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Le Refuge
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Le Refuge
L’histoire :
Dans un refuge de montagne, le soir du réveillon, deux hommes ont eu la même idée. Donner
rendez-vous à la femme qu’ils aiment dans l’endroit où ils ont passés, tous deux, un moment
inoubliable avec elles. Pour Alexandre et NICOLAS, il s’agit d’une tentative un brin désespéré pour
ne pas la perdre.
Les personnages :
ALEXANDRE : A plus de quarante ans, Alexandre vit encore chez sa soeur. Un brin timide, grand
romantique, il cherche encore la femme de sa vie.
NICOLAS : Flambeur, frimeur, avec lui, tout est son contrôle. Il a une haute estime de lui-même et
affiche beaucoup d’assurance.
Le décor :
Une cabane en haute montagne. Une vielle table, deux chaises branlantes, une bouteille de vin fait
office de chandelier. Quelques branches à terre …
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Le Refuge
ACTE 1
Alexandre entre en scène et pose un lourd sac à dos sur la table. Il souffle, visiblement fatigué, il
consulte son portable et s’écroule sur une chaise.
ALEXANDRE
Accablé
Pas de réseau ! Il ne manquait plus que ça ! Il se lève et fait le tour de la pièce en tendant son
téléphone vers le haut et semble de plus en plus accablé car son téléphone ne capte rien.
Ce n’est pas vrai non mais ce n’est pas vrai ! (À chaque geste du bras de haut en bas).
Il se laisse de nouveau tomber sur la chaise, et avec précaution, sort de son sac, deux assiettes, des
couverts, des fleurs et un petit vase. Il dresse la table et allume également une petite bougie. Puis il
consulte de nouveau son téléphone, l’air désespéré, figé.
Silence, la porte s’ouvre, NICOLAS entre et se fige à son tour à la vision d‘Alexandre sur la chaise.
Les deux hommes s’échangent des regards, en silence. Ils sont visiblement aussi sidérés l’un que
l’autre. NICOLAS pose brutalement son sac à dos sur le sol et s’approche d’Alexandre, l’air très
sûr de lui.
ALEXANDRE
Il tend la main vers NICOLAS.
Bonjour ! Alexandre, mais tu peux m’appeler Alex !
NICOLAS
Agacé, il ignore la poignée de main et réponds en se retournant pour se diriger vers son sac.
NICOLAS.
ALEXANDRE
Gêné, il parle à NICOLAS qui lui tourne le dos, occupé à fouiller son sac.
Ah … Alors bienvenue ! Jolie cabane non ?
NICOLAS
Qui visiblement cherche quelque chose dans son sac et ne le trouve pas.
Oui… oui…
ALEXANDRE
Vous étiez déjà venu ?
NICOLAS se retourne brusquement, on le devine agacé, il hausse les épaules en regardant
Alexandre, s’apprête à lui répondre et se retourne de nouveau vers son sac en soufflant. De son côté
Alexandre semble de plus en plus mal à l’aise.
ALEXANDRE
Evidemment, ce n’est pas bien grand mais….
NICOLAS
Toujours à farfouiller son sac de plus en plus nerveusement.
Tu m’étonnes….
ALEXANDRE
4
Le Refuge
Mais c’est plutôt comment dire cosy ?
NICOLAS
Qui exulte d’un coup, il a retrouvé son téléphone. Et tout en le manipulant.
Cosy ? C’est vite dit. Bref. Dites, c’est vous qui avez transformé le chemin en sapin de Noël ?
ALEXANDRE
Ah vous voulez parler des lampions ? Joli hein ! Très romantique non ? C’est pour la nouvelle
année !
NICOLAS
Oui…enfin bon…ça reste des chauffe-plats…
ALEXANDRE
Ah, il y a un peu de ça au fond …
NICOLAS
Il regarde la table dressée par Alexandre, moqueur.
Eh ben dis donc…C’est le grand jeu pour le réveillon !
ALEXANDRE
C’est à dire que …
NICOLAS
Oh mais je comprends ! Après tout, ce n’est pas ma cabane. Bon, elle arrive vers quelle heure ? (Il
regarde sa montre).
ALEXANDRE
C’est à dire que …
NICOLAS
Vous ne savez pas ?
ALEXANDRE
Eh bien, pour tout dire, je ne suis pas sûr que…
NICOLAS
En rigolant, tout en sortant de son sac quelques victuailles.
Qu’elle soit à l’heure ?
ALEXANDRE
Oui, mais surtout que …
NICOLAS
Il s’arrête un moment et retiens un sourire.
Qu’elle vienne, c’est ça ?
ALEXANDRE
5
Le Refuge
Dépité, dans un souffle.
Oui …
NICOLAS
Allons ! Ne faites pas cette tête ! Ce n’est pas la fin du monde. Et puis, tiens, je vous laisse tout
l’étage !
ALEXANDRE
Pour ?
NICOLAS
Pour dormir ! Manger ! Bref, tout ce que vous voulez !
ALEXANDRE
Découragé
Bah ! Si elle ne vient pas, je ne veux plus rien !
NICOLAS
Il ne faut pas se laisser abattre mon vieux !
ALEXANDRE
Et vous ?
NICOLAS
Quoi ?
ALEXANDRE
Il regarde ce que NICOLAS a déposé sur le banc.
J’ai l’impression que vous attendez quelqu’un aussi.
NICOLAS
Oui. D’ailleurs, ELLE ne devrait pas tarder.
ALEXANDRE
Ah…Et si…
NICOLAS
Et si quoi ?
ALEXANDRE
Si elles viennent toutes les deux.
NICOLAS
Pourquoi si ?
ALEXANDRE
C’est une supposition !
NICOLAS
6
Le Refuge
Vexé
Mais il n’y a rien à supposer, elle vient, elle arrive, elle est en route.
ALEXANDRE
Il sort son téléphone de sa poche.
Ah, vous avez reçu un message ? Parce que moi je n’ai pas de réseau.
NICOLAS
Un peu gêné à son tour.
Non pas de message mais…
ALEXANDRE
Alors, vous ne pouvez pas…
NICOLAS
Il hausse le ton.
Oh ! C’est bon, je vous dis qu’elle va venir !
ALEXANDRE
Oh on dit ça, on dit ça…et puis…
NICOLAS
Le ton monte encore.
Et puis quoi ? Quoi ?
ALEXANDRE
Ben, d’un coup, le vent tourne…
NICOLAS
Hausse les épaules, se tourne vers Alexandre, un peu méprisant.
Oui, ben moi ça ne risque pas !
ALEXANDRE
Pensif.
Je ne me suis jamais dit ça…
NICOLAS
Bon et du coup, on fait quoi ?
ALEXANDRE
Ben, on attend !
NICOLAS
On, on …
ALEXANDRE
Ben oui ! On ! Vous voulez faire quoi d’autre ?
7
Le Refuge
NICOLAS
Pensif à son tour.
Ah je n’aime pas ça…
ALEXANDRE
Quoi ? Le vent qui tourne ?
NICOLAS
Mais le vent ne tourne pas bordel ! Même pas une petite brise. C’est juste que je n’aime pas être là
à…
ALEXANDRE
Attendre ?
NICOLAS
Qui se lève et fait les cent pas.
Oui !
ALEXANDRE
Rassurant.
Mais elle va venir ! Vous en faites pas !
NICOLAS
Mais évidemment qu’elle va venir ! Et je ne m’en fais pas ! Je ne suis pas comme vous !
ALEXANDRE
Interloqué
Comment ça ? Comme moi ?
NICOLAS
Ben tout…
ALEXANDRE
Tout quoi ? Soyez franc !
NICOLAS
Tout suppliant là ! Presque … (il cherche ses mots) larmoyant !
ALEXANDRE
La larme à l’œil
Mais je ne pleure pas !
NICOLAS
A d’autres, hein…pas à moi ! Encore dix minutes, et je suis certain que vous alliez sortir les
mouchoirs !
ALEXANDRE
Mais non…absolument pas !!! Et d’abord, qu’est-ce qui vous fait dire qu’elles ne viendront pas ?
NICOLAS
8
Le Refuge
Furieux.
Mais je n’ai jamais dit qu’elle ne viendra pas ! C’est vous qui me faites chier depuis tout à l’heure
avec cette hypothèse à la con ! Il y a combien de temps qu’on attend là ? Dix minutes, alors, merde,
laissons-leur le temps !
ALEXANDRE
Il se laisse tomber sur une chaise et ajuste un peu assiettes, couverts et verres, soucieux.
Oui ! Vous avez raison, vous avez raison. Après tout, il n’est pas si tard. Alors, arrêtons de nous
faire du mauvais sang.
NICOLAS
Qui sort deux bières de son sac.
Bon ! Et si on buvait un coup ?
ALEXANDRE
C’est ça ! Commençons sans elles !
NICOLAS
Voilà ! Au fond, elles feraient peut-être la même chose !
ALEXANDRE
Oh ! Je ne crois pas.
NICOLAS
Pourquoi ?
ALEXANDRE
Elle n’aime pas vraiment la bière. Elle serait plutôt vin et bon vin même !
NICOLAS
En riant.
