes répétées

du NO 15, et pas celles du NO 6, tout aussi accrédité (cf. infra,

p. 76) pour être celui « de la goutte d'eau » ?- Où l'auteur prend-il que cette dénomination circulait du

vivant de Chopin, alors qu'il néglige sciemment les sources exis-

tantes ?- Parce que le No 15, de par son étendue, n'entre pas dans

les vues de M. J. E. Brown sur les Préludes composés à Majorque,

celui-ci dénie (sans aucune démonstration) toute valeur de témoi-

gnage au récit de Sand, pour lui attribuer un caractère de pure

fiction.Or des documents contemporains de l'événement (ou de peu

postérieurs) attestent bel et bien la réalité de l'orage dépeint

dans Histoire de ma vie. Outre une lettre de Chopin et deux de

G. Sand - toutes trois du 28 décembre 1838 - qui font état

de pluies torrentielles à Valldemosa, deux écrits corroborent avec

précision les données du récit incriminé :

1. Une lettre de G. Sand à Alexis Duteil [20 janvier 18391 '.

2 . Les dernières pages d'Un hiver à Majorque paru en premierlieu sous le titre (( Un hiver au midi de l'Europe » dans la Revuedes Dewx Mondes en 1841- trois livraisons, les 15 janvier, 15 février

et 15 mars (pp. 834-836 pour le passage en question).

6. Chopin à Fontana, in Correspondance de Frbdkrzc Chopin - doréna-vant abrégé C w r . F C - (Paris, Richard-Masse, 1953-1960, 3 vol.), II,p. 283. G. Sand à Mme Marliani e t à F. Buloz, in Correspondance de GeorgeSand, éd. G. Lubin - dorénavant abrégé Corr . G S - (Paris, Garnier, en

cours de publication, IO vol. parus), IV, pp. 537 et 539-540.7. Covv. G S , IV, p. 552 .

8. In G. SAND, wv res autobiographiques, éd. G. Lubin (Paris, Gallimard[bibliothèque de la Pléiade], 1971, 2 vol.), II, pp. 1172-1176. Il n'est pasexclu que G. Sand se soit référée à ce passage pour rafraîchir ses souvenirsau moment oii elle écrivait les pages sur Valldemosa dans Histoire de m a vie,

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En une douzaine de lignes, la lettre à Duteil mentionne l'excur-

sion à Palma en compagnie de Maurice et les péripéties du retour

nocturne à travers les inondations d'un orage catastrophique. Lesmêmes éléments font l'objet d'une narration de quatre pages dans le

contexte délibérément pittoresque (le passage est dédié à Dela-

croix) d'Un hiver à Majorqae.Non seulement l'orage a eu lieu dans les circonstances que rap-

porte Histoire de ma vie, mais des recoupements permettent de le

situer assez exactement aux environs du 4 janvier 1839 9. Et

quand G. Sand affirme que ce soir-là c'est un Prélude que Chopin

a improvisé (plutôt que composé !), il n'y a pas non plus de raison

péremptoire de suspecter sa bonne foi. Dans ses éléments lesmoins subjectifs, la description de la romancière ne s'accorde en

rien à la substance musicale des autres œuvres terminées (Bd-lade op. 38), composées (Polonaise op. 4012) ou ébauchées (Scherzoop. 39 ; Sonate op. 35 - sauf la (( Marche funèbre »,antérieure)

à Validemosa. Par ailleurs, la correspondance majorquaine de

Chopin fournit ici des arguments de faits. Avant de quitter Paris,

9. La date du 2 0 janvier 1839 (lettre à Duteil, cf. note 7) constitue unterminus post quem non. Mais trois recoupements permettent une datationplus précise. Dans Un hiver à Majorque, la relation de l'orage débute ainsi :(( Nous étions partis de Valldemosa, l'enfant [Maurice] et moi, au milieudes pluies de l'hiver, pour aller disputer le pianino de Pleyel aux férocesdouaniers de Palma. » (Euvres autobiographiqzces, II, p. 1 1 7 3 ) . L'excur-sion à Palma avait donc pour but principal de dédouaner le piano, si l'onajoute foi à ce texte. La lettre à Duteil ne précise pas la raison du dépla-cement, tandis que l'Histoire de ma vie prétexte : « [...] aller à Palma acheterdes objets nécessaires à notre campement. « (Euvres autobiographiques,II, p. 420). Les deux raisons invoquées ne sont nullement incompatibles.On remarquera seulement que les détails matériels ont des chances d'êtreplus vivement présents à la mémoire de G. Sand au moment où elle rédige

(février-mars 1841) la fin d'Un hiver à Majorque que lorsqu'elle travaille(août/septembre 1854) à l'avant-dernier chapitre d'Histoire de ma vie.

Le 28 decembre 1838, de Valldemosa Chopin écrit à Fontana : « Le piano attend depuis huit jours dans le port la décision de la douane qui réclame des montagnes d'or [...] 1) (Corr. FC, II , p. 2 8 5 ) . Il en résulte que le pianino avait été débarqué à Palma aux environs du 2 0 décembre. Or, G. Sand mande à Mme Marliani le 22 janvier 1839 : <( Le seul événement remarquable depuis cette dernière lettre, c'est l'arrivée d'un piano tan t attendu ! Moyen-nant quinze jours de démarches et d'attente, nous avons pu le retirer de la douane moyennant trois cents francs de droits. )) (Corr. GS, IV, pp. 558-5 5 9 ) . Quinze jours après le 2 0 décembre, cela mène au 4 janvier, date à un ou deux jours pres de l'excursion à Palma, donc du fameux orage !

Pour la suite de notre argumentation, précisons d'emblée qu'avant l'arrivée du pianino Pleyel, sur lequel il a terminé la composition des Pré- ludes, Chopin disposait à Valldemosa d'un instrument indigène : « Cho-pin joue d'un pauvre piano mayorquin qui me rappelle celui de Bouffé dans Pauvre Jacques )) écrit G, Sand 128 décembre 18381 à Mme Marliani (Corr. GS, IV, p. 537) .

