Le rapport de la Fondation Abbé Pierre

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    Prface

    Voici 20 ans que la Fondation Abb Pierre existe. 20 ans quelle travaille auprs

    des dfavoriss pour permettre chacun de disposer dun toit digne et dcent.20 ans dactions et de soutien en direction des plus fragiles, 20 ans dobservation

    du mal-logement en France, 20 ans de propositions, de sensibilisation du grand

    public et de travail permanent auprs des pouvoirs publics. Et pourtant, la ralit

    est cruelle : la situation du logement dans notre pays sest progressivement

    aggrave et les personnes en difficult se comptent dsormais aussi parmi les

    classes moyennes. Le problme du logement est devenu un problme majeur

    de socit.

    Cest le sens du diagnostic que nous dressons, qui montre que les orientations

    choisies par la puissance publique ont trs souvent oubli les besoins sociaux

    alors qu'ils auraient d au contraire figurer comme les fondements de

    toute politique du logement Cest injuste et incomprhensible. Et cela conduit

    fragiliser ou aggraver la situation de mnages de plus en plus nombreux.

    Une telle dimension, atteignant linadmissible, a conduit la Fondation

    sengager dans une Mobilisation gnrale pour le Logement . Elle la fait

    en tablissant une plateforme de propositions concrtes, en partenariat avec

    la socit civile, dont les pouvoirs publics seraient bien inspirs de semparer.

    Car la France qui souffre ne peut plus attendre : lorsque prs de 10 millions depersonnes subissent au quotidien les consquences de la crise du logement,

    les demi-mesures ne suffisent plus et cest dune large ambition dont nous

    avons besoin. Il faudra que le Prsident de la Rpublique lu et les futurs

    parlementaires sachent sinvestir pleinement pour assurer lensemble de leurs

    concitoyens de trouver un toit digne et dcent, et rpondant leurs besoins.

    Labb Pierre avait coutume de dire Cest quand chacun dentre nous attend

    que lautre commence quil ne se passe rien. Alors nattendons plus.

    Ry EEEPrsident de la Fondation

    Abb Pierre

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    Ont particip la prparation de ce Rapport :

    Comit de pilotage et dexpertsAnimation : Christophe RobertPatrick Doutreligne,Ren Ballain,

    Yves Colin,Josette Delpiano,Noria Derdek,

    Jean-Claude Driant,Sylvie Guichard,

    Julien Leplaideur,Anne-Claire Mjean-Vaucher,Bruno Six,

    Joaquim Soares,Didier Vanoni.

    Contributeurs externesPCE : Ren Ballain (avec la participation de Yolande Encinas, Ccile Gabelle, BastienMontanvert de lObservatoire de lHbergement et du Logement de lIsre).

    FRS-Recherche Sociale :Didier Vanoni (avec la participation de Benjamin Badia, Juliette Baronnet, SarahFaucheux-Leroy, Pauline Kertudo et Julien Leplaideur).

    nstitut dUrbanisme de Paris : Jean-Claude Driant.

    EH : Benot Filippi.

    Groupe de pilotage interne la Fondation bb PierreLe Prsident, Raymond Etienne, et les administrateurs de la Fondation Abb Pierre,Salaris et bnvoles : Michel Blanchard, Fathi Bouaroua, Pierre Bouisset, RolandBourglan, Erwan Bretel, Malika Chafi, Mireille Charonnat, Patrick Chassignet, MichleCrmieux, Isabelle Daumares, Pascal Dujardin, Agns El Majeri, Vronique Etienne,

    Julia Faure, Franois Fassy, Philippe Girier, Sylvie Guichard, Thierry Hergault, ChristianLaidebeur, Stphanie Lamarche-Palmier, Bertrand Lapostolet, Antoine Laurendeau, SylvieLeroux, Geoffroy Malcor, Dominique Mallay, Guy Marion, Patrick Meyer, Frdrique Mozer,Pascal Paoli, Delphine Picard, Michel Raynaud, Brigitte Riou, Daniel Robequain, MarieRothhahn, Mat Salanne, Solange Schwartzmann, Florine Siganos, Clmentine Sinquin,Vronique Stella, Marc Uhry, Dominique-Ccile Varnat, Jean-Marie Vieux.

    Personnes auditionnes dans le cadre de la prparation du rapportSabine Basili (Capeb), Xavier Benoist et Rmi Girard (Fdration des Pact), Anne Berty(Nantes Mtropole), Jolle Bordet (Cstb), Gilles Bouvelot (Epfif), Loc Chapeau (Ffb),Claude Chaudires (Uniopss), Jean-Michel David (Fapil), Claire Delpech (Adcf), Jean-

    Jacques Denisart (Cfdt), Gilles Desrumaux (Unafo), Sophie Donzel, Perrine Dubois(Fnars), Elodie Flumet (Csf), Loc Gandais (Cg IdF), Vronique Gilet (Alpil), Guilhem Isaac-Georges (Arf), Patrick Kamoun (Ush), Jean-Pierre Labroille (Cgt), Patrice Lanco, Marie-Annick Lannou (Ville et Habitat), Victoire Le Cur (Secours Catholique), Nelly Lordemus(Emmas Habitat), Fabrice Peigney et Damien Kacza (Ces Anru), Marc Pigeon (Fpi), GuyPotin (Rennes Mtropole), Corinne Rinaldo (Cnl), Pascal Robin (Cgl), Michel Rouge etRmy Nouveau (Grand Lyon).

    Coordination de la fabrication : Yves Colin.

    ide la relecture : Sylvie Leroux, Pavlina Novotny, Delphine Picard, Mighelina Santonastaso,Clmentine Sinquin.

    irecteur scientifique de louvrage : Ren Ballain.

    Responsable de la rdaction : Christophe Robert.

    irecteur de la publication : Patrick Doutreligne.

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    Sommaire

    PRFCE U PRSE............................................................3

    Chapitre 1epuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

    1. Le logement, source de proccupation majeure etfacteur dinscurit sociale .................................................. 15

    2. Les effets sociaux de la crise du logement ......................... 27

    3. Le problme du logement est un rel problme de socit 37

    Chapitre 2

    epuis trop longtemps, des choix politiques pour le logementni justes, ni solidaires

    1. Politique nationale contestable,politiques locales sous pressions ....................................... 57

    2. Des politiques qui mettent mal la cohsion sociale ........ 75

    3. Quelles politiques pour les personnes dfavorises face la massification des problmes ? .................................... 85

    Chapitre 3Le tableau de bord du mal-logement

    1. Le mal-logement :ses formes et ses manifestations ......................................... 111

    2. Une crise du logement sans prcdent :causes et dterminants ..................................................... 143

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    Chapitre 4Pour un vritable changement dorientation des politiquesdu logement en France

    1. Premier axe dintervention : Produire suffisammentde logements accessibles partouto les besoins existent ................................................... 175

    2. Deuxime axe dintervention : Rguler les marchset matriser le cot du logement .................................... 189

    3. Troisime axe dintervention : Plus de justice sociale et de solidarit ........................ 197

    4. Quatrime axe dintervention :

    Construire une ville quitable et durable :un impratif pour vivre ensemble .................................. 207

    nnexes

    Commentaires des chiffres du mal-logement 2012 ............. 225

    Glossaire .............................................................................231

    Bibliographie ...................................................................... 237

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

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    introduction

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    Il y a dix-sept ans, lors de la publication du premier rapport sur ltat dumal-logement en France, la Fondation Abb Pierre nimaginait pas quunphnomne encore relativement limit puisse prendre lampleur quilconnat aujourdhui. Il apparaissait alors circonscrit aux personnes larue ou prives de domicile personnel, ainsi qu celles qui prouvaientdes difficults pour accder un logement autonome (les sortants destructures dhbergement ou de foyers de jeunes travailleurs notamment)ou pour sy maintenir du fait des alas de la vie1. Mais ces difficultsconcernaient alors un nombre restreint de personnes et semblaient plusconjoncturelles, sachant que la statistique publique stait peu penchesur la question. La situation a bien chang et sest fortement dgrade aucours des dix dernires annes, priode durant laquelle le mal-logement,loin de rgresser, sest dvelopp et profondment enracin.

    Le mal-logement voque dabord la figure emblmatique du sans-abri oucelle de personnes vivant dans des conditions indignes dinsalubrit ou desurpeuplement. Figures rcurrentes auxquelles se sont progressivementadjointes toutes les personnes prouvant des difficults pour accder un logement ou pour en changer : celles qui sont confrontes son cotcroissant ou qui sont conduites procder des arbitrages difficilesdans leurs budgets, et se trouvent parfois dans limpossibilit de payerleur loyer, voire sous la menace dune expulsion. Cest ainsi que lesvisages du mal-logement se sont diversifis et renouvels, donnant auphnomne une ampleur nouvelle et proccupante.

    Au-del des personnes sans domicile dont le nombre est estim 133 000en France2, ce sont prs de 700 000 personnes qui sont prives dedomicile personnel3. La privation dun chez-soi4 est donc devenue unphnomne massif et inquitant. Pour ceux qui sont logs, le logementnoffre pas toujours des conditions dhabitat satisfaisantes. Si le confortdes logements sest considrablement amlior depuis un demi-sicle5,on assiste un renouvellement des situations problmatiques dhabitat(avec la mise en vidence de la prcarit nergtique par exemple) ainsiqu lobsolescence de certaines parties du parc immobilier dans lesecteur Hlm comme dans le patrimoine priv (le phnomne des copro-

    prits dgrades en tmoigne). Un processus de dgradation dautant

    1 Ces situations sont particulirement cibles par la loi du 31 mai 1990 visant mettre en uvre le droitau logement pour les personnes dfavorises.2 Pierrette Briant, Nathalie Donzeau, Insee Premire n1330, tre sans domicile, avoir des conditionsde logement difficiles , janvier 2011.3 Selon les chiffres du mal-logement prsents en 2011 par la Fondation Abb Pierre, 685 116 personnessont prives de domicile personnel en France dont 133 000 sans-domicile, 18 116 personnes en rsidencessociales ex-nihilo (hors FTM et FJT), 38 000 personnes rsidant en chambre dhtel, 85 000 en habitationde fortune et 411 000 en hbergement contraint chez des tiers. Rapport sur ltat du mal-logement 2011.4 La notion de personnes sans chez-soi a t propose par Vincent Girard, Pascale Estecahandy etPierre Chauvin dans leur rapport La sant des personnes sans chez-soi. Plaidoyer et propositions pourun accompagnement des personnes un rtablissement social et citoyen , novembre 2009.