Moi, je me suis toujours dit, qu’une femme qui aimait la bière, ne pouvait pas être si mauvaise que
ça…
ALEXANDRE
Il siffle
Alors là ! C’est profond ! (Il rit à son tour)
NICOLAS décapsule les bières et en donne une à Alexandre.
Merci ! Voisin !
NICOLAS
De rien ! Voisin ! Bon (il lève sa bouteille), à elles !
ALEXANDRE
A elles !
NICOLAS
N’empêche que si je devais prendre des paris…
ALEXANDRE
9
Le Refuge
Vous ne pariez pas sur moi, hein ?
NICOLAS
Ben non ! Pas vraiment…
ALEXANDRE
Il faut dire que pour moi, c’est un peu ma dernière carte, une tentative un brin désespérée…
NICOLAS
Aie ! Elle vous a quitté ?
ALEXANDRE
Non, pas vraiment…
NICOLAS
Ben oui, ou non ?
ALEXANDRE
Ben, c’est à dire, que c’est un peu flou !
NICOLAS
Ah je vois le genre.
ALEXANDRE
Oui ! Un long mail où elle veut réfléchir, que tout va trop vite…
NICOLAS
Et BLA et BLA hein ?
ALEXANDRE
Dans un soupir
Oui, c’est ça…
NICOLAS
Connerie !
ALEXANDRE
Non, mais c’est vrai, je crois que …
NICOLAS
Que rien du tout ! Putain quand on aime, on prend son putain de téléphone ou sa voiture et on
vient !
ALEXANDRE
Alors vous…vous êtes un grand romantique !
NICOLAS
C’est juste que je ne crois plus à ce ramassis de conneries.
ALEXANDRE
10
Le Refuge
Et psychologue en plus…Hum… Vous avez sans doute raison, mais je ne peux pas m’empêcher
d’espérer C’est plus fort que moi…
NICOLAS
Et du coup, vous vous êtes dit. Allez, je vais la surprendre et l’inviter à une soirée romantique en
pleine montagne ! Et là, vlan, comme dans un film, elle me retombe dans les bras
ALEXANDRE
Dans un nouveau soupir
Oui, c’est tout à fait ça…
NICOLAS
Rentrez chez vous ! Elle ne viendra pas ! C’est évident. Les femmes détestent ça, les pleurnicheries,
les supplications…
ALEXANDRE
Et vous ?
NICOLAS
Moi, quoi ?
ALEXANDRE
Vous en êtes où ?
NICOLAS
Ben, moi, enfin nous, il faut qu’on discute, alors, ici ou ailleurs, hein…
ALEXANDRE
Discuter de ?
NICOLAS
Ben parler quoi !
ALEXANDRE
Ahah, je vois.
NICOLAS
Vous ne voyez rien ! Rien du tout ! C’est juste que…
ALEXANDRE
Que vous en êtes au même point que moi !
NICOLAS
Mais pas du tout ! Rien à voir ! Et puis, pourquoi j’en parlerai avec vous ?
ALEXANDRE
Je vois … Je vois …
NICOLAS
11
Le Refuge
Encore une fois, vous ne voyez rien ! Vous ne savez rien ! Alors voilà, ce qu’on va faire, on va tirer
au sort !
ALEXANDRE
Sûrement pas !
NICOLAS
Ben pourquoi pas ?
ALEXANDRE
Je ne vais pas laisser ma grande histoire d’amour se jouer à pile ou face !
NICOLAS
Mais on s’en fout de votre romance ! Ce qui se joue, c’est la cabane ! Parce que là, même si mon
amie ne vient pas, j’ai bien dit ‘Et si’, je n’ai aucune envie de passer la nuit avec vous !
ALEXANDRE
Mais moi non plus ! Et puis, pourquoi passer la nuit ici ? On a qu’à se fixer une heure où vous et
moi, on rentre !
NICOLAS
D’abord, à moi, on ne fixe rien. Je fais bien ce que je veux. Ensuite (il regarde par la fenêtre), il
commence à neiger, alors partir en pleine nuit, hein …
ALEXANDRE
Qui regarde par la fenêtre
Alors, elle ne viendra pas !
NICOLAS
Pour deux pauvres flocons ?
ALEXANDRE
Ben oui ! Vous venez de dire que …
NICOLAS
Que dans deux ou trois heures, ce serait moins jouable ! Oui j’ai dit ça ! Alors, ça se joue
maintenant là !
ALEXANDRE
Vous voulez dire qu’il est encore possible de monter jusqu’ici ?
NICOLAS
Ben oui !... Et puis, je peux vous dire que ce n’est pas ça qui va l’arrêter ! Elle a peur de rien.
ALEXANDRE
Ah oui ? Moi, je ne sais pas, je la sens si fragile parfois…
NICOLAS
Bon, alors, vous n’avez pas une seconde à perdre. Allez-y ! Soyez raisonnable !
12
Le Refuge
ALEXANDRE
En soupirant
Le cœur à ses raisons que…
NICOLAS
Il faut voir les choses en face ! Y aucune chance qu’elle vienne, surtout, avec la neige !
ALEXANDRE
Qui à son tour, fait les cent pas. Il parle à lui-même.
Ah je ne sais pas, je ne sais plus … Je suis perdu.
NICOLAS
Il prend Alexandre par le bras.
Je me doute que cela ne doit pas être facile. Mais là, c’est la seule chose à faire. Soyez un homme
mon vieux !
ALEXANDRE
Et si sur le chemin, je la croise ?
NICOLAS
Alors, hop demi-tour ! Et direction un petit resto sympa, un cinéma, je ne sais pas moi !
ALEXANDRE
Mais elle aime tellement venir ici, c’est elle qui m’a fait découvert cette cabane !
NICOLAS
D’un coup, songeur.
Ah…
ALEXANDRE
Quoi ?
NICOLAS
Qui semble chasser une pensée.
Rien … Allez ! Ne trainez pas ! Il neige de plus en plus fort. (Il se saisit du sac à dos d’Alexandre)
ALEXANDRE
Tout en mettant, sans conviction, sa veste.
Je me demande si je ne fais pas une connerie.
NICOLAS
Bah ! Cela ne peut pas être pire non ?
ALEXANDRE
Dans un souffle.
Oui…
NICOLAS
Il aide Alexandre à mettre son sac sur ses épaules et frappe un grand coup dans le dos.
13
Le Refuge
Là ! Je vous admire ! Carrément !
ALEXANDRE
Oh quand même !
NICOLAS
Si ! C’est courageux ! Croyez-moi ! Un homme ! Un vrai ! Respect !
ALEXANDRE
Oui mais quand même, je demande si …
NICOLAS
Ah plus de question ! On fonce ! On y va ! On y croit !
ALEXANDRE
Une fois de plus, il s’effondre sur la chaise.
Oh mais je n’y crois plus…
NICOLAS
Qui tente de la relever.
Allez ! On était bien parti là !!
ALEXANDRE
On, on, on ! Mais vous vous restez là !
NICOLAS
Songeur, une seconde puis affirmatif.
Oui mais moi, je ne suis pas dans votre situation.
ALEXANDRE
Vous n’avez toujours pas dit de quoi vous deviez parler avec votre amie !?
NICOLAS
Mais de rien, on doit parler de rien.
ALEXANDRE
Dubitatif.
Et pour parler de rien, vous montez jusqu’ici. En fait, je crois que vous vous foutez de moi !
NICOLAS
Qui joue l’offensé.
Oh ! Alors là, vous me vexez ! Moi, je ne veux que vous aidez mon vieux !
ALEXANDRE
Qui d’un coup, semble encore plus abattu.
C’est vrai et je suis là à douter… Je crois que (il se redresse péniblement, manque de tomber avec
le poids du sac à dos mais NICOLAS le rattrape in extremis) je vais partir, là ! Maintenant ! Non
mais, elle va voir !
NICOLAS
14
Le Refuge
Qui a bien du mal à cacher sa joie.
Ouiiii ! Parfait ! Allez zou ! Le temps passe !
ALEXANDRE
Non ! Mais elle ne me connaît pas ! Si elle croit que je vais l’attendre là, bêtement, à pleurer sur
mon sort … (NICOLAS le pousse doucement vers la porte, poussant un peu sur le sac à dos). Mais
enfin, qu’est-ce qu’elle a cru ? Elle va voir de quel bois je me chauffe !
Alexandre est maintenant sur le seuil, NICOLAS lui a ouvert la porte.
Bien ! (Il serre à la main à NICOLAS, avec virilité). Je vous souhaite bonne chance avec votre
amie !
NICOLAS
Mais je n’ai pas besoin de…
ALEXANDRE
D’un coup, il prend l’air très sûr de lui.
Ecoute, tu permets que je te tutoie ?
NICOLAS
Euh oui ….
ALEXANDRE
Tu veux un conseil ?
NICOLAS
Qui s’impatiente.
Non !
ALEXANDRE
Si elle vient, tu…
NICOLAS
Mais elle vient merde ! Elle arrive putain !
ALEXANDRE
Compatissant
Oui, je sais, on dit ça pour ne pas perdre la face devant les potes !
NICOLAS
Agacé.
