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Tematizarea Patimilor lui Christos in apocrifele sibiline.
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Jean-Michel Roessli
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La question des relations entre crits apocryphes et critures Saintes est des plus fascinantes, mais elle se pose en termes di -rencis selon les textes apocryphes tudis. Dans le cadre du prsent expos, cest la faon dont le rcit de la Passion de Jsus est relat dans le corpus des Oracles sibyllins que je souhaite inter-roger (Livres 1, 6 et 8). Cette question se pose de faon plus parti-culirement cruciale pour la Sibylle qui sexprime dans le premier livre de la collection, un ouvrage de 400 hexamtres grecs, dont une grande partie les vers 1 323 est probablement luvre dun auteur juif du IIe ou IIIe sicle de notre re, remanie ensuite par un chrtien, qui a souhait complter le tableau initial par une longue vocation de Jsus et de son ministre terrestre2.
1. Aprs avoir fait lobjet dune prsentation orale dans le cadre de la rencontre annuelle de lAssociation catholique des tudes bibliques au Canada en mai 2008 Montral, cette tude a t reprise, approfondie, puis publie en anglais sous le titre The Passion Narrative in the Sibylline Oracles , Gelitten Gestorben Auferstanden. Passions- und Oster-traditionen im antiken Christentum (Tbingen, Mohr Siebeck, 2010), 299-327. Je remercie les diteurs de mautoriser la reproduire ici en franais, avec de menues retouches.
2. La plupart des spcialistes considrent que les livres 1 et 2, spars dans les manuscrits par un simple colophon, doivent tre traits comme un seul ouvrage. Certains situent sa composition au IIe ou IIIe sicle de notre re. Dautres estiment quil ny a pas lieu de distinguer un substrat juif et une rcriture chrtienne dans cet ouvrage, qui serait ainsi tout entier de composition chrtienne. Pour des tudes rcentes de ce livre, voir J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles. With Introduction, Translation, and Commentary on the First and Second Books (Oxford, Oxford University Press, 2008) ; O. WASSMUTH, Sibylli-nische Orakel 1-2 : Studien und Kommentar (Leyde-Boston, Brill, 2011 ; Ancient Judaism and Early Christianity 76) ; et T. BEECH, A Socio-Rhetorical Analysis of the Development and Function of the Noah-Flood Narrative in Sibylline Oracles 1-2 , thse de doctorat soumise la Facult de Thologie de lUniversit dOttawa, Fvrier 2008. Un premier
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Dans cette ultime section du premier livre (vv. 323-400), la Sibylle annonce non seulement la venue du Christ, sa Passion et sa rsur-rection, mais, plus surprenant encore, elle prdit aussi lvangile et la n des prophtes (vv. 382 et 386). Cest dire que la Sibylle, prophtesse supposment paenne, se place non seulement sur le mme plan que les prophtes, en prophtisant avec eux lhis-toire du salut, mais cherche mme les complter en prcisant que leurs promesses se ralisent en Jsus. Elle prtend mme avoir une hauteur de vue qui les dpasse dune certaine manire, puisquelle annonce les prceptes de lvangile (v. 382) et lach-vement des prophties (v. 386). Pour raliser cette ction divina-toire car cest bien de cela quil sagit , la Sibylle recourt la fois aux prophtes et aux vangiles, en combinant souvent les deux, soit par des allusions implicites, soit par des reprises littrales, soit encore par des emprunts lexicaux bien prcis. Ainsi, pour b tir son rcit de la Passion, la Sibylle slectionne des lments tirs soit des vangiles canoniques, soit de traditions apocryphes marginales, identi es ou non, quelle claire par les crits des prophtes.
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Ce que je me propose donc de faire dans cet expos est disoler quelques fragments de textes relatifs la Passion tirs des premier, sixime et huitime livres des Oracles sibyllins, de les comparer entre eux et avec les pisodes correspondants dans le Nouveau Testament, de manire valuer le mode de rcriture, les points de contact, les liens de dpendance ventuels et les points de divergences.
compte rendu du livre de J. L. LIGHTFOOT a t publi par A. K ACHUK dans Bryn M aw r Clas-sical R ev iew , 21 juin 2008, http:/ / bmcr.brynmawr.edu/ 2008/ 2008-06-21.html, consult le 24 juin 2011 ; un autre compte rendu a t publi par G. L. WATLEY dans The Classical R ev iew 59 (2009), 101-103, qui vient dachever sa thse de doctorat consacre aux Or sib 1-2 (Sibylline Identities : The Jew ish and Christian E ditions of Sibylline Oracles 1-2, University of Virginia, 2010). Voir aussi M. MONACA, Oracoli Sibillini (Rome, Citt Nuova, 2008). Sauf indication contraire, les traductions des Oracles sibyllins sont les miennes. Le texte grec est celui de J. GEFFCK EN, D ie Oracula Sibyllina (Leipz ig, J. C. Hinrichs, 1902, rimpression Berlin 1967), amend ici et l. Une synopse, reproduite en appendice de cet article, permettra aux lecteurs de lire en parallle les deux rcits de la Passion contenus dans les livres 1 et 8 des Oracles sibyllins.
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termes H # 1 = 3 4 # % # et ; 4 1 % 2 3 4 # % # permettent dtablir aussi un rapprochement avec le rcit de Mc 14,65, o nous avons le verbe ; 4 1 % 2 A et le substantif H - 1 9 3 4 # au datif pluriel. Nanmoins, comme Mc est plus proche de Lc que de Mt et que nous avons cart le troi-sime vangliste, on peut conclure provisoirement que le parallle le plus troit est chercher du c t de Mt. Plusieurs autres passages des Oracles sibyllins con rment du reste que cet ouvrage constitue lvangile canonique par excellence, comme il lest pour lensemble de la littrature apocalyptique chrtienne des IIe et IIIe sicles.
Dans le cas dOr sib 1,365, le point de contact semble surtout trs net avec Mt 26,67, qui se sert des verbes * + , # . = K A et ; 4 1 % 2 A , l o lhexamtre sibyllin runit les substantifs * + , L . + / 0 et 1 % M 3 4 # % # , forme simple d; 4 1 % M 3 4 # % # utilis en Or sib 8,288.
Rappelons pour mmoire que dans les vangiles canoniques les crachats sont mentionns deux moments ou dans deux contextes distincts. En Mt 26,67 / / Mc 14,65, ils visent Jsus devant le Sanh-drin, tandis quen Mt 27,30 / / Mc 15,19, ils sont le fait de soldats romains3.
Dans les Oracles sibyllins, le contexte nest pas clairement d ni. Dans le rcit dOr sib 1,365-366 toutefois, le responsable de la agel-lation est explicitement dsign : il sagit dIsra l ( Alors Isra l lui donnera des sou ets et des crachats / emp oisonns de ses l v res inf mes ) . Cet antijudasme nest pas une nouveaut dans le premier livre des Oracles sibyllins ; il apparat dj un peu plus t t, aux vv. 360-361 : E t alors Isra l, dans son iv resse, ne comp rendra p as, / et, lesp rit eng ourdi, rien ne p arv iendra ses faibles oreilles. A contrario, la Sibylle qui vaticine dans le livre 8 laisse lidentit du coupable dans le vague, puisquelle introduit la scne en annonant simplement que le Verbe cest ainsi que Jsus est dsign au v. 285 tombera p lus tard aux mains de criminels et dimp ies (v. 287). La question de savoir qui sont ces criminels (N 6 + 4 + 9) et ces impies (N 1 9 3 % + 9) nest pas des plus faciles trancher avec certitude. On peut nanmoins se demander si les mots N 6 + 4 + 9 et N 1 9 3 % + 9 ne dsignent pas ici les Romains, plut t que les Juifs, dans la mesure o ceux-ci ont reu la Loi (6 & 4 + 0 ), ce
3. Dans le quatrime vangile, Jsus est galement gi deux reprises, la premire fois par un des gardes du Grand Prtre (Jn 18,22 : H L 1 9 3 4 # ), la deuxime fois par les soldats romains au prtoire (Jn 19,3 : H # 1 O 3 4 # % # ).
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qui nest pas le cas des Romains4. Mais on peut aussi se demander si le recours ces deux adjectifs substantivs ne vise pas distin-guer deux catgories dincroyants : dune part, les Romains, privs de Loi (N 6 + 4 + 9), et, dautre part, les Juifs jugs impies (N 1 9 3 % + 9). Ce faisant, les deux adjectifs se feraient lcho du rcit vanglique, o Juifs et Romains participent alternativement au procs de Jsus. Certes, plus t t dans le livre 8 dans le pome acrostiche relatant la Parousie du Christ et le jugement dernier , ces deux mots sont employs p romiscue pour opposer simplement justes et non justes ou dles et in dles (vv. 220 : L es mortels, d les et in d les, v erront D ieu5 ). Mais dans le livre 1, o la polmique antijuive est avre, la Sibylle annonce, un vers plus t t dj, que la furieuse col re du Tr s-H aut sabattra / sur les H breux et leur enl v era la foi (vv. 362-363). Cest dire quaux yeux de cette Sibylle, il y a e ectivement des Juifs qui sont sans foi (N 1 9 3 % + 9).
Au livre 8, la scne se prolonge par un vers qui na pas de parallle dans le livre 1 : Ayant tendu son dos, il le liv rera aux fouets (v. 2906). Ici, la source la plus probable nest pas chercher dans les vangiles canoniques, mais dans le troisime chant du Serviteur sou rant dIs 50,6 : J ai tendu mon dos aux coup s de fouets et mes joues aux coup s de p oing s, et je nai p as soustrait mon v isag e loutrag e des crachats7. Trois mots cls de ce verset biblique se retrouvent en e et dans le rcit de la agellation rapport dans le huitime livre des Oracles sibyllins : ce sont 4 - 3 % 9I # 0 , H # 1 = 3 4 # % # et ; 4 1 % / 3 4 - % A 6 , sauf que dans le troi-
4. T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen im Vergleich : Petrusevangelium und Sibyllinische Orakel (Buch VIII) , D as E v ang elium nach Petrus. Tex t. Kontex te, Inter-tex te (Berlin & New Y ork, Walter de Gruyter, 2007), 263-279, ici 270.
5. Ibid.6. LACTANCE (Inst. div . 4,18,15), AUGUSTIN (Cit de D ieu 18,23,2) et lauteur de la Tho-
sop hie dite de T bing en (P. F. BEATRICE, Anonymi M onop hysitae Theosop hia. An Attemp t at R econstruction [Leyde, Brill, 2001] , 55,225 = H. ERBSE, Frag mente g riechischer Theosop hien [Hambourg, Hansischer Gildenverlag, 1941] , 10, 274) ont une leon lgrement di -rente : E t leurs coup s, il p rsentera simp lement son dos saint. La Thosop hie de T bing en est lpitom dune collection de tmoignages paens compile la n du Ve ou au dbut du VIe sicle et qui doit beaucoup Lactance ; pour des rfrences bibliographiques, cf. P. F. BEATRICE et J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles , p assim.
7. Is 50,6 LX X : % P 6 6 J % Q 6 4 + / (R (A * # ' ? 0 4 L 3 % 9I # 0 , % S 0 (E 3 9 # I Q 6 # 0 4 + / ' ? 0 H # 1 O 3 4 # % # , % P (E 1 5 Q 3 A 1 Q 6 4 + / + T * @ 1 R 3 % 5 ' U # @ 1 P # ? 3 < M 6 V 0 ; 4 1 % / 3 4 L % A 6 . W 4 1 % / 3 4 # est un hap ax leg omenon dans Isae. Ce verset biblique est aussi larrire-plan de Mt 26,67 ; cf. U. LUZ , D as E v ang elium nach M atth us : M t 26 -28 (Dsseldorf & Neukirchen-Vluyn, Benz iger & Neukirchener Verlag, 2002), 205, n. 11 (Traduction anglaise M atthew 21-28 . A Commentary [Minneapolis, Augsburg Fortress, 2005, 448, n. 11]). La prdiction par Jsus des sou rances du Fils de lhomme dans les synoptiques (Mc 10,34 et paral-lles) est sans doute inspire par ce verset dIsae ; cf. D. J. MOO, The Old Testament in the Gosp el Passion N arrativ es (SheX eld, Almond, 1983), 88-89 et 139-144.