    5 Seulement 1,3 % des rsidences principales sont considres comme inconfortables, ce qui reprsentetout de mme 350 000 logements, que lon trouve principalement dans quelques grandes agglomrations,notamment lagglomration parisienne, ou en zone rurale.

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

    introduction

    plus rapide que les aides publiques consacres la rhabilitation duparc existant sont en chute libre. Pour ceux qui sont logs, le logementnapporte pas davantage une protection durable. Le dcouplage entrelvolution du cot du logement et celui du revenu des mnages a eneffet gnr une inscurit rsidentielle nouvelle pour des personneset familles qui taient jusqu une priode rcente relativement labri.Enfin et cette volution nest pas la moins proccupante pour desmillions de mnages, il est de plus en plus difficile de trouver un loge-ment et de pouvoir en changer(80 % des Franais partagent cette appr-ciation)6. Aux difficults que rencontrent les mnages pour accder unlogement ou sy maintenir sajoutent dsormais des possibilits limitesde mobilit pour bon nombre dentre eux. Pour ceux-l, les perspectivesdune amlioration de la situation rsidentielle se rduisent, que ce soitpour adapter la taille du logement la composition de la famille, pourchanger de quartier ou de ville ou pour accder la proprit. Tout sepasse comme si se superposait dsormais une panne de lascenseurrsidentiel la panne de lascenseur social.

    Les donnes globales sur la crise du logement que la Fondation AbbPierre actualise chaque anne soulignent lampleur dun phnomnequi concerne aujourdhui plusieurs millions de personnes : 3,6 millionsde personnes sont non ou trs mal loges et plus de 5 millions depersonnes supplmentaires se trouvent en situation de relle fragilitde logement court ou moyen terme. Dintensit variable, le mal-logement touche de faon spcifique les diffrentes catgories sociales.

    Les plus vulnrables ont vu leurs difficults sapprofondir alors quele primtre du mal-logement slargissait aux salaris modestes etaux couches intermdiaires. Les formes du mal-logement et ses effetssociaux sont alors diffrents selon que lon est pauvre ou prcaire,ou bien que lon appartient aux couches populaires ou aux classesmoyennes.

    Si le dveloppement du mal-logement est proccupant, cest parcequil apparat la croise des logiques conomiques et sociales(qui dterminent les capacits des individus accder un logement

    dcent et sy maintenir dans de bonnes conditions) et des logiquesde march qui structurent loffre immobilire. Les volutions sociales,familiales et conomiques inscrites dans la dure7 et dont les effetsse cumulent souvent, renforcent la fragilisation des mnages enqute de logement, alors que laccs au logement est essentiellementsoumis aux rgles du march et que loffre est de moins en moinsadapte aux nouvelles ralits de la socit franaise. Elle resteen effet aveugle et insensible aux transformations de la famille,

    6 Sondage IPSOS pour Nexity, Septembre 2011.

    7 Ce qui a conduit Robert Castel voquer le prcariat pour qualifier la mutation du rapport autravail et des protections quil apportait le temps long pour les volutions socio-dmographiques ou laprcarisation du rapport au travail.

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

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    introduction

    laugmentation du nombre de mnages dune seule personne, commeau vieillissement de la population et au dveloppement de la pauvretet de la prcarit. Ni les politiques du logement ni ses acteurs, nonten effet su anticiper lacclration des volutions de la socit (statutsfamiliaux protiformes lis la divortialit mais aussi llargissementde la constellation familiale, la flexibilit du travail et de lemploi)et favoriser ladaptation du logement cette nouvelle donne sociale.Dans ces conditions, ni le secteur de lhbergement compos denviron300 000 places, ni le parc Hlm, dont les capacits daccueil sont limites(moins de 500 000 attributions par an), ne peuvent eux seuls rparerles dgts du fonctionnement non matris du march immobilier.

    La situation est dautant plus difficile que la crise conomique, quisvit depuis 2008, a incontestablement jou un rle dacclrateurdans ce processus (progression du chmage, basculement dans lapauvret, dveloppement des emplois prcaires). Elle a contribu assurer le passage relativement rapide dun tat protg un tat danslequel les personnes sont plus exposes et plus vulnrables (entre2004 et 2007, avant mme le dclenchement de la crise, un Franaissur cinq avait travers une priode de pauvret). On assiste ainsi lapropagation de la prcarit dans toutes les couches de la populationdont les ressources se situent en-dessous de la mdiane (cest--direles pauvres, les personnes revenus modestes et au moins la moitides classes moyennes). Ce qui conduit une sollicitation accrue desdispositifs daccompagnement, dbords par la monte de la pauvret

    et de la prcarit, et rendre de plus en plus indispensables les aidesquapportent les associations caritatives et humanitaires.

    La crise fragilise aussi des mnages qui, jusqu une date rcente,taient protgs des difficults de logement. Lvolution divergente desrevenus et du cot du logement cre une nouvelle zone de fragilit etprovoque un largissement des publics concerns par des difficultsde logement. Les risques dviction du logement se trouvent ainsirenforcs et de nouvelles catgories de population sont touches :les salaris modestes sont exposs une inscurit professionnelle

    et rsidentielle, les portes de lemploi et du logement sont difficiles franchir pour de trs nombreux jeunes, et de nouvelles cohortes deretraits pauvres ne peuvent plus faire face au cot du logement quilsoccupent.

    Mais, au-del dun affaiblissement des positions individuelles, ce sontsurtout les perspectives dvolution qui se sont bouches et les espoirsde promotion sociale qui se sont teints. Si la situation actuelle conduit laffaiblissement de certains et au dcrochage dautres, elle semblesurtout annoncer une tendance plus gnrale trs proccupante :

    laffaissement du centre de gravit de notre systme social. Retourdes bidonvilles, persistance des taudis et dveloppement de lhabitat de

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

    introduction

    fortune, mergence dun sous-salariat, dveloppement dune conomieparallle, sollicitation des solidarits familiales pour amortir la crise...sont autant de symptmes dun mouvement qui menace les valeurs etcroyances qui conduisent les Franais faire socit . quelques moisdes chances lectorales du printemps 2012, le 17e rapport sur ltatdu mal-logement et son chapitre inaugural se devaient de rendre comptedu ressenti et des difficults quexpriment les personnes interroges surleurs problmes de logement. Sentiment dinjustice, perte des represet brouillage des hirarchies sociales, hausse du seuil dacceptation dece qui est tolrable, mais aussi braderie des comptences et liquidationdes esprances Tous ces indicateurs montrent quel point le problmedu logement a pris une dimension nouvelle et inquitante. Car pourles personnes que nous avons rencontres, un problme de logementnest pas seulement une question de logement. Cest la fois uneconsquence des difficults quils rencontrent et un amplificateur de cesmmes difficults.

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    Crise conomique, crise du logement : depuis une dcennie au moins etsurtout depuis 2008 la thmatique de la crise est prsente dans tous lesdiscours, de celle dite des subprimes annonant celle des bourses, desbanques, puis des tats la crise qui frappe rgulirement le secteur delimmobilier et jusqu celle qui affecte la situation des mnages. Les prix, etnotamment celui du logement, progressent plus vite que les revenus alors quela prcarit de lemploi gagne du terrain et que de trs nombreux mnagessont confronts une instabilit de leurs ressources. Dans ces conditions,trouver un logement, pouvoir en changer quand il est inadapt ou faire faceaux dpenses quil occasionne, constituent des proccupations trs largementpartages. Des proccupations qui peuvent devenir lancinantes pour certainset tre lorigine dinquitudes, de tensions, et mme de souffrances.Certaines catgories de population, plus particulirement touches par cettedgradation de la situation (les jeunes, les non-diplms, les seniors, lesfemmes seules), viennent sajouter aux dmunis ainsi qu tous ceux quiont subi des ruptures (sparation, maladie invalidante, chmage) gonflantles rangs de demandeurs de logements sociaux, mais aussi des victimes du

    mal-logement. Ces signes inquitants semblent annonciateurs dun largemouvement de dcrochage , qui peut conduire une frange importante dela population vivre en marge dune socit qui ne parviendrait plus leurfaire une place.

    Avec les tmoignages recueillis dans le cadre de la prparation de ce rapport ceux des personnes, prives de domicile personnel, comme ceux desmnages appartenant aux couches moyennes confronts des arbitragesdifficiles pour grer leurs budgets face au cot grandissant du logement cest en dfinitive toute une vision de la socit franaise daujourdhui

    qui surgit. Une vision trs inquitante qui nest plus celle dil y a 30 ans(la gnration prcdente), ni celle dil y a 10 ou 12 ans quand la crise dulogement navait pas la mme intensit et quelle ne se doublait pas dunecrise conomique particulirement destructrice. Ce qui frappe dans les proposdes personnes interroges, cest le poids grandissant de la proccupation dulogement et le lien quelles font avec dautres problmatiques, comme cellesde lemploi, de la cohsion sociale, ou de lintgration, qui refltent toutesdinquitantes rgressions. Cest ce qui apparat de faon plus gnrale travers les sondages8 quand 83 % de la population dplorent la faiblessede la cohsion sociale et que seuls 38 % des Franais pensent que la

    8 1er Baromtre de la cohsion sociale , tabli partir dune enqute du Credoc, la demande de la Directiongnrale de la cohsion sociale (DGCS).

    L LT C D PCCPTI

    T CT DICIT CIL

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

    socit offre chacun la place quil mrite vraiment. Domine avant tout,pour 86 % des personnes interroges, lide que les ingalits de revenuset les ingalits sociales ne cessent de crotre depuis 20 ans. Le sentimentdinquit est profondment install dans lopinion et sexprime avec force propos de laccs lemploi et au logement. Tout cela contribue rduirelespoir dune amlioration de la situation sociale et rsidentielle pour ungrand nombre de mnages et, au-del, faire vaciller la reprsentation quilsont du modle rpublicain.

    Un parallle trs fort est fait par les personnes enqutes entre lvolutionde la situation du march de lemploi et celle du march du logement.Comme si la manire dont ce dernier volue faisait cho ce quavait tlvolution du premier (moins de protection, des contrats plus prcaires, desconditions dexercice qui se durcissent, un rapport de forces qui se fait audtriment du salari/locataire, des perspectives de carrire professionnelle/rsidentielle qui peinent se dessiner sur le moyen ou long terme). Dans lesdiffrentes catgories sociales, et notamment am le ohe moyenne,les mnages rencontrs expriment fortement le contexte dincertitudeet de prcarit qui se gnralise de lemploi vers dautres secteurs de la vie quotidienne, et notamment vers celui du logement (ils parlent sur lemme plan de la sant, de lcole, du pouvoir dachat, etc.). Au final, celagnre ce que lon peut dsigner comme une nouvelle forme dinscuritsociale lie au logement, qui vient renforcer linscurit engendre par lesvolutions de lemploi au cours des dernires dcennies. Comme la bataillede lemploi a t perdue, celle du logement est en voie de ltre, moins que

    les responsables politiques nen fassent une priorit nationale pour redonnerau logement un rle dancrage social et de protection.

