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Le Procès de Marie-Antoinette

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Le Procès de Marie-Antoinette

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DU MÊME AUTEUR Grand Prix de l'Académie française

décerné pour l'ensemble de son œuvre

C h e z le m ê m e é d i t e u r

L o u i s XVII , 1948. MADAME ROYALE, 1950.

PHILIPPE ÉGALITÉ, le P r i n c e r o u g e , O u v r a g e c o u r o n n é p a r l ' A c a d é m i e f r a n ç a i s e , 1951.

MARIE-ANTOINETTE, O u v r a g e c o u r o n n é p a r l ' A c a d é m i e f r a n ç a i s e , 1953.

LE GRAND SIÈCLE DE PARIS, 1955. LA DUCHESSE DE BERRY, 1957. LES GRANDES HEURES DES CITÉS ET

CHÂTEAUX DE LA LOIRE, 1959. SARAH BERNHARDT, 1961. VERS L'EXIL..., 1962. JOSÉPHINE, P r i x d u P l a i s i r d e l ire,

1965 .

LA BELLE HISTOIRE DES VOYAGES, 1966. L'AIGLON NAPOLÉON II , P r i x R iche l i eu ,

1 9 5 9 e t P r i x d e s Mi l l e Lec t eu r s , 1967. BONAPARTE, 1967. NAPOLÉON, 1968. LES BATTEMENTS DE CŒUR DE L'HIS-

TOIRE, 1969. DRAMES ET TRAGÉDIES DE L'HISTOIRE,

1968.

LE CALENDRIER DE L'HISTOIRE, 1970. DESTIN HORS SÉRIE DE L'HISTOIRE, 1971.

G r a n d P r i x d u S y n d i c a t des écri- v a i n s et d e s j o u r n a l i s t e s , e t p o u r l ' en- s e m b l e d e son œ u v r e .

PRÉSENCE DE L'HISTOIRE, 1973. L'HISTOIRE A TABLE, 1973. NAPOLÉON II I ( d e u x v o l u m e s ) . P r i x d e s

A m b a s s a d e u r s , 1974.

BELLES ET TRAGIQUES AMOURS DE L'HIS- TOIRE, 1975.

HISTOIRE DE LA FRANCE ET DES FRANÇAIS

AU JOUR LE JOUR ( d o u z e p u i s h u i t

volumes en collaboration avec Alain Decaux, Marcel Jullian et Jacques Levron), 1976.

« MY FRIEND LA FAYETTE... MON AMI WASHINGTON », 1976.

LE RENDEZ-VOUS DE VARENNES, 1977. MAXIMILIEN ET CHARLOTTE. Prix du

Cercle de l'Union, 1978. DE L'HISTOIRE ET DES HISTOIRES, 1978. DICTIONNAIRE DE L'HISTOIRE DE FRANCE.

Sous la direction d'André Castelot et d'Alain Decaux, 1979.

TALLEYRAND OU LE CYNISME, 1980. Au FIL DE L'HISTOIRE, 1980. L'HISTOIRE INSOLITE, 1982. FRANÇOIS I Prix Agrippa-d'Aubigné,

1984 et Grand Prix de la Paulée de Meursault, 1984.

L'ALMANACH DE CLIO, 1985. LES NUITS DE L'HISTOIRE, 1985. HENRI IV, le passionné, 1986, Grand

Prix de la Ville de Paris (Solia Cabiati), 1987.

CHARLES X, la fin d'un monde, 1988. MADAME DU BARRY, 1989. FOUCHÉ, 1990. LA CAMPAGNE DE RUSSIE, 1991. LA REINE MARGOT, 1993.

Théâtre

LA REINE GALANTE, comédie en deux actes et huit tableaux (Perrin), 1962.

Napoléon III À LA BARRE DE L'HISTOIRE (L'Avant-Scène), 1976.

TALLEYRAND À LA BARRE DE L'HISTOIRE (L'Avant-Scène), 1979.

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André Castelot

Le Procès de Marie-Antoinette

Perrin 76, rue Bonaparte

Paris

Page 5: Le Procès de Marie-Antoinette

© Librairie Académique Perrin, 1993 ISBN : 2-262-00040-9

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A ROBERT HOSSEIN qui, à l'occasion du bicentenaire du 16 octobre 1793,

a rendu la vie à Marie-Antoinette... A.C.

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L'entrée dans l'histoire

Bien souvent, le matin à Trianon, après avoir été boire un verre de lait de « ses » vaches, Marie-Antoi- nette va se reposer sur le lit de mousse sèche amé- nagé dans la petite grotte, derrière la butte plantée de buis. Bercée par le bruit de la source qui prend naissance sur le sable même de la grotte, elle rêve...

Elle rêve ainsi durant l'après-midi du 5 octobre 1789.

Tout semble aller mieux depuis quelques jours. Sans doute, les impôts ne rentrent-ils toujours pas, mais le Roi a envoyé à la Monnaie 13 000 livres pesant de vaisselle d'argent et, de son côté, la Reine y a fait por- ter 386 plats, un lot considérable de flambeaux, de couverts de vermeil et d'argent ! Elle a même voulu faire un sacrifice personnel et s'est privée de ses miroirs, de ses boettes à mouches, de ses crachoirs à manches, de ses coffres à curedents et du grand seau d'argent où elle a coutume de se laver les pieds. Ce lundi 5 octobre, Marie-Antoinette reprend courage.

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— Je suis enchantée de la journée de jeudi, a-t-elle encore répété la veille à une députation...

« La journée de jeudi », c'est le banquet que les officiers de la garnison de Versailles ont offert le 1 octobre à leurs camarades du régiment de Flandre arrivé dernièrement de Douai pour protéger la famille royale. Celle-ci se trouvait, en effet, assez isolée depuis la désertion des gardes-françaises par- tis pour Paris la nuit du 30 au 31 juillet avec armes et bagages. Sans doute avait-on constitué à Ver- sailles une garde nationale... mais mieux valait ne pas parler de ces boutiquiers déguisés en militaires et commandés par un amiral : le comte d'Estaing. Bien sûr, « Flandre » n'a guère que onze cents hommes, mais on peut encore compter sur la prévôté de l'Hôtel du Roi et sur le détachement de Chasseurs lorrains cantonné à Rambouillet. On avait, en outre, retenu les trois cents gardes du corps du « quartier de Juillet », ce qui avait doublé le nombre habituel de cette troupe assez indisciplinée peut-être, formée de « chauds partisans du Tiers » sans doute, mais qui avait montré le jeudi précédent son loyalisme.

Tout d'abord, le 1 octobre, Marie-Antoinette n'avait pas voulu assister au banquet donné dans la salle de l'Opéra, mais une de ses dames — Mme de Tessé — était venue l'engager à venir, au moins, jeter un coup d'œil. Les convives, au nombre de deux cent six, mangeaient sur une table disposée en forme de fer à cheval et placée sur la scène. Après le second service, le duc de Villeroi, capitaine de la pre- mière compagnie des gardes, avait invité tous les grenadiers, cavaliers et suisses qui buvaient au par- terre, à venir, verre en main, dans le fer à cheval

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pour boire quatre santés : au Roi, à la Reine, au Dauphin et à la famille royale. A chaque santé, les trompettes sonnaient la charge. L'un des convives avait, paraît-il, murmuré à la santé de la Nation, mais on n'y avait point pris garde... A ce récit, Marie-Antoinette avait hésité... mais le Roi rentrait alors de la chasse et la Reine l'avait entraîné, avec leurs deux enfants, vers la loge grillée faisant face à la scène. Les convives avaient déjà fait honneur aux vins et au repas préparé par le restaurateur Deharmes et, dès l'apparition de la famille royale, leur accueil avait été délirant... Les acclamations, les cris d'enthousiasme résonnaient encore aujour- d'hui, après cinq jours, aux oreilles de la Reine ! Elle avait confié le Dauphin à un officier suisse et l'en- fant, tout souriant, posé sur la table, avait fait le tour du fer à cheval sans renverser le moindre verre. L'orchestre avait joué : 0 Richard, ô mon Roi, de Grétry, tandis que tous chantaient en choeur :

O Richard, ô mon Roi L'univers t'abandonne Sur la terrasse il n'est donc que moi Qui m'intéresse à ta personne.

