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Collège Coopératif Provence-Alpes-Méditerranée
Centre agréé par le Ministère des Affaires Sociales, du Travail et de la Solidarité
Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale
Région PACA
LE PROJET DE VIE DE L’ADULTE POLYHANDICAPE :
Un projet négocié
Entre enjeux et je, une illusion de liberté
Présenté par : Sous la direction de :
Thierry BOUCE Jean-Michel THERAGE
Session de décembre 2009
Centres associés
Institut Régional de Travail Social PACA et Corse
1
INTRODUCTION
Formé à la fonction d’Aide Médico Psychologique (A.M.P.) puis d’Educateur Spécialisé
(E.S.), nous travaillons, actuellement, comme adjoint de direction sur trois structures
d’adultes polyhandicapés situées à Nice et dans sa région : un Centre d’Accueil de Jour
(C.A.J.), un Centre d’Accueil de Jour avec semi internat et un foyer de vie.
Tout au long de notre parcours professionnel rythmé par les doutes et les incertitudes, nous
avons été interpellés par la question du choix de vie pour l’adulte polyhandicapé, au regard
de son quotidien, de son environnement et de son avenir.
Depuis une dizaine d’années maintenant, les réformes se sont succédées visant à
reconnaître ou étendre les droits des usagers. Travaillant depuis plus de quinze ans auprès
de personnes polyhandicapées, nous sommes témoins de ces nouvelles conceptions et
mentalités. Celles-ci bouleversent toutes les sphères de la société et, plus particulièrement,
les pratiques des professionnels du secteur social et médico-social. « D’incapable »,
« d’handicapé », ces réformes se veulent de requalifier l’usager, de le reconsidérer dans
son statut d’adulte, de personne et comme « capable de. » L’émergence soudaine de ces
nouveaux principes et regards portés à l’encontre de la personne handicapée interpelle.
Comment expliquer cette émergence soudaine ? Pourquoi maintenant ? Est-ce la société,
dans son désir de toujours plus d’intégration et d’autonomie, qui conditionne la loi ou bien,
au contraire, est-ce la loi qui modifie le regard que nous portons sur ces personnes
« marginalisées » ? Que prétend la loi dans ces nouvelles conceptions, normaliser
l’handicap au risque de le nier ? Ou bien le reconnaître dans sa différence tout en
l’intégrant dans la société ?
La reconnaissance législative de ces nouveaux droits fait changer inévitablement les modes
de relation entre la personne handicapée et la société. Cela nécessite de repenser le
positionnement de tous autour de la personne de l’usager, « au centre du dispositif. »
La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale se veut d’affirmer ces
droits et de les garantir à travers tout un ensemble d’outils. Les professionnels ont été
2
amenés à revoir leurs pratiques en se remobilisant autour des droits des résidents.
L’implication des résidents, mais aussi de leurs familles, est devenue un fait de droit.
Ces obligations législatives formalisées ont eu pour effet de déstabiliser les professionnels
dans un premier temps et de faire naître des tensions entre les familles-professionnels
autour de la personne handicapée en termes de revendications.
Les institutions sont confrontées aussi à la difficile application et organisation de certains
outils décrétés par la loi, notamment le contrat de séjour, mais pas seulement. Les droits
des usagers sont parfois difficilement conciliables avec leurs problématiques et
potentialités. Le législateur, en renforçant les droits des usagers, admet que ceux-ci
peuvent maintenant prétendre à un statut d’experts, comme acteurs de leurs propres
changements. L’émergence de ces nouveaux droits est l’occasion pour la personne
polyhandicapée de renégocier sa place et sa participation. L’usager peut légitimement
exprimer des désirs divergents de ceux de ses partenaires… mais dans les faits, se pose la
question de la conciliation de cette loi avec l’ingérence des familles et des institutions.
Alors sommes-nous allés trop loin ? Quelle est la part de démagogie ou d’utopie dans ces
nouvelles aspirations ?
La personnalisation est l’aboutissement désiré de ces nouvelles lois. Le projet est le cœur
même de cette personnalisation. La loi 2002-2 définit l’obligation aux établissements
médico-sociaux de mettre en place des projets (projet d’établissement, de service…). Le
projet est devenu aussi un outil de gestion, de management, le moyen de redynamiser les
équipes, de lutter contre l’épuisement professionnel.
Le projet de vie du résident ne peut se limiter à une réalisation purement imposée par les
professionnels. Le projet est balisé par un cadre légal. Celui-ci pose la question du
consentement éclairé de la personne protégée, de la place et de la participation de la
famille. Le projet de vie de la personne polyhandicapée va bien au-delà aussi du seul projet
du résident, car il permet de donner du sens à l’accompagnement, de lutter contre la routine
et l’épuisement professionnel.
INTUITION DE DEPART
Malgré le cadre légal stipulant, entre autre, que la personne handicapée doit être au centre
du dispositif, malgré aussi la réminiscence de la notion de projet dans la société
3
d’aujourd’hui, notre intuition de départ est que le projet de vie n’appartient pas en propre à
la personne polyhandicapée.
Le projet prône un acteur participant et autonome or l’acteur concerné dans ce mémoire est
un incapable majeur handicapé. Nous voyons poindre, ici, une tension quelque peu
paradoxale pour ne pas dire contradictoire.
De cette intuition, enrichie aussi par des lectures exploratoires, nous en avons tiré plusieurs
questions de recherche.
QUESTIONS DE RECHERCHE
- quel est le sens paradoxal du projet de vie pour la personne polyhandicapée adulte
entre « Je et Enjeux » ?
- suffit-il de dire, en somme, que la personne polyhandicapée est au centre du
dispositif pour que cette dernière obtienne le statut de personne à part entière ?
- de quel espace de liberté, de quelle marge de manœuvre dispose-t-elle quant à son
projet personnalisé, prise entre le projet parental et le projet institutionnel ?
QUESTION DE DEPART
La personne polyhandicapée, du fait de sa situation de handicap, a besoin d’une tierce
personne pour l’ensemble des actes de la vie quotidienne. Dans la majeure partie des cas,
elle se trouve confronté à des difficultés de communication, une pathologie physique et
mentale sévère, des déficiences intellectuelles certaines… Et pourtant, les lois 2002.02 et
de 2005 ont placé l’usager au centre du dispositif et, de ce fait, ont placé le projet
personnalisé comme l’outil de ses droits.
Nous formulons donc notre question de départ ainsi :
« Quel est le sens du projet de vie de la personne polyhandicapée, projet subi ou
projet consenti ? »
HYPOTHESE
Notre hypothèse « est que le projet de vie ne garantit pas à la personne
polyhandicapée le choix de sa vie. »
Notre problématique va consister à démontrer que la personne polyhandicapée n’est pas
actrice de son propre projet de vie et, par conséquent, le projet personnalisé ne garantit pas
4
à la personne polyhandicapée le choix de sa vie. Nous souhaitons aller, dans notre
démonstration, au-delà de la simple affirmation que la personne polyhandicapée ne peut
être entièrement actrice de son projet, du fait de ses déficiences liées à son handicap et à
ses conséquences, mais également du fait de sa seule dépendance à l’encontre d’une tierce
personne, famille, institution.
La première partie de notre Mémoire, que nous avons intitulée « Regards sur le
polyhandicap », a pour objectif de poser le cadre de la recherche, d’apporter un éclairage
pratique et théorique de la notion de polyhandicap et de sa spécificité. Il s’agit aussi, dans
cette première partie, de questionner le polyhandicap au regard du contexte politico-social
actuel. En somme, nous abordons là, le premier versant de notre recherche, à savoir
l’adulte polyhandicapé.
Notre deuxième partie, que nous avons intitulée « Le projet à l’épreuve du polyhandicap »,
pose un regard sur le deuxième pôle de notre recherche, à savoir la notion de projet. Nous
nous interrogeons sur le fait que le projet soit si à la mode aujourd’hui. Est-ce une mode
d’ailleurs ou ne répond t-il qu’à une commande sociale ?
Nous montrons aussi, dans cette partie, en quoi le projet ne peut se réduire à un simple
listing d’activités et planification d’intentions, c’est plus que cela. Le projet est aussi un
contenu idéologique, une conception de la vie. Le projet est source de représentations et
d’enjeux car il met aux prises un certain nombre d’acteurs dans un contexte donné. Ces
acteurs, au nom du projet, mettent en place des stratégies pour le défendre mais plus encore
pour revendiquer des valeurs, des places et des rôles. Notre recherche interroge, dans cette
deuxième partie, la mise en tension adulte polyhandicapé-projet de vie sous l’angle du
facteur temps. Cette démarche nous permet d’éclairer la relation triangulaire famille-
résident-institution à la lumière du projet, à la fois source d’enjeux et de liants.
Nous mettons en relation, dans cette partie, deux notions : projet et choix de vie, que nous
conceptualisons en parlant de « projet de vie », via les champs de l’anthropologie et de la
philosophie. Le choix d’un qualificatif n’est pas neutre. Par l’appellation de projet de vie,
nous souhaitons aussi dépasser le débat autour des différents adjectifs employés. Ainsi
parle-t-on couramment « de projet individuel » ou « individualisé », de « projet
personnel », de « projet personnalisé », voire même de « projet individuel
5
personnalisé »… Pourtant, suivant l’appellation choisie, on ne dit pas tout à fait la même
chose et surtout, on ne considère pas la personne polyhandicapée de la même façon. « La
notion d’individu, étymologiquement, ce qui ne peut être divisé, exprime une idée d’unité
tandis que celle de personne, du latin persona, masque et par extension, caractère, rôle,
rend compte d’une singularité, d’une figure… »1
CHOIX DE LA TECHNIQUE D’INVESTIGATION
Le dernier chapitre de notre deuxième partie porte sur l’aspect méthodologique de notre
mémoire et notamment sur les récits de vie, technique d’investigation que nous avons
choisie pour répondre à notre problématique.
A travers ces récits de la naissance aux projections futures, en passant par l’annonce du
handicap, les différentes prises en charge… nous souhaitons éclairer transversalement la
notion de projet de vie de la personne polyhandicapée. Tout au long de sa vie, de ce
processus non linéaire fait de coupures, de ruptures, de passages, de renoncements et de
projections, des décisions ont dues être prises, des choix ont du s’opérer. Les récits de vie
nous permettent de comprendre qui a pris ces décisions, de quelle place et de quelle marge
de manœuvre dispose la personne polyhandicapée dans ses choix. Les récits nous éclairent
aussi sur les différences de conception du projet de la personne handicapée dès lors où elle
« passe » d’un établissement d’enfants à celui d’adultes.
La famille est au centre de notre recherche dans cette troisième partie et non le résident,
soulignant par la méthode même, le paradoxe de la commande sociale : le résident au
centre du dispositif. En faisant parler la famille, nous pouvons nous rendre compte du
système familial et de sa dynamique, de la place occupée par le résident… mais aussi ses
rapports avec l’institution d’hier et d’aujourd’hui.
Les passages, d’une institution à une autre, d’un projet à un autre, se révèlent des
indicateurs pertinents car c’est souvent dans ces moments que s’opèrent des choix
cruciaux, que la notion de projet de vie prend tout son sens et que se posent les enjeux
relationnels de la triangulation famille-résident-institution.
1 JAEGER M. et al., Diriger un établissement ou un service en action sociale et médico-sociale, Dunod (coll.
Action Sociale), Paris, 2005, p. 490.
6
Une nouvelle immersion dans le champ professionnel nous permet d’évaluer la mise en
pratique de cette injonction législative du projet personnalisé. La démarche consiste à
questionner la manière dont le projet a été pensé et construit à Handas (modalités,
participants…), d’interroger la place du trinôme dans cette construction et en particulier
celle de la personne adulte polyhandicapée dans l’élaboration de son projet personnalisé.
Les conceptions familiales et institutionnelles du projet et de la place de la personne
handicapée sont questionnées séparément dans cette partie. Ce choix méthodologique
permet de faire émerger leurs caractéristiques. Une mise en tension de ces différentes
conceptions, dans un second temps, éclaire sur les divergences-convergences de points de
vue, utile pour l’analyse et pour élaborer des forces de propositions.
Notre démarche, dans cette dernière partie, se veut, non seulement de toujours plus se
distancier de notre objet de recherche par l’élaboration d’une réflexion critique et
objective, mais de développer aussi une pensée pour l’action qui doit, à terme, contribuer à
une transformation des pratiques. Dans cette phase de la recherche action, nous nous
inspirons du psychosociologue Jean-René LOUBAT pour proposer une nouvelle
méthodologie de la mise en œuvre du projet personnalisé du résident adulte polyhandicapé
et inciter à un nouveau partenariat des différents acteurs associés.
Tout au long de cette recherche, nous allons analyser la tension entre les pôles,
polyhandicap et projet, à travers les relations triangulaires famille-résident-institution,
soulignant le paradoxal de la démarche projet et le facteur temps comme clé de voute.
Au terme de notre mémoire, nous aimerions que le lecteur soit sensibilisé à la réalité du
polyhandicap. Loin de nous, l’idée dans ce mémoire, de ne pas considérer le projet comme
pertinent et indispensable pour l’adulte polyhandicapé vivant en institution, mais notre
intention est de le resituer au regard du principe de réalité de la personne polyhandicapée.
Au final, le but et l’intérêt de cette recherche, sont d’inciter le lecteur à porter un autre
regard sur la personne polyhandicapée et sur sa pratique à son encontre, afin de
reconsidérer les modalités d’élaboration du projet personnalisé au sein des institutions, en
tenant compte au plus près de la réalité et des possibilités de l’adulte polyhandicapé.
7
PREMIERE PARTIE : REGARDS SUR LE POLYHANDICAP
CHAPITRE I : Approche historique du polyhandicap, une
reconnaissance tardive.
I-1 Du handicap, aux prémices du polyhandicap
« Handicap », terme ancien que l’on situe en 1827, vient de l’anglais « handicap »,
contraction probable de « hand in cap »2 se traduisant par « la main dans le chapeau. » Ce
terme aurait désigné un jeu où l’on se disputait des objets dont le prix était proposé par un
arbitre, la mise déposée dans un chapeau. Puis c’est devenu un terme hippique, une
compétition de courses de chevaux. Par extension, le terme s’applique aux autres sports et
se dit de tout désavantage imposé dans une épreuve à un concurrent considéré de niveau
supérieur.
En France, la loi du 23 novembre 1957, sous le gouvernement du général De Gaulle, a
officialisé ce terme de handicap.
Et la notion de polyhandicap ? Cette notion est spécifique à notre pays.
« Le polyhandicap est une grave atteinte du développement, évoquant les expressions de
multiples handicaps, pouvant associer une déficience motrice et une déficience mentale
profonde, des troubles sensoriels, de la perception et de la conscience. Ces troubles
résultent d’anomalies cérébrales qui surviennent au cours du tout premier développement,
dont l’origine est soit génétique, soit périnatale."3
2 GAETNER R., DADOUN R., (directeur), Le handicap, essai critique, Société, Ethique et Handicap, p. 19.
3 Définition du polyhandicap donnée par le Dr L. GEORGES-JANET, citée dans le projet institutionnel de
l’Association Handas des Alpes-Maritimes (Handicaps Associés), 2006, p. 3.
8
Dans les années 1950-1960, débute une prise de conscience par les pédiatres des hôpitaux,
des enfants dits « encéphalopathes » n’ayant aucun soin particulier, ni structure d’accueil.
Ils sont aussi désignés sous le terme « d’arriérés profonds. » En opposition, les enfants
« Infirmes Moteurs Cérébraux (I.M.C.) », dont l’intelligence est conservée, sont mieux
connus et soignés grâce notamment aux travaux du Pr Tardieu.
1965-1966 : l’Assistance Publique de Paris créé un service spécialisé à la Roche-Guyon.
I-2 De l’émergence du polyhandicap vers une prise de conscience
Création du Comité d'Etudes et de Soins aux Arriérés Profonds rebaptisé Comité d'Etudes,
d’Educations et de Soins Auprès des Personnes Polyhandicapées (C.E.S.A.P.) qui met en
place des lieux de consultations, des structures d’aide à domicile, puis des établissements
spécialisés (1968-1970-1974).
1972-1973 : le terme « polyhandicap congénital » est proposé par le Pr. Fontan. Le Pr.
Clément Launay, président du CESAP, insiste sur les prises en charge pluridisciplinaires,
nécessaires à ces handicaps multiples.
1975 : loi d’orientation en faveur des personnes handicapées. Le terme de polyhandicap
n’y apparaît pas, mais l’article 46 de la loi d’orientation prévoit des Maisons d’Accueil
Spécialisées (M.A.S.) pour les adultes « n’ayant pu acquérir un minimum d’autonomie »
(article précisé par la circulaire 62 AS, de juin 1978).
1979, création de l’association Handas (Handicaps Associés) soutenue par l’Association
des Paralysés de France (A.P.F.). Son conseil d’administration est composé de différentes
associations concernées par le polyhandicap : le Comité d’Etudes et de Soins aux
Polyhandicapés, l’Union Nationale des Parents d’Enfants Inadaptés (U.N.A.P.E.I.), le
Comité de Liaison et d’Action des Parents d’Enfants et d’Adultes atteints de Handicaps
Associés (C.L.A.P.E.A.H.A.), la Fédération Française de l’Association des Infirmes
Moteurs Cérébraux (F.F.A.I.M.C.) et l’Association des Paralysés de France.4
4 Extrait du projet institutionnel de l’Association Handas des Alpes-Maritimes, 2006, p. 5-6.
9
La création et le développement de l’association Handas se sont inscrits de manière
parfaitement contemporaine des évolutions contextuelles, notamment de la loi
d’orientation de 1975, en réaction à une prise en charge des personnes polyhandicapées
jusqu’ici globalement dominée par des principes inspirés du « nursing » et de pratiques
hospitalières ou psychiatriques, c'est-à-dire un maintien des fonctions vitales. Le
dictionnaire Hachette définit le « nursing » comme « l’ensemble des soins apportés par le
personnel infirmier, destiné à l’entretien d’un malade grabataire et à la prévention ou à la
limitation des complications secondaires à son état. »
La dimension éducative s’est imposée par la nécessité éthique d’inscrire les personnes
polyhandicapées dans un cadre social élargi, d’encourager leur insertion et de développer
toutes leurs potentialités. Aujourd’hui, Handas gère une trentaine d’établissements pour
enfants, adolescents et adultes polyhandicapés dans toute la France.
1984 : le Centre Technique National d’Etudes et de Recherches sur les Handicaps et les
Inadaptations (C.T.N.E.R.H.I.) réunit un groupe d’études qui fait le point sur les trois
grands groupes de handicaps associés5 :
Polyhandicap : handicap grave, à expressions multiples, avec restriction extrême de
l’autonomie et déficience mentale profonde.
Plurihandicap : association circonstancielle de deux ou plusieurs handicaps avec
conservation des facultés intellectuelles.
Surhandicap : surcharge de troubles du comportement, sur handicap grave préexistant.
1989 : refonte des annexes XXIV par décret du 29 octobre 1989 et circulaire d’application
créant des conditions particulières d’accueil, d’éducation et de soins pour les enfants
polyhandicapés, conditions regroupées dans une annexe XXIV ter.
A la suite de ce décret, on observe la création progressive de soins à domicile,
d’établissements ou de sections spécialisés, par diverses associations françaises accueillant
auparavant, soit des enfants inadaptés ou déficients mentaux, soit des enfants infirmes
moteurs.
L’annexe XXIV ter présente le polyhandicap comme un « handicap grave à expressions
multiples, avec déficience motrice et déficience mentale sévère ou profonde, entraînant une
restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de
5 http://asso.orpha.net/clapeah/
10
relation. » L’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) définit la déficience comme
« toute perte de substance ou altération d’une structure ou fonction psychologique,
physiologique ou anatomique. La déficience correspond à l’aspect lésionnel du
handicap. »6
Cette définition recouvre des situations très variées. Il n’est pas toujours simple de préciser
les limites du polyhandicap, que ce soit du côté de l’IMC où le niveau intellectuel est
meilleur, ou du côté des psychoses déficitaires où les troubles moteurs sont moins évidents.
Les cas frontières ne sont pas rares.
1996, création du Groupe Polyhandicap France (G.P.F.) rassemblant des parents, des
professionnels et des associations en vue d’une plus grande reconnaissance de la personne
en situation de handicap lourd.
I-3 Une évolution politico-sociale vers une prise en compte de la
personne polyhandicapée
Mai 2001, l’OMS a adopté la Classification Internationale du Fonctionnement, du
Handicap et de la Santé (C.I.F.).
La CIF a remplacé la Classification Internationale des Handicaps (C.I.H.), publiée par
l’OMS en 1980, dite aussi « Classification de Philippe Wood » du nom d’un de ses auteurs.
L’apport majeur de la CIH a été de proposer un découpage conceptuel du handicap selon
trois niveaux d’expérience des troubles, qui distinguaient : la déficience au niveau du
corps, l’incapacité au niveau fonctionnel et le préjudice subi au niveau social. La CIH a
rapidement fait l’objet de critiques techniques et conceptuelles. Il était reproché notamment
à ce modèle, dit « modèle individuel du handicap », d’imputer toute la responsabilité du
handicap à la maladie ou à l’accident d’origine, et d’ignorer l’impact sociétal et les
obstacles environnementaux sur le processus de production du handicap.
Sur la base de ces critiques, l’OMS engageait, dès la fin des années 80, un processus
international de révision de la classification. De cette révision est née la CIF. Cette
6 Définition extraite du projet institutionnel de l’Association Handas des Alpes-Maritimes, 2006, p. 4.
11
nouvelle classification est intéressante car elle permet un nouvel éclairage sur le handicap
ce qui, peut-être, modifiera les représentations que chacun porte sur le polyhandicap.
La CIF, dit « modèle social du handicap », se veut de montrer que la situation du handicap
résulte d’une interaction entre nombre de facteurs à composantes aussi bien individuelles
qu’environnementales et sociétales7. Elle adopte un vocabulaire positif, contrairement à la
CIH qui restait fixée sur le sujet déficient et maintenait le vocabulaire du manque.
Autre loi importante relative à la prise en charge des adultes polyhandicapés, même si le
polyhandicap n’est pas cité en particulier : la loi n°2002-2 du 2 janvier 2002.
En réformant la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-
sociales, la loi du 2 janvier 2002 transforme en profondeur les règles d'organisation et de
fonctionnement de ces établissements. Elle met l’accent sur l’accompagnement et la
personnalisation des réponses proposées aux usagers, notamment dans sa section 2,
baptisée « des droits des usagers du secteur social et médico-social », plus précisément
dans son article 78.
La loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées reconnaît une place réelle au
polyhandicap. Pour la première fois de notre histoire, elle le fait apparaître dans le
préambule et notamment dans son article 2, là où la loi définit le handicap : « constitue un
handicap (…) toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société
subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle,
durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales,
cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »9
I-4 Le polyhandicap de demain, vers une nouvelle société ?
Nous constatons, ces dernières années, que le nombre et la gravité des cas augmentent
constamment. La durée de vie des personnes atteintes de handicap s’allonge
considérablement. Les causes (étiologies) des handicaps se diversifient (traumatismes dus
7 Droit des Personnes en situation de handicap, CTNERHI (Centre Technique National d’Etudes et de
Recherches sur les Handicaps et les Inadaptations), Guide Néret, Paris, 2004, p. 3-7. 8 Cf. annexe n°1, ASH, n°2432, 2 décembre 2005
9 Comprendre la loi du 11 février 2005, in handicap.fr
http://www.informations.handicap.fr/decret-loi-fevrier-2005.php
12
aux sports extrêmes…). Cette augmentation s’explique aussi par les progrès de la
médecine en matière de grande prématurité et de réanimation. Nous parvenons, de plus en
plus, à réanimer des enfants très prématurés, mais non sans conséquences en termes de
séquelles. Nous constatons aussi des progrès de la médecine, en matière de diagnostic et de
traitement des symptômes génétiques. Dès lors, le nombre de personnes nécessitant des
soins lourds (assistance respiratoire, kinésithérapie…), des aides techniques de plus en plus
sophistiquées et des aides humaines de plus en plus conséquentes, ne cesse de s’accroître.
Nous parvenons, aujourd’hui, à mieux différencier les handicaps, à mieux spécifier les
caractéristiques et l’origine des pathologies du polyhandicap. C’est ainsi qu’a été relevé le
rôle majeur des troubles de la déglutition et des anomalies digestives spécifiques dont
souffre la personne polyhandicapée, entraînant déshydratation, dénutrition et, surtout des
troubles respiratoires fréquents et graves. Pour prévenir ou atténuer ces troubles, il est
possible de recourir à des traitements médicamenteux. L’accent est mis aussi sur la
prévention via des formations à la déglutition, enseignant des techniques visant à améliorer
la prise de repas à l’égard des personnes polyhandicapées, par une adaptation de la texture
et de la consistance des apports alimentaires, par des positionnements de l’aidant et du
polyhandicapé. Si, malgré toutes ces mesures, la déglutition reste ou devient trop difficile,
l’alimentation par sonde naso-gastrique ou gastrostomie peut être nécessaire.
Les complications orthopédiques sont également très fréquentes chez les personnes
polyhandicapées. Elles sont liées à leurs troubles moteurs. Elles peuvent atteindre toutes
les articulations et engendrer des conséquences très graves (scoliose, luxation de la
hanche…). Ces déformations sont sources d’inconforts, de douleurs et de complications
(respiratoires, digestives…). En entravant les possibilités de la personne polyhandicapée
d’agir sur son environnement, elles sont un élément aggravant le handicap.
L’épilepsie est récurrente aussi chez la personne polyhandicapée. Elle nécessite une
observation attentive pour adapter au mieux les traitements. Bien que la personne soit
parfois stabilisée depuis de nombreuses années, il lui arrive de poursuivre les traitements,
non sans risques d’effets secondaires importants.
D’autres troubles sont souvent associés au polyhandicap, comme les troubles visuels et
auditifs. Un suivi spécifique doit être institué. Il est difficile de trouver des professionnels
13
de ces troubles formés à la spécificité du polyhandicap. L’aménagement du cadre de vie et
un accompagnement éducatif particulier doivent aussi être réfléchis.
Des difficultés de développement psychique et des problèmes de comportement peuvent
nécessiter également une prise en charge psychologique et psychiatrique.
Enfin, la personne polyhandicapée doit être accompagnée pour la réalisation de soins
moins spécifiques comme les soins dentaires (à ne pas négliger au regard des problèmes de
déglutition), de gynécologie, de dermatologie…
En somme, si la lésion cérébrale, à l’origine du polyhandicap, reste inaccessible aux soins,
ses conséquences spécifiques (digestives, respiratoires, orthopédiques, troubles du
comportement) doivent être traitées pour en limiter la gravité. Cela nécessite des
formations et des informations des professionnels soignants (médicaux et paramédicaux) et
de tous les accompagnants institutionnels et familiaux.
Cette pathologie complexe de la personne polyhandicapée requiert une technicité
importante pour assurer le confort, la sécurité et la prévention des complications décrites
ci-avant. Elle nécessite la participation de nombreux acteurs aux compétences
complémentaires pour répondre pleinement aux besoins de la personne polyhandicapée
(médicaux, paramédicaux, psychologues, AMP, aides soignants…).
Les perspectives sur le plan du recrutement professionnel n’augurent rien de bon. Nous
assistons à une pénurie de médecins, en particulier de psychiatres et de médecins de
rééducation fonctionnelle. Il en est de même pour les kinésithérapeutes, orthophonistes,
ergothérapeutes, infirmières… Cette pénurie pose une menace sur la qualité de la prise en
charge médicale de la personne polyhandicapée dans les années à venir.
Mais les personnes polyhandicapées ne requièrent pas que des soins médicaux. Cette prise
en charge sanitaire doit s’intégrer dans le projet global d’accompagnement de la personne
et être en lien avec les autres aspects (éducatifs, sociaux) de ce projet.
L’accompagnement de ces enfants et adultes se doit aussi de satisfaire à leurs besoins en
matière éducative, en particulier autour de la communication et des apprentissages
cognitifs. Il doit répondre à leurs demandes en matière de socialisation et d’échange avec
le monde extérieur, autre que les milieux familiers que sont la famille et l’établissement.
14
Pour conclure sur cette approche historique du polyhandicap et de ce qui le caractérise,
nous retiendrons la définition du Groupe Polyhandicap France de décembre 2002, qui
donne une vision précise des personnes polyhandicapées et de leurs réalités : « le
polyhandicap est une situation de vie spécifique d’une personne présentant un
dysfonctionnement cérébral précoce, ou survenu en cours de développement, ayant pour
conséquence de graves perturbations à expressions multiples et évolutives de l’efficience
motrice, perceptive, cognitive et de la construction des relations avec l’environnement
physique et humain. Il s’agit là d’une situation évolutive d’extrême vulnérabilité physique,
psychique et sociale au cours de laquelle certaines de ces personnes peuvent présenter de
manière transitoire ou durable des signes de la série autistique. La situation complexe de
la personne polyhandicapée nécessite, pour son éducation et la mise en œuvre de son
projet de vie, le recours à des techniques spécialisées pour le suivi médical,
l’apprentissage de moyens de relations et de communications, le développement des
capacités d’éveil sensori-moteur et intellectuelles, l’ensemble concourant à l’exercice
d’autonomies optimales. »10
Cette définition permet de retenir l’idée fondamentale de la notion de polyhandicap :
personnes en situation complexe de grande dépendance, dans l’impossibilité de se
représenter elles-mêmes. Il s’agit là, d’une situation évolutive d’extrême vulnérabilité
physique, psychique et sociale.
CHAPITRE II : L’adulte polyhandicapé confronté à son quotidien, une
relation de dépendance.
La personne polyhandicapée nécessite une grande proximité et un véritable engagement de
la part de l’aidant. Celui-ci travaille au plus près de l’individu dans un corps à corps
physiquement épuisant et une intimité très chargée d’émotions. Il lui faut répéter
inlassablement, chaque jour et plusieurs fois par jour, ces gestes si importants pour le bien
être des personnes polyhandicapées.
10
COURTOIS G., (secrétaire général), Conseil d’administration, Groupe Polyhandicap France, 3 décembre
2002.
15
Cette omnipotence du « nursing » vient banaliser l’acte relationnel, transformant la relation
en simple acte.
II-1 Le polyhandicap à la lecture du modèle de développement
d’Erik ERIKSON
Pour mieux comprendre le polyhandicap et sa réalité, nous allons nous appuyer sur le
modèle théorique du développement élaboré par Erik ERIKSON, psychanalyste américain
d’origine danoise, dans son ouvrage « Adolescence et crise – La quête de l’identité. »11
Le modèle d’ERIKSON est le seul modèle envisageant le développement de l’individu de
la naissance à la mort.
La clé de voûte de son modèle est la construction de l’identité, véritable quête permettant à
l’individu d’accéder à la « vitalité mentale. » Il s’agit de sortir de crises qui jalonnent notre
vie avec le « sentiment renforcé d’unité personnelle. » L’emploi du mot « crise » revêt un
caractère spécifique. Crise signifie tournant et évoque une période où l’individu apparaît
particulièrement vulnérable, alors que dans le même temps son potentiel augmente.
Comportant trois dimensions essentielles (équilibre, maturité, épanouissement), la vitalité
mentale se met en place, selon ERIKSON, à travers huit dispositions psychologiques
fondamentales.
La première disposition, citée par ERIKSON est la « confiance », base de toute vie
psychique.
Il faut une régulation mutuelle entre les besoins du sujet et les réponses de
l’environnement. ERIKSON évoque, ici, l’importance des premières interactions mère-
enfant dans l’équilibre des besoins et réponses : il parle des besoins du bébé d’être nourri,
aimé, soigné et des capacités de la mère à le nourrir, à l’aimer, à lui prodiguer des soins…
WINNICOTT, pédiatre et psychanalyste anglais, souligne, à ce propos, « l’existence d’une
préoccupation maternelle primaire. »12
11
ERIKSON Erik H., Adolescence et crise. La quête de l’identité, Flammarion (coll. Champs), 1968, 348 p.
Cf. annexe n°2 12
KORFF-SAUSSE S., Le respect bouscule… en quoi la dépendance entraîne des attitudes non
respectueuses, Actes des journées d’étude A.P.F., Paris, 27 au 29 janvier 2003, p. 75-78.
16
Pour en revenir à l’accompagnement des personnes polyhandicapées, ne peut-on faire
l’hypothèse que le handicap et la dépendance maintiennent les parents dans cette
préoccupation primaire ? Que se passe-t-il de cette préoccupation lorsque la personne
polyhandicapée est placée dans une institution ?
De cette régulation mutuelle va découler un sentiment de familiarité, lequel donne
naissance à un bien être intérieur. L’individu accède, peu-à-peu, à l’altérité, c'est-à-dire que
l’autre devient pour soi, « une certitude intérieure » (nous croyons en lui en même temps
que nous pouvons prévoir ses réactions).
Si les éléments ci-dessus se révèlent absents, c’est l’opposé qui va se mettre en place et
prédominer, à savoir : « la méfiance de base. »
Les observations cliniques d’ERIKSON l’amènent à percevoir une prédominance de la
méfiance chez certains individus repliés sur eux-mêmes, s’enfermant dans une indifférence
à autrui. Certaines personnes polyhandicapées se confinent dans ce type d’isolement.
ERIKSON évoque ensuite « l’Autonomie. »
La première disposition doit être en place pour que la deuxième voit le jour.
Il entend l’autonomie par la capacité à se donner à soi-même sa propre loi, tout en
respectant autrui. Pour être autonome, il faut d’abord désirer le devenir. Le sujet ne doit
pas douter de ses propres aptitudes mais, au contraire, se vivre comme « capable de. »
Nous pouvons nous interroger de ce qu’il en est de cette disposition eriksonnienne chez le
sujet polyhandicapé qui, bien souvent, ne possède ni l’acquisition de la marche, ni même
parfois celle du langage. Quels moyens lui reste-t-il pour faire émerger son désir
d’autonomie ?
De plus, au même titre que la confiance, disposition de base, dépend de ce que l’on ressent
de la confiance de l’autre en lui-même, en particulier des parents, le sentiment de
l’autonomie se fait également l’écho de l’autonomie des parents. La confiance en soi et
l’autonomie de la personne polyhandicapée ne vont pas de soi, dans la mesure où son
handicap s’inscrit comme une profonde blessure narcissique chez lui et chez ses parents.
« L’initiative », troisième disposition.
Il faut l’entendre dans le sens de « oser faire, oser croire, oser penser… » Ce désir est
susceptible de se heurter à une éventuelle censure de l’autre qui va porter un jugement sur
soi. Il faut pouvoir pénétrer dans l’univers de l’autre, sans que l’initiative soit
systématiquement associée à la culpabilité.