    Trois volutions releves dans les propos des personnes interrogesapparaissent particulirement inquitantes, non pas seulement parce quellesrvleraient des phnomnes nouveaux, mais parce quelles se gnralisentet sont aujourdhui intgres par une large part de la population :- les difficults daccs au logement concernent dsormais une majorit de

    mnages et deviennent trs souvent pnalisantes,- la concurrence sexacerbe pour laccs aux diverses formes de loffre

    publique dhbergement ou de logement entre des demandeurs, toujoursplus nombreux que loffre disponible,

    - lintgration par les mnages eux-mmes de la dgradation de la situationconomique et sociale les contraint abaisser leurs exigences lors de larecherche dun logement.

    Pour 3 Franais sur 4, il est dsormais difficile de se loger

    Ce que la crise a confort et radicalis, semble-t-il, cest le sentiment que lelogement est devenu dans de nombreux territoires tout fait hors de porte

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    > L Lg surc d prccupi jur fcur discuri sciL

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    pour une large part des personnes qui cherchent se loger. De nombreusesenqutes dopinion en tmoignent (comme celle ralise en septembre 2011)qui indique que, pour plus de 3 Franais sur 4, il est devenu difficile de seloger (plus de 9 sur 10 en rgion parisienne) et quune mme proportion jugeque la situation sera encore plus difficile pour les gnrations futures9. Cestdire le niveau dinquitude et de pessimisme que manifeste lensemble de lapopulation par rapport la question du logement.

    La crise apparue en 2008 na fait bien souvent quacclrer et exacerber ceque vivaient dj bien des mnages (dont une part non ngligeable taitdj entre dans une logique de survie). La nouveaut rside dans unlargissement des publics concerns et dans un nivellement par le basde la situation de catgories de personnes qui avaient jusqualors desdestines distinctes.La situation est particulirement dramatique pour lesmnages les plus modestes, les isols, les jeunes en difficult dinsertion, lesfemmes seules avec enfants et faibles revenus Mais elle est aussi devenuecomplexe pour de trs nombreux mnages qui sont insrs socialementet conomiquement. Pour eux, laccs au logement nest pas ferm commeil peut ltre pour les plus dmunis, mais il se fait le plus souvent au prixdune limitation drastique du reste--vivre et de renoncements en terme delocalisation (en sloignant des lieux de travail et des services) ou de qualitdu logement (acceptation de surfaces et de confort rduits).

    Les victimes de cette mise sous tension de laccs au logement sonttous ceux qui doivent affronter le march, que ce soit pour un premier

    logement (les jeunes), une mutation ncessite par lagrandissement dumnage (les familles) ou suite un ala de la vie (sparation ou problme desant). Cest dire quune part significative des 2,5 ou 3 millions de mnagesqui accdent chaque anne un logement comme propritaires ou locataires,sexpose des difficults parfois graves quand le logement ne prend pas encompte les volutions qui affectent la dmographie et la cellule familiale ni,d'ailleurs, les volutions constates dans le champs du travail.

    Le logement, loin de sadapter la situation de lemploi, en accentue leseffets les plus dltres. Alors que les situations prcaires de travail se

    multiplient (CDD, missions dintrim), au point de constituer la conditionla plus partage par les jeunes qui entrent sur le march de lemploi (1 jeunede moins de 25 ans sur 2 est embauch avec un statut prcaire 10) ou par lessaisonniers de lagriculture et du tourisme, le logement se ferme aux salarisqui disposent de revenus corrects mais dont la prennit nest pas assure.

    9 IPSOS pour Nexity, Les enjeux du logement en 2012, septembre 2011.10 Les contrats courts concernent davantage les jeunes puisque la moiti des salaris embauchs en CDD, stageou apprentissage ont moins de 29 ans, alors que la moiti des salaris en CDI ont plus de 43 ans. Dailleurs, parmi

    les moins de 25 ans, la part de ces formes particulires demploi est de 49,7 % (contre 12,6 % pour lensembledes salaris). Insee Premire N1331, Une photographie du march du travail en 2009, Rsultats de lenquteEmploi, janvier 2011.

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

    De plus en plus, le logement se ferme aussi ceux qui bnficient derevenus stables mais limits. Cela concerne dabord les 1,5 million depersonnes en situation de sous-emploi qui ont un travail temps partielmais souhaiteraient travailler davantage, ou qui ont un emploi temps pleinmais ont involontairement travaill moins que dhabitude (chmage partiel)11.Leurs revenus sont le plus souvent insuffisants pour prsenter les garantiesdemandes par les propritaires, notamment dans le secteur locatif priv. Etils le sont dautant plus quils nont pas suivi la progression des loyers privsau cours des dix dernires annes. Le cas de cette assistante de vie en CDIet mre clibataire avec deux enfants (7 et 3 ans) illustre ce que peuvent treles difficults de certains mnages pour se loger en rgion parisienne oudans les grandes agglomrations avec, la cl, une vie familiale menace etune errance entre solutions de dpannage, hbergement durgence et nuitspasses dehors.

    Mme F. a longtemps t hberge chez sa sur dans un T3 que cette dernire occupaitavec son mari et ses trois enfants. Suite la naissance de son dernier enfant, Mme F. a dquitter ce logement que la suroccupation avait rendu invivable : Son mari ma dit que jedevais partir, que ce ntait plus tenable, quil ne supporterait pas un nouveau bb, les

    pleurs et les cris.... Depuis 4 ans, elle alterne donc les hbergements durgence, les nuitsdhtel et les courts sjours chez des amis. Malgr sa stabilit professionnelle et mme ense montrant extrmement flexible sur le type de bien ou sa localisation, elle ne trouve pasde logement [sa] porte . Elle a pourtant tout essay (agences immobilires, petitesannonces, demande de logement social), mais en dpit d'un emploi salari (CDI tempspartiel) et de ressources consquentes (1 400 par mois avec les allocations familiales et

    le RSA activit), la location dun logement dans le parc priv lui est refuse (on lui demandeun salaire quivalent 3 fois le loyer) et sa demande de logement social na toujours pasabouti.Les effets dune telle situation sont dsastreux. Pour offrir un minimum de scurit sesenfants, elle na pour linstant pas dautres choix que de louer pour 300 par mois une chambre chez une connaissance o elle ne peut malheureusement pas rester dormir parmanque de place. Elle y conduit donc ses enfants tous les soirs, les douche, les nourrit etles couche avant de partir passer la nuit lextrieur, chez un ami ou, comme bien souvent,dans la cage descalier de limmeuble.

    Si le logement ne sadapte pas la nouvelle donne conomique, il servle galement de moins en moins capable de rpondre ceux qui sontconfronts aux alas de la vie . La perte dun emploi, la sparation deconjoints, la maladie, la naissance dun enfant tout vnement nouveau ouimprvu devient un facteur de fragilit, tant il est dsormais difficile dajusterson logement sa situation (taille, cot, localisation). ce titre, les difficultsrencontres par les familles monoparentales deviennent emblmatiques.

    11 Cette situation touche un peu plus dun actif ayant un emploi sur vingt. Insee Premire N1331, op. cit.

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    En permettant de partager la charge du loyer, vivre en couple devient unecondition ncessaire pour avoir accs un logement offrant le confortncessaire au dveloppement personnel des membres de la famille. Dans uncontexte de hausse des prix sur le march de limmobilier et de durcissementdu march de lemploi, laccroissement du nombre de familles monoparentales(16 % en 2006 contre 11 % en 1992) pose un vritable problme de socit.Avec un taux de sparation des mnages de lordre de 50 % dans lesgrandes agglomrations, le phnomne nest pourtant plus marginal depuislongtemps12.

    La monoparentalit expose particulirement les mnages la prcarit.Certains organismes dHlm voient la proportion de mnages monoparentauxaugmenter considrablement parmi les entrants dans leur parc (ilsreprsentent souvent 20 % des emmnags rcents, parfois prs de 30 % surcertains programmes). Pour ces mnages, comme lillustre lexemple ci-aprs,le statut de fonctionnaire ne garantit mme plus la stabilit et la solvabilit etperd le caractre protecteur quil a pu avoir auparavant.

    Fonctionnaire aux revenus slevant 1 500 euros par mois, Mme V. a quitt un prcdenttravail dans un cabinet de finance, largement plus rmunrateur, pour accompagnerlducation de ses enfants. Aprs 20 ans au poste dadjointe administrative, elle considreque son statut de fonctionnaire ne constitue plus une garantie de stabilit vis--vis dulogement. Aprs mon divorce, jai d quitter le logement de fonction que joccupais avecmon ex-mari, lui aussi fonctionnaire. Je nai pu trouver quun 2 pices 750 euros par mois.

    Pendant plus dun an, jai dormi dans le salon avec mon fils de 2 ans pendant que ma fille,

    collgienne, occupait la chambre. En plus, ctait loin de mon lieu de travail et le budget

    essence tait norme.

    Le dpart de sa fille, partie vivre avec son pre, a marqu une rupture supplmentaire. Elle ad verser une pension alimentaire son ex-mari et sest vu supprimer son aide au logementdans la mesure o le mnage comptait une demi-part en moins. Dans le mme temps, MmeV. a dmnag avec son fils dans un logement plus proche de son lieu de travail mais auloyer mensuel de 800 euros. En situation dendettement, elle admet aujourdhui ne pluspouvoir faire face aux dpenses du mnage : Avec le loyer, les charges, la pension pourma fille mon salaire ne suffit plus. Jai d commencer travailler au noir, en faisant des

    heures de repassage pendant mes jours de cong. Mais jai t hospitalise il y a quelquessemaines cause de lpuisement.

    Plus gnralement, comme le montre lInsee dans son dernier Portraitsocial, les familles monoparentales sont moins bien loges que les autres.Elles se retrouvent plus souvent en situation de pauvret (un tiers des famillesmonoparentales sont pauvres contre 10,8 % des couples), plus souventloges en Hlm (un tiers dentre elles) ou dans des conditions mdiocres (20 %

    12 Quand clatement de la structure familiale rime avec restructuration du budget des mnages, le dcalage entrerevenus et cot du logement devient particulirement insupportable.