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sime chant du Serviteur sou rant, la agellation prcde les souf- ets et les crachats. Le travail luvre dans ce passage du huitime livre des Oracles sibyllins sapparente celui que lon peut dceler dans l p tre de Barnab 5,14, qui cite Is 50,6-7, en omettant les v. 6b-7a : E t il dit encore : V oici, jai tendu mon dos aux v erg es et mes joues aux sou ets. M ais mon v isag e, je lai tendu comme une p ierre dure 8.
On relvera toutefois que, mme sils se dmarquent parfois lun de lautre, les deux passages parallles des Oracles sibyllins ont en commun de quali er les crachats lancs au Christ de . # 5 4 # * & ' 6 % # , cest--dire d empoisonns ou de venimeux , ce que le texte biblique ne fait pas. En revanche, si les vangiles canoniques se contentent de dire que les crachats visent le visage de Jsus, litt-ralement ses yeux , les Oracles sibyllins ont plut t pour souci de prciser que ceux-ci proviennent de l v res inf mes (Or sib 1,366) ou de bouches souilles (Or sib 8,289). Or, mme si ladjectif nest pas identique, lide de l v res inf mes en Or sib 1,366 dcoule trs certainement dIs 6,5, o le prophte saccuse lui-mme et le peuple auquel il appartient, cest--dire Isra l, davoir des l v res imp ures ( @ * - F # 5 % # < ' = , V W < A 6 ; 6 4 Y 3 > , # + Z @ * - F # 5 % # < ' = , V W < + 6 % + 0 ). Ce rapprochement est dautant plus vraisemblable que les vers 360-361 dj cits du mme livre, tout comme la section suivante des vers 369-371, se prsentent comme un libre dveloppement inspir par le mme chapitre du livre dIsae, o Isra l est accus dobstination et de stupidit (6,9-10 : Il me dit : V a, et tu diras au p eup le : coutez , coutez , et ne comp renez p as ; reg ardez , reg ardez et ne discernez p as. Ap p e-santis le c ur de ce p eup le, rends-le dur doreille, eng lue-lui les yeux , de p eur que ses yeux ne v oient, que ses oreilles nentendent, que son c ur ne comp renne, quil ne se conv ertisse et ne soit g uri 9 ). cet gard, Or sib 8,289 est beaucoup moins explicite dans son accusation.
On a voulu voir dans ce passage des Oracles sibyllins (8,287-290) une rminiscence de l v ang ile de Pierre 910, mais rien nest moins s r.
8. p tre de Barnab 5,14 : " # $ 1 L , 96 , R I ' 9 [ 7 (+ M , % R F ' 9 * L 4 + / % P 6 6 J % + 6 ' ? 0 4 L 3 % 9I # 0 , * # $ % S 0 3 9 # I Q 6 # 0 ' ? 0 H # 1 O 3 4 # % # , % P (E 1 5 Q 3 A 1 Q 6 4 + / W F V * # \ 0 3 % ' 5 ' S 6 1 R % 5 # 6 . (traduction de P. PRIGENT [Paris, Cerf, 1971]). Voir note ad loc.
9. Is 6,9-10 LX X : * # $ ' ] 1 ' 1 + 5 ' M F V % 9 * # $ ' ] 1 + 6 % G , # G % + / % G @ * + ^ @ * + M 3 ' % ' * # $ + T 4 _ 3 / 6 ` % ' * # $ a , R 1 + 6 % ' 0 a , R U ' % ' * # $ + T 4 ) b(V % ' [ ; 1 # < M 6 F V I S 5 c * # 5 (O# % + Z , # + Z % + M % + / , * # $ % + : 0 d 3 $6 # T % J 6 a # 5 R A 0 e * + / 3 # 6 * # $ % + f 0 g . F # , 4 + f 0 # T % J 6 ; * L 4 4 / 3 # 6 , 4 h 1 + % ' b(A 3 96 % + : 0 g . F # , 4 + : 0 * # $ % + : 0 d 3 $6 @ * + M 3 A 3 9 * # $ % ^ * # 5 (Oi 3 / 6 J 3 9 * # $ ; 1 9 3 % 5 R U A 3 9 * # $ ? L 3 + 4 # 9 # T % + M 0 .
10. v ang ile de Pierre 9 : Et dautres qui taient prsents lui crachaient la face et dautres lui frapprent les joues, dautres le piquaient avec un roseau et certains
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Une comparaison dtaille montre que les di rences lemportent sur les ressemblances, lesquelles sexpliquent mieux par limagerie du Serviteur sou rant dIs 50,6 que par une dpendance littraire stricte entre les deux textes11.
Il est intressant de noter que les vers 287-290 du huitime livre sont cits, la suite dIs 50,5-6 et du Ps 34,15-16, dans L es Institu-tions div ines de Lactance (4,18,15), au dbut du IVe sicle de notre re, comme tmoignages de prophties paennes sur la Passion du Christ12. Augustin les reprendra son tour en latin dans L a Cit de D ieu, 18,23,2, aprs avoir longuement prsent et discut le clbre acrostiche de la Sibylle. Lvque dHippone avait pour but de runir en un ensemble cohrent des vers sibyllins cits de faon parse par Lactance, suiv ant les besoins de son arg umentation , comme il lexplique. Or, il faut relever que les 17 vers runis par Augustin se rapportent tous la Passion de Jsus et proviennent presque tous du huitime livre des Oracles sibyllins, le premier livre lui tant appa-remment inconnu, de mme qu sa source lactancienne13 : Puis
le fouettaient en disant : Par cet hommage, honorons le ls de Dieu. " # $ j % ' 5 + 9 k 3 % J % ' 0 ; 6 R 1 % / + 6 # T % + Z % # : 0 l U ' 3 9 * # $ N , , + 9 % S 0 3 9 # I Q 6 # 0 # T % + Z ; 5 L 1 9 3 # 6 , j % ' 5 + 9 * # , L 4 > W 6 / 3 3 + 6 # T % P 6 * # $ % O6 ' 0 # T % P 6 ; 4 L 3 % 9 K + 6 , R I + 6 % ' 0 [ m # M % n % ^ % 9 4 ^ % 9 4 h 3 A 4 ' 6 % P 6 / o P 6 % + Z p ' + Z . partir de M. G. MARA, v ang ile de Pierre, introduction, tex te critique, traduction, commentaire et index (Paris, Cerf, 20062), 44-45. Pour le texte critique, voir aussi T. J. K RAUS et T. NICK LAS, D as Petrusev ang elium und die Petrusap okalyp se. D ie g riechische Frag mente mit deutscher und eng lischer bersetz ung (Berlin, Leipz ig & New Y ork, Walter de Gruyter, 2004).
11. Cest galement le point de vue de T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 270-271. Voir aussi L. VAGANAY , L v ang ile de Pierre (Paris, Gabalda, 1930), 164-165. Les conclusions de Vaganay sont reprises telles quelles par M. G. MARA, v ang ile de Pierre , 23 ; Ead., Il V ang elo di Pietro (Bologne, EDB, 2003), 19 ; M. ERBETTA, Gli ap ocri del N uov o Testamento. V ang eli I.1 : Scritti a! ni ai v ang eli canonici comp osiz ione g nostiche materiale illustrativ o (Turin, Marietti, 1975), 141 ; J. DENK ER, D ie theolog ieg eschichtliche Stellung des Petrusev ang eliums. E in Beitrag z ur Geschichte des D oketismus (Berne & Francfort/ Main, Herbert Lang & Peter Lang, 1975), 19-20.
12. On les trouve galement dans la Thosop hie de T bing en (BEATRICE, Anonymi M ono-p hysitae , 55, 222-225 = ERBSE, Frag mente g riechischer , 10, 271-274).
13. AUGUSTIN, L a Cit de D ieu 18,23,2 : in manus iniquas , inquit, in delium postea ueniet ; dabunt autem deo alapas manibus incestis et inpurato ore exspuent uenenatos sputus ; dabit uero ad uerbera simpliciter sanctum dorsum. et colaphos accipiens tacebit, ne quis agnoscat, quod uerbum uel unde uenit, ut inferis loquatur et corona spinea coronetur. ad cibum autem fel et ad sitim acetum dederunt ; inhospitali-tatis hanc monstrabunt mensam. ipsa enim insipiens tuum deum non intellexisti, ludentem mortalium mentibus, sed et spinis coronasti et horridum fel miscuisti. templi uero uelum scindetur ; et medio die nox erit tenebrosa nimis in tribus horis. et morte morietur tribus diebus somno suscepto ; et tunc ab inferis regressus ad lucem ueniet primus resurrectionis principio reuocatis ostenso. (Traduction parJ.-L. Dumas [Paris, Gallimard, 2000]), 792, lgrement retouche). Cf. aussi J.-M. ROESSLI, Augustin, les sibylles, et les Oracles sibyllins , Aug ustinus afer. Saint Aug ustin : africanit et univ ersalit. Actes du colloque international, Alger-Annaba, 1-7 avril 2001 (Fribourg, ditions Universitaires, 2003), 263-286, ici 275-276.
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il tombera entre les mains iniques des in d les ; ils donneront D ieu des sou ets de leurs mains souilles et ils lanceront de leurs bouches imp ures des crachats emp oisonns; mais il o" rira av ec simp licit au fouet son dos innocent14. R ecev ant des coup s de p oing , il se taira, a n que nul ne sache quil est le V erbe ni do il est v enu p our p arler aux E nfers, et il p ortera une couronne dp ines15. Pour nourriture ils lui ont donn du el, p our boisson du v inaig re : telle est la table inhosp itali re quils lui dsig nent16. Insense ! tu nas p as reconnu ton D ieu qui se joue de la raison des mortels, mais tu las couronn dp ines et tu lui as p rp ar une mix ture d p re el17. L e v oile du Temp le se dchirera ; et en p lein jour il y aura p endant trois heures une nuit tnbreuse18. Il mourra et, p endant trois jours, il dormira du sommeil de la mort. E t rev enu des E nfers, il p arv iendra le p remier la lumi re, montrant aux rachets les p rmices de la rsurrection19.
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Or sib 1 Or sib 8, 292-293
* # $ * + , # . 9 K & 4 ' 6 + 0 3 9I q 3 ' 9 , 4 q % 9 0 ; 1 9I 6 G ,Et sou! et, il gardera le silence, a n que nul ne reconnaisse
% = 0 % =6 + 0 r 6 1 & F ' 6 s , F ' 6 , t6 # . F 9 4 Y 6 + 9 3 9 , # , q 3 ' 9 .qui il tait, de qui il tait issu et do il tait venu pour parler ceux qui sont morts.
Mais avant cela, dans le livre 8, cet pisode est prcd, aux vers 292-293, dun intressant dveloppement sur lattitude de Jsus lors de la agellation : E t sou et, il g ardera le silence, a n que nul ne reconnaisse / qui il tait, de qui il tait issu et do il tait v enu p our p arler ceux qui sont morts . Les sou! ets donns au Christ sont nots par le mme verbe * + , # . = K A que lon trouve en Mt 26,67 et Mc 14,65 ; rien de nouveau donc, sinon que la squence des vnements est ici plus proche de celle des vangiles canoniques que dans le premier livre. Q uant au silence de Jsus, il en est question dans les quatre vangiles (Mt 26,63 ; 27,13 ; Mc 14,61 ; 15,4 ; Lc 23,9 et Jn 19,9), deux moments successifs chez Mt et Mc, une premire fois devant le Sanhdrin, la deuxime face Pilate. Q uant Lc et Jn, ils voquent uniquement le refus de Jsus de rpondre Pilate. Jamais nanmoins les vangiles canoniques ne se servent du verbe 3 9I - A , qui peut stre impos ici pour des raisons mtriques. Le texte des Oracles ne fait allusion aucun interrogatoire prcis, la di rence des vangiles canoni-ques qui en relatent plusieurs, mais lexpression % = 0 % =6 + 0 r 6 des Oracles pourrait bien faire cho linterrogation sur la messianit et la liation divine de Jsus, telle quon peut la lire en Mt 26,63, Mc 14,61 et Lc 22,67. Lactance et ceux qui dpendent de lui transmet-tent du reste pour ce vers une variante qui tend corroborer cette interprtation : a n que nul ne reconnaisse / quil est le V erbe ni do il v enait20 . De son c t, linterrogation 1 & F ' 6 s , F ' 6 , utilise en style
20. LACTANCE (Inst. div . 4,18,17), AUGUSTIN (L a Cit de D ieu 18,23,2) et lauteur de la Tho-sop hie dite de T bing en (BEATRICE, Anonymi M onop hysitae , 55, 230 = ERBSE, Frag mente g rie-chischer 10,280) : quil est le V erbe ni do il v enait (% = 0 , & I + 0 u 1 & F ' 6 s , F ' 6 ; quod uerbum uel unde uenit).