17
Le comportement se trouve dominé, durant cette phase, par « le mode pénétrant » :
pénétrer dans l’espace avec sa locomotion, dans l’inconnu avec sa curiosité, dans le
discours des autres avec sa parole.
En ce qui concerne le sujet polyhandicapé, du fait de son handicap et de ses déficiences, il
lui est difficile de pénétrer dans un univers qui ne lui est guère accessible. C’est ici, dit
ERIKSON, que peut intervenir « la sublimation » car il y a effectivement des désirs à
canaliser. D’où la nécessité de réfléchir afin d’envisager, pour le sujet polyhandicapé, ceux
qui lui sont accessibles et suffisamment sublimatoires.
« La réalisation ou l’industrie » est l’aisance avec laquelle l’individu va, peu-à-peu,
utiliser des outils permettant une emprise sur son environnement. Il apprend à gagner la
reconnaissance en produisant des choses. Plus l’aisance est grande, plus il y a réalisation.
L’inverse génère un « sentiment d’infériorité. »
La personne polyhandicapée n’accède pas toujours à telle ou telle réalisation, préférant
parfois même s’abstenir, ne pas réaliser, préférant rester, nous dit ERIKSON, « bébé à la
maison plutôt que grand à l’école. » Dans quels registres, le sujet polyhandicapé peut-il se
réaliser et quels moyens allons-nous lui offrir pour cela ?
ERIKSON évoque ensuite « l’identité », problématique centrale de l’adolescence.
Toute une énergie psychique est consacrée à la construction de cette identité, au : « qui
suis-je ? » Il faut définir ce que je souhaite devenir pour mettre en place des projets.
L’identité comporte plusieurs dimensions fondamentales :
- devenir quelqu’un nécessite de faire quelque chose,
- être quelqu’un implique de s’attacher à des croyances, à des idées, à des valeurs,
- l’individu doit avoir des rôles, des missions, des tâches et des responsabilités,
- autre dimension : l’identité sexuelle.
L’important est de se demander à quelles responsabilités les résidents accèdent, de
questionner les rôles, les tâches, les missions qu’ils peuvent exercer, les choses qu’ils
peuvent réaliser, les croyances et les valeurs auxquelles ils peuvent s’attacher, qui les
distingueraient des autres et qui ne les mettraient pas en situation d’échecs, les renvoyant à
leur handicap et à ses limites.
Moins la personne polyhandicapée, sa famille et l’institution peuvent trouver des réponses
à toutes ces questions, plus cette personne sera dans « la confusion d’identité. »
18
Le sujet passe par un renoncement, un travail de deuil, notamment par rapport à l’enfance
et à l’investissement des images parentales.
Le « travail de deuil », nous dit le psychanalyste Claude CAPPADORO, « est un travail
par lequel on se prépare progressivement à accepter la perte irréversible d’un être aimé,
ceci grâce à un travail psychique d’intériorisation solide, profond, durable, des parties
bonnes de cet être aimé, qu’on a mises à l’intérieur de soi, moyennant quoi on peut
accepter sa perte dans la réalité. »13
Le travail de deuil consiste en un douloureux travail de détachement de l’objet fortement
investi narcissiquement, de manière plus ou moins ambivalente : vouloir à la fois s’en
détacher pour mieux y revenir. La mort de l’objet n’est pas indispensable à ce travail.
Pour en revenir au sujet polyhandicapé, est-il capable de faire un travail de deuil,
notamment lors de son placement en institution, détaché de ses parents et plus
particulièrement de sa mère avec laquelle il entretient souvent une relation fusionnelle ?
La sixième disposition est « l’intimité » : capacité à entrer réellement en relation avec
l’autre et à vivre véritablement cette vie relationnelle. L’intimité n’est possible que s’il
existe un intérêt pour ce qui est l’autre, ce qui implique d’avoir soi-même une identité
suffisamment construite.
Si instaurer de l’intimité, aller vers l’autre est difficile, on peut aller dans « l’isolement. »
Cet « aller » vers les autres pour une personne handicapée coincée dans sa coque et dans
son fauteuil, dépendante des autres dans tous les actes de sa vie, et par conséquent dans ses
déplacements, ressemble souvent « à un chemin de croix ». Si du fait de son handicap et de
la prise en charge qui en découle, les autres vont vers elle, ce n’est pas forcément un tel
rapport qu’elle souhaiterait entretenir avec eux. Aller vers l’autre ne signifie pas forcément
un déplacement physique, mais peut renvoyer aussi à la dimension symbolique.
ERIKSON enchaîne avec « la générativité » : capacité à faire avec les autres, au milieu
d’eux, dans le tissu social. Nous pouvons parler de créativité.
La générativité signifie « donner naissance » à un style de vie qui est le sien. S’il fait
défaut, « un sentiment de stagnation » prédomine. Le sujet se retrouve dans l’ennui et
l’appauvrissement.
13
CAPPADORO C., La dépendance affective et violence, Conférence à S.O.S. Amitié, Nice, mai 1996
19
Faire avec les autres sous-entend un effet miroir. Plus que la capacité à faire, c’est la
volonté de faire avec les autres, que se soit avec un autre identique, morcelé lui aussi, qui
renvoie à la personne polyhandicapée ses propres morcellements, ou que se soit avec un
autre différent qui lui renvoie ses suffisances, « un idéal » qu’elle ne sera jamais.
Huitième et dernière disposition, « l’intégrité. »
Il s’agit de la capacité à donner du sens à notre vécu, à ce qui se passe pour nous à mesure
que le temps s’écoule. C’est aussi la capacité à rester convaincu qu’il y a toujours place
pour du changement et de l’évolution.
Il faut accepter le cycle de vie, l’idée de finitude.
La maturation progressive des sept stades précédents conduit à l’intégrité. Les différentes
dispositions fonctionnent comme un Tout. On accepte l’idée que l’on est responsable de sa
propre vie. C’est défendre son propre style de vie tout en reconnaissant les styles de vie des
autres même s’ils sont différents du sien.
L’absence d’intégrité se manifeste par « le dégoût », « l’insatisfaction chronique », « le
désespoir. » Accéder à l’intégrité passe par l’amour des parents. Il faut se dégager du
ressentiment, de la haine à l’égard de ses propres parents et leur porter un amour qui soit
dégagé du désir qu’ils auraient dû être autres.
Il est difficile d’imaginer une personne polyhandicapée pouvant donner un sens à ce
qu’elle vit, à son handicap, pouvant être habitée par l’espoir et imaginer même qu’il y a
place, pour elle, à du changement et à des évolutions.
Souvent, dès le plus jeune âge, le sujet polyhandicapé se retrouve placé d’établissements
en établissements, balloté de prises en charge en prises en charge, de ruptures en ruptures,
de stimulations en sur-stimulations, au gré des discours et des espoirs qui lui sont portés.
D’où, peut-être, la difficulté par ce vécu handicapant, pour le résident, d’imaginer un
avenir plus serein. D’où la difficulté, peut-être aussi, de se sentir responsable de sa propre
vie, du fait même que par les autres, il s’en trouve dépossédé, et ce dès le plus jeune âge.
ERIKSON souligne un risque potentiel : penser que les dispositions sont acquises pour
toute la vie. Ce n’est, bien sûr, pas le cas.
Par ailleurs, les opposés, c'est-à-dire les potentialités négatives, représentent la contrepartie
des potentialités positives. Ils sont nécessaires à l’expérience psychosociale.
20
Une personne totalement dénuée de la capacité de méfiance serait tout aussi incapable de
vivre, que celle privée de confiance.
En fait, à chaque stade, le sujet acquiert du positif et du négatif. Si le positif domine, cela
aide à résoudre les crises ultérieures et à accéder à la fameuse vitalité mentale.
II-2 Le handicap de la personne polyhandicapée : être dépendant
Ce modèle de développement d’Erik ERIKSON met en évidence l’une des conséquences
majeures du handicap, à savoir la dépendance.
Cette dépendance va à l’encontre du développement habituel de tout être humain. Mais en
ce qui concerne la personne polyhandicapée, cette réalité prend effet dès la naissance de
l’enfant et se prolonge indéfiniment, au gré de son devenir. Cela n’est pas sans
conséquence sur son autonomisation et sur ses relations aux autres, parents, institution…
Dès le début de sa vie, l’enfant est dans une dépendance totale à l’égard des autres.
WINNICOTT parle de « dépendance absolue ou de double dépendance. »14
Le bébé doit
dépasser cet état pour connaître une situation de dépendance « dite relative », c'est-à-dire
une dépendance dont il a conscience, pour tendre, au final, vers l’indépendance. Il a besoin
des autres pour grandir et s’autonomiser, par le biais d’expérimentations et
d’apprentissages. FREUD parle de « hilflosigkeit »15
, que l’on peut traduire par « sentiment
d’impuissance, de détresse », pour souligner cette spécificité du développement humain, à
savoir qu’un enfant ne peut parvenir à la maturité, sans l’aide d’un autre être humain.
L’autre est présent d’entrée. Mais pour la personne handicapée, l’autre est plus que présent,
il devient omniprésent. A tel point que cette omniprésence de l’autre maintient toujours la
personne polyhandicapée dans un état de dépendance, d’atemporalité, de « petit à
soigner ».
Le handicap fait écran. Avant de voir la personne, nous ne voyons que son handicap, que
ses incapacités et difficultés, ses limites et non plus ses compétences. Le système dans sa
totalité vient légitimer ce statut de déficient, les familles et les professionnels par des
14
KORFF-SAUSSE S., Le respect bouscule… en quoi la dépendance entraîne des attitudes non
respectueuses, Actes des journées d’étude A.P.F., Paris, 27 au 29 janvier 2003, p. 75-78. 15
ibid.
21
attitudes infantilisantes, le corps médical par un discours qui ne fait que souligner les
incapacités de la personne polyhandicapée, la société dans son ensemble par un regard
gêné et des propos troublants.
Le handicap fait peur. Aider la personne polyhandicapée à devenir autonome se heurte aux
images que nous nous en faisons, à cette peur, à ces incapacités et déficiences desquelles
nous ne parvenons pas à nous détacher, aux difficultés à se projeter, à l’imaginer devenir
grand, adulte, pouvant faire le choix de se vivre détaché et heureux, capable de vivre
pleinement ses relations aux autres, désireux même d’avoir une vie affective et sexuelle.
Mais ce qui vient encore plus compliquer la réalité du polyhandicap, est que, plus qu’une
dépendance, il s’agit d’une interdépendance. Si l’enfant polyhandicapé a besoin d’un autre
pour se construire, ce dernier n’existe aussi qu’à travers « cette nouvelle mission qui lui a
été conférée. » Les deux y trouvent parfois de tels bénéfices qu’ils se complaisent dans
cette situation d’interdépendance et ne souhaitent surtout pas de changement. Bénéfices
pour l’enfant handicapé qui parvient ainsi, par cette interdépendance, à combler un tant soit
peu ses vides affectifs et déficiences générés par son handicap, bénéfices pour l’adulte par
la satisfaction de réparer, d’être utile, voire indispensable à quelqu’un. Cela donne
l’impression d’un système en équilibre. Mais cette réalité est paradoxale car, en même
temps, elle ne les complaît finalement pas totalement. Les deux aspirent à autre chose,
l’adulte à ce que son enfant handicapé gagne en autonomie et détachement, mais sans trop
vraiment le vouloir, l’enfant handicapé à gagner ce statut d’adulte, mais tout en se
réfugiant dans ses privilèges d’enfant à soigner. Nous pouvons parler de « complexe de
paradoxe de l’adulte handicapé » pour reprendre une expression du sociologue Max
WEBER, à savoir que, lorsque nous parlons d’adulte, cela renvoie à un certain statut,
synonyme de droits, de possibilités, de libertés et d’autonomie, d’un « plus », mais dès que
nous y associons le terme du handicap, cela renvoie immédiatement à une minorité,
infériorité, à un poids, à une charge, au « moins. »
II-3 L’annonce du handicap, un traumatisme intemporel
Poids… charge… Les « maux » sont lancés. Le handicap est lourd à porter, à supporter.
Nous constatons que, bien des années après, alors que leur enfant est devenu adulte,
22
beaucoup de familles de personnes polyhandicapées restent encore sous le choc de
l’annonce du handicap. Quant il y a annonce d’ailleurs, car il arrive que les familles ont
déjà compris bien avant que des mots soient posés, bien avant cette sacro-sainte parole du
médecin. Cette révélation que leur enfant souffre d’une déficience créé une rupture, une
discontinuité dans le temps. Cet événement soudain rompt la chaîne du temps. Dorénavant,
il y aura l’avant, marqué par un profond décalage entre le projet et la réalité de la
procréation, et le présent lourdement chargé de quotidien, c'est-à-dire de soins, de nursing.
Cette expérience constitue un véritable traumatisme. Toutes les projections humaines, tous
les projets d’avenir d’homme et de femme pour cette enfant-là se trouvent comme mis
entre parenthèses. L’après n’est pas pensable, voire même concevable.
Cette survenue d’un enfant « pas comme les autres » va faire ombrage à l’estime de soi des
procréateurs, cet enfant arrivé n’étant pas l’enfant rêvé tant espéré. Il fait effet miroir. Dans
cet enfant morcelé, déchiré, le parent n’arrive pas à se retrouver. L’irruption de cette
étrangeté dans le milieu familial provoque un véritable « tsunami », fait effet
d’électrochoc. L’angoisse, la souffrance, l’incompréhension, la culpabilité submergent les
parents. Déjà cet « étranger » redistribue les cartes, réorganise les règles et les places, se
plaçant au centre des préoccupations. Très vite, les parents se doivent d’absorber le choc,
n’ayant pas vraiment le temps de comprendre ce qui se passe, de questionner leurs
émotions. De prime abord, ils refusent la cruelle réalité, « pourquoi nous ? », « ce n’est pas
possible, on va se réveiller. » Contestant la validité du diagnostic énoncé, ils se lancent
dans une course effrénée pour recueillir d’autres informations invalidant la première.
D’autres se réfugient dans l’espoir d’un miracle médical. D’autres encore sont dans une
autre forme de rejet, dans celui de cet enfant en souhaitant sa mort et/ou la leur, ou
envisageant directement un placement en institution. Mais, très vite, la situation de
handicap, avec ce qu’elle génère d’actes à répéter, d’attentions à soutenir, va les ramener à
la réalité. Ils vont alors entrer dans une phase de compréhension et d’adaptation afin de
comprendre ce qui a pu se passer, apprendre à vivre au quotidien avec cette destinée, avec
ce qu’elle représente comme incertitudes, comme responsabilités et incompréhensions face
aux regards des autres. Pas le temps au répit, pas le droit de souffler, le handicap rappelle
en permanence sa présence.
23
L’enfant peut ainsi représenter un reproche vivant pour ses parents : impossible d’échapper
à la déficience qu’imposent les contraintes au quotidien. Et dans la situation du handicap,
le poids du réel, le poids de la prise en charge au quotidien va peser.
Tous les jours, je dois accompagner le lever, le coucher de la personne dépendante. Tous
les jours, je dois participer ou réaliser sa toilette. Tous les jours et, plusieurs fois par jour,
je dois participer à son alimentation, faciliter ses fonctions d’élimination. Tous les jours,
plusieurs fois par jour, je dois porter le poids de son corps. Tous les jours, plusieurs fois
par jour, je dois l’installer et régler les outils de compensation. Tous les jours, plusieurs
fois par jour, je dois tendre l’oreille, chercher à comprendre ce qu’elle tente de me dire,
dans un effort indescriptible. Tous les jours, plusieurs fois par jour, je dois refaire des
gestes qui m’introduisent dans son intimité. Tous les jours, plusieurs fois par jour, je suis
dans l’incertitude de savoir faire, de savoir répondre à ses besoins.
II-4 De l’enfant rêvé idéal à l’enfant morcelé réel
La survenue d’un enfant handicapé engendre des résonnances sur la relation parent-enfant.
Non seulement l’estime de soi des parents est atteinte de par cette présence de l’enfant réel,
en décalage avec l’enfant rêvé, mais cela touche les notions même de culpabilité et de
responsabilité. Les parents se retrouvent face à ces douloureuses questions : Que faire…
Comment faire avec cette différence ? Allons-nous y arriver ? Et à cela, ils n’étaient pas
préparés.
Cette différence fait mal et qui plus est, elle est visible, elle se donne à voir et les parents
vont très vite se trouver confrontés aux réactions de l’entourage et au regard des autres.
C’est ce manque, que les parents questionnent. Ils en parlent en termes de faute. En
questionnant cet écart entre l’enfant idéal et l’enfant morcelé réel, ils tentent de
comprendre ce qui a pu « rater. » Ce ratage, les parents finissent par se l’attribuer, tant « la
faute » est lourde à porter, tant le manque, les doutes, les blessures les renvoient jusqu’au
plus profond d’eux-mêmes, à leurs constructions identitaires, à leurs croyances et valeurs,
à leurs références morales et éducatives.
Il leur faut pourtant continuer à vivre. L’enfant est là, certes ce n’est pas l’enfant rêvé, mais
on ne peut nier sa présence, si ce n’est par le rejet ou l’indifférence. Le parent a besoin
24
d’introduire de la cohérence dans ce qui heurte la raison. Eprouvant une culpabilité intense,
les parents ressentent la nécessité de lui trouver une explication. La notion de faute est
« au-dessus du berceau »16
comme une épée de Damoclès, à tel point que les parents ont
fréquemment des attitudes de réparation pour conjurer cette faute. Ces réparations passent
par l’aspect médical, par une multitude de prises en charges, kinésithérapie, orthophonie…
en vue de réduire cet écart entre « anormalité-normalité », « l’enfant réel et l’enfant
imaginé », mais aussi afin de prouver à tous, et surtout à ce corps médical tout puissant,
qu’il a tort.
Nous nous souvenons ainsi d’une mère d’un résident âgé d’une trentaine d’année.
L’annonce du handicap de son fils était encore gravée en elle, plus de 30 ans après.
Lorsqu’elle nous en a fait part lors d’une rencontre autour du projet personnalisé de son
fils, l’émotion était vive, et les expressions employées semblaient fidèles, mot pour mot, à
celles exprimées par le médecin de l’époque : « il ne marchera jamais, il ne parlera
jamais, ce sera un légume. » Aujourd’hui, Olivier est âgé de trente neuf ans, il parvient à
se tenir debout, voire à marcher deux ou trois pas et, malgré une certaine déficience
intellectuelle, il parvient à s’exprimer de façon cohérente et compréhensive. Mais cela n’a
été possible que par ce combat ou devrons-nous dire ce défi qu’a mené la mère. « Seule
contre tous », elle a voulu prouver à tous qu’Olivier était capable, que ce manque pouvait
être comblé voire réparé. Elle a refusé la fatalité. Elle a transformé « cette faute » en
« raison de vivre. » Cette réparation va souvent de paire avec une surprotection de l’enfant.
Du fait de cette culpabilité, les parents se doivent de faire le maximum pour leur enfant, et
ils n’en feront jamais assez pour apaiser les sentiments de culpabilité engendrés par leur
parentalité si particulière. Il s’agit de rendre compréhensible, ce qui entre en contradiction
avec la planification que chacun de nous opère de sa vie pour en faire une histoire.
Nous pensons à une autre mère, se remémorant cette douloureuse annonce du handicap de
son fils par un médecin reconnu : « ce n’est pas la peine de vous attacher à votre fils, il va
mourir très tôt. » La mère a rejeté son enfant, refusant de le voir, de le toucher, de
l’embrasser. La grand-mère s’est investie dans ce rôle. Les jours sont passés, les semaines,
les mois, les années… et Nicolas était toujours là, bien décidé à vivre, défiant, de par sa
présence, l’autorité médicale et toute la société dans son ensemble. Mais le mal était fait.
16
DOLTO F., Importance des paroles autour du berceau, dans Naître… et ensuite ? Les cahiers du nouveau
né, p. 234.
25
L’absence d’attachement des premières années entre la mère et le fils n’a jamais pu être
comblé, ni rattrapé. Le psychanalyste, d’origine hongroise, René SPITZ, à travers « sa
théorie de l’hospitalisme »17
, s’est intéressé à la relation de la mère et de son enfant en
montrant, à travers des observations cliniques, toutes les conséquences sur le
développement de l’enfant lorsque cette relation est déficitaire, tant sur un plan quantitatif
que qualitatif. Les carences affectives entraînent chez l’enfant des désordres
psychosomatiques, parfois irréversibles, lorsque ces carences ne peuvent être comblées
totalement et suffisamment à temps. La psychanalyste Maud MANNONI18
s’intéresse, elle
aussi, à la relation maternelle et à son influence sur le processus de l’arriération mentale.
Mais contrairement à SPITZ, qui met en lumière les conséquences des carences affectives
entre la mère et son enfant, Maud MANNONI met l’accent sur le trop d’amour.
L’attachement excessif de la mère vis-à-vis de son enfant fera qu’il ne parviendra pas à se
détacher d’elle, ne pourra s’émanciper et devenir un. Elle tend à nous prouver que
l’arriération mentale n’a pas toujours d’origine organique.
Aujourd’hui, la mère de Nicolas est revenue vers lui, mais de façon très sporadique. Quant
elle vient au foyer où vit Nicolas, elle se montre souvent « remontée », virulente envers
l’institution. Trente deux ans après, elle garde toujours une rancœur vis-à-vis de ce
médecin. Aussi, à travers l’institution, c’est peut-être un peu comme si elle cherchait à « le
faire payer. » Elle n’a pas confiance envers les professionnels, qu’elle met tous « dans le
même panier », mais comment pourrait-il en être autrement ? La parentalité chez la mère
de Nicolas a été contrariée.
En référence à la psychanalyste, Mélanie KLEIN19
, les parents oscillent souvent entre des
sentiments d’amour et de haine vis-à-vis de leur enfant handicapé avec lequel ils vivent.
Bien souvent, le traumatisme initial cause un tel cataclysme dans la famille que les parents
se voient éprouver des sentiments de mort à l’encontre de leur enfant. Ce sentiment se
confronte alors à leurs valeurs morales et éducatives. Pour faire face à ce déchirement les
rongeant de l’intérieur, les parents vont refouler dans leur inconscient, ce souhait de mort
de leur enfant handicapé. Les parents de l’enfant handicapé sont amenés à élaborer des
17
SPITZ R-A., De la naissance à la parole, la première année de la vie, PUF, Paris, 1968, 306 p. 18
MANNONI M., L’enfant arriéré et sa mère, le Seuil (coll. Points Essais), Paris, 1964, 245 p. 19
KLEIN M., L’amour et la haine, Payot (coll. Petite Bibliothèque), Saint-Amand-Montrond, 1998, 150 p.
26
mécanismes de défense contre les représentations mentales qui entraîneraient une bouffée
d’angoisse ou une amplification de culpabilité difficilement maîtrisables.
La surprotection, d’apparence paradoxale vis-à-vis de ce sentiment de destruction, est l’une
de ces adaptations. A travers cette surprotection, les parents cherchent à prouver aux
autres, mais surtout à eux-mêmes, que non seulement ils n’aspirent pas à la mort de leur
enfant mais, qu’au contraire, le handicap se donne aussi à aimer.
II-5 Le polyhandicap, une dépendance génératrice d’angoisses
La relation enfant handicapé-parent est donc mise à mal, car elle est génératrice de
culpabilité et d’angoisse.
L’angoisse va accompagner les parents tout au long de l’évolution de leur enfant : angoisse
à la naissance liée à la découverte de l’étrangeté de leur enfant, lors de l’annonce du
handicap et du devenir de leur petit, angoisse face aux regards des autres, et à tout les
moments-clés du développement, angoisse lors des placements en institution… A chaque
moment d’angoisse, cela donne l’impression que les choses se rejouent, ravivant de
douloureux parcours, souvenir de l’annonce, souvenirs des multiples interventions
médicales, des placements en institution…
Mais l’angoisse ne se limite pas à la cellule familiale. En ce qui concerne la personne
polyhandicapée, l’angoisse est fortement liée à la notion de responsabilité. Par conséquent,
elle envahit aussi toute personne amenée à s’occuper d’une personne polyhandicapée,
même si cette angoisse ne se situe certainement pas sur le même registre qu’il s’agisse
d’un parent ou non.
Pour les professionnels, par exemple, la notion d’angoisse est très liée à la notion de risque.
Donner à manger à des personnes polyhandicapées n’est pas un acte banal et comporte des
risques certains. Nombre d’entre elles étant sujettes à des « fausses routes », se révélant
parfois fatales, des formations portant sur la déglutition, du matériel adapté, des
installations à table appropriées, le fait de mixer les aliments, limitent ces risques et donc
l’angoisse des professionnels. Les parents ne comprennent pas tous ces précautions
27
institutionnelles autour des repas. Pour eux, repas doit rimer avec plaisir et ils considèrent
que « manger mixé », entre autre, n’est pas source de plaisir. Ils ne comprennent pas ces
précautions du fait que leur enfant, bien que devenu adulte, a toujours mangé
« normalement ». Ils le savent sujet à des « fausses routes », mais ils minimisent ce risque
et ne modifient en rien, de leur côté, l’acte de donner à manger à leur enfant.
Lenteur des progrès, risques de régression et de mort sont aussi sources d’angoisses et sont
lourds à porter pour les familles comme pour les professionnels. Mais ce qui est le plus
angoissant finalement, c’est peut être l’absence d’expression verbale, c’est ce langage
incompréhensible du polyhandicapé qui élève un mur opaque entre l’aidé et l’aidant.
Lorsque l’aidant n’est pas lui-même aidé à franchir ce mur, le silence de la personne
dépendante a des conséquences très graves, rapidement épuisantes et angoissantes : le
silence s’étend de l’aidé à l’aidant, qui ressent une angoisse terrible de ne pas bien
répondre aux attentes indéchiffrables de la personne dépendante. Il en vient à se réfugier,
inconsciemment, dans des idées de toute puissance, ou dans une mécanisation des gestes
d’aide, qui risquent alors de déshumaniser à la fois l’aidé et l’aidant.
CHAPITRE III : L’Adulte polyhandicapé confronté au contexte politico
social actuel, enjeu de droits et de places
Dans les deux chapitres précédents, nous avons questionné, dans un premier temps,
l’historicité de la notion de polyhandicap.
Puis, dans un deuxième temps, nous avons porté un éclairage sur la réalité quotidienne du
polyhandicap, afin de mettre en évidence la posture de dépendance de la personne
polyhandicapée.
Le cadre de notre recherche n’est pas suffisamment posé si nous n’abordons pas,
également, la question de la difficile inscription de la personne handicapée dans la société
française, d’hier à aujourd’hui. L’objet principal de notre troisième chapitre est
d’interroger la place, l’émergence des droits de la personne handicapée, dans une volonté
politique d’intégration et de normalisation. Ensuite, dans la deuxième partie de notre
28
mémoire de recherche, nous pourrons ainsi mettre en rapport la notion de projet, avec la
réalité du polyhandicap.
Quand il s’agit de personnes vulnérables, l’affirmation proclamée des droits est toujours
une nécessité. Mais être détenteur de droits ne suffit pas pour être reconnu comme une
personne à part entière encore faut-il que d’objet de droits, l’usager devienne sujet de
droits.
C’est là tout l’enjeu politique des trente dernières années, dans le paysage législatif
français.
III-1 1975, la personne handicapée, d’assistée à objet de droits
La loi d’orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées est fondamentale,
dans la mesure où elle marque le passage d’une prise en charge antérieurement basée sur la
notion d’assistance à une prise en charge reposant largement sur la notion de solidarité.
Du statut d’assisté, la personne handicapée devient objet de droits, à ce titre20
:
- elle affirme que « la prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l’éducation, la
formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de
ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de
l’adulte handicapé […] constituent une obligation nationale »,
- elle rend l’ensemble des acteurs sociaux : familles, Etat, collectivités locales,
établissements publics, organismes de Sécurité sociale, associations, groupes, organismes
et entreprises publics et privés responsables de la mise en œuvre de cette obligation,
- elle réforme les mécanismes d’orientation des personnes et les prestations pouvant leur
être attribuées. Ces prestations visent à « assurer aux personnes handicapées toute
l’autonomie dont elles sont capables » privilégiant, « chaque fois que les aptitudes des
personnes handicapées et de leur milieu familial le permettent […], l’accès aux institutions
ouvertes à l’ensemble de la population et le maintien dans un cadre ordinaire de travail et
de vie. »
20
Loi n°75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées, JORF du 1er
juillet 1975
29
Mais, si l’expression « en faveur des personnes handicapées » inaugure une véritable
avancée quant à leur place dans la société française, il n’empêche que l’esprit de cette loi
reste, encore, dans une idée de prise en charge globale et administrative du handicap.
III-2 2002, la personne handicapée, d’objet de droits à sujet de
droits
Il faut attendre l’année 2002, soit dix-sept ans après la loi d’orientation en faveur des
personnes handicapées pour qu’il leur soit enfin légalement reconnu l’usage de droits. Qui
plus est, d’objet de droits, la personne handicapée gagne en statut en devenant sujet de
droits. Non seulement, elle bénéficie de droits qu’elle peut revendiquer, mais la loi lui
donne aussi la possibilité d’en devenir actrice de fait.
Le 2 janvier 2002, après cinq ans de travaux préparatoires, la loi n°2002-2 de rénovation de
l’action sociale et médico-sociale remplace la loi relative aux institutions sociales et
médico-sociales de 1975.
Elle comporte quatre objectifs principaux21
:
- le premier de ces objectifs, et non le moindre, est l’affirmation et la promotion du
droit des usagers. La loi définit les droits fondamentaux des personnes :
Principe de non discrimination,
Droit à une prise en charge adaptée,
Droit à l’information,
Principe du libre choix et du consentement éclairé de la personne,
Droit à la renonciation,
Droit au respect des liens familiaux,
Droit à la protection,
Droit à l’autonomie,
Principe de prévention et de soutien,
Droit à l’exercice des droits civiques,
Droit à la pratique religieuse,
21
Loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, JORF du 3 janvier 2002
30
Respect de la dignité de la personne et de son intimité.
La loi ne manque pas de préciser les modalités d’exercice de ces droits, par tout un
ensemble de dispositifs : charte de la personne accueillie, règlement intérieur, contrat ou
document individualisé garantissant l’adaptation de la prise en charge, recours possible à
un médiateur, projet d’établissement fondé sur « un projet de vie », d’animation et de
socialisation, participation aux conseils de la vie sociale.
- la loi de 2002-2 prône une meilleure coordination des décideurs, des acteurs.
L’enjeu est de développer des complémentarités entre établissements, de garantir la
continuité des prises en charge lors d’un transfert d’un établissement à un autre, de
promouvoir des réseaux sociaux et médico-sociaux coordonnés et de décloisonner
secteur sanitaire et secteur social, en généralisant les démarches évaluatives,
notamment par la création d’un Conseil National de l’Evaluation Sociale et
Médico-Sociale (C.N.E.S.M.S.), chargé de valider des référentiels de bonnes
pratiques et d’assurer la diffusion des démarches évaluatives sur le terrain. L’enjeu,
au final, est d’améliorer le droit des usagers.
Après avoir parlé « d’assisté », puis « d’administré », après avoir écarté le terme « client »,
trop commercial, la loi de 2002-2 évoque le terme « d’usager. » L’usager n’est pas un
terme nouveau. Il vient du droit public où il désigne l’utilisateur du service public.
Aujourd’hui, la définition est plus ouverte. Elle ne limite plus l’application de la
terminologie au secteur public, mais elle permet d’aborder les rapports entre l’individu et
ses partenaires, sous un jour nouveau, en termes de droits et non plus exclusivement en
termes de contraintes. L’usager présente ainsi plusieurs profils. Il est la personne titulaire
de droits et d’obligations qui recourt à un organisme prestataire public ou privé. Il apparaît
également comme un client, comme un consommateur de services.
La place de la personne handicapée s’affirme à travers cette loi, ainsi que celle de son
représentant légal. La loi s’inscrit dans une logique d’accompagnement individualisé, mais
il reste encore un pallier à franchir : que la personne handicapée accède à un statut de
citoyen à part entière, sans discrimination du fait de son handicap.
31
III-3 2005, la personne handicapée, de sujet de droits à la
citoyenneté
Les droits des usagers ont été promus par la loi de 2002-2. A travers cette loi, le législateur
considère l’usager, non plus comme un bénéficiaire muet de prestations offertes
généreusement, mais comme un acteur au centre du dispositif.
La loi du 11 février 2005, qui a pour intitulé : « Projet de loi pour l’égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées22
», va plus loin.
Il ne s’agit plus uniquement de promouvoir les droits des usagers, mais de les reconnaître
en tant que tels. En effet, jusqu’ici l’usager, au regard des textes, avait peu d’avis à donner
sur les prestations qui lui étaient allouées et ses droits de citoyen n’étaient pas toujours pris
en compte.
La principale disposition (Article 2 de la loi du 11 février 2005) concerne l’accès aux
droits fondamentaux : « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de
la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits
fondamentaux reconnus à tous les citoyens, ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. »
« L’Etat est garant de l’égalité de traitement des personnes handicapées sur l’ensemble du
territoire et définit des objectifs pluriannuels d’actions. »
Mais l’article phare de la loi du 11 février 2005 reste l’article 11 : « la personne
handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap, quels que soient
l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. »
La loi concrétise le droit à compensation des conséquences du handicap en créant,
notamment, une prestation personnalisée destinée à financer :
- l’aide humaine,
- les aides techniques,
- l’aménagement du logement, des véhicules…
- les autres surcoûts (animaliers, exceptionnels…).
D’une logique forfaitaire, on est donc arrivé à une logique individualisée. C’est en fonction
des besoins que la prestation est calculée.
22
Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées, JORF n°36 du 12 février 2005
32
La loi du 11 février 2005 ne s’inscrit pas uniquement dans une logique d’accompagnement
individualisé. Il s’agit aussi, à travers cette loi, de réinscrire la personne handicapée comme
une personne citoyenne à part entière. Pour cela, la loi repose sur le principe général de
non-discrimination. Ce principe oblige la collectivité nationale à garantir les conditions de
l’égalité des droits et des chances aux personnes handicapées, quelle que soit la nature de
leur handicap. Il suppose que la nouvelle législation organise, de manière systématique,
l’accès des personnes handicapées au droit commun, l’adapte ou le complète par des
dispositifs spécifiques, afin de garantir en toute circonstance, une réelle égalité d’accès aux
soins, au logement, à l’école, à la formation, à l’emploi, à la cité et ainsi de reconnaître la
pleine citoyenneté des personnes handicapées.
