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Caroline DELAGE Trinôme académique Montpellier 11/12/2017 1 LE PROCHE ET MOYEN ORIENT L’ARME « DEMOGRAPHIQUE » EN QUESTION MYTHE OU ENJEU GEOPOLITIQUE VERITABLE ? L’expression d’ « arme démographique », parce qu’elle est percutante, est régulièrement utilisée, notamment à propos du Moyen-Orient et le plus souvent dans le cas du conflit israélo-palestinien où l’on va même jusqu’à parler de « guerre démographique ». Je me suis donc demandée ce que recouvrait cette expression peut-être galvaudée et quelles réalités géographiques et historiques on pouvait lui associer. Le terme d’ « arme » est-il usurpé quand on parle de démographie ? S’agit-il simplement de se poser la question de la force du nombre ? Si cela s’arrête à ça, rien n’est nouveau : infériorité et supériorité numérique ont toujours été l’une des composantes principales des stratégies en cas de conflits armés. Mais la notion de démographie ne renvoie pas qu’au nombre : elle renvoie au comportement démographique des sociétés, en termes de natalité, mortalité, fécondité, etc. La question démographique appliquée au PMO est d’autant plus sensible que cette région Programme de Terminale Histoire : - L/ES : Thème 3 – Puissance et tensions dans le monde de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours. 2 e chapitre « Un foyer de conflits » : le PMO, un foyer de conflits depuis la fin de la Première Guerre mondiale - S : Thème 3 - Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945. Même chapitre sur une période plus courte. La démographie de manière générale ne peut pas permettre de traiter l’ensemble de cette question. Néanmoins elle apparaît en filigrane, à travers tous les enjeux de ce chapitre : elle est liée aux enjeux politiques, économiques, idéologiques qui traversent cette région. Egalement, la question démographique peut être à la fois cause et conséquences des tensions qui la déstabilisent et en ce sens, la question de la démographie comme arme – terme à questionner - peut être abordée. Enfin, c’est un chapitre d’histoire, et de fait parler de démographie implique de se replacer sur la durée d’une à plusieurs générations, induisant une sorte d’approche en somme géo historique.

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Caroline DELAGE Trinôme académique Montpellier 11/12/2017

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LE PROCHE ET MOYEN ORIENT

L’ARME « DEMOGRAPHIQUE » EN QUESTION

MYTHE OU ENJEU GEOPOLITIQUE VERITABLE ?

L’expression d’ « arme démographique », parce qu’elle est percutante, est régulièrement

utilisée, notamment à propos du Moyen-Orient et le plus souvent dans le cas du conflit

israélo-palestinien où l’on va même jusqu’à parler de « guerre démographique ».

Je me suis donc demandée ce que recouvrait cette expression peut-être galvaudée et quelles

réalités géographiques et historiques on pouvait lui associer.

Le terme d’ « arme » est-il usurpé quand on parle de démographie ? S’agit-il simplement de

se poser la question de la force du nombre ? Si cela s’arrête à ça, rien n’est nouveau :

infériorité et supériorité numérique ont toujours été l’une des composantes principales des

stratégies en cas de conflits armés.

Mais la notion de démographie ne renvoie pas qu’au nombre : elle renvoie au

comportement démographique des sociétés, en termes de natalité, mortalité, fécondité, etc.

La question démographique appliquée au PMO est d’autant plus sensible que cette région

Programme de Terminale Histoire :

- L/ES : Thème 3 – Puissance et tensions dans le monde de la fin de la Première

Guerre mondiale à nos jours. 2e chapitre « Un foyer de conflits » : le PMO, un

foyer de conflits depuis la fin de la Première Guerre mondiale

- S : Thème 3 - Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945. Même

chapitre sur une période plus courte.

La démographie de manière générale ne peut pas permettre de traiter l’ensemble de

cette question. Néanmoins elle apparaît en filigrane, à travers tous les enjeux de ce

chapitre : elle est liée aux enjeux politiques, économiques, idéologiques qui traversent

cette région. Egalement, la question démographique peut être à la fois cause et

conséquences des tensions qui la déstabilisent et en ce sens, la question de la

démographie comme arme – terme à questionner - peut être abordée. Enfin, c’est un

chapitre d’histoire, et de fait parler de démographie implique de se replacer sur la durée

d’une à plusieurs générations, induisant une sorte d’approche en somme géo historique.

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pose problème aux démographes et tend à battre en brèche les projections et certains

clichés récurrents.