Mais vous n’êtes pas un pote … Et puis, je vous, enfin je te dis qu’elle ne va pas me poser un lapin.
Je sais ce que je dis quand même !
ALEXANDRE
Il pose une main sur l’épaule de NICOLAS.
Tu sais, on ne se connait pas beaucoup mais tu peux tout me dire.
NICOLAS
Merde ! Voilà Merde ! J’ai tout dit !
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Le Refuge
Il pousse Alexandre dehors et claque la porte et balance un coup de pied dans une des chaises.
ALEXANDRE
Il entrouvre la porte, on ne voit que sa tête.
Ah ! C’est bien ! Faut que ça sorte !
NICOLAS
Qui court vers la porte et balance un coup de pied dedans. Alexandre a juste le temps de retirer sa
tête de l’encadrure.
C’est toi qui va sortir ! Trou du cul ! Dégage !
Il essaie visiblement de se calmer, redresse la chaise et se laisse tomber dessus. La porte s’ouvre
doucement, on revoit la tête d’Alexandre.
ALEXANDRE
Tu sais, je me demande si…
NICOLAS
Lassé.
Oui …
ALEXANDRE
Il rejoint NICOLAS à petit pas.
Si c’est une bonne idée, après tout ?
NICOLAS
Agacé.
Quoi ? Quelle idée ? De quoi tu parles ? Que tu te barres maintenant ?
ALEXANDRE
Il se saisit d’une chaise et se rapproche de NICOLAS.
Tu veux que je te dise ce que je pense ?
NICOLAS
Non
ALEXANDRE
Il hausse les épaules
Comme tu veux mais bon…
NICOLAS
Ecoute, je ne veux pas savoir ce que tu penses, je ne veux pas de tes conseils. Je ne veux qu’une
seule chose, c’est que tu te casses tout de suite ! Que tu me laisses là…
ALEXANDRE
Il se lève soudainement et compatissant.
Oh je comprends, tu veux être seul ! Tu sais, je sais ce que c’est…
NICOLAS
Non ! Tu ne sais pas. Parce que toi, tu attends comme un con une nana qui t’a plaqué.
16
Le Refuge
ALEXANDRE
Alors que toi…
NICOLAS
Ben moi, je dois simplement m’expliquer avec elle, rien à voir.
ALEXANDRE
Expliquer quoi ?
NICOLAS
Mais qu’est-ce que ça peut te foutre ? C’est mon histoire, pas la tienne !
ALEXANDRE
Bah, vu d’ici…
NICOLAS
Quoi ? Tu vas me dire que c’est la même chose.
ALEXANDRE
Naturellement, je manque d’éléments. Mais j’ai bien l’impression que tu as reçu un message qui
devait ressembler au mien.
NICOLAS
Oui ! Voilà t’es content ! Le même ramassis de connerie que toi.
ALEXANDRE
Et bien je me sens moins seul.
NICOLAS
C’est ça camarade ! Unissons nos forces !
ALEXANDRE
Voilà un bien joli combat en tout cas…
NICOLAS
Tu parles d’un combat, nous ne sommes pas même montés au front. On est là, planqué à l’arrière,
retranché dans cette cabane.
ALEXANDRE
Du coup, ça un petit côté résistant non ?
NICOLAS
Tu parles ! J’aurai préféré 14-18 le combat au corps à corps ! La tranchée, les sacs de sable…
ALEXANDRE
Bon, en tout cas, on a perdu une bataille peut être pas la guerre ?
NICOLAS
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Le Refuge
On va continuer longtemps dans la métaphore guerrière ? Non parce que, tu n’as pas vraiment l’air
de Che Guevara !
ALEXANDRE
Bon on fait quoi ?
NICOLAS
Ben rien ! On ne fait rien !
ALEXANDRE
Comme soulagé.
Ah, ça me va !
NICOLAS
A lui-même.
Le contraire aurait été étonnant !
ALEXANDRE
Il sort de son sac, le repas qu’il avait préparé amoureusement.
Bon, ben, je crois qu’elle ne sera pas là pour dîner. Alors on ne va pas gâcher, hein…
NICOLAS
En soufflant.
En fait, je crois que je vais me tirer, j’en ai plein le cul.
ALEXANDRE
Qui n’a pas entendu.
Bon, puis au pire, quand y a pour deux, y pour trois, hein ! Enfin quand je dis au pire hein (il
s’adresse à NICOLAS)
NICOLAS
Il se lève.
Je me casse.
ALEXANDRE
Non mais quand je dis pour trois, je voulais dire pour quatre aussi ! Il ne faut pas le prendre comme
ça !
NICOLAS
Dépité
C’est la porte que je vais prendre. J’ai assez attendu, elle ne viendra pas. C’est complétement con
d’avoir cru que …
ALEXANDRE
Mais non, je suis certain qu’elle arrive ou qu’elle a eu un empêchement !
NICOLAS
Il met son sac sur le dos, ferme sa veste.
18
Le Refuge
C’est ça ! Connerie je te dis ! La vérité, c’est que je me suis monté le bourrichon tout seul ! Elle
s’en tape et je la comprends.
ALEXANDRE
Comment tu peux dire ça ?
NICOLAS
Simple !
ALEXANDRE
Pourquoi ?
NICOLAS
Tu aimes, tu viens.
ALEXANDRE
Tu as dit aime ?
NICOLAS
Oui, enfin je voulais dire…
ALEXANDRE
Que tu l’aimes
NICOLAS
Gêné.
Non … Mais j’aimerai qu’elle vienne c’est tout.
ALEXANDRE
Tu lui as dit ?
NICOLAS
Oui, enfin, j’ai fait un SMS, quoi.
ALEXANDRE
Du genre ?
NICOLAS
Qui s’énerve et tiens la poignée de porte.
Du genre, du genre … Merde, quoi ! Je ne suis pas un poète moi ! J’ai simplement écrit que je
l’attendais ici pour qu’on discute, que voulais tu que je dise d’autre ?
ALEXANDRE
Il hausse les épaules.
Oh rien d’autre finalement. Je n’ai pas écrit plus que toi. Sauf que j’ai fait une lettre de trois pages.
NICOLAS
Trois pages ?
ALEXANDRE
19
Le Refuge
Ah oui ! Mais un bijou ! J’en pleurai presque quand j’ai relu.
NICOLAS
Moqueur.
Presque ?
ALEXANDRE
Oui … Bon, d’accord, j’ai chialé. Mais c’est tellement …
NICOLAS
Con, c’est tellement con, qu’elle n’est pas plus décidée à venir que la mienne. Alors tu vois Victor
Hugo ou pas. Quand ça ne veut pas…
ALEXANDRE
Ah ben vu comme ça !
NICOLAS
Ben excuse-moi, ce n’est pas une vue de l’esprit ! Il ne peut être pas échappé qu’elles nous ont
posés un lapin !
ALEXANDRE
Ah non ! Je ne suis pas d’accord avec toi.
NICOLAS
Ah bon ? T’en as de bonne toi !
ALEXANDRE
On ne peut pas vraiment dire qu’on a eu un lapin !
NICOLAS
Mais il te faut quoi !!
ALEXANDRE
Ben, pour avoir un lapin, il me semble qu’il faut avoir un rendez-vous !
NICOLAS
Et ?
ALEXANDRE
Ben, on n’avait pas de rendez-vous. J’ai supplié, t’as convoqué !
NICOLAS
Avec toujours la main sur la poignée de porte.
Convoqué, tu n’y vas pas un peu fort là !
ALEXANDRE
Tu peux me relire ton SMS ?
NICOLAS
Non !
20
Le Refuge
ALEXANDRE
Ah …
NICOLAS
Oui ! Bon, forcément, j’étais un peu énervé.
ALEXANDRE
Ah pas bon ça !
NICOLAS
Pfff ! Bon, pas bon, on s’en tape ! Allez, j’y vais, j’en assez entendu, bonne chance mon vieux et
bon vent !
NICOLAS claque la porte, Alexandre regarde son téléphone et semble relire un message. Il se met à
table.
ALEXANDRE
Allez (il lève un verre de vin), à nous !
21
Le Refuge
ACTE II
La porte s’ouvre soudainement. NICOLAS entre et balance son sac sur le sol. Il est couvert de
neige. Alexandre a sursauté de peur, manquant de s’étrangler avec son vin.
NICOLAS
Putain de neige ! Putain de soirée ! On n’y voit pas à deux mètres.
ALEXANDRE
Ah ben nous voilà fixé.
NICOLAS
En même temps, y a que toi pour y croire encore.
ALEXANDRE
Quand il y a de la vie …
NICOLAS
Il y a de la connerie.
ALEXANDRE
Euh non de…
NICOLAS
De la connerie, d’abord ça rime monsieur le poète, ensuite, je ne vois pas autre chose à dire que de
la connerie, ici. Ah si ! De la naïveté, ce qui est sans doute pire !
ALEXANDRE
Il désigne l’assiette en face de lui.
Ce qui serait pire, c’est que cela nous coupe l’appétit !
NICOLAS
Qui retrouve le sourire. Il s’installe.
J’ai l’impression qu’il t’en faudrait plus.