En somme, la loi du 11 février 2005 se veut de mettre l’accent sur 3 axes principaux23
:
- rendre effectif l’accessibilité pleine et entière de la cité pour une plus grande
participation, (l’accessibilité de la cité était déjà un objectif de la loi de 1975), en
organisant chaque fois que nécessaire l’indispensable adaptation des institutions ou
des procédures, en développant l’accompagnement et la personnalisation des aides,
- créer les conditions financières d’une vie autonome, digne, pour toutes les
personnes handicapées, en donnant un contenu au droit à compensation et en
garantissant des ressources suffisantes de manière à leur permettre de construire
leur projet personnel de vie,
- organiser les institutions et les procédures de réalisation de ces objectifs, dans un
souci de simplification et de clarification administrative, de transparence et
d’efficacité en même temps que la participation des intéressés, de leurs familles et
de leurs associations, aux décisions qui les concernent. C’est la finalité des Maisons
Départementales des Personnes Handicapées (M.D.P.H.).
Plus de quatre ans après cette loi du 11 février 2005, les MDPH se mettent en place,
l’accessibilité des transports et lieux publics se poursuit, lentement mais sûrement. La
prestation de compensation a permis de nombreux maintiens ou retours à domicile.
Néanmoins, se pose toujours la question de la place de la personne polyhandicapée elle-
même, dans cette élaboration personnalisée de son projet de vie.
23
Droit des Personnes en situation de handicap, CTNERHI, Guide Néret, Paris, 2004, p. 13.
33
CONCLUSION PREMIERE PARTIE : Du besoin au désir, une question
de temps
Nous avons montré, dans cette première partie, en quoi il a fallu beaucoup de temps pour
que le polyhandicap soit reconnu et s’affirme dans la société française. Le temps est aussi
au cœur de la problématique de prise en charge de la personne polyhandicapée. Le
polyhandicap engendre nécessairement de la dépendance. Pour les personnes
polyhandicapées, les aides humaines prennent une place prépondérante dans leur
accompagnement au quotidien.
Afin de prendre conscience « du poids de cette prise en charge excessive », que représente
le handicap au quotidien, nous nous référons à la synthèse de l’enquête réalisée par
Handicap International24
sur l’organisation du temps des parents d’enfants handicapés.
Résultats de l’enquête :
Quatre temps familiaux ont été définis :
- le premier est le temps parental : concerne la prise en charge des enfants, à savoir, la
toilette, les jeux, les devoirs… L’augmentation de ce temps, du fait du handicap, existe
pour 78% des familles dont 84% pour les mères.
24
« 7ème
enquête nationale d’opinion auprès des familles en situation d’handicap », initiée par Handicap-
International, 6 novembre 2003.
http://www.cyberdevoir.com
34
- le deuxième temps est le temps domestique : la logistique, les courses, le ménage... Son
augmentation, du fait du handicap, existe pour 64% des familles. Ce sont en priorité les
mères qui s’en chargent.
- le troisième temps est le temps professionnel : temps que l’on passe à l’extérieur pour
travailler. Le temps professionnel est réduit pour 44% des mères et pour 21% des pères, et
la cessation d’activité professionnelle existe pour 20% des mères et 5% des pères.
- le dernier temps, le temps des loisirs : la réduction du temps de loisirs, du fait du
handicap, existe pour 71% des familles. Pour les familles, en général, la Réduction du
Temps de Travail (R.T.T) permet une meilleure organisation. Les mères privilégient les
activités domestiques et familiales et les pères font plus de sport et prennent plus de repos.
Ont été calculés, à la minute près, le temps consacré à un enfant handicapé, qui est de 6
heures et 25 minutes par jour, et le temps consacré à un enfant non atteint d’un handicap,
qui est de 2 heures 36 minutes par jour.
Et encore cette étude ne concerne pas l’enfant polyhandicapé, et encore moins l’adulte
polyhandicapé vieillissant. Il est aisé d’imaginer que le temps consacré à leurs soins et
attentions serait largement supérieur à 6 heures 25 minutes par jour.
Le temps se retrouve en fil conducteur dans notre troisième chapitre. Certes, pas de façon
explicite, mais ne faut-il pas du temps pour faire changer les mentalités. Les lois sont un
des instruments possibles pour faire changer les mentalités, à moins que ce ne soient-elles
qui conditionnent les lois. Quoiqu’il en soit, il a fallu du temps pour que l’adulte
polyhandicapé prenne place dans notre société et aspire à faire valoir ses droits. Si tout ne
se réduit pas évidemment à l’aspect réglementaire, la législation peut favoriser l’expression
du désir et permettre qu’il trouve sa concrétisation dans un projet de vie, qui soit le reflet
d’un désir singulier. Mais, avant de parler de désir, le point de départ d’un projet reste le
besoin et la question de son évaluation.
Le dictionnaire Hachette définit le besoin comme « une sensation qui porte les êtres
vivants à certains actes qui leur sont ou leur paraissent nécessaires. Manger, boire, dormir
sont des besoins organiques. » Cette définition est liée à des besoins dits « primaires »,
également appelés « besoins élémentaires ou physiologiques. » Dans cette première
35
catégorie des besoins, il s’agit de besoins indispensables à l’homme pour sa survie. Le
psychologue Abraham MASLOW25
recense bien d’autres types de besoins, parmi eux, « les
besoins de sécurité et de protection », les besoins dits « sociaux », comme communiquer,
appartenir à un groupe…, « les besoins d’autonomie et de dépendance et les besoins de
réalisation et d’accomplissement. » Selon sa théorie, tout être humain s’évertue d’abord à
satisfaire chaque besoin, d’un niveau donné, avant de penser aux besoins situés au niveau
immédiatement supérieur, de là sa construction théorique en forme de pyramide.
La pyramide de MASLOW fait apparaître l’étroite interaction entre l’individu et son
environnement. L’homme ressent des manques, aussi n’aspire-t-il qu’à une seule chose,
faire disparaître cette sensation de manque. Et pour cela, il se tourne vers son
environnement et ses possibilités.
Au regard de cette théorie, rien n’est précisé concernant les différences, qu’il pourrait y
avoir, au niveau des besoins entre personne handicapée et personne valide.
Finalement la personne, qu’elle soit en bonne santé, malade ou handicapée, a des besoins
fondamentaux à satisfaire pour être indépendante et capable de faire des choix pour être
autonome et se réaliser pleinement.
Mais du besoin au désir, la route est encore longue. Les désirs sont des moyens envisagés
pour combler les manques révélés par les besoins.
Si le projet personnalisé a pour vocation de répondre aux besoins de la personne
polyhandicapée, il ne doit pas négliger, pour autant, la question du désir articulée à celle de
la demande. A vouloir répondre exclusivement aux besoins, qui ne concerneraient que
l’individu biologique, il y a risque de nier à la personne polyhandicapée son statut d’être
humain désirant, inscrit dans une histoire singulière et un collectif d’appartenance, c’est là
le premier écueil du projet personnalisé.
Si le droit au choix répond à ses désirs et à ses goûts, il peut se heurter aussi à des obstacles
correspondant à ses aptitudes et à ses capacités. Le projet personnalisé doit faire face ici à
un deuxième écueil, objet de notre deuxième partie : le projet à l’épreuve du polyhandicap.
La notion du Temps restera notre fil conducteur car le rapport au temps est, selon nous,
l’un des nœuds du problème dans la difficile relation parents-institution. Le facteur temps
25
MASLOW A., Devenir le meilleur de soi-même – besoins fondamentaux – motivation et personnalité,
Editions Eyroles (coll. Comprendre et Agir), Paris, 2008, 384 p.
Cf. annexe n° 3
36
permettra d’apporter un éclairage sur les contradictions paradoxales de la notion de projet
pour la personne polyhandicapé et son entourage.
DEUXIEME PARTIE : LE PROJET A L’EPREUVE DU
POLYHANDICAP
Après avoir parlé de la notion de polyhandicap, premier versant de notre recherche, nous
en arrivons maintenant à la notion de projet, cœur de notre mémoire et plus précisément la
notion de projet de vie. Que signifie le projet de vie ?
Les approches philosophiques et anthropologiques nous semblent bien adaptées à une
appréhension du projet, concept flou s’il en est, et réalité souvent paradoxale. C’est
chercher à comprendre le sens profond, l’éthique qui l’anime en ce qui concerne
l’approche philosophique. C’est « disséquer » comment fonctionne le projet dans différents
ensembles culturels, comprendre de quelle modernité est porteur le projet en ce qui
concerne l’approche anthropologique. L’attrait que le projet exerce sur nos modes de vie
actuels mérite que nous nous interrogions.
CHAPITRE I : De la notion de projet au projet de vie
I-1 L’émergence du projet : œuvre du divin
Le terme de projet apparaît vraisemblablement dans le courant du XVème siècle sous deux
formes, « pourjet » et « project. »26
Dans le vieux français, « pourjet » ou « project »,
désigne des éléments architecturaux jetés en avant (balcon sur une façade par exemple). Le
26
BOUTINET J-P., Anthropologie du Projet, P.U.F (coll. Psychologie d’aujourd’hui), Paris, 2003, p.24.
37
terme de projet revêt, à l’origine, une signification essentiellement spatiale, architecturale.
Projet, en latin « pro-jectus27
», signifie « ce qui est jeté en avant », c’est-à-dire l’action de
prendre quelque chose en soi et de le jeter devant soi, dans un environnement et un espace
situé dans le présent, l’ici et le maintenant.
Le terme de projet ne s’impose pas aujourd’hui dans ce sens originel. Le projet a perdu
cette dimension spatiale au détriment de la dimension temporelle, s’inscrivant dans un
ailleurs et un plus tard.
« L’époque des Lumières » est le moment charnière de cette mutation. Le monde au
Moyen-âge est orchestré par la puissance divine suivant un ordre naturel et immuable.
L’homme ne s’appartient pas en propre. Sa vie est orchestrée par la providence. L’histoire
en marche n’est que réalisation du projet divin. L’homme n’est pas maître de sa vie, mais
cela lui permet aussi de se rassurer, d’expliciter ses grandes méconnaissances et ses peurs
par la volonté du tout-puissant. Les grandes découvertes scientifiques, l’amélioration des
voies de communication, l’émergence de nouvelles philosophies vont remettre en question
cette mentalité médiévale. L’homme devient acteur et agent de changement. L’histoire fait
l’homme au même titre que l’homme fait l’histoire. Le terme de projet prend alors une
autre connotation. L’homme, avide de connaissances, avide de s’émanciper de la
transcendance divine, se prend en main, en devenant son propre créateur.
I-2 Le projet à l’époque des « Lumières » : œuvre du progrès
Dans ce contexte des « Lumières », le projet est assimilé au progrès, inspiré par la raison.
Le terme de projet, à cette époque, caractérise une nouvelle temporalité, tournée vers
l’avenir et la sociabilité, celle de la science et de la technique. Le projet invite l’homme à
se dépasser, à rejeter cet automatisme aveugle qui caractérisait l’époque médiévale. Ce
dépassement de soi, au nom du progrès, questionne les philosophes des « Lumières »,
notamment PASCAL qui écrit dans « Pensées » : « tout ce qui se perfectionne par progrès
périt aussi par le progrès »28
Jusqu’où doit-on aller dans ce dépassement de soi ? Le
progrès est-il toujours synonyme de progrès social ? Alors que l’homme, à travers la
27
GUIGUES G., Intervention au Collège Coopératif Provence-Alpes-Méditerranée, Aix-en-Provence, 2008 28
BOUTINET J-P., Anthropologie du Projet, P.U.F (coll. Psychologie d’aujourd’hui), Paris, 2003, p. 81.
38
science et la technique, tend à s’émanciper de l’ordre immuable des choses, le progrès est-
il toujours gage de liberté ?
A travers le projet, les philosophes des « Lumières » se posent la question du sens de
l’existence. Deux conceptions contradictoires du monde vont émerger. La première
symbolisée par Karl MARX et par Johann Gottlieb FICHTE, la seconde par Jean-Jacques
ROUSSEAU. Pour MARX, le projet est identifié à l’effort, au travail, à la lutte. Cette
philosophie de l’effort est associée à une philosophie de la liberté. FICHTE, aussi,
considère que tous les maux de la vie ne sont pas une fatalité, que l’homme, par son action
volontaire et courageuse, peut y remédier. Il prône le progrès comme perfectionnement,
vers un monde toujours plus idéal et libertaire. L’homme, de par son action, de par ses
efforts, serait libre, ou du moins tendrait à le devenir. Il légitime les sciences et la
technique, garants de progrès social, parce que constitutives de liberté. Progrès, projet et
liberté sont donc fortement imbriqués chez FICHTE. Face à l’optimisme de FICHTE,
ROUSSEAU s’est positionné contre le progrès scientifique, synonyme pour lui,
d’oppression et d’injustice. Si ROUSSEAU reconnaît qu’il est difficile de revenir à un état
de nature, maintenant que le train des sciences et de la technique est en marche, il vit
encore dans cette nostalgie du passé idéal. Contrairement à FICHTE, il ne croît pas en
l’avenir, source de progrès et de bonheur. Deux conceptions radicalement différentes,
entre, comme nous dit l’anthropologue Jean-Pierre BOUTINET, « FICHTE, l’homme du
projet et du temps progressif et de ROUSSEAU, l’homme de l’impasse et du temps
régressif. »29
L’illustration de cette contradiction, entre ces deux penseurs, a trait à la
notion de liberté. Pour ROUSSEAU, en effet, « l’homme naît libre, la société le déprave.
»30
Il considère que l’homme a perdu sa liberté du fait de ce rouleau compresseur qu’est le
progrès, de cet éloignement de l’état originel de nature. Au contraire, pour FICHTE, le
progrès est source de liberté. Là où ROUSSEAU y voyait une perte, FICHTE y voit une
possibilité pour l’homme de construire sa liberté, un idéal à conquérir.
I-3 Le projet aujourd’hui : produit de consommation
Ces deux conceptions dichotomiques du monde des « Lumières » éclairent, à travers la
notion de projet, la modernité de notre société. Celle-ci, en effet, ne peut être comprise
29
BOUTINET J-P., Anthropologie du Projet, P.U.F (coll. Psychologie d’aujourd’hui), Paris, 2003, p. 34. 30
BOUTINET J-P., Anthropologie du Projet, P.U.F (coll. Psychologie d’aujourd’hui), Paris, 2003, p. 36.
39
qu’à travers cette double ambivalence et les enjeux qui l’animent : à la fois acceptation de
ce progrès, source de créativité et d’enchantement, et à la fois résistance à ce progrès,
source de rentabilité, de vitesse et d’échec.
La société d’aujourd’hui se caractérise par l’individualisation, par l’appropriation et
l’accaparement : jouir immédiatement mais une jouissance qui ne parvient pas à satisfaire,
à combler les manques, société consommatrice en perte de repères source de « gâchis », de
désillusion et de désœuvrement. Et le projet dans un tel contexte ?
Le projet est lui aussi produit de consommation, un artefact, « un simulacre », comme
dirait le philosophe sociologue Jean BAUDRILLARD, pour masquer le vide de
l’existence… Le projet est là pour transcender le quotidien, pour dépasser la condition
humaine. Le projet est là pour indiquer que, finalement, les choses ne sont pas guidées par
un automatisme aveugle, mais cela va encore plus loin aujourd’hui que lors du siècle des
« Lumières », à l’image de Martin HEIDEGGER, philosophe allemand, pour qui le projet
est une manière de tenter de comprendre ce qui fait la singularité de l’être humain. Pour
HEIDEGGER, le projet constitue la révélation de l’être. A savoir, qu’à travers le projet, il
ne s’agit pas uniquement d’une action opératoire et anticipatrice, c’est bien plus que cela.
L’homme se dévoile dans le projet, il se raconte à travers lui, il manifeste sa propre liberté.
Libre, parce que libéré des carcans du quotidien, il se pense en termes de perspective, de
futur, mais pas tout à fait libre non plus, car inhibé par des angoisses, celles de ce que sera
demain, de l’échec éventuel de son projet ne pouvant se réaliser jusqu’à son terme.
Pour le philosophe, Jean-Paul SARTRE, l’homme ne peut s’enfermer dans son actuelle
condition. Le projet est précisément là pour transcender cette condition. Mais SARTRE
n’est pas dupe et a conscience, que sur le long terme, le projet peut se révéler chargé
d’illusions. Il pense qu’il est vain de considérer que le projet, en tant que culture, permettra
de combler tous les manques de notre société dite « moderne. » L’homme aura beau
chercher à tout posséder, à accumuler pour combler le vide, il y a des manques qui
resteront en l’état, et ce quel que soit le projet. SARTRE voit dans le projet, « l’expression
concrète de la liberté, permettant à l’homme de se dépasser lui-même et par là de se
construire, à travers cette conscience du manque qu’il éprouve et qui se concrétise dans sa
liberté. »31
Le projet, pour SARTRE, est une manifestation de la liberté de l’homme,
31
BOUTINET J-P., Anthropologie du Projet, P.U.F (coll. Psychologie d’aujourd’hui), Paris, 2003, p. 53.
40
« l’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être. »32
Il sous-entend que l’homme n’est
pas homme, mais qu’il le devient, qu’il n’est pas entièrement déterminé, qu’il lui reste du
possible. Encore faut-il qu’il soit conscient de cette marge de manœuvre, et qu’il veuille se
projeter dans un avenir à construire. A travers cette volonté de devenir, SARTRE ne dit pas
que l’homme deviendra forcément ce qu’il a projeté de devenir, mais l’important, c’est
que, par cette intention, il va s’en trouver modifié et c’est cela qui fait projet.
Le projet, aujourd’hui, prend donc une double coloration : à la fois, instrument opératoire
practico-pratique, sujet de consommation de masse, sujet à la mode d’utilité sociale, et à la
fois, comme tentative pour échapper à ce phénomène vampirisant de la pensée unique, de
la mondialisation, comme tentative de recherche d’un sens idéal à l’existence humaine.
Quand nous avons abordé la notion de projet, nous avons accolé au projet, l’idée de vie.
Que signifie le projet de vie ? Est-ce à dire qu’il y a d’autres projets ? Il y a-t-il un projet
de mort ? Ou bien encore qu’il ne peut y avoir de vie sans projet ? Plus que le projet même,
nous souhaitons aborder principalement le projet de vie dans ce mémoire.
En parlant d’existence, nous réintégrons, à la notion de projet, sa dimension temporelle. Le
projet est synonyme de vie, il engage au même titre que l’on s’engage dans la vie.
Synonyme de vie mais aussi de mort, mort comme faisant partie de la vie, à savoir que le
projet renvoie à une finitude, à des limites, l’ultime étant la mort, mort du projet, mort de
son auteur. Finalement, tout projet, source de vie, est voué à la mort. Le projet en soi n’est
pas le plus primordial, l’important est qu’il y ait projet car il est l’essence même de
l’homme moderne, une vision du monde qui permet de penser la finitude pour certains, en
quête perpétuelle de projets, se battant contre l’horloge du temps, comme Don Quichotte
avec ses moulins-à-vent. Pour d’autres, au contraire, l’élaboration de projets leur permet de
se penser perpétuellement vivants, tant qu’il y a des projets, il y a de la vie, moyen pour se
désangoisser de la mort à venir, inéluctable. Le projet est donc une finalité qu’un sujet se
donne, une finitude qui lui permet d’exister, de se penser homme. Rapport au temps
encore, car le projet est quelque chose que l’homme jette devant lui, un but à atteindre dans
un avenir qui ne peut être que représenté. Sans fin, il n’y aurait pas de projet, car tant que
nous n’avons pas délimité le chemin, nous ne pouvons commencer.
32
SARTRE J-P., L’existentialisme est un humanisme, Gallimard (coll. Folio-Essais) n°284, Saint-Amand,
2008, p. 30.
41
Nous avons tendance à penser que c’est ce chemin qui est le plus important, ce processus
qui nous engage et nous transforme, un chemin fait de doutes et d’incertitudes, un chemin
fait de choix et d’impasses. C’est dans ce chemin que l’homme peut faire jouer sa
créativité, laisser libre cours à sa marge de manœuvre, apprendre à renoncer et tout
simplement à se construire. Il n’y a donc pas vraiment de fin dans cette construction.
Le projet va bien au-delà de sa réalisation. Il transforme radicalement l’homme, le
transcende à la recherche d’un nouveau projet. En ce sens, nous considérons que le
parcours est un projet, un projet fait de formations et de déformations. L’homme, par ce
parcours initiatique, apprend toujours à mieux se connaître et à se reconnaître. L’important
n’est pas vraiment le but à atteindre, à ce titre nous pouvons distinguer projet, d’objectif.
D’ailleurs, le but à atteindre n’est pas toujours celui auquel nous parvenons, mais
qu’importe, l’essentiel est ailleurs.
A travers la notion de projet, il s’agit pour l’homme d’amorcer un processus de
construction/déconstruction. Ce processus ne prend sens, pour l’homme, que parce qu’il est
inscrit dans un environnement social. Seul face à son miroir, le projet serait stérile. Il ne
prend corps qu’à travers le regard d’autrui. C’est en marchant que se fait le projet, nous
rajoutons, désormais, que c’est en marchant en direction d’autrui que se fait le projet.
L’environnement ne se limite pas à la dimension de l’espace. L’environnement englobe
l’espace, certes, mais un espace élargi inscrit dans une certaine temporalité. Le projet est
donc quelque chose de cadré mais à l’intérieur de ce cadre, il y a de la vie, gage de liberté.
En introduisant le facteur de l’environnement, nous posons que le projet renvoie à la
culture. Il n’existe pas, selon nous, de projet qui ne renvoie pas à un autre. Contrairement à
BOUTINET qui parle de « sociétés sans projet », nous croyons qu’à partir du moment où
l’homme est homme, il y a nécessairement projet. Procréer est déjà un projet. Le fait même
de désirer avoir un enfant est déjà un projet. Vivre, tout simplement, et nous retrouvons ici
la notion de projet de vie, est un projet. Quand nous disons vivre, c’est l’action de choisir
entre vivre proprement dit, ou refuser de vivre, étant donné que nous considérons la mort
comme la finalité de la vie. BOUTINET parle de « sociétés sans projets » pour évoquer
essentiellement les sociétés dites « primitives », ancrées dans l’ici et le maintenant, dans la
satisfaction avant tout des besoins fondamentaux. Mais il nous semble que le simple vivre
ensemble, dans une collectivité, créé du projet au sens où ce collectif modifie l’individu
42
dans son existence même. Bien sûr, le projet des sociétés dites « primitives » n’est peut-
être pas à assimiler à celui qui caractérise notre société dite « moderne. » Selon nous, deux
notions expliquent cette différence : la notion de projection et la notion d’intentionnalité.
Avec l’ère industrielle et postindustrielle, l’homme ne se limite plus, désormais, à subvenir
à ses besoins immédiats. La production de masse lui a permis d’accumuler, d’amasser des
stocks lui permettant de faire face à tout imprévu. Qui plus est, avec les progrès de la
science, l’imprévu est devenu plus prévisible. Nous sommes entrés dans une ère
économique, dans une ère de gestion, de planification et de projection. Libéré de la
nécessité de subvenir à ses besoins fondamentaux, l’homme est devenu matérialiste,
consommateur de masse, recherchant dans l’objet, un artifice de bonheur. Aujourd’hui,
quelque peu désabusé, il tente de renouer avec la nature, mais une nature elle-même
dénaturée, une nature morte, sans âme. A ce titre, nous pouvons considérer, comme
l’écrivain Paul VALERY, que le projet est, lui-aussi, un produit consommable et à ce titre,
artificiel. Le projet prend une connotation d’utilité pratique. Paul VALERY sous-entend
que le vivant n’est plus pris en compte, à savoir, qu’à travers le projet, on ne se préoccupe
plus des interactions que le projet peut augurer. Ce qui prime, désormais, est la mise en
place de la machine organisationnelle et communicationnelle, en vue de réaliser ce projet.
I-4 Le projet aujourd’hui : une résurgence et omniprésence
paradoxale
Le projet apparaît comme un concept instable, flou. Aussi cherche-t-il, de plus en plus, à
gagner en clarté en se définissant via une multitude de référentiels, ce qui lui confère un
caractère plus technique et utilitaire. Il est de plus en plus incontournable et envahit
désormais des espaces qui lui étaient, jusqu’ici, quelque peu étrangers, comme l’espace
médico-social. Ce retour au premier plan répond-il simplement à un effet de mode,
éphémère et sans grande répercussion ou bien, au contraire, bouleverse-t-il en profondeur
les valeurs sociétales ?
Il semble que nous sommes encore dans une phase transitoire, et de ce fait, il revêt la
même ambivalence que le progrès, ambivalence évoquée ci-avant. Mais, au vu du
foisonnement et de la variété conséquente des projets, nous pensons que l’attrait actuel
43
pour le projet n’est pas purement et simplement un effet de mode, mais que nous entrons
bien dans une période de culture de projet.
Comment expliquer cette tendance ?
En premier lieu, du fait du rapport très étroit entre la notion de progrès et celle de projet.
Nous sommes toujours dans cette idée de la notion de progrès, que le futur est synonyme
d’amélioration, de plus de possible, de croissance, de développement, le tout étant associé
à plus de bonheur. Le projet est pensé, à la fois, comme un dispositif technique pour
maîtriser le présent et le plus possible, le futur via les sciences prospectives
(Climatologie…), et aussi un moyen pour redonner du sens aux changements modernes
liés à la notion de progrès. Mais voilà, crise économique oblige, instabilités politiques,
difficultés de prévisions du système devenu mondialiste, expliquent, en partie, la difficulté
aujourd’hui à se projeter dans un futur, même proche. Et c’est bien, là, l’un des paradoxes
du projet actuel. Le projet a pour vocation de se projeter, c'est-à-dire anticiper de façon
opérante mais au vu du contexte actuel, le projet peut ne plus répondre à cette mission
d’anticiper et par conséquent tomber, inévitablement, en désuétude. Pourtant, tout au
contraire, le projet continue à envahir toutes les sphères de notre société. Le rapport étroit
entre le projet et le progrès ne suffit donc pas pour expliquer cette réémergence du projet
aujourd’hui. L’attrait du projet se situe encore ailleurs. Le futur n’étant plus vraiment
lisible, le projet s’inscrit dans une nouvelle temporalité, celle du moment présent, faisant à
la fois fi du passé et se méfiant du futur. La société actuelle est toujours avide de
changements et de nouveautés mais, désormais, ces changements sont immédiats, sans
réelles perspectives. Le projet s’inscrit dans cette volonté de l’individu à aspirer à autre
chose, à modifier sa façon de vivre, à aménager autrement ce qui fait son quotidien.
Dans notre culture, tout au moins, la notion de projet se révèle très paradoxale. Le projet se
présente, de prime abord, comme une démarche d’individualisation, un processus
initiatique propre à chaque acteur. Le projet est prétexte à motiver l’individu. Il donne sens
aux conduites humaines et, à ce titre, peut-il être considéré comme nécessaire. Pour
l’individu, le projet est ce qui lui permet d’orienter sa vie vers un but visé, de s’inscrire et
de se reconnaître dans un groupe donné. Pour la société dans son ensemble, le projet est là
pour faire ciment, pour créer du lien et du liant, pour s’adapter aux mouvances
environnementales. Le projet, dans une telle conception, s’ancre dans le présent, en
44
référence à un passé révolu et dans des perspectives futures. Du fait de cette transversalité
temporelle, le projet peut être perçu comme un idéal à atteindre qui s’inspire des erreurs du
passé, de l’expérience présente pour aspirer à du mieux être.
Aujourd’hui, le projet ne peut se limiter à cette perception de buts à viser. Et c’est là que la
deuxième facette du projet révèle toute son ambiguïté. Certes, le projet est encore prétexte
à motiver l’individu, mais sur un autre registre. En effet, alors que le projet jusqu’ici
donnait sens, entendu comme existentiel, à l’individu, désormais le projet donne aussi sens,
comme stratégie managériale. Instrument des instances de pouvoir, il est devenu un outil,
une technique de gestion de groupe. Le projet vise à rompre l’usure professionnelle, à
redynamiser les équipes, à remotiver et remobiliser « les troupes. » Mais le projet, pour les
sociologues de l’action, comme Alain TOURAINE, apparaît aussi, aujourd’hui, comme
une volonté de récréer de nouvelles valeurs fédératrices, une nouvelle forme de sociabilité
tournée vers toujours plus de normatif. Il s’inscrit dans un contexte de bureaucratisation, de
rationalisation et de contrôle social. Le nouveau cadre référentiel du projet a pour objectif
la résolution de problèmes, d’où une profusion de projets, un projet cachant un autre projet,
un projet chassant un autre projet. Finalement, ce n’est plus le projet en lui-même qui est
important, mais le processus, faire des projets pour faire des projets.
Le projet revêt donc ces deux facettes, entreprise individuelle et entreprise collective
inscrite dans une culture ou plutôt devrons-nous dire, dans des cultures, ce qui complexifie
encore le schéma, culture sociétale bien sûr, mais aussi culture associative, d’entreprise…
Le projet, par essence, appelle à la créativité, à l’inventivité, or, à travers cette utilisation
d’outil de rationalisation, le risque est grand d’aller à l’encontre de cette créativité. Le
projet, en perdant son âme, peut devenir sclérosant et loin de dynamiser, démotiver les
acteurs au quotidien. Les professionnels du social deviennent de plus en plus méfiants à
son encontre, car le projet véhicule maintenant d’autres signifiants que celui de la
créativité. Derrière le projet, se profilent maintenant des idées de commande sociale, de
contrôle, de surveillance, de lourdeur administrative, de perte de spontanéité, de lettre
morte, d’incertitude…
Malgré ces ambiguïtés, l’utilisation du projet reste encore fortement valorisante. Le projet
véhicule encore du « plus », du possible. Il donne l’illusion du nouveau et du mouvement.
Il est porteur de vie, dans une société de plus en plus mortifère. Dans cette optique, nous
45
pouvons nous demander ce que cela veut dire « projet de vie » dans les maisons de retraite,
par exemple, quant l’avenir se rétrécit, que « le temps est derrière soi. » Il en est de même
pour les personnes « à protéger », que signifie le projet pour des personnes pour lesquelles
le possible est impossible ? Le projet semble donc convenir plus « aux communs des
mortels » suivant une ligne toute tracée (travail, mariage, avoir un enfant…). Pourtant,
vivre en internat, même dans une petite structure comme c’est le cas pour les résidents à
Handas, ne relève pas vraiment d’une vie « classique ». Le projet, dans un tel contexte,
peut y puiser une véritable force de créativité et y trouver tout son sens. Mais le projet,
dans son ensemble, ne semble remplir, au final, qu’un seul but, celui de combler le vide
créé par le malaise social, vide de soi et en soi, et vide de la société incapable de proposer
autre chose que la consommation de masse comme valeur sublimatoire. Là encore, des
paradoxes surgissent, car le projet donne l’illusion que la vie est sans fin, que tout projet se
trouve remplacé par un nouveau et ainsi de suite. Le projet permet toujours cette
prospection vers un futur envisagé comme du progrès, au regard de la situation présente.
Mais la profusion de projets dénote aussi du caractère éphémère du projet et par
conséquent de la vie. La difficulté, aujourd’hui, à se projeter au regard de la conjoncture
difficile et incertaine, dénote une fragilité du temps vécu. La projection vers le futur
ressemble plus à une fuite, à une espérance, qu’à une véritable croyance en un état
meilleur. Le projet, qui devrait être catalyseur d’énergies entendues comme positives, être
porteur d’espoir, ne parvient plus totalement à chasser les angoisses d’aujourd’hui et de
demain. Le projet souligne aussi l’absurdité de la société dite « moderne », obligée de
créer un artefact pour défier et conjurer sa hantise de la mort. Quoiqu’il en soit, et c’est
finalement là que le projet prend toute sa valeur, il donne l’impression à l’individu
d’avancer, d’être acteur de sa propre vie, d’être en partie maître de son destin. La tendance
à la bureaucratisation et à la rationalisation à outrance de la société a tendance à réduire
cette marge de manœuvre de l’individu qui, privé de liberté et d’espoir, se retrouve vite
désillusionné et désabusé.
Michel CROZIER, sociologue, insiste sur l’importance de redonner la place et la fonction
d’acteur aux individus afin qu’ils se libèrent du carcan de la société entendue comme un
système imposant ses lois et ses cadres. Le projet est, peut-être, cette marge de manœuvre
dont nous parle CROZIER.
46
Si le projet n’appartient pas en propre à l’individu, il en est pour une part agit et animé par
lui. Le projet, en effet, n’est pas l’œuvre d’un seul individu, celui qui en a été l’instigateur,
mais il est au cœur d’un véritable réseau. Un projet, en lui-même, n’existe que s’il est
partagé. Et il n’est partagé que s’il est parlé. Nous mettons là en lumière deux idées fortes
du projet : l’idée que le projet met aux prises plusieurs partenaires et la notion de langage
et de communication pour partager ce projet. Encore faut-il utiliser le même langage pour
se comprendre, encore faut-il faire avec les jeux de pouvoir et de contre-pouvoir pour
rendre viable et faisable ce projet. Du fait de cette rencontre mettant aux prises plusieurs
partenaires, le projet, au final, se trouve le plus souvent dénaturé au regard du projet initial,
et puis il relève bien plus souvent d’un compromis que d’un consensus. Ce compromis
aura d’autres conséquences, au niveau des acteurs en premier lieu. L’instigateur se trouve
parfois dépossédé de son projet, il n’en est plus le maître d’œuvre, le pilotage se trouve
parfois exercé par un autre. Il doit accepter d’en être dépossédé, accepter de ne pouvoir en
garder une maîtrise totale, s’en détacher pour mieux se le réapproprier. Le projet devient
enjeux : enjeu de pouvoir mais aussi enjeu affectif. Le projet peut faire l’objet de véritables
règlements de compte et de résistances. Le compromis peut aussi avoir des conséquences
sur le projet même. Il peut être freiné par les acteurs, voire contrarié, et incité à aller dans
un autre sens que celui qui avait été initialement prévu. Nombreux sont les projets qui
n’arrivent pas à terme, du fait que les acteurs n’ont jamais su dépasser les querelles qui les
animent. Le projet a donc un coût, coût financier parfois, mais surtout coût en termes
d’énergie communicative de la part des acteurs qui gravitent autour de ce projet. Chacun
doit y trouver sa place et sa fonction, apporter, en somme, sa pierre à l’édifice. Au même
titre que les personnes qui en sont à l’origine doivent se repositionner, il en est de même
pour ceux qui se retrouvent « parachuter. »
Le projet n’est pas simplement une espérance, une illusion, de l’impalpable. Il est aussi
plus qu’une simple rencontre. « Se lancer dans un projet », « faire un projet… », les
expressions utilisées montrent que le projet ne va pas de soi, c’est une sorte d’épreuve,
d’aventure. Si nous savons plus ou moins d’où nous partons, nous ne savons pas vraiment
où tout ceci va nous mener. C’est la question des écarts, écarts entre ce qui était
initialement prévu et le résultat final. Certes, aujourd’hui, nous essayons de tout
programmer, de tout planifier, pour ne plus laisser de part aux doutes et aux incertitudes.
