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© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi: Douleurs (2008) 9, hors-série 2, 10-12 Le rachis lombaire douloureux : pièges et erreurs thérapeutiques à éviter D’après la communication du Dr Anne Coutaux Service de rhumatologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13, France Conduite pratique devant une lombalgie aiguë La prise en charge thérapeutique d’une lombalgie aiguë com- mune rencontre de multiples difficultés. La lombalgie commune représente 85 % de la totalité des lombalgies. Elle recouvre différentes entités médicales avec des degrés variables d’in- capacité fonctionnelle et de chronicité dont le clinicien doit faire la part. Faute de corrélation anatomo-clinique, les images radiologiques ne renseignent pas sur la structure anatomique responsable de la douleur. Il n’y a pas non plus de corrélation entre les données de l’examen clinique initial du patient (rai- deur rachidienne, intensité de la douleur …) et son évolution en termes d’incapacité fonctionnelle, ou de statut professionnel. Les études récentes sur le traitement antalgique de la lombalgie aiguë sont très peu nombreuses. L’intérêt est porté actuellement sur les facteurs de passage à la chronicité des lombalgies communes et sur la mise en place du modèle bio- psycho-social considérant le patient dans sa globalité dès la phase aiguë. Les recommandations internationales préconisent d’évaluer d’emblée la douleur et la fonction rachidienne, mais aussi la sensation d’être en bonne santé, le contexte social (familial et professionnel) et la satisfaction du traitement. Traitement Les mesures thérapeutiques ont pour objectif initial de diminuer l’algie de la lombalgie puis essentiellement Correspondance. Service de rhumatologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital75651 Paris Cedex 13, France Adresse e-mail : [email protected] d’éviter le passage à la chronicité, lourd poids dans notre économie de santé. Le traitement traditionnel Le traitement additionnel de la lombalgie aiguë associait la prescription d’un repos au lit prolongé jusqu’à disparition des douleurs à un traitement médicamenteux comprenant un antalgique de palier I, à prendre en fonction de la douleur, un AINS par voie intra-musculaire et un décontrac- turant sédatif pour améliorer la compliance du patient vis à vis du repos. Il était préconisé d’informer le patient de l’existence probable d’une pathologie discale et du risque de survenue d’une sciatique dont il devait surveiller la sur- venue des symptômes potentiellement graves. L’explication livrée par le radiologue contribuait à la notion de gravité en évoquant la présence sur les clichés d’arthrose articulaire postérieure ou de lésions disco-vertébrales et leur implica- tion dans la genèse de la douleur. L’arrêt de travail durait de 7 à 30 jours. Cette prise en charge à présent remise en question, semble optimale pour transformer un lumbago banal en une lombalgie chronique invalidante ! Principes du traitement actuel La lombalgie aiguë doit être considérée comme une « urgence thérapeutique » car très rapidement la peur de la douleur devient plus incapacitante que la douleur

Le rachis lombaire douloureux : pièges et erreurs thérapeutiques à éviter

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Page 1: Le rachis lombaire douloureux : pièges et erreurs thérapeutiques à éviter

© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:

Douleurs (2008) 9, hors-série 2, 10-12

Le rachis lombaire douloureux : pièges et erreurs thérapeutiques à éviter

D’après la communication du Dr Anne Coutaux

Service de rhumatologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13, France

Conduite pratique devant une lombalgie aiguë

La prise en charge thérapeutique d’une lombalgie aiguë com-mune rencontre de multiples diffi cultés. La lombalgie commune représente 85 % de la totalité des lombalgies. Elle recouvre différentes entités médicales avec des degrés variables d’in-capacité fonctionnelle et de chronicité dont le clinicien doit faire la part. Faute de corrélation anatomo-clinique, les images radiologiques ne renseignent pas sur la structure anatomique responsable de la douleur. Il n’y a pas non plus de corrélation entre les données de l’examen clinique initial du patient (rai-deur rachidienne, intensité de la douleur …) et son évolution en termes d’incapacité fonctionnelle, ou de statut professionnel.