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indirect dans les Oracles, pourrait faire cho la question de Pilate sur la royaut de Jsus en Jn 19,9 : 1 & F ' 6 ' ] 3 2 ; ( D o es-tu ? ).
Une certaine incertitude plane en n sur les lments auxquels rattacher la subordonne de but qui conclut cette phrase. Doit-elle tre interprte en lien avec ces trois questions poses en style indi-rect : qui il tait, de qui il tait issu et do il tait v enu ? Si tel est le cas, la Sibylle veut sans doute souligner que cest en vertu de sa liation et de son identit divine que le Verbe possde la capacit de parler aux morts : a n que nul ne reconnaisse qui il tait, de qui il tait issu et do il tait v enu p our p arler ceux qui sont morts . Mais il y a, mon avis, une autre lecture possible, car rien ninterdit de rattacher cette deuxime subordonne de but, introduite par t6 # , au verbe principal et de consi-drer de ce fait que si le Verbe choisit de garder le silence et refuse de dcliner son identit, cest dans le but de parler aux morts : il g ardera le silence, p our que nul ne reconnaisse / qui il tait, de qui il tait issu et do il tait v enu, a n quil p uisse p arler ceux qui sont morts. Je ne crois pas quil soit grammaticalement et syntaxiquement possible ni mme ncessaire de trancher entre ces deux lectures, qui correspondent si bien, me semble-t-il, lambigut et la polysmie du style sibyllin. Q uoi quil en soit, cette nale anticipe de faon magistrale le but ultime de la Passion du Verbe, qui ne consiste pas seulement sauver les morts (v. 285), mais parler avec eux (v. 293).
Mais la source la plus directe du silence du Verbe ce moment-l nest peut-tre pas chercher dans les synoptiques, mais une fois de plus chez le prophte Isae, qui crit propos du Serviteur sou rant : M altrait, il shumiliait, il nouv rait p as la bouche, comme lag neau qui se laisse mener labattoir, comme dev ant les tondeurs une brebis muette, il nouv rait p as la bouche21. Une fois encore, Lactance avait dj fait le rapprochement22.
L v ang ile de Pierre connat, lui aussi, le motif du silence de Jsus, mais il sagit ici du silence sur la Croix, et sa signi cation est donc
21. Is 53,7 LX X : * # $ # T % P 0 (9S % P * ' * # * J 3 F # 9 + T * @ 6 + =I ' 9 % P 3 % & 4 # v \ 0 1 5 & a # % + 6 ; 1 $ 3 . # I ) 6 e < F V * # $ \ 0 @ 4 6 P 0 ; 6 # 6 % = + 6 % + Z * ' = 5 + 6 % + 0 # T % P 6 N . A 6 + 0 + B % A 0 + T * @ 6 + =I ' 9 % P 3 % & 4 # # T % + Z .
22. LACTANCE, Inst. div . 4,18,16-17 : Il en va de mme pour son silence, quil a gard avec constance jusqu sa mort. Isae, encore lui, a dit : Comme un mouton il a t emmen pour tre immol, et comme un agneau sans voix devant ceux qui le tondent, il na pas ouvert la bouche. (Is 53, 7) Et la Sibylle cite plus haut : Frapp de coups, il se taira, pour que nul ne reconnaisse quil est le Verbe, ni do il venait, a n quil parle aux morts, et il portera une couronne dpines (Or sib 8, 292-294a). (Traduction de P. MONAT, [Paris, Cerf, 1992]).
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toute autre que dans les Oracles sibyllins, dautant que lapocryphe ptrinien prend soin dajouter : E t lui se taisait comme sil np rou-v ait aucune sou" rance (v. 10)23. Indpendamment de savoir sil faut reconnatre une pointe de doctisme dans cette formule24, ce qui est certain, cest que la raison du silence de Jsus-Seigneur ( * 2 5 9 + 0 ) nest pas de taire ou de dissimuler un secret ou une rvlation, mais de ne pas laisser entrevoir les sou rances endures.
Dans le huitime livre des Oracles sibyllins, le silence du Verbe a une fonction toute di rente : son r le est au contraire de dissi-muler, au moins pour un temps, la signi cation de cette sou rance pour lhistoire du salut. En e et, Jsus, qui tait prsent un peu plus t t comme Verbe crateur de toutes choses et rdempteur des morts (vv. 285-286), est amen devenir celui qui parle aux morts (v. 293). Le contraste entre le silence de Jsus face aux vivants lors de sa Passion et sa disponibilit parler aux morts, une fois quil aura lui-mme trpass, est pour le moins saisissant. Tout se passe comme si le Verbe voulait en quelque sorte rserver sa parole ceux qui lont perdue. Ce contraste rvle en outre une structure rhto-rique fort intressante : au dbut de la cration se tient le Verbe (v. 285), la n des temps, cest--dire lors du Jugement, son dialogue avec les morts, et, dans lintervalle, le silence du Verbe, qui ne doit pas tre reconnu ou identi comme tel par les vivants, comme le souligne du reste avec insistance la variante dj cite transmise par Lactance et ses successeurs : a n que nul ne reconnaisse / quil est le V erbe ni do il v enait. Nulle part ailleurs ma connaissance, mme dans les vangiles canoniques, la Passion noccupe une position si stratgique entre cration et eschatologie25.
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Le huitime livre des Oracles sibyllins poursuit sa narration en voquant le couronnement dpines et la perforation des ancs de Jsus (vv. 294-296). Ce faisant, la Sibylle combine deux pisodes spars du NT : la raillerie de Jsus avec une couronne dpines et un roseau avant la
23. Cf. M. G. MARA, v ang ile de Pierre , 106-111.24. Sur ce sujet, voir par exemple J. W. MCCANT, The Gospel of Peter : Docetism
Reconsidered , N TS 30 (1984) 258-273 ; P. M. HEAD, On the Christology of the Gospel of Peter , V ig Chr 46 (1992), 209-224.
25. Comme T. NICK LAS lavait dj relev ( Apokryphe Passionstraditionen , 272).
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cruci xion, que lon trouve en Mt 27,29 et Mc 15,17, et le coup de lance port au anc de Jsus lorsquil est en croix, tel que relat en Jn 19,3426. Le vocabulaire utilis par la Sibylle ne laisse planer aucun doute l-dessus : lexpression 3 % Y . # 6 + 6 @ * - 6 F 96 + 6 est emprunte Mt et Mc, tandis que 1 , ' / 5 S 0 6 2 D + / 3 96 ( ils p erceront ses ancs ) est calque sur la formule johannique % ) 6 1 , ' / 5 S 6 W 6 / D ' 6 ( il lui p er a le c t ) , sauf que Or sib 8,296 utilise le pluriel l o Jean et Or sib 1,373 sen tiennent au singulier. Q uant la lance (, & I < V ) de Jean, elle est remplace ici par le roseau (* - , # 4 + 0 ) de Mc et Mt. Par le choix du verbe 6 2 3 3 A ( p iquer , p ercer , p erforer ) , la Sibylle vise sans doute signaler en outre laccomplissement de la prophtie de Z a 12, 10b ( Celui quils ont transp erc, ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un ls unique ; ils le p leureront comme on p leure un p remier-n27 ) .
Pour clairer ce midrash thologique, qui emprunte la fois aux vangiles canoniques et aux prophtes, la Sibylle du huitime livre propose en outre deux exgses fort originales, la premire propos de la couronne dpines et la seconde des roseaux.
Dans la premire, elle explique, de faon assez surprenante, que gr ce ses pines la couronne devient la p arure ternelle des lus (vv. 295-296)28. Ce faisant, elle sloigne du texte biblique (et de l v ang ile de Pierre 8, trs proche des vangiles canoniques cet gard), qui fait de la couronne dpines lemblme dun roi dchu et raill (Sp ottk nig ), pour la transformer en une parure (N I # , 4 # ) ternelle, symbole dlection par excellence. Par cette exgse, laquelle Lactance pourrait fait allusion dans ses Institutions div ines 4,26,2129, la Sibylle souligne une nouvelle fois le lien troit entre Passion et salut eschatologique.
La deuxime exgse porte sur la signi cation des roseaux, mais malheureusement le texte en est trs incertain et nigmatique : Car
26. Et dans une variante bien atteste de Mt 27,49 : N , , + 0 (E , # a w 6 , & I < V 6 W 6 / D ' 6 # T % + Z % ) 6 1 , ' / 5 - 6 , * # $ ; D ` , F ' 6 B (A 5 * # $ # x 4 # .
27. Z a 12,10b LX X : @ 6 F y 6 * # % A 5 < q 3 # 6 % + * # $ * & U + 6 % # 9 ; 1 # T % P 6 * + 1 ' % P 6 \ 0 ; 1 @ I # 1 V % P 6 * # $ g (/ 6 V F q 3 + 6 % # 9 g (2 6 V 6 \ 0 ; 1 $ 1 5 A % + % & * > . Comme la bien vu NICK LAS ( Apokryphe Passionstraditionen , 273, n. 48), ce texte prophtique tait large-ment di us dans la littrature palochrtienne : p tre de Barnab 7,8-9 ; Protv ang ile de Jacques 24,3 ; JUSTIN, D ialog ue av ec Tryp hon 32,2 ; Ap olog ie 52,11 ; IRNE DE LY ON, Contre les hrsies 4,33,11, etc.
28. La Thosop hie de T bing en transmet la mme leon que les familles de manuscrits z et { de la collection des Oracula Sibyllina : % P 3 % Y . + 0 ; * , ' * % J 6 | I = A 6 # ? 8 6 9 + 6 C D ' 9 ( Car cest des p ines que v iendra la couronne ternelle des saints lus ) .
29. LACTANCE, Inst. div . 4,26,21 : Car la couronne dpines place sur sa tte montrait quil rassemblerait plus tard autour de lui un peuple divin constitu partir de crimi-
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cest des roseaux secous par un autre vent / que les inclinations de lme se sont dtournes de la colre et du chtiment (vv. 297-298)30. On peut sans doute reconnatre dans ces vers assez obscurs une allusion Jean-Baptiste, propos duquel Jsus demande : Qutes-vous alls voir au dsert ? Un roseau ( !"#$%&) secou ('#"()*$(&%&) par le vent (+,- .&/$%)) ? (Mt 11,7 et Lc 7,24), ainsi quune rminiscence de la prdication de celui-ci, telle que rapporte en Mt et Lc 3,7 : Engeance de vipres, qui vous a suggr dchapper la colre prochaine ? Le lien avec la Passion nest pas facile percevoir, mais peut-tre faut-il comprendre que le roseau avec lequel Jsus tait frapp vise rappeler allgoriquement la proximit du Jugement, auquel Jean-Baptiste exhortait les mes se prparer31. Dans ce cas, la Sibylle du livre 8 viserait relier la passion du Verbe et le Jugement dernier,
nels, car on appelle couronne le peuple qui se rassemble en cercle. ( Nam corona spinea capiti eius imposita id declarabat fore ut diuinam sibi plebem de nocentibus congregaret. Corona enim dicitur circumstans in orbem populus. Traduction de P. MONAT (Paris, Cerf, 1992.) Voir aussi CLMENT DALEXANDRIE, Pdagogue 2,8,74,1-3 : Cest pourquoi, celui en qui ils nont pas cru lorsquil tait un homme, le Dieu qui aime les hommes, ils le reconnatront comme Seigneur et juste ; le tmoignage quils se sont refus obstinment rendre au Seigneur, ils le lui ont rendu quand il tait lev (sur la croix), en couronnant du diadme de la justice, avec des pines qui sont toujours vertes, celui qui a t lev au-dessus de tout nom. Ce diadme est ennemi de ceux qui conspi-rent (contre le Seigneur) et il les repousse, il est ami de ceux qui entrent dans lassem-ble de lglise, et il les met labri ; cette couronne est la eur de ceux qui ont cru celui qui a t glori ; elle ensanglante et punit ceux qui nont pas cru. Ce midrash thologique (Or sib 8,295-296) prpare lexgse contenue dans le vers 302 du mme livre des Oracles sibyllins, auquel LACTANCE fera clairement allusion un peu plus loin dans le mme chapitre du quatrime livre des Institutions divines (4,26,36) ; cf. ci-dessous la discussion sur Or sib 8,302.