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74 JEAN-J A C Q U E S EIGELDINGER

le compositeur ava it signé pour les 24 Préludes un contrat d'exclu-sivité (France et Angleterre) avec leur dédicataire, Camille Pleyel,

qui lui avait fourni une avance sur la somme convenue. Or Cho-pin avait hâte d'honorer ce contrat, pressé qu'il était par desimpératifs financiers ; une semaine après son arrivée à Majorque,il annonce à Fontana (15 novembre 1838) l'envoi du manuscritdans une bref délai. Mais Chopin n'a pu que très peu composerà Palma l0 : trois déménagements en cinq semaines, l'absence d'unpiano convenable et surtout un état de santé déplorable n'étaientpas des conditions propices à la création. C'est seulement à partirde l'établissement à Valldemosa (15 décembre 1838) qu'il s'est

adonné à la composition de manière suivie, s 'attachant d'abordà corriger et compléter l1 la collection des 24 Préludes, et cecijusqu'au 22 janvier 1839, date de l'envoi du manuscrit mis à

jour. Fait remarquable, jusqu'à cette date non comprise, toutesles lettres m ajorquaines qui parlent nom mém ent de compositions l2

mentionnent exclusivement les Préludes ! Chopin attend de lesavoir terminés pour faire état d'autres œuvres en chantier, écri-van t à Fontana : (( Je t'envoie les Préludes. [...] Dans quelquessemaines, tu recevras la Ballade [op. 381, des Polonaises [op. 4011

e t 21 e t un Scherzo [op. 391. » l3 Ainsi donc, le compositeur concentreses forces sur l'achèvement et la mise au net des 24 Préludes dansles derniers jours de 1838 et les trois premières semaines de 1839.On a vu que l 'orage en tra it précisément dan s cette période. Aussiy a-t-il de fortes chances pour que l'improvisation relatée parG. Sand ait fourni la matière d'un Prélude qui manquait encoreà la collection.

Reste l'épineux problème de l'identification. Ici l'unanimité est

IO . La seule œuvre dont on sache positivement qu'elle a été composéeà Palma est la Mazurka op. 4112, dont l'esquisse autographe (coll. G . Pia-tigorski, Los Angeles) porte la mention : Pa lm a, 28-gbre .

I I . Si les avis divergent toujours sur ceux des Prélt.des qui ont été composésh Majorque (cf. M. J. E. Brown, a The Chronology ... I), p. 424 ; G. BELOTTI,op. ci t . , p. 215), aujourd'hui on s'accorde généralement à penser que Cho-pin n'y a pas créé plus de quatre ou cinq PrBludes. C'est faute d'informationssur le sujet que J . Iwaszkiewicz ( C h o p i n [Paris, Gallimard, 19661, p. 219)considère l'op. 28 comme ayant été écrit « dans son entier 11 à Majorque.

1 2 . - à Fontana (Palma, 15 novembre 1838), Corr . FC , I I , p. 266 ;- à Fontana (Palma, 3 décembre 1838), Corr. FC, II , pp. 274-275 ;-à Fontana (Valldemosa,28 décembre 1838) :

«I l m'est impossible det'envoyer les Préludes ; ils ne sont pas finis. Ma san té est meilleure,

je va is me dépêcher [...] 1) ( C or r . F C , II, p. 284 ; souligné par nous).13. C w r . FC, II , pp. 287-288. La date du 1 2 janvier qui figure dans ce tte

édition est erronée ; en fait il s'agit du 22 janviex, comme l'a montré A. HED-LEY (Chopin, q e éd. [London, Dent, 19571, p. 80 et note 1 ) .

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encore loin de s'être faite. Les positions adoptées varient considé-rablement au gré des époques, des tendances ou écoles, des sources,

du degré d'information et du caractère propre à chaque ouvragequi touche à la question. Selon les auteurs, on passe (avec desnuances intermédiaires) d'une franche hostilité devant toute ten-tat ive d'identification au maintien d'une (( tradition )) reçue et nonremise en cause, d'une opinion hésitante ou péremptoire, étayéeou non, à l'examen plus ou moins poussé du récit de G. Sand.Avant de reprendre ce point, il paraît opportun de brosser unpanorama de cette diversité d'interprétations. En fait, les avis dequelque vingt-cinq biographes, musicologues, interprètes et exé-

gètes parmi les plus autorisés peuvent se ranger dans les catégoriessuivantes :

1. Refus d'entrer en matière ou indifférence à l'égard du pro-blème :

2. JACHIMECKI,rédéric Chopin et son euvre (Paris, 1g30), pp. 148-156.

B. von POZNIAK, das Studiumhopin. Praktische Anweisungen fiirder Chopin-Werke (Halle, 1g4g), p. 98.

3I.J.E. BROWN,he Chronology .., pp. 423-424.J. M. CHOMINSKI,  La maîtrise de Chopin compositeur D, Annales

Chopin 2 (1958), pp. 219-220.J. IWASZKIEWICZ,hopin (Paris, 1966), pp. 220-221.

2. On énumère les pièces qui peuvent entrer en considération(op. 2816, 8, 15 ; plus rarement 17, 19) :

G. de POURTALÈS,hopin ou le poète (Paris, 1930), p. 130.A.

COEUROY,Chopin (Paris, 1951), pp. 52, 141-144.C. WIERZYNSKI,a vie de Ch opin (Paris 1g52), p. 269.

3. Liszt - dont l'avis est souvent cité- retient le No 814.

4. On oscille entre 6 et 15 sans trancher :

H. LEICHTENTRITT,nalyse der Chopin'schen Klavierwerke (Berlin,1921-22), 1, p. 138.

A. GIDE,Notes sur Chopin (Paris, 1948), p. 53.

E. GANCHE,rédéric Chopin. Sa vie et ses auvres (Paris, 1g4g), p. 185.

14. Cf. note 4. L'opinion d e Liszt est mentionnée par Xiecks, Leichtentr itt(Frtfdtric Chopin. . .), Ganche (F rédh i c Chopin. . .), Cœuroy et Casella.

