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Annales de pathologie (2010) 30S, S25—S27 CONFÉRENCE Le projet de télépathologie sur lames virtuelles de l’est du Québec : un projet clinique déployé sur 21 sites Bernard Têtu , Jean Boulanger , Christine Houde Département de pathologie, CHU de Québec, université Laval, 11, côte du Palais, Québec, QC G1R 2J6, Canada Accepté pour publication le 13 juillet 2010 Disponible sur Internet le 28 septembre 2010 Plusieurs pays vivent actuellement une grave pénurie d’anatomopathologistes et pour- tant, ceux-ci n’ont jamais été autant sollicités pour contribuer à la prestation des soins. Par exemple, l’introduction de programmes de dépistage et l’avènement de nouvelles approches thérapeutiques beaucoup plus ciblées et individualisées en oncologie ont mené à l’adoption de modèles de comptes rendus plus structurés mais beaucoup plus complexes à appliquer. Tous ces changements surviennent dans un contexte où la spécialité peine à se renouveler, même en milieu universitaire, en partie en raison de la perception que l’anatomopathologie est une discipline peu technologique où le seul outil de travail est encore le microscope. Le système de santé canadien est de compétence provinciale mais chaque province doit répondre à des règles communes. Il s’agit d’un régime public universel visant à offrir des services de qualité uniforme sur l’ensemble du territoire canadien. Cependant, dans cer- tains hôpitaux en région éloignée, le service d’anatomopathologie est assumé, soit par des pathologistes dépanneurs, présents quelques jours par mois seulement ou par un patho- logiste pratiquant seul et qui, en cas d’absence, n’est pas remplacé. Les chirurgiens et administrateurs de ces centres hospitaliers connaissent bien les limites de ne pas avoir de pathologiste sur place en tout temps. Dans ces milieux, certains chirurgiens hésitent à opérer les patients atteints d’un cancer lorsqu’il est impossible d’avoir accès à un examen extemporané et préfèrent les transférer à un autre centre hospitalier. Dans d’autres situa- tions, la liste opératoire doit être adaptée pour tenir compte de la présence ou non du pathologiste. Cela laisse donc peu de flexibilité au système et ne permet pas de couvrir les situations d’urgence. De plus, le pathologiste pratiquant seul ne peut obtenir rapidement l’opinion d’un collègue pour les cas difficiles, nuisant du même coup au recrutement de jeunes pathologistes habitués aux milieux de formations universitaires où les pathologistes se consultent régulièrement. Conférence présentée le mercredi 24 novembre 2010, de 12 h 30 à 13 h 00 dans le Grand Amphithéâtre. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Têtu). 0242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2010.07.011

Le projet de télépathologie sur lames virtuelles de l’est du Québec : un projet clinique déployé sur 21 sites

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Annales de pathologie (2010) 30S, S25—S27

CONFÉRENCE

Le projet de télépathologie sur lames virtuelles del’est du Québec : un projet clinique déployé sur21 sites�

Bernard Têtu ∗, Jean Boulanger, Christine Houde

Département de pathologie, CHU de Québec, université Laval, 11, côte du Palais,Québec, QC G1R 2J6, Canada

Accepté pour publication le 13 juillet 2010Disponible sur Internet le 28 septembre 2010

Plusieurs pays vivent actuellement une grave pénurie d’anatomopathologistes et pour-tant, ceux-ci n’ont jamais été autant sollicités pour contribuer à la prestation des soins.Par exemple, l’introduction de programmes de dépistage et l’avènement de nouvellesapproches thérapeutiques beaucoup plus ciblées et individualisées en oncologie ont menéà l’adoption de modèles de comptes rendus plus structurés mais beaucoup plus complexesà appliquer. Tous ces changements surviennent dans un contexte où la spécialité peineà se renouveler, même en milieu universitaire, en partie en raison de la perception quel’anatomopathologie est une discipline peu technologique où le seul outil de travail estencore le microscope.