Mais il reste toujours une part de mystère. Tout n’est pas entièrement programmable et,
notamment, la part humaine du projet et la conjoncture environnementale.
47
Cette gestion des écarts est ce que l’on appelle aujourd’hui « l’évaluation », terme qui
envahit tout l’espace social, au même titre que la notion de projet. L’idée de l’évaluation
est de réduire les écarts, via des indicateurs, de recadrer le projet, de redynamiser les
acteurs, afin de mener, à terme, le projet tel qu’il avait été préconçu et de le rendre
immédiatement opératoire et opérant. L’évaluation parle donc de temps et de résultats ce
qui explique pourquoi elle devient si à la mode dans notre société qui prône, de plus en
plus, et de plus en plus vite, une obligation de résultats.
Le projet se donne aussi à voir à travers une organisation, des moyens techniques et
pratiques, des protocoles, des écrits, des réunions, une planification… sans quoi, il se
limite au statut d’intention. Cette mise en action va conditionner la réussite ou non du
projet et la plus ou moins grande adhésion des acteurs.
I-5 Emergence de la notion de projet dans le cadre légal
Nous avons vu, précédemment, le processus d’émergence ou plutôt la réémergence de la
notion de projet dans la société française. Dans le secteur médico-social, cette notion est
relativement plus récente. D’après Daniel GRANVAL33
, elle a été officialisée par la
circulaire du 31 décembre 1973, et c’est en 1975, que la législation relative aux
établissements médico-sociaux a rendu obligatoire les projets d’établissements. Concernant
le projet, GRANVAL nous dit que « c’est sur lui que se fonde le crédit d’une institution et
c’est par lui que celle-ci tentera d’obtenir les faveurs des pouvoirs publics. »
Les termes de projet pédagogique, éducatif et thérapeutique individualisé apparaissent,
quant à eux, pour la première fois dans les annexes XXIV, en 1989.
La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale vient confirmer ces
deux notions de projet, à savoir le projet individuel d’une part, et le projet collectif d’autre
part. Le projet individuel ou personnalisé se veut de prendre en compte la demande
singulière de la personne ou de son entourage en fonction de ses besoins spécifiques, alors
33
GRANVAL D., Le projet individualisé en travail social, L’Harmattan (coll. Technologie de l’action
sociale), Paris, 2001, p. 12., cité dans Le projet personnalisé auprès de la personne handicapée,, SCHMITT
E., Mémoire DSTS, Collège coopératif PACA, février 2004, p.13.
48
que le projet collectif de l’établissement se situe, quant à lui, du côté de l’offre de service.
Tout l’enjeu consiste à articuler ce projet collectif d’établissement ou de service avec les
projets individuels.
L’article L.311-134
du Code de l’Action Sociale et des Familles (C.A.S.F.) évoque,
implicitement, cette notion de projet individuel. Parmi les six grandes missions de l’action
sociale et médico-sociale définies dans cet article, trois sous-entendent la notion de projet
individuel :
- troisième mission : «action éducative, médico-éducative, médicale, thérapeutique,
pédagogique et de formation adaptée aux besoins de la personne, à son niveau de
développement, à ses potentialités, à l’évolution de son état ainsi qu’à son âge. » Nous
passons ici de prestations standardisées à une notion de « sur mesure », avec des
prestations individualisées et personnalisées.
- quatrième mission : « action d’intégration scolaire, d’adaptation et de réadaptation
sociale et professionnelle, d’aide à la vie active, d’information et de conseil sur les aides
techniques ainsi que le travail social. » Apparaissent ici pointées toutes les prestations
d’accompagnement qui peuvent aider une personne à réaliser son projet individualisé.
- sixième mission : « action contribuant au développement social et culturel, à l’insertion
par l’activité économique. » Nous voyons là l’ambition de faire de l’action sociale et
médico-sociale, non pas seulement quelque chose qui protège et répare, mais aussi qui
facilite l’insertion dans un environnement social ordinaire.
La loi du 2 janvier 2002 évoque la notion de projet, à travers la question des droits des
usagers et plus particulièrement :
- le droit au libre choix entre un maintien en milieu ordinaire de vie, ou l’accueil en
institution,
- droit à l’individualisation des accompagnements,
- droit à la participation directe au projet d’accueil et d’accompagnement de la personne.
La loi de février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées, fait la part belle aussi au projet de vie et aux plans
personnalisés. Ainsi la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes
34
Article L.311-1 du CASF, livre III, titre I, section I, JORF du 23 décembre 2000.
49
Handicapées (C.D.A.P.H.), nouvellement créée, accorde la prestation de compensation sur
la base du plan personnalisé de compensation élaboré par l’équipe pluridisciplinaire de la
MDPH. Le plan est défini au terme d’un dialogue avec la personne handicapée, relatif à
son projet de vie, précise le décret n° 2005-1587 du 19 décembre 2005.
I-6 Rapport projet/contrat (Référence loi 2002-02)
La loi du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, énonce des droits et
libertés fondamentaux. Le contrat de séjour et le document individuel de prise en charge
visent à garantir ces droits et libertés, en définissant les objectifs et la nature de la prise en
charge ou de l’accompagnement de la personne accueillie dans un établissement ou un
service.
Le contrat de séjour doit être conclu dans les établissements et les services visés à l’article
L 312-135
du Code de l’Action Sociale et des Familles. Le document individuel de prise en
charge est établi dans le cas où la personne accueillie, ou son représentant légal, refuse la
signature du contrat de séjour. Ces documents sont établis et signés par le directeur de
l’établissement ou par un représentant de l’association gestionnaire. La personne accueillie,
ou son représentant, peut contresigner le document. Les personnes handicapées majeures
sous curatelles, ou ne faisant pas l’objet d’une mesure de protection juridique, signeront
seules le contrat de séjour. La signature de la famille ou du curateur n’est pas nécessaire
pour que le contrat soit valide. Par contre, lorsque la personne handicapée majeure est
placée sous tutelle, si elle est en droit de le signer, ce n’est pas cette signature qui emporte
la validité du contrat, mais celle du délégué à la tutelle.
Cette émergence du contrat dans le travail social vise à la reconnaissance de l’usager
comme acteur de son propre projet.
Introduit dans les domaines sanitaire, social et médico-social, le contrat permet de
redessiner les relations entre l’usager et l’établissement dans un rapport de partenariat. Les
usagers se voient reconnaître une véritable autonomie pour devenir sujets de droits.
Partenaires et participants, voici en somme ce que doivent aujourd’hui devenir les usagers.
Pour atteindre cet objectif, le contrat n’est pas le seul outil envisagé par la loi de 2002, car
35
LHUILLIER J-M., Le Droit des usagers dans les établissements et services sociaux et médicosociaux,
Editions ENSP, Rennes, février 2007, p. 133.
50
il coexiste avec le livret d’accueil, la charte des droits et libertés de la personne accueillie,
le règlement de fonctionnement et le projet d’établissement ou de service.
Mais l’outil contractuel questionne. Le contrat, qui se veut de rééquilibrer la relation entre
l’usager et le prestataire, n’est-il pas « un pseudo simulacre » dans la mesure où l’un des
deux contractants, en l’occurrence l’usager, n’est pas forcément en mesure d’en saisir tous
les tenants et aboutissants ? Pourtant, c’est à cette personne que le contrat de séjour tient
son existence, car il s’agit de protéger ses droits. Et puis, dans la réalité du quotidien,
l’usager est-il en capacité et possibilité de pouvoir négocier les termes du contrat… Cela
nécessite l’application des principes propres au droit des contrats : autonomie de la
volonté, liberté contractuelle, obligation d’information pesant sur le prestataire. La charte
des droits et libertés de la personne accueillie, dans son article 4, consacré au principe du
libre choix, du consentement éclairé et de la participation de la personne, rappelle
d’ailleurs cet impératif. Elle énonce que le consentement éclairé de la personne doit être
recherché en l’informant, par tous moyens adaptés à sa situation, des conditions et
conséquences de la prise en charge et de l’accompagnement et en veillant à sa
compréhension. La place consentie à la parole de l’usager implique, en premier lieu, que
l’usager doit avoir connaissance des divers éléments susceptibles d’influencer son opinion,
pour s’exprimer en connaissance de cause. En deuxième lieu, cela signifie que le contrat
résulte d’un accord de volontés. Cela ne veut pas dire qu’il y a égalité entre l’établissement
et la personne. D’ailleurs comment peut-il y avoir égalité entre la personne dans le besoin
et celle qui apporte la prestation ? Plutôt que l’instauration d’une égalité entre l’usager et
l’établissement, le contrat favorise un rééquilibrage des rapports en faveur du premier.
Au regard de cette inégalité de fait, le législateur a considéré qu’il était de son devoir de
protégé l’usager contre toutes formes de discrimination. Des sanctions pénales ont été
imaginées en cas d’abus avérés. Le législateur, conscient qu’il était difficile pour un usager
de faire jouer ses droits, a imaginé un dispositif nouveau. L’article L.311-536
du CASF
dispose : « toute personne prise en charge par un établissement ou un service social ou
médico-social ou son représentant légal peut faire appel, en vue de l’aider à faire valoir
ses droits, à une personne qualifiée qu’elle choisit sur une liste établie conjointement par
le représentant de l’Etat dans le département et le président du conseil général. »
36
LHUILLIER J-M., Le Droit des usagers dans les établissements et services sociaux et médicosociaux,
Editions ENSP, Rennes, février 2007, p.162.
51
Si, jusqu’ici, la position statutaire de l’usager le plaçait d’emblée dans une situation
d’infériorité apparaissant à certains égards comme paralysante, elle était aussi très
protectrice. La contractualisation de la relation lui permet d’obtenir des garanties de la part
de l’établissement quant aux prestations proposées mais aussi de gagner sa liberté. En
contrepartie, le contrat l’oblige dorénavant à s’exposer et à s’engager plus activement.
Les deux entités, contrat de séjour et projet individuel, semblent très proches. Quoiqu’il en
soit, le contrat de séjour n’est pas le projet individualisé et inversement. Ils ne doivent pas
se substituer l’un à l’autre. Le contrat de séjour doit rester axé sur les prestations proposées
par l’établissement et ne pas conduire à contractualiser ce qui relèverait des capacités de
l’individu. Le contrat de séjour peut, en revanche, prévoir l’élaboration d’un projet
individualisé qui pourra définir la nature de la prise en charge et l’accompagnement choisis
pour la personne concernée. Le contrat permet d’associer l’usager à la définition de ses
conditions de séjour et doit impulser une plus large pratique de co-construction du projet
individuel dont il doit être le support.
I-7 Le projet personnalisé : pourquoi cette obligation légale ?
Comme nous l’avons précédemment évoqué, le projet individuel n’est qu’implicitement
défini par la loi. Il n’est pas, en tant que tel, une obligation législative. La loi précise
simplement que l’usager doit faire l’objet, ou plutôt doit être le sujet, d’une prise en charge
individualisée et participer à un projet d’accueil et d’accompagnement, de là, cette idée de
projet individuel. Celui-ci a pour objectif, au final, de satisfaire les besoins et désirs de
l’usager, en tenant compte de sa pleine spécificité.
Cette problématique du projet est posée avec beaucoup d’empressement actuellement, tant
par les pouvoirs publics, que par les professionnels, familles et usagers. Que peut signifier
un tel consensus ? Quels sont donc les intérêts et les enjeux qui poussent à l’élaboration de
ce projet personnalisé individualisé ?
Dans la recherche d’un équilibre entre les intérêts des usagers et des professionnels et des
familles… il semble nécessaire de réintroduire la parole de l’usager plus directement. Mais
52
a-t-on assez pris en compte la diversité des usagers admis dans les établissements sociaux
et médico-sociaux ? Cet usager, dont on attend qu’il soit l’acteur premier de son
changement, est souvent dans une situation particulière d’impossibilité et de vulnérabilité.
Le dispositif du contrat de séjour laisse à penser que l’usager est « capable ». Mais dans la
réalité du secteur social, l’usager n’est pas toujours en mesure d’exprimer sa volonté. Il est
bien souvent dépendant. D’où, des réelles contradictions entre l’idéal du contrat qui prône
une certaine autonomie et la réalité capacitaire de l’usager. Le contrat peut être aussi objet
de réelles divergences entre l’usager et l’établissement, entre l’usager et son représentant.
Représentation qui interroge lorsqu’elle n’est pas conforme aux attendus de l’usager.
N’aurait-il pas été opportun de désigner une autre personne que le tuteur dans un souci de
neutralité ? Que penser de la représentation qui ne constitue, rien d’autre, qu’une
participation par personne interposée ? Quelle est sa valeur ? Est-ce vraiment la personne
accueillie qui contracte ? Néanmoins, par cet outil contractuel, l’idée est que la
participation de la personne accueillie soit sollicitée malgré tout. La question de la
participation est le dénominateur commun entre le contrat et le projet personnalisé de
l’usager. L’un et l’autre sont des manières d’atténuer cette relation de dépendance.
Le projet individuel ne doit pas être un exercice de style, ni l’unique réponse à une
obligation administrative, ayant pour seul but de tranquilliser nos consciences. Il est plutôt
prétexte à réinterroger nos valeurs de référence : primauté de la personne, respect des
droits et libertés, logique de promotion de l’individu au centre de la démarche. Le projet
individuel peut permettre à tout professionnel, de porter un autre regard sur les personnes
déficientes de manière à ne plus les confiner dans leur handicap, mais de les vivre comme
sujet « capable de ». Ce changement de regard du professionnel peut avoir des
répercussions sur les mentalités sociétales.
A travers l’élaboration de son projet individuel, l’usager a la possibilité, dorénavant, de
s’exprimer davantage, de parler enfin de lui, de ses besoins et désirs. Le principe essentiel
de tout projet repose sur le partage de la parole, sur « la parole opérante » comme dit le
philosophe Maurice MERLEAU PONTY, fondement de toute citoyenneté. Parole
considérée, selon lui, à la fois comme matériau et comme outil de l’action, mais surtout qui
permet à l’usager d’accéder au statut de sujet.
53
La parole…
CHAPITRE II : Du projet d’une vie au projet d’autrui
La parole…
Quant est-il du projet de vie lorsqu’il s’agit d’entendre un projet d’une personne qui parle
peu ou pas du tout, lorsqu’il s’agit de décoder pour essayer de comprendre ce qui se parle,
lorsque les mots qui sont dits se fondent et se confondent… Et puis, sommes-nous toujours
certains de comprendre ce qui est dit, ce qui n’est pas dit ou dit autrement que par du
verbal ? Sommes-nous toujours certains des interprétations que nous faisons ? Quel projet
envisagé pour répondre à ce que nous avons cru comprendre de son désir ? Jusqu’où
sommes-nous prêt à être acteur dans l’histoire d’un autre, à travers la conception de son
projet de vie, et surtout de quel droit et à quel titre ? De quelle place s’autorise-t-on à
concevoir un projet individualisé pour une personne polyhandicapée qui n’a peut être rien
demandé, qui n’aurait pour se manifester que ses maux corporels ? Quelle place pour la
personne polyhandicapée elle-même dans cette élaboration personnalisée ? Comment
permettre l’élaboration de son souhait ? Comment concrétiser le désir en projet construit ?
Les dispositions législatives, basées sur une démarche participative pour l’élaboration du
projet, semblent sous-entendre que tout usager a la possibilité et la capacité d’être acteur de
son projet, de pouvoir tout au moins donner son avis ou son consentement éclairé, laissant
à penser par conséquent que le projet est vraisemblablement consenti du côté des usagers.
Mais dans la réalité, au quotidien, qu’en est-il réellement pour des adultes déficients,
incapables majeurs et entièrement dépendants ?
II-1 Le projet d’une vie : volonté d’autonomie
L’individu prend une autre dimension lorsqu’il est maître d’œuvre de son projet. En
devenant acteur de son projet, il change de statut. D’objet, il devient sujet. Rendre la
personne polyhandicapée actrice de sa propre vie, la considérer d’abord, et avant tout,
comme une personne avant d’être polyhandicapée, de l’accompagner à cheminer elle-
même, par elle-même, ces intentions ont toujours habité HANDAS. Cette volonté
d’autonomiser sous-entend un apprentissage long, fastidieux, incertain de distanciation de
54
la personne polyhandicapée vis-à-vis de sa famille, mais aussi des professionnels de
l’institution. Autonomiser signifie aussi une perte, et donc des compensations afin de
combler cette perte. Il est parfois plus confortable de ne rien faire, de se maintenir dans un
statut de personne à protéger, qui ne sait pas et qui dépend continuellement d’un autre pour
faire lien.
Pour que le projet de vie de la personne handicapée ait du sens, pour que celle-ci soit
vraiment actrice de son projet, il faut, en premier lieu, qu’elle le veuille, qu’elle accepte la
contrepartie de son autonomisation. Parler d’autonomie de la personne polyhandicapée
peut paraître présomptueux et inopiné, un idéal, par définition, impossible à atteindre.
Evoquer l’autonomie, fait référence à trois autres éléments qui lui sont liés, à savoir, la
liberté, l’authenticité et la responsabilité. Etre ou devenir autonome, signifie que la
personne est capable de se dégager de toutes contraintes, pour donner, par elle-même et
pour elle-même, un sens à sa vie et s’engager dans cette voie. Autrement dit, quelqu’un
d’autonome est quelqu’un qui est apte à opérer des choix reflétant ses valeurs propres et
qui se sent personnellement impliqué.
En admettant que la personne polyhandicapée atteigne un degré de maturité et de
conscience personnelle suffisant, peut-elle prétendre être considérée comme autonome ?
En effet, même si la personne polyhandicapée souhaite être actrice de son projet, est-ce que
cela suffit pour que le projet de vie soit le sien ? Ce que la personne polyhandicapée
projette, peut très bien n’être que le reflet d’influences de son environnement proche, et ce,
sans qu’elle ait toujours conscience de ces influences. Se prétendre autonome, c’est donc
avoir conscience de tout ce déterminisme, de tous ces enjeux qui parfois nous dépassent,
conscients et inconscients, c’est donner une réponse à la question suivante : « qu’est-ce que
je fais de ce que l’on a fait de moi ? ». Ce déterminisme implique pour la personne
polyhandicapée, comme pour tout être humain d’ailleurs, une capacité d’adaptation qui
peut se décrire comme étant l’inverse de la capacité de projection. En effet, lorsqu’un
individu se projette, il prend en lui quelque chose qu’il « jette devant lui », entendu par là
qu’il modifie l’environnement par ses actes et sa volonté. Alors que lorsqu’un individu
s’adapte à un environnement, il ne s’agit pas là de modifier cet environnement mais, dans
une démarche de répétition et d’imitation, de le faire perdurer. L’individu est, en quelque
sorte, soumis dans un tel contexte au point qu’il ne peut faire valoir ses propres valeurs.
55
Dans nos sociétés, l’individu a surtout l’occasion de développer sa capacité d’adaptation et
ce dès le plus jeune âge. Il s’adapte dès sa naissance, au nom de la socialisation à tout un
ensemble d’institutions, à la famille, à l’école, à l’entreprise… un parcours linéaire où on
lui demande surtout d’imiter, d’obéir. Bien sûr, on loue l’autonomie mais une autonomie
normalisable. En fait, c’est par des ruptures dans ce parcours que l’individu parvient à
s’autonomiser, à se penser un et autonome. En ce qui concerne la personne
polyhandicapée, son parcours est chaotique, ballotté d’établissements en établissements,
d’hôpitaux en prises en charge paramédicales… Nous pouvons penser, qu’à travers ce
parcours, la personne polyhandicapée a emmagasiné des expériences d’autonomie, aspiré à
être actrice de sa propre vie. Mais voila, dans ce parcours, la personne polyhandicapée n’a
jamais pu vivre pleinement seule ses expériences. Elle a toujours cheminé avec un autre,
dans un rapport de dépendance et de soumission. Le deuxième obstacle réside dans le fait
que la personne polyhandicapée, mise en situation de devoir changer son rapport au
monde, n’est peut-être pas à même de mobiliser une capacité de projection suffisante pour
y parvenir. L’exigence d’adaptation, qui a prévalu dans la quasi-totalité de ses expériences
passées, forge chez elle une habitude de comportements qui ne peut que contrecarrer
l’expression d’une capacité de projection. Il y a là quelque chose de paradoxal à solliciter
la personne polyhandicapée, à transformer son rapport au monde alors même que, du fait
de son handicap et de ses conséquences, elle semble avoir, à-priori, peu de chances de
pouvoir le faire de façon efficiente.
Pour se projeter comme un, et autonome, encore faut-il le vouloir, le désirer. La personne
polyhandicapée désire-t-elle se détacher d’un autre, dont elle a besoin dans la majorité de
ses actes au quotidien et surtout dans son rapport au monde et pour son équilibre affectif ?
II-2 Le projet d’autrui : volonté d’attachement
Le risque est grand de voir des acteurs, qui gravitent autour de la personne polyhandicapée,
se substituer à elle, s’accaparer, qui plus est en son nom, de son projet et ce toujours dans
un souci de son bien être. Mais ce projet, en prônant l’autonomie, la socialisation par
exemple de la personne polyhandicapée, n’a-t-il pas pour effet de nier le handicap. Loin
d’adapter le monde dit « normal » à la réalité du handicap, il semble que c’est l’inverse qui
s’opère parce que la norme reste encore la référence incontournable. Pour reprendre le titre
56
de l’article de la psychanalyste Alexandra TRIANDAFILLIDIS, le projet ne peut-il pas
être considéré, du moins à certains moments, comme « symptôme de la normalité »37
?
Dans tous les cas, le projet n’est pas venu comme cela et nous ne pouvons pas dire que,
même s’il est en vogue, il ne réponde qu’à une mode. Elaborer un projet à Handas répond,
en premier lieu, à une commande sociale, à une obligation légale, donc à une injonction.
Cette obligation s’inscrit dans un certain contexte qu’il est important de prendre en compte
pour comprendre le pourquoi du projet, son contexte politique, économique, historique,
sociologique… Mais surtout derrière cette notion de projet, somme toute banale et
banalisée, il s’agit de parler de la place de la personne souffrant d’un handicap dans notre
société, de débattre sur les questions de normalité/anormalité…
Derrière cette notion de projet se cache aussi une idée de maîtrise : maîtrise du temps qui
passe, maîtrise de ce qui fait peur, de cette différence qui ne se cache plus tout à fait
aujourd’hui, mais qui reste encore pour beaucoup niée. L’homme a toujours cherché à
contrôler le temps, par peur de la mort, par fantasme de l’après. Mais dans le contexte du
polyhandicap, c’est un autre qui tire les ficelles, qui détient la clé du temps. L’autre,
famille, éducateur… détient un pouvoir sur la personne polyhandicapée, celui de lui dicter
sa conduite, sa vie actuelle et à venir, comme si le projet était garant de son devenir. Et
pourtant, qui peut prétendre aujourd’hui savoir ce que demain sera, qui peut prétendre
devenir ce qu’il a entièrement projeté ? Cette prétention, à travers la notion de projet,
l’autre en détient l’extrême conviction en ce qui concerne la personne dépendante. Et sans
même se justifier, la dépendance suffit pour expliquer cette prétention. Du fait de son
extrême handicap, il n’est même pas imaginable que la personne polyhandicapée puisse
penser seule son devenir.
II-3 Le projet de vie, jeu d’interactions
Dans un schéma classique, la cellule familiale a longtemps été considérée comme la seule
organisation fondamentale, en tant que cercle privilégié d’apprentissages, faisant tampon et
lien avec la société dans son ensemble pour la personne polyhandicapée. La famille
incarne, encore aujourd’hui, un refuge rassurant, un nid douillet. La famille détient un
37
TRIANDAFILLIDIS A., Le projet : symptôme de la normalité, Psychanalyse à l’Université, n°50, 1988,
pp. 261-279.
57
pouvoir et un savoir légitimé sur son enfant, d’autant plus si celui-ci souffre d’incapacités.
Dans un tel contexte, le projet de la personne polyhandicapée risque, quand projet il y a, de
se confondre avec celui de sa famille. Et puis son « projet familial » ne va pas forcément
vers plus d’autonomisation, car autonomiser sous-tend apprendre à se détacher de sa
famille, chose qui n’est pas toujours concevable, ni même imaginable pour cette dernière.
Le contexte institutionnel vient, dans un second temps, complexifié la situation. Ce double
déterminisme va avoir une implication affective sur la personne polyhandicapée, qui
préfère s’en remettre à des « experts » dans la conception de son projet de vie, famille,
professionnels, doubles experts de son destin, « quand les parents ont un projet, les enfants
ont un destin »38
nous dit SARTRE.
Permettre à la personne polyhandicapée d’être actrice de son propre projet est entravé aussi
par la représentation qu’elle a d’elle-même, dans sa capacité à élaborer, par elle-même, son
propre projet, mais aussi par la représentation qu’elle a des autres qui gravitent autour
d’elle. Elle a justement des attendus par rapport à ces autres. Elle leur confère un pouvoir
de gérer sa vie, de tracer son avenir, d’être maître de son destin. Presque naturellement,
elle s’en remet à eux. Tant qu’il en est ainsi, elle ne peut se projeter vers demain.
Il s’agit, pour les professionnels, d’accompagner la personne et sa famille à accéder en
premier lieu à une certaine autonomie affective. Pour cela, ces professionnels doivent se
protéger d’eux-mêmes, à savoir dépasser la satisfaction narcissique par rapport à ce
pouvoir qu’ils détiennent sur un autre en difficulté. Ils doivent être vigilants à ce que cette
quête vers plus d’autonomie affective ne soit pas synonyme de remplacer une relation
affective, celle du résident avec sa famille, par une autre tout aussi fusionnelle parfois,
celle du résident avec un professionnel. Il ne s’agit pas de remplacer le projet de la
personne polyhandicapée, de prégnance familiale, par un autre, de prégnance
institutionnelle. Il ne s’agit pas de reproduire, reproduction sociale chère au sociologue
Pierre BOURDIEU, un schéma déjà vu.
Avant de penser accompagner la personne polyhandicapée vers une élaboration de son
propre projet de vie par elle-même et pour elle-même, l’institution doit l’accompagner vers
38
BOUTINET J-P., Anthropologie du Projet, P.U.F (coll. Psychologie d’aujourd’hui), Paris, 2003, 318 p.
58
une autonomie affective suffisante au regard de sa famille, des professionnels. Cette
autonomie affective de la part de la personne polyhandicapée ne peut se faire que si
l’institution parvient elle-même à cette authenticité affective.
Les choses ne sont pas aussi claires qu’elles le paraissent. Il y a dans la relation soignant-
soigné certes une dépendance, au premier abord, du soigné vis-à-vis du soignant, mais
cette dépendance est parfois si contraignante et fusionnelle que nous pouvons nous
interroger réellement sur qui dépend de qui au final ? Si nous parlons constamment dans
nos établissements de la dépendance de la personne handicapée, nous évoquons moins la
dépendance réciproque qui fait l’objet de déni ou bien de refoulement.
A Handas, nous considérons que nous ne pouvons parler de projet, sans tenir compte de
l’environnement, du jeu des interactions : « si les résidents, que nous accueillons,
présentent des similitudes dans les déficiences, les efficiences, les caractères…, ils sont
tous des individus inscrits dans une histoire familiale et environnementale singulière. »39
Il y a toujours un cordon qui relie la personne polyhandicapée aux autres acteurs qui
gravitent autour d’elle. Le projet ne se limite pas à une relation unilatérale entre la
personne polyhandicapée et les autres. Le projet est aussi un outil communicationnel de
réciprocités. Le projet est vécu comme un engagement mutuel dans lequel on va se
reconnaître et se réaliser. C’est bien là un premier paradoxe du projet à Handas, car il ne
renvoie pas qu’à la seule réalisation de la personne polyhandicapée. Le projet parle aussi
de l’identité de ceux qui gravitent autour et notamment du référent.
Le projet nécessite un savoir faire, une technicité, mais aussi un savoir être des éducateurs.
A travers la construction du projet d’un autre, l’éducateur se révèle, dévoile un peu ses
forces et ses faiblesses, évoque ses doutes et convictions. Le risque est grand à ce que le
projet de la personne polyhandicapée ne soit plus tout à fait que le sien. Une autre dérive
est celle du narcissisme de l’éducateur, voire même de l’institution dans son ensemble, qui
se complaît dans cette élaboration du projet. Sorte de vitrine de sa pratique, il ne le met en
avant et en action que pour mieux s’afficher, bien loin, au final, des attentes de la personne
polyhandicapée. Il s’en enorgueillit parfois tellement, que le projet se suffit à lui-même,
39
Extrait du projet institutionnel de l’Association Handas des Alpes-Maritimes, 2006, p. 14.
59
peu importe qu’il soit vraiment mis en place, peu importe les demandes du résident, peu
importe les écarts qui surviennent. L’important est juste que soit perpétuellement évoqué le
projet pouvant expliquer d’autres dérives à Handas : l’activisme, les projets sans reliefs,
sans âme, la profusion de projets, la non réalisation et le vieillissement de ces dits projets.
Le projet à Handas a une connotation positive mais, confronté à la réalité, il ne peut
totalement échapper à des dérives qui le menacent. Connotation positive parce que le projet
incarne encore cette idée de progrès, incarne encore du possible pour la personne
polyhandicapée, lui imagine un devenir idéal. Mais le projet ne se limite pas à un idéal à
atteindre.
Dans sa phase de mise en place, il se retrouve éprouvé, éprouvé par le temps qui passe,
éprouvé par des doutes, des incapacités, des défaillances des uns (personne
polyhandicapée) et des autres (institution, famille). L’espérance du début se transforme
vite en désillusion, et c’est comme cela que nous voyons tant de projets devenir caduques,
par mourir sans avoir vraiment vécu. C’est le temps des écarts entre l’idéal imaginé et sa
réalité vécue. Parfois, alors, on n’y croit plus vraiment et on ne s’y retrouve pas. L’écart est
trop grand. La motivation se délite en même temps que le projet disparaît. Parfois, il n’a
même pas le temps de se mettre en place, qu’il se trouve déjà remplacé par un autre.
Parfois, aussi, un évènement imprévu, une perspective mal évaluée, un coût sous-estimé…
explique l’abandon du projet. Le projet, pour avoir une réelle chance d’être mené jusqu’à
son terme, doit vraiment être porteur, être habité par chacun de ses cofondateurs, être
animé par une âme qui le transcende. A ce titre, le projet est synonyme de vie, de plaisirs et
de déplaisirs. Il est inscrit dans une temporalité de finitude permettant à chacun de se
projeter.
En instaurant plus de méthode et de technicité, les projets actuels à Handas perdent
quelque peu de cette étincelle. Les projets se ressemblent de plus en plus, sans fin, entendu
par là que cette fin n’est jamais close. Les projets d’Handas, aujourd’hui, semblent donc se
limiter à une construction technique. Ce qui prime, c’est de les rendre opérants et
opérationnels. Cette évolution tend à dénaturer le projet dans son aspect existentiel.
Le projet, malgré tout, reste une référence incontournable et incontournée à Handas, mais
cette construction semble, aujourd’hui, moins reconnaissable.
60
II-4 Le projet de vie, entre tensions et valeurs partagées
Le projet est donc source de jeux, d’enjeux. Il peut servir d’alibi, de bonne conscience, il
peut être aussi le terrain de querelles, là où tout se joue, de batailles intestines, à l’interstice
de logiques individuelles et collectives. Le projet n’échappe pas à la confrontation,
confrontation pas forcément synonyme de conflits mais confrontations d’idées, de valeurs,
de stratégies…
Le projet n’est donc pas uniquement individuel, personnalisé ou autre qualificatif marquant
l’unicité du projet, le projet est avant tout une rencontre, un partage, l’œuvre d’un collectif.
A la recherche d’un consensus, le projet est, le plus souvent, le résultat d’un compromis.
D’où cette question : comment, pour la personne polyhandicapée, voire pour certains
professionnels et pour la famille, adhérer et rendre opérant un projet, quand ce projet a été
défini en dehors d’elle-même et auquel elle ne s’est pas reconnue pleinement ? Tout projet,
même le plus personnel qui soit, est fondé sur la logique de l’interaction, et tend à une
reconnaissance sociale. Dans ce jeu d’interactions, quelle part est laissée à la personne
polyhandicapée dans la réalisation de son projet ? Comment se réapproprie-t-elle son projet
dans un second temps, une fois que ce projet a été aussi validé par d’autres ? Cette part
laissée à la personne polyhandicapée, encore faut-il que les autres consentent à lui donner.
Certes la loi, encore une fois, appelle à ce que l’usager soit au centre du dispositif, mais
nous sommes ici dans le champ de la pratique, bien loin parfois des interrogations
théoriques.
En fait, quand nous regardons d’un peu plus près qui produit véritablement le projet de vie
du résident, nous nous apercevons que c’est un petit groupe d’acteurs qui joue un rôle
déterminant dans cette élaboration. Certes, ce projet implique d’abord une commande de la
direction, mais nous constatons, dans les faits, que la direction n’est pas toujours garante
du projet, n’en est pas toujours le pilote. Il est objet de négociation et dans cette
négociation se sont souvent les personnes charismatiques qui s’imposent et imposent leurs
points de vue et valeurs. Des acteurs reconnus, sachant faire entendre leurs voix, qui osent
et affirment leurs convictions. Ces acteurs ne sont pas exclusifs, mais ils sont déterminants
dans l’élaboration du projet et dans sa mise en œuvre. Dans ce petit noyau dur, il y a
souvent le ou les référents du projet. Du projet, l’éducateur donne parfois aussi
l’impression d’être référent de la personne handicapée, garant de sa vie et de son mieux
61
être. C’est là, l’une des dérives possibles de la fonction de référent. Dans la représentation
des familles, des résidents mais aussi des professionnels, le référent détient une
responsabilité, un pouvoir légitimé sur la personne handicapée. Il détient un savoir naturel,
celui de savoir ce qui est bien pour le « référé », pour « son » référé. Alors que son travail
se veut d’amener la personne polyhandicapée, à travers son projet de vie, à passer d’un
statut d’objet à un statut de sujet, sa fonction même de référence a tendance à contredire
son action. Le référent doit donc veiller à se détacher de cette étiquette, à jouer le rôle de
facilitateur vis-à-vis de son référé, en l’amenant à formuler des demandes et en décodant
ses dites demandes, en en prenant actes… même s’il ne peut échapper totalement à une
logique d’assistance, le référent, au même titre que tout professionnel, doit, le plus
possible, faire sienne une logique d’accompagnement vis-à-vis de l’adulte polyhandicapé.
Nous avons dit précédemment : comment, pour la personne polyhandicapée, voire pour
certains professionnels et pour la famille, adhérer et rendre opérant un projet quand ce
projet a été défini en dehors d’elle-même et, auquel elle ne s’est pas reconnue pleinement ?