Puis avait succédé un air de Sedaine : Peut-on affliger ce qu'on aime ? Les acclamations avaient redoublé à un point tel que la famille royale était descendue sur la scène. Les officiers tous debout, l'épée haute, avaient porté la santé de leurs hôtes.

C'est là une vision qui ne s'effacera jamais de son cœur. Sans doute, Marie-Antoinette avait-elle trouvé un peu excessifs les cris, les danses et les acclama-

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tions qui avaient eu ensuite la Cour de Marbre pour cadre, sans doute avait-elle désapprouvé que cet aide de camp de M. d'Estaing — un certain Perceval — allât jusqu'à escalader le balcon en criant :

— Les postes sont à nous ; qu'on nous appelle désormais gardes royales.

Ne fallait-il pas pardonner à ces jeunes fous quelques excès dus aux vapeurs du vin ?

Il fallait s'y attendre : hier, dimanche, les gaze- tiers de Paris — ces Marat ! ces Desmoulins ! ces Loustalot ! — ont transformé cette joyeuse soirée en orgie ! N'ont-ils pas osé écrire que, chancelant d'ivresse, les convives avaient foulé aux pieds la cocarde tricolore ? La Reine n'a rien vu de ce genre !... Peut-être, tout au plus, certains jeunes gens de la garde nationale de Versailles avaient-ils retourné leur cocarde tricolore et arboré ainsi la cou- leur blanche portée par « Flandre » et par les Chas- seurs ? Peut-être aussi avait-on offert des cocardes blanches à certains convives du fer à cheval et les avaient-ils acceptées ? Peut-être, encore, fort avant dans la soirée, quelques jeunes gens émoustillés par la boisson avaient-ils crié : «A bas l'Assemblée!» sous les fenêtres de la Reine ? On l'affirmait, mais Marie-Antoinette n'avait rien entendu... D'ailleurs, tous ces détails fantaisistes et excessifs émanent des absents, tel ce Lecointre, lieutenant général de la garde nationale du quartier de Notre-Dame, qui n'avait pas été invité au banquet. Les témoins ocu- laires les ignorent ou les nient !

Les convives avaient tant crié, au cours du repas, qu'il était resté bien des plats et près de quatre cents bouteilles. Aussi, avant-hier, samedi, au manège de

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l'hôtel des gardes du corps, avait-on terminé ces reliefs... et de nouveau les cris de Vive le Roi ! et de Vive la Reine ! avaient retenti, mais cette fois la Nation et l'Assemblée n'avaient pas été oubliées.

Marie-Antoinette croit que tout va se calmer... Ainsi que l'a dit un contemporain, « dès qu'il y avait un instant de répit, une apparence de sécurité, elle reprenait avec vivacité toutes ses illusions ». Et aujourd'hui, en ce lundi 5 octobre, ses illusions l'em- pêchent de se douter que, depuis « l'orgie » de jeudi, Paris bouillonne. Paris manque de pain, tandis qu'à Versailles — les gazetiers l'affirment — on stocke les farines et on ose, au surplus, insulter la nation ! Dans les rues on crie : « Il est temps d'égorger la Reine. »

Comme on est loin de tout cela à Trianon ! La Reine, par la mince fissure ménagée dans

l'épaisseur du rocher, regarde la ravine dont les arbres se colorent déjà de rouille... Il va falloir ren- trer à Versailles. Le ciel s'est assombri et la pluie commence à tomber. Soudain, Marie-Antoinette voit un page qui se hâte vers la grotte. Une minute plus tard, il est là, haletant...

C'est M. de Saint-Priest qui l'envoie : Paris marche sur Versailles 1

Il pleut à verse. Une première horde de six mille femmes s'avance sur la route de Versailles précédée

1. Pour la vie antérieure de Marie-Antoinette, voir Marie-Antoinette, du même auteur (Librairie Académique Perrin).

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d'une douzaine de tambours, de quatre canons et de l'huissier Maillard, le vainqueur de la Bastille. Crot- tées et trempées, elles interpellent les badauds :

— Voyez comme nous sommes arrangées, mais la bougresse nous le payera cher !

Elles sont armées de manches à balai, de fourches, d'épées, de lardoires, de vieux pistolets. On voit même d'énormes couteaux de cuisine que des mégères aiguisent contre les bornes de la route.

— Comme je serais heureuse si je pouvais lui ouvrir le ventre avec ce couteau et lui arracher le cœur en fourrant le bras jusqu'au coude !

— Nous voulons chacune rapporter quelque chose de Marie-Antoinette.

— J'en aurai une cuisse ! — J'en aurai les tripes ! « Et en disant ces choses, précise un témoin —

l'avocat Antoine Périn — plusieurs tendaient leur tablier comme si elles eussent dedans ce qu'elles se promettaient d'avoir... et dans cette attitude elles dansaient. » L'avocat nous rapporte encore d'autres propos, d'autres gestes atroces appliqués à Mme de Polignac et la Reine, et qu'il est impossible de repro- duire.

Çà et là, on voit même quelques fusils... mais ils sont portés par des hommes déguisés en femmes. Il ne s'agit pas ici d'une légende ; il existe pour ces deux journées d'octobre 392 dépositions qui sont unanimes sur ce point. La raison de cette mascarade nous est donnée par un témoin du temps : « On se déterminerait plus difficilement à repousser des femmes par la force des armes. » Aussi les hommes qui ont voulu suivre ont-ils dû se cantonner à l'ar-

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rière-garde de la colonne ou se déguiser. Ils ne sont d'ailleurs pas les derniers à brailler :

— On emmènera la Reine morte ou vive ! Et les femmes de répondre : — Vous, vous vous chargerez du Roi ! C'est nous

qui emmènerons la Reine morte ou vive ! — Il faut qu'elle ait le col coupé ! Nous ferons des

cocardes avec ses boyaux ! A trois heures et demie, l'avant-garde de l'effa-

rante cohue atteint Versailles. A l'entrée de l'avenue de Paris, quelques femmes sont presque bousculées par un petit groupe de cavaliers : c'est le Roi qui, ayant appris la marche de Paris, revient en hâte de la chasse. Dès son arrivée au château, la générale retentit, le tocsin sonne et l'on ferme des grilles qui n'ont pas tourné sur leurs gonds depuis le Roi-Soleil. Les gardes du corps, le régiment de Flandre et deux cents hommes de la garde nationale de Versailles se rangent en bataille sur la place d'Armes. Pas une cartouche n'a été distribuée...

Derrière ce rideau de troupes, le château est en effervescence. Le Roi tient conseil chez la Reine. Que faire ? Le capitaine des gardes vient demander des ordres.

— Eh quoi, pour des femmes ! Vous vous moquez ! Marie-Antoinette est calme... Saint-Priest expose son plan. « Je représentai le

danger qu'il y aurait à attendre cette multitude à Versailles, et je proposai les mesures à prendre en cette circonstance. Elles consistaient à envoyer gar- der les ponts sur la Seine par un bataillon du régi- ment de Flandre, à Sèvres ; par un autre, à Saint- Cloud ; par les gardes suisses à Neuilly ; enfin, à ce

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que le Roi fît partir pour Rambouillet, où étaient les chasseurs du régiment de Lorraine, la Reine et la famille royale, pendant que Sa Majesté irait au- devant des Parisiens avec 200 chasseurs des Évê- chés et ses 800 gardes du corps. Les mille chevaux mis en bataille au-delà du pont de Sèvres, le Roi ferait ordonner à la troupe parisienne de rétrogra- der, et, à défaut d'obéissance, ferait faire quelques charges de cavalerie pour tâcher de la dissiper. Enfin, si on n'y réussissait pas, le Roi serait à temps de regagner Versailles à la tête de ses troupes et de marcher ensuite vers Rambouillet. » Louis XVI est séduit, mais Marie-Antoinette ne veut pas être sépa- rée de son mari.