Le système de santé canadien est de compétence provinciale mais chaque province doitrépondre à des règles communes. Il s’agit d’un régime public universel visant à offrir desservices de qualité uniforme sur l’ensemble du territoire canadien. Cependant, dans cer-tains hôpitaux en région éloignée, le service d’anatomopathologie est assumé, soit par despathologistes dépanneurs, présents quelques jours par mois seulement ou par un patho-logiste pratiquant seul et qui, en cas d’absence, n’est pas remplacé. Les chirurgiens etadministrateurs de ces centres hospitaliers connaissent bien les limites de ne pas avoirde pathologiste sur place en tout temps. Dans ces milieux, certains chirurgiens hésitent àopérer les patients atteints d’un cancer lorsqu’il est impossible d’avoir accès à un examenextemporané et préfèrent les transférer à un autre centre hospitalier. Dans d’autres situa-tions, la liste opératoire doit être adaptée pour tenir compte de la présence ou non dupathologiste. Cela laisse donc peu de flexibilité au système et ne permet pas de couvrir lessituations d’urgence. De plus, le pathologiste pratiquant seul ne peut obtenir rapidementl’opinion d’un collègue pour les cas difficiles, nuisant du même coup au recrutement dejeunes pathologistes habitués aux milieux de formations universitaires où les pathologistesse consultent régulièrement.

� Conférence présentée le mercredi 24 novembre 2010, de 12 h 30 à 13 h 00 dans le Grand Amphithéâtre.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (B. Têtu).

0242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annpat.2010.07.011

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Au Canada, deux crises survenues dans les provincese Terre-Neuve et du Nouveau-Brunswick ont terni l’imagee l’anatomopathologie. Des commissions d’enquête ontté menées afin de mieux comprendre les problèmes à’origine de ces crises. Dans les deux cas, des recomman-ations préconisent l’introduction de la télépathologie pourontrer l’isolement professionnel et améliorer la qualité desiagnostics1,2.

Le College of American Pathologists définit la télépatho-ogie comme suit : « Une pratique de la pathologie où leathologiste établit un diagnostic par visualisation d’imagesnalogues ou numérisées et rédige un compte-rendu qui seraéposé dans le dossier du patient » [1]. La télépathologiepparaît, à cet effet, une approche innovatrice pouvant, nonas remplacer le pathologiste, mais aider à la fois les chi-urgiens, les pathologistes et les gestionnaires à améliorer’offre de service et contrer l’isolement professionnel.

Le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Qué-ec a demandé, en 2004, à chacune des quatre facultés deédecine de cibler deux projets de télésanté et s’engageaitles financer en partenariat avec « Inforoute Santé du

anada ». Inforoute Santé du Canada est une organisationans but lucratif, qui collabore avec les provinces et les ter-itoires du Canada, les pourvoyeurs de soins de santé et lesournisseurs de solutions technologiques, afin d’accélérer’utilisation des dossiers de santé électroniques au Canada.a faculté de médecine de l’université Laval est la seule àvoir choisi la télépathologie.

Le territoire de desserte de la faculté de méde-

ine de l’université Laval couvre tout l’est du Québec,n vaste territoire de 408 760 km2 (France : 549 000 km2)vec une population de 1 729 377 habitants et dont laensité varie, sauf pour la région de Québec, de 0,4 à,1 habitants par kilomètre carré. On y compte actuelle-ent 48 pathologistes, répartis dans 14 établissements. Laajorité de ces pathologistes est concentrée en milieu uni-

ersitaire, alors qu’une majorité d’hôpitaux en région estesservie par un ou, rarement, deux pathologistes. Certainstablissements n’ont accès qu’à des pathologistes dépan-eurs.

Le projet de télépathologie de l’est du Québec proposeonc :d’assurer des services d’extemporanés partout et en touttemps sur l’ensemble du territoire de desserte de lafaculté de médecine de l’université Laval ;de permettre de consulter rapidement des collèguespathologistes pour une seconde opinion diagnostique(relecture) ;de partager le service de garde dans une région ;d’assurer le retour plus rapide en région de résultatsd’examens d’immuno-histochimie effectués en milieuuniversitaire, permettant ainsi au pathologiste de finalisercertains comptes rendus plus rapidement.

1 Commission of inquiry on hormone receptor testing volume 1:nvestigation and findings. The Honourable Margaret A. Cameronommissioner© 2009, by Government of Newfoundland and Labra-or St. John’s, NL A1B 4J6 ISBN # 978-1-55146-349-0, volume 1reprinted*). Office of The Queen’s Printer, Department of Govern-ent Services.2 Réponse à la Commission d’enquête sur les services de patho-

ogie à la régie régionale de la santé de Miramichi. Publié pare: Ministère de la Santé, province du Nouveau-Brunswick CP 5100redericton (Nouveau-Brunswick) E3B 5G8, Canada. Ministère de’Approvisionnement et des Services. ISBN: 978-1-55471r-r132-1.