Comment concevoir le projet d’autrui en prétendant que ce projet lui appartienne, en
propre, si ce n’est par un abus de langage ou par un pseudo simulacre ?
« Nous ne parlons pas la même langue », entendons nous régulièrement de la part des
professionnels à l’encontre des familles, en ce qui concerne les projets des résidents. Il faut
donc parler la même langue ? D’accord, mais laquelle ? Celle de la direction, de
l’ergothérapeute, du psychologue, de l’éducateur ? Celle de la mère, du père, de la fratrie,
des grands-parents ? Peut-être ne s’agit-il pas tant de langue, mais plutôt de savoir. La
phrase est alors à reformuler : nous n’avons pas tous le même savoir. C’est tout le
problème de la reconnaissance qui se fait jour, de la place de chacun, des compétences et
des identités, professionnelles et familiales. Avec cette question du savoir se pose,
également, celle du discours, de la croyance… Dès qu’un discours est posé, un discours
qui contient du savoir mais pas seulement, la question de la croyance l’est aussi. Nous
croyons, ou nous ne croyons pas, que ce qui est dit est valable… Nous sommes convaincus
ou nous ne le sommes pas…
Cette notion de langage nous amène à nous demander, au fond, à quoi faut-il s’intéresser
en ce qui concerne le projet de vie ? Qu’est-ce qui est essentiel au sens premier du terme ?
Nous nous sommes alors rappelés ce que la philosophie phénoménologique nous dit sur
62
l’essence de la vie humaine, c'est-à-dire ce qui fait que la vie humaine est ce qu’elle est, et
sans quoi elle ne serait pas, à savoir le ressenti, l’éprouvé. L’humain, ça parle et ça parle de
sentiments, d’affects, de ressentis. Finalement, si la famille et l’institution ne parlent pas
forcément la « même langue » autour du projet de la personne polyhandicapée, il
n’empêche qu’ils utilisent souvent le même langage, incluant affects et sentiments. La
différence fondamentale entre ces acteurs se situe, peut-être, plus sur leur capacité à se
centrer sur l’autre, la personne polyhandicapée, en tant que sujet. Maud MANNONI ne
disait elle pas : « on a tout à gagner à être sujet de ses désirs plutôt qu’objet de soins. »40
Le projet de vie de l’adulte polyhandicapé ne va pas de soi. Il induit une relation, mais une
relation de type asymétrique, dans un contexte de normalisation et d’intégration. D’où
notre interrogation de recherche : quel sens a ce projet de vie pour l’adulte polyhandicapé,
projet subi ou projet consenti ? Le projet garantit-il, à lui seul, que la personne a le choix
de sa vie ? Que le projet soit subit ou consenti par la personne polyhandicapée, le résultat
n’est-il pas le même, à savoir qu’il ne lui appartient pas en propre ?
CHAPITRE III : Le projet de vie, objet d’une recherche
Le but de la recherche est de tenter d’apporter des éléments de réponse à la question de
départ. Dans cette optique, nous avons élaboré une hypothèse que nous devons confronter
à la réalité de terrain, afin de vérifier si les informations recueillies infirment ou confirment
cette hypothèse. A ce stade de notre recherche, de nouvelles questions émergent du point
de vue de la méthodologie. Quelle technique s’avère la plus pertinente pour vérifier nos
hypothèses, la plus adéquate au vu de notre sujet de recherche ? Notre hypothèse est-elle
suffisamment élaborée et précise pour être vérifiable ? Quelles sont les critères de
ressources, de faisabilité dont nous disposons ou que nous pourrions aisément mettre en
œuvre pouvant conditionner nos choix méthodologiques ?
III-1 Le choix d’une méthode, les récits de vie
Dans la mesure, où notre sujet de mémoire porte sur la question du choix, il nous semblait
incongru, voire paradoxal, d’utiliser une autre méthode que celle du récit de vie. En effet,
40
MANNONI M., L’enfant arriéré et sa mère, le Seuil (coll. Points Essais), Paris, 1964, p. 130.
63
que ce soit via le questionnaire ou autres méthodes de recherche non directes, le sujet
enquêté ne bénéficie pas de la même marge de manœuvre et de liberté que dans le récit de
vie. Il se trouve déterminé par une grille, des questions ou autres outils conçus par le
chercheur, qui l’oriente dans ses réponses possibles. Le chercheur, dans les récits de vie, se
doit de baliser l’entretien, le cadrer et le recadrer, à doses homéopathiques, mais c’est
l’interviewé qui détient le plus grand pouvoir : pouvoir choisir de ne rien dire, pouvoir
choisir de laisser sous silence tout un pan de son parcours de vie… Et puis, cette vie qu’il
choisit de raconter, c’est la sienne et en aucune manière, le chercheur ne peut contredire
cette vérité, ni même remettre en question les mots, les expressions utilisées, les vides, les
contresens… En laissant le choix et la maitrise, d’une certaine manière, des entretiens à
l’interviewé, cette méthode fait écho, en quelque sorte, à notre sujet de mémoire. Comment
peut-on s’interroger sur la question du choix du projet de vie, de la place de la personne
handicapée, si nous-mêmes, chercheur, nous utilisons une méthode qui est déjà une
réponse en elle-même, ne laissant pas à l’autre une totale liberté ?
Nous aurions pu choisir aussi de consulter des documents tels que les dossiers des
résidents, mais ceux-ci ne sont pas toujours très complets et surtout, si les différents
parcours de vie sont repérables, ils ne sont pas parlés. On reste là dans le domaine de la
description sans compréhension réelle des phénomènes. La question du choix et la
dynamique des relations restent alors posées.
La méthode du récit de vie est particulièrement pertinente pour saisir le sens que les
acteurs donnent aux événements auxquels ils sont confrontés, pour mieux comprendre leur
système de valeurs, les principes auxquels ils croient. Cette méthode est aussi intéressante
pour saisir la manière dont les acteurs reconstituent leur histoire, reconstruisent le passé.
Nous avons choisi, malgré tout, de coupler cette méthode avec une autre. Dans le
deuxième chapitre de notre troisième partie, nous aborderons le projet de vie du côté de
l’institution Handas, autre membre de la triangulation. Nous tenterons d’éclairer,
historiquement, la manière dont l’association Handas a pensé et élaboré le projet de vie du
résident d’hier à aujourd’hui.
Ces deux méthodes nous permettront de faire émerger des points de divergences/de
convergences sur la temporalité et la notion de projet entre la famille et l’institution.
64
III-2 La méthode des récits de vie : le choix des enquêtés
L’association Handas, lieu de notre recherche, gère trois établissements sur les Alpes-
Maritimes : le Centre d’Accueil de Jour (C.A.J.) « Aurore » ouvert en 1990, le CAJ de
« l’Abadie » avec internat séquentiel ouvert en 1991 et le foyer de vie du « Castel de
Serre », ouvert le 1er
septembre 1996. La capacité d’accueil est de douze résidents par
établissement sauf pour « Aurore » qui en accueille treize. Les résidents des CAJ arrivent
le matin de leur domicile familial, via une société de transport privée et ce, du lundi au
vendredi. Les structures « d’Aurore » et de « l’Abadie » sont fermées les week-ends. Les
résidents des CAJ repartent de l’institution en fin d’après-midi, sauf trois résidents qui
séjournent en internat à « l’Abadie » du lundi soir au vendredi matin. Chaque résident
profite de cette expérience de « répit » une semaine toutes les six semaines environ.
L’association Handas est habilitée à accueillir des adultes polyhandicapées, âgés entre dix
huit et trente ans au moment de l’admission, 225 jours par an sur les accueils de jour, de
façon permanente pour le foyer de vie. Quel que soit le type de structure, centre d’accueil
de jour ou foyer de vie, les finalités de prises en charge restent fondamentalement les
mêmes au regard du projet institutionnel : « en fonction du degré et de la nature du
handicap, développer les acquis de chacun en recherchant son épanouissement personnel,
un rythme de vie adapté, et l’exercice d’activités personnalisées. Construction de la
personnalité, préparation à la séparation d’avec sa famille. »
Ces structures ne sont pas médicalisées. Ce choix associatif commence, aujourd’hui, à être
perçu comme une véritable difficulté pouvant peser lourd dans les choix d’avenir des
résidents. Les perspectives de l’association vont dans le sens d’une médicalisation du foyer
de vie. De même, des réflexions sont en cours en ce qui concerne les missions des CAJ,
notamment autour du dispositif de l’internat séquentiel. Ces structures de jour s’inséraient,
initialement, dans un parcours de la personne qui la conduisait nécessairement, à un
moment donné de son existence, vers une entrée en établissement. Aujourd’hui, non
seulement ce parcours n’est plus aussi linéaire mais d’autres voies sont possibles, à
contrario des voies facilitant le maintien de la personne handicapée au domicile.
65
Nous avons interrogé trois familles, une sur chacun de ces lieux de vie afin d’exploiter
cette originalité et diversité des modes d’accueil d’Handas. L’idée est de vérifier, à travers
ce « comparatif » des récits de ces différentes familles, si la notion de projet de vie du
résident est entendue, perçue de la même manière suivant son lieu d’accueil. Par là-même,
l’idée est d’évaluer la relation famille-institution, suivant ces structures, à travers le projet
du résident et ce qu’il en est de la recherche de son consentement.
Du fait de la richesse et de la quantité des informations susceptibles d’être recueillies, de la
petite taille des structures (trente sept familles), nous avons fait le choix de trois récits de
vie, suffisant, selon nous, pour conférer à notre recherche, un caractère objectif de
scientificité pouvant prétendre, qui plus est, à une plus large généralité.
Par rapport à nos objectifs de départ, nous avons listé l’ensemble des familles des trois
établissements. Puis nous avons opéré un choix en privilégiant les familles monoparentales
et, notamment, les mères. Fort de nos expériences professionnelles, nous pensons que le
facteur de la monoparentalité contribue davantage à créer des relations fusionnelles entre le
résident et sa mère (c’est pourquoi on pourrait parler de « récit deux vies » tant la vie de la
personne polyhandicapée se fond et se confond avec celle de sa mère). De ce fait, nous
postulons que ce facteur de la monoparentalité n’est pas sans effet sur la marge de
manœuvre que dispose la personne handicapée dans le choix de sa vie. Nous avons extrait
trois noms du listing des familles à partir de ces critères.
Notre première prise de contact avec ces familles s’est faite par téléphone, afin de fixer un
rendez-vous pour l’entretien. Lors de cette conversation téléphonique, passé le temps de la
présentation, nous leur avons expliqués, succinctement, les caractéristiques du DEIS, le
cadre et le thème de notre recherche, et enfin, nous avons sollicité leur participation via le
récit de vie, sans oublier de les rassurer sur l’aspect confidentiel de leurs paroles. Nous leur
avons laissés, ensuite, le choix de la date et du lieu de la rencontre.
III-3 La méthode des récits de vie : déroulement des entretiens
La première personne contactée est madame R., mère de Gilles, résident âgé de trente huit
ans. Gilles réside au foyer de vie du Castel de Serre depuis son ouverture en septembre
66
1996. L’entretien a duré deux heures, et a eu lieu au domicile familial. Nous connaissons
madame R. depuis fort longtemps. Nous entretenons avec elle une relation cordiale, ce qui
explique, pour une large part, le fait d’avoir choisi de l’interviewer en premier. Mais cette
proximité « affective » nous a aussi questionnés. En quoi cela pouvait influencer la teneur
de l’entretien ? Comment veiller à rester dans une posture de chercheur, de neutralité et
d’objectivité ? Loin de nier cette affectivité, comment la prendre en compte ?
Pour se faire, nous avons conçu un guide d’entretien41
aux finalités multiples. Pour
amorcer l’entretien tout d’abord, nous avons incité l’interviewé à se raconter dans une
certaine direction autour de la notion du projet de vie, pour recadrer aussi lorsque la
personne à tendance à « divaguer », et comme sorte de « garde fous », face aux possibles
dérives des entretiens, l’affectivité entre l’intervieweur et l’interviewé pouvant en être une.
Ce premier entretien s’est révélé radicalement différent des suivants, une sorte de galop
d’essai. L’entrée en matière est fondamentale, mais peu aisée. Fondamentale, car elle
conditionne l’ensemble du récit qui va suivre. La personne doit se sentir immédiatement à
l’aise, se sentir libre et rassurée. En somme, il est nécessaire de créer un climat de
confiance. Cette présentation est aussi une bonne manière de reformuler la problématique
de notre recherche et de vérifier si elle est suffisamment compréhensible.
Lors de ce premier entretien, nous nous sommes sentis, parfois, comme perdus, noyés dans
le flot du récit, comme happés dans un tourbillon d’émotions et d’intimité.
Cette première expérience a été riche d’enseignements. Il était important de réajuster notre
pratique afin d’en baliser le chemin et de laisser la personne se raconter en toute confiance
et sérénité, sans jamais oublier l’objet de notre recherche. Pour se faire, il nous fallait
trouver un juste équilibre méthodologique entre laisser dire ou ne rien laisser dire.
Il nous a semblé utile, au terme de ce premier entretien, de nous référer à la théorie de Carl
ROGERS, « le rogérisme »42
plus précisément sur sa technique de la non directivité.
Carl ROGERS, psychothérapeute américain propose une méthode pratique, autour de la
relation d’aide. Il considère que dans la relation aidant-aidé, seul l’aidé détient le pouvoir
et les capacités de pouvoir surmonter ses épreuves de la vie. Le psychothérapeute n’est,
41
Cf. annexe n° 4 42
ROGERS C., La relation d’aide et la psychothérapie, ESF, Paris, 1999, 235 p.
67
finalement, qu’un aidant pour éclairer le « client » à trouver, en lui-même, la force et la
confiance pour faire face à ses problèmes. En ce qui concerne notre recherche, il ne s’agit
nullement d’une relation thérapeutique. Nous ne sommes ni psychothérapeutes, ni aidants,
de même que l’interviewé n’est pas client ou aidé. Néanmoins, nous pensons que la
technique de la non directivité de Carl ROGERS est à pratiquer dans ce type d’interview
qu’est le récit de vie. « La vie n’est certes pas un long fleuve tranquille », et il y a des
méandres que seul l’interviewé connaît et peut nous raconter, mais seulement si nous avons
pu le laisser librement s’exprimer. La non directivité ne signifie pas que le chercheur ne
doit rien dire, mais ses paroles doivent toujours fonctionner un peu comme un miroir, qui
va permettre à l’enquêté de donner sens à son récit, de l’approfondir et de l’assumer.
Notre intention était, donc, de calquer notre comportement d’enquêteur sur celui du
psychothérapeute rogérien dans les interviews suivantes. Le cadre doit être immédiatement
et clairement posé dans le sens où c’est le chercheur qui est à l’initiative de cette enquête,
et c’est la question de départ qui en est le détonateur. L’interviewé va, parfois, essayer
d’entraîner l’enquêteur sur des sujets qu’il préfèrerait aborder, et c’est pourquoi tout en
essayant de maintenir le plus possible une attitude non directive, l’enquêteur se devra de ne
jamais oublier les objectifs de sa recherche.
Comment faciliter la parole de l’autre, sans pour autant l’influencer ? Tel était l’enjeu des
entretiens suivants.
Nos interventions se sont essentiellement limitées à faciliter la parole de l’autre, à écouter
ses silences, à repréciser les propos, à relancer le récit, à reformuler pour aller plus loin
dans la compréhension du récit… Notre action s’est voulue plus directive, vers la fin de
chaque entretien, afin de recentrer chacun sur l’objet de départ, afin d’approfondir des
idées qui n’étaient que partiellement évoquées jusqu’ici par l’interviewé.
Nous avons interrogé, en deuxième lieu, Mme B., mère d’Axel, adulte polyhandicapé âgé
de cinquante et deux ans. Axel est résident au CAJ de « l’Abadie », depuis son ouverture
en 1991. L’entretien, d’une durée de deux heures environ, a eu lieu au domicile familial.
Comme pour Mme R., nous entretenons avec cette mère de famille des relations teintées
d’affectivité. Mais le fait de nous référer à Carl ROGERS, nous a permis de nous dégager
de cette affectivité pour garder un esprit neutre et objectif.
68
Néanmoins, la réalisation de cet entretien n’a pas été facile, les conditions
environnementales étant peu optimales. Des allées et venues incessantes, des bruits urbains
en arrière fond ont perturbé le déroulement de l’interview. A certains moments, Mme B. a
perdu le fil de ce qu’elle racontait, ou, au contraire, ressassait des propos déjà évoqués.
C’est fort de ce nouveau paramètre, veiller aux conditions environnementales, que nous
avons abordé le troisième et dernier entretien. Ce dernier s’est déroulé au domicile familial
de Mme D., mère de Sylvie, âgée de quarante huit ans, résidente du CAJ « Aurore » depuis
1991. L’entretien a duré un peu plus d’une heure.
III-4 Le chercheur et ses craintes, l’enquêté et ses peurs
Toute la réussite de ce type d’entretien se joue dans l’interaction entre l’interviewé et
l’intervieweur, une fois levé un certain nombre de craintes. Ainsi, deux personnes que nous
avons interrogées, étaient inquiètes lors du premier contact : « qu’est-que je vais pouvoir
vous dire ? » « Vous pensez que ça va vous servir ? » « Ce n’est pas très intéressant vous
savez… » « Je ne peux pas refuser, car vous en avez besoin. » Manque de confiance, peur
d’être jugées, culpabilité… sont, pour beaucoup, à l’origine de ces craintes. Finalement,
ces craintes se sont vite levées une fois qu’elles ont commencé à se raconter. Nous nous
demandons même, dans quelle mesure le fait qu’elles ont accepté de parler de leur
parcours de vie, ne les a pas revalorisées, a eu un impact plus ou moins thérapeutique, en
leur permettant de mettre « des mots sur les maux. »
En ce qui nous concerne, en tant qu’enquêteur, nous avons éprouvé aussi de nombreuses
craintes. Craintes que la personne nous entraîne vers un récit fort éloigné des objectifs de
notre recherche. C’est, en premier lieu, la raison pour laquelle nous avons élaboré un guide
d’entretien, fort d’une dizaine de questions. L’idée était d’encourager la personne à
s’exprimer sur les thèmes suggérés par les questions de notre guide, questions relativement
larges afin de laisser une certaine liberté à la personne interrogée. Les récits de vie
n’étaient pas là, non plus, pour reformuler ou reconsidérer notre hypothèse de départ. L’un
des risques de toute recherche, en effet, est de bâtir ses hypothèses en fonction des récits de
vie et de leurs analyses. Le guide d’entretien est pour nous un « garde-fou » par rapport à
ce risque. Notre guide d’entretien avait pour fonction de recentrer l’entretien sur les
69
objectifs de notre recherche. Mais il s’avère que nous n’y sommes pas référés de la même
manière et avec la même intensité suivant les entretiens. Parfois, nous avons posé toutes les
questions et dans l’ordre prévu initialement, parfois, juste quelques unes en lien direct avec
ce que nous disait la personne, sans suivre un ordre particulier. Si, au final, nous ne nous
sommes guère référés au guide, le simple fait qu’il existe et que nous puissions à tout
moment en disposer, a eu, pour nous, un effet rassurant et à confirmer, peut-être, un peu
plus notre statut de chercheur aux yeux de l’enquêté.
Après ce recueil de données empiriques, nous avons effectué leur retranscription et leur
analyse en tentant de conserver, de façon authentique, la parole de l’interviewé, les
moments de silence, d’émotions… les moments de mystères. Et toujours des craintes pour
le chercheur, de ne pouvoir faire face à la masse d’informations, que les entretiens ne
puissent pas lui permettre de répondre à ses hypothèses ou bien encore « que la subjectivité
explosive du récit de vie ne lui permet pas d’accéder à une forme de connaissance. »43
43
FERRAROTTI, citée dans DESMARAIS D., GRELL P., (directeurs), Les récits de vie, théorie, méthode
et trajectoires types, Editions Saint-Martin, p.12.
70
CONCLUSION DEUXIEME PARTIE : La parole partagée, une
question de temps
Projet-anticipation, perspective, projet-objectif, but, finalité, projet-valeur, jugement,
projet-intentionnalité… à travers ces liens possibles, nous voyons que le projet est plus
qu’une simple notion, c’est une certaine vision du monde. Il est référence, une construction
chargée de sens et de valeurs s’inscrivant dans une dimension spatio-temporelle donnée.
Le projet nécessite aussi que l’homme entre en relation et se reconnaisse dans cette
interaction.
Cette interaction donne sens à la vie du projet de vie. Le projet ne vaut que dans le regard
de l’autre. Un projet donne corps. Le projet, c’est une tête pour l’imaginer, ce sont les
mains et les jambes pour le rendre opérant, c’est le cœur pour le rendre vivant, c’est la
bouche, le nez et les oreilles pour le rendre communiquant. Nous pouvons nous demander
ce qu’il en est du projet quant ce corps est morcelé comme chez la personne
polyhandicapée, quand le regard que l’autre porte sur cette personne ne lui confère aucune
autonomie, aucune confiance…
Dans cette deuxième partie, nous avons insisté sur la parole en affirmant qu’un projet ne
vaut que s’il est partagé, mais pour cela, faut-il qu’il soit parlé. La parole fait lien avec la
notion de temps, fil conducteur de notre mémoire, lorsqu’il s’agit d’entendre la personne
polyhandicapée. Celle-ci a-t-elle le temps d’exprimer ses choix de vie lorsqu’elle est, bien
entendu, à même de le faire ? L’autre, famille, institution, a-t-il et/ou prend-il le temps de
l’écouter ? Et que fait-il de cette parole exprimée par l’adulte polyhandicapé ?
Et puis le fait de parler, garantit-il qu’il est acteur de son projet et libre de choisir sa vie ?
71
TROISIEME PARTIE : PROJET SUBI OU PROJET
CONSENTI ?
CHAPITRE I : Le projet de vie de l’adulte polyhandicapé, prégnance de
la famille
I-1 Sylvie D., un récit de vie en centre d’accueil de jour
Mme D. est âgée de soixante six ans. Elle est mère d’une adulte polyhandicapée, Sylvie D.,
quarante huit ans. Sylvie est accueillie, actuellement, au Centre d’Accueil de Jour
« Aurore ». Sylvie éprouve des difficultés pour marcher. Elle ne se déplace que sur de
petites distances, en se servant de cannes tripodes. Elle a une déficience intellectuelle
certaine et son langage verbal, bien que correct, a tendance à être redondant et limité.
Sylvie est née prématurée, à six mois. Presque cinquante ans plus tard, la mère reste encore
fortement marquée par des paroles prononcées par « des experts ». A la recherche « d’un
coupable », elle ne comprend toujours pas ce qui s’est vraiment passé : « quinze jours
avant l’accouchement, le gynécologue m’avait dit : tout va bien… Apparemment, ça s’est
très mal passé parce que le gynécologue l’a prise avec des forceps… »
Mme D. va, très vite, par elle-même, constaté que « quelque chose ne va pas chez sa
fille. » A la recherche de réponses, Mme D. va aller les quérir auprès de nombreux
spécialistes de l’époque, tous plus renommés les uns que les autres, gage, en quelque sorte,
d’une fiabilité des pronostics et surtout gage d’espoir de « réparation. » D’hôpitaux en
hôpitaux, de cabinets en cabinets, de régions en régions, Mme D. s’est vite retrouvée
désemparée : « j’ai été un peu n’importe où. A cette époque là, vous savez, c’était du
bouche à oreille. Je ne savais plus sur qui comptait. Je suis même allée voir un chinois et
72
un rebouteux. Il n’y avait personne qui voulait me donner des directives. » Des directives,
certes non, mais dans cette quête de vérité, Mme D. va croiser un certain nombre de
personnes-clés qui vont lui distiller des paroles déterminantes : pour mettre un nom sur la
problématique de sa fille, déterminantes pour faire le deuil de l’enfant idéal, déterminantes
enfin pour pouvoir opérer des choix.
La première des personnes-clés, que Mme D. a rencontrée, est un pédiatre. Pour la
première fois depuis que Sylvie est née, elle va poser des mots sur l’handicap de Sylvie :
« elle est atteinte de la maladie de Little… » mais elle n’en dira pas plus. Mme D. a du,
encore une fois, chercher ailleurs pour en savoir plus. Sylvie avait quatre ou cinq ans
environ.
Mme D. va croiser alors un neurologue : « c’est lui qui m’a dit que Sylvie devait aller dans
une structure… mais que bon, pour l’instant, il n’y en a pas dans la région. » Mme D. ne
sait plus trop alors vers qui se tourner. Un voisin « qui avait un fils à peu près dans le
même état que Sylvie » lui parle alors de cures de cellules fraiches… en Allemagne. Mme
D., « prête à tout », n’hésite pas, bien que tous ses proches lui disent « que j’étais folle, que
je dépensais mon argent pour rien… » C’est à ce moment là, que le neurologue va la
recontacter pour lui annoncer l’ouverture d’un centre pour enfants polyhandicapés, le
premier dans la région. C’est ainsi que Sylvie, âgée de six ou sept ans, est prise au centre
Rossetti, en externat, seule formule possible à l’époque.
A l’initiative du centre, Sylvie ne cesse d’expérimenter et de subir tout un panel de
diverses rééducations. « Elle a porté des chaussures avec des armatures en fer qui lui
prenait les jambes. C’était vraiment un truc barbare, on n’a pas insisté. Puis, ce même
kinésithérapeute lui a plâtré les jambes. Elle se réveillait pendant la nuit, la douleur était
insupportable.» Malgré les méthodes employées, douloureuses pour Sylvie, le
kinésithérapeute de l’établissement va lui permettre d’acquérir la marche, avec un
déambulateur puis, avec l’aide de cannes.
En parallèle avec l’acquisition de la marche, la mère s’inquiète vite des lenteurs de sa fille,
au niveau de la parole. « Ma mère se faisait aussi du souci. Elle disait : elle ne parlera
jamais cette petite. » La mère de Mme D. l’assiste dans ses quêtes de rééducation. Sylvie,
cette fois, expérimente de nombreux spécialistes et techniques du langage. Une
orthophoniste, puis une deuxième parce que « la première n’y était jamais arrivée », une
73
neurologue… sont à « son chevet » plusieurs fois par semaine. Si Sylvie a été longue avant
de pouvoir parler, « aujourd’hui, elle s’est bien rattrapée. »
Les acquisitions de la marche et du langage étant en cours, la mère s’inquiète, alors, que sa
fille ne sache pas lire et sollicite, rapidement, le centre Rossetti dans ce sens : « cela
m’aurait fait plaisir qu’elle sache lire car on peut se débrouiller, se défendre… » Tous les
ans, elle sollicite le centre dans ce sens. Tous les ans, elle reçoit une fin de non recevoir :
« ah non, elle est trop jeune, il faut attendre » jusqu’au jour où une éducatrice lui annonce :
« ah non, maintenant, elle est trop âgée. »
La mère ne comprend toujours pas ce refus. Sa conception du travail éducatif, ses attentes
par rapport au projet personnalisé de sa fille… sont déterminées, encore aujourd’hui, par le
fait que sa fille n’a pu recevoir l’enseignement de la lecture. Peu importe les vrais raisons,
peu importe les motifs évoqués par le personnel éducatif de l’époque, la mère est comme
restée ancrée sur ce refus, vécu, par elle, comme un véritable échec ne permettant pas à sa
fille de « se défendre » mais surtout, et peut-être, « l’empêchant de se rapprocher de la
normalité. » De là, des relations de défiance et de méfiance vis-à-vis de tout travail
éducatif, de tout ce qui émane des institutions : « en somme, elle ne faisait pas grand-
chose, à part l’équitation qui lui faisait plaisir… » « Et puis, c’est toujours pareil, une
éducatrice s’en va, l’autre vient et elle change tout. On commence quelque chose et on ne
finit jamais. C’est ça que je reproche… et à toutes les institutions. »
Lorsque Sylvie a eu dix huit ans, nouveau tournant et tourment. La directrice de Rossetti
lui annonce qu’elle ne peut garder Sylvie. « On s’est retrouvé à quatre familles, on était à
la rue. » Commence une période d’incertitudes et de révoltes. Les familles décident de
monter au créneau pour obtenir la possibilité que leurs enfants restent au centre jusqu’à
l’âge de vingt ans : « on a fait des pieds et des mains mais cela valait la peine. On a obtenu
gain de cause. » Sylvie reste encore deux ans à Rossetti. Deux ans de répit, et aussi de
doutes, d’angoisses sur « l’après », sur « qu’est ce que je vais pouvoir faire de ma fille ? »
Mme D. travaillant, c’est sa mère qui gardait Sylvie lorsqu’elle n’était pas à Rossetti.
En 1990, Handas reprend le groupe d’adolescents de Rossetti, dont Sylvie. Rossetti-2
devient alors « Aurore » et ce, juste après que le mari de Mme D. décède. Mme D. en est
fragilisée. « Heureusement, que j’étais libérée des soucis de placement pour Sylvie.
Handas m’a bien aidé à ce moment là, parce que je ne sais pas ce que j’aurais fait. »
74
Mais la confiance à l’égard d’Handas s’ébranle : « la directrice, je ne sais pas pourquoi, a
décidé que Sylvie devait monter à l’Abadie avec trois autres résidents. » « J’aurais
préféré qu’elle reste en bas parce qu’à l’Abadie, elle ne vidait que le lave-vaisselle et
faisait du jardinage. » Mme D. doute du bien-fondé de cette décision, et elle n’en
comprend pas les raisons malgré les explications de la directrice : « le jardinage ? Je n’ai
pas de jardin et Sylvie n’aime pas se salir les mains. Alors qu’en bas, elle fait des sorties,
de l’équitation, de la piscine, et les jeunes ne sont pas les mêmes. » Aujourd’hui, encore,
Mme D. reste sur des rancœurs et des suspicions : « sur les quatre résidents, un n’est
jamais monté, même que ça m’est resté au travers de la gorge. »
Puis, Sylvie est retournée à Aurore du fait qu’elle avait fait des progrès. « Je ne vois pas en
quoi ? » dixit la mère. « Là haut, Sylvie n’était vraiment pas à sa place. Je trouve qu’elle a
perdu du temps là-bas. » La mère a d’autres attentes depuis que Sylvie est revenue sur
cette structure : « j’aimerais bien qu’elle aille à la piscine, mais ce n’est pas une activité
que vous faites là-bas. Je lui ai déjà expliqué. Elle ne veut pas aller au sport parce qu’elle
n’aime pas ça. A chaque fois, le week-end, elle dit qu’elle ne veut pas y aller, alors quoi,
ça va !! »
Récemment, une place s’est libérée sur la structure du foyer de vie. Mme D. a été invitée à
déposer une candidature pour sa fille. « A la plus grande surprise des professionnels
d’Handas », la mère a refusé : « j’ai attendu la dernière minute pour faire le courrier de
refus. »
Aujourd’hui, encore, elle ne sait pas vraiment pourquoi elle a refusé, alors que pourtant,
elle n’avait cessé de solliciter l’institution pour que, si une place venait à se libérer au foyer
de vie, on puisse la proposer pour sa fille. « Il y a des moments où je me mords les doigts,
parce que je me dis que là j’aurais pu me reposer un peu. Elle me pourrit la vie. Des fois,
on dirait qu’elle le fait exprès. » Le premier motif de placement au foyer de vie évoqué par
la mère est une question de repos, de pouvoir enfin en profiter, seule, distanciée de sa fille.
L’institution n’a donc pas compris le refus de la mère d’autant plus que « Sylvie se plait, du
moment qu’elle n’est pas à la maison. Elle aime le contact. A la maison, on n’est que deux
et ça éclate inévitablement. » Sylvie avait, qui plus est, été amenée, à maintes reprises, à
expérimenter l’accueil temporaire du foyer de vie (cette formule n’existe plus aujourd’hui).
Sylvie ne cesse d’interpeller sa mère pour y retourner. Elle imagine même, parfois,
75
« prendre la place d’Edouard, quand il est malade ou de Daniel, qui pourrait prendre ma
place ici à Aurore. »
La mère a expliqué ce refus par le fait que, depuis toujours, « elle la bouge, elle la
cocoone. Je me suis dit que peut-être que là-haut à Sclos, il n’y aurait plus de tout ça. Je
lui dis sans cesse, redresses-toi, lèves la tête, tout le temps et je me dis que peut-être, ils ne
seront pas là après Sylvie, à lui dire fais ci, fais ça. Je me dis aussi que là-bas, elle sera
toujours dans un fauteuil manuel, qu’elle ne marchera plus. Et puis, je ne sais pas du tout
ce qu’ils font là-bas comme occupations. Est-ce qu’il y a des prises en charge en
kinésithérapie ? » Craintes justifiées ou non, la mère a préféré ne pas évoquer cette place
libre et son refus à sa fille. « Je ne sais pas pourquoi, je ne lui en ai pas parlé, peut-être
parce que j’avais peur qu’elle dise oui. »
Mme D. a aujourd’hui des regrets. Sa décision a été difficile à prendre. Encore une fois,
pour pouvoir au mieux négocier ce passage, elle a sollicité des avis extérieurs. Cette fois,
elle en a discuté avec des amis, les uns lui disant : « ah, tu ne vas pas laisser ta fille,
quand-même, » les autres lui tenant le discours contraire : « ah si, tu dois la mettre. »
Finalement, c’est seule qu’elle a du prendre cette décision : « je me suis dit, ah, ça ne les
regarde pas. C’est moi qui dois décider. » Aujourd’hui, elle explique que si elle n’a pas su
saisir cette opportunité, c’est parce qu’elle avait comme « l’impression de l’abandonner,
de s’en débarrasser. » Et puis, surtout, elle avait imaginé ce placement « définitif »
beaucoup plus loin dans le temps. Subitement, on l’interpellait ici et maintenant, « d’un
coup, c’était me mettre devant le fait accompli. »
La mère regrette, maintenant, sa décision, d’autant plus qu’elle est atteinte, depuis peu,
d’un cancer : « moi, je ne suis pas éternelle. » Elle sait que sa famille ne pourra pas
s’occuper de sa fille, « s’il lui arrivait malheur » : « mes belles-sœurs sont toutes plus âgées
que moi. » Aujourd’hui, elle a pris conscience que « Sclos était la solution. » Elle le dit,
d’ailleurs, à sa fille « la prochaine fois, tu iras », mais toujours avec l’incertitude du
moment où cela se fera. « Sinon, où peut-elle aller ? »
Elle place donc tous ses espoirs dans la nouvelle structure Handas, qui doit voir le jour, un
futur Foyer d’Accueil Médicalisé (F.A.M.), mais ce projet est annoncé aux familles depuis
de nombreuses années. « Je ne sais pas où cela en est ? Cela fait des années qu’on en
parle, je suis inquiète. » Le fait qu’elle ne connait pas l’avancée du projet, mais plus
76
encore, l’incertitude de demain, l’angoisse. Mme D. se vit comme malade et non-éternelle.
