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PROJET D’EXPÉDITION SUR LA FRONTIERE BRÉSIL/GUYANE FRANÇAISE Juin-juillet 2015 François-Michel Le Tourneau Directeur de recherche au CNRS Centre de recherche et de Documentation des Amériques UMR 7227 CNRS/Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle I Présentation du projet Aux termes de l’arbitrage suisse de 1900, la frontière entre la Guyane française et le Brésil est constituée de deux tronçons distincts. Le premier est le fleuve Oyapock, de son embouchure à sa source. Le second est la ligne de partage des eaux entre le bassin de l’Amazone, au sud, et ceux des fleuves Oyapock et Maroni, au nord. Cette frontière a été tardivement reconnue et matérialisée, en particulier en ce qui concerne le second tronçon. Ce n’est que durant les années 1950 que des missions coordonnées par l’IGN installeront sept bornes sur cette longue ligne (320 km) allant du point de trijonction Brésil/Surinam/Guyane française, déterminé en 1938, à la source de l’Oyapock. Ces bornes, et la ligne de partage des eaux qu’elles matérialisent, traversent d’est en ouest la région dite « des monts Tumuc Humac », dont la difficulté d’accès a longtemps à la fois empêché les explorations et enfiévré les imaginations. Le célèbre explorateur Henri Coudreau a voulu y voir des sortes de Pyrénées amazoniennes, n’hésitant pas à en exagérer les altitudes au besoin. Comme le montre Jean Marcel Hurault, il a fallu attendre les années 1960 et les relevés topographiques exacts pour que l’on s’aperçoive qu’il n’y avait dans la région aucune chaîne de montagne mais bien une série de collines d’altitude faible (300 m.) à moyenne (500 m.) dont le relief « en demi-oranges » est caractéristique de l’érosion en milieu tropical.

Le Raid Des Sept Bornes

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Le Raid Des Sept Bornes

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  • PROJET DEXPDITION

    SUR LA FRONTIERE BRSIL/GUYANE FRANAISE

    Juin-juillet 2015

    Franois-Michel Le Tourneau

    Directeur de recherche au CNRS

    Centre de recherche et de Documentation des Amriques

    UMR 7227 CNRS/Universit Paris 3 Sorbonne Nouvelle

    I Prsentation du projet

    Aux termes de larbitrage suisse de 1900, la frontire entre la Guyane franaise et le Brsil est constitue de deux tronons distincts. Le premier est le fleuve Oyapock, de son embouchure sa source. Le second est la ligne de partage des eaux entre le bassin de lAmazone, au sud, et ceux des fleuves Oyapock et Maroni, au nord.

    Cette frontire a t tardivement reconnue et matrialise, en particulier en ce qui concerne le second tronon. Ce nest que durant les annes 1950 que des missions coordonnes par lIGN installeront sept bornes sur cette longue ligne (320 km) allant du point de trijonction Brsil/Surinam/Guyane franaise, dtermin en 1938, la source de lOyapock.

    Ces bornes, et la ligne de partage des eaux quelles matrialisent, traversent dest en ouest la rgion dite des monts Tumuc Humac , dont la difficult daccs a longtemps la fois empch les explorations et enfivr les imaginations. Le clbre explorateur Henri Coudreau a voulu y voir des sortes de Pyrnes amazoniennes, nhsitant pas en exagrer les altitudes au besoin. Comme le montre Jean Marcel Hurault, il a fallu attendre les annes 1960 et les relevs topographiques exacts pour que lon saperoive quil ny avait dans la rgion aucune chane de montagne mais bien une srie de collines daltitude faible (300 m.) moyenne (500 m.) dont le relief en demi-oranges est caractristique de lrosion en milieu tropical.

  • Le raid des 7 bornes Projet dexpdition sur la frontire guyanaise

    Bien que peu lev, ce relief nen reste pas moins lobstacle principal une traverse est-ouest de la rgion. En effet, dans la mesure o il noffre pas de ligne directrice, il nest pas possible dy optimiser son trajet en passant de valle en valle ou de ligne de crte en ligne de crte. Il faut donc affronter la rptition des innombrables collines, et prs de 15 000 mtres de dnivel positif cumul le long de la ligne frontire. Le rseau hydrographique, par ailleurs, ne peut servir pour une telle traverse. Il est en effet orient exactement perpendiculairement la ligne de partage des eaux, scoulant vers le sud sur le versant brsilien et vers le nord sur le versant guyanais.