30. Comparer avec la traduction de E. MASSAUX, In uence de lvangile selon saint Matthieu sur la littrature chrtienne avant Irne (Louvain, Publications Universitaires, 1950), 235 : Car par un autre des roseaux qui vacillaient au vent, lme a t amene au jugement de la colre et de la rtribution. La plupart des spcialistes ont renonc traduire ces vers, jugs corrompus ; voir toutefois M. S. TERRY, The Sibylline Oracles Translated from the Greek into English Blank Verse (New York & Cincinnati, Eaton & Mains/Curt & Jennings, 1899, rimprim New York en 1973), 189 : For from the reeds by another spirit moved / Was he brought up for judgments of the soul, / And wrath and recompense ou M. MONACA, Oracoli Sibillini, 176 : Dalle canne agitate dal vento, poi, un altro si aliment / guardando al giudizio della passione dellanima e alla redenzione , qui adopte, comme M. S. TERRY, The Sibylline Oracles... 60 : For of thorns is the crown an ornament / Elect, eternal , la leon de 0 ( 123!45 ) plutt que celle de 6 ( 1'23!45 ).
31. Il est question de Jean Baptiste en Or sib 1,336-343, mais nulle part ailleurs dans le livre 8, si bien que O. WASSMUTH, Sibyllinische Orakel 1-2, 79, considre que le livre 8 des Oracles sibyllins, avec sa christologie hautement sophistique, ntait plus int-ress la gure de Jean-Baptiste. Sur Mt 11,7, voir HILAIRE DE POITIERS, Sur Matthieu, 11,4 (traduit par J. DOIGNON, [Paris, Cerf, 1979], 256-257) et AMBROISE DE MILAN, Trait sur lvan-gile de S. Luc, 5:104-106 (traduit par G. TISSOT, [Paris, Cerf, 1956], 221-222), o le roseau devient la chair mme du Christ. Je remercie Agns Bastit davoir port ces textes ma connaissance.
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comme Tobias Nicklas incline le penser en raison de la place du rcit de la Passion aprs lacrostiche du livre 8 (vv. 217-250)32.
La combinaison du verbe &7 ''8 et du substantif !"#$%9 se retrouve dans l vangile de Pierre 9, qui fait galement du coup de roseau un geste de raillerie prcdant la cruci xion, comme en Or sib 8,296, sans prciser toutefois que ce coup vise le anc de Jsus. Mme chose du reste dans la section gnostique et doctique des A ctes de Jean 97 ( je suis cruci , je suis piqu par des lances et des roseaux, je suis abreuv de vinaigre et de el33... ) , dont la rdaction est situer en Syrie au IIe sicle de notre re, et dans lOracle de Baalbek, lignes 74-75 ( ils lui perceront le anc avec un roseau et ne lui feront aucun mal34 ) , une version rvise au dbut du VIe sicle (vers 502) dun oracle aujourdhui perdu du IVe sicle, sauf que, dans ces textes, ce coup est assn lors de la cruci xion elle-mme, comme dans le premier livre des Oracles sibyllins35. Aucun lien de dpendance directe ne semble
32. T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , mais voir aussi ci-dessous n. 36.33. Traduction de J.-D. K AESTLI et . JUNOD. Sur ce sujet, voir A cta Iohannis. Textus alii,
commentarius, indices (Turnhout, Brepols, 1983), 581-677 ; Id., Les Actes de Jean , crits apocryphes chrtiens, t. 1 (Paris, Gallimard, 1997) 973-1037, ici 979-981. Notons que les A ctes de Jean combinent le pluriel de Jn 19,34 ("*: ; 5, lance ) avec le pluriel de Mt 11,7 et 27,29 ( !"#$%9 , roseau ). Sur Mt 27,29, voir aussi HILAIRE DE POITIERS, Sur Matthieu, 33:3 (traduit par J. DOIGNON [Paris, Cerf, 1979]), 250, et AMBROISE DE MILAN, Trait sur lvan-gile de S. Luc, 10:105-106 (traduit par G. TISSOT [Paris, Cerf, 1958]), 189-190, o le roseau reprsente lhumanit du Christ. Je remercie Agns Bastit davoir port ces textes ma connaissance.
34. P. J. ALEXANDER, The Oracle of Baalbek. The Tiburtine Sibyl in Greek D ress (Washington, Dumbarton Oaks Center for Byzantine Studies, 1967), 13 : #< #"!$= &7 > %)'?& #@ 2%A 2B & ,"()3C & #< %@ DE & .D? F '%)'?& #@ 2-&. Contrairement ce que lon pour-rait croire, lOracle de Baalbek nest pas la version originale de la Sibylle de Tibur latine, connue depuis longtemps, mais une version ampli e au dbut du VIe sicle de loriginal grec qui est lorigine de celle-ci et qui date du IVe sicle. Des prophties de la Sibylle de Tibur, il existe aussi des versions en arabe et en thiopien. ce sujet, voir J. SCHLEIFER, Die Erz hlung der Sibylle : Ein Apokryph. Nach den karschunischen, arabischen und thiopischen Handschriften zu London, Oxford, Paris und Rom , D enkschriften der K aiserlichen A kademie der W issenschaften. Philosophisch-historische C lasse 53 (1910), 1-80 ; R. Y. EBIED et M. J. L. YOUNG, A Newly-Discovered version of the Arabic Sibylline Prophecy , Oriens C hristianus 60 (1976), 83-94 ; Id., An Unrecorded Arabic Version of a Sibylline Prophecy , Orientalia C hristiana Periodica 43 (1977), 279-307, de mme que des traductions en ancien franais faites sur le latin ; sur ce sujet, cf. J. HAFFEN, C ontribution ltude de la Sibylle mdivale. tude et dition du MS. B.N ., F . F R . 25 4 0 7 fol. 16 0 v-17 2v : Le livre de Sibille (Paris, Belles Lettres, 1984) ; J. BAROIN et J. HAFFEN, La Prophtie de la Sibylle Tiburtine. dition des MSS B.N . F R . 3 7 5 et R ennes B.M. F R . 5 9 3 (Paris, Belles Lettres, 1987). Cf. aussi, plus rcemment, N. BROCCA, La tradizione della Sibilla Tiburtina e lacrostico della Sibilla Eritrea tra Oriente ed Occidente, Tardantichit e Medioevo. Una collezione profe-tica ? , LA ntiquit tardive dans les collections mdivales. Textes et reprsentations VIe-X VIe sicles (Rome, cole franaise de Rome, 2008), 225-260 (compte rendu par P. BLAUDEAU, R evue historique 654 [2010], 446-450). Notons en outre que dans lOracle de Baalbek seul un des ancs de Jsus est perc, alors que les A ctes de Jean restent muets sur ce point.
35. Les deux textes sont mentionns par J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles, 437.
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nanmoins pouvoir tre tabli entre l vangile de Pierre, les A ctes de Jean et les Oracles sibyllins. En revanche, il est peu prs certain que lOracle de Baalbek sinspire des Oracles sibyllins sur ce point.
Or sib 1, 372-374a
."" G 2#& 1 ,(2!'H ; (I3#9 #< ,!&2# $(23F 'HMais lorsquil aura tendu les mains et pris la mesure de toutes choses,
#< '2/4#&%& 4%3/'H 2-& . !&J ?&%& K D/ 2( ,"()3!&(et) quil aura port la couronne dpines et quon lui aura perc
&7 > 8 '?& #"!$%?'? &*$%) ; !3?&, 1& 23?'
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gse que lon trouve dans le livre 8, laquelle na donc aucun parallle ailleurs dans les Oracles sibyllins.
Voici comment les choses sont mises en scne dans le premier livre. Aprs une violente accusation porte contre Isra l et son peuple (vv. 369b-371), la Sibylle en vient voquer la cruci xion mme de Jsus. Elle le fait en termes tout fait extraordinaires, car, isole de son contexte, la formule utilise pourrait tre simplement comprise comme une expression de la seigneurerie de Jsus ou de Dieu sur lunivers, alors quil sagit dune allusion peine voile la cruci- xion de Jsus : Mais lorsquil aura tendu les mains et pris la mesure de toutes choses / quil aura port la couronne dpines... (vv. 372-373). Cette mme ide se retrouve au huitime livre des Oracles sibyllins, mais elle intervient plus tard, aprs le couronnement dpines, et elle forme syntaxiquement une proposition indpendante qui, elle, plus encore que celle du premier livre, pourrait avoir, si on la sortait de son contexte, une signi cation toute diX rente : Il tendra les mains et prendra la mesure du monde entier (v. 30236).
Dans les deux cas, le cadre narratif impose, bien entendu, dy reconnatre une vocation, en mme temps quune exgse, de la cruci xion, mais par cette lecture minemment positive de la cruci- xion, la Sibylle renforce encore le lien entre Passion et rdemp-tion, comme le suggre du reste Lactance, lorsquil cite en latin ce vers de la Sibylle dans le quatrime livre de ses Institutions divines (4,26,3637) : A insi, dans sa passion, il a tendu les mains et mesur le monde, pour montrer ds cet instant que, du levant jusquau couchant, un grand peuple rassembl, de toutes les langues et de toutes tribus, viendrait sous ses ailes et prendrait sur son front ce trs grand et sublime signe38.
36. C. ALEXANDRE, Oracula Sibyllina (Paris, F. Didot, 1841), 281, note 302 ; Id., Oracula Sibyllina (Paris, F. Didot, 1869), 237, note 302sqq. proposait de dplacer ce vers aprs le vers 298 (alors quil gure ordinairement aprs le vers 301). Il faut dire que dans la plupart des manuscrits des Oracles sibyllins lordre des vers de ce livre est assez chao-tique. Cest la raison pour laquelle je naccorderais personnellement pas autant de poids que Nicklas ( Apokryphe Passionstraditionen ) au contexte littraire large et troit dans lequel sinsre le rcit de la Passion dans les Oracles sibyllins (voir ci-dessus). Personne na suivi Alexandre sur ce point. Selon moi, ce vers est parfaite-ment sa place aprs lannonce de labolition de la Loi par Jsus (vv. 299-301) ; voir ci-dessous.
37. LACTANCE, Inst. div. 4,26,36 : Extendit ergo in passione manus suas orbemque dimensus est, ut iam tunc ostenderet ab ortu solis usque ad occasum magnum populum ex omnibus linguis et tribubus congregatum sub alas suas esse uenturum signumque illud maximum atque sublime frontibus suis suscepturum. (Traduction de P. MONAT, [Paris, Cerf, 1992]).
38. Cf. Ap 7,1-4 ; 14,1. Cf. Or sib 8,302.
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Plusieurs autres textes de la tradition patristique et apocryphe con rment cette exgse de la cruci xion, dans laquelle le Cruci prend le monde entier sous sa protection39.