— Je ne veux pas que le Roi puisse courir un dan- ger que je ne partagerais pas.

Pendant qu'au château les heures s'écoulent dans l'attente et l'inaction, les poissardes, de la boue jus- qu'à l'échine, se répandent dans Versailles. Maillard, en tête d'un groupe, envahit l'Assemblée.

— Le peuple manque de pain, crie l'huissier, il est au désespoir, il a le bras levé, il se portera sûrement à quelques excès. Nous demandons la permission de fouiller dans les maisons suspectées de renfermer des farines. C'est à l'Assemblée à épargner l'effusion de sang ; mais l'Assemblée renferme dans son sein des ennemis du peuple, ils sont cause de la famine. Des hommes pervers donnent de l'argent et des billets de caisse aux meuniers afin de les engager à ne pas moudre.

— Les noms ? les noms ? Nommez ! nommez ! crie-t-on sur toutes les travées.

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Maillard, le plus sérieusement du monde, dé- clare :

— C'est l'Archevêque de Paris qui a donné deux cents livres à un meunier pour le détourner de moudre !

La droite s'indigne... mais Robespierre — c'est l'une de ses premières interventions — approuve cette absurdité. Le désordre s'installe, augmente et devient indescriptible. Les femmes hurlent :

— Du pain, du pain, du pain ! Elles enjambent les banquettes, embrassent le

président — l'évêque de Langres — enlèvent et font sécher leurs jupes, conspuent les députés, et bientôt « la joie la plus indécente s'établit dans le sanctuaire des représentants du premier peuple du monde ».

Une mégère, un « poignard aiguisé » à la main, s'approche de Me Thomas de Fronde ville, président à mortier du Parlement de Normandie, et lui demande à voix basse :

— L'appartement de la Reine est-il aussi bien gardé qu'on le dit ? N'y a-t-il pas moyen de s'y intro- duire ?

Une poissarde brandit un morceau de pain noir : — Je veux le faire avaler à l'Autrichienne avant

de lui tordre le cou ! D'autres femmes se heurtent aux troupes toujours

rangées sur la place d'Armes. Certaines « proposent aux cavaliers de trousser leurs jupes devant eux ». Sans relâche revient le leitmotiv :

— Ah ! la mâtine, si je la tenais, comme je la déchirerais !

Un épais brouillard tombe sur la ville... Là-bas, derrière les cavaliers ruisselants de pluie, quelques

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fenêtres du château s'allument. Le Roi est en train de recevoir une délégation de cinq femmes de Paris conduites par quelques députés. L'une d'elles, Loui- son Chabry, une « ouvrière en sculpture » de vingt ans, tombe évanouie d'émotion en se trouvant devant Louis XVI, et le Roi lui fait respirer « des eaux spiritueuses ». Tandis qu'il parle « avec bonté » à la délégation, les cris des viragos montent jusqu'à l ' Distinctement on entend :

— Nous rapporterons la tête de la Reine au bout d'une pique.

Le Roi soupire et demande à Louison : — Vous venez pour faire du mal à ma femme ? Mais un aide de camp de La Fayette apporte des

nouvelles graves. Le commandant de la garde natio- nale de Paris est en marche pour Versailles avec trente mille hommes, dont les anciens gardes-fran- çaises. Aussitôt Saint-Priest préconise le départ général pour Rambouillet et même la Normandie. Le Roi ne veut rien décider sans avoir pris l'avis de Marie-Antoinette. Elle accepte puisqu'il ne s'agit plus de quitter son mari et se précipite dans l'appar- tement de ses enfants, ordonnant aux sous-gouver- nantes :

— On va partir dans un quart d'heure, faites vos paquets, hâtez-vous !

Mais il est trop tard ! Ce qui était possible à quatre heures ne l'est plus à huit. La foule empêche la voiture de sortir des Écuries. Il faudrait employer la force... Le Roi s'y refuse et Marie-Antoinette sou- pire :

— Allez dire à ces dames que tout est changé. Nous restons.

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La Cour est consternée, sauf Marie-Antoinette qui s'emploie à rassurer les personnes qui l'entourent. En cette nuit du 5 au 6 octobre, elle demeure éton- namment calme. Elle entre dans l'Histoire... « Sa contenance était noble et digne, nous rapporte un témoin, son visage calme ; et quoiqu'elle ne pût se faire l'illusion sur tout ce qu'elle avait à redouter, personne n'y put apercevoir la plus légère trace d'in- quiétude ; elle rassurait chacun, pensait à tout, et s'occupait beaucoup plus de ce qui lui était cher que de sa propre personne. On la voyait, pendant cette soirée du 5 octobre, recevoir un monde considérable dans son grand cabinet, parler avec force et dignité à tout ce qui l'approchait et communiquer son assu- rance à ceux qui ne pouvaient lui cacher leurs alarmes. »

— Je sais qu'on vient de Paris pour demander ma tête, mais j'ai appris de ma mère à ne pas craindre la mort et je l'attendrai avec fermeté.

Ce soir, pour la première fois, elle semble se rendre compte de ses terribles responsabilités !

Quelques gentilshommes, une poignée d'officiers, l'entourent... Parmi eux se trouve Fersen. Ils sollici- tent un ordre qui puisse les autoriser à prendre des chevaux dans les écuries pour défendre la famille royale si elle est attaquée.

— Je consens à vous donner l'ordre que vous me demandez à une condition, leur répond Marie-Antoi- nette : si les jours du Roi sont en danger, vous en ferez un prompt usage ; si moi seule je suis en péril, vous n'en userez pas.

Pendant ce temps, Louis XVI, sur les instances du député Mounier, remet, en pleurant, son acquiesce-

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ment « pur et simple » à la Déclaration des Droits de l'homme. Toujours en pleurant, il ordonne aux gardes du corps et au régiment de Flandre de quitter leurs postes et d'aller bivouaquer ; le premier, dans le parc, sur le Tapis vert, le second dans la cour de la Petite Écurie. Puisque Louis XVI ne veut plus de ces hommes comme défenseurs, il ne peut les laisser devenir des victimes. Il ne reste plus sur l'esplanade que la garde nationale de Versailles.

« Mouillés comme des canards, barbotant, trébu- chant dans la boue », l'armée des Parisiens arrive à minuit et demi. La Fayette laisse ses hommes sur la place d'Armes et pénètre au château. Le général semble toujours jouer une scène destinée à l'image- rie d'Épinal. Avec un joli mouvement de bras, il s'ex- clame :

— Je viens, Sire, vous apporter ma tête pour sau- ver celle de Votre Majesté. Si mon sang doit couler, que ce soit pour le service de mon Roi, plutôt qu'à l'ignoble lueur des flambeaux de la Grève.

— Vous ne devez pas douter, monsieur de La Fayette, répond Louis XVI, du plaisir que j'ai tou- jours à vous voir, ainsi que mes bons Parisiens ; allez leur témoigner ces sentiments.

En termes que nous ignorons, La Fayette de- mande alors au Roi que les anciens gardes-fran- çaises reprennent les postes qu'ils avaient désertés un mois auparavant et que la garde du château leur soit confiée. Louis XVI — seconde abdication de la soirée — accepte, « se reposant de tout sur un général qui n'était sûr de rien », selon le mot de Rivarol.