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B. Têtu et al.

Le projet est actuellement déployé dans 21 établisse-ents dont six sont dépourvus de laboratoire de patholo-

ie. L’équipement nécessaire à la télépathologie comprendrois composantes, soit une plateforme de macroscopieouplée à un système de visioconférence, un numérisa-eur de lames virtuelles et un système de visualisationes images. Le système de macroscopie et de visiocon-érence permet au pathologiste de voir à distance et enemps réel la pièce opératoire à examiner pendant unentervention chirurgicale. Le pathologiste peut ainsi discutervec le chirurgien afin d’orienter le choix du prélèvementour l’examen peropératoire. Une coupe histologique estnsuite préparée et numérisée. L’image numérisée est fina-ement transmise au pathologiste de garde par le Réseau deélécommunication socio-sanitaire, système de télécommu-ication reliant l’ensemble du réseau public de santé et deservices sociaux du Québec. Le système de visualisation per-et au pathologiste à distance de voir les images et d’établir

on diagnostic.Lorsque le réseau de télépathologie sera entièrement

pérationnel, le service de garde en extemporané pour lesôpitaux dépourvus de pathologiste sera assuré, en priorité,ar des pathologistes de la même région. Les pathologisteses différents hôpitaux universitaires de Québec viendrontn appui à leurs collègues des régions et agiront en tant queonsultants.

Plusieurs étapes du projet ont été franchies depuis 2004.n effet le projet a été officiellement approuvé par les ins-ances gouvernementales québécoises et canadiennes, unomité directeur a été formé, les considérations médicolé-ales et les négociations concernant la rémunération de laélépathologie ont été réglées et les appels d’offre ont étéancés. Un comité d’experts a procédé à une évaluation cli-ique et technique des équipements et un choix final a étéait. Le déploiement est en cours et devrait être complétén 18 mois.

Nous croyons que ce projet améliorera de facon signi-cative la qualité des soins, permettra, en cas de rupturee services, de réduire les transferts de patients, raccour-ira le temps-réponse des diagnostics histopathologiques,

éduira l’isolement professionnel et rendra la pratiquelus attrayante, facilitant ainsi la rétention et le recrute-ent de pathologistes et chirurgiens sur tout le territoiree desserte de la faculté de médecine de l’universitéaval.

D’autres projets sont en cours également au Canada,ais le projet de télépathologie de l’est du Québec est lelus ambitieux en Amérique du Nord et l’un des plus impor-ants dans le monde. Un projet en Colombie-Britanniquest axé principalement sur la mise en place de standardsn télépathologie et vise à faciliter l’accès à des pro-rammes de formation continue ainsi qu’à des programmes’assurance—qualité. Quelques projets pilotes en télédiag-ostic de pathologie clinique (cytologie et extemporanés)ont également en cours dans certaines agences régionalese santé de cette province. À Toronto, le University Healthetwork possède une longue expérience en télépathologiet offre des services d’extemporanés à un hôpital spécialisén neurochirurgie depuis plusieurs années [2]. Le Universityealth Network étend actuellement ses services de télépa-hologie à des hôpitaux des régions éloignées de l’Ontario etl a été récemment sollicité par le Ministère de la Santé duanitoba et de Terre-Neuve, afin de contrer leur pénurie deathologistes. Un autre projet est en phase de déploiementans le réseau de l’université d’Ottawa, en Ontario. Ce pro-et vise à offrir des services de diagnostic pour 17 hôpitaux

Le projet de télépathologie sur lames virtuelles de l’est du Québ

du réseau. Enfin, divers projets pilotes plus modestes ontété menés dans d’autres provinces canadiennes [3].

Conflit d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

Références

[1] Williams S, Henricks WH, Becich MJ, Toscano M, Carter AB. Tele-pathology for patient care: what am I getting myself into? AdvAnat Pathol 2010;17:130—49.

ec S27

[2] Evans AJ, Chetty R, Clarke BA, Croul S, Ghazarian DM,Kiehl TR, et al. Primary frozen section diagnosis by robo-tic microscopy and virtual slide telepathology: the Uni-versity Health Network experience. Hum Pathol 2009;40:1070—81.

[3] Chorneyko K, Giesler R, Sabatino D, Ross C, Lobo F, Shu-haibar H, et al. Telepathology for routine light microscopicand frozen section diagnosis. Am J Clin Pathol 2002;117:783—90.