Alors parler de la démographie en tant qu’arme, c’est se poser la question de sa place dans

une approche stratégique :

- Comme moyen de faire la guerre, d’attaquer ou de défendre

- Comme outil de pression, outil de propagande

- Comme justification à l’occupation d’un espace ou à la revendication d’un leadership

régional

- Comme élément constitutif d’une idéologie politique (maîtriser la natalité)

- Sans omettre que la dimension démographique apparaît aussi comme cause et/ou

conséquence d’un conflit (migrations, hausse de la natalité ou dénatalité…)

Aborder tous ces sujets ne va pas sans soulever une difficulté : je veux parler de la coloration

idéologique que donnent certains auteurs à l’analyse démographique appliquée en

particulier au PMO. Il s’agit évidemment de faire référence à Samuel Huttington, qui dans

son Choc des civilisations, différencie entre autre ces fameuses civilisations par les critères

démographiques : ce choc serait donc aussi démographique. Réponse lui a été faite par

Emmanuel Todd et Youssef Courbage, dans leur essai intitulé Le Rendez-vous des

civilisations, sur ces critères démographiques, précisément.

Au-delà de cet affrontement intellectuel, on trouve l’expression d’ « arme démographique »

utilisée par des théoriciens d’extrême-droite pour désigner une menace présumée pesant

sur les sociétés occidentales représentée par les populations pauvres et migrantes, ou aussi

pour évoquer le danger d’une surpopulation mondiale.

Donc se poser la question de l’ « arme démographique » peut permettre de développer les

outils pour déconstruire ces clichés que l’on retrouve parfois circulant parmi nos élèves.

Je vous propose, non pas de m’appuyer sur des études de cas fouillées, mais de tenter une

approche plus globale, et donc forcément incomplète, mais qui permettra de nourrir nos

réflexions.

1. La démographie au cœur du conflit israélo-palestinien : parce que c’est le cas le plus

souvent évoqué quand on parle d’ « arme démographique »

2. Une arme idéologique ? Quelle est la place occupée par la maîtrise de la

démographie dans les régimes politiques du PMO ? Que nous apprennent les études

récentes sur l’état de la transition démographique au PMO ?

3. Ce qu’on appelle l’ « arme migratoire », brandie par certains Etats pour faire peur et

déstabiliser. Mais est-ce vraiment une « arme » ?

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1. LA DEMOGRAPHIE AU CŒUR DU CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN ?

La compétition de la fécondité entre les deux populations, particulièrement les plus

orthodoxes, est une réalité. Pour autant, parler d’arme est-il justifié ?

A. LA FECONDITE COMME JUSTIFICATION D’UNE EXISTENCE POLITIQUE ?

- Taux de fécondité israélien : il est actuellement d’environ 3 enfants par femme, ce

qui est très atypique parmi les pays industrialisés (cf. graphique Banque Mondiale

2015 des pays du Nord développé). Ce qui est aussi atypique est la remontée de ce

chiffre, tandis que celui des Territoires palestiniens, supérieur, est en décroissance.

- Ces derniers suivent une tendance à la baisse qu’on retrouve ailleurs au PMO (dont

nous parlerons dans la 2e partie). La fécondité israélienne est quant à elle

apparemment due au comportement des haredim (juifs ultra-orthodoxes, seulement

10 % des juifs israéliens) avec 7 enfants/femme environ.

- Les plus gros écarts se trouvent en effet dans les zones fortement contestées,

toujours à l’avantage, en ce moment, des Israéliens juifs. En Cisjordanie, les

Palestiniens font beaucoup d’enfants certes : 3,7 mais moins que les colons juifs dont

le nombre atteindrait désormais 750 000, avec 5 enfants/femme, « une moyenne

d’Afrique subsaharienne ». A Jérusalem, les Palestiniens de la Ville Sainte ne font plus

que 3,2 enfants, bien moins que les Juifs hiérosolymites qui en ont 4,4 (Est et Ouest).

- Est donc évoquée une « bataille démographique » que se livrent Israéliens et

Palestiniens, car si les seconds deviennent supérieurs en nombre, les enjeux sont

sérieux et le projet de création de deux Etats revient sur le devant de la scène.

- On le voit, il s’agit d’abord d’une bataille de chiffres (ce n’est pas un débat nouveau)

:

o Chiffres (de populationdata.net) : 4 816 503 hab en 2016 dans les territoires

de l’Autorité palestinienne mais les chiffres font l’objet de contestation si on

ajoute ceux de Cisjordanie, Jérusalem Est, Gaza, ce qui donnerait un peu plus

de 6 millions

o Israël : 8,680 millions d’habitants en 2017, mais pour certains, ils ne seraient

vraiment que 6 320 000 de juifs israéliens (8,323 millions selon l’estimation

des Nations Unies faite en 2015 pour 2017). Notons qu’en 1948 la population

israélienne était de 800 000 personnes. Mais cette très forte croissance

depuis 70 ans est due à l’immigration et non au dynamisme de la natalité.