Les études récentes sur le traitement antalgique de la lombalgie aiguë sont très peu nombreuses. L’intérêt est porté actuellement sur les facteurs de passage à la chronicité des lombalgies communes et sur la mise en place du modèle bio-psycho-social considérant le patient dans sa globalité dès la phase aiguë.

Les recommandations internationales préconisent d’évaluer d’emblée la douleur et la fonction rachidienne, mais aussi la sensation d’être en bonne santé, le contexte social (familial et professionnel) et la satisfaction du traitement.

Traitement

Les mesures thérapeutiques ont pour objectif initial de diminuer l’algie de la lombalgie puis essentiellement

Correspondance. Service de rhumatologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital75651 Paris Cedex 13, France Adresse e-mail : [email protected]

d’éviter le passage à la chronicité, lourd poids dans notre économie de santé.

Le traitement traditionnel

Le traitement additionnel de la lombalgie aiguë associait la prescription d’un repos au lit prolongé jusqu’à disparition des douleurs à un traitement médicamenteux comprenant un antalgique de palier I, à prendre en fonction de la douleur, un AINS par voie intra-musculaire et un décontrac-turant sédatif pour améliorer la compliance du patient vis à vis du repos. Il était préconisé d’informer le patient de l’existence probable d’une pathologie discale et du risque de survenue d’une sciatique dont il devait surveiller la sur-venue des symptômes potentiellement graves. L’explication livrée par le radiologue contribuait à la notion de gravité en évoquant la présence sur les clichés d’arthrose articulaire postérieure ou de lésions disco-vertébrales et leur implica-tion dans la genèse de la douleur. L’arrêt de travail durait de 7 à 30 jours.

Cette prise en charge à présent remise en question, semble optimale pour transformer un lumbago banal en une lombalgie chronique invalidante !

Principes du traitement actuel

La lombalgie aiguë doit être considérée comme une « urgence thérapeutique » car très rapidement la peur de la douleur devient plus incapacitante que la douleur

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Le rachis lombaire douloureux : pièges et erreurs thérapeutiques à éviter 11

elle-même. Au-delà de trois semaines d’évolution non favorable, il convient de recenser les facteurs de passage à la chronicité afi n de mieux les cibler.

Les modes de prise en charge prédisposant à la chro-nicisation des lombalgies aiguës sont la multiplicité et la spécialisation des recours médicaux ou paramédicaux, la précocité des examens d’imagerie d’autant plus qu’ils sont « positifs », la prescription d’antalgiques majeurs durant plus de 7 jours et la rééducation trop précoce [1].

La qualité de l’information au patient conditionne l’évolution de la lombalgie comme le montre l’étude d’Abenhaïm [2]. Ce travail portant sur 1848 travailleurs en arrêt de travail pour lombalgie, s’intéresse à l’évolution de la maladie sur 2 ans en fonction du type de diagnostic qui leur a été donné au cours des 7 premiers jours.

Les résultats du suivi à long terme révèle que le groupe des patients auquel il avait été donné un diagnostic initial spécifi que « lésion vertébrale et/ou discale » a un risque relatif d’être encore en arrêt de maladie au bout de six mois de 4,9 par rapport au groupe de patients avec un diagnostic non spécifi que comme « douleur, tour de reins, dérangement, étirement » (Figure 1).

L’information du patient doit être claire, compréhensi-ble, sans détails physiopathologiques et la plus rassurante possible sur l’évolution bénigne de la lombalgie.

Traitement médicamenteux

D’après une étude mené sur 6 000 patients en médecine générale, l’EVA moyenne de la lombalgie est de 57,2 ± 22,7 mm [3].

Les recommandations européennes préconisent l’utilisa-tion du paracétamol en première intention éventuellement

associé à des AINS et si la douleur persiste, un décon-tracturant musculaire [4]. En cas d’échec thérapeutique, il est proposé un opioïde faible de palier 2. L’objectif de réduction de la douleur de 35 mm nécessite une évaluation régulière du traitement [5].