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76 JEAN- JACQUES EIGELDINGER

C. WIERZYNSKI,p. cit., p. 269.M. J. E. BROWN,h op in . A n I n d e x..., p. 113.

5. On hésite entre 6 et 15 en penchant pour 6 :

A. CASELLA,( Nota per i Preludi )) [p. 21, F. Chopin , Preludi . Revi-sione critico-tecnica (Milano, Curci, 1947).

J. M. CHOMI~SICI,reludia Chopilza (Krakdw, 1950), p. 206.

6. On se prononce pour 6 :

M. KARASOWSKI, Chopin. Sein Leben, seine Werke undriedrichBriefe (Dresden, 1877)~ I, p. 70, note 2.A. WODZINSKI,es trois romans de Frédéric Chopin (Paris, 1886)'

pp. 290-291.F. NIECKS,rederick Chopin as a M a n and Musician, 3'3 Cd. (London,

1902,) 11, PP. 45, 255.M. FREY,(( Das Regentropfen-Prélude von Chopin a, Zeitschrift für

M u s i k 87 (1920)~pp. 410-412.G. de POURTALÈS,p. cit., p. 130.

7. On hésite entre 6 et 15 en penchant pour 15

H. LEICHTENTRITT,rédéric Chopin (Berlin, ~gog), . 83.H. LEICHTENTRITT,nalyse ..., 1, p. 156.A. CORTOT,hopin. 24 Préludes op. 28 (Paris, Sénart, 1926), pp. 16,42.R. KOCZALSKI,hopin. Betrachtungen, Skizz en, Analysen (Koln, 1936).

P. 159.E. GANCHE,p. cit. , p. 165.

8. On se prononce pour 15

J. KLECZY~SKI, de œuvresrédéric CIzoPin. De l'interpré tation ses

(Paris, 1880), pp. 26-27.A. HEDLEY,Chopin , 4e 6d. (London, 1957)~ p. 79, 147.F. HOESICK, hopin . Sycie i tw6rczoi;é (Krakdw, 1965-67). II, p. 287,

note I .

A. CZARTKOWSKI Fryderyk Chopin, nouvelleZJEZEWSKA , 6d.(Warszawa, 1970), p. 578.

G . BELOTTI,( Il problema delle date .. )), pp. 203-209.

Forcément schématique, cet essai de classification ne rendcompte que de l'option finale et non de la qualité de la démarchepour y parvenir (il arrive que plusieurs auteurs modifient leuravis dans le cours d'un même ouvrage ou d'un écrit à l'autre).

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Mais il ressort de ce tableau que l'hésitation fondamentale sesitue entre les Nos 6 et 15, le No 8 ayant acquis du poids parce

qu'il est désigné par Liszt.Les récents commentateurs du Prélude (( de la goutte d'eau ))

estiment parfois superflu de citer le récit de G. Sand, sous pré-texte que l'épisode est par trop connu (si connu ... qu'il en est

déformé !) Nous pensons au contraire que sa reproduction inté-

grale, y compris les repentirs du manuscrit autographe, est indis-pensable à l'interprétation des faits. Voici donc ce texte l6 :

C'est là [à Valldemosa] qu'il a composé les plus belles de ces courtes

pages qu'il intitulait modestement des préludes. Ce sont des chefs-d'œuvre. Plusieurs présentent à la pensée des visions de moines tré-passés et l'audition des chants funèbres qui l'assiégeaient ; d'autressont [charmants et doux, pleins de tendresse et de suavité / rayé dansle ms] mélancoliques et suaves ; ils lui venaient aux heures de soleilet de santé, au bruit du rire des enfants sous la fenêtre, au son loin-tain des guitares, au chant des oiseaux sous la feuillée humide, à lavue des petites roses pâles épanouies sur [le berceau encore charg6de la neige de la veille / rayé dans le ms] la neige.

D'autres encore sont d'une tristesse morne et, en vous charmant

l'oreille, vous navrent le cœur. Il y en a un qui lui vint par une soirCede pluie lugubre [où il comptait nonchalamment les gouttes d'eautombant lourdement sans interruption sur le toit sonore de la Char-treuse / rayé dans le ms] et qui jette dans l'âme un abattement ef-froyable. Nous l'avions laissé bien portant ce jour-là, Maurice etmoi, pour aller à Palma acheter des objets nécessaires à notre cam-pement. La pluie était venue, les torrents avaient débord6 ; nousavions fait trois lieues en six heures pour revenir au milieu de l'inon-dation, et nous arrivions en pleine nuit, sans chaussures, abandonn6sde notre voiturin à travers des dangers inouïs. Nous nous hâtions

en vue de l'inquiétude de notre malade. Elle avait été vive, en effet,mais elle s'était comme figée en une sorte de désespérance tranquille,et il jouait son admirable prélude en pleurant. En nous voyant entrer,il se leva en jetant un grand cri, puis il nous dit d'un air égar4 etd'un ton étrange : (( Ah ! je le savais bien, que vous étiez morts ! a

Quand il eut repris ses esprits et qu'il vit l'état où nous étions,il fut malade du spectacle rétrospectif de nos dangers ; mais il m'avouaensuite qu'en nous attendant il avait vu tout cela dans un rêve, et

15. Nous reproduisons ici le texte de l'édition G. Lubin (G. SAND, uvvesautobiographiques ..., II , pp. 420-421). NOUSavons rétabli entre crochetsles variantes rayées dans l'autographe, e t qui sont rejetées en fin de volume,

p. 1300. Georges Lubin a bien voulu nous confirmer qu'il n'existe pasd'autres variantes pour ce passage.