- Le basculement aurait lieu aux alentours de 2020 selon les critères suivants :

o Palestine : croissance démographique de 2,80 % /an, natalité de 30.9 ‰,

fécondité de 4,1 enfants/femme (mortalité 3,5 ‰ (chiffres de 2016,

populationdata.net)

o Israël : croissance démographique de 1,98 % /an, natalité de 21,3 ‰,

fécondité de 3.09 enfants/femme (2015) (mortalité 5.2 ‰) (chiffres de 2015,

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populationdata.net). Selon les Nations Unies (site Ined, 2015, estimations

2017) : natalité 19.9 ‰, fécondité 2,95 enfants/femme

En réalité 12 millions de personnes vivent dans cet espace israélo-palestinien au total

dont

Un peu plus de 6 millions de juifs résidant en Israël

L’autre « moitié » constituée de Palestiniens de Cisjordanie (plus de 2,2

millions), de Gaza (1,6 million), de Jérusalem-Est (permis de résident accordé

par Israël, 300 000), et Arabes citoyens d’Israël (1,3 million).

Sans compter les réfugiés partis en Jordanie, au Liban, en Syrie.

- Ces chiffres changent-ils quelque chose ?

Pour les sionistes très attachés à un Etat juif, il s’agit de faire un choix qui leur permettrait de

rester majoritaires. Le problème de l’identité juive de l’Etat d’Israël est bien évidemment

posé : « Voilà qui transforme la nature du sionisme1, dont l’histoire fut essentiellement

dominée par les laïcs »2.

- L’option de l’Etat binational : il compterait la Cisjordanie en octroyant la nationalité

israélienne à ses habitants, mais sans tenir compte de Gaza (idée soutenue par une

partie du Likoud).

- La scission est-elle encore envisageable ? Pour certains, il s’agit de préserver un

territoire du mélange ethnique, de ne pas se fondre, de rester majoritaire ; pour

d’autres, il s’agit de s’étendre de manière plus agressive.

Finalement : peut-on vraiment se servir du nombre comme d’une arme ? Les autorités

politiques peuvent-elles véritablement maitriser la démographie et en faire une stratégie à

long terme ? Ou est-ce une arme plutôt psychologique ? Dans les urnes, le nombre fait

poids. Mais le nombre d’habitants ne suffit pas à orienter d’éventuelles élections.

B. LES DEPLACEMENTS DE POPULATION : UNE STRATEGIE POLITIQUE

- Le problème se joue ici à plusieurs échelles et dans différentes directions

o Jérusalem Est3 : il s’agit de grignoter l’espace, de l’occuper alors même que les

habitants y sont majoritairement musulmans (sans être citoyens israéliens).

1 Sionisme = Mouvement nationaliste juif qui revendique la création d’un Etat d’Israël.

2 Tribune de Genève, 17.11.2014

3 Conquise en 1967 et annexée par l’Etat israélien en 1980. Territoire considéré comme occupé par la

communauté internationale.

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Des projets de construction4 sont ainsi avalisés précisément dans cette zone,

pour rendre plus compliqué un éventuel partage.

o En Cisjordanie5 : le fait de coloniser s’inscrit dans une stratégie territoriale

(donc le déplacement volontaire des Israéliens dans ce cas)

Coloniser, ce fut d’abord aller occuper une zone peu peuplée mais

stratégique, ce qui fut par exemple le cas face à la Jordanie avant les

années 1970

A la fin des années 1970, des colonies s’implantent directement en

territoire palestinien, le projet étant de sectionner le territoire

palestinien alors même que les colons sont là moins nombreux que les

Palestiniens, par une sorte de frontière « humaine ». La même

stratégie est adoptée pour « encercler » certaines villes, comme

Naplouse, Ramallah, Hébron, et bien entendu Jérusalem. Puis les

colons cherchent à développer un couloir entre les colonies.