Repos

Plusieurs études concluent que le repos n’améliore pas l’évolution de la lombalgie aigüe ; il ne doit donc pas être conseillé et encore moins prescrit. Selon les recomman-dations européennes, un arrêt de travail n’est envisagé que si les contraintes au travail sont supérieures à celles des activités quotidiennes [6]. Le maintien des activités est encouragé en fonction des douleurs. En France, en 2004 le repos au lit était « encore » recommandé dans 27,6 % des lombalgies aigues pour une durée moyenne de 4,4 jours [3].

Un travail récent montre une corrélation entre l’impor-tance de la crainte de la douleur lombaire chez le médecin évaluée par le FABQ (Fear Avoidance belief Questionnaire) et la prescription de repos ou d’arrêt de travail avec repos à son patient [7].

Diagnostic étiologique

Les examens radiologiques ne sont pas recommandés avant 6 semaines d’évolution défavorable de la lombalgie, sachant qu’il n’y a aucune corrélation anatomo-clinique et que l’unique objectif des radiographies est d’éliminer les lombalgies secondaires.

60 %50 %40 %30 %20 %10 %0 %

1 mois 2 mois 3 mois 4 mois 5 mois 6 mois

Diagnostic spécifique Diagnostic non spécifique

Figure 1. Taux de patients en arrêt de travail en fonction du diagnostic initial.

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12 D’après la communication du Dr Anne Coutaux

Évolution et surveillance

Selon les données classiques, 75 % des patients souffrant de lombalgie commune sont guéris au bout d’un mois. Des études plus récentes indiquent qu’à 3 mois d’évolution, 40 % des patients peuvent être encore lombalgiques.

Lorsque la lombalgie persiste au-delà de 3 semaines, le médecin doit rechercher les facteurs de chronicisation. Ces facteurs (yellows fl ags) actuellement bien identifi és se met-tent en place très tôt dans l’évolution de la lombalgie aiguë : ce sont les croyances erronées (parallélisme entre l’intensité de la douleur et la gravité de la lésion), un comportement inapproprié vis-à-vis de la douleur (repos au lit, peur du mou-vement), l’insatisfaction dans le travail ou l’arrêt de travail prolongé, les troubles émotionnels (dépression, anxiété, stress, repli sur soi…)

Conclusion

Les enjeux personnels et sociaux justifi ent un effort particulier des soignants pour quitter le modèle médical classique au profi t d’une vision plus vaste du problème, et d’une moins grande technicité.

Considérer la lombalgie aigüe « différemment » devrait faire évoluer l’incidence des lombalgies chroniques dans les années à venir.

Références

[1] Mahmud MA, Webster BS, Courtney TK, Matz S, Tacci JA, Christiani DC. Clinical management and the duration of di-sability for work-related low back pain1. J Occup Environ Med 2000;42:1178-87.

[2] Abenhaim L, Rossignol M, Gobeille D, Bonvalot Y, Fines P, Scott S. The prognostic consequences in the making of the initial medical diagnosis of work-related back injuries. Spi-ne 1995;20:791-5.

[3] Rozenberg S, Allaert FA, Savarieau B, Perahia M, Valat JP;Groupe Rachis de la Société française de rhumatologie. Compliance among general practitioners in France with recommendations not to prescribe bed rest for acute low back pain. Joint Bone Spine 2004;71:56-9.

[4] van Tulder MW, Tuut M, Pennick V, Bombardier C, Assendelft WJ. Quality of primary care guidelines for acute low back pain. Spine. 2004;29:E357-62.

[5] van der Roer N, Ostelo RW, Bekkering GE. Minimal clinically important change for pain intensity, functional status, and general health status in patients with nonspecifi c low back pain. Spine 2006;31:578-82.

[6] van Tulder MW, Koes B, Malmivaara A. Outcome of non-invasive treatment modalities on back pain:an evidence-based review. Eur Spine J 2006;15 (Suppl 1):S64-81. Epub 2005 Dec 1.

[7] Coudeyre E, Rannou F, Tubach F, et al. General practitio-ners’fear-avoidance beliefs infl uence their management of patients with low back pain. Pain 2006;124:330-7. Epub 2006 Jun 5.