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Mais avant cette vocation de la cruci xion (v. 302), la Sibylle du huitime livre annonce labrogation de la Loi par Jsus (vv. 299-301) : Mais lorsque sera accompli tout ce que jai prdit, / alors, pour lui, toute la loi, qui, lorigine, fut donne aux hommes / sous forme de dcrets cause dun peuple indocile, sera abolie. Ces lignes ont un accent paulinien trs marqu, en particulier le Paul de l ptre aux Galates et, secon-dairement, de la Lettre aux R omains. La mme ide se retrouve, plus explicite et polmique encore, dans lOracle de Baalbek, lignes 41-42, o il est prcis que cest la loi des Hbreux que Jsus dtruira avant dimposer sa propre loi : Il abolira la loi des H breux et tablira sa propre loi, et sa loi rgnera40 , alors que dans le livre 8 la rfrence la loi juive nest faite que de faon dtourne, par lallusion au peuple indocile ( D?C "#-& .,(?J U 41 ). Paul J. Alexander, lditeur de
39. IRNE DE LYON, C ontre les hrsies 5, Frg. gr. 16,10ss. : rassemblant par lextension de ses mains les deux peuples vers un seul Dieu [= 5,17,4 (inspir dEph 3,18) : Car, puisque nous lavions perdu par le bois, cest par le bois quil est redevenu visible pour tous, montrant en lui-mme la hauteur, la longueur et la largeur, et, comme la dit un des anciens, rassemblant par lextension de ses mains les deux peuples vers un seul Dieu. Il y avait en eX et deux mains, parce quil y avait deux peuples disperss aux extrmits de la terre ; mais au centre il ny avait quune seule tte, parce qu il ny a quun seul Dieu, qui est au-dessus de toutes choses, travers toutes choses et en nous tous. (traduit par A. ROUSSEAU, L. DOUTRELEAU et C. MERCIER [Paris, Cerf, 1969]) ; HIPPOLYTE, LA ntchrist 61. Voir aussi LACTANCE, Inst. div. 4,26,21, cit ci-dessus n. 29 propos de Or sib 8,295-296. Voir aussi les Odes de Salomon 27,2-3 (M. LATTK E, Oden Salomos. Text, bersetz ung, K ommentar. Teil 2. Oden 1528 (Fribourg & G ttingen, Universit tsverlag/Vandenhoeck & Ruprecht, 2001), 253-256 ; Odes de Solomon 42,12 (Id., Oden Salomos. Text, bersetzung, K ommentar. Teil 3. Oden 2942 (Fribourg & G ttingen, Universit tsverlag/Vandenhoeck & Ruprecht, 2005), 249-252 ; Traduction anglaise : The Odes of Solomon : A C ommentary (Minneapolis, Fortress Press, 2009) ; Or sib 5,257 et 8,251 ( propos de Mose).
40. P. J. ALEXANDER, The Oracle of Baalbek , 12 : "7 '(? 2-& &*$%& 2O & Y W 3#S8 & #< ZD?%& &*$%& '2F '(? , #< W #'?"(7 '(? [ &*$%9 #@ 2%A .
41. Ici, je ne suivrai pas T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 273, n. 47, pour qui il est di\ cile de savoir quoi se rfre chaque loi ou toute la loi et, quen raison de lallusion un peuple indocile , il peut di\ cilement sagir de la loi juive. Cette expression se retrouve en Or sib 1,204 ; 3,668 ; et 6,11 (aprs mendation), o elle se rapporte manifestement au peuple juif. Mais par-dessus tout, il ne peut tre ici ques-tion dautre chose que de la loi des Hbreux, comme le con rme lOracle de Baalbek. Cest aussi le point de vue de J. H. CHARLESWORTH, Jewish and Christian Self-De ni-tion in the Christian Additions to the Apocryphal Writings , Jew ish and C hristian Self-D e nition (Londres, SCM Press, 1980), vol. II, 27-55 et 310-315, ici p. 53. Cf. nanmoinsT. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 275, o il identi e clairement la loi
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lOracle de Baalbek, a rapproch cette prophtie de la Sibylle annon-ant labrogation de la Loi juive par Jsus de la doctrine marcionite de lopposition radicale entre la Loi et lvangile42. On sait que dans ses A ntithses Marcion avait supprim le verset de Mt 5,17, dans lequel Jsus a\ rme ne pas tre venu pour abroger la Loi ou les Prophtes mais pour laccomplir, et quil avait en revanche insr dans sa version de lvangile de Luc (23,2) une charge contre les Juifs dclarant devant Pilate que Jsus abrogerait la Loi et les Prophtes43 . Des marcionites ultrieurs iront mme jusqu faire dire Jsus le contraire de ce quil est cens dire en Mt 5,17 : Vous croyez quil est venu pour accomplir la Loi ou les Prophtes ; il est venu pour abroger, non pour accomplir44.
Or sib 1,332
#@ 2-9 ,"53Q '(? DE J (%A &*$%&, %@ #2#"7 '(? .Il accomplira la loi de Dieu, ne labro-gera pas.
Or sib 8, 299-301
."" G 2( 2#A 2! : ( ,!&2# 2("(?8 J ] M ,(3 (^,%&,Mais lorsque sera accompli tout ce que jai prdit,
(P9 #@ 2-& 2*2( ,_ 9 "7 (2#? &*$%9 , G '2?9 ., .3; U 9alors, pour lui, toute la loi, qui, lorigine, fut donne aux hommes
D*: $#'?& .&J 3Q ,%?9 1D*J 5 D?C "#-& .,(?J U .sous forme de dcrets cause dun peuple indocile, sera abolie.
de Or sib 8,307 avec la Torah. Curieusement, Nicklas ne semble pas relier Or sib 8,307-309 Or sib 8,299-301.
42. P. J. ALEXANDER, The Oracle of Baalbek , 72.43. Ibid., n. 27.44. Ibid., 72. Alexander cite ISIDORE DE PLUSE, Lettres. I, 371 et renvoie bien s r A. VON
HARNACK , Marcion : D as Evangelium vom F remden Gott (Leipzig, J. C. Hinrichs, 19242), 80 et 261 ; 173 et 235 ; et 369 et suiv. (= Marcion, lvangile du D ieu tranger. C ontribution lhis-toire de la fondation de l glise catholique, traduit par B. LAURET, contributions de B. LAURET, G. MONNOT et . POULAT. Essai de M. TARDIEU, Marcion depuis Harnack , [Paris, Cerf, 2003]). Cf. aussi T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 278.
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Lexgse du livre 8 contraste avec la\ rmation du premier livre des Oracles sibyllins (v. 332) : Il accomplira la Loi de D ieu, ne labro-gera pas , qui, elle, est conforme Mt 5,17 : N allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophtes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir45 , sauf que la Sibylle spci e quil sagit de la Loi de D ieu46 , omet les prophtes et fait intervenir cette prophtie au tout dbut de la section sur Jsus dans le livre 1. La Sibylle Tiburtine, comme les versions en ancien franais, diront peu prs la mme chose : Il accomplira la Loi des H breux. Il y ajoutera en mme temps ses propres prceptes47 , avec substitution de la Loi de D ieu par la Loi des H breux et lide que Jsus y ajoutera des lments personnels.
!"#$%"'!%+,$%+ -()*( !%&%$%&.
Revenons maintenant la scne du breuvage oX ert Jsus que nous avons ci-dessus laiss de ct et tentons de voir comment nos
45. Cf. J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles, 427, qui renvoie D. A. HAGNER, Matthew 1-13 (Dallas, TX, Word Books, 1993), 105-106, pour la signi cation du verbe ,"53O '#? . La mme explication peut tre lue dans une note Mt 5,17 de la traduction cumnique du Nouveau Testament en franais (TOB), (Paris, Cerf, 19893) : Le verbe grec !"#$ peut signi er raliser (par ex. une prophtie : 1,22) , ou remplir (un let : 13 ,4 8 , une mesure : 23 ,3 2) . Le contexte du sermon sur la montagne invite lire ici le second sens. Jsus ne se propose pas simple-ment daccomplir la prophtie, il veut la mener sa perfection, et ainsi donner son vrai sens au code de vie religieuse qutait alors devenue la loi ; il lui fait ainsi atteindre sa perfection radicale et recouvrer sa simplicit originelle ( cf. 5 ,20 ) . Pour Jsus et la Loi, Lightfoot renvoie aussi R. S. MCCONNELL, Law and Prophecy in Matthew s Gospel : The A uthority and Use of the Old Testament in the Gospel of St. Matthew (Ble, Friedrich Reinhardt, 1969), 6-100.
46. Comme en Or sib 3,256.276.284.580.600.686.719.757.768 ; 7,128 et 11,37 ; sur ce sujet, voir R. BUITENWERF, Book III of the Sibylline Oracles and its Social Setting, W ith an Intro-duction, Translation, and C ommentary (Leyde-Boston, Brill, 2003), 339-342.
47. E. SACK UR, Sibyllinische Texte und Untersuchungen. Pseudo-Methodius, A dso und die tiburtinische Sibylle (Halle, Max Niemeyer, 1898, rimpression Turin, Bottega dErasmo, 1963), 179, ligne 28. Pour une traduction franaise de ce texte, cf. R. BASSET, Les apocry-phes thiopiens. X. La sagesse de Sibylle, (Paris, Librairie de lArt Indpendant, 1900). Dans les manuscrits dits par J. HAFFEN (C ontribution ltude), on lit, 116 : La Lei aemplira / E la soie ajoindra (vv. 249-250) et par J. BAROUIN et J. HAFFEN (La Prophtie ), 89 : e aemplira le loy des Hebrius et ajoustera ses propres choses a une chose (27c, ll. 91-92). Selon le rsum de deux autres versions franaises du Moyen ge, M. LE MERRER, Des sibylles la sapience dans la tradition mdivale , (Mlanges de l cole fran aise de R ome. Moyen ge 98 (1986), 13-33, ici 24 : Il dposera la loi judaque et suscitera une nouvelle loi , et P. VERDIER, La naissance Rome de la vision de lAra Coeli. Un aspect de lutopie de la paix perptuelle travers un thme iconographique , Mlanges de l cole fran aise de R ome. Moyen ge 94 (1982), 85-119, ici 94 : Il remplacera lancienne loi par la loi nouvelle , il nest pas impossible que certaines traductions mdivales de la Sibylle Tiburtine aient conserv le souvenir des doutes ou controverses entourant lattitude de Jsus face la Loi.
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deux livres sibyllins (Or sib 1,367-368a et Or sib 8,303-304) relatent ce nouvel pisode de la Passion en regard des vangiles canoniques.
Or sib 1, 367[-371]
(P9 DE 2- W 3O $# ; %"B & #< (P9 ,%2-& ` > %9 R 3#2%&En guise de nourriture, ils lui donne-ront, en toute impit, du el et,
D)''(W /8 9 DQ '%)'? # a W (W %"5-$/&%? %Z'23=pour boisson, du pur vinaigre, ayant la poitrine et le c ur
'2F J (# #< 3#DS5&, .2C 3 ` $$#'?& %@ 1'%3O &2(9piqu dune mchante rage, ne voyant pas avec les yeux,
2)4"*2(3%? ',#"! 8 &, 4%W (3Q 2(3%? 13,)'2F 38 &plus aveugles que des taupes, plus repoussants que des reptiles
J 53O & P%W *"8 &, W #3/? ,(,(D5$/&%? b ,&= .sauvages et venimeux, prisonniers dun sommeil accablant.
Or sib 8, 303-304
(P9 DE 2- W 3O $# ; %"B & #< ,?(I& ` > %9 c D8 #&NEn guise de nourriture, ils lui ont donn du el et pour boisson du vinaigre.
2U 9 .4?"%> (&S59 2#7 25& D(S> %)'? 23!,(> #&.Ils exhiberont cette table inhospita-lire.