ALEXANDRE
Naïf, romantique, pleurnichard, poète et gourmand, je cumule ! C’est tout mon charme.
NICOLAS
Ben au moins, tu sais qui tu es. Ce soir, je ne me reconnais pas vraiment.
ALEXANDRE
Pourquoi ? Parce que tu as essayé de sauver ton histoire ?
NICOLAS
Oui, ce n’est pas moi ça.
ALEXANDRE
22
Le Refuge
C’est la première fois ?
NICOLAS
Que je me fais plaquer ? Ben non, mais en général…
ALEXANDRE
Tu fais en sortes que ça n’arrive pas !
NICOLAS
Voilà ! Quand je sens que ça part en … Et ben, je me casse !
ALEXANDRE
Et là …
NICOLAS
Ben, je suis là, comme toi.
ALEXANDRE
Comme un con, donc.
NICOLAS
Voilà.
ALEXANDRE
Si tu n’avais pas été stoppé par la neige, tu serais rentré chez toi non ?
NICOLAS
Hésitant.
Euh oui ! Oui, oui…
ALEXANDRE
Il regarde par la fenêtre.
C’est curieux, il y a quoi, cinq, dix centimètres ?
NICOLAS
Ah oui mais, le chemin est hyper glissant !
ALEXANDRE
De dos, il regarde toujours par la fenêtre.
Je vois …
NICOLAS
Ah ben non, parce que de là, tu ne peux pas voir le chemin.
ALEXANDRE
Et mes bougies ?
NICOLAS
Eteintes !
23
Le Refuge
ALEXANDRE
Elles aussi…
NICOLAS
Bon, c’est vrai, il y avait peu de neige. Même si ça ne tombe encore pas mal hein ! C’est juste
que…
ALEXANDRE
Tant qu’à faire…
NICOLAS
C’est ça. J’allais faire quoi une fois chez moi.
ALEXANDRE
Et oui, alors autant s’inviter au dîner de con.
NICOLAS
Il s’est installé en face d’Alexandre. Mais il a pris soin d’enlever le vase qui contient la fleur.
En tout cas, la mienne, elle doit bien se marrer.
ALEXANDRE
En t’imaginant ici ?
NICOLAS
Ben oui. Elle n’est pas la dernière à être cynique. Alors là, elle n’a pas de raison de se gêner. Elle
doit y aller franchement, avec ses copines.
ALEXANDRE
Moi, elle a dû se réfugier dans les livres, elle lit tellement, surtout quand elle ne va pas bien.
NICOLAS
Ah alors, je comprends mieux.
ALEXANDRE
La lettre de trois pages ?
NICOLAS
Ben oui ! Ceci dit, elle lit aussi hein. Enfin je crois.
ALEXANDRE
Comment tu peux dire, je crois. Elle lit ou pas ?
NICOLAS
Ben en fait, on ne parlait pas vraiment lecture, donc…
ALEXANDRE
Songeur
Mais au fond, je ne sais pas si elle va mal.
NICOLAS
24
Le Refuge
Peut-être, elle fait comme la mienne, elle se marre !
ALEXANDRE
Qu’est-ce que tu en sais ? Au fond, on ne sait pas, ni l’un, ni l’autre. Comment elles vont. Enfin, ce
que ça leur fait.
NICOLAS
Il faut bien l’avouer. On préférait qu’elles morflent elle aussi.
ALEXANDRE
Ah, tu avoues que tu morfles.
NICOLAS
Ecoute, je ne connais pas la tienne. Mais moi, je peux t’assurer qu’elle doit être passé à autre chose.
ALEXANDRE
Tu veux dire à un autre ?
NICOLAS
Ben oui ! Et puis toi aussi sûrement !
ALEXANDRE
Alors là, je ne préfère pas y penser. Et puis je ne l’imagine pas, enfin, elle est trop sensible.
NICOLAS
Dis-donc, ce n’est pas Sœur Théresa quand même !
ALEXANDRE
Donc, nous sommes là dans cette cabane pendant qu’elles se foutent de nous, tout en se faisant
sauter par le premier qui passe.
NICOLAS
Voilà ! Enfin, tu vois les choses en face.
ALEXANDRE
Et toi, tu es complétement parano et pessimiste. Après tout, qui nous dit que demain…
NICOLAS
Et il est reparti ! Non mais ce n’est pas vrai, qu’est ce qui te faut ?
ALEXANDRE
Je l’attendrai.
NICOLAS
Et ben, je te le dis, tu vas pouvoir sécher sur place avant qu’elle revienne. Les femmes, ça ne revient
jamais et surtout pas quand c’est elles qui se sont barrées.
ALEXANDRE
Ah le retour du psychologue !
25
Le Refuge
NICOLAS
Donne-moi une raison pour que boum demain, elle se réveille et elle se dit, Mon Dieu, qu’ai-je
fais ? Mais je l’aime !
ALEXANDRE
Mais il y a en plein des raisons, je ne sais pas moi.
NICOLAS
Ben oui, si toi, tu ne sais pas, comment veux-tu qu’elle…
ALEXANDRE
Notre rencontre ! Je peux te dire qu’elle n’est pas prête d’en faire une comme celle-là.
NICOLAS
Moqueur.
Ah bon ? Un coup de foudre à la bibliothèque ?
ALEXANDRE
Mystérieux.
Pas la peine, tu ne devineras jamais.
NICOLAS
M’en fous !
ALEXANDRE
Et toi ?
NICOLAS
Des amis.
ALEXANDRE
Ah quel site ?
NICOLAS
Mais non pas sur un site ! J’ai dit des amis.
ALEXANDRE
Je ne te crois pas. Alors quel site ?
NICOLAS
Et pourquoi ?
ALEXANDRE
Parce que tu aurais dit chez des amis. Et puis les amis, ils nous présentent les incasables. Les
chiantes, les moches, les folles et à la fin de la soirée, tu réalises que toi aussi, tu ne dois pas tourner
rond. Et donc, internet, j’ai essayé aussi.
NICOLAS
Ben moi aussi, en fait, je ne fais que ça.
26
Le Refuge
ALEXANDRE
Ah pas mon truc.
NICOLAS
Timide ?
ALEXANDRE
Non poète !
NICOLAS
Ben, c’est carrément une force non ?
ALEXANDRE
Oui, ben quand elles découvrent que Rimbaud habite encore chez sa soeur…
NICOLAS
Ah je vois ! Elles s’enflamment quand vous vous écrivez ? Et en face à face…
ALEXANDRE
Ben, il n’y a que moi ! Alors, j’ai vite arrêté.
NICOLAS
Ben, faudra me donner un coup de main. Parce que moi, je ne donne pas vraiment dans
l’alexandrin. Mais bon, il n’y en a pas une qui s’en est plainte en même temps.
ALEXANDRE
Donc, elle, c’était une rencontre comme les autres.
NICOLAS
Oui, enfin sauf que quand je l’ai vu.
ALEXANDRE
En soupirant.
Ah moi, j’étais bouleversé.
NICOLAS
Ah non pas du tout ! Moi, je me suis dit, que c’était plutôt haut de gamme pour moi.
ALEXANDRE
Et tu as eu peur de rouler en surclassé ?
NICOLAS
Un peu, enfin, ça m’a pris la pression tout de suite. Dis donc, tu habites vraiment chez ta soeur ?
ALEXANDRE
Ah non ! (Précis) Pas chez ma sœur, avec ma sœur.
NICOLAS
Mais c’est pire ! Tu n’es quand même pas en colocation avec elle ?
27
Le Refuge
ALEXANDRE
Mais non ! Je voulais dire qu’elle habite chez moi et pas le contraire.
NICOLAS
Ben pas glamour le truc. Elle en disait quoi ta copine ?
ALEXANDRE
Rien. Je ne lui n’ai jamais dit.
NICOLAS
Ah ben bravo ! En tout cas, tu as bien fait, parce que je ne suis pas convaincu que…
ALEXANDRE
J’ai tellement de choses à me reprocher…
NICOLAS
C’est ça ! Va te pendre aussi ! Non mais, merde, on ne va pas se laisser bouffer par ces bonnes
femmes. Tiens, dis-moi plutôt comment tu l’as rencontré ? Parce que je te préviens que je ne vais
pas jouer à deviner et surtout pas ce soir.
ALEXANDRE
En dansant.
NICOLAS
En boîte ? C’est vrai que tu as un petit côté John Travolta…
ALEXANDRE
Mais non dans un cours de danse.
NICOLAS
Ouf ! Je me disais aussi… Attends ! Laisse-moi deviner finalement. Country ? Genre santiag et
chemise à franges dans la salle polyvalente ?
ALEXANDRE
Mais non … Salsa.
NICOLAS
Ah alors là, tu m’intéresses.
ALEXANDRE
Parce que ?
NICOLAS
J’ai un pote qui fait des ravages avec ça.
ALEXANDRE
Il tire NICOLAS de sa chaise et l’entraine au milieu de la pièce.
Allez ! C’est parti !
NICOLAS
28
Le Refuge
Ah non, non ! Mais théorique le cours ! T’as qu’à me dire et …
ALEXANDRE
Ah non ! La salsa, c’est dans le cœur, dans le corps !