Elle espère donc, beaucoup, dans ce nouveau foyer, qu’elle souhaite « pas trop éloigné de
Nice, car si vous devez sortir, cela devient vite une expédition. » Malgré un stage dans une
structure, autre que gérée par l’Association Handas, la mère de Sylvie n’imagine guère
l’avenir de Sylvie, ailleurs qu’au sein d’une structure Handas. Ce stage, qui n’avait
convenu ni à Sylvie, ni à sa mère, les a conforté dans cette idée.
Bien sûr, les activités proposées, c’est important pour elle, parce que « je ne veux pas
qu’elle reste assise dans son coin à ne rien faire » mais elle aspire à trouver, avant tout,
une structure qui prendra bien soin de sa fille, qui lui permettra de continuer à vivre et à
maintenir ses acquis, si durement gagnés.
L’avenir lui fait donc peur : « quand on devient trop âgée, l’important c’est d’avoir la
certitude qu’il y a bien quelqu’un qui va prendre la suite, qui va s’en occuper, qu’on ne la
mette pas à l’hôpital psychiatrique. » Son kinésithérapeute l’a même alertée sur le fait
qu’elle en devenait dépressive. « Tous les jours, je pense à la mort… » Et par conséquent,
elle pense à « l’après-elle », inquiète de savoir ce que deviendra sa fille, préoccupée de lui
trouver une place, un hébergement, avant qu’elle ne soit plus, comme soulagée et heureuse
d’avoir « fait ce qu’il y avait à faire. »
I-2 Axel D., un récit de vie en centre d’accueil de jour avec internat
séquentiel
Mme B. est âgée de plus de quatre vingt ans. Elle est mère d’un adulte polyhandicapé,
Axel D., âgé de cinquante deux ans. Axel est accueilli, actuellement, au Centre d’Accueil
de Jour avec internat séquentiel à « l’Abadie. » Axel se déplace en fauteuil roulant manuel,
sur de très petites distances. Il n’est pas doté du langage verbal et souffre d’une grave
déficience intellectuelle.
Axel est né au Maroc. Prématuré, « il a commencé à devenir jaune, ce qui inquiétait les
médecins. » Ils ont dû lui faire une transfusion, à deux reprises. La deuxième fois, cela
s’est très mal passé. Axel est déclaré cliniquement mort, pendant six minutes, sur la table
d’opération. « Ils ont, finalement, réussi à me le réanimer. Il était bien. » Les médecins
n’ont pas informé Mme B. de ces problèmes de sang, à l’origine de cet accident sur la table
d’opération. Mme B. en a été informée, ultérieurement, par le laboratoire d’analyses.
77
De retour au domicile familial, Mme B. va très vite constater qu’Axel éprouve de sérieuses
difficultés à déglutir. Un ami médecin lui fait passer des radios, et constate un étranglement
au niveau de la gorge. Un épaississant, ajouté dans le lait lui permet, cependant, de mieux
accepter ses biberons. Mais, à l’âge de deux mois, Axel est pris de convulsions chez un
médecin : « on croyait même qu’il allait mourir. » Le retour au domicile se fait sous cloche
à oxygène. L’inquiétude, sur l’état de santé de son fils, est grande chez Mme B. : « on le
pesait tous les jours, pour voir s’il grossissait. » Alors qu’Axel est âgé seulement de deux
ans, les événements politiques au Maroc contraignent la famille à rentrer en France : « mis
à la porte, nous sommes rentrés sans rien. » Les premiers mois en France se sont bien
passés, même si Axel continuait à s’étouffer lors des repas. Suite à des visites chez un
pédiatre, sa mère décide de mixer ses aliments. Axel est parvenu, ainsi, à mieux déglutir et
par conséquent, à prendre du poids.
Cette pédiatre la met en contact avec le directeur d’un établissement pour accidentés, à
Garches (92). Celui-ci l’invite à venir sur place : « vous verrez comment se comportent les
handicapés. » Mme B. étant en formation d’infirmière, elle part y effectuer un stage. Elle
rencontre, là-bas, un couple d’anglais, « des gens très compétents qui avaient créé une
méthode personnelle de stimulation physique. » Mme B. expérimente cette méthode sur
son fils et en parallèle, elle continue à solliciter d’autres spécialistes. Elle fait appel à un
autre pédiatre : « qu’est-ce qu’on fait, parce qu’Axel n’a pas été vacciné ? » Le pédiatre lui
conseille de faire un certain nombre de vaccins, en l’occurrence, celui de la poliomyélite, «
mais, il a oublié de me dire que c’était trop d’un coup, qu’il fallait les faire en plusieurs
fois. » Résultat, « Axel s’est retrouvé à zéro pour tout, il était comme au début. Il est
reparti faire un certain nombre d’interventions. » Axel avait alors deux ans et demi.
Axel « a encore remonté la pente » mais cela a demandé du temps. La mère se retrouve
vite seule pour prendre en charge son fils : « avec mon mari, ça n’a pas marché. Ça a
marché pendant 6 mois, mais c’était un coureur. Il ne s’occupait pas de nous. » Mme B.
est donc particulièrement dévouée pour son fils, « ma fille aussi, elle disait toujours : c’est
mon premier bébé. » La mère va, alors, essayer de se tourner vers l’extérieur, afin qu’on
l’aide dans le quotidien avec son fils. Elle prend connaissance d’une structure proche du
domicile familial mais « ils étaient trop handicapés. Il fallait aller à Marseille (13), mais
ce n’était pas ça non plus. D’abord, il y avait un effectif de plus de cinquante résidents, et
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puis je ne voulais pas me séparer de mon fils. » La mère envisage donc un placement, mais
uniquement sur Antibes et, à la condition, qu’il puisse rentrer tous les soirs. Mais la famille
n’a pas trouvé. Les tensions familiales vont alors s’accroître, avec Axel pour enjeu. « Son
père me disait que je le droguais. Lui, il faisait toujours le contraire de ce que je faisais.
Pourtant j’étais contente de pouvoir soigner mon fils toute seule. » Mr et Mme B. se
retrouvent en instance de divorce. A partir de là, Axel ne verra plus son père que par
épisodes. La mère ne veut pas se séparer de son fils, « avec tout ce qu’on avait parcouru
ensemble. » Très attachée à lui, elle se retrouve, pourtant, dans l’obligation de trouver un
travail. Aussi fallait-il quelqu’un pour garder Axel. Mais ces expériences sont difficilement
vécues par sa mère : « ça me coûtait, et puis j’ai vu qu’il fallait mieux que ce soit moi qui
m’occupe seule de mon fils. Mais son père a toujours cherché à me contrer, il disait que
j’étais en train d’en faire un abruti. » Pris entre le désir de sa mère de le garder pour le
soigner, et de celui de son père, plus enclin à le placer, Axel va se retrouver à vivre de
nouvelles expériences. Des « gouvernantes » vont, ainsi, se succéder auprès d’Axel, mais
du fait de coûts élevés et d’innombrables querelles familiales, Axel se retrouve confié
exclusivement à sa mère.
Puis « quelqu’un qui s’occupait des handicapés à la Mairie de Nice » va contacter la mère
pour lui annoncer l’ouverture du centre Rossetti, à Nice, susceptible d’accueillir son fils.
La famille va habiter à Nice, pendant un an, afin de pouvoir l’y emmener, tous les jours.
Axel y était très heureux, « il s’est cassé les dents, il s’est cassé le nez, il est tombé, mais il
était content. C’était une bonne ambiance. » Mais voilà, alors qu’Axel est âgé de seize ou
dix sept ans, la directrice informe sa mère qu’ils ne peuvent plus le garder. « Ils ont vu que
j’étais très embêtée. Ecoutez, pour vous débrouiller, cherchez encore un autre centre, on
vous le garde encore un an de plus. »
Un an plus tard, Axel, faute d’avoir pu trouver un autre centre, revient au domicile
familial. Sous l’impulsion de son père, Axel va recommencer un certain nombre
d’expériences, « toutes plus malheureuses les unes que les autres », dixit la mère. « A
Grasse, on lui a volé tous ses habits. Il était toujours tout nu dans son lit quand je venais le
voir, à midi. On le droguait toute la journée. Il avait un petit copain qui s’appelait
« Sauveur », et qui avait pris Axel d’affection. Un matin, on va retrouver Axel, le lit de
Sauveur était vide, il était mort pendant la nuit. » C’en est trop pour Mme B. qui décide de
récupérer son fils au plus grand désarroi de son mari. Celui-ci décide, une nouvelle fois, de
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placer Axel dans un établissement dans la Drôme. La mère vit, encore, ce détachement
comme un enlèvement. Axel maigrit dangereusement, il refait pipi au lit, il régresse tant et
si bien, que, de nouveau, la mère le retire. « J’ai dit à son père, il ne sera jamais aussi bien
qu’avec moi. Je ne vois pas pourquoi tu me l’enlèves tout le temps. C’était moi qui en avait
la garde, mais il s’arrangeait toujours pour faire valoir quelque chose, en faisant croire
qu’il était bien, ici ou là, alors qu’Axel n’était pas bien. »
Puis Mme B. va recevoir un appel téléphonique « providentiel » émanant d’une mère d’un
adulte polyhandicapé, Mme C. : « il y a un centre qui va s’ouvrir, il y a Dominique, qui a
connu Axel à Rossetti, qui voudrait qu’il vienne. Il reste quelques places. » Mme B. « a
sauté sur l’occasion. Je ne savais même pas qui était Dominique. » Axel entre au CAJ de
l’Abadie en 1990. Pour Mme B., c’est vraiment Dominique et Axel qui sont à l’origine de
leur placement dans cette nouvelle structure, Dominique étant parvenu à faire comprendre,
à sa mère, sa grande amitié pour Axel. Mme B. trouve la formule du CAJ, avec internat
séquentiel, comme lui « convenant à merveille. Le fait qu’ils arrivent le matin, qu’ils
repartent le soir, c’est énorme. Pour ça, je ne remercierai jamais assez Mme C. On a eu
une chance fabuleuse ce jour-là. » Elle a pu observer de véritables progrès chez son fils.
« Il a gagné là-bas. Il est sorti un peu de sa coquille. La musique, il aime, la peinture aussi
et tout ça, je ne sais pas faire, moi. Par contre, le cheval, je ne sais pas, il a quand même
du mal à écarter les jambes. »
La mère conserve tous les projets personnalisés d’Axel depuis son entrée au foyer, parce
que « je les trouve pas mal. » Par contre, elle se plaint de n’avoir que peu de contact avec
l’institution, malgré ses nombreux appels téléphoniques. Elle se plaint, surtout, du peu de
transmissions d’informations « dans le cahier, on ne me dit pas grand-chose. Des fois, on
ne m’écrit pas pendant une semaine. Je ne demande pas des grandes lettres, mais juste
savoir ce qu’il fait. Je ne sais pas, non plus, ce qu’il mange, je ne reçois plus les menus.
C’est la seule chose, le reste, il n’y a rien à dire. »
Puis, Axel va expérimenter l’accueil temporaire du foyer de vie d’Handas. Son mari
l’emmène un jour au foyer, « il n’y a qu’à le laisser là bas, on est tranquille. » Mais Mme
B. n’est pas rassurée par ce qu’elle y voit : « il était dans une coquille en mousse. Il faisait
chaud. Il était encore en pyjama. C’était les grandes chaleurs et il n’avait pas bu… et puis,
à Sclos, j’ai perdu beaucoup de ses affaires. » Peu de temps après, une place va se libérer
au foyer. La place est proposée à Mme B. qui l’a refuse aussitôt : « j’ai dit que j’étais
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encore vaillante, j’ai encore ma tête. Tant que je peux encore le garder, même si c’est
deux, trois ans, je vais encore en profiter. » Mme B. s’empresse de rationnaliser ce refus
par le fait que la structure de l’Abadie est « la mieux qu’elle ait trouvée pour son fils », et
qu’Axel, selon elle, ne souhaite plus y aller après ses expériences malheureuses. Mais ce
refus l’a fait réfléchir et angoisser car, au fond d’elle, Mme B. sait qu’elle vient de
renoncer à une belle opportunité : « si demain, il m’arrive quelque chose, si je meurs
subitement, qu’est-ce que vous allez en faire à l’Abadie ? » Elle sait qu’elle ne peut plus
s’appuyer sur sa famille. Ses petits enfants, vivant à Paris, sont trop loin, ses sœurs, quant à
elles, sont trop âgées et elles ont leur propre vie. « Je suis toute seule avec mon fils, les
gens de mon âge, ils sont presque tous morts et je ne vois plus personne. Il faut que l’on se
débrouille, comme on l’a toujours fait. »
Au final, elle se résigne à ce que son fils aille dans la nouvelle structure, qui devrait
prochainement voir le jour (un FAM), mais elle s’inquiète, là encore, de son emplacement.
Mme B. ne se vit pas séparée de son fils, conçoit difficilement « l’après » : « je pense
souvent que si j’étais atteinte d’une maladie grave, je me suiciderais avec lui et je dis que
ça rendrait service, parce que je ne vois pas ce qu’il ferait. Elle pense, au final, qu’Axel
est heureux, qu’il a tout ce qu’il lui faut. « Je ne peux pas faire plus que ce que je lui
fais, et puis lui, il vit comme ça, il ne sait pas, il ne parvient pas à se projeter dans le
temps. »
C’est donc la mère qui a toujours fait les choix de vie pour Axel, et donc pour elle, les
deux étant intimement liés et peut-être aussi, faute de pouvoir se penser un et autonome,
les choix de leurs propres morts.
I-3 Gilles R., un récit de vie en foyer de vie
Mme R. est mère de quatre garçons dont Gilles, le cadet, polyhandicapé. Gilles est âgé de
trente huit ans. Il est accueilli actuellement au foyer de vie Handas et ce depuis 1996.
Gilles se déplace sur de très petites distances. Il s’exprime difficilement et seulement
lorsqu’il se trouve en confiance.
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Gilles est né prématuré. « Ça aurait été un beau bébé, il a voulu s’en sortir, il est vivant »,
dixit le médecin gynécologue mais, voila, Gilles a subi un accident nucléaire après
l’accouchement. Il a commencé à cyanoser : « il y en a qui se sont mouillés pour me dire
que Gilles était devenu noir. »
Puis, Gilles, âgé d’un mois, est rentré au domicile familial. Une auxiliaire de puériculture
leur rend visite régulièrement. Elle vient même parfois à l’improviste. « Ils avaient peur à
l’l’hôpital, que je prenne une décision, disons fatale. » Très vite, la mère « sait qu’il est
handicapé » alors qu’aucun diagnostic, dans ce sens, ne lui a été adressé. Le médecin de
l’hôpital lui évoque des examens lourds et délicats, pouvant engendrer de graves séquelles.
La mère refuse. Il lui annonce qu’il pense que Gilles est complètement sourd, et qu’il
souffrira de graves problèmes physiques. Mais il ne lui parle, à aucun moment, de
problèmes visuels, ni ne pose des mots sur la problématique de Gilles.
De retour au domicile, Mme R. décide de consulter un ophtalmologue en urgence, prise de
sérieux doutes quant à la vue de son fils. Elle cherche alors à contacter un spécialiste :
« l’ophtalmologue m’a dit la vérité, que Gilles n’y voyait pas. Par contre, il m’a laissé un
espoir. Il m’a dit qu’il pensait que Gilles ferait des progrès et que, peut-être, la vue
viendrait avec la marche. En fait, Gilles commencera à voir vers six ou sept ans. »
L’annonce est brutale pour la mère, «le premier jour, je pleurais comme une Madeleine, le
deuxième, je me suis dit, bon, il va falloir voir, ce que je peux faire. » C’est empreinte de
savoir ce qu’avait son fils, pour mieux savoir ce qu’elle pouvait faire, qu’elle décide de
faire appel à son généraliste, le Dr F. « Je lui ai expliqué que pour moi, pour me battre, il
fallait que je sache ce qu’avait Gilles. » Celui-ci « lui donne alors toute la palette des
I.M.C. » Le mot est enfin posé. Gilles est reconnu Infirme Moteur Cérébral.
La mère, alors, forte de ce diagnostic, va commencer à inspecter les services du
département. Mme L. de la Mairie de Nice lui conseille d’aller se renseigner au centre de
Rossetti. Mais, du fait que Gilles n’avait pas l’âge requis et qu’il était aveugle, la directrice
du centre a refusé, dans un premier temps, de le prendre : « si je vous prends Gilles, ça va
enlever la place à quelqu’un d’autre. » Mme R. continue, alors, à chercher un externat
pour son fils. Son généraliste, le Dr F. l’envoie à un centre pour aveugles à Nice. Mais, là
encore, l’établissement ne peut pas recevoir Gilles. Mme R. décide de retourner à Rossetti
pour solliciter des conseils de prises en charge. Et c’est ainsi, que Gilles a débuté des
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séances de kinésithérapie, avec un spécialiste du centre. « C’est grâce à C. que Gilles
marche. »
Mme R. reconnait qu’elle a reçu de très bons conseils du Centre Rossetti à cette époque-là,
mais elle est confrontée aussi à des choix douloureux, entre rééducations et
expérimentations. « On nous faisait remplir des documents et on partait jusqu’à
Montpellier (34) pour faire des examens à nos enfants. » On lui propose une expérience :
« lui couper les talons d’achille.» Mme R. hésite. « On vous laisse un quart d’heure pour
réfléchir, vous êtes dans une petite pièce et vous rhabillez votre enfant. Il y avait là, huit
spécialistes : sept hommes et une femme. Je réussie à intercepter la dame et lui demande :
si c’était votre enfant, que feriez vous ? Elle me répond : je vais être dur avec vous, mais
votre fils ne sera jamais comme les autres. Il ne faut pas que vous commenciez à vous
acharner… Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. » Il y a des enfants qui ont reçu
des dizaines d’interventions. Mme R. refuse de signer ces fameux documents. Elle se fâche
avec la directrice et menace de porter plainte. A la même époque, un spécialiste lui assène
cette phrase qu’elle a encore du mal « à digérer » plus de trente cinq ans plus tard : « vous
savez les Infirmes Moteurs Cérébraux, c’est intéressant comme sujets pour travailler sur la
douleur. Et puis, depuis que la Société Protectrice des Animaux est montée au créneau,
nous ne pouvons plus utiliser que les IMC pour ces expériences. » Un autre spécialiste
l’interpelle. Il faisait une thèse sur « les enfants à problèmes. » Mme R. se bat contre
toutes ces pratiques de l’époque, et n’hésite pas à faire des pétitions.
Entre temps, Gilles est parvenu à rentrer à Rossetti, mais à l’approche de ses dix huit ans,
la directrice annonce à sa mère : « eh bien voilà, dans six mois, il va falloir trouver une
solution pour Gilles. » Mme R. se retrouve dans l’expectative : où allait-elle pouvoir
placer son fils ? Il n’existait aucune structure sur le département. La plus proche se trouvait
sur Marseille (13) et accueillait plus de quatre vingt résidents. « J’avais deux priorités :
que Gilles ne soit pas loin de moi, l’autre impératif, que cela ne soit pas une grosse
structure pour garder un esprit familial. »
Elle prend contact, malgré tout, avec la directrice de Marseille, mais elle renonce à y placer
Gilles, suite à l’une de ses remarques : « quand j’ai douze résidents et que je n’ai personne
pour les garder, il faut bien que je prenne le premier venu. »
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Mme R. décide, alors, de militer dans quatre associations de personnes handicapées, afin
surtout de se tenir informer. Elle se sent de plus en plus pressée, car elle sait qu’elle n’a pas
le choix. Il lui faut placer Gilles le plus rapidement possible, car elle est atteinte d’une
maladie grave qui, tôt ou tard, la rendra aveugle. « Ça m’inquiétait parce que quand j’ai su
pour mes yeux, on m’avait dit entre deux et trois ans, grand maximum. J’étais inquiète
parce que cela approchait. » Si, à aucun moment, elle ne sollicite Gilles dans ses
démarches, elle commence à lui en parler. « Je lui ai dit qu’un jour ou l’autre, je ne
pourrais plus m’occuper de lui correctement, car je ne serais même plus dans la capacité
de m’occuper de moi. » Elle l’informe qu’elle essaie de trouver « un petit coin à lui. »
Les relations entre la mère de Gilles et sa grand-mère se dégradent alors. « Pépé, lui, il
avait compris mais ma mère, elle avait du mal. Il y a eu des répercussions sur Gilles. »
Chaque changement important est difficilement et douloureusement vécu par la grand-
mère, comme lorsque Gilles est allé à Rossetti : « je ne sais pas m’en occuper ou
quoi ? » Mais Mme R. sait qu’elle n’a plus le choix et puis, surtout, elle a conscience de le
surprotéger : « je faisais comme à l’hôpital pour les microbes, je faisais attention à tout, je
le mettais dans une bulle. » Elle prend conscience, aussi, que ses autres enfants en ont
souffert. « Ses frères en avaient honte, quand venaient des copines à la maison. A l’école,
ils se disputaient et se battaient quand on leur disait : toi, tu as un frère mongol ! » La
mère de Gilles est déterminée mais elle se sent, aussi, coupable, surtout vis-à-vis de sa
mère. « J’étais bien contente qu’elle s’en soit occupée lorsqu’il était à Rossetti et que moi,
je devais travailler suite à mon divorce avec le père de Gilles, alors que Gilles n’avait que
deux ans. J’avais réussi à trouver une nourrice pour les trois autres, mais elle ne voulait
pas s’occuper de Gilles, de peur qu’il ne lui arrive quelque chose, alors c’est ma mère qui
l’a gardé. Je lui dois un grand merci, mais en même temps, ce n’est plus le mien, c’est
devenu le sien. Je ne peux pas m’approcher d’un mètre de lui, elle ne le supporte pas. »
Gilles se retrouve souvent coincé entre sa mère et sa grand-mère, enjeu qui le dépasse et
qui le perturbe. Ne voulant faire de peine à personne, Gilles s’interdit alors de dire des
choses. Il fait « avec », avec une grand-mère qui « sait mieux que quiconque ce qui est bon
pour Gilles », « qui va jusqu’à éplucher sa banane alors qu’il sait pourtant le faire » et
avec sa mère « qui souhaite qu’il ait le plus d’autonomie possible au milieu de ses amis,
polyhandicapés comme lui. »
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Faute de trouver un établissement, la mère envisage même, à un moment donné,
d’accueillir deux enfants de la D.D.A.S.S., pour pouvoir ainsi s’occuper de Gilles, tout en
ayant un salaire. La mère en avait informé ses enfants, car cela allait perturber le milieu
familial, en nécessitant une redistribution des chambres. Les enfants étaient d’accord.
Et puis un jour, alors qu’elle attendait son tour chez un kinésithérapeute, elle interpelle une
personne handicapée qui attendait, elle aussi. Cette personne lui recommande alors une
structure nouvellement créée : le Centre d’Accueil de Jour Handas de l’Abadie. Après que
son médecin généraliste ait trouvé l’adresse, Mme B. a rencontré la directrice du centre.
Au terme d’un entretien avec Mme B., puis avec Gilles, la directrice leur a annoncé : « on
prend Gilles à la rentrée. » La mère en sort toute soulagée et heureuse mais aussi
bouleversée et « un peu honteuse », car lors de sa visite, elle a vu qu’une famille, fort âgée,
attendait, elle aussi, pour avoir la place. Quant à Gilles, « cela lui avait plu, dès son
arrivée. Il a une faculté d’adaptation qui m’étonnera toujours. Il s’est assis et il a parlé
avec plusieurs personnes. Et puis, en arrivant, il a vu de nombreuses motos. Il adore
ça. » Le plus difficile, encore une fois, fut de l’annoncer à la grand-mère de Gilles, surtout
le fait que Gilles serait en internat une semaine par mois.
La mère perd de plus en plus la vue. Survient alors, en 1996, l’ouverture du foyer de vie.
La mère aspire à ce que Gilles y vit. Cela fait déjà plusieurs années que l’on parle de ce
projet aux familles des deux CAJ. « On nous avait dit que le projet, c’était que les
résidents y soient le plus autonomes possibles, qu’il y aurait des projets individuels en
fonction des handicaps. Mais, surtout, on nous avait dit que les jeunes seraient gardés
jusqu’à ce qui les arrangent, voire même en cas de décès des parents. » Mais la directrice
annonce à Mme B. qu’elle n’est pas prioritaire. Un désistement permet à Gilles d’obtenir
une place. Gilles est partant pour ce projet : « il a choisi ses meubles sur catalogue, il est
monté deux fois pour voir l’avancée des travaux. » Et puis, il a été accompagné par les
éducateurs de l’Abadie, pour ce passage d’un accueil de jour, à un hébergement complet.
La grand-mère, encore une fois, supporte mal ce nouveau projet, le vivant comme une
véritable déchirure. Elle adresse alors des reproches à sa fille : « tu te débarrasses de
Gilles. » Mais pour Mme R., c’était important que Gilles ait une place dans ce foyer de vie
car, dorénavant, elle ne pouvait plus conduire. Il était temps ! Gilles y vit toujours.
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Sur la question du projet personnalisé de son fils, Mme R. pense que « le projet, c’est
quelque chose d’indispensable. S’il arrive à faire un tout petit quelque chose, moi, je
trouve cela magnifique, c’est valorisant. » Elle apprécie la manière de faire de l’institution
autour de l’élaboration du projet, en particulier la rencontre de l’équipe avec la famille, qui
suit la réunion de projet. « On voit, tous ensemble, ce qu’il est possible de faire, ce qui
n’est pas possible. On voit certaines priorités auxquelles, les professionnels n’ont pas
toujours conscience d’ailleurs. » La mère aimerait, aujourd’hui, que l’on apprenne à Gilles
les gestes élémentaires de propreté. «Moi, j’ai envie qu’il sente bon, qu’il soit propre. Il
devrait être plus propre que les autres. Je l’ai rencontré un jour à Auchan. Gilles était
propre, bien rasé, un petit T-shirt impeccable. Si vous saviez le plaisir que ça m’a fait,
parce que, déjà qu’ils sont handicapés, qu’on leur adresse des mauvais regards, alors si,
en plus, ils sentent mauvais… » Pour Mme R., un projet qui ne prendrait pas en compte les
demandes du jeune et de sa famille, ce n’est pas un projet. Toute la difficulté, selon elle,
c’est de pouvoir permettre à la personne polyhandicapée de s’exprimer. « Entre ce qu’elle
voudrait faire, ce qu’elle peut faire et ce qu’on peut l’aider à faire, il y a de grosses
marges. Le projet, c’est bien, mais la réalité, c’est tout autre. »
Mme R. reproche surtout à l’institution des problèmes de transmission d’informations. Elle
reconnaît que, parfois, elle s’énerve vis-à-vis des professionnels. « Des fois, je me dis qu’il
faut que je me calme, mais je ne peux pas, ça m’horripile. Je sais que l’erreur est humaine,
mais il y a des choses que je trouve essentielles alors, des fois, je pars du foyer et je me
dis, putain, je ne peux pas encore mourir. En tant que parent, il y a des choses qui vous
laissent perplexe. Alors je me dis, qu’est ce qu’ils font les jeunes qui n’ont personne qui
vient les voir. Il y a des jours où je suis contente, où je me dis, il est bien ici, et d’autres où
je pars sur des détails et je ne suis pas bien pendant deux ou trois jours. » Mme R.
s’efforce « de ne pas tout voir en négatif, parce que c’est ridicule, parce qu’on a trop
tendance à les surprotéger. On protège déjà nos enfants normaux, alors, lorsqu’ils sont
handicapés ! » Mais elle aimerait que les professionnels essayent de prendre plus en
compte « ces détails » des familles. « Ça nous rassurerait, parce que je me dis que si ça
arrive à moi, ça doit arriver à d’autres. » Mme R. dit qu’elle n’attend plus de miracles
aujourd’hui. Elle aspire juste à de « petites choses » qui lui font plaisir. L’important, pour
elle, c’est que Gilles soit au milieu de la collectivité. « Il y partage des joies, comme des
peines… comme une famille. »
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En définitif, Mme R. considère qu’un « foyer comme ça, c’est inespéré pour les parents,
mais surtout au niveau des jeunes. » Depuis qu’elle se trouve soulagée par le placement de
Gilles au foyer de vie, Mme R. a une nouvelle conception de la mort : « pour moi, la mort,
c’est que du bénéfice pour les gens gravement malades. »
Après avoir éclairé la notion de projet de vie du côté de la famille, à travers ces récits de
vie, intéressons-nous, maintenant, au projet du côté de l’institution. Nous pourrons, ainsi,
dans le troisième et dernier chapitre de cette partie, mesurer les écarts entre ces deux
acteurs quant à la conception et les valeurs que chacun défend, à travers le projet de vie de
la personne polyhandicapée. Il nous sera possible, alors, d’imaginer un certain nombre de
perspectives et de pistes de réflexion en vue d’un meilleur partenariat famille-institution
autour de ces écarts, pour, au final, permettre à la personne polyhandicapée d’être au centre
de son propre projet.
CHAPITRE II : Le projet de vie de l’adulte polyhandicapé, prégnance de
l’institution
Le projet de vie du résident, à Handas, n’est jamais allé de soi. Pour preuve, il s’est mis en
place et imposé au fur-et-à-mesure de la pratique. Il a, à maintes reprises, changé de forme,
évoluant surtout au niveau de la place de chacun dans sa conception, professionnels et
famille, bien sûr, mais surtout place de la personne polyhandicapée. Cette mise en
conception parle donc de cultures, de valeurs, de représentations… L’évolution du projet
de vie à Handas a suivi d’autres évolutions, ou inversement d’ailleurs, telles que la notion
de référent, le projet institutionnel, l’arrivée de personnels soignants (aides-soignantes)…
C’est sur ce cheminement, balisé de doutes, d’incertitudes, de passages et d’impasses, que
nous allons nous arrêter maintenant.
Nous disons, donc, que le projet de vie n’est pas allé de soi à Handas. En effet, entre le
moment de la création de chaque structure et le moment de la conception de projets de vie,
il a fallu, à chaque fois, environ une année, d’hésitations, de doutes, de mises en réflexion,
de rencontres avec les familles… Ce tâtonnement originel s’explique, avec le recul, par de
nombreuses raisons : le manque d’expériences d’abord, le fait que les structures étaient
« neuves », le fait aussi que les résidents venaient, pour la plupart, d’institutions pour
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enfants, par la volonté aussi de concevoir « la notion de vie » dans le projet. D’où des
questions fondamentales qui ont alimenté, pendant de nombreux mois, les débats
institutionnels. Pourquoi un projet ? C’est quoi un projet de vie ? C’est quoi la spécificité
et la mission éducative des structures Handas ? Quelles sont les valeurs, l’éthique
d’Handas, que l’on souhaite défendre à travers le projet ? Le rôle, la fonction et la place du
référent dans la conception et la mise en place du projet ? Et bien sûr, tout un ensemble de
questionnements autour de la forme du projet.
II-1 Le projet de vie du résident, œuvre du référent
Les premiers débats ont porté sur l’âme fondatrice du projet de vie, baptisé alors, « projet
individuel ». La question de la place des familles et du résident n’apparaissait pas encore
comme fondamentale, les droits de la personne polyhandicapée et leurs expressions pas
encore une obligation législative et l’évaluation du projet comme une perspective au long
terme.
Lors de cette première période, de 1990 à 1998 environ, le projet a tâtonné aussi dans sa
forme. Il était l’objet d’une réunion institutionnelle, d’une durée de trois heures avec
l’ensemble de l’équipe éducative, réunion animée par la direction mais surtout par le
référent, véritable auteur du projet. Le référent était investi d’un réel pouvoir, celui du
savoir théorique et du savoir ce qui était bon et judicieux pour la personne polyhandicapée.
Le référent ne faisait pas encore fonction de lien, de rassembleur, au contraire, il était
investi d’un rôle de toute puissance sur le résident. Souvent, dans la pratique, cette toute
puissance était reconnue par l’institution et par les familles, dans la mesure où le référent
était détenteur des informations sur le résident. En concentrant l’information, en la gardant
pour lui, en la distillant stratégiquement à doses homéopathiques lors des réunions de
projet, le référent gagnait ainsi en prestige, en reconnaissance. Nous étions, là, bien loin
des désirs et besoins de la personne polyhandicapée. La réunion n’était pas balisée, libre au
référent de l’animer à sa guise, suivant aussi la réactivité du reste de l’équipe.
Le projet était, dans cette période, pensé comme une mise en lumière, un arrêt sur image
des problématiques posées par le résident. Loin de se centrer sur lui, il s’agissait plutôt
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d’aborder des situations qui inconfortaient l’institution. Dans une telle vision, c’était plus
au résident de s’adapter à l’institution que l’institution de s’adapter au résident.
Le projet écrit traduisait bien cette absence de cadre formel, cette vision réductrice. Cet
écrit souffrait aussi d’absences de points de vue pluridisciplinaires et transversaux. De
forte connotation éducative, au sens de « remettre dans la norme », le projet se traduisait,
au niveau formel, par une longue dissertation jalonnée de « il faudrait », « il ne faudrait
pas ». Cet écrit n’était pas validé par la direction. L’auteur du projet écrit, le référent, se
suffisait à lui-même. Son nom, seul, apparaissait en guise de signature. Certains de ces
écrits auraient pu s’éviter cette « signature » tant on y reconnaissait l’auteur du projet, dans
ses idées, ses convictions, sa pratique.
Dans cette première période du projet à Handas, la personne polyhandicapée, entendue
plus, à cette époque, comme « polyhandicapée que comme personne », n’apparaissait pas
pleinement au cœur de son prétendu projet, tant au niveau du fond, que de la forme. Le
projet était plutôt celui du référent.
De façon arbitraire, nous dirons que de 1998 à 2004, environ, une deuxième période phare
marque l’élaboration du projet de vie à Handas. De façon arbitraire… pas tout à fait…
cette période est marquée par l’arrivée d’une nouvelle directrice, et donc une nouvelle
conception du travail éducatif auprès des personnes polyhandicapées. La notion de respect,
le souci de cohérence et de transdisciplinarité, la recherche de sens, expliquent cette
évolution, mais plus encore, c’est la volonté de rendre acteur, le résident, dans son projet
de vie (La loi de 2002.02 venant conforter cette volonté).
II-2 Le projet de vie du résident, objet de formalisation
Si la première période était plus caractérisée par la vision de la personne polyhandicapée
dans son handicap, dans ses déficiences et incapacités à faire, cette deuxième période était
plus caractérisée par le statut de résident dans un souci d’un mieux être au niveau de ses
besoins et désirs au sein des structures, en tenant compte de ses possibilités et potentialités.