Chacun deux raconte comment Jsus a t abreuv au C alvaire (Mt 27,34.48 ; Mc 15,36a ; Lc 23,36 et Jn 19,29) et chacun deux mentionne le vinaigre, mais seul Mt 27,34 parle galement de el, ; %"F , sans dire toutefois que celui-ci a t donn en guise de nourri-ture et sans lassocier au vinaigre, puisque, selon le rcit matthen, il est mlang du vin. En fait, le parallle le plus parlant pour ces vers de la Sibylle nous est fourni par le Psaume 68,22 LXX : En guise de nourriture, ils mont donn du el et pour tancher ma soif ils mont fait
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boire du vinaigre48 , comme lavait du reste bien vu Lactance dans le quatrime livre de ses Institutions divines (4,18,1949). Presque tous les mots utiliss par la Sibylle sy retrouvent : (P9 2- W 3O $#, ; %"B &, ` > %9 ; seul le verbe ,S&8 dOr sib 8,303 se dmarque quelque peu, mais sa signi cation nest pas trs loigne de ,%2Sd 8 ( faire boire, abreuver ) , dont nous avons le substantif en Or sib 1,367. Dans le cas dOr sib 8,303, la parent va encore plus loin, puisquon retrouve mme la forme c D8 #&, qui est un aoriste, dans un contexte o lon attendrait un futur, comme cest le cas aux vers qui lencadrent. On est donc en droit de se demander si le sibylliste du huitime livre na pas repris tel quel le texte de la Septante, sans ladapter au cadre temporel du discours oraculaire, qui requiert le futur. Cest dautant plus probable que le vers suivant (304) fait rfrence une table ( 23!,(d # ) dinhospitalit, dont la source dinspiration est sans doute chercher dans le vers suivant du mme psaume 68 (v. 2350). Par cette formule lapidaire, ils exhiberont cette table dinhospitalit , la Sibylle rsume avec ironie et sarcasme en quoi consiste le repas oX ert Jsus lors de sa Passion. Prise dans son ensemble, la squence des vers 288-304 montre que la Sibylle du huitime livre seX orce en outre de rapprocher les souX rances du Verbe incarn de celles du Serviteur souX rant dIsae et du Juste du psaume 68 LXX. La Sibylle du premier livre, quant elle, complte son oracle par un nouveau dveloppement inspir dIs 6,9-10, cit ci-dessus en lien avec Or sib 1,360-361 et qui a pour but de durcir encore laccusation porte contre Isra l : ayant la poitrine et le c ur / piqu dune mchante rage, ne voyant pas avec les yeux, / plus aveugles que des taupes, plus repous-
48. Ps 68,22 LXX : #< c D8 #& (P9 2- W 3O $! $%) ; %"B & #< (P9 2B & DST #& $%) 1,*2?'!& $( ` > %9 .
49. LACTANCE, Inst. div. 4,18,18-19 : Pour la nourriture et la boisson quils lui prsentrent avant de le clouer, D avid, dans le Psaume 6 8 , parle ainsi : Et comme nourriture, ils mont donn du el, et, pour ma soif, ils mont donn du vinaigre comme boisson. La Sibylle a galement annonc que cest exactement cela qui se passerait : Comme nourriture, ils lui ont donn du el, et pour sa soif du vinaigre ; ils lui montreront que leur table nest pas lamie des trangers [Sib Or 8,303-304] . T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 274, n. 51 relve quORIG NE avait dj tir un lien entre le repas de Jsus sur la Croix et le psaume 68,22 LXX dans son C ommentaire sur lvangile selon Matthieu, ser. 137, Mt 27,47-49.
50. Mentionn aussi par T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 273 et J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles, 436, qui relve encore juste titre que la Sibylle nexploite pas le partage des vtements de Jsus, comme le fait Mt 27,35, un dtail inspir du Ps 21,19 (20,18 LXX).
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sants que des reptiles / sauvages et venimeux, prisonniers dun sommeil accablant (vv. 369-37151).
On peut faire remarquer au passage que le verset 22 du psaume 68 a sans doute inspir les vanglistes, mme si Jean seul semble y faire allusion sans le citer (Jn 19,28-29 : laccomplissement des cri-tures). On peut tre peu prs certain aussi que Mt sen est inspir, puisquil remplace la myrrhe mle au vin de Mc par le el oX ert Jsus lorsquil arrive au Golgotha52. Ainsi, Mt transforme le vin parfum de myrrhe propos Jsus pour adoucir ses souX rances en une boisson dgo tante et humiliante, et, ce faisant, il transforme le geste de compassion en une mchante raillerie. L vangile de Pierre, l ptre de Barnab et les fragments Sur la Pque de Mliton de Sardes53 sont plus proches encore de lesprit du psaume 68,22 LXX que Mt, mais la Sibylle est assurment celle qui sen inspire le plus directe-ment, puisquelle ne parle jamais de vin (ou de vinaigre) ml de el, mais de el seul, lequel ne fait pas o\ ce de boisson, mais de nourri-ture, comme dans le psaume 68,22 LXX. De l vangile de Matthieu aux Oracles sibyllins, on assiste donc en quelque sorte une surenchre de la raillerie et, pour ce faire, ces derniers puisent directement au texte de la Septante54.
Signalons en n quau livre 6 des Oracles sibyllins lunit la plus courte du corpus , toute la Passion de Jsus appel dans ce pome Fils de lImmortel se rsume ces deux moments que sont le couronnement dpines et le breuvage ml de el, exprims avec une sobrit et une conomie de moyens tout--
51. Cf. J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles, 436, pour des parallles dans les littra-tures anciennes. Sur la ccit proverbiale des taupes, cf. W. SCHRAGE, 2)4"*9 , 2)4"*8 , Theologisches W rterbuch z um N euen Testament 8 (Stuttgart, K ohlhammer, 1969), 270-294, ici 275 et suiv.
52. La recension antiochienne de Mt remplace galement le vin par du vinaigre, preuve supplmentaire de lin uence du Ps 68,22. Voir aussi T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 274, n. 52.
53. Cf. vangile de Pierre 16 : Et lun dentre dit : Donnez-lui boire du el avec du vinaigre. Et aprs avoir prpar le mlange, ils lui donnrent boire ; ptre de Barnab 7:3 : Mais clou sur la croix, il fut dsaltr avec du el et du vinaigre ; Ibid., 7:5 : Pourquoi mabreuvez-vous de el et de vinaigre, moi qui vais oX rir mon corps pour les pchs de mon nouveau peuple ? ; MLITON DE SARDES, Sur la Pque 79, 573-574 : Pendant limmolation du Seigneur, vers le soir, tu prpares des clous pointus du vinaigre et du el ; 582-583 : Tu buvais du vin et mangeais du pain, mais lui du vinaigre et du el. , (traduit par O. PERLER [Paris, Cerf, 1966]). Cf. M. G. MARA, van-gile de Pierre, 129-132, qui ne mentionne toutefois pas les Oracles sibyllins ; T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 274, n. 52.
54. Cf. D. J. MOO, The Old Testament , 249-252 and 278-280, et E. MASSAUX, In uence, 89).
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Le rcit de la Passion dans les Oracles sibyllins 181
fait remarquables : toi seule, terre de Sodome, damres preuves sont rserves, / car toi-mme insense tu nas pas reconnu ton D ieu, / venu sous des traits mortels, mais tu las ceint / dune couronne dpines et tu as mlang un el terrible / en guise doutrage et dpreuve. C ela te vaudra damres preuves (v. 21-25)55. Les vers 22 24 de cet hymne oraculaire sont cits immdiatement la suite du passage des Institutions divines voqu ci-dessus propos du psaume 68,22 LXX56. Le mme antijudasme qui se lit dans le premier livre des Oracles sibyllins ressort de cette violente imprcation, dans laquelle tout Isra l est pour ainsi dire assimil ou identi la terre de Sodome.
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Les Oracles sibyllins passent immdiatement de ce pseudo-repas oX ert Jsus au dchirement du voile du temple et la venue des tnbres en plein jour, le premier livre intervertissant les deux vnements, conformment au rcit des vangiles canoniques, le huitime prfrant faire intervenir le dchirement du voile avant la venue des tnbres.
55. Ma traduction. Pour une tude dtaille de cet hymne oraculaire, voir M. D. USHER, The Sixth Sibylline Oracle as a Literary Hymn , Greek, R oman and Byz antine Studies 36 (1995), 25-49, et J.-M. ROESSLI, Le VIe livre des Oracles sibyllins , Les Sibylles. A ctes des VIIIe Entretiens de La Garenne Lemot, N antes 18 -20 octobre 20 0 1, (Nantes, Institut Universi-taire de France-CRINI, 2005), 203-230. On y trouvera une bibliographie exhaustive des tudes antrieures sur ce livre.
56. LACTANCE, Inst. div. 4,18, 20 : Et une autre Sibylle sen prend la terre de Jude en ces termes : Mauvaise tte, tu nas pas reconnu ton Dieu se moquant des penses mortelles, mais tu las couronn dune couronne dpines et tu as mlang un el terrible [Or sib 6,22-24] (traduction de P. MONAT, [Paris, Cerf, 1992], lgrement retouche). Lactance transmet une variante au premier hmistiche du vers 23, ce qui explique la diX rence de traduction ; sur cette question, cf. J.-M. ROESSLI, Le VIe livre , 226-227.
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182 En marge du canon
Or sib 1, 375-378
&e > c '2#? ' %2*(''# ,("Q 3?%9 f $#2? $/''=il y aura une nuit tnbreuse, mons-trueuse, au milieu du jour.
#< 2*2( DB -9 g %"%$Q &?%9 .&J 3Q ,%?'?&Cest alors que le temple de Salomon fera retentir
'U $# $/: 1 ("/'(? , [,*2#& h ?D8 &/%9 %^ %&un grand signe pour les hommes, lorsquil ira
W F '(2#? .: : /""8 & 1,#'2#'S5& 2(J &(O '?&.dans la demeure dHads, annonant la rsurrection aux morts.
Or sib 8, 305-309
%A DE '; ?'J ] 2- ,/2#'$# #< f $#2? $/''=Le voile du temple se dchirera et, au milieu du jour,
&e > c '2#? ' %2*(''# ,("Q 3?%9 1& 23?'
Le rcit de la Passion dans les Oracles sibyllins 183
Hormis le renversement squentiel dj voqu des deux vne-ments, le livre 8 est trs proche de la formulation des synoptiques, puisquon y retrouve le substantif *9 et le verbe '; Sd 8 , et que seul le mot ,/2#'$# remplace, pour des raisons mtriques videntes, le compos #2#,/2#'$# des synoptiques. Pour autant que ma comprhension des vers suivants (v. 307-309) soit correcte, la Sibylle du huitime livre semble associer en outre le dchirement du voile et la venue du Verbe sur terre la leve des restrictions quant laccs Dieu : C ar il fut nouveau rvl quon ne servirait plus une loi secrte / ni un temple qui se cache dans les illusions du monde, / une fois le souverain ternel descendu sur terre57. Ces vers sont sans doute lire en lien avec les vers 299-301 et comme leur prolongation ( C ar il fut nouveau rvl ) . Ils renvoient en outre lune des inter-prtations possibles de Mt 27,51 ( Et voici que le voile du Sanctuaire se dchira en deux du haut en bas ) , le voile du sanctuaire pouvant aussi bien dsigner le voile sparant le parvis du Temple lui-mme dont le dchirement ouvre laccs des paens la prsence de Dieu que le voile sparant le Lieu saint du Saint des Saints dont la rupture signi e la n du sacerdoce de lancienne Alliance58. Il nen va pas de mme au premier livre, o lauteur prend certaines liberts, en quali ant tout dabord le temple (*9 ) de salomonien comme il le fera un peu plus loin en Or sib 1,39359 et en annonant, non pas le dchirement du voile (,/2#'$#) totalement absent de cette version du rcit , mais le retentissement dun grand signe ('U $#) dans le temple. Cette imagerie appartient en propre au rpertoire sibyllin des prodiges et des 'F $#2# (Or sib 4,56 ; 12,74 ; 14,221 et surtout Or sib 8, 244)60.
57. Cf. J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles, 438, qui renvoie D. A. HAGNER, Matthew 14 -28 (Dallas, TX, WordBooks, 1995), 849. Cf. aussi T. NICK LAS, Apokryphe Passionstra-ditionen , 275, qui identi e avec raison la loi de Or sib 8,307 la Torah, et qui se demande avec scepticisme (note 54) si la loi secrte de ce vers a quelque chose voir avec la rvlation secrte ajoute la Torah, dont il est question dans la tradition apocalyptique. Une ide semblable se lit plus loin en 8,326-328 : Plein de mansutude il viendra pour lever le joug / accablant de lesclavage, qui pse sur notre nuque, / et pour abolir les lois impies et les liens contraignants.
58. Voir note Mt 27,51 TOB.59. Ladjectif g %"%$Q &?%9 ne se trouve quici et en Or sib 3,167.214 dans la littrature
judo-hellnistique.60. Cf. J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles, 437. Dans ce dernier passage (Or sib 8,244-
25), le signe ('U $#) dont il est question nest autre que la croix de la cruci xion : Signe alors pour tous les mortels, sceau bien visible / sera le bois parmi les croyants, la corne dsire [] . Le sigma du mot 'U $# est en outre linitiale du mot '2#)3*9 , croix , dans ce pome acrostiche de la Sibylle.