NICOLAS
Euh, c’est super gênant là.
ALEXANDRE
Allons ! On est seul non !
NICOLAS
C’est clair qu’on a plus de chance de gagner au loto, qu’elles débarquent mais euh….
ALEXANDRE
Il tire NICOLAS et le positionne en face de lui.
Donc, le pas de base, en couple, position fermée. Main droite du garçon, tu es le garçon, ça ne te
dérange pas ?
NICOLAS
Euh non en fait, si j’ai le choix…
ALEXANDRE
Donc, main droite du garçon dans le dos de la fille (il plaque sa main dans le bas du dos de
NICOLAS) et main gauche de la fille (il prend la main de NICOLAS qu’il pose sur son épaule) sur
l’épaule du garçon. Attention, les bras sont en contact ! Voilà, nous y sommes, c’est la position
fermée ! Il y a aussi la position ouverte.
NICOLAS
Qui essaie discrètement de se retirer de l’étreinte.
Ah euh, ouverte ! Oui, c’est bien ça ouverte ! ….
ALEXANDRE
Qui ne le lâche pas.
Un peu comme le tango mais sans le contact.
NICOLAS
Bien, bien ! On y va ?
ALEXANDRE
Alors, c’est seulement la main du garçon au-dessus de la main de la fille, paumes vers le bas.
NICOLAS
Ah mieux ! Beaucoup mieux ! Bon (il tente de se libérer). C’était très bien, merci.
ALEXANDRE
Qui l’emporte dans les pas de danse.
Donc, Mambo !
29
Le Refuge
La musique commence. Ils esquissent des pas de danse. Alexandre est langoureux, NICOLAS
tendu…
Le danseur démarre pied droit, amène le poids du corps. La danseuse (il regarde NICOLAS droit
dans les yeux), est sur le pied droit. Et, on va juste basculer le poids du corps d’un pied à l’autre.
Allez marche ! marche ! marche !
1,2,3, on avance, on recule …
1,2,3, j’attends 4
5,6,7, j’attends 8
NICOLAS et Alexandre enchaîne les pas, la danse devient sensuelle. D’un coup, NICOLAS se retire.
NICOLAS
Très gêné.
Stop ! C’est bon !
ALEXANDRE
Qui va se servir un verre de vin.
Ah, ah… Troublant hein !
NICOLAS
Oui, je reconnais que c’est plutôt efficace.
ALEXANDRE
Alors imagine quand tu danses avec une inconnue et que…
NICOLAS
Oh mais maintenant je vois bien hein !
ALEXANDRE
Un moment inoubliable ! Et pour une fois, j’ai fait passer le corps avant les mots …
NICOLAS
Bon, ben je crois que je vais continuer l’internet, je te laisse le tango.
ALEXANDRE
La salsa ! Rien à voir, encore que…
NICOLAS
Encore que ce n’est pas pour moi.
ALEXANDRE
Dis-donc, plutôt haut de gamme ? Ce n’est pas une bagnole, tu veux dire quoi ? Trop belle pour
toi ?
NICOLAS
Non, je voulais simplement dire que j’avais l’impression qu’on n’était pas du même monde.
ALEXANDRE
Nous sommes tous du même monde NICOLAS. Qu’est ce qui te faisait dire ça ? Elle te prenait de
haut ?
30
Le Refuge
NICOLAS
Non, même pas. C’est juste que j’ai peu fait d’études. Et que bon, t’as bien vu tout à l’heure, je ne
suis pas vraiment amateur de lecture. Alors….
ALEXANDRE
Et donc, tu ne t’es pas senti à l’aise avec quoi ?
NICOLAS
Avec rien de précis. C’est simplement que j’ai vite compris que je ne serai pas forcément à la
hauteur.
ALEXANDRE
Mais de quoi ?
NICOLAS
Ben de ses amis ! De ses sorties ! Et puis, j’ai l’impression qu’elle savait tout sur tout.
ALEXANDRE
Ah ! Passionnant non ?
NICOLAS
Angoissant !
ALEXANDRE
Et tu as fait quoi ?
NICOLAS
Que voulais-tu que je fasse ? J’ai tenté de mener la danse.
ALEXANDRE
Et moi, je crois que je n’étais pas vraiment assez meneur. Alors tu vois ? C’est compliqué ?
NICOLAS
En attendant, nous voilà, à deux, bloqué par la neige dans cette cabane. Je me demande si elle m’a
répondu (il regarde son téléphone). Toujours pas de réseau, merde !
ALEXANDRE
Et moi, je me demande ce qu’elle fait ce soir, à quoi elle pense, qui elle voit…
NICOLAS
Comme tu es ! On se fout de bien ce qu’elle fait ! Moi je te l’ai dit, elle doit sûrement se foutre de
ma gueule. Il faut dire qu’il y a de quoi. Non mais regarde nous, nous sommes pathétiques.
ALEXANDRE
Ben, il faut reconnaître que …
NICOLAS
Je crois qu’il va falloir se résoudre à dormir ici. Je prends le haut !
31
Le Refuge
ALEXANDRE
Oh, de toute façon, je ne vais pas fermer l’œil alors…
NICOLAS
Ah ben moi, rien ne m’empêchera de dormir !
Il sort un duvet de son sac et se dirige vers le lit.
Allez bonne nuit !
ALEXANDRE
Attends !
NICOLAS
Attendre quoi ?
ALEXANDRE
Euh, tu n’as pas envie de discuter un peu ?
NICOLAS
Mais je n’ai pas envie de parler moi ! J’ai tout dit. Et puis, il n’y a rien d’autre à dire. Cette manie
que tu as de vouloir parler, discuter. Ne m’en veux pas, mais elle devait sacrément se faire chier
avec toi.
ALEXANDRE
Vexé.
C’est clair que moi, je n’avais pas peur d’échanger.
NICOLAS
Toujours avec son duvet à la main, il crie presque.
Quoi ? Quoi ? Quoi ?
ALEXANDRE
Tu as bien compris.
NICOLAS
Et alors ? On s’en fout de parler. Regarde où tu en es ! T’as aligné plein de jolis mots hein, des
citations je parie. Et puis, vas-y qu’on parle du dernier bouquin, du dernier film et qu’on débat
pendant des heures. La vérité, qu’elles s’en foutent ! Elles veulent un mec, un vrai, pas Stéphane
Bern.
ALEXANDRE
Tu as quoi contre Stéphane Bern ? Je trouve que…
NICOLAS
Putain ! Et il est reparti là ! Allez, tu me fatigues ! T’es épuisant, donc je vais dormir.
ALEXANDRE
Bon ! Excuse- moi !
NICOLAS
Et en plus, il s’écrase. T’es un vrai tue l’amour toi !
32
Le Refuge
ALEXANDRE
Ben, j’aurai dû dire quoi ?
NICOLAS
M’envoyer chier ! Bordel ! C’est ça ton problème.
ALEXANDRE
Je n’envoie pas chier ?
NICOLAS
Ben non ! Je suis certain que tu es toujours du même avis que tout le monde ou alors tu nuances un
peu…
ALEXANDRE
Oui ! Exactement ! Je…
NICOLAS
Ah ! Tu vois ! Qu’est-ce que je te disais ! T’es d’accord là ! Hein mais je te jure !
ALEXANDRE
Dis-donc et toi ? J’ai l’impression que tu n’en menais pas large non plus ?
NICOLAS
Ah mais rien à voir ! Moi, j’évitai juste les sujets que je ne maîtrisais pas…
ALEXANDRE
Ben, il ne devait pas rester grand-chose !
NICOLAS
Oh puis tu m’emmerdes !
Il monte à l’échelle du lit.
De toute façon, je sens que tu ne vas pas me lâcher hein !
ALEXANDRE
Vois le bon côté des choses, au moins, moi, je ne te laisse pas tomber !
NICOLAS
Sur l’échelle.
Mais personne ne me … Oh puis merde ! Allez bonne nuit ! (Il se couche, tapote son oreiller,
visiblement bien décidé à s’endormir rapidement).
ALEXANDRE
Il installe son duvet avec précaution. Alexandre sort un livre de son sac, allume une frontale et va
éteindre la bougie. La cabane est à présent uniquement éclairée par la lampe d’Alexandre. Il se
glisse dans son duvet, tente de s’installer pour lire mais la position lui semble inconfortable. Il va
alors chercher une chaise pour caler son oreiller. Il reprend son livre, satisfait.
Voilà ! Voilà !
NICOLAS
33
Le Refuge
Non mais je rêve !
ALEXANDRE
Oh pour ça mon ami, il faudrait que tu dormes !
NICOLAS
Tu ne comptes pas lire toute la nuit ! Merde ! Je veux dormir ! Et je ne suis pas ton ami !
ALEXANDRE
Il désigne son livre.
Cela te dérange ?
NICOLAS
Oui !
ALEXANDRE
M’en fous !
NICOLAS
Il se redresse soudainement.
Comment ça tu t’en fous ?
ALEXANDRE
Ben, tu vois, j’apprends vite ! Je m’affirme ! Je m’impose !