On parle aussi de « stratégie de la présence », en des lieux qui sont

très symboliques : occuper des hauteurs, nommer certains lieux

emblématiques pour les Juifs

Peut-on parler véritablement d’une arme ? En effet, dans la mesure où

ces actions sont concertées et visent un objectif stratégique envers un

adversaire. Par ailleurs, il faut préciser que l’Etat israélien n’est pas le

seul acteur à la brandir (et cela dépend de la tendance au pouvoir), car

les initiatives peuvent être privées (le groupe sioniste Goush Emounim

par exemple), et ce sujet a fait débat et suscite des oppositions

israéliennes aussi.

o A échelle internationale :

La question toujours sensible des arabes d’Israël réfugiés hors du

pays : en Jordanie par exemple

Et celle de la diaspora juive hors d’Israël, alors même que les jeunes

Israéliens tendent à partir aussi : en 2014, « quelque 30 % des

Israéliens affirment qu’ils songeraient sérieusement à quitter le pays si

une occasion se présentait. Et 64 % des personnes interrogées ne se

disent pas choquées de voir des compatriotes s’exiler »6. Quelques

centaines partis à Berlin font parler d’eux dans la presse. Les allers-

retours sont en réalité permanents depuis la création d’Israël. Il s’agit

aussi d’un enjeu de communication : on médiatise volontiers l’alyah (la

« montée » en Israël) de certains groupes, notamment après les

attentats de Paris à l’Hyper kasher qui semble avoir accentué le

mouvement, mais encore faudrait-il étudier les chiffres exacts. Le gros 4

Nof Sion : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20171026-jerusalem-est-nof-zion-construction-jabal-moukaber-quartier-palestinien 5 http://www.lesclesdumoyenorient.fr/Les-colonies-israeliennes-en.html

6 La Tribune de Genève, 17.11.2014

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de la diaspora se trouve néanmoins toujours aux Etats-Unis (environ 6

millions de juifs) et ne viendra vraisemblablement pas modifier

grandement les choses.

La notion d’arme ici se situe probablement davantage dans les déplacements de populations

induits par la compétition pour l’occupation de l’espace, et il s’agit d’une arme politique (on

parle aussi de « politiques ethniques »)

L’enjeu démographique est donc l’une des composantes importantes du conflit, à la fois

psychologiquement et spatialement. De là à parler d’une arme véritable, créée et maîtrisée

comme un outil d’attaque et de défense, cela peut être évoqué pour les colonies, mais pour

la natalité, cela reste difficile à dire.

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2. UNE ARME IDEOLOGIQUE ?

Qu’en est-il aujourd’hui plus globalement du comportement démographique des PM, et du

lien entre natalité et régimes politiques autoritaires dont certains sont islamistes rigoristes ?

La démographie des pays du PMO pourrait-elle être le fruit d’une volonté politique – des

régimes autoritaires - et d’une idéologie – l’islamisme ? (Une manière de contrôler les

populations)

A. LE CAS IRANIEN7 :

o Fécondité et Révolution islamiste : Contrairement à un certain nombre

d’idées reçues voulant que l’Iran de l’Ayatollah Khomeiny ait été un pays où

l’on ne contrôlait pas les naissances du fait d’une application rigide des lois

islamiques, on a pu observer qu’à l’inverse, c’est une politique de limitation

des naissances qui y a été appliquée peu à peu grâce à un planning familial

plus qu’efficace. Ainsi, la fécondité iranienne a chuté de moitié pendant les

années 1980, précisément au moment de la révolution islamiste, faisant de ce

pays un paradoxe : d’un côté c’est un Etat ayant instauré une loi religieuse

reléguant les femmes à un rôle totalement subalterne, qu’on aurait pu

imaginer celui de mère de famille nombreuse avant tout, et parallèlement

c’est un pays entamant voire accélérant la fin de sa transition démographique

pratiquement avant tous ceux du PMO.

7 Ladier-Fouladi Marie. « La transition de la fécondité en Iran ». In: Population, 51ᵉ année, n°6, 1996. pp. 1101-

1127. http://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1996_num_51_6_6095

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o Natalité en Iran : 51 ‰ environ en 1965, 45 ‰ environ en 1977 (la transition

est amorcée), stagnation entre cette date et 1985, puis baisse avec 38 ‰ en

1988, 33 ‰ en 1990, 30 ‰ en 1991, 25 ‰ en 1993

o Fécondité encore très élevée en 1979 (6.8 enfants/femme), qui baisse

rapidement après 1989 pour aboutir à 1,69 enfant/femme en 2015, le plus

faible des pays du PMO.

o Quels déterminants se sont combinés pour produire cette chute ?