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La venue des tnbres se lit bien s r dans les synoptiques (Mt 27,45 ; Mc 15,33 et Lc, 23,44), qui la situent toutefois avant le dchi-rement du voile, contrairement au huitime livre des Oracles sibyl-lins. Dans les vangiles synoptiques, les tnbres couvrent la terre de la sixime la neuvime heure, soit durant trois heures, mais il nest pas prcis quil faisait nuit au milieu du jour. L vangile de Pierre oX re ici un nouveau motif de parent avec le texte des Oracles, dans la mesure o il parle lui aussi des tnbres en plein midi : Il tait midi et les tnbres envelopprent toute la Jude (v. 15)61, mais il sen distingue nanmoins en ce que cet vnement tombe de faon abrupte avant la scne du breuvage et que celui-ci est constitu du mlange de el et de vinaigre (v. 16), un lment quon ne retrouve pas dans les Oracles sibyllins.
Il y a donc tout lieu de penser que, une fois de plus, l vangile de Pierre et les Oracles sibyllins ont pu puiser des traditions communes, sans que lun dpende ncessairement de lautre, puisquon relve entre eux autant de points de convergence que dlments de diver-gence62.
Une tradition patristique63 quasi ininterrompue a voulu voir dans les tnbres miraculeuses du Calvaire laccomplissement des paroles dAm 8,9 : Il adviendra en ce jour-l oracle du Seigneur que je ferai coucher le soleil en plein midi et que jobscurcirai la terre en un jour de lumire et Jr 15,9 : Le soleil lui a manqu quand ctait encore le jour64. Lactance ne sy est du reste pas tromp, lui qui fait rfrence (Inst. D iv. 4,19,2-5) ces deux prophties bibliques, avant de citer nos deux vers du huitime livre des Oracles sibyllins :
Donc, suspendu et x la croix, il cria vers Dieu dune grande voix et, de lui-mme, rendit son esprit. Et, la mme heure, il y eut un tremble-ment de terre, et le voile du Temple, qui sparait les deux tabernacles, se dchira en deux parties ; brusquement le soleil se cacha, et, de la sixime la neuvime heure, ce furent les tnbres. Le prophte Amos apporte l-
61. vangile de Pierre 15 : j & DE $('5$W 3S#, #< ' *2%9 #2/'; ( ,_ '#& 2B & k %)D#S#&. Cf. T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 274.
62. Sur ce sujet, cf. T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , qui ne tient toutefois pas compte des livres 1 et 6 des Oracles sibyllins dans sa comparaison.
63. IRNE, C ontre les hrsies 4,33,12 ; TERTULLIEN, C ontre les Juifs 10 ; C ontre Marcion 4,42 ; CYPRIEN, Testimonia 2,23 ; EUS BE, D monstration vanglique 10,6,1 ; APHRAATE, H om-lies 1,11 ; CYRILLE DE JRUSALEM, C atchses 13,25.
64. Am 8,9 : D7 '(2#? [ l "?%9 $('5$W 3S#9 ; Jr 15,9 : 1,/D) [ l "?%9 #@ 2] c 2? $('%7 '59 2U 9 m $/3#9 . Cf. E. MASSAUX, In uence, 89-90.
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Le rcit de la Passion dans les Oracles sibyllins 185
dessus son tmoignage : Et voici quen ce jour-l, dit le Seigneur, le soleil se couchera midi et le jour de lumire se couvrira de tnbres : et je chan-gerai vos ftes en deuil et vos chants en lamentations. Jrmie galement : Celle qui a engendr a t pouvante et couverte de honte ; le soleil lui a manqu quand ctait encore le milieu du jour, elle a t frappe et maudite : et ce qui reste deux, je le livrerai lpe, en prsence de leurs ennemis. Et la Sibylle : Le voile du Temple se fendra et, au milieu du jour, / ce sera une eX rayante nuit de tnbres, durant trois heures 65.
Aucune des Sibylles sexprimant dans les livres 1 et 8 na sembl en revanche intresse par le motif du tremblement de terre conco-mitant, mentionn par Mt 27,51 ( La terre trembla, les rochers se fendi-rent ) et parallles66.
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Selon le premier livre des Oracles sibyllins, le signe ('U $#), ou la clameur, que le temple fait retentir concide avec la descente du Christ dans la demeure dHads67. Dans le huitime livre, celle-ci se produit lorsque le voile se dchire et que la nuit tombe en plein jour. Cette histoire est dj perceptible dans le NT (cf. 1 Co 15,20 : prmice (.,#3; B ) de ceux qui sont endormis , peut-tre aussi en 1 P 3,19 : C est alors quil est all prcher mme aux esprits en prison ), o elle est rattache des attentes prophtiques. Lorsque Lactance cite Or sib 8,312-314 dans les Institutions divines (4,19,10), il le fait en lien avec les Ps 3,6 [3,5] et 16(15),10 et surtout Os 6,2 ( A prs deux jours, il nous fera revivre, le troisime jour il nous relvera et nous vivrons en sa prsence ) et 13,13-14. Mais la tradition chrtienne, notamment ses dbuts, a toujours eu beaucoup de di\ cults se mettre dac-
65. LACTANCE, Inst. div. 4,19,2-5 : Suspensus igitur et ad xus exclamauit ad Deum uoce magna et ultro spiritum posuit. Et eadem hora terrae motus factus est et uelum templi quod separabat duo tabernacula scissum est in duas partes et sol repente subductus est et ab hora sexta usque in nonam tenebrae fuerunt. Q ua de re Amos propheta testatur : Et erit in illo die, dicit Dominus, occidet sol meridie et obtenebrica-bitur dies lucis : et conuertam dies festos uestros in luctum et cantica uestra in lamen-tationem. Item Hieremias : Exterrita est quae parit et taediuit anima, et subiuit sol ei, cum adhuc medius dies esset, contusa est et maledicta : reliquos eorum in gladium dabo in conspectu inimicorum eorum. Et Sibylla : [Or sib 8,305-306] .
66. Cf. J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles, 437.67. h ?D8 &/%9 est plus vraisemblablement une forme potique pour n ?D59 (8,310)
que le gnitif dAdonis (h ?D8 &(7 9 ), comme le pensait J. J. COLLINS, The Sibylline Oracles , The Old Testament Pseudepigrapha, vol. 1 : A pocalyptic Literature and Testaments (Garden City, NY, Doubleday, 1983), 386.
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cord sur ce que le Christ a vraiment dit lors de son sjour en enfer68. Les deux rcits rapports dans les Oracles sibyllins re tent, au moins en partie, cette diversit de vues. Dans le premier livre, le Christ est cens proclamer la rsurrection des morts, sans aucune restric-tion (v. 378) ; dans le huitime, il annonce une esprance pour tous les saints (v. 310-311 ; cf. v. 227), la n des temps et le dernier jour (v. 311). Le vers 312 va mme au-del, puisquil promet que le Christ mettra n la mort : Et aprs avoir dormi trois jours, il mettra un terme la mort. Cest en ce sens aussi que Lactance lavait compris : Et cest pourquoi la Sibylle a dclar quil imposerait un terme la mort, aprs un sommeil de trois jours : Il xera un terme la mort, aprs avoir dormi trois jours ; alors, se relevant dentre les morts, il viendra au grand jour, premier montrer aux lus le chemin de la rsurrec-tion 69.
68. Sur ce sujet, voir R. GOUNELLE, La descente du C hrist aux enfers. Institutionalisation dune croyance (Paris, Institut dtudes augustiniennes, 2000) ; ID., La descente du C hrist aux enfers (Paris, Cerf, 2004), qui ne dit rien toutefois des Oracles sibyllins.
69. LACTANCE, Inst. div. 4,19,10 : Et ideo Sibylla impositurum esse morti terminum dixit post tridui somnum : [Or sib 8,312-314] (traduit par P. MONAT [Paris, Cerf, 1992]). Le rcit de la Passion proprement dite prend n ici, les livres 1 et 8 poursuivant par une vocation de lapparition du Ressuscit et de son ascension vers la demeure cleste (Or sib 1,380-381 et 8,318-320), prcde en 8,315-317 par une exgse du baptme.
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Or sib 1, 377b-380
[,*2#& h ?D8 &/%9 %^ %&... lorsquil ira dans la demeure dHads,
W F '(2#? .: : /""8 & 1,#'2#'S5& 2(J &(O '?&.Annonant la rsurrection aux morts.
#@ 2C 3 1,B & c "J H 23?' #9 ,tant le premier montrer aux lus le commencement de la rsurrec-tion
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Q uand on sinterroge sur les rapports entre lcriture Sainte et les livres du corpus sibyllin pris en compte dans cette tude, on peut conclure que les livres 6 et 8 rvlent une a\ nit assez nette avec lvangile de Matthieu, comme cest le cas pour bien des uvres de la littrature chrtienne antrieure au IIIe sicle. Mais on peut gale-ment y dceler une in uence diX use dautres crits canoniques, de certains apocryphes et, bien s r, des prophtes70. En revanche, on
70. Cf. E. MASSAUX, In uence, 80-98 et W.-D. K HLER, D ie R ez eption des Matth usevange-liums in der Z eit vor Iren us (T bingen, Mohr, 1987).
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ne trouve aucune citation explicite provenant de Mc et de Lc. La mme chose peut tre dite du premier livre ou presque. Plusieurs pisodes sont calqus sur Matthieu, mais certains passages re tent plus spci quement le vocabulaire de Jean (1,373-374 et 1,340-341, 360-361, pour dautres pisodes que la Passion), ce qui ne semble pas tre le cas dans les livres 6 et 8. Q uant Mc, il est reprsent par une brve allusion lhistoire du meurtre de Jean-Baptiste et une apparente rminiscence verbale (1,342-343 et 1,373), alors que lon ne trouve quun seul cho, du reste peut-tre accidentel, de Luc (en 1,371)71. La principale diX rence porte sur lopposition concer-nant lattitude de Jsus face la Loi. La Sibylle du livre 1 a\ rme quil laccomplira (v. 332), alors que celle du livre 8 insiste sur le fait quil labolira, de mme que tout ce qui sy rattache (vv. 300-301 ; 307-309, 326b-328, cit par Lactance en Inst. D iv. 7,18,872). Par ailleurs, le livre 8 est beaucoup plus sensible aux interprtations mystiques et typo-logiques et son langage est beaucoup plus mtaphorique, parfois mme un peu ampoul, comme on peut le voir par exemple en Or sib 8,294-298.
La juxtaposition et la combinaison de diverses sources vangli-ques incitent penser que les auteurs de ces ouvrages ont pu se servir dune harmonie vanglique, puisque de telles harmonies semblent bien avoir exist cette poque (IIe-IIIe sicles)73. Nanmoins, le style de nos Oracles est parfois trop clectique pour une harmonie, bien que certains pisodes puissent en partie re ter une telle dmarche, linstar de la fusion de deux pisodes spars, telles que la raillerie de Jsus avec une couronne dpines et un roseau avant sa cruci- xion et la perforation de son anc durant celle-ci en Or sib 1,373-374 et Or sib 8,294-296.
En fait, la Sibylle de ces livres semble surtout intresse par les rcits vangliques ayant un arrire-plan prophtique ou qui citent explicitement des textes prophtiques do peut-tre le penchant pour Mt et par dautres crits du Nouveau Testament qui runis-
71. Cf. J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles, 426.72. LACTANCE, Inst. div. 7,18,8 : Il viendra pour lever le joug / accablant de notre
esclavage, qui pse sur notre nuque, / et pour abolir les lois impies et les liens contrai-gnants .
73. Le D iatessaron de TATIEN est la premire harmonie connue des quatre vangiles canoniques, mais le matre de Tatien, Justin, semble dj avoir connu une harmonique synoptique. Cf. aussi T. NICK LAS, Apokryphe Passionstraditionen , 274, n. 52 et J. L. LIGHTFOOT, The Sibylline Oracles , 426-427.