    Pour ces raisons, allies lloignement qui rend difficile le ravitaillement, la traverse est-ouest des monts Tumuc Humac na jamais t ralise in extenso par une expdition, la plupart des explorateurs ayant soit travers la ligne de partage des eaux ses extrmits est (passage Oyapock-

    Cuc) et ouest (passage Litany / Mapaoni) soit par son centre (passage Alice / Culari ou Camopi / Culari). Les expditions de dmarcation de la frontire elles-mmes ont ralis des explorations transversales partir de la remonte des cours deau guyanais (Marouini, Tampak / Alice, Camopi).

    Qui plus est, il est important de noter que lors de ces expditions le tronon ouest entre la borne 1 et le point de trijonction Brsil /

    Surinam / Guyane Franaise na pas t ralis car la ligne de partage des eaux semblait apparatre clairement sur les photographies ariennes.

    Lobjectif du raid des sept bornes est donc de raliser la traverse est-ouest de la rgion des Tumuc Humac, en un seul parcours, de la borne n7 la borne de trijonction. Ce raid permettra de remplir une srie dobjectifs allant de relevs cologiques et de paysage la prcision de certains points concernant le trac de la frontire, en passant par le perfectionnement des techniques de progression en fort profonde. On espre galement que cette opration pourra participer au renforcement de la coopration avec le Brsil sur la ligne de frontire.

    II Objectifs

    1. Objectifs scientifiques

    Le raid propos souhaite contribuer lavance de la connaissance scientifique de la rgion des Tumuc Humac en tirant avantage de son originalit, savoir la possibilit de raliser coupe longitudinale de toute la rgion frontalire. Trois objectifs seront principalement viss cette occasion :

    Photo 1 : paysage de la rgion frontire (zone de la trijonction)

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    a. La ralisation dune reconnaissance gographique de la rgion de la frontire, qui permettra de confirmer la succession des diffrents types de paysage, de prciser linterprtation des documents de tldtection par des points de contrle au sol et de vrifier les formations cologiques rencontres sur la frontire. Celles-ci pourront tre corrles aux altitudes et type de relief rencontrs. Toutes ces observations seront prcises par la collecte de points GPS. Le principe de la reconnaissance gographique nest pas de raliser des observations lourdes sur lensemble du parcours mais de produire un inventaire de long de son parcours qui permettra la ralisation postrieure dautres oprations dans les zones dintrt qui auront t dtermines et qui pourront tirer avantage de lensemble des informations recueillies (configuration du drainage, du relief, possibilits daccs, emplacements de campements, obstacles divers, etc.).

    b. La ralisation dinventaires cologiques rapide le long de la ligne de progression et de points de collecte dchantillons lors des journes de pause dans la progression (voir section III). Ces inventaires seront importants puisque raliss sur une interface cologique entre le bassin de lAmazone et celui des principaux fleuves de la Guyane, le Maroni et lOyapock. On sera particulirement attentif la possibilit de dtecter la prsence de certaines espces absentes ou peu prsentes en Guyane mais frquentes en Amazonie brsilienne, comme le noyer du Brsil (Bertholetia Excelsea), dtect dans le zone de frontire lors de lexpdition Mapaoni alors quil est rput absent de la rgion de la frontire. On sattachera aussi quantifier et qualifier la reconqute vgtale des clairires ouvertes autour des bornes et entretenues plus ou moins rgulirement au cours de missions ddies organises par les FAG. On travaillera enfin sur la vgtation proximit des inselbergs et sur sa spcificit.

    c. La confrontation systmatique des informations recueillies et de la configuration actuelle de la frontire avec les documents historiques (rapports du sergent La Haye de 1728, explorations de Henri Coudreau et rapports de la mission de dlimitation de J.-M. Huhrault, notamment) afin de confirmer ou dinfirmer certains points, comme la prsence des forts de cacaoyer sauvages autour de la borne 5.

    d. La description gographique des conditions contemporaines de la rgion frontalire, en insistant sur les traces de passage humain (Amrindiens, orpailleurs, etc.) ou au contraire sur leur absence. La prsence

    ventuelle de noyers du Brsil (voir 1.b) pourrait ainsi tre relie une ancienne prsence amrindienne dans cette zone,

    Photo 2 : document de la mission de dlimitation de la frontire, 1956-57

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    atteste par les textes anciens mais encore trs mal localise.

    A linterface entre la question cologique et la question gographique, nous poserons un questionnement scientifique nouveau pour la rgion en cherchant prciser la localisation des marais palmiers Wassai (Euterpe Oleracea) sur la ligne de partage des eaux. Nous pensons en effet que ces grandes zones humides qui occupent bien souvent les cols de la rgion, en particulier dans la partie ouest de la ligne de partage des eaux, pourraient avoir des dynamiques de drainage qui oscillent entre nord et sud en fonction des prcipitations, ce qui conduirait revoir la dfinition de certains points de la frontire (voir plus bas).