Au lieu de s’ancrer dans le manque, le projet individuel cherche désormais à promouvoir
du plus chez la personne polyhandicapée.
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Si la première période a été instigatrice de projets irréalistes, prétentieux et inadaptés pour
beaucoup à la réalité quotidienne du résident, cette deuxième période se veut de rompre
avec cet illusionnisme. La nouvelle volonté est de rendre faisable le projet, qu’il
correspond, le plus possible, aux désirs et aux besoins de la personne polyhandicapée, en
veillant à ne pas la mettre en échec. Pour en arriver là, le professionnel, notamment le
référent, a dû apprendre à renoncer : renoncer à certains de ses idéaux, renoncer à sa toute
puissance et à être au centre des préoccupations. La pratique a dû se réajuster, afin de
redonner place au résident et à sa famille.
Pour se faire, l’institution a revu, via de nombreuses réunions, sa manière d’aborder le
projet individuel. Elle a, de nouveau, questionné la notion de référent, les places de chaque
acteur dans la conception du projet, les procédures d’élaboration de ce dit projet. Plus
encore, elle a dépoussiéré son projet associatif. Elle a opéré un véritable débat de fond
autour de ses missions, autour de son projet institutionnel, tenté de regarder autrement,
avec plus d’empathie et de complétude la personne accueillie dans son environnement
familial et social.
Dans le projet institutionnel Handas, ces nouveaux principes se sont traduits ainsi :
« chaque résident a développé des compétences, des réponses adaptatives aux déficiences
différentes. Pour que chacun puisse s’épanouir au mieux, il est indispensable que tous
soient considérés dans leur singularité. C’est à partir de ces constats que nous élaborons
régulièrement le projet individuel de chaque résident. »44
A noter que le projet
institutionnel n’évoque guère plus le projet individuel si ce n’est par une grille d’évaluation
en annexe de ce document de référence.
Ce fut donc l’occasion, dans un premier temps, de réécrire le projet institutionnel.
L’ensemble de l’équipe fut convié à le réinterroger.
De ce travail, trois axes fondamentaux en sont ressortis, l’axe « confort physique », de
prime abord. En effet, l’institution considère que nous ne pouvons demander à une
personne polyhandicapée d’effectuer des tâches responsabilisantes, de participer à des
activités ou ateliers, si elle n’est pas bien dans son corps, si du fait d’une mauvaise
44
Extrait du projet institutionnel de l’Association Handas des Alpes-Maritimes, 2006, p. 14.
90
installation dans son fauteuil, entre autre, elle souffre, inhibant ainsi tous ses plaisirs et
initiatives. Le deuxième axe, retenu dans le projet institutionnel, est « la vie relationnelle et
affective ». Il s’agit de prendre en compte la personne dans sa réalité sociale, dans sa
relation aux autres, institution, famille, résidents, mais aussi, dans un cadre hors institution.
Enfin, le dernier axe retenu dans le projet institutionnel est l’aspect « cognitif ». Par un
panel d’apprentissages, il s’agit de permettre, à la personne polyhandicapée, l’accès à plus
de connaissances et à une meilleure appropriation du monde qui l’entoure, pour gagner
encore plus en confiance et estime de soi.
Tout projet individuel est élaboré sur ce modèle du projet institutionnel, depuis cette
période. Jusqu’ici, nous parlions beaucoup d’eux, sur eux, sans vraiment savoir ce qu’ils
étaient, ce qu’ils pouvaient faire, ce qu’ils voulaient être. S’impose, alors, un dernier
document, une grille d’évaluation construite autour de ces trois axes45
.
Le terme d’évaluation apparaît dans le discours et dans les actes institutionnels. Il ne s’agit
pas d’évaluer le travail éducatif, d’en mesurer les écarts par rapport à des objectifs
préalablement définis. L’évaluation concerne le résident. Autour de son confort physique,
il s’agit d’interroger ses rapports à l’alimentation, à l’élimination, à l’hygiène, à la
souffrance, au sommeil… et, à partir de là, ce que l’équipe préconise pour apporter des
améliorations au niveau de son confort physique. La grille aborde, aussi, le cognitif à
travers les aspects de la mémoire, de la communication, des repères temporaux spatiaux,
du schéma corporel, de la connaissance du corps, de ses accès aux symboles, de la capacité
d’initiative et d’adaptation du résident. Enfin, la grille s’interroge sur l’axe vie relationnelle
et affective du résident. Il s’agit d’évaluer, là, sa capacité à entrer en relation avec les
autres, sa confiance en lui-même et, avec son entourage, ce qui lui procure du plaisir, du
déplaisir, ses peurs et sa capacité à les gérer, et son rapport avec les usages sociaux. Le
projet institutionnel et la grille d’évaluation viennent encadrer le projet individuel du
résident, le délimite et le complète.
En parallèle à l’élaboration de ces documents, l’institution s’est penchée sur la notion de
référent. Les nombreux débats ont été émaillés de résistances, d’enjeux, de pouvoirs et de
contrepouvoirs, de places et de luttes de places. La référence était, jusqu’ici, prétexte ou
moyen de reconnaissance pour la personne du référent. Cette toute puissance, conférée au
45
Cf. annexe n° 5
91
référent (plus référent du résident, que référent de son projet), engendrait du jugement à
son encontre, sur son travail mais aussi, bien au-delà, sur sa personne dans son entier. Si un
résident commettait un acte déviant, le reproche en était fait à son référent, s’il faisait des
progrès louables, le même référent en recevait toutes les louanges. La référence était
comme la vitrine de la pratique de l’éducateur. Plus encore, elle en régissait tous les
rapports et relations. Le résident, lui-aussi, reconnaissait un statut particulier au référent :
« c’est mon référent », « non, je te le dis pas, car tu n’es pas mon référent… » Les familles
aussi entretenaient cette toute puissance : « pourrais-je parler à… Il n’est pas là ? Non,
non ce n’est pas grave je rappellerai… Non, non c’est lui que je voulais avoir… » Loin de
faire le lien, la référence, telle qu’elle se vivait à Handas, divisait. Loin de prendre en
compte la personne polyhandicapée, elle la niait par cette toute puissance de l’éducateur.
Revoir la notion de référence signifiait revoir l’ensemble du système institutionnel. Mais il
était impératif d’en effectuer une réforme en profondeur et, au plus vite pour limiter, un
tant soit peu, ces travers, cette hégémonie du référent.
L’idée a été de proposer, en premier lieu, une double référence, en privilégiant, si possible,
le couple homme-femme. Ce binôme n’avait pas pour fonction de se substituer aux
parents, mais l’institution considérait importante la complémentarité symbolique liée à la
différenciation des sexes.
En réinterrogeant la fonction de référent, inévitablement, la question de son attribution
s’est reposée, comment s’opérait le choix de tel ou tel résident. Jusqu’ici, le choix se faisait
dans le cadre d’une réunion. Chaque membre de l’équipe éducative était invité à se
prononcer pour l’un ou l’autre des résidents. Pour seule contrainte, il était demandé à
l’éducateur de ne pas choisir un résident pour lequel il avait déjà été, précédemment,
référent. Les modalités d’attribution des référents étaient donc fortement imprégnées de
subjectivité et d’affectivité car, bien sur, le choix n’était pas neutre. L’éducateur avait
fortement tendance à choisir un résident avec lequel il entretenait une relation privilégiée,
en tout cas, à ne surtout pas choisir les résidents avec lesquels, il était en difficulté ou pour
lesquels, il était indifférent.
L’idée a donc été de réinjecter de l’objectivité, via le tirage au sort. Si l’éducateur se
retrouvait de nouveau référent du même résident, on procédait à un nouveau tirage au sort.
Puis, on annonçait les résultats tant attendus aux résidents et à leurs familles. Le
92
consentement de ces derniers n’était donc pas sollicité pour le choix du référent. Par
contre, la question de leurs participations autour et pendant le projet individuel a été
soulevée. Plus que de consentement d’ailleurs, il s’agissait de solliciter leurs participations.
Les référents, le psychologue et l’ergothérapeute se préoccupaient de la grille d’évaluation
par des entretiens avec la personne polyhandicapée, au préalable à son projet.
Puis, avait lieu la réunion de projet. Le résident attendait ce moment avec une certaine
impatience teintée d’angoisse et de curiosité. Il y participait en présence de sa famille, la
mère, seule le plus souvent, en présence de l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire. La
volonté que le résident et sa famille soient présents à cette réunion était si essentielle pour
l’institution que l’on faisait fi de l’inaccessibilité de la salle (obligation de porter la
personne handicapée dans les bras), que l’on faisait fi de l’aspect « tribunal » de cette
réunion, deux à trois personnes, le résident et sa famille, faisant face à une dizaine de
professionnels. Cherchait-on réellement par cette organisation le consentement éclairé du
résident ? Ou bien cette façon de faire nous rassurait-elle, nous déculpabilisait, nous
donnait l’illusion de tenir compte de la personne et de son entourage ?
Quoiqu’il en soit, lorsque le résident était invité à s’exprimer, à dire ce qu’il souhaitait, il
se retrouvait souvent comme tétanisé, dans l’impossibilité de parler. Le référent, pris dans
l’obligation de sa fonction, et comme s’il se sentait jugé et fautif de la non-expression du
résident, se sentait alors, souvent, tenu de parler en son nom. S’ensuivait une partie de
« ping-pong » avec la famille qui, elle aussi, considérait savoir ce qui était mieux pour son
enfant, un savoir légitime de parent.
Une réunion à enjeux donc, de pouvoirs, de places dans laquelle le résident se retrouvait
comme coincé et dans l’impossibilité de se positionner, malgré les appels des uns et des
autres. Puis, la famille et le résident quittaient la réunion, laissant l’équipe
pluridisciplinaire débattre sur ce qui venait d’être dit et non-dit.
Après ce temps des préliminaires et liminaires, les référents avaient la responsabilité de
rédiger le projet individuel du résident, en faisant la synthèse de toutes les paroles qui
avaient été prononcées autour du résident. La double référence, bien que limitant
l’exclusivité d’un seul auteur du projet, ne garantissait pas totalement contre la subjectivité
et l’affectivité de l’écrit. Surtout, elle a eu, pour travers, de retarder encore plus l’écriture
93
du projet et, par conséquent, sa remise aux familles. Il est arrivé de nombreuses fois, aussi,
au moment de la réunion de projet, que l’on s’aperçoive que le projet antérieur n’avait pas
été écrit et donc que la famille n’en avait pas eu connaissance.
Enfin, les deux référents en faisaient un compte-rendu au résident, et simultanément, le
projet était envoyé aux familles. Lorsque la famille était séparée, seule la mère, à cette
époque, en recevait un exemplaire.
Le temps de l’après-projet donnait lieu à très peu de retours de la part des familles. Il
marquait le temps de la réalisation pour les professionnels. Quant aux résidents, ceux-ci
faisaient référence régulièrement à leur projet, interpellant l’équipe éducative sur tel
aspect, sur son suivi, investissant toujours plus sur leurs référents. Pour une plus grande
efficience de leur travail, pour atteindre les objectifs annoncés, les deux référents pouvaient
élaborer des stratégies de distribution des rôles et des tâches. La constitution en double
référence a permis un meilleur suivi des actions autour du projet, des liens réguliers,
repérables et fiables avec les familles.
II-3 Le projet de vie du résident, objet de management
En 2007, une nouvelle directrice est arrivée… et donc une nouvelle direction, d’autres
valeurs et visions. Nous sommes entrés dans une ère que nous qualifierons « d’ère de
management de projet et de participation ». De culture essentiellement orale jusqu’ici,
l’institution a muté vers une culture de l’écrit et de procédures.
La démarche de projet s’avère un outil, parmi d’autres, de gestion stratégique, de
mobilisation des énergies. La nouvelle directrice s’est interrogée sur la rationalité du projet
individuel tel qu’il était pensé à Handas jusqu’ici, dans une volonté de le rendre toujours
plus opérationnel et opérant, mais pas uniquement que dans sa phase d’élaboration. La
réalisation est sans doute l’épreuve de vérité à travers laquelle le projet se dévoile, se
révèle, qui fait dire qu’un projet est une réussite ou un échec. La nouvelle directrice s’est
évertuée à mettre en place des stratégies pour atteindre les buts fixés dans le projet
individuel, appelé dorénavant « projet personnalisé ». Cette directrice est arrivée dans
l’établissement au moment où avait été amorcée la démarche qualité, l’évaluation interne
94
venait de s’achever. Les résultats de cette évaluation insistaient sur l’importance des cadres
formels, des procédures écrites… pour plus de cohérence et d’efficience dans le travail
auprès des personnes polyhandicapées. Evaluation et efficience, voila, aujourd’hui, les
deux leitmotivs de notre pratique et de nos valeurs.
Les procédures d’élaboration du projet personnalisé du résident ont donc été réinterrogées.
En premier lieu, l’évaluation a montré que le temps écoulé entre le moment de la réunion
et le moment de la réception du projet par les familles était trop long et trop dépendant des
personnes référentes, rédactrices du projet. Aussi, dorénavant, l’écriture du projet se fait en
binôme avec un référent et le psychologue, ou avec un référent et l’adjoint de direction,
juste après la réunion pluridisciplinaire sur le projet personnalisé. Puis cet écrit est transmis
à la directrice pour validation et envoi à la famille.46
De quelques semaines, voire de
quelques mois, la famille reçoit désormais le projet de leur enfant dans la semaine qui suit
la réunion.
L’évaluation de la procédure d’élaboration du projet a montré aussi qu’il était difficile,
jusqu’ici, d’évaluer précisément le projet, ce qui avait été fait, pas fait, ce qui avait été
écarté et pourquoi… Une nouvelle mouture de projet a été pensée par l’équipe de cadres et
éducateurs spécialisés.47
L’idée est de formaliser les écrits, afin que les projets soient tous
rédigés sur la même trame et surtout que nous puissions évaluer les résultats d’une année
sur l’autre. Ainsi, pour chaque aspect du projet personnalisé du résident, confort physique,
vie relationnelle et affective et aspect cognitif, l’équipe établit des constats. De ces
constats, elle en tire des objectifs de travail et des moyens à mettre en place en vue
d’atteindre ces objectifs.
L’élaboration du projet ne se limite pas à ces objectifs et moyens. Il s’agit, dorénavant,
d’évaluer les résultats et leurs évolutions. Le projet de l’année passée est évalué pour
chaque aspect, pour chaque objectif et moyen et cette évaluation donne lieu à de nouvelles
priorités de travail pour l’année à venir. De même, la place du résident et de son
consentement éclairé, la participation de sa famille ont été de nouveau questionnées.
Dorénavant, l’élaboration du projet personnalisé se fait en dehors du résident et de sa
famille en ce qui concerne la réunion et l’écriture de ce projet. Mais cette élaboration ne se
46
Cf. annexe n° 6 47
Cf. annexe n° 7
95
limite pas au temps de la réunion. Au préalable, les référents se préoccupent de consulter le
résident, de le convier à s’exprimer sur ses attentes, besoins et désirs, difficultés
éventuelles…48
se préoccupent d’interroger l’ensemble des professionnels, des
intervenants extérieurs (libéraux par exemple), de recueillir un certain nombre de bilans
concernant la personne. Quant à la famille, elle rencontre un référent et le psychologue
(avec parfois la présence d’un cadre de direction, en fonction de la situation) au sein du
foyer et en présence de son enfant, le plus souvent. Il arrive que cette rencontre ne puisse
avoir lieu pour des raisons pratiques. Une conversation téléphonique fait parfois office de
rencontre pré-projet. Nous constatons qu’il y a très peu de retours post-projet de la part des
familles.
Enfin, l’institution est, aujourd’hui, en pleine réflexion sur la question de la place du père.
Très souvent, en effet, les relations établissement-famille se traduisent par une relation
professionnels-mère du résident. Il existe beaucoup de familles divorcées et l’interlocuteur
principal dans ces situations reste, en primauté, la mère. Le père, le plus souvent, est alors
manquant. Nous ne savons que peu de choses sur son existence si ce n’est, encore une fois,
via la mère, interlocutrice incontournable. Le père semble aussi, parfois, comme
désintéressé par cette question du projet de son enfant, comme si c’était du ressort de sa
femme. Peu de père assiste à la réunion de pré-projet et même lorsque certains y sont
présents, ils se révèlent être comme absents. Et pourtant, ce sont les pères qui sont les plus
souvent tuteurs des personnes polyhandicapées que nous recevons. Comment redonner au
père cette place qui est la sienne ? Comment l’inciter à être présent ? Comment le rendre
présent malgré son absence ? Comment le rendre présent dans ses moments de présence ?
C’est tout le débat actuel au sein des foyers Handas.
Voila retracée, assez rapidement, l’historicité du projet de vie dans les structures Handas
des Alpes-Maritimes.
La méthodologie actuelle nous montre déjà des limites, des incertitudes. Nous avons le
sentiment, en passant de cette culture de l’oral à une culture de procédures, que trop de
cadrage tue le cadrage, qu’il faut des procédures mais pas devenir procédurier. Il semble,
pourtant, que nous allions vers cette tendance. Et puis, en insistant sur la méthodologie du
48
Cf. annexe n° 8
96
projet, les discours du résident et de sa famille apparaissent, finalement, peu présents. Une
méthode qui se veut être facilitante quant à l’écoute du résident, quant au recueil de son
consentement et de ses droits et qui, paradoxalement, reste trop formalisatrice. Ainsi la
réunion ne donne plus lieu à des discussions et débats éthiques autour de la personne. Le
seul souci, finalement, c’est qu’elle ne soit plus sujette à des débordements, qu’elle se
limite au temps imparti. Comment est-on arrivé à minimiser l’essence même de ce projet,
pas un simple projet, une simple formalité mais un projet de vie, d’une vie ?
CHAPITRE III : Le projet de vie de l’adulte polyhandicapé, au
croisement de différents regards
III-1 Retour sur les récits de vie, entre convergences et divergences
L’objet de cette première partie est de mettre en lien ces trois récits de vie pour mieux en
dégager les points communs, les grandes trames. Cet éclairage permettra, peut-être,
d’apporter une analyse nouvelle sur l’ensemble des parcours de vie présentés, de porter un
autre regard sur les relations des parents à leur enfant polyhandicapé. En somme, mieux
comprendre ce qui a pu conditionner les différents choix et décisions des familles et la
place laissée à leur enfant dans leur projet de vie.
De ces trois récits de vie, nous en avons tiré les points communs suivant49
:
- réalité de grande prématurité, à la naissance,
- la famille évoque toujours une ou plusieurs erreurs médicales, qu’elle considère, le
plus souvent, comme étant à l’origine du handicap de leur enfant. Elle relie souvent
ces erreurs au contexte de l’époque,
- la famille, même encore plusieurs années après, reste profondément marquée par
l’annonce du handicap, ou par l’absence d’annonce. Parce que les mots employés
ont été difficilement accueillis, parce qu’il n’y a pas eu d’annonce proprement dite
et que la famille a du, par elle-même, aller quérir les informations et mettre des
mots sur les maux. Les récits de vie montrent aussi que, le plus souvent, la famille a
déjà compris, déjà identifié la problématique du handicap de leur enfant avant
même qu’on leur annonce, quand annonce il y a. La famille reste alors sur une
49
Cf. annexe n° 9
97
rancœur et autres sentiments à l’égard du corps médical, voire à l’encontre d’autres
professionnels. N’ayant parfois jamais pu s’atténuer au fil du temps, cette rancœur
est encore fortement présente aujourd’hui. Cela peut expliquer pourquoi la
confiance famille – institution reste si fragile et indéfiniment remise en question,
- la lourdeur du handicap, le « prix à payer », le bouleversement, reviennent sans
cesse dans les récits des familles interrogées, au point parfois, d’en vouloir à la
société dans son ensemble et d’essayer de lui faire payer pour cela, ou du moins
d’en obtenir réparation,
- de l’annonce du handicap, s’ensuit une période d’interrogations, d’incertitudes, de
doutes, d’abattements, de solitudes… Après une période « d’encaissement » du
choc, suivent des tentatives désespérées de réparations, d’expérimentations de
toutes sortes, des interpellations multiples, en quêtes de réponses et de conseils,
pour mieux comprendre et prendre soin de leur enfant. Prêtes à tout, du moment
que leur enfant s’en sorte, du moment qu’il marche ou qu’il parle… voilà le
leitmotiv de ces familles durant les premières années, faisant fi des périodes
d’abattement, de découragement,
- c’est souvent, durant ces premières années, que les familles connaissent des
expériences malheureuses. Eprouvant, d’un côté, la lourdeur du handicap et ses
conséquences : culpabilité, honte, peur de la perte, difficulté de se détacher vis-à-
vis de leur enfant et de l’autre, aspirant à se reposer, à revivre pour soi, à ce que
leur enfant soit « bien et heureux » dans un ailleurs et avec d’autres, la famille tente
des expérimentations mais sans forcément y être prête. Tout comme l’annonce
l’avait profondément marquée, ces expérimentations teintées d’échecs restent
gravées dans la mémoire familiale. C’est désormais, forte de ces échecs, que la
famille va rationnaliser ces nouvelles prises de décisions et de choix,
- les récits de vie montrent aussi toute l’importance de rencontres, des personnes-clés
déterminantes tant par leurs paroles que par leur présence, au bon moment. Les
familles parlent de hasard, le plus souvent, pour expliquer ces rencontres,
banalisant, de ce fait, leurs nombreuses démarches afin que le handicap ne soit pas
une fatalité et une fin en soit. Ces personnes-clés ont souvent été déterminantes
dans le choix et les décisions que les familles ont du prendre, en termes
d’opérations médicales, de placements institutionnels…
98
- si les familles évoquent le facteur « hasard » dans leurs prises de décision, les récits
de vie mettent en lumière, aussi, leurs mobilisations énergiques et leurs ténacités,
créant, par là-même, des opportunités. Certaines ont même été militantes dans des
associations, n’hésitant pas « à monter au créneau » pour faire valoir leurs droits.
L’absence de choix, évoquée de façon récurrente, notamment en termes de
placements institutionnels, explique qu’il y ait peu d’opportunité. Aussi lorsqu’il
s’en présente une, la famille s’empresse-t-elle, le plus souvent, de s’en saisir, de
« sauter sur l’occasion ». Les opportunités, dans le contexte de l’époque, sont rares
en termes d’institutions. L’offre ne correspond pas toujours aux attentes des
familles : la majorité des institutions, existantes à cette période, sont de grandes
tailles, peu adaptées au polyhandicap et fort éloignées géographiquement,
- en matière de placement, les familles émettent toutes le même souhait : trouver une
petite structure, adaptée au handicap de leur enfant et qui soit proche du domicile
familial. Par cette proximité, la volonté de la famille est d’éviter à leur enfant un
placement en internat, vécu, par elle, comme une épreuve douloureuse. Ce type de
placement est certes envisagé par les familles, mais le plus tard possible, quand
elles « seront prêtes » ou se vivront comme telles. Les récits de vie montrent, si
besoin était, toute la difficulté pour les familles d’être prêtes, c’est-à-dire d’accepter
que leur enfant vive en dehors d’elles-mêmes, dans un hébergement continu. Au
contraire, même, la volonté des trois familles présentées est plutôt d’essayer de le
garder le plus longtemps possible, c’est-à-dire, jusqu’à ce que leurs potentiels
physiques leur permettent. Au final, les familles finissent par se résigner au
placement de leur enfant, faute de pouvoir le garder, faute d’autres choix,
- les placements sont vécus comme de véritables tournants. Un passage obligé,
parfois violent, qui donne lieu à des questionnements, des incertitudes de la part de
la famille. Au même titre que l’arrivée d’un enfant handicapé dans une famille
génère des bouleversements et nécessite une reconstruction et un nouvel équilibre
de cette dite famille, le placement réactive le même processus. Les récits de vie
montrent que la mère a souvent été seule dans les moments décisionnels. Certes,
elle est parfois soutenue par d’autres membres de la famille, par des amis… mais
au final, ces derniers, loin de la soutenir, portent parfois des jugements ou
s’opposent aux choix de ses décisions. Les conflits intrafamiliaux sont
particulièrement vifs et manifestes, au moment où se pose la question du placement
99
de l’enfant handicapé. Celui-ci s’en trouve encore plus déchiré et coincé. Cela est
d’autant plus vrai que nous avons affaire ici à des situations de monoparentalité, où
l’absence du père souligne encore plus l’imbrication forte et pathogène, parfois,
entre la mère et son enfant polyhandicapé. La mère fait donc seule, la plupart du
temps, les choix de vie pour son enfant. Ce dernier n’est guère sollicité par sa
famille tout au long de ce processus de décision. Il s’en trouve, au mieux,
éventuellement informé,
- au final, les familles se sont dites, souvent, comme soulagées d’avoir réussi à placer
leur enfant. Le fait qu’il n’existe que peu d’institutions, à cette époque, que le choix
s’en trouvait donc limité, avait pour conséquence de générer de véritables angoisses
chez ces familles, obnubilées par cette recherche et soucieuses de trouver
l’institution idéale, avant qu’il ne soit trop tard. Mais le fait de trouver un
établissement pour leur enfant ne leur lève pas, pour autant, toutes leurs angoisses.
Il leur faut perpétuellement penser à demain. Et puis à défaut d’y penser, « ce sont
les autres qui vous rappellent à la réalité. » Ainsi, toutes ces familles ont entendu
avec effroi et stupeur cette réplique institutionnelle : « votre enfant est âgé
maintenant de dix huit ans, nous ne pouvons plus le garder. » Et de nouveau, la
famille doit se remobiliser, aller se renseigner sur les structures existantes, faire du
porte à porte, « à la manière d’un agent commercial », pour mieux « vendre » son
enfant handicapé au statut désormais d’adulte,
- dans cette recherche de placement, le projet institutionnel n’est pas forcément
déterminant dans le choix d’un établissement pour la famille. L’essentiel, pour elle,
est de trouver, à cette époque, coûte que coûte, un établissement pouvant accueillir
leur enfant. D’ailleurs, toutes ces familles nous disent que si, globalement, elles
apprécient le projet personnalisé de leur enfant, dans la manière de faire et de les
solliciter à y participer, à donner leur avis, toutes évoquent de gros écarts entre le
projet tel qu’il a été pensé et sa réalité d’application. Toutes expriment qu’elles ne
savent pas vraiment ce que font les institutions, au quotidien, en termes d’activités,
de prises en charge. Bien que participant et détenant le projet personnalisé de leur
enfant, le projet ne suffit pas à les rassurer et à les satisfaire totalement, ni à les
éclairer et à les informer sur les pratiques institutionnelles quotidiennes.
- par ailleurs, les récits de vie évoquent, souvent, des difficultés relationnelles de ces
familles avec les professionnels. Le plus fréquemment, ces mères interrogées
100
mettent en avant des problèmes de transmission d’informations, le fait qu’elles ne
soient pas toujours entendues, écoutées, et que leurs avis ne soient pas pris en
compte par les professionnels. Elles regrettent, aussi, le manque de continuité dans
les pratiques éducatives, les perpétuels changements dès lors qu’un professionnel
part et qu’un nouveau arrive. Mais au-delà de ces premières explications, les
familles soulignent des divergences de points de vue, voire de valeurs, entre elles et
les professionnels : les fondamentaux des uns, les familles, ne sont pas forcément
ceux des autres, les professionnels. Plus encore, les priorités des familles peuvent
être perçues comme étant des « détails » par les professionnels et inversement. Ces
familles n’hésitent pas à qualifier ce type de traitement des professionnels, à leur
encontre, de « maltraitance »,
- quoiqu’il en soit, les mères interviewées considèrent que leur enfant est
globalement heureux dans l’institution. Et c’est cela qui leur importe en définitive :
que leur enfant s’adapte à l’établissement, qu’il y soit bien dans un environnement
convivial et attentif,
- elles ont manifestement conscience, aujourd’hui, d’avoir surprotégé leur enfant.
Elles ont le sentiment d’avoir fait le maximum. Elles ont vécu avant tout pour lui,
concentrant tous leurs efforts et énergies à son bien-être, sans jamais renoncer.
Elles ont du traverser de nombreuses épreuves, la plupart du temps, seules. Mais
cette solitude est, de plus en plus, difficile à vivre pour elles au-fur-et-à-mesure
qu’elles vieillissent. Leurs réseaux de connaissances et de solidarités se réduisent
au fil du temps et leurs forces physiques s’amenuisent. Ces mères disent toutes
qu’elles n’ont jamais vraiment pensé à l’avenir, qu’elles avaient toujours imaginé
avoir le temps. Le temps de quoi ? Le temps de profiter de leur enfant, le temps
avant de le placer, de s’en séparer. Mais voilà, la réalité les a rattrapées et elles se
retrouvent face à une impasse, dans cette obligation de se quitter mutuellement
elles et leur enfant. Mais surtout, elles se doivent, pour la première fois de leur
existence, parfois, accepter qu’un autre, s’occupe et se préoccupe de leur enfant.
Elles sont dans l’obligation de faire confiance. Mais on n’efface pas aussi
facilement plus de quarante à cinquante ans de vie commune fusionnelle. Ces
mères ont peur de l’après, de ce que leur enfant va advenir lorsqu’elles ne seront
plus là. Elles se vivent, alors, comme non éternelles et sont inquiètes de qui va
pouvoir prendre la suite, la prise en charge de cette difficile mission. Elles savent,
101
au plus profond d’elles-mêmes, qu’elles ne peuvent pas prétendre que l’institution
prenne soin de leur enfant comme elles s’en sont occupées depuis sa naissance,
- à travers ces récits, ces trois familles interrogées dressent comme un bilan de leur
vie. L’évocation de leurs souvenirs leur rappelle que, plus que le handicap de leur
enfant, c’est le regard des autres qui leur a été le plus difficilement supportable. Des
épreuves de passages, de deuils, de morts sont récurrents tout au long du parcours
de vie des personnes polyhandicapées. Aussi, afin de les protéger de ces moments
douloureux et angoissants, les mères les ont-elles surprotégées, ne leur laissant, de
surcroît, que peu de place à être actrices de leur propre vie,
- nous en terminerons avec cette mise en perspective des récits de vie, par le fait qu’il
n’apparaît pas, selon nous, de différences fondamentales dans les réalités et valeurs
familiales suivant le type de placement de l’adulte polyhandicapé : centre d’accueil
de jour, accueil de jour avec internat séquentiel, foyer de vie. Nous dirons,
simplement, que les choses sont vécues de façon plus ou moins intenses par les
familles, suivant que leur enfant vit dans tel ou tel établissement. Ainsi, la peur de
l’avenir, de la mort est, peut-être, plus prégnante et angoissante chez les familles
dont l’enfant n’est pas encore placé en hébergement continu.
III-2 Valeurs et conceptions famille – institution autour du projet
de l’adulte polyhandicapé, entre convergences et divergences
Les familles et les professionnels ne sont pas forcément sur la même longueur d’ondes
concernant le projet de vie de la personne polyhandicapée, posant la question de la place de
l’usager dans le processus de décision.
Le cadre légal ne suffit pas pour lui reconnaître une autonomie et pour qu’il soit au
« centre du dispositif ».
De même, il est aisé de constater, même dans les institutions qui modélisent la construction
des projets personnalisés de leurs résidents, qu’il n’existe pas une réalité et un projet
identique. C’est peut-être en cela que la notion de personnalisation prend tout son sens.
102
Cette mise en perspective des conceptions famille – institution autour du projet de la
personne polyhandicapée nous a permis, dans notre travail de recherche, de repérer un
certain nombre de situations différentes dans la manière de penser la personne
polyhandicapée et sa place dans la construction de son projet de vie. Le psychosociologue,
Jean-René LOUBAT, insiste sur cette identification, pour toute institution, de son système
relationnel : « l’une des premières étapes de toute démarche de projet est d’identifier, de
cartographier le système relationnel dans lequel nous sommes amener à opérer. De facto,
chaque acteur interagit avec d’autres qui influencent son action… » 50
Nous avons choisi de rendre compte de ce système relationnel sous la forme de dix
schémas.51
50
LOUBAT J-R., Elaborer son projet d’établissement social et médico-social, Dunod (coll. Action Sociale),
Paris, 1997, p. 36. 51
Cf. annexe n° 10
103
Nous tenons à préciser que nous n’avons nulle prétention de penser que ces schémas
illustrent, de façon exhaustive, l’ensemble des situations et conceptions du projet de vie de
la personne polyhandicapée. De plus, ces constructions ne donnent pas lieu à voir la
dynamique du mouvement de cette architecture du projet. Ils sont des stéréotypes de
situations, issus de notre expérience et dans des contextes donnés. Par ailleurs, il faut
prendre acte que les trois acteurs en présence ne sont pas toujours figés sur une de ces
figures mais peuvent passer de l’une à l’autre.
Toute élaboration d’un projet de vie d’une personne polyhandicapée devrait se référer à ce
type de grille de lecture : pour le projet de Mr X., par exemple, qu’en est-il de sa place
dans l’élaboration de son projet ? Qu’en est-il du positionnement des autres acteurs,
institution-famille ? Dans le contexte actuel d’élaboration, nous nous situons sur quel
schéma de référence ? Un premier état des lieux permettant, alors, des remises en question
et un repositionnement pour mieux affirmer l’autonomie du résident dans ses choix de vie.
Difficile de concevoir pouvoir parvenir à une autonomie pleine et responsable de l’adulte
polyhandicapé (référence, figure 10) mais peut-être, qu’un véritable partenariat et
consensus entre tous les acteurs (référence, figure 1) est déjà le gage d’une véritable
reconnaissance de la personne polyhandicapée.
III-3 Vers une modification des regards et des pratiques
Sans nier l’importance des procédures, il nous apparaît, aujourd’hui, essentiel de
questionner, de nouveau, le projet tel qu’il est construit à Handas. Il est vital que la
personne polyhandicapée retrouve sa place dans l’élaboration de son projet.
L’être humain handicapé ne sera considéré comme un citoyen à part entière qu’à partir du
moment où il ne sera pas réduit au simple statut de prestataire de droits. Cet acteur est aussi
sujet à des devoirs. Etre détenteur de devoirs est aussi un droit.
Enfin, il est important de questionner le rapport familles - professionnels autour du projet
de vie du résident sous un autre angle. Les familles insistent beaucoup sur les problèmes
d’hygiène, de sécurité, sur les tracas de la vie quotidienne, lorsqu’elles sont conviées à
104
s’exprimer sur le projet de leur enfant. Les professionnels jugent souvent les demandes des
familles comme « des demandes banales ». Pour eux, l’essentiel ne se situe pas là. Ils
pensent que les priorités concernant le projet du résident, ses besoins et attentes, vont bien
au-delà de simples problématiques matérielles, basiques et quotidiennes. Si les discours
familiaux et institutionnels ne sont pas vraiment sur « la même longueur d’onde », ils
apparaissent, parfois mêmes, antagonistes, dans tous les cas, difficilement joignables.