NICOLAS
Putain, mais quel con !
Alexandre se concentre sur son livre, NICOLAS tourne et retourne dans son duvet, rageusement.
Alexandre semble avoir du mal à réussir à lire, plusieurs fois, il laisse tomber son livre sur ses
genoux. Puis d’un coup, il pose le livre sur le sol et éteins sa lampe.
Ah quand même ! Allez bonne nuit !
Il se passe quelques secondes de silence.
ALEXANDRE
Je peux te poser une question ?
NICOLAS
Qui allume sa frontale (qu’il avait visiblement posé sur son front pendant les secondes d’obscurité).
Quoi ? Quoi ? Merde quoi encore ?
ALEXANDRE
J’ai l’impression que tu as eu pas mal de… Enfin, que tu as connu beaucoup de femmes et …
NICOLAS
Flatté
Euh oui, quand même …
34
Le Refuge
ALEXANDRE
Et du coup, tu dirais, que me concernant c’est foutu ?
NICOLAS
Mais je n’en sais rien moi ! Tu ne m’as pas dit grand-chose. Et puis tu sais, quand ça commence à
tourner autour du pot, ça ne sent pas bon. Au fond, le truc, c’est quand on ne se pose pas de
questions.
ALEXANDRE
Il est vrai que je suis très introspectif.
NICOLAS
Hein ?
ALEXANDRE
Rien, laisse tomber. De toute façon, je crois que personne ne sait ce qu’elles veulent !
NICOLAS
Enfin une parole juste. C’est ma seule conclusion mon gars. Et la tienne, elle voulait quoi ?
ALEXANDRE
Au fond, je ne sais pas vraiment. Une forme de paix, je crois.
NICOLAS
De paix ? Elle se croit en guerre ?
ALEXANDRE
Avec soi-même.
NICOLAS
Ah je vois, le côté zen, yoga et thé vert.
ALEXANDRE
Il y a de ça…
NICOLAS
Ben alors, dans ton genre, t’as plutôt l’air calme non ?
ALEXANDRE
Trop peut-être.
NICOLAS
Bon, essayons de dormir parce que là, c’est moi qui ai besoin de calme, allez, soyons zen !
ALEXANDRE
Je ne comprends pas.
NICOLAS
Quoi ?
35
Le Refuge
ALEXANDRE
Ben, tu as l’air de bien connaître les femmes. Qu’est ce qui t’a posé problème avec celle-là ?
NICOLAS
Je ne sais pas. Je crois que je ne la rassure pas en fait.
ALEXANDRE
Tu crois qu’elle pensait à l’avenir ?
NICOLAS
Oh tout de suite ! Non mais, je ne suis pas convaincu qu’elle se projetait avec moi. Je vis trop au
jour le jour.
ALEXANDRE
Il se lève
Bon, je n’arrive pas à dormir et toi non plus. Je propose d’attaquer la Chartreuse !
NICOLAS
Qui saute du haut de son lit.
J’arrive !
ALEXANDRE
Qui sort la bouteille et observe l’étiquette.
Ben eux au moins, ils n’ont pas nos problèmes !
NICOLAS
Qui tends son verre.
Dis-donc, t’avais tout prévu ! Elle a tendance à picoler ?
ALEXANDRE
Non ! Mais elle a un faible pour les alcools forts. (Il sert très généreusement les verres).
NICOLAS
Et les hommes forts !
ALEXANDRE
C’est vrai, c’est vrai…
Ils boivent tous deux cul-sec, c’est plutôt rude et raide.
NICOLAS
La vache, j’avais oublié …
ALEXANDRE
J’y suis peut-être allé un peu fort …
NICOLAS
Qui ressert dans les mêmes proportions
Mais non, il faut ce qu’il faut mais il faut reconnaître, c’est du brutal !
ALEXANDRE
36
Le Refuge
Et puis personne ne nous attend, non !
NICOLAS
On ne va pas se gêner !
De nouveau, ils boivent cul-sec.
ALEXANDRE
Qui balbutie un peu
Moi, je dis que tout ça c’est bien gentil ! Mais attention ! Attention, elle ne sait pas qui je suis !
NICOLAS
Qui prends Alexandre par les épaules
Bien parlé Victor Hugo ! Montre s’y donc que tu ne te laisses pas faire !
ALEXANDRE
Qui se lève, droit comme un I.
M’en vas lui dire moi que…
NICOLAS
Qui à son tour, se lève.
Que NOUS, et ben Nous…
ALEXANDRE
Qui sert un troisième verre toujours aussi généreux.
On s’en fout ! Complétement !
NICOLAS
Qui fait tchin avec Alexandre en titubant.
On est fort, très fort, hein.
ALEXANDRE
M’en va lui dire !
NICOLAS
Hein ?
Alexandre met péniblement son sac à dos sur le dos, en oubliant de mettre sa veste. NICOLAS le
regarde, hagard.
Euh tu fais quoi là ?
ALEXANDRE
M’en vais ! Je vais aller directement chez elle ! Et là ! (Il marque une pause théâtrale), je lui
balance tout !
NICOLAS
En bégayant
Tout… Tout, tout quoi ?
37
Le Refuge
ALEXANDRE
Mystérieux
Tout NICOLAS, tout, je te dis tout !
NICOLAS
Et ben, tu n’es pas rendu.
ALEXANDRE
Et pourquoi Monsieur ? Pourquoi ?
NICOLAS
D’abord, parce qu’il y a de la neige ! Plein… Ensuite, et puis, il y a quand même pas mal à dire,
hein !
ALEXANDRE
Qui pleure soudainement dans les bras de NICOLAS.
C’est vrai, c’est vrai…
NICOLAS
Ivre
Allez ! Sois raisonnable !
ALEXANDRE
Qui pleure à gros sanglots.
Elle me manque !
NICOLAS
Allez viens !! On boit un coup !
ALEXANDRE
Tu veux que je te parle d’elle ?
NICOLAS
Qui sert deux nouveaux verres.
Non !
ALEXANDRE
Qui s’effondre sur la chaise et se saisit du verre.
Ce soir-là, il y avait peu de monde. Et tu sais (NICOLAS fait non de la tête), dans les cours de
danse, il y a peu d’hommes (NICOLAS hausse les épaules). Et donc, forcément, t’as presque le
choix, tu vois ce que je veux dire (NICOLAS approuve). Donc, je la vois, de l’autre côté de la salle.
Jamais vu avant. Et là, je me dis, celle-là est pour moi ! (NICOLAS tape du poing sur la table).
Alors, je me lance, tu vois. Elle accepte, bon en fait, elles ne peuvent pas vraiment refuser.
NICOLAS
Pour une fois…
ALEXANDRE
Et là, là ! Le moment incroyable ! Et puis après, ça été comme évident, tu vois. Elle était tout ce que
j’attendais d’une femme. On partageait tout ! On ne se quittait pas ! On s’envoyait des centaines de
38
Le Refuge
messages par jour, on échangeait des poèmes, des chansons … J’aimais tout d’elle, même son
chien ! Je t’ai parlé de son chien ?
NICOLAS
M’en tape du clébard !
ALEXANDRE
Tu sais, je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’aussi sensible à la beauté. Le nombre de musées
qu’on a fait ! C’était beau ! C’était beau, comme un roman. J’aimais tellement l’écouter quand elle
me parlait de son enfance. Des heures au téléphone le soir à parler de tout et de rien. Comment je
vais faire-moi si je vois quelque chose de magnifique, si ne je ne pas lui dire ?
NICOLAS
Il pleurniche.
Oh putain, ça c’est beau.
ALEXANDRE
Je dois lui dire tout ça ! Je dois lui dire.
Il se lève, il ne tient presque pas debout, il met péniblement son sac sur le dos et chancelle à chaque
pas.
C’était beau ! C’est beau !
NICOLAS applaudit, il vacille aussi sur ses jambes. Alexandre est sur le seuil.
Adieu mon ami ! Adieu !
NICOLAS se jette dans ses bras.
Je m’en vais !
Il regarde dehors
Au vent mauvais !
NICOLAS
Gainsbourg !
ALEXANDRE
Non ! Verlaine !
Alexandre serre longuement la main de NICOLAS qui à chaque secousse, oscille dangereusement.
Merci mon ami ! Merci ! Merci pour tout ! Je suis fier de nous !
NICOLAS
De rien, de rien … Et puis si tu croises l’autre connasse ! (Il désigne l’extérieur). Je compte sur toi
hein !
ALEXANDRE
Tu peux compter sur moi ! Sur ce, mon ami, Adieu.
Et il s’en va.
NICOLAS
En claquant la porte.
Bon Vent (silence) mauvais.
Il s’écroule sur la chaise puis sur la table, visiblement endormi.
39
Le Refuge
ACTE 3
La porte s’ouvre, NICOLAS traîne littéralement Alexandre derrière lui. Tous deux ont leurs
vêtements enneigés. Ils s’écroulent tous les deux, frigorifiés, pas encore désaoulés.
ALEXANDRE
Ah merci ! Merci, j’ai bien cru que j’allais crever.
NICOLAS
De rien tu gueulais tellement que je n’aurai jamais réussi à dormir.