    2. Objectifs cartographiques

    Le trac de la frontire terrestre entre le Brsil et la Guyane franaise demeure mal connu sur le plan topographique. Il a t tabli partir de photographies ariennes prises en 1955-56 et confirm sur le terrain au dbut des annes 1960, ce qui a conduit limplantation de 7 bornes, soit en moyenne une tous les 30 km. Par la suite, une densification des bornes a t conduite dans les annes 1980, conduisant la pose de trois bornes intermdiaires entre les bornes 6 et 7 dans les annes 1980, et le drainage de la rgion a t prcis par la comparaison entre les relevs des annes 1950 et le modle numrique de terrain de la mission amricaine SRTM.

    De ces informations, plusieurs imprcisions demeurent. En particulier, le sens exact du drainage dans certains secteurs de la frontire demeure incertain, et des rectifications envisages pour les cartes existantes (par exemple au voisinage de la borne 4) pourraient tre utilement appuyes par des relevs de terrain. Ces relevs pourraient par ailleurs donner des lments concernant lhypothse mise plus haut sur lindtermination du drainage dans certains secteurs marcageux.

    Carte 1 : les monts Tumuc Humac cartographis par Henri Coudreau (1893).

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    Enfin, dans la mesure o le tronon ouest de la frontire na pas fait lobjet dun relev de terrain, lexpdition propose pourra permettre de pallier ce manque.

    3. Objectifs tactiques

    Le raid propos reprsente une premire sur le plan sportif et humain et il ncessitera une grande excellence dans divers domaines dont celui de lorientation (avec et sans instruments), de la topographie, des techniques de dplacement en fort, de la logistique et de la survie en fort profonde. Runissant des partenaires qui disposent chacun de savoir-faire trs pointus dans tous ces domaines, il permettra chacun de perfectionner ses techniques et dapprendre de nouvelles manires de procder, tout en montrant au grand public lexpertise acquise.

    Le raid permettra aussi un nettoyage rapide des clairires autour des bornes (ce qui amnera aussi des lments sur la reconqute vgtale des clairires ouvertes prcdemment, cf objectif 1.b) et une reprcision des coordonnes GPS de chacune.

    4. Objectifs institutionnels

    Le raid reprsentera une excellente occasion pour les institutions qui y participeront (PAG, FAG) de montrer leur prsence et leur capacit dintervention dans cette rgion isole. On espre galement une coopration avec des institutions brsiliennes comme larme de terre (34e BIS) ou le parc national Montagnes de Tumucumaque. De ce point de vue, et en fonction de la disponibilit de ces partenaires, lopration propos pourra savrer une excellente opportunit pour renforcer la coopration franco-brsilienne sur le terrain.

    Carte 2 : carte au 1/50 000e de la commission binationale de frontire (1987).

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    III Organisation / Logistique

    Le raid prvu devrait se drouler sur une priode de 30 45 jours, avec un dpart programm le 2 juin 2015. Il sera men par un groupe rduit dune quinzaine de participants comprenant le coordinateur scientifique et le coordinateur de la partie des inventaires botaniques, un reprsentant de chacun des deux parcs nationaux, un ou deux guides de fort brsiliens et une section de marche du 3e REI.

    Linsertion dans la zone devrait se raliser par hlicoptre, de manire dmarrer le raid la borne 7. Lquipe progressera ensuite en autonomie le long de la ligne frontire en ralisant des tapes denviron 10-12 km par jour en fonction de la difficult du terrain. Le parcours se fera sans layonnage, lors dune progression lgre en fort qui devra sadapter le mieux possible la topographie. A chaque borne, soit dans lidal tous les 4 jours, lquipe montera un campement plus important afin de stationner une journe entire pour effectuer les relevs botaniques et rafrachir les clairires.

    Tronon Longueur (km) Dnivel cumul positif (m) Dnivel cumul positif (m) Borne Trijonction borne 1 38,7 2675 -2914 Borne 1 Borne 2 45,57 2658 -2469 Borne 2 Borne 3 47,31 2521 -2462 Borne 3 Borne 4 55,82 2746 -2782 Borne 4 Borne 5 49,41 1894 -1869 Borne 5 Borne 6 42,93 1454 -1416 Borne 6 Borne 7 42,17 871 -850 TOTAUX 321,91 14819 -14762

    Tableau 1 : longueur des tronons entre chaque borne et dnivel cumul

    Dans lidal, des ravitaillements seront pr-positionns (par hlitreuillage ou largage) chacune des bornes, ce qui permettrait lquipe de terrain dallger le poids transporter lors de chacune des tapes. Au minimum un ravitaillement devra tre envisag tous les 15 jours. Les clairires dj ouvertes autour des bornes pourront tre facilement rouvertes pour permettre ces oprations.