L’âge moyen au mariage (car la fécondité hors mariage est proche de

zéro) était tombé à 9 ans pour les filles et 15 ans pour les garçons en

1979 (en respect des règles de la charia), mais il semblerait que cela

n’ait pas impacté des habitudes de mariages plus tardifs qui avaient

été prises avant la Révolution islamique

Les pratiques contraceptives : il existe une planification familiale en

Iran depuis 1967 (et une « armée de la santé ») qui avait pour objectif

la limitation des naissances 8 ans avant la Révolution de 1979 (cela

concernait surtout les femmes qui avaient déjà fait beaucoup

d’enfants : contraception d’arrêt). Que devient cet organisme en

1979 ? Il est autorisé par l’Ayatollah Khomeiny (distribution de

contraceptif seulement si l’époux est d’accord), mais sans s’engager

pour autant dans une campagne antinataliste. Cette politique

commence vraiment après la guerre Iran-Irak, en 1988, avec une

nouvelle politique démographique active (presque un tiers des

femmes utilise des contraceptifs selon les enquêtes alors effectuées

par l’Etat lui-même ; elles sont presque la moitié en 1991). La baisse

de la fécondité était déjà amorcée, en réalité (le contexte est donc

favorable : baisse de la mortalité infantile, couverture vaccinale des

enfants)

Existe-t-il un lien avec l’alphabétisation des femmes, en progrès ? Il

est probable mais pas systématique. Ce critère ne suffit en effet pas

car on observe actuellement curieusement une « résistance de la

fécondité » malgré l’élévation du niveau d’instruction aussi en Egypte,

Syrie ou Koweït. D’autres déterminants peuvent donc aller jusqu’à

inverser cet effet-là. C’est par exemple le cas de la présence des

femmes dans le monde du travail, baissant au moment des crises

économiques, de l’embargo contre l’Iran qui les provoque et entraîne

du chômage plutôt qu’un regain d’activité, puis augmentant lors de la

baisse du cours du pétrole (nécessité d’un deuxième salaire et légère

reprise du taux d’activité des femmes urbaines). Ainsi, le progrès de

l’alphabétisation des femmes n’a pas forcément une contrepartie

professionnelle. Enfin, un contexte économique dégradé peut être

décisif dans l’amorce d’une baisse de la fécondité, quel que soit le

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régime politique, car il touche en profondeur la société, femmes et

hommes qui font des choix dans l’éducation des enfants et leur

nombre à naître.

o Ainsi, l’Iran a connu une transition démographique particulièrement rapide :

baisse de la fécondité de 70 % en seulement 15 ans (de 6,4 enfants par

femme à 1,9 en 2011-2012). Les 75 millions d’habitants comptent 71 %

d’actifs (15-64 ans), 23 % de moins de 15 ans, 6 % de 65 ans et plus. C’est un

moment qualifié d’exceptionnel par les démographes puisque les conditions

sont réunies en matière du nombre d’actifs pour entraîner une croissance

économique durable.

o L’Iran des années 2010 : une volonté de retour au populationnisme ? En

2012 le guide suprême Ali Khamenei s’exprimait ainsi : « L’Iran compte

aujourd’hui 75 millions d’habitants. Mais, je dois dire que je crois que notre

pays a les moyens d’avoir 150 millions d’habitants. Je crois en une population

très nombreuse. Toutes les démarches et politiques pour contrôler la

croissance démographique ne devront être entreprises qu’après que le pays

aura atteint 150 millions d’habitants. »8 Un tel projet ferait alors l’objet d’une

loi, qui doit être adoptée par le Parlement iranien afin de devenir obligatoire

(même dans l’optique où le président, chef de l’exécutif, n’y était pas

favorable). Mais déjà, les centres de planification familiale ne distribuent

plus gratuitement des moyens contraceptifs comme ils le faisaient jusque-là.

Pourquoi un tel objectif ? En 2025, les Iraniens devraient être aux alentours

de 91 millions, avec encore une forte domination des actifs permettant de

nourrir une véritable croissance économique solide, et peut-être 101 millions

en 2050, avec certes un vieillissement mais pas de dépopulation en vue. Alors

le discours alarmiste du guide suprême semble avoir d’autres motivations

qu’une réalité soi-disant inquiétante. Il s’agit peut-être de reprendre en main

les femmes, dans un pays par ailleurs en crise économique (inflation,

chômage, niveau de vie qui tend à baisser), mais probablement surtout l’Etat

iranien imagine-t-il renforcer encore son leadership régional en pesant

encore davantage démographiquement. Encore faudrait-il qu’il puisse

inverser des tendances socio-culturelles profondes comme celles qui ont

justement mené l’Iran à presque achever sa transition démographique sous

un régime islamiste, et qui accorde par exemple aux femmes célibataires de

plus de 30 ans l’autorisation d’adoption.

Le cas de l’Iran nous enseigne ainsi qu’il faut se garder de ce double cliché, celui d’une part

d’un Moyen-Orient soi-disant au milieu d’une transition loin d’être achevée, et d’autre part

8

Ladier-Fouladi Marie, « L’arme démographique de l’Iran », Orient XXI, 27 février 2014, http://orientxxi.info/magazine/l-arme-demographique-de-l-iran,0528

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celui d’une démographie qui pourrait être à ce point contrôlée qu’elle pourrait en devenir

une véritable arme géostratégique.