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78 JEAN- JACQUES EIGELDINGER

que, ne distinguan t plus ce rêve de la réalité, il s 'était calmé et commeassoupi en jouant du piano, persuadé qu'il était mort lui-même.Il se voyait noyé dans un lac ; des gouttes d'eau pesantes et glacéeslui tomb aient en m esure sur la poitrine, e t .qu an d je lui fis écouterle bruit de ces gou ttes d'eau, qu i tom baient en effet en mesure sur letoit, il nia les avoir entendues. Il se fâcha même de ce que je tradui-sais par le mot d'harmonie imitative. Il protestait de toutes sesforces, et il avait raison, contre la puérilité de ces imitations pourl'oreille. Son génie éta it plein des inystérieuses liarmonies de la na tur e,traduites par des équivalents sublimes dans sa pensée musicale etnon par une répétition servile des sons extérieurs. Sa compositionde ce soir-là était bien pleine des gouttes de pluie qui résonnaient

sur les tuiles sonores de la Chartreuse, mais elles s'étaient traduitesdans son imagination et dans son chant par des larmes tombant duciel sur son cœur.

Avant tou te chose , on admire ra l ' envol , l a pu i s sance d 'évoca-

t i o n e t l a b e a u t é l i t t é r a i r e d e c e t t e p a g e . L a p l u m e d e G. S a n d

n 'a pa s tou jou rs é té auss i heureuse , e t s 'i l l u i a r r ive ic i de s ' exa l t e r

pa r en dro i t s , c 'e s t e n propor t ion de l ' in tens i té avec l aque ll e le

m om e n t r e v i t da ns s a mé moi re . Comm e nt ne p a s r e ss en ti r l e po ids

e t l a q u a l it é d u v é c u q u i a ni m e c o n s ta m m e n t c e s m o t s ? Les l ignes

consacrées aux Préludes e n g é n ér al la mér i te ra ien t un déve loppe-m e n t à par t qu i excède l e s l imi tes du présen t a r t i c l e . Re tenons

seu lement ce t t e phrase insp i rée pa r ce r t a ines p ièces : (( e n v o u s

charmant l 'ore i l le , [e l les ] vous navrent le cœur . )) A elle seule

ce t t e b rève no ta t ion t émoigne d 'une au thent ique sens ib i l i t é mus i -

16. Ici le texte de G. Sand demande à être interprété : à l'évidence, ellen'entend pas parler exclusivement des Préludes composés à Valldemosa,

mais de ceux qu'elle y a entendu résonner sous les doigts de Chopin. Indé-pendamment de toute préoccupation chronologique, sa poétique paraphrasetraduit souvent avec bonheur le climat musical de plusieurs Préludes :

... des v is ions de moines trépassés e t l 'audi t ion des chants funèbres quil'assiégeaient (NO 15 - section centrale -, No 20).... rnélancoliques et suaves (NoS 6 , 13 , 2 1)

... a u son lo in ta in des gui tares (No 1 7 , compris comme un Nocturne-séré-nade plutôt que comme une Romance sans paroles - même aristo-cratisée)

. a u chant des oiseaux sous la feuil lée hu mi de (Nos 3 , 5)

... d'une tristesse morne (hTO4 ) .Ces notations ne sont pas d'une plume qui vagabonde au gré de sa fan-

taisie ; G. Sand a voulu rendre par là des impressions précises liéesà

desPréludes déterminés. Un texte inédit - nous le publierons sous peu - deSolange Clésinger, la fille de G. Sand, en apporte la confirmation : « GeorgeSand avait donné un titre à chacun des préludes admirables de Chopin.Ils ont été conservés sur un exemplaire donné par lui. )I Ce document, quiserait capital, n'a malheiireusement pas été retrouvé jusqu'ici.

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cale l7 e t d 'une pénétration insoupçonnée d e l 'art e t de l 'esthé-tique de Chopin. On remarquera aussi que les dernières phrases

du texte sont de nature à dissiper tout malentendu touchantune quelconque (( imitation )) de la pluie dans l ' improvisation ducompositeur. D'autre part, si les trois corrections du manuscritobéissent à un souci stylistique (concision), on observera que lapremière et la troisième répondent tout autant à une exigencede précision et de véracité. Ceci nous engage à considérer avecégards les termes dans lesquels la romancière dépeint la pluie etses répercussions sur l'état psychique de Chopin comme sur sonimprovisation. Ce sont là les points névralgiques du récit en ce

qui concerne l'identification du Prélude.Que le site de Valldemosa, les conditions de séjour et une santé

délabrée aient exacerbé le tempérament hypernerveux du compo-siteur, c'est ce qui ressort d'une lettre célèbre de Chopin nonmoins que de l'Histoire de ma vie 18. L'orage diluvien, l'absencede G. Sand et l'aspect insolite du cloître nocturne étaient desmotifs plus que suffisants pour déclencher chez Chopin une crised'angoisse, entraînant une sorte d'état second où domine l'obses-sion de la mort 19. Voilà les éléments psychologiques saillants du

17. Sur l'importance de la musique chez G . Sand, sa culture et ses rela-tions musicales, cf. Th. MARIX-SPIRE,es Romantiques et la musique. Lecas George Sand (Paris, Nouvelles Editions Latines, 1954).

18. Chopin écrit à Fon tana (28 décembre 1838) : a Tu peux m'imaginer,entre les rochers et la mer, dans une cellule d'une immense chartreuseabandonnée [...] Ma cellule, en forme de grand cercueil, a une énorme voûte[...] Silence. . . on peut crier ... silence encore. En un mot, je t'écris d'un endroitbien étrange. [...] Ils ne sont pas nombreux ceux qui ont effarouché les aiglesplanant chaque jour sur nos têtes. n (Corr. FC, II, pp. 282-285).

De son côté, G. Sand note dans le paragraphe qui précède le passagesur les Préludes : e [...] il ne pouvait vaincre l'inquiétude de son imagina-tion. Le cloître était pour lui plein de terreurs e t de fantômes, m&mequandil se portait bien. 11 ne le disait pas, et il me fallut le deviner. Au retourde mes explorations nocturnes dans les ruines avec mes enfants, je le trou-vais, à dix heures du soir, pâle devant son piano, les yeux hagards et lescheveux comme dressés sur la tete. Il lui fallait quelques ins tan ts pournous reconnaître. / Il faisait ensuite un effort pour rire, et il nous jouaitdes choses sublimes qu'il venait de composer, ou, pour mieus dire, desidées terribles ou déchirantes qui venaient de s'emparer de lui, comme à

son insu, dans cette heure de solitude, de tristesse et d'effroi. 11 (Euvresautobiographiques..., II, pp. 419-420). Malgié son ton général, cette évoca-

tion contient en germe l'épisode de la goutte d'eau, auquel il s'appliquedéjà pour une bonne par t.