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    habitent un logement o il manque une ou deux pices) et plus de 7 % dentreelles sont touches par la privation de confort13.

    Lexacerbation des concurrences conduit la lutte des places

    Les conditions daccs au logement pour les mnages sont dpendantesdes caractristiques de loffre, elles-mmes largement forges par lesmcanismes du march : le secteur priv reprsentant plus de 80 % desrsidences principales, ce sont ses rgles marchandes qui simposent 4mnages sur 5 accdant un logement chaque anne. Le march slectionneceux qui prsentent les meilleures garanties par leur niveau de revenu etleur statut professionnel, et refoule les autres vers la gamme des rponsesapportes par la puissance publique.

    Certes, la ralit nest pas aussi rigide que lindique le propos, puisquedes mnages trs modestes et mme pauvres peuvent tre propritaires(mais il sagit souvent de personnes ges ayant acquis leur logement il y alongtemps) ou locataires du secteur locatif priv (mais ils nourrissent alors lademande Hlm ou doivent vivre en supportant parfois des taux deffort levs).Dune faon gnrale, cest bien ce mcanisme de tri, de centrifugation desdemandeurs qui domine. Et, cette slection par le march des demandeursde logements les plus solvables, rpond la concurrence qui sinstalle tousles niveaux d'une offre publique insuffisante, quil sagisse dhbergementou de logement social.

    Face laugmentation de la demande de logement social ou la pression dela demande dhbergement, les organismes Hlm comme les gestionnairesde structures dhbergement sont eux-mmes amens mettre en place desmcanismes de tri qui fonctionnent non pas sur les principes du march maissur des critres sociaux (mme si la capacit du demandeur supporter lecot du logement demeure un critre central). Ce qui relve de la gestion de lademande du ct des pourvoyeurs de cette offre se traduit souvent parun sentiment de concurrence du ct des demandeurs et dincomprhension

    pour ceux dont la demande nest pas prise en compte. Finalement, laprcarisation de la socit conjugue linsuffisance et linadaptationde loffre de logement cre les conditions dune mise en concurrence despersonnes qui ne peuvent se loger aux prix du march. Tout se passe commesi sorganisait ainsi objectivement une vritable lutte des places .ne lutte qui ne se traduit pas par un affrontement entre les demandeursdhbergement ou de logement social mais par un affaiblissement delespoir que les plus faibles mettent dans les rponses publiques, et undcouragement qui les conduit parfois ne plus rien attendre.

    13 Insee Premire n1195, Les familles monoparentales, des difficults travailler et se loger. , juin 2008.

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    L TTI D L C D P C D T D I CCC D P L CC D T DLT CIL - L C D LI

    Les dispositifs dobservation de la demande de logement social et dhbergement en Isrepermettent davoir une vision assez complte de ltat de la demande sociale. Comme dansdautres dpartements, lensemble de la chane des rponses est satur et la pression sefait surtout sentir pour lhbergement durgence dont la capacit rpondre la demandese dgrade fortement. Paradoxalement, cest cette rponse pour les plus dmunis, censetre inconditionnelle et rapide, qui prsente finalement les taux dadmission les plusfaibles.- 26 000 demandes de logement social, 13 000 attributions (taux de rponse : 50 %).- 4 000 demandes dhbergement dinsertion manant de 2 700 mnages, 800 ont t

    admises (30 %).- 12 600 demandes dhbergement durgence, 3 600 prises en charge (29 %).

    Cest ainsi que moins de 30 % des demandes dhbergement durgence ont reu unerponse positive en 2010, traduisant leffondrement en quelques annes du taux derponse positive (65 % en 2006, 59 % en 2007, 53 % en 2008 et 45 % en 2009).Cette saturation des diffrents maillons de la chane cre des tensions pour leursgestionnaires et provoque un effet de mise en concurrence des mnages les plus modestes,ceux qui nont que les rponses mises en place par les collectivits publiques pour avoirun toit.Source : Observatoire de lhbergement et du logement en Isre.

    Les entretiens raliss dans le cadre de ce rapport mettent en lumire lesentiment dune exacerbation de la concurrence des prcaires entre eux,mais aussi entre les reprsentants des classes moyennes infrieures et ceuxdes couches populaires (ce qui apparat comme un effet de ce que lon a puappeler la socit en sablier ). On retrouve en effet ce sentiment chez lesgrands prcaires et les exclus qui doivent se partager les miettes , maisaussi chez les travailleurs pauvres et les reprsentants des classes moyennesmenaces de dclassement qui doivent lutter pour conserver leur place. Ceux-l doivent faire de plus en plus de concessions pour se maintenir dans leurlogement ou dans certains quartiers, ou pour accder la proprit, tandis

    que les exigences des bailleurs privs gnrent une comptition entre lesdemandeurs.

    Cette mise en concurrence brouille les catgories et grossit les rangs desbnficiaires potentiels des dispositifs daide (lis souvent des seuilsde ressources), conduisant les intervenants sociaux ou les associations fabriquer des rponses palliatives et qui tendent perdre leur sens (les soupes populaires qui font lordinaire des salaris pauvres, les foyersde jeunes travailleurs qui accueillent des publics aux situations parfois trsdifficiles). Il en est de mme pour les Fonds de solidarit logement (FSL)

    dont les sollicitations augmentent et manent de plus en plus de travailleursprcaires, tout en excluant toujours plus de bnficiaires potentiels. Ou

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    encore pour le 115 qui est contraint d'organiser des files dattente et setrouve trs frquemment dans limpossibilit de proposer une rponse danslurgence.

    Une enqute ralise par la Fnars au cur de lt 2011 auprs des 115 de 34 dpartements montre que les demandes qui leur ont t adresses ontreu des rponses ngatives deux fois sur trois et nont donc pas donn lieu un hbergement, par manque de places disponibles14. Dans dix dpartementstudis, les proportions de refus varient entre 71 % dans le Val dOise et 94 %dans le Nord. Seul celui des Bouches-du-Rhne fait exception (13 %) et cestdans le Rhne que le nombre de refus a t le plus important (243 refus enune seule journe dt). Mais la situation est aussi tendue dans dautresdpartements et dans dautres villes, comme Toulouse par exemple.

    D TILL PCI I LLICITT L DIPITI L DPTI D PLIMissionn par le Conseil gnral de la Charente, le GIP Charente Solidarits est charg demettre en uvre le PDALPD travers la gestion du Fonds de solidarit logement (FSL) etdu Fonds daide aux accdants en difficults (FAAD), lAccompagnement social spcifiqueli au logement (ASSLL), les Mesures daccompagnement spcifique personnalis (MASP),la prvention des expulsions locatives, lAccompagnement des accdants la proprit endifficult, la Lutte contre lhabitat indigne et contre linsalubrit. Dans ses rapports dactivit FSL et prvention des expulsions 2010 , le GIP Charente Solidarits note llargissementdes publics rencontrs et donc touchs par la crise du logement. Le nombre de dossiersexamins dans le cadre du FSL ne cesse de crotre avec une augmentation de plus de

    17 % entre 2008 et 2010. Le profil des mnages aids volue et va slargissant. Il fautnoter la forte augmentation des bnficiaires de revenus prcaires qui reprsentent 44 %des mnages aids par le FSL en 2010 contre seulement 14 % en 2009. Sagissant de laprvention des expulsions locatives, le GIP note que, si la part des mnages salaris enprocdure dexpulsion reste stable (25 % en 2010 contre 26 % en 2009), ils sont de plus enplus nombreux avoir des contrats prcaires. Les mnages aids sont aussi de plus en plusgs, les plus de 50 ans reprsentant eux seuls un quart des mnages aids.

    Un abaissement des exigences et un nivellementdes conditions de vie par le bas

    Aux difficults daccs au logement sajoute souvent lobligation de renoncernon seulement au rve quil reprsente parfois (laccs la propritpar exemple), mais aussi tout simplement un logement indpendant etdcent pour vivre dans des conditions dignes et paisibles. Parfois, laccsau logement se fait au prix dune acceptation de situations intolrables

    14 Enqute de la FNARS ralise le 20 juillet 2011 : sur 1 701 demandes de mise labri, 1 105 (65 %) nont pasreu de rponse positive, sachant que la majorit des demandes non satisfaites (82 %) la t en raison dunmanque de places disponibles.

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    qui se traduisent par un surpeuplement ou des conditions de confortdgrades, autant de situations que lon croyait en voie de rsorption, maisque linsuffisance et linadaptation de loffre de logement ractivent. Parfoisdes familles rduisent les charges pour tenter de conserver leur logement.Il en est ainsi lorsqu'elles restreignent leurs dpenses dnergie et viventdans le froid plutt que de payer trop cher pour se chauffer. Les mnagesqui indiquent avoir limit leur consommation de chauffage en raison de soncot sont plus nombreux en 2006 quen 2002 (21,5 % contre 14 %). 15 Autantde situations qui concernent dabord les plus fragiles, mais qui sont devenuesfamilires pour bien des mnages relevant des couches populaires ou desclasses moyennes.

    Trop souvent, les frontires de linacceptable sont repousses, banalisant nombre de situations graves (suroccupation accentue, recours un habitatde fortune, squats, hbergement chez un tiers alternant avec des solutionsdurgence). voir pour seul abri lentre dun immeuble, une voitureabandonne sur un parking, une cage descalier ou un htel pour une nuit ,voil quelques exemples de ce qu'est devenue peu peu la zone grise dulogement . Cette zone grise nest plus lapanage des plus dfavoriss, elledevient le commun de nombre de salaris pauvres ou prcaires. Lexempledes bidonvilles cachs de Londres doit nous alerter sur la recrudescencede ce phnomne qui voit tous les interstices urbains (les dlaisss, lesfranges, les arrire-cours, les locaux techniques, les combles) se transformeren cabanons insalubres et certains appartements en logementscollectifs16. Cette zone grise du logement est le pendant de la zone

    grise de lemploi constitue de petits boulots non dclars, demplois lajourne, de CDD rpts, de missions dintrim.

    Cependant, bien que les statistiques officielles tardent exprimer la lamede fond qui sattaque aux quilibres financiers chez les mnages fragiles,cest un vritable combat contre le dclassement, lappauvrissement ou ladsinsertion dans lequel ces derniers sont engags. Si certains semblentl'avoir dores et dj perdu, dautres spuisent dans cette lutte et sollicitentfortement les ressources familiales et amicales.