    IV Partenaires

    Le raid des 7 bornes permettra la coopration de diverses institutions, ce qui reprsente en soi un objectif intressant.

    CNRS/CREDA (coordinateur scientifique)

    Le CNRS coordonnera la partie scientifique de lopration par le biais du gographe Franois-Michel Le Tourneau. Directeur de recherche, celui-ci dispose dune vaste exprience concernant le montage dexpditions en zone frontalire entre le Brsil et la Guyane franaise, ayant notamment dirig les expditions Mapaoni (2011) et Culari (2013). La premire a permis de remonter le fleuve Jari et la rivire Mapaoni, sur le versant brsilien, jusqu la borne de trijonction. La seconde a permis de raliser une liaison entre les villes de Laranjal do Jari et de Maripasoula en ralisant une traverse

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    des monts Tumuc Humac par la borne n5. La plus grande partie du trajet, soit plus de 380 km, a t ralise la rame. Ces expditions ont donn lieu des publications scientifiques, en particulier le livre Le Jari, gohistoire dun grand fleuve amazonien (Presses universitaires de Rennes).

    F.M. Le Tourneau assurera la direction scientifique des oprations et la liaison avec les lments des FAG engags dans lopration. Il en coordonnera par ailleurs avec les responsables de ces lments la conduite tactique. Sur le plan scientifique, une coopration est en cours de formalisation avec le Jardin botanique royal de Kew (Royaume Uni). Le botaniste William Milliken, directeur du dpartement de flore tropicale dans cette institution et galement vtran de nombreuses expditions en fort profonde, devrait coordonner la partie des inventaires floristiques.

    FAG/3e REI (coordinateur logistique)

    La logistique et le principal support de lexpdition sera le 3e REI command par le colonel Alain Walter. Disposant dune excellence reconnue dans le domaine de la survie en fort tropicale et gestionnaire du centre dentranement la fort quatoriale (CEFE), ce rgiment fournira un groupe de cadres et de volontaires expriments qui formeront lossature de lquipe de terrain. Le REI coordonnera la logistique avec les forces ariennes de Guyane, qui seront sollicites pour linsertion de lquipe sur zone et son extraction, ainsi que pour des ravitaillements en cours de route.

    Parc Amazonien de Guyane (PAG)

    Photo 3 : lexpdition Culari sur la borne n5 (aot 2013).

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    Lensemble du parcours sera ralis dans la zone cur du Parc amazonien de Guyane et en coopration avec ce dernier. Dans la mesure du possible, un fonctionnaire du PAG sera incorpor dans lquipe de terrain.

    Parc national montagnes de Tumucumaque (PNMT)

    Le PNMT a dj signal son intrt pour lopration qui se situe sur la limite de son territoire et qui permettra damliorer la connaissance scientifique de la zone et de prparer de futures expditions sur les points les plus intressants qui seront recenss. Son directeur, Christoph Jaster, souhaite la participation dun membre du PNMT dans lquipe de terrain.

    V Budget CNRS et contreparties

    Les partenaires prendront leur charge la plus grande partie de lopration propose. Les forces armes en Guyane proposent notamment un soutien arien pour la logistique (pour mmoire une heure de vol de Puma revient 10 000 et les forces armes de Guyane ont provisionn au minimum 15h pour la mise en place et lextraction des personnels), la mise disposition de personnels et la fourniture de ravitaillement et de moyens spcifiques (radio, infirmerie/soins, etc.). Les autres partenaires pourront mettre disposition du personnel et certains moyens en leur possession (matriel de fort).

    Du ct du CNRS, il serait ncessaire de disposer dun budget minimal de manire offrir une contrepartie lengagement de nos partenaires. Ce budget servirait notamment financer :

    - La mobilit du coordinateur de projet vers la Guyane et retour en fin de mission 1 000 - Achat de matriels divers 1 000 - Communication satellitaire 500 - Embauche dun mateiro de So Francisco do Iratapuru 2 000 - Voyage A/R depuis Macap du mateiro 500 - 3 heures de vol dhlicoptre pour effectuer un des ravitaillements 4 500

    TOTAL 9 500

    Lembauche dun mateiro brsilien est destine permettre un change de comptence entre les savoirs des populations vivant dans la fort et les forces armes de Guyane. La connaissance de ces populations tant lun des points forts de laction du CNRS, cette participation est un aspect important pour la valorisation de nos comptences. On notera que la participation de ce type de personnel a t fondamentale pour le succs des expditions prcdentes. Elle permettra aussi des changes importants pour la partie botanique.