19. Fondamentalement ancrée en Chopin, l'obsession de la mort éclateà plein dans les pages hallucinées de son (1 carnet de Stuttg art )) [Septembre18311, contemporain de la chute de Varsovie (cf. Corr. FC, 1, pp . 278-283).Outre la notation de Valldemosa sur la cellule e en forme de grand cercueil »,

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80 JEAN-J A C Q U E S E I G E L D I N G E R

récit, auxquels s'ajoute l'effet calmant de l'improvisation. Quantaux notations évoquant la pluie (soit (( objectivement )) soit à

travers Chopin), elles sont très circonstanciées : tantôt quanti-tatives (sans interruption), plus souvent qualitatives (lourdement ;des gouttes d'eau pesantes et glacées ; qui tombaient en mesure- pa r deux fois !). Dès lors le problème se pose ainsi : ces donnéespsychologiques et descriptives peuvent-elles s'appliquer globale-ment à la substance musicale d'un des Préludes ?

En musicien plus sensible à l'esprit qu'à la lettre, Liszt a retenula couleur Sturm und Drang du récit, et non le détail des quali-ficatifs réservés à la pluie. Son imagination n'a pas tant été frappée

par les circonstances matérielles que par leur répercussion affec-tive sur le compositeur (inquiétude de Chopin sachant la femmeaimée dans le péril de l'orage). C'est pourquoi Liszt identifiel'improvisation avec la matière du Prélude NO 8, dont l'ostinatoryth m iqu e, la pulsation fiévreuse et le caractère à la fois héroïquee t désespéré exp rime nt une so rte de rafale (ruissellement de petitesnotes à la m ain dr oite ), mais intériorisée. Le choix de Liszt s'esten outre porté sur ce prélude parce qu'il en admirait la factureet les innovations d'écriture. L'interprétation du maître hon-

grois est donc celle d'une artiste créateur - combien visionnaire,lui aussi - et non celle d'un ... simple musicologue !

Le P ré lude NO 6 se présente comme une élégie où la m ain gaucheconduit un chant de violoncelle sous les notes répétées deux pardeux de la partie supérieure. La pièce se déroule toute entièredans un climat de demi-teinte (l 'autographe 20 ne comporte quedeux indications de nuances : sotto voce au début et pp à l 'avant-dernière mesure). Nulle trace d'angoisse ou d'hall'ucination danscette page doucement automnale ou pour mieux dire (( mélanco-lique e t suave D. A l'inverse de Liszt, ceux qui voient ici le Préludede la goutte d'eau prennent exclusivement en considération l'élé-ment notes répétées, sans avoir égard au caractère du morceau.Or, même arbitrairement isolée de son contexte mélodique et har-monique, cette répétition ne correspond pas aux données des-

on relèvera ce fragment d'une lettre à Fon tana [g-IO août 18411 : « J'airêvé naguère que je mourais dans un hôpital, et c'est si bien resté gravé

dans mon esprit qu'il me semble que c'était hier. 1) (Corr . FC , I I I , p. 63).Nous n'entrerons pas ici dans la problématique des œuvres de Chopin oùcet te obsession de la mort s'exprime sous des aspects très divers.

20 . Conservé à la Biblioteka Narodowa de Varsovie. Reproduction dansla collection Faksymilowane wydanie autografdw F. Chopina, cahier I

(Krakow, P .W .M . , 1g51), p. 6 pour le Prélude NO 6.

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criptives de G. Sand. Loin de produi~eun martèlement égal et

pesant, elle styliserait plutôt le tintement d'une clochette de

couvent. Le manuscrit de C1-iopii-i spécifie ce phraséA - -

mes. 1

qui implique un affaiblissement et un léger écourtement de la

seconde croche. L'effet sonore des deux dernières mesures évoque

irrésistiblement d'ultimes battements atténués qui se détachentsur le fond du silence établi :

Le Prélude 15 occupe une place a part dans la collection, dont

il est le plus développé, avec le NO 17. C'est un des seuls, sinon

le seul, à se tenir en soi indépendamment de toute juxtaposition

et par là, à pouvoir être joué isolément 21. Il présente aussi le cas

unique d'une structure franchement bithématique 22. On le rap-

proche souvent du NO 13 en attribuant aux deux pièces un climat

de Nocturne à cause de leur mélodie soutenue, de leur écriture

2 1 . Chopin n 'a jamais exécuté en public la total ité des 24 Préludes ; maisil aimait à en enchaîner quelques-uns (les programmes ne précisent paslesquels). Il a certainement exécuté le S o 15 parmi d'autres pièces de l'op 28dans son récital du 26 avril 1 8 4 1 (compte rendu de Liszt) e t lors de sondernier conceit à Paris, le 1 6 févier 1 8 4 8 . Par la presse contemporaine, onsai t qu'il a joué isclément le Prélude Ijdans son concert parisien du 2 1 février1842 et à Glasgow (27 septembre 1 8 4 8 ) . On peut ad mett re avec G. BELOTTI(op. . cil, p. 1 7 4 , note 6 4 ) que le Prélude en ré bémol est désigné par l'indi-cation Andante sos tenuto , inscrite aux programmes des 23 juin et 7 juilletà Londres.

22 . Les Préludes 1 3 , 1 7 e t 21 comportent bien une seconde idée (plutôtque thème), mais étroitement liée au motif principal dont elle constitueun prolongement ou unc manière de développement.

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- -

c'est que cette section B est l 'élément déterminant - on seraittenté de dire préexistant - de la composition toute entière.