B. « LE MONDE ARABE SURPREND LES DEMOGRAPHES »9 :

- Il les a surpris une première fois avec une transition démographique rapide en

cours d’achèvement. En effet on constate une convergence démographique récente

entre le monde arabe et les pays ayant achevé leur transition10, phénomène que

Youssef Courbage et Emmanuel Todd avaient qualifié de « rendez-vous des

civilisations » en 2007. Ces deux auteurs expliquaient que la transition

démographique modifiait en profondeur les sociétés et leurs aspirations politiques et

provoquaient des troubles politiques.

- Liban : de 5,6 à 1,6 enfant/femme

- Maroc : de 7.5 à 2.2

- Et même le Yémen : de 8,5 à 5

- Comparaison est faite avec des pays qui ont connu ce phénomène – de manière

beaucoup plus lente – et ont vu au même moment le nombre de gens instruits

dépasser le nombre d’analphabètes : ce basculement semble être tout à fait

déterminant et précéder presque systématiquement de 10 à 30 ans de gros

bouleversements politiques (de la Révolution française, au printemps des peuples et

aux révolutions russes). Le fait est que ces deux auteurs font ces parallèles en 2007, 4

ans avant les printemps arabes.

« Partout, l’instruction généralisée a précédé les révolutions politiques. Phénomène qui

paraît d’une grande banalité, que l’accès à l’instruction. Aujourd’hui la proportion des

jeunes dans le monde arabe, aussi bien garçons que filles, qui maîtrisent la lecture et

l’écriture est pratiquement de 100 % pas seulement dans les pays les plus avancés comme le

Koweït, le Liban, la Jordanie et la Palestine mais même dans des pays moins avancés où le

taux de scolarisation avoisine les 100%. » dit Youssef Courbage dans « Où en est la transition

démographique dans le monde arabe » en 2017

Cette transition a commencé comme traditionnellement avec une phase de baisse de

la mortalité modifiant en profondeur les manières de vivre et de prévoir son avenir.

La baisse de la fécondité qui la suit de très près montre – et on le voit en Iran – que le

pouvoir politique n’est pas à l’origine du choix des familles, qu’il y a une autonomie

de choix qui se fait en partie indépendamment d’un contexte culturel très

9 Huchon Oriane, « La démographie dans le monde arabe », les clés du Moyen Orient, 02 février 2017,

http://www.lesclesdumoyenorient.com/La-demographie-dans-le-monde-arabe-1-2.html

10 Courbage Youssef, « Où en est la transition démographique dans le monde arabe », Institut De Recherche et

d'Etudes Méditerranée Moyen-Orient, entretien d’octobre 2017, mis en ligne en décembre 2017. http://iremmo.org/publications/analyses/transition-demographique-monde-arabe-question-cruciale-societes-de-region-2/

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contraignant (baisse de la fécondité qui va de pair avec la hausse du célibat, la hausse

des mariages exogamiques – en dehors de la famille, avec les cousins par exemple).

Le modèle familial a donc évolué, le niveau d’instruction de ses membres également,

et l’autorité du chef de famille a été contestée, entraînant d’une certaine façon la

possibilité de contester celle du chef de l’Etat.

- Le monde arabe a surpris les démographes une deuxième fois depuis la vague

révolutionnaire de 2011 et une nette reprise des naissances qu’on peut appeler

« contre-transition » dans certains pays comme l’Egypte. Pourquoi cette inflexion ? Il

semblerait qu’elle soit due à un retour à des comportements traditionnels dans un

contexte de forte instabilité politique. En temps de révolution ou de guerre, les

sociétés se sentent plus vulnérables et peuvent voir leur natalité augmenter, dans

une sorte de réflexe de refuge, davantage que par l’effet d’une éventuelle

« réislamisation » des sociétés. Mais alors quid de éléments positifs qui ont

accompagné cette transition, instruction, femmes s’impliquant dans la sphère

professionnelle, remise en cause du chef de famille, meilleure répartition des

revenus, des savoirs… ?

o L’Egypte : elle compte 104 millions d’habitants, sur 40 000 km² de superficie

utile, avec une densité de 2500 hab/km². Depuis le XIXe s. ont eu lieu des

tentatives du pouvoir de réduire la fécondité, mais elles n’ont vraiment

fonctionné que sous Nasser et après lui (baisse jusqu’en 2008). Depuis elle est

passée de 3 enfants/femme à 3,5. On observe le même phénomène en

Algérie et Tunisie.

o Il existe aussi des contre-exemples de stabilité : le Maroc ne bouge pas (2.2),

l’Irak non plus (qui reste très élevé : 4.5)

o On note une continuation de la baisse en Arabie Saoudite et aux Emirats

o Pour quels résultats aujourd’hui ? Il y a autant de pays du PMO où la

fécondité baisse (Liban, Arabie, Oman, Qatar…) que de pays où elle reste

élevée (Egypte, Palestine…). Elle n’augmente peut-être nettement qu’en

Israël. Et en terme de nombre d’individus, ce sont 80 % des individus qui sont

en situation de contre-transition, face à 20 % en transition.

o L’une des explications est peut-être le recul de l’activité des femmes. Mais le

lien avec l’islam est improbable (en Indonésie, letaux d’activité des femmes

tourne autour de 70 %).