    Les acteurs de terrain (lus locaux, responsables associatifs, travailleurssociaux) qui viennent en aide aux mnages dfavoriss tmoignent dudurcissement des conditions de vie dune frange de plus en plus importantede la population. Ils confirment aussi ce qui nous a souvent t rpt : larigueur, laquelle ces mnages sont confronts, procde dune accentuationde la prcarisation ou de laffaiblissement de positions quils connaissaientdj depuis plusieurs annes. Si certains sont tirs un peu plus vers lebas , dautres pourtant souvent salaris sont confirms dans leurscraintes dun basculement vers des situations incertaines et prcaires.

    15inee peme, n1351, "La at netqe : avo o o ene to o e loe", ma 2011.16 Dans les bidonvilles secrets de Londres , (The Independent, Richard Hall) repris dans Courrier internationaln1090, du 22 au 28 septembre 2011.

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    Lexemple de . et me ., jeune couple arriv de artinique en dcembre 2010 avec sesdeux enfants en bas ge (2 et ans), en tmoigne. Ils trouvent rapidement du travail tousles deux, lui comme ouvrier spcialis dans le btiment, elle comme assistante juridique.Ils disposent globalement dun peu plus de 2 700 de ressources mensuelles. Pourtant,en labsence de garant (aucun membre de la famille na pu le faire) et dans limpossibilitdafficher une situation professionnelle stable (elle est en CDD et lui en CDI mais en priodedessai), ils ont vu se fermer toutes les portes dans la premire comme dans la secondecouronne parisienne. Le seul logement quils ont russi obtenir rapidement se situe dansun petit immeuble dun village rural de Seine-et-Marne proximit de Coulommiers. Celogement de petite taille (T2) est cher (575 /mois) au regard de son tat trs dgrad.Dans le meilleur des cas, il sagit dune solution dattente

    Dormir dans sa cuisine pour permettre leurs trois enfants de cohabiter paisiblement,cest ce que concde ce couple de quadragnaires issu des classes moyennes.Fannyhabite le 20e arrondissement de Paris depuis une quinzaine dannes avec son mariet ses 3 enfants. Auparavant locataire dun logement intermdiaire de la Ville, le couple asouhait accder la proprit aprs la naissance de son premier enfant et a achet, en2002, un 3 pices de 70 m2. En 2004, Fanny est tombe enceinte de jumeaux : la questionde lespace sest alors pose de manire dterminante, les trois enfants ne pouvantpartager la mme chambre, trop exigu. On ne sattendait pas avoir des jumeaux, ducoup, on na plus de chambre. On a coup la cuisine en deux et on dort dans un petit cagibi

    de 5 m2 sans fentre, cest insupportable. Pour autant, le couple qui dispose de revenusconsquents (prs de 4 000 par mois) ne peut envisager de dmnager : Il nous faudraitun 4 pices et financirement, cest impossible . Cest en effet Paris quils travaillent lunet lautre avec des horaires irrguliers. Aujourdhui, Fanny sinterroge sur la pertinence de

    leur choix. Elle regrette davoir quitt son logement intermdiaire, car elle pense quelleaurait peut-tre eu davantage de chances dobtenir, par une mutation, un logement plusspacieux en restant dans le circuit des Hlm .

    Ce dernier cas est significatif parce quil illustre la dtrioration de positionsacquises, ainsi que le blocage de certains itinraires rsidentiels. Parailleurs, il nous informe sur la manire dont slve le seuil budgtaireen-dessous duquel les mnages peinent trouver un logement correspondant leurs besoins. En effet, ce ne sont plus les mnages dont les ressourcescorrespondent au 1er quartile des revenus (infrieur au Smic), ni ceux qui se

    situent autour de la mdiane (environ 2 000 ) qui se trouvent seuls affectspar des difficults de logement, mais bien dans certains territoires auxmarchs immobiliers tendus le haut de la fourchette des classes moyennes(jusquau 7e ou 8e dcile, soit jusqu 3700/4000 de revenus mensuels).

    Si le niveau de ressources ncessaire pour disposer dun logementcorrespondant ses besoins augmente, il en va de mme du niveau deloyer que lon est prt accepter. Cest ce que montre un rcent sondage17qui souligne que cette ralit est aujourdhui intgre par les jeunes, alors

    17 Sondage ralis du 17 au 21 octobre 2011, sur un chantillon de 1 001 personnes, reprsentatif de la populationfrancilienne majeure, par Viavoice pour le journal du Conseil rgional dIDF.

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    quils sont les premires victimes de la dgradation de lemploi et de laprcarit des statuts de travail (CDD, intrim, stages). Alors que la majoritdes personnes interroges (74 % pour lensemble, et 82 % des 35-49 ans)considre normal de consacrer moins de 30 % de son budget mensuelau logement, les jeunes font preuve dune plus grande adaptation auxcontraintes actuelles puisque 24 % des 25-34 ans et 39 % des 18-24 ansjugent normal dy consacrer plus de 30 %.

    Lacceptation de taux deffort levs saccompagne aussi dune diminutiondes exigences de confort. Ainsi ce jeune Montpellirain mut en rgionparisienne qui, compte tenu de loffre sur le march, trouvait carrmentcorrect de louer un F2 de 40 m2 Antony (dans la banlieue sud de Paris)pour 900 toutes charges comprises : On avait une cuisine quipe, une

    place de parking, pas de frais dagence... ctait une bonne affaire . Ce genrede commentaires qui maillent les tmoignages recueillis fait cho ce quervlent les personnes interroges propos de lemploi quelles occupentou quelles recherchent. De la mme manire quelles sont contraintesdaccepter des missions dintrim ou des CDD temps partiels et de negagner que 75 0 % du mic lorsquelles sont la recherche dun emploi,elles acceptent de supporter des loyers levs et de rduire leurs exigencesquant aux conditions dhabitat.

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    Le cercle des personnes et mnages touchs par le mal-logement sestconsidrablement largi depuis une dizaine dannes, mme si tous nesont pas confronts la crise du logement avec la mme gravit. Il estainsi possible de distinguer deux registres deffets et dimpacts de la criseactuelle : il y a ceux qui touchent les catgories dfavorises et qui les tirent toujours plus vers le bas, et ceux qui affectent les catgories quitaient parvenues se hisser dans les classes moyennes mais ne peuventplus maintenir leur position et sont menaces de rtrogradation et debasculement. Il y a le mal-logement de ceux qui sont toujours les premiersconcerns par linsuffisance de logements et les mauvaises conditionsd'habitat, et des difficults de logement nouvelles pour ceux qui en taientrelativement labri jusqu une priode rcente ou, sils en connaissaient,pouvaient esprer une amlioration rapide de leur situation.

    Cette distinction est importante parce que toutes les catgories socialesne sont pas exposes aux mmes manifestations de la crise et ses effetssont socialement diffrencis, mme si toutes sont affectes par la crise dulogement et les inquitantes volutions du contexte socio-conomique (carts

    de richesse, croissance limite des revenus, trajectoires professionnelles deplus en plus heurtes).Cette distinction est galement importante parce que l'largissement descatgories confrontes la crise du logement fait voluer la nature de lactionpolitique mettre en uvre : au seul volet social de la politique du logement tel quil sest dvelopp depuis le dbut des annes 1980 en directiondes pauvres et des prcaires doit dsormais s'adjoindre des mesures dergulation du march immobilier et une intervention destine restaurer lapossibilit de choisir son logement, son statut doccupation et sa localisation.

    Le logement facteur dexclusion pour les pauvres etles prcaires

    Triste priode que celle que nous vivons, quand ceux qui sont dj privs detout et nont dautre recours que la rue, ne trouvent plus de rponse leurdtresse, quand laide de la collectivit se rsume un kit propret (ungant, une serviette, un savon) confi par une assistante sociale : Cest laseule chose quelle est en mesure de me donner aujourdhui. Pendant quatre

    ans, jai pu dormir dans des foyers ou des htels, mais depuis un an, plusrien. Mme pas un ticket-resto Juste ce kit. Quand le 115 ne peut fournir

    L T CI D L CI D LT

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

    de rponse toutes les sollicitations dont il est lobjet. Le 115, a revient saccrocher au tlphone toute la nuit et ne pas avoir de place larrive comme le souligne cet homme qui, depuis quil a t expuls de son logementil y a six ans, vit dans des foyers, des htels et le plus souvent la rue.Depuis quelques annes, les 30 structures qui composent le rseau desBoutiques Solidarit de la Fondation Abb Pierre alertent sur laugmentationdes personnes en situation dexclusion qui frappent leurs portes... et quisest encore acclre en 2010 (de 20 700 personnes accueillies en 2009 plus de 23 000 aujourdhui).Les Boutiques Solidarit doivent dsormais faire face une diversification despublics en situation de fragilit : augmentation des jeunes de moins de 25 ans,qui sont les premires victimes de la crise conomique (ils reprsentent 19,7 %des accueillis en 2010) ; accueil de nombreuses personnes ges isoles (quivivent dans de petits logements sans confort et viennent chercher un momentde convivialit) ; progression des familles avec enfants, notamment desfamilles en exil qui vivent dans des bidonvilles et sollicitent des prestationsdhygine ; recrudescence des personnes en souffrance psychiqueLa question de la cohabitation de ces diffrents publics est aujourdhui pose,tout comme celle de ladaptation des conditions daccueil pour rpondre leurs besoins spcifiques. Sachant que ces questions posent en filigrane celledes moyens ddis aux associations gestionnaires, contraintes de mener defront de nombreuses recherches de financement.

    Laugmentation du nombre de ceux qui ne disposent pas de domicile,conjugue au basculement de salaris pauvres qui utilisent les mmes

    services, contribue les maintenir dans un tat dextrme prcarit. Cest cequexprime avec lucidit une personne sans abri que nous avons rencontre : On ne compte pas. Mais il ny a pas que nous, ceux qui bossent trinquentaussi. Un gars qui fait le manutentionnaire vers la Gare de lEst, que je croisergulirement eh bien, je lai vu la soupe un soir.