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— Allez chez la Reine, ordonne-t-il à son valet de chambre, dites-lui de se coucher ; je vais en faire autant.

Il est deux heures du matin. Marie-Antoinette renvoie son service, refuse la

protection de quelques gentilshommes qui veulent passer la nuit devant sa porte, et se couche. De la cour montent les roulements de tambours : c'est la parade de la garde nationale versaillaise qui passe ses consignes aux gardes-françaises. Au loin, la Reine entend des pas de chevaux qui s'éloignent dans la nuit : ce sont les gardes du corps qui font retraite et gagnent Rambouillet, tandis que les Suisses rejoignent leurs casernes de Rueil.

Seule une poignée de gardes du corps surveille les issues intérieures. Les gardes-françaises occupent leurs postes — grilles et ouvertures donnant sur le parc — mais, obéissant aux anciennes consignes, ils laissent toutes les portes ouvertes afin de faciliter la relève des sentinelles.

La Reine s'endort... La Fayette retiré à l'hôtel de Noailles, à cent pas

de la grille de la chapelle, se couche et sombre dans le sommeil.

— J'étais sans méfiance, dira cet héroïque étour- neau, le peuple m'avait promis de rester tranquille.

Le jour du mardi 6 octobre se lève. L'admirable horloge à orgue de la chambre de la Reine égrène les notes frêles et délicates d ' pleut, bergère : il est six heures. A cet instant Marie-Antoinette entend sous

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ses fenêtres une rumeur. Elle sonne. Sa première femme de chambre, Marie-Élisabeth Nolle, lui annonce que ce sont « des femmes de Paris qui n'ayant pas trouvé à se coucher se promènent sur la terrasse ». Tranquillisée, Marie-Antoinette s'assou- pit... Un quart d'heure plus tard, elle est réveillée en sursaut. Deux de ses femmes, Mmes Thiébaut et Augié, sont devant elle : le château est envahi ; des gardes ont été massacrés ! Non loin, Marie-Antoi- nette entend l'immense clameur du peuple cher- chant l'entrée de son appartement. On devine : « C'est par-là, c'est par-là !... Tue ! Tue ! Point de quartier ! A mort... Il nous faut le cœur de la Reine ! Où est cette sacrée coquine ?... »

Marie-Antoinette, aidée par ses deux femmes, a mis ses bas, passé un jupon et fui par le petit couloir situé à la tête de son lit. Mais la porte donnant sur l ' est fermée. Derrière elle, Marie-Antoi- nette entend les émeutiers entrer dans sa chambre... Au milieu des clameurs résonnant dans tout le palais, il faut plusieurs minutes avant qu'un garçon entende les fugitives. En pleurant, la Reine court à travers la pièce afin de joindre l'appartement de Louis XVI. On l'entend supplier :

— Mes amis, mes chers amis, sauvez-moi ! Elle ne reprend haleine que dans l'ancienne salle à

manger, mais le Roi n'est pas là. Il y a une minute, il est parti au secours de la Reine par le passage secret... Apprenant par un garde qu'elle est en sûreté, il va chercher le Dauphin, tandis que Marie- Antoinette se précipite chez la petite Madame Royale... Enfin, cinq minutes plus tard, ils sont tous quatre réunis dans la chambre de Louis XVI. On

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bourreau replace le bonnet très haut sur la tête de la Reine. Des mèches coupées irrégulièrement enca- drent la nuque dégagée.

Il est près de onze heures. Les assistants s'écartent de la porte. En silence,

Marie-Antoinette quitte le cachot suivie du bourreau qui tient en main les bouts de la grosse corde tirant en arrière les coudes de la condamnée. Entre une double haie de gendarmes, elle gagne le greffe, et soudain ses yeux s'emplissent d'épouvante. Là-bas, au-delà de la grille de la petite cour basse, à travers les deux portes que l'on vient d'ouvrir, elle a aperçu l'ignoble charrette. Louis XVI était parti à la mort dans un carrosse. Il va lui falloir monter dans cette voiture à fumier ! Une faiblesse la saisit. Elle demande qu'on veuille bien lui délier les mains et là, par terre, dans un coin du greffe qu'on appelle la Souricière, elle s'accroupit... puis, elle va tendre d'elle-même ses mains à Sanson.

L'image de l'Archiduchesse, les traits de cette « favorite charmante et dangereuse d'une monarchie vieillie » vont s'estomper et s'effacer. Tout va dispa- raître — et doit disparaître — pour ne laisser à la postérité que le tableau d'une femme, en robe blanche, marchant à la guillotine en vraie reine de France...

Le temps s'est un peu réchauffé — 10 degrés à onze heures — il fait beau, une légère brume, cet indéfinissable brouillard parisien, estompe les loin-

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tains. Dans la cour de Mai, des gendarmes à pied et à cheval, mêlés à des « hommes à piques », entourent la charrette boueuse. Ici même, à l'époque de la dou- ceur de vivre, la basoche plantait chaque printemps un mai enrubanné, un beau chêne que les clercs allaient choisir « en grand appareil de bataille » dans la forêt de Bondy...

Rue de la Barillerie, derrière la belle grille dorée, la foule se presse en silence.

La silhouette blanche, qui semble tenue en laisse par le bourreau, apparaît sous l'arcade, fait quelques pas et s'arrête devant la charrette. On y a placé une petite échelle de quatre ou cinq échelons. L'exécu- teur indique à la Reine où il faut mettre le pied ; de la main il la soutient tandis que, tenant la tête bien droite, elle atteint le marchepied. On remarque qu'elle porte un jupon noir sous sa robe blanche. Une planche étroite et boiteuse, assujettie tant bien que mal aux montants, coupe en deux la charrette ; elle veut l'enjamber, et s'asseoir face aux deux chevaux de labour attelés en flèche aux limons. Mais le bour- reau et son aide l'en empêchent : elle doit tourner le dos à la marche.

L'abbé Girard gravit l'échelle à son tour et se place à côté de la condamnée. Derrière eux, debout, appuyé aux ridelles, se tient le bourreau, une main tenant les cordes, l'autre son chapeau à trois cornes. Son aide, également tête nue, est au fond.

Il est onze heures un quart. La voiture s'ébranle avec fracas, le comédien

Grammont, à cheval, l'épée à la main, la précède, les gendarmes l'entourent, les hommes à piques suivent.

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La grande grille s'ouvre. La foule est muette ; sans murmure, sans insulte, elle regarde passer celle qu'elle acclamait il y a vingt ans. Marie-Antoinette semble insensible et paraît ne rien voir de ses yeux immobiles et injectés de sang. En traversant le pont a-t-elle regardé les tours de la Conciergerie... son dernier palais ? A sa fenêtre, Fouquier a, sans doute, abandonné ses dossiers pour voir passer le cortège. Trente mille hommes de troupes sont échelonnés le long du parcours. A l'entrée de la rue Saint-Honoré, les clameurs de haine se font entendre. Une minute la voiture s'arrête ; Marie-Antoinette regarde autour d'elle. Un enfant, tout souriant, soulevé par sa mère, lui envoie un baiser. Le sang afflue alors à ses pom- mettes, ses yeux se remplissent de larmes.

En ce moment, au Temple, le petit roi éclate de rire avec les municipaux, tandis que dans la crypte de Saint-Denis on est en train, sur l'ordre de la Convention, d'ouvrir le cercueil du premier Dauphin, mort à Meudon il y a quatre ans, et de jeter son corps dans la fosse commune...