L'architecture relativement complexe de l 'œuvre ne s'est assu-rément pas donnée spontanément sous cette forme au cours del'improvisation d'un Chopin en proie à l'angoisse et à l'hallucina-tion. Tel que nous le connaissons, le Prélude 15 ne peut qu'êtrele résultat d'une élaboration parfaitement lucide et logique. Cetteconstatation a son importance en vue d'une utilisation judicieusedu témoignage de G. Sand, qui, de toute évidence, entend parlerd'une improvisation.

Ayant établi que la partie B représente le cœur du morceau,

voyons comment elle s 'articule par rapport à A et quels en sontles élémen ts constitutifs. D'emblée s'instaure la tona lité de do dièsemineur, qui ne s'affirmera jamais conclusivement, les cadencesétant toutes suspensives. La cantilène de A , qui s 'épanouissaitdans le registre du soprano, faite place en b à une mélodie endoubles notes (quinte à vide comme cellule génératrice), tasséedans le grave et poursuivant de phrase en phrase son impertur-bable démarche par noires. Les notes qui se répétaient par inter-mittence dans l 'accompagnement de A passent au premier plan

en B, où elles occupent le dessus (b) et se font entendre sans inter-ruption avec une régularité absolue. Alors que A se maintenaitto ut au long dans une nuance p i a n o , b est mû par un gigantesquec r e s c e n d o ménagé selon une progression continue du so t to voce au ff ;

la culmination en est soulignée par l 'augmentation rythmique duchant de basse en blanches (mes. 40-43 ; 56-59) et par les seulesmodulations de b (brusque coloration de mi m aj. a van t la cadenceen sol dièse min.). Cette section B est incontestablement celle quicorrespond le mieux aux données à la fois psychologiques et des-criptives de G. Sand. A tous les niveaux, les moyens musicauxici mis en œuvre concourent à créer un climat d'hallucjnation oùs'impose une vision fantomatique et glaciale qui prend corpsimplacab lemen t jusqu'au paroxysm e d e l'angojsse (fin de b), pourentraîner sa retombée (br-b") 24 . Quant au so l # (passant à si,

24. Les strophes finales du quatrième « Spleen » des Fleurs du maloffrent une progression qui crée un climat poétique et psychologique étran-

gement apparenté à celui du Pr6lude 15 dans sa partie centrale :

L...l Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, E t qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

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84 JEAN-JACQUESEIGELDINGER

mes. 40-43 et 56-59 ; puis à do #, mes. 711, il ce répète continûment

à raison de huit croches par mesure, en un martèlement pesant

et parfaitement égal qui s'accorde bien à la description de G. Sand.Peut-on s'autorise1 de ces concordances entre le texte littéraire

et l'œuvre musicale pour en déduire que seule la partie centrale

du Prélude renferme la substance de l'improvisation de Chopin ?Respectueux du mystère de la composition, nous ne saurions

franchir ce pas du moment qu'aucune esquisse préparatoire n'est

conservée 25 .

On l'a vu, h et B sont dans des termes d'opposition et de complé-

mentarité, ou si l'on préfère, présentent chacun les deux faces

d'une même chose (effet comparable, mais inversé, de la fMarchefunèbre et son trio dans la Sonate op. 35). En l'absence de tout

lien thématique, les seuls éléments d'unification entre les deux

sections résident dans leur rapport tonal d'une part, et dans la

répétition d'une note synonyme d'autre par t . C'est la persistance

et la transformation de ces deux facteurs de cohésion qui peuvent

nous livrer le sens de l'œuvre. Le couple enharmonique do dièze

min.-ré bémol maj. exprime chez Chopin une relation de tension-

détente, manifeste dans plusieurs autres coinpositions (Polonaise

op. 2611 ; Scherzo op. 39 - quasi contemporain de notre Pré-lude ! - ; Valse op. 6412 ; Fantaisie-Iq5rompt.u op. 66). Pour

être déterminé, le lieu tonal de B (do dièse min.) reste en suspens

Des cloches tout à coup sau ten t avec furie E t lancent vers le ciel un affreux hurlement Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- E t d e longs corbillards, sans tambour ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau ncir.

Ce rapprochement n'engage que nous et ne veut en aucune manière(1 illustrer » la composition de Chopin ( nous savons combien il répugnaitaux titres et interprétations littéraires de sa musique). Il s'agit seulementd'un parallèle entre deux sensibilités qui semblent se rejoindre sur unpoint. Dans son Chopin e t L)elacroix (Paris, Académie Polonaise desScierices - fasc. 34 -, 1 9 6 3 ) ~J . Starzynski a esquissé une parenté spiri-tuelle entre Chopin et Baudelaire.

25 . Les repentirs de l'autographe (pp. 19 -21 ; cf. note 20) n'autorisentpositivement aucune déduction. Que la section 6'-bu soit la plus chargéede corrections ne prouve rien, ces corrections s'appliquant presque toujoursà l'orthographe et non à l'idée muricale. E n dépit de ces repentirs, le manus-crit témoigne d'une rédaction suffisamment achevée pour postuluer uneesquisse antérieure.

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et ne s 'affirme pas davantage que l 'espace d'un cauchemar. Aucontraire, A (ré bémol ma j.) se meu t à l'intérieur d'un cadre soli-

dement délimité par des cadences V-1 (mes. 8, 9-10, 11-12, 15-16,19-20). Comme le rêve postule la réalité, de même la vision hallu-cinée (B) implique un retour à l'état conscient (A') qui préexis-ta it (A). La forme tripa rtite A-B-A' semble bien traduire l 'expé-rience vécue par Chopin, qui canalise la substance de son impro-visation dans une œuvre parfaitement équilibrée. Le glissementde la réalité à l'hallucination n'e st pas seulem ent signifié pa r l'en-harmonie, mais encore, au départ de B, par la quinte à vide (com-mune à ré bémol ma j. qu'on qu itte et à do dièse min . où l'on e ntr e),

no m an's land t on al q ui efface les frontières en tre les de ux m ondes(G. Sand : (( il m'avoua ensuite qu' [...] il avait vu tout cela dansun rêve, et que, ne distinguant plus ce rêve de la réalité [...]).Quan t a u la b-sol # répété, il constitue le fil conducteur qu i perme tde passer de l'état de conscience à un ét at second. Sous la canti-lène berceuse (ré bémol m aj. !) e t appare mm ent sereine de A, le la b

insistant trad uit , sinon des gouttes de pluie, du m oins une inqu iétudesous-jacente qui tourne à l'obsession en B. Ici le sol # triomphe,et pa r les registres occupés et par la situation rythm ique, harmonique

et dynamique qui préside à sa répétition. D ans ces conditions,on est en droit d'attr ibuer à cette note obstinée une significationd'idée fixe e t dévastatrice q ui débouche sur le spectre d e la mo rt 26.