ALEXANDRE
Je ne comprends pas ce qui est arrivé.
NICOLAS
Ben, t’es tombé dans le vide, juste après le seuil. Heureusement que j’avais un bout de corde, hein !
ALEXANDRE
Je te dois la vie ! Tu te rends compte.
NICOLAS
Ne n’en fais pas trop.
ALEXANDRE
Maintenant, c’est à la vie, à la mort !
NICOLAS
Oui, ben, surtout à la vie, hein !
ALEXANDRE
En se relevant.
J’ai vu toute ma vie défiler.
NICOLAS
Et alors ?
ALEXANDRE
Ben pas grand-chose hein !
NICOLAS
Même pas ta sœur ?
ALEXANDRE
Même pas !
40
Le Refuge
D’un coup, Alexandre se lève, il semble avoir aperçu quelque chose, il se dirige vers le pas de la
porte et ramasse une enveloppe. Immédiatement, NICOLAS se redresse.
NICOLAS
Laisse !
ALEXANDRE
Ah ?
NICOLAS se rapproche d’Alexandre et tente de récupérer l’enveloppe mais Alexandre la serre
contre lui.
NICOLAS
Fâché
Laisse ! Je te dis ! Allez ! File !
ALEXANDRE
Moqueur.
Sûrement pas !
Alexandre essaie d’ouvrir l’enveloppe pour lire le contenu, tout en se débattant avec NICOLAS qui
veut l’empêcher. Ils tournent et tournent, s’empoignent, se repoussent et finissent, l’un contre
l’autre, visage contre visage, menaçants.
NICOLAS
Je te préviens, je suis à deux doigts te fracasser !
ALEXANDRE
Tu crois que tu me fais peur ?
NICOLAS
Non !
ALEXANDRE
Tu n’as pas peur de moi mais tu as peur que je lise ta lettre hein ?
NICOLAS
Putain ! Mais ça ne te regarde pas ! Donne !
ALEXANDRE
Tu te fous de moi ? Avec tout ce que je t’ai dit !
NICOLAS
Toujours menaçant.
Et alors ! Je ne t’ai rien demandé moi ! Donne !
ALEXANDRE
Et tu t’es moqué de moi avec ma lettre de trois pages !
41
Le Refuge
NICOLAS
Il n’y a pas trois pages !
ALEXANDRE
C’est ce qu’on va voir tout de suite !
Il pousse NICOLAS avec force. Qui visiblement, lassé, se laisse tomber sur la chaise.
NICOLAS
En criant.
Allez vas-y, je m’en fous, après tout ! Nous ne sommes plus à ça près... Pathétique jusqu’au bout.
ALEXANDRE
D’un ton ironique.
« Mon amour »
Bien ! Bon début ! Je n’aurai pas fait mieux.
NICOLAS souffle et hausse les épaules.
« Je t’écris »
Ben on s’en doute que tu lui écris, inutile ça mais bon continuons…
« Car je n’ai pas compris »
Aie !? Mauvaise introduction. Tu commences par lui dire que tu ne l’as pas comprise, pas bon !
NICOLAS râle dans son coin et se sert un verre.
« Pourquoi tu m’as dit tout ça »
Tout ça ? Pas clair mon ami, pas clair ! Tout ça quoi ! Précise ! Bon, c’est peut-être un peu plus
loin ?
« Je ne comprends pas ce que j’ai fait pour que tu me traite comme ça »
Décidément, tu ne comprends pas grand-chose. Tu veux un conseil ?
NICOLAS
Non !
ALEXANDRE
Bon, tu as raison, finissons d’abord ce qu’on a commencé.
« J’ai tout fait pour toi. Peut-être que ce n’est pas assez »
Oh là ! Cela ne s’améliore pas franchement. Je, Je …
NICOLAS
Dis donc ! Bernard Pivot, je te rappelle que tu n’as pas fait mieux avec la tienne ?
ALEXANDRE
Pas faux ! Je le reconnais. Ah, là, ce n’est pas mal du tout !
« J’aime tellement quand on part ensemble à la montagne, à la mer. J’aime tellement être avec toi »
NICOLAS
Ironique.
Merci !
ALEXANDRE
« Alors pourquoi ne plus se voir ? Pourquoi ne pas profiter de ces instants là pour toujours ? »
Efficace et touchant ! Bravo ! J’aurai presque pu l’écrire.
42
Le Refuge
NICOLAS
Toujours ironique
Presque.
ALEXANDRE
Aie ! Là, ça se gâte franchement.
« Tu sais, j’ai connu beaucoup de femmes, mais tu es la première qui me fait ça ! »
NICOLAS
Pourquoi ?
ALEXANDRE
Hautain.
Je préfère ne pas répondre.
« Rejoins-moi à ta cabane, souviens-toi cette nuit ensemble »
Ensemble ! Ben forcément ! Non mais je te jure…
NICOLAS
On s’en fout ! De toute façon, je ne lui ai pas envoyé, j’ai fait un SMS.
ALEXANDRE
Ah oui.
Il semble réfléchir.
C’est une sentimentale ?
NICOLAS
Non !
Il reprend la lettre à Nicolas et se recouche.
ALEXANDRE
Je n’arriverai jamais à dormir.
NICOLAS
Mais si…
ALEXANDRE
Je peux te poser une question ?
NICOLAS
Les yeux fermés, dans un soupir.
Non…
ALEXANDRE
Tu me trouves comment ?
NICOLAS
Chiant, très chiant !
43
Le Refuge
ALEXANDRE
Il va jusqu’au lit de NICOLAS et près de lui.
Non mais vraiment, sois franc, dis-moi.
NICOLAS
Lourd, très lourd !
ALEXANDRE
Rends-moi ce service, dis-moi.
NICOLAS
Mais ça va t’avancer à quoi, ce que je pense ? Hein ?
ALEXANDRE
A comprendre.
NICOLAS
Mais il n’y a rien à comprendre, c’est ça que tu ne comprends pas. Je crois qu’un jour, cela s’éteint,
comme ça s’est allumé ! Et je crois bien qu’il n’y a rien à faire et rien à parler non plus. Il n’y a plus
qu’à bouffer un peu l’oreiller, chialer dessus, si c’est ton truc et puis passer à autre chose. Pas la
peine de se torturer comme tu le fais.
ALEXANDRE
Alors dis-moi, pourquoi tu es venu jusqu’ici ? Pourquoi tu y as cru ?
NICOLAS
Un moment de faiblesse, j’imagine.
ALEXANDRE
Je ne sais pas comment tu fais pour dormir ?
NICOLAS
Qui s’énerve.
Peut-être parce que je ne dors pas ! Non mais tu vas me laisser ? Nous laisser ? Foutre la paix à tout
le monde ! Elles ne sont pas là parce que maintenant elles n’ont rien à foutre, de toi et de moi. Si ce
n’est pas foutu de comprendre qu’on t’a plaqué, et ben, ce n’est pas de ma faute ! Alors tu me
laisses pioncer tranquillement, il est tard!
ALEXANDRE
C’est bon, c’est bon, je te laisse. Bonne nuit !
NICOLAS
Qui bougonne
C’est ça… Bonne nuit !
Alexandre reprend son livre et n’arrive toujours pas à se concentrer dessus. Il se lève, fait les cent
pas ce qui agace NICOLAS du fond de son lit. Puis soudainement, il prend sa veste.
ALEXANDRE
44
Le Refuge
Il s’approche à pas feutrés du lit de NICOLAS et chuchote presque.
NICOLAS, NICOLAS ? NICOLAS …
Il le secoue doucement, NICOLAS se retourne brusquement.
NICOLAS
Mais quoi ? Quoi ? Quoi encore ?
ALEXANDRE
Il recule toujours à petit pas silencieux.
Rien, dors ! Dors !
NICOLAS
Je vais le tuer ! Je vais le tuer ! Mais merde pourquoi tu m’as réveillé ?
ALEXANDRE
Je voulais te dire que j’allais pisser !
NICOLAS
Passionnant, merci pour l’info.
Et il se retourne dans son duvet.
ALEXANDRE
Non je dis ça parce que la dernière fois que je suis sorti…
NICOLAS
Et ben ne compte plus sur moi ! Il dort ton premier de cordée !
ALEXANDRE
Bon, ben j’y vais …
Alexandre sort, on entend marmonner NICOLAS (quel con mais quel con…mais quel con).
Un peu de silence puis la porte s’ouvre brusquement. Alexandre est affolé, son téléphone à la main.
J’ai un message ! J’ai un message !
NICOLAS
Formidable.
ALEXANDRE
Incroyable, il suffisait d’être juste au-dessus du refuge !
NICOLAS
Qui s’est redressé.
Et ?
ALEXANDRE
Et d’un coup, t’as du réseau !
NICOLAS
Et ?
45
Le Refuge
ALEXANDRE
Et quoi ?
NICOLAS
Le message ! Bordel ! Le message !
ALEXANDRE
Elle m’écrit qu’elle ne viendra pas, qu’elle est désolée.
NICOLAS
Et c’est tout ?
ALEXANDRE
Dépité
Oui…
NICOLAS
Ben, elle ne verse pas non plus dans la prose ta camarade.