Au milieu des cris, la charrette repart brutale- ment ; la Reine manque de perdre son équilibre. Une voix gouailleuse lance :

— Ah ! ce ne sont pas là tes coussins de Trianon ! Les cris de Place à lautrichienne ! et de Vive la

République ! éclatent, mais Antoinette ne semble rien entendre. Ses yeux se posent avec indifférence sur les façades étroites des maisons où les ori- flammes tricolores et les insignes révolutionnaires se balancent mollement...

La charrette passe devant l'arcade surmontant le passage conduisant aux Jacobins. Un panonceau

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porte une inscription : Ateliers d'armes républicaines pour foudroyer les tyrans. Elle semble n'avoir pas lu facilement et, pour la première fois, se tourne vers le prêtre et l'interroge. L'abbé, qui, depuis le départ, n'a pas quitté des yeux un petit christ d'ivoire, va répondre... lorsque soudain Grammont « élève son épée, la brandit en tous sens » et, se redressant sur ses étriers, hurle :

— La voilà, l'infâme Antoinette, elle est f..., mes amis !

Des vociférations lui répondent. Sur les marches de l'église Saint-Roch, des tricoteuses, bonnet rouge en tête et pique au poing, hurlent.

La rue Saint-Honoré paraît interminable. Elle la connaît bien pourtant ! Combien de soirs ne l'avait- elle pas suivie dans son carrosse tiré par huit che- vaux blancs ? Sur son passage le canon des Invalides tirait une salve, puis, de loin, celui de la Bastille répondait. Paris mobilisait ses gardes et ses cava- liers du guet pour veiller sur sa Souveraine. Paris plaçait douze canons place Louis-XV qui tiraient lorsque passaient les vingt gardes du roi galopant autour de ce carrosse or et argent où une jeune femme décolletée, la coiffure démesurée, toute per- due au milieu de ses paniers chatoyants, riait si joli- ment.

La jeune reine de vingt ans, la jeune reine du plus beau royaume du monde, se rendait à l'Opéra...

En ce matin d'octobre, elle se rend à l'échafaud.

La foule se fait encore plus dense. Non loin de la maison de Robespierre, devant la maison portant le

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numéro 404, une mère, en entendant approcher le cortège, dit à sa fille :

— Surtout ne va pas pleurer quand tu la verras, tu nous ferais guillotiner.

La charrette passe : « Elle saute sur le pavé et on l'entend craquer comme si elle allait se rompre. » Un cri poussé par une femme soufflette la Reine :

— A mort l'Autrichienne ! Elle regarde avec une « expression de mépris » qui

s'efface aussitôt : elle a reconnu une ancienne femme de chambre du château. Devine-t-elle aussi, à l'angle d'une rue, un groupe « d'honnêtes gens », simple- ment mis ; ce sont nos perruquiers anéantis... Ils sont à peine quatre-vingts : une trentaine de petits commerçants et d'ouvriers du quartier des Arcis et cinquante-deux volontaires venus de Vanves. Les mouchards ont agi. La police a fait son devoir et noyauté le mouvement. Désespéré, le petit décrotteur a eu beau crier :

— Il faut se porter chez les gros marchands qui ne demandent pas mieux que de la soustraire aux bour- reaux !

Les perruquiers se sont bien rendu compte que tout était fini.

La charrette a passé... Ils restent là, plantés, hagards, attendant que la

police vienne les cueillir...

Midi sonne.

Depuis huit heures du matin, la place de la Révo- lution se remplit ; elle est maintenant noire de monde.

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Dès que l'on voit s'avancer la voiture par l'ex-rue Royale, les applaudissements crépitent, les cris de Vive la République ! se font entendre.

« Les aristocrates sont faciles à connaître, écrit un policier, par les lèvres serrées et la contenance gênée. »

Il est midi et quelques minutes.

La charrette brimbale sur le sol mal nivelé de la place. La Reine est toujours impassible. « La garce a été audacieuse et insolente jusqu'au bout », dira Hébert. Elle tourne la tête, voit à sa droite les Tuile- ries, change de couleur et « devient beaucoup plus pâle ». Encore quelques tours de roues, la voiture approche du lieu du supplice. Les cris et les applau- dissements redoublent, les chapeaux volent en l'air. La Reine regarde toujours à sa droite ; par la grande allée, elle voit maintenant la façade du château... Il y a vingt ans, le soir de sa joyeuse entrée, la foule massée jusque sur la place Louis-XV applaudissait, comme aujourd'hui, et les hommes lançaient égale- ment en l'air leurs chapeaux lorsque Marie-Antoi- nette et son mari étaient apparus sur la terrasse. « Les larmes d'attendrissement se mêlaient aux cris d'allégresse chaque fois que M. le Dauphin et Mme la Dauphine avaient la bonté de donner aux citoyens des marques de leur satisfaction. »

— Vous avez là deux mille amoureux, Madame !...

La charrette s'est arrêtée.

Rapidement, sans accepter aucune aide, Marie- Antoinette descend, se retourne et voit les deux bras

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levés tenant le lourd triangle d'acier. Elle se hâte... gravit la raide échelle, avec tant de précipitation, « à la bravade », dit un témoin, qu'elle perd l'un de ses petits souliers prunelle à la Saint-Huberty. Arrivée sur la plate-forme, elle marche sur le pied du bour- reau :

— Monsieur, je vous demande excuse, je ne l'ai pas fait exprès.

Ce seront ses derniers mots. Marie-Antoinette regarde autour d'elle la vaste

place. Les aides s'avancent... D'un mouvement elle fait tomber la « bonnette » de sa tête. Elle ferme les yeux, devine qu'on l'entraîne vers la planche dressée toute droite. On l'attache. C'est long... Atrocement long. Enfin la planche bascule, elle sent contre son cou dénudé le lourd collier de bois que l'on visse.

Un déclic...

Il est midi un quart.

Entre l'instant où elle est apparue sur la plate- forme et celui où la foule a entendu le bruit sourd, il s'est écoulé quatre minutes... L'un des aides ramasse la tête dégoulinante de sang, la tient par les cheveux blancs et, tandis qu'on l'applaudit, la promène autour de l'échafaud.

Soudain, on voit les gendarmes qui sont au pre- mier rang se précipiter et arrêter un homme qui sort de dessous l'échafaud. Ses souliers sont couverts de sang, il tient à la main un mouchoir blanc, tout maculé lui aussi, et serre un œillet entre ses dents...

Tandis qu'on l'entraîne vers la section des Tuile- ries, la foule s'écarte pour laisser passer la charrette ruisselante de sang. On peut la suivre à la trace

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jusqu'au cimetière de la Madeleine. Arrivés là, les bourreaux s'aperçoivent qu'il n'y a ni bière ni fosse de préparées.

Pressés d'aller dîner, ils jettent le corps à même l'herbe, la tête entre les jambes.

La brume s'est tout à fait dissipée, mais le vent s'élève et, au nord, montent de lourds nuages qui, peu à peu, vont couvrir tout le c i e l

1. Archives de l'Observatoire (O.N.M.).

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Sources

A la veille de la Révolution, aurait-on trouvé un millier de Français ayant pour Marie-Antoinette les sentiments que nous lui portons aujourd'hui ? La Reine était alors franchement détestée. Son supplice ne désarma pas la haine que certains continuèrent à lui vouer. Pour s'en convaincre il n'est besoin que de parcourir les volumineux cartons conservés aux Archives Nationales et contenant lettres et pétitions félicitant la Convention et le Tribunal révolutionnaire d'avoir délivré la terre de cette « tigresse altérée de sang », de cette « vipère empoisonnée », de « cette femme anthropophage », de « l'implacable mégère qui a trop longtemps profané de son souffle pestilentiel la terre sainte de la liberté ».

Pour écrire ce livre, j ' a i pu mettre la main sur de nom- breux documents passés jusqu 'à présent inaperçus, et utili- ser des textes oubliés dont on a pu dire qu'ils valaient l'inédit.