Donc la situation observée en 2007 et les pronostics qui en découlaient à ce moment-là

s’avèrent faux ? Cette pause ou même arrêt dans la transition démographique signifie-t-elle

un arrêt de la modernisation dans les pays du PMO ? La fécondité seule ne suffit pas pour le

dire. Car d’autres facteurs peuvent prendre le relais pour continuer cette modernisation

entamée.

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Caroline DELAGE Trinôme académique Montpellier 11/12/2017

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Le lien entre régime politique religieux et forte fécondité n’est pas si évident, comme le

montre l’exemple iranien. Idéologiquement, même si les femmes sont au PMO

traditionnellement reléguées à l’espace privé et au rôle prioritaire de mère, cela ne

signifie pas systématiquement qu’il n’y a pas de contrôle des naissances.

Par conséquent, la maîtrise de la démographie comme arme idéologique est à nuancer

fortement. Ce qui est davantage une arme idéologique, ce sont les discours caricaturaux

qui sont produits pour qualifier les pays du PMO, leurs cultures et leurs modes de vie.

D’un autre côté, l’islam radical prôné par Daech montre le cas inverse du contrôle du

corps féminin dans un esprit totalitaire, destiné à faire naître de futurs combattants.

Mais ce cas est visiblement très minoritaire et se joue pour l’instant sur une très courte

période.

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3. UNE ARME « MIGRATOIRE » : LES DEPLACEMENTS DE POPULATION

COMME ARME DE DESTABILISATION ?

Voici encore un aspect très idéologique de la question : que ne lit-on pas sur le « grand

remplacement » du aux vagues migratoires, sur les velléités turques de faire pression sur

l’UE par le biais des migrations ? Le terme d’ « arme migratoire » est très connoté car on le

trouve dans des médias politiquement très marqués à la droite extrême, mais pas

seulement. Les migrants sont désormais décrits comme une « nouvelle arme non

conventionnelle » : le phénomène migratoire serait donc « instrumentalisé » pour

déstabiliser l’adversaire 11 . C’est certain : c’est un excellent outil de déstabilisation

psychologique et politique.

Alors est-ce une arme ? Dans le discours, oui, mais pas au sens où ces mouvements

migratoires seraient contrôlés, provoqués par des forces armées, maîtrisés, en vue de servir

des objectifs stratégiques précis.

Mieux vaudrait parler de politiques migratoires, qui existent depuis longtemps (Staline en

URSS, Ukraine ; les déportations des Arméniens par les Turcs lors du génocide). Observer les

phénomènes migratoires aujourd’hui au PMO, c’est faire de la géopolitique et non étudier

une arme à l’œuvre, et c’est surtout se placer dans une perspective historique face à des

migrations qui ne sont en rien inédites, finalement. On peut simplement évoquer quelques

11

Galactéros Caroline, « La bombe humaine : Turquie, Syrie, Russie, Europe… comment les migrants sont devenus lanouvelle arme non conventionnelle utilisée par « presque » tous », Atlantico, 5 mars 2016, http://www.atlantico.fr/decryptage/turquie-syrie-russie-europe-comment-migrants-sont-devenus-nouvelle-arme-non-conventionnelle-utilisee-presque-tous-jean-bernard-2613650.html

Diapo

12

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exemples dans l’optique de mettre à distance la notion de « menace migratoire » qui est

tapie derrière celle d’ « arme » utilisée de manière abusive.

- A. DES CRISES MIGRATOIRES ANCIENNES, CONSEQUENCES NON MAITRISEES DES

CONFLITS LOCAUX

- Avant et pendant la 1ère Guerre mondiale : o Au sein de l’Empire ottoman, des populations en nombre conséquent se

déplacent pour s’installer dans des zones jugées plus sûres (côtes,

campagnes), ce à quoi s’ajoutent des flux de départ de l’Empire ottoman lui-

même. On fuit pour déserter, les Arméniens fuient le génocide vers la Russie,

le Caucase, la Perse et ont fait eux-mêmes l’objet de déplacement forcés. Des

mouvements de foule agitent les gares et les ports.

o L’exode du au génocide arménien : ces migrations sont des fuites provoquées

par le génocide, mais pas forcément voulues par l’Etat qui a plus cherché à

éliminer cette population qu’à la faire fuir.