    2011, D DCTI DTI I TCT DICTT LP ILa rduction budgtaire du Samu Social et du secteur de lhbergement durgence,fortement mdiatise en juin et juillet 2011 avec la dmission de Xavier Emmanuelli, a eu un

    impact direct sur les personnes sans abri.On la vu travers cette centaine de femmes avec enfants, auparavant prises en charge lhtel (dans des conditions pour le moins insatisfaisantes mais qui offraient une mise labri) qui ont, faute de place, t orientes vers les hpitaux publics de lAP-HP dernierrefuge avant la rue affectant le fonctionnement de ces services.De nombreux hommes isols sans abri ont galement t touchs. Parmi ceux frquentantla Boutique Solidarit de Gagny, certains font part de leur dsarroi voire leur dsespoir et sesouviennent quen 2010 ils continuaient de trouver des places dhbergement, alors quen2011 ils sen voient refuser laccs. Laccueil de jour de Gagny a constat ces derniers moisune augmentation de sa frquentation et des demandes de colis alimentaires. La dbrouille,

    le recours aux solidarits prives lorsquelles existent encore ont une fois de plus prisle relais de la solidarit publique.

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    > Ls ffs sciux d L cris du Lg

    Triste priode quand ce sont souvent les mmes personnes qui sont excluesde lemploi ou se situent aux marges du march du travail (chmage,emplois prcaires, temps partiels subis) et qui ont recours la zonegrise du logement faute de pouvoir accder un logement personnel. se olton ae aaaent omme ne aon avo n tot (aoen ale), elle eltent ne ole elon, onomqe et oale,et nalent ovent laven : lhbergement chez un proche reprsenteune solution de dpannage et dattente mais constitue rarement un facteurdinsertion. Pour les jeunes, les difficults rencontres pour accder unlogement constituent un frein, perturbent leur vie quotidienne et bloquent laplupart de leurs projets : formation, emploi, projet professionnel, choix de savie affective et ventuellement projet de fonder une famille.

    Triste priode enfin, quand les mnages pauvres et prcaires occupantun logement se trouvent souvent en grande difficult pour faire face auxdpenses lies son occupation. Les effets de la crise conomique qui svitdepuis 2008 et les incertitudes qui laccompagnent ont incontestablementaggrav les difficults de logement des plus vulnrables. Pour eux, lasituation est telle que les priorits de dpenses sajoutent les unes auxautres plus quelles ne se hirarchisent et la gestion du trop peu devientun exercice difficile et puisant. Les 15 millions de personnes dont les finsde mois se jouent quelques dizaines deuros prs, selon le Mdiateur de laRpublique, constituent le socle des personnes concernes par ces difficults.Elles ne parviennent bien souvent survivre quen recourant aux aidesdistribues par les associations caritatives et humanitaires. Le rapport duSecours Catholique publi en 2010 montrait ainsi que pour quasiment toutesles configurations des mnages aids en 2009, les budgets familiaux taienten dsquilibre aprs imputation des dpenses contraintes, ce qui imposait lerecours des solidarits de proximit. Le rapport publi en 201118 rvle queles situations dimpays rencontres concernent en premier lieu le logement(4 fois sur 10 le loyer ou le remboursement dun prt pour laccession laproprit). Le rapport montre aussi que les dpenses contraintes lies aulogement reprsentent les deux tiers du budget des mnages pauvres, ce quia pour consquence le resserrement du budget allou dautres dpensespourtant essentielles comme la sant, lalimentation et une progression des

    demandes daide alimentaire (de 49,4 % en 2009 53,3 % en 2010).

    Sil en est ainsi, cest dabord parce que le cot du logement est devenuinsupportable pour de trs nombreux mnages qui vivent dans un tat detension extrme avec des budgets structurellement dsquilibrs et sont misen difficult par le paiement de la moindre facture imprvue. On peut essayerde dterminer le nombre et les caractristiques des mnages risquant de

    18 Secours Catholique, Rapport des statistiques daccueil 2010.

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

    se retrouver dans cette situation partir dune estimation du nombre demnages soumis un effort financier excessif pour se loger.19

    La typologie de leffort financier des mnages tablie partir des donnesde lenqute Logement 2006 fait apparatre que plus de deux millions demnages ont un taux deffort suprieur 35 % et un niveau de vie rsiduelinfrieur 500 e par mois (dont plus de 1,6 million avec un niveau de viersiduel infrieur 300 e ). Plus de deux autres millions (2,2 exactement)ont un niveau de vie rsiduel faible malgr un taux deffort moins important(infrieur 35 %). Plus de millions de mnages (4 260 000) se trouvaientdonc en 2006, avant que ne se dclenche la crise conomique qui nous affecteaujourdhui, dans une situation financire proccupante, avec un niveau devie extrmement faible.

    Si lon prend en considration les mnages qui, sans tre pauvres (niveau devie rsiduel suprieur 500e par unit de consommation), doivent supporterdes taux deffort importants (suprieurs 35 %), 2,4 millions de mnagessupplmentaires sont concerns. Le primtre de fragilit financire gnrpar le cot du logement, quand on le rfre aux revenus des mnages,est donc considrable puisquil concerne 6,6 millions de mnages. Et il nerecoupe pas totalement le clivage observ propos des mauvaises conditionsde logement (dfinies par le niveau de confort et le surpeuplement). utotal, le logement reprsente ainsi un facteur dinscurit financire pour 1mnage sur vivant en France.

    TPLI D LT ICI D 2006

    iveau de vie rsiduel Taux deffort total netsuprieur 35 %

    Taux deffort total netinfrieur 35 %

    nsemble

    Infrieur 500 euros 2 051 983 2 207 381 4 259 364

    Suprieur 500 euros 2 359 679 19 744 289 22 103 968

    nsemble 11 662 21 51 66 26 363 331Source : Insee, enqute Logement 2006, traitement ralis par Jean-Claude Driant pour la Fondation

    Abb Pierre.

    Les mnages pauvres et prcaires, en situation deffort financier excessifpour se loger, cumulent souvent diverses difficults (pauvret montaire,prcarit vis--vis du march du travail, difficults de sant). Leur horizonest le plus souvent balis et leur avenir empli dincertitude. Le moindreincident de parcours peut leur tre fatal et les engager dans un rel processusdexclusion. Ils sont trs fortement reprsents parmi les 9,6 % des mnages

    19n oe o ela le vaale elatve a ta eot en enant omme ene n ta eot e35 % (Taux de 30 % auquel se rfrent les bailleurs privs pour la location et les banques pour les mensualitsde remboursement auquel on ajoute 5 % pour tenir compte des charges) et a ete--vve. n etenant o eene e nvea : el e 500 a nt e onommaton, q oeon loalement la taton eeonne a nvea el e avet (En prenant comme rfrence 50 % du revenu mdian et non pas 60 %comme il est dsormais dusage, en rfrence aux critres europens.), et el e 300 eo, q oeon e taton etme (a eemle 10 a o o ne eonne ele, 13 a o o ne amllemonoaentale ave n ene enant, 15 a o o n ole an enant).

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    qui ont t dans limpossibilit de payer les factures dlectricit ou de gaz, leloyer ou les impts en 200920. Ils sont les premiers se retrouver en situationdimpays et sous la menace dune expulsion.

    Les quipes de la Fondation Abb Pierre en font le constat au quotidien ausein de la Permanence de Prvention des expulsions21, ainsi que dans lecadre de la Plateforme dappels All prvention expulsion 0810 001 505 22cre en 2009. Toutes deux observent une forte prcarit des ressources chezles mnages quils accompagnent : plus du tiers des mnages reus lESHvivent avec moins de 500 par mois, et un quart est bnficiaire de minimasociaux. Cest le plus souvent suite la perte de leur emploi que surviennentles premiers impays locatifs (pour 32 % des mnages accompagns lESH et 26 % des appels reus par la Plateforme), ou du fait de ressourcesalatoires et insuffisantes (emplois prcaires ou temps partiel, contratstemporaires). Lemploi ne protge plus de la prcarit (45 % des personnessuivies par lESH sont salaries), mme lorsquil sagit de CDI temps plein(9 % des appelants de la plateforme tlphonique). Alors que les situationsde fragilit des mnages se sont amplifies au cours des dernires annes(frquentation de la permanence multiplie par 6 en 10 ans23, assignationsdans le parc social qui ont augment de 21 % en 2010, de 25 % pour lescommandements de quitter les lieux...), lengagement plus systmatique desprocdures dexpulsion par les bailleurs suscite les plus vives inquitudespour les annes venir.

    D L ID DILLC IT T D L CCL ILD LCLIMme T. a occup un logement social lancourt dans les Yvelines, o elle a lev ses4 enfants. Au dbut des annes 2000, une priode de chmage et son divorce ne luipermettent plus de sacquitter rgulirement de son loyer (760 ) pendant un an. Elle aretrouv un emploi en CDI pay au Smic et fait des mnages le soir pour complter sesrevenus. Disposant ainsi de 1 340 auxquels sajoutent 70 dAPL (ses enfants tantmajeurs, elle ne bnficie plus dallocations familiales), elle sacquitte de son loyer etrembourse 150 par mois darrirs de loyer, ce qui lui laisse 430 par mois pour vivre etsubvenir aux besoins de ses trois enfants charge.Fin 2009, le paiement de ses impts ainsi quun arrt maladie lempchent de sacquitter

    de son loyer et du remboursement de la dette. Elle est expulse de son logement en mai2010. Elle alterne alors hbergement dans sa famille et nuits dhtel payes par le 115. Sielle russit conserver son emploi pendant les neuf premiers mois suivant son expulsion,la contraignant faire plusieurs heures de transport tous les jours, Mme T., puise etsouffrant de dpression, perd ses deux emplois en dcembre 2010.Aujourdhui, elle loue un mobil-home pour 400 par mois dans un camping plusieurs

    20 Soit +1,6 point par rapport 2008. Insee, Pauvret en conditions de vie , fiches thmatiques Revenus p.118,Insee, Les revenus et le patrimoine des mnages 2011.21 LEspace Solidarit Habitat (ESH) de la Fondation Abb Pierre coordonne, depuis 2001, une Permanence dePrvention des Expulsions (PPE) en partenariat avec la Confdration gnrale du Logement (CGL) et Droits

    dUrgence.22po nome et aomane le mnae aen en taton may.23 De 140 mnages suivis en 2001 821 aujourdhui.

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    kilomtres de Rambouillet. Elle doit galement payer 200 par mois pour le garde-meubledepuis son expulsion. Mme T. souhaite retrouver un emploi au plus vite, mais la localisationdu camping 6 km de la premire gare, limpossibilit financire dacqurir une voiture etson ge (58 ans), psent fortement sur sa recherche demploi.