LA RÉVOLUTION

Archives Nationales : K. 1719 (État Généraux), K. 506 (Vaisselle envoyée à la Monnaie), K. 164 (5 et 6 octobre),

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K. 505 (Tuileries, Bouche, garde-robe, installation), D. XXIX bis 31 à D. XXIX bis 38, F7. 4385, F7. 6762, M. 664, AD. 101, C. 71, A. 194, W. 290 et W. 33 (Varennes).

J 'ai pu trouver, toujours aux Archives, bien des détails inconnus concernant le 20 juin et le 10 août.

Dans M. 664 se trouve le dossier N° 21 classé par erreur dans un carton contenant des pièces concernant la fuite du Roi. Or ce dossier inédit et très important nous donne de multiples détails sur « le siège, l'invasion et le pillage » du château. J 'ai utilisé, en outre, des documents provenant de : ADI. 101 (Veille du 20 juin), ADI. 102 (Le 20 juin), F7 4774,70 (Très important carton où se trou- vent les papiers saisis chez Pétion), C. 185 (Lettres de Rœderer). Signalons encore : F7. 3688, W. 15, F7 4390 et W. 319.

Dans C. 222 (Papiers saisis aux Tuileries) se trouvent de nombreux détails inédits, et particulièrement le rap- port que Rougeville a adressé à la Reine et qui a été saisi sur la table de Mme Thiébault, femme de chambre de la Souveraine. Il est certain que Rougeville n'a pu se laisser aller à inventer quoi que ce soit dans un texte destiné à être mis sous les yeux de Marie-Antoinette. Il a donc joué un rôle important le 20 juin quoi qu'on en ait dit...

Pour faire revivre l'époque entre les deux journées il faut consulter : C. 222 (Papiers trouvés chez Mme de Tourzel), C. 185 (Départ de Durathon), ADI 101 et F7. 4387 (Mesures de défense, rapport des témoins, dénonciations, « contre-révolution », etc.).

10 août. — Le petit récit de l'abbé Gallois, écrit au cours de la nuit du 9 au 10 août, se trouve également dans C. 222. Les papiers de Pétion (F7. 4774,70) nous donnent encore de précieux renseignements. Je n'ai pu utiliser, faute de place, toute la masse de documents inédits conte- nus dans W. 19, C. 161, F7. 4408, C. 162, F7. 4666,

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M. 667, C. 184, F7. 4426, C. 159, mais je les signale aux chercheurs.

Mémoires, Souvenirs et Correspondances. Outre les ouvrages op. cit. : Rœderer, Dumont, Mathieu, Dumas, Lafayette, Paroy, Gouverneur Moriss, Mme de La Tour du Pin, Mercier, Mounier, Mme de Béarn, de Staël, La Rochefoucauld, Cubières, Rivarol, Mallet du Pan, Chaste- nay, Lindet, Mirabeau-Lamarck, Journa l d 'un Garde Suisse, publié par A. Augustin-Thierry (Revue des Deux- Mondes, I-VIII-1928), etc.

Ouvrages imprimés; Pour les 5 et 6 octobre nous possé- dons un nombre considérable de dépositions faites par les témoins oculaires et publiées dans les deux volumes de Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris. Sur le

même sujet, la remarquable étude de Dom. Leclercq : Les Journées d'octobre, ouvrage aussi complet qu'il soit pos- sible de le désirer. Pour la Révolution il est impossible de tout citer, contentons-nous de mentionner : La Révolution française, de Pierre Gaxotte ; La Révolution française, d'Octave Aubry ; Le Crépuscule de la Monarchie et La Révolution, de Louis Madelin ; Les Derniers Mois de Ver- sailles, du Vte Fleury ; La Révolution française de 1789, publiée par P. Sagnac et J. Robiquet, etc. ; mentionnons encore le Moniteur et les nombreux journaux et brochures du temps.

LES FEUILLANTS ET LE TEMPLE

Archives Nationales : F4. 1310 (Les Feuillants), AA. 53.1486 et F4. 1304 à F4. 1314 (Fournitures, comptes, corsetière, deuil, etc.), F4. 4390 (Les Meubles du Temple), F4. 1319 (Bain), W. 400 (Toulan), F4. 4391, F4. 4392, F4. 4393 (Vie au Temple).

Mémoires, Relations, Souvenirs : Madame Royale, Pau- line de Béarn, Mme de Tourzel, Cléry, Hüe, Turgy, abbé

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Edgeworth de Firmont, Dufour (Feuillants) et les commis- saires : Danjon, Goret, Lepitre, Moëlle.

Journaux : Le Moniteur (séances des 10, 11 et 12 août) et les gazettes du temps.

Ouvrages de : Paul Gaulot (Un complot sous la Ter- reur), La Morinerie (Papiers du Temple), Lenotre (La Captivité de Marie-Antoinette. Louis XVII) et les études de Bord, Charles Kunstler, Louis Hastier, Viel-Castel, Rei- set, Gautherot, Funck-Brentano, Maurice Garçon, etc.

LA CONCIERGERIE

Sur les neuf dernières semaines de la vie de la Reine, nous possédons une masse considérable de documents. Citons tout d'abord les relations des témoins. La plus importante est assurément la Déclaration de Rosalie Lamorlière, native de Breteuil en Picardie, servante à la Conciergerie duran t la captivité de Marie-Antoinette, et l 'enquête de Mme Simon-Vouet qui la complète. Viennent ensuite la Relation de Louis Larivière, porte-clef à la Conciergerie et les Souvenirs de Mlle Fouché. Quant à la Relation de la femme Bault, veuve du concierge de la pri- son de la Conciergerie, je n'ai voulu l'utiliser qu'avec beau- coup de prudence, car ce texte m'a paru rempli d'erreurs. Signalons encore : Clubs contre Révolutionnaires, de Challamel, et Marie-Antoinette, de Saint-Hugues, publié en 1815.

Plusieurs cartons des Archives Nationales nous don-

nent des détails précieux et dont certains sont inédits ou peu connus : W. 15.534 (Livre d'écrou de la prison), F7. 4392, Wia. 112 (Comptes), F7. 1319 et W. 151 (État de santé de la prisonnière). Le livre d'écrou et Wia. 121 nous fournissent également la liste des objets possédés par Marie-Antoinette.

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Sur la Conciergerie elle-même, sur la topographie des lieux, ainsi que sur le Palais de Justice, j 'ai consulté utile- ment : C. 226, F13. 1528, F13. 1279, AF. II, 22.170.55, F16. 580, F13. 1279 et les ouvrages suivants : Souvenirs de Berryer, Étude sur les Tribunaux de Paris, par A.-M. Cazenave, Guide du voyageur et de l 'étranger (1787), par Thierry, La Sainte-Chapelle et la Conciergerie, de F. Gebelin, et surtout : Mémoires d 'un détenu de Riouffe.

Au sujet du changement de cellule de la Reine, conclu- sion de l'affaire de l'œillet, outre la Relation de Rosalie et le rapport des administrateurs de police publié dans le numéro du 14 janvier 1883 de La Révolution française, outre le rapport conservé dans W. 296, j'ai trouvé dans le dossier F7. 4392 les comptes pour « les travaux exécutés dans la ci-devant apoticairerie » et qui semblent être demeurés inaperçus jusqu'à présent.

LA COMMUNION DE LA REINE

Pour la communion et la confession de la Reine, j 'ai consulté les Souvenirs de Mlle Fouché, la Déclaration de l'abbé Magnin (Le Monde du 23-VII-1864), la Communion de la Reine à la Conciergerie (Le Monde du 31-V-1863), l'Église de Paris sous la Révolution, de l'abbé Delare, la Vie de l'abbé Émery, par l'abbé Gosselin, un Épisode de la Terreur (1864), par A. de Ségur, la Revue des questions historiques (1870), Marie-Antoinette, la Captivité et la Mort, de G. Lenotre, et Autour du Temple, de Gustave Bord.