Où donc situer la goutte d'eau, demandera-t-on finalement ?Bien davantage que dans le Prélude, c'est dans Histoire de m avie qu'elle figure en tant qu'occasion de l'improvisation. L'œuvremusicale, quant à elle, resti tue les effets psychiques de l'orage- que Chopin ne semble pas avoir perçu consciemment (G. Sand :

(( quand je lui fis écouter le bruit de ces gouttes d'eau, qui tom-baient en effet en mesure sur le toit, il nia les avoir entendues. s)

En définitive, le Prélude en ré bémol apparaît comme un poème

26. La répétition obstinée d'une note en ta nt que traduction musicale del'obsession de la mort intervient dans de nombreuses compositions à supportlittéraire. Entre autres exemples particulièrement éloquents, on citera :Schubert, D e r T o d u n d d u s M a d c h en (marche de la Mort qui s'empare de

la jeune fille) ;

Schubert, « Die liebe Farbe » (la couleur verte comme symbole des espé-rances mortes), Die schone Müllerin, NO 16 ;

Schubert, Erlkonig (le Roi des aulnes, incarnation de la Mort captatr icede l'enfant) ;

Moussorgsky, Trepak » (la Mort se saisit d'un miséreux), Chants e t dansesde la m or t . No I :

Ravel, e »e ' ~ i b e tglas associé au balancement du pendu), Gaspard del a n u i t , NO 2 .

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86 JEAN-JACQUES EIGELDINGER

musical de l'idée fixe, où le rythme régulier de la pluie s'est mué

en pensée obsédante, e t où les gouttes d'eau (( pesantes et glacées ))

sont devenues synonymes de mort. G. Sand ne veut pas direautre chose, lorsqu'elle écrit dans son langage de romancière :

(( Sa composition de ce soir-là était bien pleine des gouttes de

pluie qui résonnaient sur les tuiles sonores de la Chartreuse, mais

elles s'étaient traduites dans son imagination et dans son chant

par des larmes tombant du ciel sur son cœur. ))

Résumons-nous. Le Prélude 15 est bien celui qui a pris nais-

sance dans les circonstances relatées par G. Sand. Le témoignage

d'Histoire de ma vie n'a pas lieu ici d'être suspecté mais demande

à être interprété. I l s'applique à une improvisation qui a précédéla phase finale de l'élaboration. Poème visionnaire de l'idée fixe,

la composition peut légitimement s'intituler « Prélude de la goutte

d'eau )) à condition que cette dénomination ne s'attache pas tant

à la substance musicale de l'œuvre qu'aux circonstances de son

éclosion.

Il reste à examiner un document inédit qui identifie le Pré-lude 15 avec celui (( de la goutte d'eau ». Il figure dans les parti-

tions annotées d'une élève polonaise de Chopin, Zofia Rosengardt

(1824-1868), venue à Paris en 1843 dans le but de travailler avec

lui. Inexplorées jusqu'ici 27, ces éditions sont conservées à la Biblio-

thèque Polonaise de Paris.

Elles ont été léguées par Maryla Bohdana Okiriczye (décédée en 1949),fille adoptive de Dionizy Zaleski, lui-même fils du poète Bohdan Zaleski

et de Zofia Rosengardt-Zaleska. Le lot compte 35 opera de Chopin, la

plupart dans l'édition originale française (majorité) ou allemande. Cesœuvres sont les suivantes : op. 1, IO, 13, 14, 17, 20, 25 (deux exemp'aires,dont l'un dans l'édition Lemoine, non originale), Trois Nouvelles Etudes

sans NO d'op., 27, 55, [28], 29,30, Mazurka ((NotreTemps » sans Nod'op.,

31, 32, 33, 36, 38, 40, 45, 211 53, 57, 62, 65, 43, 63, 60 , 59, 2, 47, 23,51, 15. Elles sont cataloguées dans cet ordre sous les cotes : F .N . 15811-15842.

Seize cahiers renferment des annotations au crayon (doigtés ; indica-

tions agogiques et dynamiques ; signes de pédalisation ; brèves nota-tions en français touchant le caractbre ou la technique) dues à trois,

peut-être quatre mains différentes. L'une des écritures est vraisembla-

27. Elles font l'obje t d'une brève mention dan s l'article de Kr. Koby-laiiska, ii Chopin in French Collections D, Pol isk Music 5 ( I Q ~ o ) , 4 , p. 18,o

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blement celle de 2. Rosengardt, dont les chiffres ressemblent parfois à s'yméprendre à ceux tracés par Chopin dans les exemplaires d'autres élèves.Dans quelques cas, certains doigtés et indications diverses semblentautographes de Chopin ; mais c'est là une question très délicate àtrancher, qui attend d'être étudiée minutieusement. On peut néanmoinstenir pour assuré que ces éditions n 'ont pas seulement servi dans lesleçons avec Chopin, mais qu'elles ont été utilisées ultérieurement par2. Rosengardt dans son propre enseignement et, qui sait, par ses descen-dants. Un point ne fait pas de doute : c'est la dédicace autographe aucrayon sur la page de titre de la Sonate op. 65 pour piano et violoncelle :