- La guerre en Syrie et Irak est-elle le théâtre de l’utilisation des mouvements de

populations comme arme ?

o Le cas de Daech ou Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) : il s’agit de faire

fuir, de convertir ou de massacrer, mais finalement de communiquer surtout.

Et en cas d’attaque d’un fief, on a vu utiliser les civils présents comme

bouclier, il fallait donc les empêcher de fuir.

- Une réalité : entre 2011 et 2015, ces flux concernent environ 4,5 millions de gens

o À la fin de 2015, les estimations l’agence des Nations Unies pour les réfugiés

(UNHCR) concernant les Syriens indiquent 1,2 million au Liban, 700 000 en

Jordanie, 1,6 million en Turquie et 235 000 en Irak. Il convient d’ajouter un

pays du Moyen-Orient non limitrophe de la Mésopotamie, soit 140 000

Syriens en Égypte. Quant aux Irakiens, l’UNHCR les évalue à 350 000, dont

208 000 en Turquie, 67 000 en Jordanie, 33 500 en Syrie et 12 000 au Liban.

On observe la création des zones de refuges un peu partout, zones émiettées, et populations

flottantes de part et d’autres des espaces frontaliers. Cela provoque un double effet, à la fois

sur la zone de départ (Etat qui a intérêt à voir partir des opposants plutôt que de les réduire

au silence ?), et sur la zone d’arrivée (camps, acculturations ou pas…)

B. UNION EUROPEENNE ET CRISE MIGRATOIRE

Il est sûr que l’afflux de migrants déstabilise l’Union Européenne et sème la discorde entre

ses membres. C’est par conséquent devenu un « phénomène exploitable politiquement »,

qui touche de plus les membres les plus récents de l’UE, à l’Est, ou ceux qui sont à ses portes

(les Balkans). La question n’est pas de nier le phénomène, tout à fait réel, mais de nier le fait

qu’il est provoqué sciemment et contrôlé comme tel.

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C’est un moyen de pression, un élément de discours qui n’est pas nouveau :

- Le colonel Kadhafi avant la guerre en Libye en 2011 s’exprimait ainsi : « Je suis le seul

à être capable d’arrêter le flot de migrants venant du Sahel »

- En février 2015, le Calife de Daech menace d’une invasion de plus de 500 000

migrants en cas d’intervention de l’Italie en Libye.

- Le chef du gouvernement turc Erdogan obtient des crédits européens très

conséquents pour tenter de contenir l’exode, en tant que point nodal

géostratégique, tant vis-à-vis de l’UE que vis-à-vis des Etats-Unis en tant que membre

de l’Otan.

… donc ce n’est pas une arme au sens stratégique du terme, mais cela produit des effets

comparables au sens où cette crise inflige une blessure à l’UE qui étale ainsi sa désunion et

ses faiblesses.

CONCLUSION

Alors, la maîtrise des populations, dans leur comportement de procréation ou de migrations,

peut-elle être utilisée comme une arme ?

On a pu constater que cet abus de langage est un outil qui sert à ceux qui veulent effrayer et

faire croire à l’existence réelle de cette maitrise, et qu’il permet de nourrir un discours

idéologique.

Néanmoins, l’analyse démographique est inévitable quand il s’agit pour un Etat de réfléchir à

ses moyens de défense et d’attaque. C’est pourquoi elle est intégrée aujourd’hui à toute

forme d’analyse géopolitique et stratégique. Car utiliser la démographie, c’est forcément

réfléchir sur la longue durée (au moins une génération), dans le passé ou vers l’avenir pour

élaborer une étude prospective : combien d’individus à mobiliser, à défendre ? C’est

réfléchir sur des phénomènes qui auront un impact durable sur les sociétés qu’ils affectent

(pensons aux flux de migrants exilés, tant du point de vue des lieux de départ que de ceux de

transit et d’arrivée). C’est aussi être à l’affût des ruptures politiques, sociales, économiques,

culturelles à même de modifier toutes les projections imaginées. Le fait est que la

démographie, dont les données sont incontournables en matière politique et stratégique,

n’est pas tant une arme - à la rigueur intellectuelle -, que, comme le dit le géographe et

démographe G-F Dumont, « un des paramètres de la puissance »12.

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DUMONT Gérard-François, géographe, démographe et économiste, “La démographie, un outil remarquable pour la prospective”,