Dans son testament, Marie-Antoinette écrit : « N'ayant aucune consolation spirituelle, ne sachant s'il

existe encore ici des prêtres de cette religion et même le lieu où je suis les exposerait trop s'ils y entraient une fois... »

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Comment concilier cette phrase avec cette confidence de l'abbé Émery qui aurai t réussi à faire passer, quelque temps avant le procès, ce billet à la prisonnière : « Prépa- rez-vous à recevoir l'absolution ; aujourd'hui à minuit, je serai devant votre porte et je prononcerai sur vous les paroles sacramentelles » ? L'aumônier de la Conciergerie se serait rendu à l 'heure dite devant la porte de la Reine ; il aurai t entendu « les soupirs de cette princesse infortu- née » et l 'aurait « entretenue quelques moments avant de lui donner l'absolution ». La scène n'a pu se dérouler qu'avant le 14 septembre, alors que la Reine n'avait pas deux lourdes portes la séparant du corridor.

Le tes tament peut se concilier avec le récit de l'abbé Magnin et de Mlle Fouché. Lorsque Marie-Antoinette écrit « s'il existe encore ici des prêtres », elle peut sous- entendre : comme il en existait auparavant . De même, « le lieu où je suis actuellement détenue les exposerait trop », sous-entendu : alors que dans celui où j 'étais enfer- mée autrefois, la chose était possible. Cependant Mlle Fou- ché et l'abbé Magnin ont prétendu que Bault les avait laissés pénétrer dans le cachot après le 14 septembre. Mais il est préférable de laisser la parole au prêtre :

« Le souvenir de ce qui s'était passé lorsque Louis XVI se trouvait au Temple, dans la même position, et les sen- t iments qui animaient la Reine, me firent lui proposer de lui dire la sainte messe dans le réduit obscur qu'elle occu- pait, et de lui donner la sainte communion. J 'assurai à Sa Majesté qu'il nous serait facile d'apporter tous les objets pour ces augustes cérémonies. Nous avions, en effet, à notre disposition, dans ces jours affreux, de très petits calices qui se démontaient, des missels petit in-18, des pierres d'autel portatives, un peu plus longues que le pied d'un petit calice. Tous ces articles se refermaient dans un sac à ouvrage, et nous pouvions aisément les cacher dans nos poches.

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« La Reine reconnaissante accepta en nous faisant ses remerciements. Dans le nombre des gendarmes qui étaient employés à la garde particulière du cachot, nous en avions remarqué deux qui, par leur respect pour leur Souveraine et la franche manifestation de leurs senti-

ments religieux, nous avaient inspiré entière confiance. Comme ils étaient bien connus du concierge, je ne balan- çai pas à les prévenir du bonheur dont la Reine allait jouir, et ces Français, aussi bons chrétiens que sujets fidèles, me témoignèrent le désir de participer à ce glo- rieux avantage.

« Le jour de l'œuvre sainte fixé, le concierge vint nous prendre pendant la nuit, dans un lieu indiqué, et nous conduisit dans la nuit. J 'entendis la confession de la

Reine. Mlle Fouché s'était préparée à recevoir son Dieu, et les deux gendarmes m'annoncèrent qu'ils s'y étaient dis- posés aussi et qu'ils désiraient ardemment communier dans cette circonstance aussi fortunée qu'inattendue. Nous préparâmes sans perdre un instant, sur la petite table, tout ce qui était nécessaire.

« Je célébrai l 'auguste sacrifice de nos autels et je don- nai la communion à la Reine qui, en se nourrissant du pain eucharistique, reçut de son Dieu le courage de sup- porter, sans se plaindre, tous les tourments qui l'atten- daient. Mlle Fouché et les deux gendarmes furent admis dans le même moment à ce banquet divin.

« L'engagement que j'ai pris d'être succinct dans ma narration ne me permet pas de peindre l'émotion que devait faire naître une scène si touchante ; elle eut lieu dans les premiers jours d'octobre 1793. Tombé malade peu de temps après, ce fut la dernière fois que j 'eux l'hon- neur de voir Sa Majesté. Mlle Fouché, plus heureuse, lui présenta à ma place M. Cholet, prêtre de la Vendée. Cet ecclésiastique communia la Reine dans la nuit du 12 au 13 du même mois. »

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Et l'abbé Magnin explique ainsi la phrase de la Reine dans son « tes tament » : « La prudence et le désir de met t re à couvert et les prêtres qui l 'avaient assistée aussi bien que les personnes qui s'étaient employées à les intro- duire, suffisaient pour lui suggérer cette réflexion, ou toute aut re réflexion semblable. Quoi qu'il en soit, ces faits parlent. »

Que conclure ? La présence des deux gendarmes paraît d 'autant plus singulière que la Reine demeura seule dans sa cellule du 4 septembre au 5 octobre. Sous la Restaura- tion, le fait que la Reine avait pu mourir en n 'étant pas en état de grâce a-t-il pu déterminer ce prêtre à faire un « pieux mensonge » ? Personnellement je ne parviens pas à le croire, d 'autant plus que l'abbé Magnin, violemment attaqué, monta en chaire et, se tournant vers l'autel, « éleva ses mains et affirma devant Dieu que tout ce qu'il avait dit était pure vérité ».

LE PROCÈS

Il faut tout d'abord noter l'Histoire du Tribunal révolu- tionnaire, de H. Wallon, le Tribunal révolutionnaire de Paris, de Campardon, et principalement Le Tribunal révo- lutionnaire, de G. Lenotre.

Sur le point important du trajet suivi par la Reine en se rendant ou en revenant du Tribunal révolutionnaire, je me trouve en désaccord avec G. Lenotre et je dois une explication au lecteur. Le maître de la « Petite Histoire » fait passer Marie-Antoinette par l'escalier de la chapelle, dont le point de départ était sans doute situé plus près de son cachot, mais qui débouchait assez loin de la Grand- Chambre, tout au bout de la galerie des Peintres, aujour- d'hui galerie Saint-Louis. Notre opinion est étayée par deux textes écrits par des témoins. Le lieutenant de gen- darmerie de Busne, arrêté le lendemain du procès pour

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avoir apporté un verre d'eau à la prisonnière et lui avoir offert le bras, écrit dans sa pétition : « Je lui présentai mon avant-bras droit, et elle descendit dans cette att i tude l'escalier ; elle le reprit pour descendre les trois marches glissantes du perron ». Et voici, écrit par un prisonnier, l 'autre texte : « Le jugement de la Reine commença lundi matin ; nous la vîmes passer dans la cour quatre ou cinq fois vêtue bien modestement en noir. » (Un épisode de la Terreur, écrit par Barthélemy B. de La Roche et publié par le comte de Ségur). Les 14 et 15 au soir, après l'au- dience, ce n'est pas de la cour que les prisonniers virent passer la Reine, mais des fenêtres de leur cachot donnant sur cette cour. Le matin du 14 et du 15 et à quatre heures de l'après-midi du 14, elle dut traverser deux fois le préau où les prisonniers avaient la liberté de se promener du lever au coucher du soleil.

Le texte du procès de la Reine, les interrogatoires des 5 et 6 octobre (Louis XVII, Madame Royale et Madame Éli- sabeth), l'interrogatoire de la Reine le 12 octobre et l'acte d'accusation ont été publiés, d'après les originaux, par la Révolution française, dirigée par Auguste Dide (années 1883 et 1884). Mais le dossier W. 290 nous donne le pro- cès-verbal, l 'heure des suspensions d'audience qui ne se trouvent pas dans le document publié par Dide, ainsi que le nom des juges et des jurés qui sont différents de ceux donnés par la Révolution française.