    On peut finalement dresser le sombre tableau des manifestations du mal-logementpour les pauvres et les prcaires :- lexclusion du logement est un phnomne massif qui concerne non

    seulement les personnes sans domicile qui ne parviennent mme pas bnficier dun accueil durgence mais, au-del, toutes celles qui recourent des solutions provisoires et parfois indignes de la zone grise du logement ,

    - le passage par des structures dhbergement constitue parfois aussi bienun temps dattente, une tape dans un parcours chaotique, quun tremplinvers le logement,

    - les perspectives dune amlioration de leur situation sont limites dans lemeilleur des cas laccs au parc locatif social, le plus souvent dans lessecteurs les moins chers qui se situent aussi parfois dans des territoiresdclasss,

    - quand ils ont un logement, les mnages pauvres ou vivant en situation deprcarit sont plus souvent confronts linconfort que les autres (mmesils ont profit de lamlioration gnrale des conditions dhabitat), linsalubrit et au surpeuplement,

    - mais ce qui caractrise aussi cette population, cest linstabilit des solutionstrouves pour se loger (la crainte du retour une situation plus prcaire esttoujours prsente) qui rpond linstabilit du rapport lemploi et des

    ressources.

    Le cot du logement fragilise les couches populaires et lesclasses moyennes et dgrade leur pouvoir dachat

    Depuis une dizaine dannes, lvolution incontrle du cot du logement,pendant que celle des salaires savre beaucoup moins favorable, creune nouvelle zone de fragilit et provoque un largissement des publics

    confronts des problmes de logement, tant pour y accder (car la gammedes possibles se restreint) que pour sy maintenir (quand ils doivent consacrerune part sans cesse croissante de leur budget pour se loger). Cest ainsi queles couches populaires ou catgories modestes (dciles 2 et 3) comme lesclasses moyennes infrieures (dciles 4, 5 et 6) ont t touches par la crisedu logement, elles aussi, et sont progressivement entres dans une zone deturbulences. Il en rsulte un poids croissant de la dpense logement dansle budget de ces mnages avec des effets parfois amortis (arbitrages entreles dpenses, rduction des marges de manuvre), parfois non (impayspouvant conduire une procdure dexpulsion et sa mise en uvre). Ils

    se retrouvent alors dans la mme situation que les mnages plus modestesqueux.

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    En poursuivant lanalyse prcdente sur le taux deffort financier excessif,on mesure que ceux qui appartiennent au premier quintile de niveau de viesont les plus nombreux (plus de 2,5 millions de mnages), ceux qui relventdes quintiles 2 et 3 cumulent plus de 1,3 million de mnages (respectivement0,8 et 0,5 million de mnages). Il sagit de mnages disposant souvent derevenus corrects, mais habitant dans des espaces rsidentiels marqus pardes prix levs, essentiellement des grandes villes et des villes moyennes.Dautres secteurs aux prix de march moins levs (villes moyennes, petitesvilles et communes rurales) comptent galement une proportion significativede mnages supportant des taux deffort importants, mais qui sont alorsdus la faiblesse des revenus. Paris et la banlieue parisienne constituentdes exceptions du point de vue de leffort financier le march a oprson tri social en amont mais comptent proportionnellement davantagede mnages en situation dinconfort (notamment de surpeuplement li la privation de surface). Ce qui revient constater que dans les villes deprovince on se saigne, et qu Paris on se prive.2

    Pour ces catgories sociales intermdiaires, les dpenses ncessaires ou prengages (loyer, eau, gaz, lectricit, services de tlcommunication,etc.) prennent de plus en plus de place dans leur budget (elles ont augmentde 24 points entre 1979 et 2005 pour les catgories modestes25 et de 17points pour les classes moyennes infrieures au cours de la mme priode,alors quelles ne progressaient que de 7 points pour les hauts revenus).Si lon retranche ces dpenses incompressibles, le pouvoir dachat durevenu arbitrable a baiss, que ce soit par mnage (respectivement de-1,2 % et -0,4 %) ou par unit de consommation (-0,8 % et -0,1 %) en 2008comme en 2010. Cest ainsi que le logement contribue la dgradation dupouvoir dachat des mnages qui appartiennent globalement aux catgoriesintermdiaires, celles qui depuis plusieurs dcennies ont bnfici de lacroissance du parc immobilier et de lamlioration de sa qualit et qui taientencore engages jusqu une date rcente dans un mouvement de promotionsociale et rsidentielle.

    Part des dpenses contraintes

    dans les ressources des mnages17 2005

    ugmentationentre 17

    et 2005Catgories pauvres (dcile 1) 24 % 48 % + 24 points

    Catgories modestes (dciles 2 et 3) 22 % 46 % + 24 points

    Classes moyennes inf. (dciles 4, 5, 6) 21 % 38 % + 17 points

    Classes moyennes sup. (dciles 7 et 8) 20 % 32 % + 12 points

    Catgories aises (dcile 9) 19 % 29 % + 10 points

    Hauts revenus (dcile 10) 20 % 27 % + 7 pointsSource : Crdoc.

    24 Voir chapitre 2 pour une analyse plus dtaille de la typologie des espaces rsidentiels.25 Soit la mme augmentation que celle quont connue les mnages pauvres (+24 points) appartenant au premierdcile de la distribution des revenus.

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    Cette volution est dautant plus prjudiciable pour ces couches sociales quedautres postes essentiels de dpenses psent de plus en plus lourd dans lebudget des mnages (ducation et sant notamment). Selon un calcul de lUFCQue Choisir26, le cot de la sant par personne et par an est pass de 571 665 sur les cinq dernires annes. Ce poste de dpenses a ainsi progressdeux fois plus vite que les revenus au cours de la priode. Cette volutionpse videmment dabord sur les plus pauvres qui sont souvent amens renoncer des soins (faute aussi de complmentaire sant dont prs de4 millions de Franais sont dpourvus), mais elle affecte aussi les actifs etles seniors27 qui sont dsormais galement amens renoncer aux soins.Quand se cumulent les progressions des dpenses dducation, de sant, delogement, on comprend que des mnages disposant de revenus stables etparfois confortables puissent tre mis en difficult au moindre incident etvoient leur situation se rapprocher de celle des plus pauvres queux.

    Il en rsulte une exposition croissante des couches populaires commedes classes moyennes aux risques de dcrochage en cas de rductiondactivit, de diminution de revenu, de rupture familiale. Elles ont alorscomme caractristique commune dprouver des difficults pour faire faceaux dpenses courantes dans lesquelles le logement occupe une placeprpondrante.

    Les mnages de ces couches populaires comme des classes moyennessont particulirement concerns par le dveloppement de laccession laproprit qui reprsente souvent pour eux un objectif important. Mais la

    ralit, loin de correspondre au rve, se rvle parfois difficile et contribue mettre en difficult certains d'entre eux. Car si le dveloppement de laproprit a t trs largement soutenu par des conditions de financementfavorables (lies lexistence de grandes masses de liquidits faible taux)il s'est fait galement au prix dun allongement de la dure des prts pourles acqureurs et a fait natre un lot dincertitudes. Contrairement aux idesreues et aux affirmations des responsables politiques aujourdhui, laproprit ne constitue pas toujours un statut protecteur2.

    On sest dit, quand On sera grand, On aura une belle maisOn

    Monsieur et Madame L. vivent avec leurs 3 enfants dans la banlieue de Pau.Monsieur est jardinier la mairie, Madame fait les marchs. Il y a quatreans, ils ont dcid de commencer construire leur maison. Sans pargnedargent disponible, ils conomisent euro aprs euro, achtent le matrielprogressivement, en faisant les vide-greniers. On prenait mme largent

    26Cot de la Sant pour les mnages :vers la dmutualisation des populations fragiles ?, UFC Que Choisir,septembre 2011.27 Daprs lUFC Que Choisir, les retraits sont en passe de devenir les prochaines victimes de la progression ducot de la sant puisque dores et dj la complmentaire sant reprsente un poids deux fois plus importantdans le budget des seniors que dans celui de la population gnrale .

    28 Lanalyse des effets dune politique du tout accession et des limites la diffusion de la proprit a tdveloppe dans le chapitre 2 du rapport 2011 sur ltat du mal-logement en France. Ses conclusions sonttoujours dactualit.

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    des petits pour le mettre de ct, en leur expliquant que ctait pour eux, plustard, pour la maison Et a a dmarr comme a, petit petit a va fairequatre ans .En attendant que la maison soit termine, la famille vit dans une caravane.Le point deau est lextrieur, et tous les jours Mme L. y amne ses enfantspour se laver. Des dplacements quotidiens particulirement difficiles enplein hiver. Mon mari me dit toujours : On va y arriver !, mme quand ane va pas On se soutient lun lautre. De toute faon, si on nest pas fort, onne tiendra pas .

    Source : Webdocumentaire labri de rien , ralis par S. Bollendorff et M. Ahoudig pour laFondation Abb Pierre

    La charge de laccession la proprit pse de plus en plus lourd dans lebudget des mnages modestes et contribue leur fragilisation dans unepriode conomique incertaine, dans une priode o la visibilit de lvolutionde lemploi ne correspond pas celle que requiert laccession la proprit.Cest ce que montre bien le cas de M. V., agent de propret dont la situationprofessionnelle est stable (CDI), qui a longtemps mri son projet daccession la proprit travers 15 ans dpargne. En 1999, il acquiert un appartement.Mais en 2008, la situation de lentreprise qui lemploie se dgrade et ilest licenci. Mis en difficult pour payer les charges de coproprit et leremboursement mensuel de son emprunt, le coup de grce lui est enquelque sorte donn quand la coproprit dcide d'engager un programmeconsquent de travaux. Contraint de vendre son logement, cest le dbut

    selon ses termes dune longue descente aux enfers . Hberg deux ans parune famille amie, il devient un sans domicile fixe et alterne les nuits larue et les hbergements durgence.

    Le cot du logement est bien souvent renchri par les choix de localisationque font les mnages modestes pour accder la proprit. En 2007, deuxmnages modestes sur trois29 ont acquis un logement en zone rurale ou semi-urbaine30, l o les prix sont les plus faibles, contribuant ainsi ltalementurbain. Pour ces mnages modestes, c'est souvent une source de fragilisationpuisque le budget consacr aux dplacements quotidiens na gnralement

    pas t pris en compte, ou a t sous-estim. Il nest donc pas tonnant deconstater que des accdants se trouvent parfois confronts des difficultsde remboursement des prts contracts31.