Puni Zaleskiej [à Madame Zaleska

16 Stycznia 48 16 janvier 481

Ch

L'exemplaire du second livre des Préludes (éd. Catelin) porteclairement écrit en tête d u No 15 le mot Deszczowy, adjectif polonaisqui signifie (( pluvieux ».Comme on pourra en juger par la repro-duction ci-contre, l'inscription est disposée à la manière d'untitre . Est-elle de la main de Chopin ? Si l 'on parv ena it à en apporterla démonstration irréfutable, le long débat sur (( la g outte d'eau ))

serait définitivement clos. Or, dans le cas présent, l 'authentifica-

tion du graphisme n'est pas dissociable du problème soulevé parla présence de cette inscription dans une partition d'élève. Ce'second élément, surtout, invite à la prudence. Sur le plan del'identification graphique, on sa it combien il est malaisé d e tra iterun mot isolé, noté au crayon de surcroît (l 'écriture de quiconquevarie peu ou prou selon qu'elle est cursive ou appliquée, maisaussi selon qu'elle e st tracée à l 'encre ou a u crayon !) E n fai t d 'anno-tations au crayon de la main de Chopin, on ne connaît guère quetro is agendas de poche (1834, 1848, 1849) do n t l'écriture e st cursivele plus souvent, et quelques rares billets très courts. Le tracé denotre Deszczowy paraît assez conforme à l'écriture soignée de'Chopin : rectiligne, penchée en avant, les lettres un peu écraséeset liées le plus possible. La succession zcz et la terminaison wysont très caractéristiques ; le tracé du D initial aussi, à ceci prèsque manque la boucle généralement formée par Chopin au bas

f i

du tra it vertical : .Le graphisme d'ensemble s 'appa rente

de près à celui de la dédicace de l'op. 65 (au crayo n, cas exception-nel chez Chopin ), dont le trait est cependant plus fin et moinsaccusé. Un crayon différent a été utilisé dans les deux cas. Notonsenfin que ce sont là les deux seules inscriptions en polonais dulot tout entier. Global ou' analytique, l 'examen graphique parle

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Début du Prélude op. 28/15 dans l'exemplaire de Zofia Rosengardt, avec l'indicationmanuscrite Deszczowy (Bibliothèque Polonaise, Paris).

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elles se poursuivent et s'espacent jusqu'en mai 1844. En décembre

de la même année, Bohdan Zaleski doit intervenir auprès du

compositeur pour qu'il reprenne les leçons ; elles cessent, défini-tivement semble-t-il, à la fin d'avril 1845. Chopin ne s'est donc

pas montré très empressé ~2 de cultiver le talent de cette élève

douée et capricieuse. Il n'en a pas moins continué d'entretenir

de loin en loin des rapports cordiaux avec elle, à la faveur de

relations communes : St. Witwicki et B. Zaleski. On trouve la

signature de Chopin en tant que témoin au mariage civil (26 no-

vembre 1846) et religieux (28 novembre, à Saint-Roch) de Z. Roseil-

gardt et B. Zaleski. Dans une lettre à sa famille (19 avril 1847),

il communique des nouvelles de la jeune mariée 33 ; enfin, le 16 jan-vier 1848, il lui fait hommage de sa Soltate op. 65, qu'il devait

exécuter un mois plus tard dans son dernier concert parisien. Au

vu de ces circonstances, quelles raisons pouvaient inciter Chopin

à noter ce Deszczowy dans la partition de son élève ? On sait que

l'épisode de Valldemosa n'a ité divulgué publiquement qu'en 1855par la parution d'Histoire de ma vie. Il parait à peu près exclu

que Chopin ait directement raconté l'histoire à 2. Rosengardt,

précisant par écrit de quelle pièce il s'agissait. Mais peut-être au

cours d'une leçon sur le Prélude 15, le maître, qui recourait volon-

tiers à une brève image ou comparaison pour rendre sensible le

climat d'un morceau 34 , aura-t-il suggéré la chute répétée d'une

goutte de pluie et coté Deszczozoy dans le cahier de sa compa-

triote, gardant par devers lui le contexte de l'épisode. Que le récit

en ait circulé dans l'entourage proche de Chopin et de G. Sand,

voilà qui est assez vraisemblable. A ce cercle appartenait un petit

groupe d'écrivains polonais comprenant (dans l'ordre d'intimité)

St. Witwicki, A. Mickiewicz, B. Zaleski et plus lointainement

K1. Hoffman-Tanska, c'est-à-dire précisément le milieu dans

lequel Z. Rosengardt évoluait dès avant son mariage. Elle aurait

ainsi pu connaître l'anecdote et demander à Chopin de lui préciser

quelle pièce de l'op. 28 se trouvait concernée. Nous pencherions

plutôt pour cette dernière hypothèse, moins immédiate mais plus

plausible que la précédente.

En face de ces conjectures, un fait demeure acquis : lors de ses

années d'études à Paris (1855-6z), J. Kleczynski a reçu les conseils

32. Cf Covv. FC, 111, pp. 131 (et ilote 136), 145, 148, 184-186, 190-191.

33 . C O Y Y .F C , III, p. 273,.34. On en t rouvera plusieurs exemples clans not re ouvrage : Chop i n vu

par ses élèves (Neuchâtel, La Baconnière, 1g70), aux pp. 19, 85, gr, 98,100, 1 0 2 .

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go J E A N - J A C Q U E S E I G E L D I N G E R

pianistiques de 2. Rosengardt-Zaleska, ainsi qu'il l'atteste lui-

même 35. Or Kleczynski, qui fait état du récit de G. Sand, se trouve

être le premier en date à soutenir que le Prélzlde 15 est bien celuide la goutte d'eau. La filiation est significative : elle permet de

déduire que Zofia Rosengardt est une source, contemporaine de

Chopin (!), de l'interprétation en faveur du N O 15.- Si notre

Deszczowy ne se prête pas facilement à une authentification péremp-

toire et dé finitive, il constitue un documelzt nouveau et unique

avec lequel il faut désormais compter dans l'identification du

Prélude (( de la goutte d'eau ».

3 5 . J . KLECZY~~SKI .~ L d L r i cCh op in , De l 'in terpré ta tion ...., pp. 46-47,