J 'ai consulté également avec bénéfice les Souvenirs de Chauveau-Lagarde, le dossier Chauveau-Lagarde et Tron- son du Coudray. La Souveraine devant la Justice, de Mar- cel Rousselet (F7. 4774,94), les dossiers W. 295, 296 et 197, AE15, 18, F4. 1319, Wia. 121., F13. 1279, etc., la Déclaration des frères Humbert recueillie par Mme Simon-Vouet, Marie-Antoinette et la Révolution, de Viel- Castel, etc. Les dossiers C. 166, C. 271, 272, 276, 279 à 286 contiennent les pétitions pour réclamer la mise en jugement de la Reine ainsi que les nombreuses félicita-

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tions des municipalités après l'exécution. Le fameux billet de Trinchard se trouve à la B.N. Mss fr; 12759 et le compte rendu de la séance secrète du Comité de Salut public a été publié par Francis Dracke dans : Historical manuscripts commission. The manuscripts of J.-B. Fortescue, esq. preserved a t Dropmore (Vol. II).

L'EXÉCUTION

Les détails concernant les dernières heures de la Reine ont été pris dans la Relation de Rosalie et dans celles des témoins : Louis Larivière, le gendarme Léger, Desessarts, Charles Desfossés, Rouy, Hébert, Lapierre, Notelet, (lettres publiées par Jules Mazé), dans le rapport inédit du policier Roubaud (F7. 3688,3) et d'un policier inconnu (Fie. III, 13). Les archives de l'Observatoire (conservées à l'O.N.M.) indiquent heure par heure le temps qu'il faisait les 14, 15 et 16 octobre. Dans le dossier W. 291 (183) se trouvent les détails de la curieuse affaire Maingot, l'homme qui, tout couvert de sang, sortit de dessous l'échafaud après l'exécution. Il fut arrêté par les témoins qui se trouvaient au premier rang. Il se nommait Maingot et exerçait la profession de fripier. La présence de l'œillet intrigua. « Connaissez-vous Rougeville, ci-devant cheva- lier de Saint-Louis ? » Il nia, on le fouilla et on trouva sur lui deux images pieuses, « signe de ralliement des enne- mis de la République ». Il était, en outre, curieusement tatoué, portant un cordon bleu en sautoir, à l'extrémité duquel se trouvait une croix, sur la poitrine les lettres G.B., sur le bras droit. J.H.S. et son bras gauche était orné d'un crucifix. Il y avait là de quoi vous envoyer à la guillotine le jour même ! Maingot passa deux fois devant le Tribunal — une fois pour le sang et l'œillet, une fois pour les tatouages et les images pieuses — et fut acquitté ! On lui rendit même ses effets tachés de sang ! Il

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avait réussi à prouver que « les stigmates imprimés sur sa peau » dataient de 1787, époque où il était soldat « au régiment de Neustrie », et qu'il avait trouvé par terre les images. Quant au sang, il prétendit « avoir été poussé par la foule » et avoir « marché dans le sang dans l'intention de l'effacer ».

Comment se termina la pitoyable conspiration des per- ruquiers dont les détails se trouvent dans le dossier W. 311 des Archives nationales ?

Dès le lendemain de l'exécution les chefs de la conspira- tion au nombre de vingt-neuf — on laissa les volontaires en paix — sont arrêtés et envoyés à la Conciergerie.

Fouquier-Tinville, le 17 janvier 1794, fait monter au Tribunal les vingt-neuf, « coupables d'avoir ourdi une conspiration tendant à enlever la femme Capet pour la soustraire à la vengeance nationale ». Cinquante-quatre témoins défilent : chapeliers, teinturiers, blanchisseurs, tisserands, charbonniers... et perruquiers ! Pressés par la peur, ils accablent la dentellière, le ménage Lemille, Bas- set et le petit décrotteur.

Après trois jours de débats, Basset et Lemille, ainsi que la femme Lemille et la femme Fournier, chef de la Conspi- ration, sont condamnés à mort. Treize autres conjurés sont enfermés « jusqu'à la paix ». Le petit décrotteur, « vu son âge », s'en tire avec vingt ans de détention. Tandis qu'on proclame le verdict, la pauvre dentellière aveugle embrasse son enfant. « Les sanglots la suffoquent », dit un témoin. Dans la charrette, tout le long du trajet, on l'en- tend répéter en pleurant : « Pobrépit i t !... Pobré pitit ! »

Les perruquiers meurent bravement. La dentellière se débat avec tan t de vigueur que le couteau ne détache qu'une partie de sa tête...

Deux jours plus tard, sur cette même place où est morte sa mère, le petit décrotteur de quatorze ans est placé sur

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l 'échafaud et attaché à un poteau où se trouvent inscrits son nom, son âge, sa profession et le texte du jugement.

Telle fut, en nivôse an II, la fin des derniers défenseurs de la reine de France.

Dans le livre d'écrou de la Conciergerie (W15. 534 (II)) se trouve l'inventaire après décès de la veuve Capet (che- mises en toile fine, mantelet de raz de St-Marc, deux paires de bas noir, une coiffe de linon, une ceinture de crêpe, etc.). Toutes ces « hardes » furent données, selon l'usage, à la Salpêtrière afin d'être distribuées aux déte- nues. Or, l'héritage des deux êtres que la Reine a le plus détestés se trouve inscrit dans le livre d'écrou, non loin d'elle. Après « la houppe de cigne et la petite boîte de pom- made en fer-blanc » qui clôt l'inventaire de la veuve Capet, il suffit de tourner deux pages du registre... Là, après Bailly, qui n'a laissé qu'une montre en or et une clef, se trouve la succession de Philippe-Égalité. C'est un vrai vestiaire de dandy, le plus luxueux de tous les condam- nés ! On est noyé sous une pluie de culottes, de vestes, de cravates, de robes de chambre. Il y a même des couverts en argent, un nécessaire de campagne et une « vache » de voiture... Vous tournez encore deux pages, et, en date du 19 frimaire, vous lisez l'inventaire de la du Barry. Dans sa cellule, après son départ pour l'échafaud, il n'a été trouvé qu'une cassette en bois blanc contenant deux théières et deux tasses. C'est tout !

Quand le fossoyeur Joly enterra-t-il le corps de Marie- Antoinette ? Combien de temps le cadavre resta-t-il

Page 42: Le Procès de Marie-Antoinette

étendu sur le gazon ? On ne sait au juste... C'est seule- ment le 1 novembre que le fossoyeur présenta sa note :

Pour la fosse et les fossoyeurs 15 livres,35 s. La veuve Capet, pour la bière .......................... 6 livres

Pour se rembourser, l'autorité attendit près de quatre années. C'est seulement en l'an V que le commissaire Dardoize procéda à la vente aux enchères des objets saisis au Temple et déballés en plein Tribunal. Il ne restait plus que la petite servante de maroquin vert qui monta à 5,74 F et les trois petits portraits dans les étuis de cha- grin qui atteignirent 4,40 F... Le reste avait disparu, volé, on ne sait par qui !

« Ce fait, attendu qu'il n'existe plus rien à dire, faire, ni vendre, avons arrêté le montant desdits objets à la somme de 10 fr 15 centimes. » (Archives de la Seine.)

Voilà ce que produisirent « les biens acquis et confis- qués au profit de la République »...

Pour terminer, recopions l'acte de décès de la Reine :

«Acte de décès de Marie-Antoinette Lorraine d'Au- triche, du 25 du mois dernier, âgée de 38 ans, veuve de Louis Capet. Sur la déclaration faite à la Commune par

, âgé de .. ans, profession , domicilié à Ledit déclarant a dit être .............................................

« Le ».

Personne n'avait osé se rendre à l'Hôtel de Ville pour déclarer la mort de la fille de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, veuve du roi de France.