ALEXANDRE
Et toi ?
NICOLAS
Quoi ?
ALEXANDRE
Tu n’es pas curieux de voir si tu as un SMS ?
NICOLAS
Qui de nouveau se couche.
Oh que non. Il n’y a que toi pour y prendre du plaisir. Moi je me préserve.
ALEXANDRE
Songeur.
C’est vrai qu’il n’est pas bien long ce message. C’est curieux.
NICOLAS
Allez viens te coucher. Il n’y a plus rien à dire, à faire ou à penser, alors autant dormir.
ALEXANDRE
Qui se couche, triste.
J’aimerai être comme toi.
NICOLAS
Bah, je ne vois pas bien la différence entre toi et moi.
ALEXANDRE
Tu as la force de rester là, tu ne cherches même pas à savoir si elle t’a répondu.
46
Le Refuge
NICOLAS
Je la connais sa réponse.
ALEXANDRE
Tu as raison. Allez, essayons de dormir, bonne nuit.
Noir, quelques secondes de silence. On entend Alexandre qui tourne et retourne dans son lit.
Tu veux mon avis ?
NICOLAS
Sur quoi ? Bon Dieu, sur quoi ?
ALEXANDRE
A mon avis, ce n’est pas un hasard.
NICOLAS
De quoi tu parles ? Quel hasard ?
ALEXANDRE
Notre rencontre, je veux dire qu’on soit là, tous les deux à attendre la femme qu’on aime.
NICOLAS
On attend que dalle, je te rappelle.
ALEXANDRE
Moi, je crois au destin !
NICOLAS
Et ton Karma, c’est d’être pris pour un imbécile à deux milles mètres d’altitude par un type que tu
n’avais jamais vu ?
ALEXANDRE
En riant.
Non, non ! Mais je crois à l’utilité de chaque chose, aux chemins tracés…
NICOLAS
Euh, si le Dalaï Lama n’a pas envie de dormir, c’est son problème, moi je veux dormir maintenant !
ALEXANDRE
Pour le moment, je ne vois pas où tout ça va m’emmener mais je fais confiance à la vie !
NICOLAS
Menaçant
Si tu continues, je te garantis que moi, je sais très bien où ça va t’emmener !
ALEXANDRE
Nous devons tirer la leçon de notre rencontre. Tirer le meilleur de chacun.
NICOLAS
Mais pourquoi je ne peux pas te plaquer moi aussi ! Un SMS et hop ! Plus d’imbécile heureux !
47
Le Refuge
ALEXANDRE
Tu sais, je suis confiant en l’avenir. Je crois que nous sortirons changés de cette nuit.
NICOLAS
Pourquoi il fait ce temps de merde, j’aurai été dormir dehors. En fait, je suis maudit. Il n’y a qu’à
moi que ça peut arriver.
ALEXANDRE
Oh ! Il doit y avoir pire que passer une nuit avec moi ?
NICOLAS
Je ne vois pas !
ALEXANDRE
Tu exagères !
NICOLAS
J’exagère ? Non mais je rêve ! Comme si ça ne suffisait pas de se faire plaquer et être pris pour un
con à attendre là, il faut en plus que je me coltine le névrosé du coin.
ALEXANDE
Mais je ne suis pas dépressif !
NICOLAS
L’autre, il vit avec sa sœur, il écrit des pages de deux mètres de long, il chiale sans arrêt et il n’est
pas dépressif !
ALEXANDRE
Dépité
C’est vrai…
NICOLAS
Bon, essayons de dormir. Il n’y a plus rien à faire. Demain est un autre jour. On va passer à autre
chose et puis on y pensera de temps en temps.
Un peu de silence, on entend NICOLAS et Alexandre se tourner et se retourner sans trouver le
sommeil.
ALEXANDRE
NICOLAS, NICOLAS … (il chuchote, pas de réponses, silence puis il recommence)
NICOLAS, NICOLAS …
NICOLAS
Vas-y allez !
ALEXANDRE
Tu fais quoi demain ?
NICOLAS
Non mais d’après toi abruti ! Demain, je me coltine ta tronche au petit déj et je me casse vite fait !
48
Le Refuge
ALEXANDRE
Non, mais je voulais dire après.
NICOLAS
Une douche, un bon film, une pizza, une bière.
ALEXANDRE
Ah cool !
NICOLAS
Non pas cool ! Non ! Ce n’est pas tout à fait comme ça que j’avais imaginé mon réveillon !
ALEXANDRE
Moi non plus …
NICOLAS
Sur ce, bonne nuit !
ALEXANDRE
Il se lève brusquement.
Non !
NICOLAS
Il reste dans son duvet mais menaçant
Quoi non ? Quoi non ?
ALEXANDRE
Non ! Pas bonne nuit !
NICOLAS
Mais je vais le tuer le boulet ! Je vais le tuer !
ALEXANDRE
Je refuse de dormir !
NICOLAS
Oh je ne suis pas ton père et heureusement ! Mais je te jure que si tu ne couches pas, je t’en colle
une !
ALEXANDRE
Il n’est pas question que je dorme ! Je vais lui répondre tout de suite.
NICOLAS
Mais qu’il est con ! Pour ce que ça change ! Enfin merde, tu vas la laisser ? La lâcher ?
ALEXANDRE
Je suis certain que j’ai encore une chance.
NICOLAS
49
Le Refuge
Il saute de son lit.
Ah ben oui ! Tu n’as jamais été proche du gros lot ! Un bon vent dans la gueule ! Et au minimum !
Parce que tu peux aussi toucher le bonus, le SMS qui t’envoie chier une bonne fois pour toutes.
Mais si ça peut te la faire fermer une fois pour toute, j’avoue, je suis preneur ! Vas-y le poète ! Ne te
prive pas !
ALEXANDRE
Tu m’aides ?
NICOLAS
Ah, d’un coup, il a besoin de moi, le prof de français !
ALEXANDRE
Oui, pour le côté un peu, enfin tu vois…
NICOLAS
Oh mais je vois très bien !
ALEXANDRE
Son téléphone à la main.
Alors, donc, euh…
NICOLAS
Il pointe du doigt le portable.
S-L-T, point d’exclamation !
ALEXANDRE
Quoi S-L-T ?
NICOLAS
Salut, ça veut dire salut !
ALEXANDRE
Ah non ! Je ne suis pas un ado et elle non plus, hein !
NICOLAS
Tu parles ! Je parie qu’elle ne se gêne pas elle !
ALEXANDRE
Oui ! Mais bon …
NICOLAS
Insistant.
Donc, S-L-T !
ALEXANDRE
Non !
NICOLAS
OK ! Bon, alors bonjour, j’ai bien reçu ton message !
50
Le Refuge
ALEXANDRE
Ben elle s’en doute hein ! Si on écrivait, merci pour ton message et …
NICOLAS
Merci ! Non mais il ne va pas bien lui ! Merci ! Et puis quoi encore !
ALEXANDRE
Oui, oui, tu as raison ! Alors, euh, concernant ton message…
NICOLAS
Ah bien ça ! Bien envoyé ! Alors, euh, concernant ton message, je… Ah merde ! Et puis tu veux lui
dire quoi ? Ça ne sert à rien, je te dis !
ALEXANDRE
Je veux lui dire que je suis là pour elle.
NICOLAS
Je vais me coucher !
ALEXANDRE
Ah non ! Reste ! J’ai besoin de toi !
NICOLAS
Ramassis de conneries ! Je n’écris pas ça moi !
ALEXANDRE
Ben, pourquoi ?
NICOLAS
Toujours là pour toi ! On s’en doute que tu es là, comme un con, à l’attendre ici et ailleurs ! Ah,
bravo le glamour ! Non mais je te jure ! Si tu écris, c’est pour bien l’envoyer chier ! Qu’elle arrête
de te prendre pour un con.
ALEXANDRE
Et toi ? Pourquoi tu l’envoies pas chier par SMS aussi ? Hein, tu fais le malin mais tu ne fais rien !
NICOLAS
Ah moi, encore une fois, ça n’a rien à voir. Moi, je-ne-sais-pas.
ALEXANDRE
Ce ne serait pas un peu lâche ça de ne rien vouloir savoir ?
NICOLAS
Lâche non mais !
ALEXANDRE
Alors vas-y sors !
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Le Refuge
NICOLAS
D’abord, je n’ai pas envie de pisser, je n’ai pas envie non plus de me les cailler pour recevoir ce
putain de message, s’il y a un message d’ailleurs. Elle ne s’est peut-être même pas cassé la tête, ce
serait son genre, tiens…
ALEXANDRE
Lâche ! Petite couille ! T’as peur de te prendre un vent hein ?
NICOLAS
Enfile sa veste rageusement
Tu vas voir ! … et puis, je te préviens si elle m’écrit qu’elle a eu un empêchement et qu’elle m’aime
encore, je crois bien que je vais me pisser dessus de rire.
ALEXANDRE
Ironique
On verra !
NICOLAS
Il sort, sur le pas de la porte.
A tout de suite !
ALEXANDRE
C’est ça, bon vent !
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Le Refuge
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