    Enfin, tre propritaire ne protge pas toujours du mal-logement quandlaccs la proprit en milieu urbain se fait dans des immeubles collectifsde faible qualit, ou se dveloppe en zone rurale dans de mauvaisesconditions (loignement, mauvaise qualit des logements acquis). Ces

    29 Disposant de ressources infrieures aux plafonds PLUS, ce qui reprsente environ 60 % de la population.30 Correspondant la zone C du dcoupage adopt en matire de financement du logement social.31 Selon la dernire enqute Logement de lInsee, en 2006, 565 000 propritaires ou accdants ont rencontrdes difficults pour payer leurs charges ou remboursements de prts immobiliers, et parmi eux 70 000 ont ten situation dimpays.

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    situations ne sont pas seulement des survivances du pass mais rsultentde dynamiques en cours. Cest, par exemple, ce qui se produit quandlacquisition se fait dans une coproprit dgrade (ou qui lest devenue) dontles propritaires ne peuvent assurer la remise en tat : la proprit se refermecomme un pige sur le mnage qui ne peut revendre son bien un prix luipermettant de sinstaller ailleurs. Ou encore, quand linstallation se fait enmilieu rural pour des mnages attirs par le faible cot d'un logement quilsne pourront bien souvent pas remettre en tat compte tenu de la modestie deleurs moyens.

    onsieur et adame . habitent une maison en centre-bourg dune petite communedIndre-et-Loire. Aprs avoir t locataires en logement social, ils sont venus habiterdans la maison familiale avec leurs 3 enfants (19 ans, 11 ans et 9 ans) suite au dcs dupre de Mme A. pour vivre avec sa mre alors gravement malade : Je ne voulais pasla mettre en maison de retraite. On a dcid de venir vivre avec elle. Cette dcision at le dbut dune lente dgradation de la situation, que Madame A. rsume dun trait : En emmnageant ici, on a appuy sur une bombe ! . Le logement tait vtuste et

    mal entretenu. Il ny avait plus de chaudire, on navait plus dargent. On a vcu 3 anscomme a sans chaudire, dans le froid, avec des couettes, bien emmitoufls, avec un

    pole . Ensuite, il a fallu affronter diverses surprises et querelles familiales. Ma mreavait contract des dettes. Jai ma famille sur le dos parce que je nai pas voulu vendre la

    maison . Le logement lui-mme a rserv de mauvaises surprises : Une canalisation asaut. Avec les inondations, on a tout perdu. Ma cuisine amnage, mes canaps, tout

    ce quon avait on a tout perdu, tout tait neuf, on a d tout jeter . Madame A. porteun regard lucide sur sa situation : On est des propritaires occupants par effraction enquelque sorte .

    Finalement, si elles paraissent moins dramatiques que celles qui concernentles mnages pauvres et prcaires, les manifestations du mal-logementpourles couches populaires et les classes moyennes nen sont pas moins trsproccupantes :- la restriction des possibilits de choix (concurrence pour accder au

    logement social, accession la proprit difficile) les conduit souvent recourir au parc locatif priv et supporter des loyers levs,

    - laugmentation continue et rapide du cot du logement apparat comme une

    source de difficult majeure pour ces mnages. Des difficults que les aidespersonnelles au logement ne compensent que partiellement (dautant queles mnages des couches intermdiaires en sont le plus souvent exclus), etqui constituent un facteur de baisse de leur pouvoir dachat,

    - tre log ne les met pas dfinitivement labri comme en tmoigne laprogression des impays et des expulsions locatives, et la situation depropritaire laquelle accdent de nombreuses personnes relevant de cescatgories na pas toujours, loin sen faut, le caractre protecteur qui lui estattach,

    - les perspectives de promotion rsidentielle sont incertaines et les jeunes

    gnrations ne peuvent prtendre aux mmes logements que ceux de lagnration prcdente.

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    Les difficults de logement rencontres par un nombre croissant de mnages sontparticulirement proccupantes car elles sont le signe dvolutions alarmantes,au-del des inquitudes voire des souffrances quelles gnrent :- le logement apparat non seulement comme le reflet des ingalits sociales,

    mais il les amplifie et en dveloppe de nouvelles,- avec laffaiblissement des mcanismes collectifs de solidarit, on assiste

    pour ceux qui sont confronts des difficults de logement, une sollicitationaccrue des solidarits familiales et amicales de proximit qui laissent dansle dnuement ceux qui nen disposent pas et nont alors dautre recours quelaide apporte par les associations humanitaires et caritatives ( la hauteurdes moyens dont elles disposent),

    - il apparat, dans le domaine du logement comme dans dautres, que lesmnages modestes nont que de faibles espoirs de voir leur situationsamliorer. Et dune faon gnrale, la nouvelle gnration ne bnficie pasdes mmes perspectives que la gnration qui la prcde.

    Ces trois volutions proccupantes contribuent faire du logement unproblme de socit majeur et devraient conduire faire du logement unerelle priorit des politiquespubliques.

    Le logement gnrateur de nouvelles ingalits etfacteur dinjustices

    La problmatique des ingalits prsente dans plusieurs rapports sur ltatdu mal-logement de la Fondation Abb Pierre, a t fortement mise en

    vidence en 2011. Il nest pas inutile de revenir sur cette question, tant sonacuit sest encore affirme au cours des derniers mois. Le logement, quireflte videmment les ingalits sociales (par sa localisation comme parsa valeur), est aussi lorigine dun accroissement des ingalits quand ilne contribue pas en crer de nouvelles. Il en est ainsi lorsque llvationcontinue du cot du logement pnalise les mnages les plus modestes nedisposant que de faibles capacits darbitrage entre des dpenses toutesncessaires. Il en est ainsi quand on examine les destins rsidentiels desmnages qui ne sont pas tous polariss par laccession la proprit quelon rige en modle et y conduiraient-ils, il serait profondment injuste

    de fonder la scurit face lavenir sur la dtention dun patrimoine dont lavaleur est trs ingalement rpartie entre les catgories sociales.

    L PL D LT T

    L PL D CIT

    3

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    Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragiliseune socit dj dstabilise

    Lanalyse de la rpartition des mnages suivant leur niveau de revenu montreque laccroissement des ingalits en France est amplifi par laccroissementrapide des dpenses de logement. Le cot du logement pnalise avant toutles mnages les plus modestes car il rduit en proportion la part du revenuarbitrable, cest--dire des ressources dont on dispose une fois que lon afait face aux dpenses contraintes et incontournables. Ces dernires annes,laugmentation de la dpense de logement des mnages a t dautant plusforte que lon dispose de revenus faibles et le dcalage avec la situation desmnages les plus riches est considrable. Entre 1992 et 2006, le poids ducot du logement sest considrablement alourdi pour les mnages qui setrouvent parmi les 20 % les plus modestes, alors quil est rest relativementstable pour les mnages les plus riches (ceux qui se trouvent parmi les 20 %les plus riches).32

    La progression du cot du logement a pour consquence de creuser lesingalits sociales au sein de la socit franaise et de renforcer lingalerpartition des revenus. Les locataires du secteur priv sont, pour les plusmodestes dentre eux, ceux pour lesquels laccroissement de leffort financiera t le plus brutal. De mme que pour les accdants la proprit modestes,parmi lesquels seuls ceux qui disposent dj dun patrimoine peuventsans difficult acheter un logement au prix atteint par les marchs, sauf sloigner en lointaine priphrie des villes ou en zone rurale, comme nouslavons indiqu prcdemment.

    La progression du cot du logement a pour consquence de pnaliser lesnouvelles gnrations. Cest ainsi que les jeunes de moins de 25 ans paientle plus lourd tribut puisque, selon lObservatoire des ingalits, ce sont euxqui consacrent la part la plus importante de leurs revenus pour se loger etcest pour eux qu'elle a le plus augment au cours des vingt dernires annes(+ 9,7 % pour les moins de 25 ans, + 5,9 % pour les 25-29 ans alors quil estrest stable pour les plus de 45 ans).

    Le logement rvle aussi lingalit des destins rsidentiels. Si lampleurde la mobilit nest pas indexe sur le niveau de revenu des mnages (lgeest un facteur plus dterminant), celui-ci oriente fortement leurs trajectoires

    rsidentielles. Le statut doccupation est ainsi devenu plus sensible auniveau de vie quil ne ltait en 1984. Le rapport 2010 de la Fondation AbbPierre a soulign ainsi que les perspectives rsidentielles ne sont pas lesmmes selon que lon est riche ou pauvre. Le constat ntonne pas, mais lescarts sont considrables. Entre 2003 et 2006, parmi les mnages les plusriches (cinquime quintile) ayant chang de logement, 6 sur 10 sont devenuspropritaires de leur logement, alors que cette perspective a concernmoins dun mnage sur dix parmi les 20 % les plus pauvres. Ces dernierssont devenus locataires plus de 7 fois sur 10, un peu plus souvent dans le

    32 La moiti des mnages dispose ainsi de moins de 1 467 par mois (en 2009) pour vivre et faire face lensemblede leurs dpenses, alors que cette somme correspond ce qui reste aux plus riches (1 474 ) aprs avoir faitface leurs dpenses contraintes et incontournables.

  • 8/3/2019 Le rapport de la Fondation Abb Pierre

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    > L prbL du Lg s u rL prbL d sci

    secteur priv (44 %) que dans le parc social (30 %). Cette diffrenciation destrajectoires sest rgulirement approfondie au cours des deux derniresdcennies. Les mnages les plus riches qui accdaient la proprit pour38 % dentre eux quand ils changeaient de logement entre 1988 et 1992, y ontaccd pour 60 % dentre eux entre 2003 et 2006. Pour les plus modestes,cest toujours le parc locatif qui demeure la principale destination ; laccs la proprit sest rduit et ce sont eux que lon retrouve le plus frquemmentsous dautres statuts que ceux de locataire ou de propritaire (sous-locataire,locataire de meubls, log gratuitement).

    Il faut galement souligner que laccs la proprit et la constitution depatrimoine constituent dsormais une nouvelle source dingalits. En effet,cest le patrimoine qui explique en majeure partie les carts de richesse :celui-ci est dautant plus important que le niveau de revenu est lev et ilparticipe laccroissement de lcart entre les plus riches et les plus pauvres.

    Si le souhait daccder la proprit est largement partag, le processus servle la fois htrogne et profondment ingalitaire puisque la propritne se diffuse pas au mme rythme dans toutes les catgories sociales etna pas le mme poids selon les tranches dge. Laccs la proprit etpar l aux scurits dont elle serait porteuse est de plus en plus rservaux mnages les plus aiss, alors que les mnages modestes sont de plusen plus locataires. La part des mnages modestes parmi les accdantsrcents na en effet cess de dcrotre au cours des quinze dernires annes,refltant laugmentation du dro