Pourtant, il nous semble fondamental de ne pas nier ou sous-estimer le discours familial. Il
n’y a rien de banal derrière le fait que les familles se focalisent sur des questions
matérielles. Il faut se dégager des évidences des discours. Derrière ces soucis du quotidien,
nous pensons qu’il s’agit d’autre chose, une chose beaucoup plus difficile à dire et parfois
impossible à dire. Derrière les questions matérielles, de linge sale, d’argent de poche… se
jouent aussi la question du statut et du rôle des parents. Le fait que l’adulte handicapé vit
désormais dans un espace autre que familial engendre un nouvel équilibre, une nouvelle
redistribution des rôles et places. Nous pouvons alors comprendre qu’à travers ces aspects
matériels, « ces détails », que les professionnels ont tendance à mésestimer, les familles
revendiquent leurs statuts de parents. Il s’agit, pour eux, de maintenir ce lien et ce statut
malgré que leurs enfants vivent dans un autre espace et que d’autres, des professionnels,
font office un tant soit peu de substituts parentaux. Le projet personnalisé prend, là, une
autre dimension. Il est certainement le lieu, le moment où se joue le plus la question de la
place de la famille et de la substitution parentale.
« Les détails » parlent donc de reconnaissance des familles, de leurs peurs : peur de la
perte, peur de se détacher de leur enfant, de perdre son amour. Ces focalisations des
familles sont des manières d’affirmer encore leur présence, de montrer que, bien que
détacher physiquement de leur enfant, elles sont encore là, et bien-là, et qu’elles peuvent
prétendre à être présentes jusqu’au bout. « Les détails » traduisent les inquiétudes des
familles à l’encontre des professionnels : feront-ils avec mon fils ce que je faisais avec lui,
en prendront-ils soin aussi bien que moi et surtout continueront-ils à le faire une fois que je
ne serai plus là. « Les détails » parlent de l’après, de la mort des parents. Avec une telle
lecture, devons-nous toujours considérer les discours des parents comme des « détails », à
proprement parlé ? A partir de là, tout l’enjeu pour l’institution consiste à répondre à la
question suivante : quels moyens, les professionnels se donnent-ils pour accorder du crédit
aux discours des familles ? En premier lieu, il faut déjà les entendre, mais surtout quels
105
moyens, l’institution se donne-t-elle pour les écouter, pour rencontrer l’autre, la famille et
parler de ces « détails », « ces points d’achoppement » pour reprendre une expression chère
à Jean-René LOUBAT. La question des moyens n’est pas suffisante en soi.
L’institution doit aussi réinterroger son positionnement vis-à-vis des familles : les
modalités de rencontre, quand, où, avec qui, combien de temps. L’institution peut
prétendre à un accompagnement cohérent et au plus près des demandes de la famille et
surtout du résident, seulement à partir de ce positionnement et de cette organisation qui en
découle. En somme, si l’institution souhaite entreprendre une vrai démarche de projet,
entamer un vrai processus de communication avec les familles comme partenaires, elle se
doit de parler de leurs préoccupations, mais aussi aborder les points d’achoppement. Cette
mise à plat permet, selon Jean-René LOUBAT, d’améliorer les relations institution –
famille et, surtout, « de rendre jouable » ces divergences de points de vue pour en arriver à
une possible négociation autour du projet de la personne polyhandicapée.
Malheureusement, les relations professionnelles – familles se limitent, le plus souvent, à
une communication d’ordre informative, mais « si informer est une chose, faire participer,
négocier en est une autre. Négocier sous-entend un rapport de partenaire à partenaire et
signifie que l’on est prêt à rechercher un compromis, c'est-à-dire une solution
consensuelle et non pas à imposer fatalement un point de vue. »52
La difficulté pour l’institution est de veiller à ne pas confondre l’accompagnement des
familles avec l’accompagnement de la personne polyhandicapée. Si le travail de partenariat
avec les familles est primordial pour l’institution, il ne doit se faire, en termes de priorité,
qu’après l’accompagnement du résident. Faute de quoi, le risque est que ce dernier ne soit
plus au centre du dispositif pour reprendre le principe de la loi 2002-02.
De même, l’institution doit être vigilante à ne pas confondre les demandes de la personne
polyhandicapée avec son projet de vie. Les demandes sont de l’ordre du conjoncturel, de
l’action, alors que le projet de vie est plus de l’ordre des grandes orientations, des
perspectives, du sens philosophique que le résident veut donner à sa vie dans une
projection dynamique.
52
LOUBAT J-R., Elaborer son projet d’établissement social et médico-social, Dunod (coll. Action Sociale),
Paris, 1997, p. 139.
106
Le projet personnalisé du résident, tel qu’il a été pensé et élaboré à Handas aujourd’hui,
n’évite pas ces deux écueils. Il nous semble donc nécessaire d’y apporter un nouvel
éclairage, à la manière de Jean-René LOUBAT, sous l’angle essentiellement professionnel
et pragmatique. Ce parti du praticien nous permettra aussi, inévitablement, de réinterroger
nos pratiques et attitudes professionnelles, à l’encontre des résidents et de leurs familles.
En premier lieu, nous pensons souhaitable de constituer un « groupe projet », mobilisant
des professionnels aux fonctions transversales. Les résidents et les familles pourraient être
sollicités comme personnes ressources. L’idée de ce groupe de travail serait de mener une
réflexion approfondie sur la conception du projet personnalisé, tel qu’il est élaboré,
aujourd’hui, à Handas. Ce groupe pourrait réinterroger les modalités de recueil des désirs
et besoins des résidents ainsi que les niveaux de leurs participations aux différentes phases,
en veillant à aller au-delà de la simple consultation. Il est recommandé aussi de revoir et de
réadapter la grille d’entretien, afin de mieux prendre en compte la personne
polyhandicapée dans sa particularité.
Le groupe projet pourrait apporter, également, une réflexion sur les outils institutionnels
mobilisés, ou à mobiliser, pour mieux recueillir la parole de la personne handicapée. Parole
verbalisée, certes, mais pas uniquement, car la personne polyhandicapée use souvent
d’autres modes de communication, notamment non verbales. Le groupe projet se devra de
créer ou d’adapter des outils permettant de mieux prendre en compte les observations
structurées de chaque résident, pour mieux prendre en considération leurs aspirations.
Si la consultation des personnes polyhandicapées est un élément fondamental, elle doit être
complétée par des données issues d’observations quotidiennes formalisées, permettant une
évaluation de la personne et une formulation au plus proche de « son » projet de vie.
En sus de cette constitution d’un groupe projet, ce travail de recherche nous invite à penser
à la nécessité de réadapter la grille du projet personnalisé. En effet, au vu des résultats tirés
de l’expérimentation de cette trame, celle-ci met surtout en lumière des demandes
« banales » du résident, des constats ancrés dans l’ici et le maintenant. Non seulement,
cette élaboration ne permet pas d’aller au-delà de ces simples apparences, mais elle ne met
pas, non plus, en évidence la parole du résident. Cette recherche nous a inspirés une
nouvelle trame de projet personnalisé dont l’objectif est de mieux reformuler les
aspirations projectives du résident, tout en essayant de distinguer ses perspectives de celles
107
de ses proches. Elle se veut aussi de repositionner les enjeux famille – institution autour
d’une même préoccupation : « l’intérêt et l’avenir de l’usager, sous peine de le placer dans
une insoutenable double contrainte. »53
Cet intérêt commun peut favoriser un terrain
d’entente entre ces deux acteurs tout en recentrant l’usager au cœur des débats.
Expérimentons cette nouvelle trame par une illustration : Jean-Luc C., résident sur la
structure « Aurore », exprime régulièrement son envie de reprendre l’internat séquentiel
avec Danièle P., résidente de « l’Abadie ». Jean-Luc et Danièle ont fait partie du même
groupe d’internat pendant quelque mois, pour leur plus grande joie. Mais, très rapidement,
la famille de Jean-Luc a sollicité l’institution pour qu’elle modifie le groupe d’internat afin
que Jean-Luc et Danièle soient séparés. Face au refus de l’institution, les parents ont
préféré retirer leur fils de l’internat. Jean-Luc et Danièle en ont particulièrement souffert.
Dans cette nouvelle trame, le premier souci de l’établissement, autour du projet
personnalisé de Jean-Luc, consistera à chercher à préciser sa demande : « je veux
reprendre l’internat avec Danièle ». Derrière cette formulation simple et conjoncturelle,
l’éducateur se devra d’y repérer ce qui peut être, éventuellement, de l’ordre d’une
orientation dynamique et existentielle. Pour cela, le référent sera amené à reformuler les
demandes. Mais cette reformulation n’est pas sans risque. C’est là, tout l’enjeu de cette
nouvelle grille. Pour éviter une mauvaise évaluation, le référent veillera à s’appuyer sur les
attentes formulées par le résident. Formulées et formalisées… le référent s’appuiera sur les
comptes-rendus d’entretiens et de réunions dans lesquels a été abordée cette demande de
Jean-Luc. En s’appuyant, le plus possible, sur ses paroles, en prenant en compte
l’ensemble de ses interlocuteurs, sur un laps de temps suffisamment conséquent, nous en
arriverons à la deuxième phase de son projet personnalisé : après le temps du recueil de sa
parole, le temps de la reformulation.
Première reformulation possible par rapport à son désir de reprendre l’internat avec
Danièle : « Jean-Luc nous montre qu’il vise à construire et à s’épanouir, et qu’il peut
élaborer des relations soutenues et privilégiées avec des individus, en dehors du groupe de
la collectivité. »
53
LOUBAT J-R., Elaborer son projet d’établissement social et médico-social, Dunod (coll. Action Sociale),
Paris, 1997, p. 203.
108
Deuxième reformulation possible : « Jean-Luc souhaite connaître autre chose que les
moments familiaux. De temps en temps, hors contexte familial, il souhaite s’expérimenter à
de nouvelles relations. »
D’autres reformulations sont sans doute envisageables.
Le projet de vie de Jean-Luc pourrait donc être formulé ainsi : « tout en souhaitant
continuer à vivre au domicile familial, Jean-Luc aspire à vivre aussi, dans un ailleurs,
des moments privilégiés avec d’autres personnes. »
Ce travail de reformulation a plusieurs intérêts.
Il permet, déjà, comme nous l’avons dit précédemment, d’aller au-delà d’une simple
demande.
Il permet aussi, et surtout, de mieux saisir les aspirations du résident, d’autant plus qu’il y a
parfois des contradictions entre la demande formulée et son désir non formulé, mal formulé
ou de façon paradoxale. Enfin, ce travail peut mettre en évidence des écarts entre des
possibles projections, représentations, des familles, des professionnels et la véritable
demande du résident, entre des effets attendus et des effets imprévus. Lorsque la famille
demande à l’institution de modifier le groupe d’internat de Jean-Luc, puis décide même de
le priver d’internat, afin qu’il ne vive plus cette relation privilégiée avec Danièle, que dit
cette famille ? Elle entend quoi du désir de son fils, de sa demande formulée ? Nous
sommes là dans les écarts évoqués ci-avant. Là où leur fils parle de relation privilégiée, de
profiter de moments à lui… la famille parle ou plutôt ne parle pas. Mais pas besoin de mots
pour comprendre que la relation de leur fils avec une femme polyhandicapée leur fait peur.
Peur de la perte, que Jean-Luc s’éloigne d’eux, de perdre son amour, qu’il accède à un
statut d’adulte autonome bien loin de « ce petit à soigner. » Mais surtout, l’association de
ces deux mots : « relation » avec « privilégiée », fait résonnance chez la famille en termes
de sexualité… mot tabou, peur ancestrale. Certes, rien ne dit que Jean-Luc n’aspire pas à
un tel désir lorsqu’il dit qu’il veut refaire de l’internat avec Danièle, mais il semble que,
pour lui, l’essentiel n’est pas là ou pas encore.
109
Le projet de vie reformulé pourrait être rajouté à la trame actuelle du projet personnalisé,
de même qu’un chapitre sur les liens familiaux.54
Il est primordial, là-aussi, de réinterroger
le travail de liens famille-institution autour de l’élaboration du projet. Le but de cette
rencontre n’est pas forcément que la famille exprime le même projet que celui de leur
enfant mais, si différence il y a, cette rencontre se devra de travailler sur ces écarts de
points de vue. L’objectif de ce travail de partenariat est de, peu-à-peu, pouvoir déplacer les
choses, recentrer le débat sur la personne polyhandicapée et ses désirs. Pour se faire, il est
nécessaire d’alimenter ce lien communicationnel famille-institution, par les paroles des
résidents, en se référant aux écrits ou/et par sa présence, si possible active.
Pour reprendre l’illustration relative au désir de Jean-Luc de vivre des temps privilégiés
avec Danièle, tout le travail avec sa famille va consister à aborder les axes suivants : quels
sont les moyens permettant à Jean-Luc de vivre des temps hors familiaux ? L’internat
séquentiel sera donc, inévitablement, évoqué mais pas seulement. Il est possible de
réfléchir à d’autres modalités : les aides à domiciles pour permettre des sorties à l’extérieur
par exemple, des séjours de vacances intra ou extérieur à Handas, privilégier des temps
individuels dans les temps collectifs institutionnels…
CONCLUSION TROISIEME PARTIE : L’accompagnement vers le
partenarial, une question de temps
54
Cf. annexe n° 11
110
Cette troisième partie montre que la relation institution – famille est une pierre angulaire
du projet personnalisé du résident. Le partenariat avec la famille est une collaboration tout
aussi indispensable que complexe. Parents et professionnels ont souvent le désir commun
et la volonté de dialoguer autour du projet de l’adulte polyhandicapé mais ces rencontres
sont parfois teintées d’enjeux concurrentiels dans lesquels, il s’agit « de ne pas perdre la
face », pour reprendre une expression chère au Sociologue américain, Ervin GOFFMAN.
Deux logiques et deux postures s’affrontent, alors que pourtant, chacun, famille,
professionnel, est reconnu et attendu comme « expert » dans l’accompagnement de l’adulte
polyhandicapé : schématiquement, le professionnel, avec son approche technicienne, et la
famille, avec son approche relationnelle de proximité. Afin d’éviter une « bataille
d’experts », et des conflits sans fin autour du projet du résident, il est primordial de
reconnaître, en premier lieu, la compétence de chacun, dans des fonctions et des rôles tout
autant différents. C’est par ce travail de reconnaissance sur les différences et les
ressemblances, qu’il peut y avoir une réelle relation famille-institution et une modification
des représentations de l’un envers l’autre. Mais, dans ce travail de partenariat, il ne faut
surtout pas ignorer la troisième logique, la logique du savoir. Si le professionnel dispose de
connaissances théoriques et de technicités pratiques, si la famille peut faire valoir ses
expériences relationnelles de proximité, qui est plus enclin que la personne adulte
polyhandicapé à savoir ce qu’elle désire, ce qui est le mieux pour elle ? Qui mieux qu’elle
peut savoir ce qu’elle ressent et éprouve ? Qui mieux qu’elle sait ce qu’elle aime, ce
qu’elle n’aime pas ? Qui mieux qu’elle connaît ses peurs, ses limites, ses possibilités ?
Prétendre, à l’image de Carl ROGERS, que l’adulte polyhandicapé détient un savoir,
permet au professionnel de postuler que le résident n’éprouve pas systématiquement les
mêmes désirs que ceux de sa famille et de l’institution à son encontre.
Dans cette situation, la famille et l’institution n’empruntent pas vraiment le même chemin.
Mais l’important n’est pas le chemin que l’on prend, mais la direction et l’objectif à
atteindre. L’institution ne doit jamais oublier l’optique finale, le projet de vie du résident.
C’est cela l’essentiel. A tout moment, l’institution doit être prête à changer de chemin pour
y parvenir, empruntant, là, celui inspiré par la famille, empruntant, là, un chemin opposé.
L’impasse n’est pas une question de chemins à prendre, c’est lorsque la famille et
l’institution ne se dirigent pas vers la même direction. Supprimer l’internat, peut-être, mais
111
à condition d’emprunter un autre chemin permettant à Jean-Luc et à Danièle de vivre des
moments privilégiés en dehors des temps familiaux.
CONCLUSION
112
Le droit des usagers n’est pas né dans les seules limites de nos frontières et ne date pas
d’hier. Nous avons montré à quel point, ces dernières années, l’accent a été mis vers une
affirmation toujours plus prononcée des droits des personnes dites « vulnérables ». Le
projet de vie s’inscrit en droite ligne dans ces nouvelles aspirations, vers une plus grande
recherche de consentement et veille à ce que la personne soit actrice de sa vie. Pour autant,
la loi et sa philosophie suffissent-elles pour garantir cette place centrale de la personne
polyhandicapée ? C’était là l’enjeu de notre mémoire de recherche. A travers ces règles
légales et leurs traductions, le risque n’est-il pas plutôt à l’instrumentalisation des usagers ?
Projet subi ou projet consenti ?
La première partie de notre mémoire a montré à quel point le polyhandicap génère une
dépendance et un isolement. Le déficit en autonomie de ces personnes en situation de
handicap limite profondément leurs possibles, d’où l’inévitable nécessité d’une tierce
personne afin de les accompagner dans la réalisation de la majeure partie de leurs actes au
quotidien. La présence d’un tiers créait, de fait, un rapport asymétrique entre lui et la
personne polyhandicapée dont « elle a la charge ».
Par une approche anthropologique, nous avons repéré que le projet et sa démarche de
personnalisation s’inscrivent dans un contexte d’évolution des mentalités. La tendance
d’aujourd’hui est à rééquilibrer cette relation asymétrique et de la recentrer sur la personne
handicapée. Mais plus encore, le projet est un engagement. L’objectif de cet engagement,
nous dit Jean-René LOUBAT, est « de transformer la personne marginalisée en un
gestionnaire de sa vie » et pour se faire, la société a repensé son rapport à la personne
handicapée : « désormais, ce n’est pas tant un usager qui est incorporé dans un
établissement dont il doit épouser les règles de vie qu’une équipe institutionnalisée qui se
met au service d’un bénéficiaire en lui proposant une prestation adaptée à sa situation. »55
La notion de projet, mise en avant par la loi, est aussi et avant tout, une posture de la part
des professionnels, qui requiert une relation fondée sur une réflexion éthique du sujet,
comme étant détenteur de savoirs. Recentrer l’usager au centre de son projet, nécessite
donc une posture et une attention de la part des professionnels mais pas uniquement. Le
55
LOUBAT J-R., Elaborer son projet d’établissement social et médico-social, Dunod (coll. Action Sociale),
Paris, 1997, p. 124.
113
périmètre du projet de la personne polyhandicapée doit prendre en compte tout autant son
environnement proche et sociétal que son contexte conjoncturel.
Que pensez de la validation du projet dès lors où la personne n’est pas au centre du
dispositif ? Que pensez de la représentation et de sa valeur dès lors où le résident ne peut
affirmer librement et de façon autonome ses droits ?
Nous avons postulé dans notre mémoire de recherche que le projet de vie ne garantissait
pas à la personne polyhandicapée qu’elle avait le choix de sa vie.
Il nous a semblé, dans un premier temps, nécessaire de bien qualifier ce que nous
entendions par projet de vie afin de pouvoir, ensuite, mieux le mettre en tension avec la
réalité de l’adulte polyhandicapé.
Cette mise en tension a montré que la personne polyhandicapée, vivant au sein d’un
établissement, est inscrite dans une dépendance à l’autre, dans une relation duelle. Mais
nous avons constaté, à travers notre méthodologie des récits de vie, que « la présence de la
famille instaure inévitablement une relation triangulaire qui vient complexifier
l’élaboration et la réalisation du projet de vie du résident. La présence de la famille vient
perturber la relation duelle, professionnel-résident, dans le cadre réglementé et rassurant
de l’institution, »56
de là des situations relationnelles professionnel-famille parfois
conflictuelles et difficilement gérables.
Pourquoi alors associer la famille au projet de l’adulte polyhandicapé au sein de
l’institution ? Pourquoi cette association apparaît-elle aussi importante ? Comment
l’associer tout en veillant à ce que la personne polyhandicapée reste au centre des
préoccupations ?
Pour Jean-René LOUBAT, la famille n’est pas un partenaire comme un autre mais « un
partenaire génétique, »57
qui a des liens essentiels et privilégiés avec l’usager. Aussi, est-il
nécessaire, selon lui, que le projet soit construit avec le soutien et l’apport de la famille,
faute de quoi, « on ne peut réussir qu’à placer l’usager dans un double lien. »58
56
LOUBAT J-R., Elaborer son projet d’établissement social et médico-social, Dunod (coll. Action Sociale),
Paris, 1997, p. 210. 57
LOUBAT J-R., Elaborer son projet d’établissement social et médico-social, Dunod (coll. Action Sociale),
Paris, 1997, p. 221. 58
ibid.
114
Effectivement, il nous semble impensable de se passer de l’expertise des parents mais cette
recherche a montré qu’il fallait sans cesse trouver le juste équilibre afin, d’une part que le
résident ne soit pas dépossédé de son projet, ni que de son projet, on en vient à concevoir
un projet familial ou institutionnel. Loin de nous, en effet, l’idée de considérer la famille
comme seule prégnante sur le projet du résident, la prégnance se situe aussi parfois du côté
de l’institution. Pour éviter ces subjectivités, il est important de recentrer les débats sur
l’essentialité du projet, sur les points communs famille-institution, à savoir le résident et
ses objectifs de vie, mais nous avons montré aussi toute l’importance de parler des points
d’achoppement, les « fameux détails » évoqués dans les récits de vie. Pour sortir de ces
possibles impasses relationnelles, l’institution se doit de recueillir la parole du résident et
de s’y référer sans cesse, notamment dans ses discussions avec les familles.
Est-ce pour autant que la personne polyhandicapée sera actrice de son propre projet de
vie ?
Nous avons voulu, dans un premier temps, dépasser la simple explication suivante : du fait
de la lourdeur de son handicap, le résident ne peut pas espérer être acteur pleinement de sa
vie. Etre acteur ne se limite pas à la question de la plénitude des moyens physiques. Ce
serait réduire la personne à une entité corporelle. Et puis l’explication est un peu simpliste.
Il est aisé de constater que des personnes valides ne sont pas libres de disposer de leur vie
alors que pourtant, elles en ont les capacités physiques. Etre acteur dépend aussi des
compétences intellectuelles de l’individu et de sa volonté et de son désir d’y parvenir.
Certes, la plupart des personnes handicapées d’Handas manque d’expériences
d’autonomie, ayant souvent été ballotées et sous la dépendance d’un autre depuis la prime
enfance, mais le travail des professionnels n’est-il pas justement de leur faire découvrir
leur pouvoir d’emprise sur le monde qui les entoure ?
Etre acteur de sa vie, faire ses propres choix pose la question aussi de la participation.
Spontanément, nous aurions tendance à penser que le fait que les résidents ne soient pas
présents physiquement durant la réunion de projet, par exemple, sous-entend que la
personne handicapée n’est pas maître de ses choix de vie. Si la présence est certes
souhaitable, elle ne garantit nullement que la personne sera plus écoutée et au centre du
débat. L’important est, quoiqu’il en soit, de la rendre présente. C’est la mission des
115
référents en particulier, de l’animateur de la réunion… de faire remonter les propos du
résident… Et surtout d’en tenir compte.
Alors projet subi ou projet consenti ?
Au terme de cette recherche, nous affirmons que le projet de vie ne garantit pas à la
personne polyhandicapée qu’elle a le choix de sa vie. Néanmoins, nous pensons que la
démarche projet a rendu possible une place nouvelle de la personne polyhandicapée
dans notre société.
Cette démarche doit se poursuivre dans le sens de la loi 2005 pour aller plus loin encore
dans la reconnaissance de cette personne en tant que citoyenne détentrice de droits mais
aussi de devoirs.
A partir de cette étude analytique du projet, nous en sommes arrivés à questionner les
relations famille-personne polyhandicapée-institution, soulignant à quel point que si nous
parlons beaucoup du résident, lui parle peu.
Tout au long de cette recherche, nous avons constaté aussi que la notion du temps était
récurrente à la notion de projet, au cœur même des relations famille-institution, une sorte
de dénominateur qui pourrait faire l’objet d’une prochaine hypothèse : « les différents
acteurs ne s’inscrivent pas sur la même temporalité. »
Cette différence de temporalité joue sur les rapports des uns avec les autres et sont à
l’origine, pour beaucoup, des incompréhensions mutuelles entre les familles et les
professionnels, notamment autour du projet de l’usager et dans la représentation que
chacun a des potentialités, de la place et du rôle de la personne polyhandicapée.
Mais si l’intérêt commun parents-professionnels est le projet de vie du résident, il est
possible de dépasser ces subjectivités temporelles, sources d’incompréhension et de non
dialogue.
Tout cadre développeur se doit aussi d’être compétent dans le domaine de la mobilisation
des ressources afin d’apporter des réponses aux besoins des usagers. Pour se faire, nous
avons élaboré notre méthodologie au-delà d’une simple démarche analytique, dans une
volonté d’action et de perspective.
116
Notre première force de proposition a été de réinterroger les attitudes de chacun dans la
manière d’accompagner la personne polyhandicapée au quotidien mais, plus
particulièrement, dans ses moments de prises de décision. L’accompagnement ne doit pas
être une « prise en charge », source de lourdeur et de représentation de la personne comme
objet de soins. A l’image du « to care » anglais, l’accompagnement se veut de « prendre
en compte » la personne dans sa globalité et dans son environnement, L’accompagnement
de la personne polyhandicapée dans ses choix de vie à travers son projet se décline, non
seulement comme une suite d’actes concrets à réaliser et à mettre en place, mais aussi en
termes de dynamique relationnelle à constituer. La posture d’accompagnement doit
toujours garder en visée finale l’intérêt de l’individu. Le professionnel ne doit pas limiter
son accompagnement à ce que la personne polyhandicapée « ait un projet » mais aussi, il
devra porter attention au fait que cette personne peut, elle-même, « être en projet » au sens
de devenir, au sens d’évoluer et d’accéder à d’autres statuts de maturité.
Notre volonté a aussi été de réinterroger les relations famille-institution en dressant,
notamment, une cartographie des relations autour du projet du résident, entre enjeux et je.
Cette démarche s’est voulu d’interroger les points d’achoppements, le but n’étant pas que
chaque acteur pense et agisse de la même manière mais que le travail s’amorce autour des
différences.
De là avons-nous préconisé une nouvelle grille de projet personnalisé, de revisiter
l’organisation actuelle d’élaboration des projets afin de redonner la place qui doit être la
sienne au résident, à savoir au centre des préoccupations. Pour cela, il est important de
recueillir son avis mais aussi sa participation aux différentes phases. Cette implication, si
elle est incontournable, ne va pas forcément de soi. Elle n’est pas une simple formalité. Il
faut que chacun, famille, professionnel et surtout personne polyhandicapée, en soit
convaincu. Lorsque ce recueil s’avère difficile, le professionnel se doit d’exploiter d’autres
modalités et notamment le langage non verbal, l’observation directe…
Ces préconisations ne peuvent faire l’économie, non plus, d’une exigence de qualification,
de formation des personnels, tant dans l’accompagnement au quotidien des résidents, dans
leur fonction de référent que dans les relations avec les familles et autres partenaires.
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Enfin, notre recherche ne serait pas terminée sans évoquer les limites, voire perspectives de
notre travail.
La première de ces limites – perspectives concerne la méthodologie employée des récits de
vie. Il nous semble judicieux de compléter les récits familiaux par ceux des professionnels
et des résidents. Il s’agirait d’interroger ces deux autres membres de la triangulation sur les
mêmes modalités que les familles afin de mesurer et d’analyser les points de divergences et
de convergences sur les questions de temporalité et de la notion de projet. Il aurait pu être
intéressant aussi d’interroger une quatrième famille concernant un résident qui vient
récemment de retrouver son domicile familial. Mais, l’éloignement géographique de cette
famille (au Brésil) n’a pas permis cet entretien.
La deuxième limite principale de notre recherche concerne les mesures de protection. Nous
les avons peu évoquées alors que le débat est d’actualité avec la récente réforme des
tutelles (projet de loi adopté par le parlement le 22 février 2007 – Entrée en vigueur en
janvier 2009). Cette nouvelle loi s’est voulue de rénover l’ensemble des protections des
personnes vulnérables, l’ancienne loi, datant de 1968, ne pouvant répondre à l’ensemble
des besoins actuels. Non seulement, en effet, les personnes bénéficiant de telles protections
sont de plus en plus nombreuses mais les domaines d’intervention se sont aussi étendus.
De la seule gestion des biens et défense des intérêts juridiques, les mesures portent,
maintenant, aussi, sur des décisions liées à l’existence et à la protection de la personne dite
« vulnérable ». Avant cette réforme, beaucoup de majeurs protégés ont subi des abus de
tuteurs peu scrupuleux voire des actes de malveillance. Cette réforme se veut de pallier à
ces dérives en privilégiant la protection de la personne sur la protection de ses biens. Cette
loi s’est voulue aussi plus souple et plus rapide dans l’instauration des mesures. Enfin, la
loi a mis l’accent sur la primauté de la famille lors de la désignation du délégué à la tutelle.
Alors que cette loi est d’actualité et que le tuteur est un interlocuteur privilégié dans toute
institution de personnes polyhandicapés, il peut sembler préjudiciable de ne pas avoir
questionné les rapports de la tutelle avec les autres membres de la triangulation autour du
projet du résident.
C’est donc sciemment que nous n’avons que peu évoqué ces mesures. En premier lieu,
parce que toutes les personnes polyhandicapés ne bénéficient pas de protections juridiques.
L’expérience nous montre aussi que les relations familles – professionnels ne sont pas
fondamentalement différentes que ces familles soient tutrices ou non de leur enfant. Quant
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aux tutelles exercées par des organismes privés habilités, il s’avère que les délégués à la
tutelle sont peu présents durant l’élaboration et le suivi des projets de vie des résidents.
Certes, ils sont associés dans les décisions relevant de leur mission mais leurs
préoccupations restent surtout focalisées sur la question des moyens financiers du majeur
protégé. Par contre, il nous apparaît que le rapport famille – personne polyhandicapée à
tendance à se modifier lorsque la famille est reconnue comme tutrice. Ainsi, en tant que
professionnel, avons-nous été témoin de ce changement chez une famille. Lors de la mort
de ses parents, une sœur a été désignée tutrice de son frère, handicapé. Le lien frère et sœur
s’est alors modifié au fil du temps, leurs relations se limitant à des appels téléphoniques
autour de la question de l’argent. Le « pécunier » est devenu le seul vecteur de
communication entre eux. Fidèle aux lois de 2002-02 et de 2005, cette réforme se veut de
mettre la personne vulnérable au centre du dispositif pour mieux la protéger dans son entité
de personne et par rapport à la gestion de ses biens et de son patrimoine. Mais en conférant
à la famille cette mission de délégué à la tutelle de leur enfant, le risque est d’accentuer la
« mainmise » de la famille sur la vie de la personne à protéger.
Si nous avions insisté sur cette question de la tutelle, nous avons craint qu’elle influence
trop notre hypothèse, occultant de ce fait toutes autres possibilités d’explication dans la
mesure où les régimes de protection posent un état de dépendance légal de fait. De plus,
nous avons mis l’accent sur le facteur de la monoparentalité dans le choix de nos récits de
vie, partant du postulat que ce facteur contribuait encore plus à créer de l’interdépendance
entre la personne polyhandicapée et sa famille. Insister sur la tutelle aurait surajouté à ce
facteur de la monoparentalité. Ces deux modalités peuvent certes se côtoyer mais il ne
nous semblait pas nécessaire d’insister sur ces facteurs de dépendance.
Pour conclure, notre recherche s’est efforcée de montrer les limites du principe : « l’usager
au centre du dispositif », pour de telles personnes lourdement handicapées au regard de
leurs déficiences, de leurs dépendances aux autres… Quoiqu’il en soit, si nous regrettons,
au final, dans ce mémoire, que la personne polyhandicapée n’est pas toujours actrice de sa
propre vie, cette recherche met en lumière aussi un paradoxe : nous avons beaucoup parlé
du résident, nous avons interrogé des familles, évoqué les relations au sein de la
triangulation mais à aucun moment, nous n’avons interrogé l’adulte polyhandicapé, ni
même sa place lors de la réunion d’élaboration de son projet de vie. Par ces manques,
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n’avons-nous pas répondu à l’hypothèse soulignant un peu plus l’aspect nécessaire mais
quelque peu utopique de rendre l’adulte polyhandicapé acteur de sa propre vie ?
Alors projet subi ou projet consenti ?
Au terme de cette recherche, nous parlerons plutôt de « projet négocié », terme emprunté à
Jean-René LOUBAT… Sorte d’entre deux idéalisé à défaut d’être idéal.
Enfin, il nous apparaît tout autant naïf et préjudiciable de prôner le retour aux valeurs du
passé que de penser que le seul fait de la loi permet de libérer les potentialités
individuelles. L’action sociale se doit de s’adapter à l’évolution de la société et à ses
problématiques, notamment le vieillissement des personnes polyhandicapées. Elle devra, si
elle souhaite continuer dans cette voie du respect des droits de l’usager, prendre aussi en
compte son corollaire, les devoirs qui lui incombent. La personne polyhandicapée a droit
aussi à des devoirs. Paradoxalement, c’est, peut-être plus à travers ce versant des devoirs,
que celui des droits, qu’elle pourra prétendre à un statut de citoyen à part entière.
Inspirée par la loi de 2002-2, la démarche qualité s’est imposée dans les établissements
sociaux et médico-sociaux non sans moult résistances. Emergeant du secteur privé et de
l’entreprise, les travailleurs sociaux ont redouté qu’elle ne soit prétexte qu’à des économies
d’échelle et mutualisation des besoins. Il lui était reproché aussi de n’être qu’une
« facétie » de management, en prétendant à la participation de tous alors que les « dés
étaient pipés » dans la mesure où la décision, au final, reste du ressort de la Direction. La
démarche qualité est, peut-être, un peu de tout cela mais elle aspire à autre chose. Elle
s’inscrit dans cette évolution des conceptions et valeurs. Elle donne du sens, dans la
pratique, à ce principe « de l’usager au centre des préoccupations. » Les guides de bonne
pratique, les réflexions autour de la bientraitance… animent aujourd’hui l’action sociale.
Le train est en marche vers une évaluation des pratiques afin d’améliorer
l’accompagnement au quotidien de la personne polyhandicapée dans le cadre du respect de
ses droits et vers sa participation toujours plus authentique et réelle.
La démarche qualité nous incite à penser que la reconnaissance du statut de la personne
polyhandicapée en sujet de droits et de savoirs, n’en est pas terminée et qu’elle ne peut que
continuer à s’approfondir.