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sent ou agrgent des tmoignages vtrotestamentaires applicables au Christ. Ainsi, par exemple, le refus obstin dIsra l reconnatre le Messie-Jsus en Or sib 1,360-364 ; 368-371 est interprt la lumire dIs 6, cit dans les vangiles et les Actes ; le mauvais traitement du Messie en Or sib 1,365-366 et Or sib 8,288-290 est inspir encore par Is 50 et 53, eux-mmes paraphrass dans les synoptiques ; mme chose avec le el et le vinaigre en guise de nourriture et de boisson, qui dcoulent du psaume 68 LXX, voqu allusivement par Jn et rinter-prt par Mt. La Sibylle navigue donc constamment entre les van-giles, les prophtes tels que cits dans les vangiles (vv. 336-343 ; 351-355 ; 345-350 ; 360-361) et les sources prophtiques originales, parfois relayes par une citation notestamentaire (Or sib 1,365-366 : ,27 '$#2# ; Or sib 8,289 : 1$,27 '$#2# ; Or sib 1,367 et Or sib 8,303 : ; %"F et ` > %9 ), parfois non (Or sib 1,365-366 : les lvres infmes ; Or sib 8,299 : bouche souille ; Or sib 1,374-375 : une nuit tnbreuse, monstrueuse au milieu du jour et Or sib 8,306 : une nuit tnbreuse, monstrueuse pendant trois heures ), mais en suivant toujours une manire de lire les prophtes qui sinspirent direc-tement des vangiles canoniques. La Sibylle de nos livres sinscrit donc dans des courants dexgse scripturaire palochrtienne, dans lesquels elle incarne une prophtesse paenne suppose prophtiser les vangiles paralllement aux prophtes de lAncien Testament, vis--vis desquels la Sibylle du premier livre prtend mme prendre de laltitude et de la distance, puisquelle annonce leur n (v. 386).
En ce qui concerne le rcit de la Passion, deux perceptions assez diX rentes ressortent de ces trois ouvrages du corpus sibyllin. Comme on la vu, les premier et sixime livres se montrent extr-mement hostiles lgard des Juifs (Or sib 1,360-371.387 et 6,21-25), accuss ni plus ni moins dtre responsables de la mort du Messie. Cet aspect se retrouve dans l vangile de Pierre74, qui a\ che la mme sorte dantijudasme, sans que cela implique ncessairement un lien de dpendance entre ces ouvrages. Rien de tout cela ne se trouve dans le huitime livre, o les Juifs ne sont jamais nomms et les ennemis de Jsus peine identi ables, sinon par leur impit (v. 287). Paralllement son antijudasme, lauteur de la section chrtienne
74. Sur ce sujet, voir T. NICK LAS, Die Juden im Petrusevangelium (PCair 10759). Ein Testfall , N ew Testament Studies 47 (2001), 206-221, de mme que les contributions de J. D. CROSSAN et J. VERHEYDEN dans T. K RAUS et T. NICK LAS (d.), D as Evangelium nach Petrus , 117-134 et 281-300.
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du premier livre se montre favorable la mission auprs des Gentils ( !"#, vv. 345-347 et 383-384), ce qui nous invite penser quil se d nit lui-mme dabord comme Gentil et non comme une secte ou un dveloppement, dIsral75 . A contrario, lauteur du livre 8 semble tre soucieux de la conversion la fois des Juifs et des paens (v. 316b317 : a n que, ns den-haut, ils ne soient plus asservis aux coutumes impies de ce monde76 , v. 324 : Rjouis-toi, sainte lle de Sion, toi qui as sou ert tant de maux77 ! et v. 332 : Chasse les anciens [dieux ou prceptes] et lave-toi avec son sang ).
Dans le premier livre (v. 364), Jsus est appel Fils de Dieu ( $%&' !()* ), tandis que dans le huitime livre (v. 288), on parle de lui comme de Dieu ( !(+' ). Ces deux dnominations, dont on a dautres exemples dans les deux ouvrages (Or sib 1,324.331 et Or sib 8,242.249-250), re tent deux christologies sensiblement di, rentes. Bien quinsu- samment prcise pour tre rattache un vangile spci que, celle du premier livre est assez proche de la tradition canonique, tandis que le huitime livre re te une forme de monar-chianisme modaliste, dans lequel le Pre et le Fils sont parfaitement identi s. On en a dautres exemples trs frappants dans le sixime livre des Oracles sibyllins, que je tiens personnellement pour lune des compositions chrtiennes les plus anciennes du corpus : car toi-mme insense tu nas pas reconnu ton Dieu / venu sous des traits mortels, mais tu las ceint / dune couronne dpines (v. 22-23)78, et dans le septime livre : pour navoir pas reconnu (leur) Dieu (v. 53) et tu nas pas reconnu ton Dieu, que le Jourdain / a jadis lav trois reprises et que lEsprit survola la manire dune colombe (vv. 66-67)79.
75. J. H. CHARLESWORTH, Jewish and Christian , 50 : sees himself primarily in terms of the Gentiles and not as a sect of, or development, from Israel.
76. Ces coutumes impies du monde peuvent aussi bien se rapporter aux pratiques juives quaux coutumes paennes.
77. Voir Is 62,11 ( Voici ce que le Seigneur fait entendre jusqu lextrmit de la terre : Dites la lle de Sion : voici ton salut qui vient, voici avec lui son salaire et devant lui sa rcompense ) et surtout Za 9,9 ( .%&/( 01+2/%, !34%5(/ 678"9 :;/(3' 0)< /D(5%E 0)7, 2E:%7)' :%F 0GH8" %I5+', $/%J' :%F K$7C(C#:L' K$F M$)H347)" :%F $N>)" "O)" , Exulte avec force, lle de Sion ! Crie de joie, lle de Jrusalem ! Voici que ton roi vient toi : il est juste et victorieux, humble, mont sur un ne, sur un non, le petit dune nesse ), cit en Mt 21,5 et Jn 12,15.
78. Or sib 6,22-23 : %I5P 4Q/ 2301/8" 5R" 0R" !(R" )I: K"+#0%' / K>!+"5% !"#5)&07" K" S??%07"9 T>> T$ T:U"!#' Il est frappant de constater que ni le nom de Jsus ni son titre de Christ napparaissent dans ce livre. Il en est de mme dans les fragments conservs de lvangile de Pierre ; cf. T. NICKLAS, Apokryphe Passionstradi-tionen , 267, n. 20.
79. Or sib 7,53 : V57 2P !(R" )I: K"+#0%" ; Or sib 7,66-67 : 5>;?8", )I: 4"8' 5R" 0R" !(+", V" $)5 >)
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Les auteurs palochrtiens qui citent les sibylles de ces livres le font dans le but de montrer laccord (0
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iconographique que lart chrtien sera amen faire partir du XIe sicle et qui conduira les artistes reprsenter lune ou lautre des sibylles en regard de, ou c te c te avec, lun ou lautre des prophtes hbreux83.
De labondance de citations des livres 6 et 8 et de labsence de citations du livre 1 des Oracles sibyllins dans l uvre de Lactance et dans la littrature palochrtienne antrieure au VIe sicle84, on a conclu lantriorit du livre 8 sur le livre 1. Dans une phase ult-rieure, on a suppos que le livre 1 dcoulait du livre 8, jusqu ce que Kurfess conclue que les deux ouvrages avaient puis de fa on ind-pendante au Nouveau Testament et que les ressemblances entre eux taient accidentelles85. Dans le sillage dOlaf Wa muth et de Jane L. Lightfoot, je considre que les nombreuses ressemblances entre les deux livres sopposent la thse dune totale indpendance des deux ouvrages. Plus rcemment, Wa muth, suivant Kurfess, a soutenu la thse inverse celle qui a prvalu au dbut du XXe sicle, savoir lantriorit du livre 1 sur le livre 8, notamment en raison de la thologie de ce dernier, plus complexe et plus sophistique, donc ses yeux forcment plus tardive. Cette divergence de vues explique les divergences dans la datation de ces deux livres, en particulier du premier, certains dfendant la thse dune rcriture chrtienne dun oracle juif au milieu du IIe sicle (Friedlieb, Collins, Wa muth86),
83. Cf. . M LE, L art religieux du X IIIe sicle en France (Paris, Colin, 19194), 339-343 ; Id., L art religieux de la n du M oyen ge en France (Paris, Colin, 19495), 254-279 ; L. R AU , Icono-graphie de lart chrtien, II, 1 (Paris, Presses U niversitaires de France, 1956), 420-430 ; G. SEIB, Sibyllen , L exik on der christlichen Ik onographie 4 (Rome, Herder, 1972), 150-153 ; Id., Propheten , 461-462 ; F. GAY , Sibille , Enciclopedia dellarte medievale X (Rome, Istituto dell enciclopedia italiana, 1999), 586-589.
84. Si lon excepte une ventuelle allusion Or sib 1,283 et suiv. dans le Discours de Constantin lassemble des saints (18,2), dat entre 313 et 325, les premires citations explicites des livres 1 et 2 se lisent dans la T hosophie de T bingen, datant de la n du Ve ou du dbut du VIe sicle. Sur la datation du Discours lassemble des saints et sa pater-nit, cf. J.-M. ROESSLI, Vies et mtamorphoses de la Sibylle, notes critiques propos de M. BOU Q U ET et F. MORZADEC, L a Sibylle. Parole et reprsentation [Rennes, Presses universi-taires de Rennes, 2004] et de J. PIGEAU D, L es Sibylles. Actes des V IIIe Entretiens de L a Garenne L emot, 1 8 au 2 0 octobre 2 0 0 1 [Nantes, Institut U niversitaire de France-CRINI, 2005] , Revue de lhistoire des religions 224 (2007), 253-271, ici 259-260, ainsi que M. GEY MONAT, U n falso cristiano della seconda met del IV secolo (Sui tempi e le motivazioni della Oratio Constantini ad Sanctorum Coetum) , Aevum Antiquum N.S. 1 (2001), 349-366.
85. A. KU RFESS, Oracula Sibyllina I/II , Z eitschrift f r die neutestamentliche W issen-schaft und die K unde der lteren K irche 40 (1941), 151-165, ici 159-160.
86. J. H. FRIEDLIEB, ./#0?)F 07C>7%:)E. Oracula Sibyllina ad dem codd. mscr. quotquot extant recensuit, praetextis prolegomenis illustravit, versione Germanica instruxit, annotationes criticas et indices rerum et verborum locupletissimos adiecit (Lipsiae, T. O. Weigel, 1852) / Die sibyllinischen W eissagungen, vollstaendig gesammelt nach neuer H andschriftenvergleichung, mit k ritischem Commentare und metrischer deutscher U ebersetz ung (Leipzig, T. O. Weigel,
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certains au IIIe sicle (Ge, cken87), dautres voyant dans les livres 1 et 2 une composition entirement chrtienne du IIe (Lightfoot88), du IIIe (Alexandre89) ou du Ve sicle (Bleek, Goodman90). Q uel que soit le rapport de dpendance entre ces livres, ce quil importe de comprendre est que lauteur qui vient ensuite se sentait parfaite-ment libre dutiliser ses sources (la Bible et les Oracles sibyllins) selon sa propre vision et en leur donnant lorientation quil souhaitait.
1852), XIV-XXII and LIX ; J. J. COLLINS, The Sibylline Oracles ; O. WASSMU TH, Sibylli-nische Orak el 1 -2
87. J. GEFFCKEN, K omposition und Entstehungsz eit der Oracula Sibyllina (Leipzig, J. C. Hin-richs, 1902), 47-53.
88. J. L. LIGHTFOOT, T he Sibylline Oracles, 149.89. C. ALEXANDRE, Oracula Sibyllina, (Paris, F. Didot, 1856), vol. II, Excursus ad Sibyl-
linos libros, V, cap. X. De primo libro et secundo, 389-401.90. F. BLEEK, U eber die Entstehung und Zusammensetzung der uns in 8 B chern
erhaltenen Sammlung Sibyllinischer Orakel ; eine kritische U ntersuchung mit beson-derer R cksicht auf Thorlacius , T heologische Z eitschrift 1 (1819), 120-246, ici 167-197 ; M. GOODMAN, The Sibylline Oracles , T he H istory of the Jew ish People in the Age of Jesus Christ (1 7 5 B . C.- A. D. 1 3 5 ), t. III.1, a new English version revised and edited by G. VERMES, F. MILLAR, M. GOODMAN (Edimbourg, Clark, 1986), 618-654, ici 645.