4
Médecine palliative Soins de support Accompagnement Éthique (2014) 13, 44—47 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com EXPÉRIENCES PARTAGÉES Le respect de la volonté du patient à l’épreuve de la culture bushinengué en Guyane : à propos d’un cas clinique Respect of the patient’s will confronted to Bushinengué culture in Guyana: A case report Olivia Crépeau-Boespflug (Médecin) 1,, Gaëlle Saintomer (Infirmière) , Virginie Pomies (Psychologue) Équipe mobile de soins palliatifs, centre hospitalier Andrée-Rosemon, rue des Flamboyants, 97300 Cayenne, Guyane franc ¸aise Rec ¸u le 18 avril 2013 ; accepté le 23 juillet 2013 Disponible sur Internet le 8 novembre 2013 MOTS CLÉS Culture bushinengué ; Loi Leonetti ; Respect de la volonté du malade ; Limites Résumé Les différentes cultures qui se côtoient en Guyane nous ont permis de mesurer les limites de l’application de la loi Leonetti. Un patient de 61 ans, Bushinengué originaire de Maripasoula, atteint d’un lymphome, a exprimé le souhait d’un retour en Hollande il a travaillé et vécu pendant 23 ans, et il a deux enfants adultes, afin d’y terminer ses jours et d’y être enterré. Ce projet a heurté de front la culture d’origine de ce patient et sa famille s’y est opposée fermement, expliquant que sa réalisation générerait de graves retentissements pour toute la famille et que le malade n’était plus décisionnaire pour lui-même. Dans la culture bushinengué, ce sont les membres de la famille maternelle qui deviennent les interlocuteurs des soignants pour toute annonce ou décision à prendre. L’arrivée des enfants de Hollande est venue contrebalancer cette position et la décision finale a été prise d’un départ pour ce pays. Le patient est décédé le jour même du départ. Cette situation nous a permis de constater que l’application des principes éthiques portés par la loi Leonetti trouvait ses limites en Guyane, territoire administrativement franc ¸ais, mais aux cultures multiples. Nous accordons la plus Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (O. Crépeau-Boespflug). 1 Photo. 1636-6522/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2013.07.004

Le respect de la volonté du patient à l’épreuve de la culture bushinengué en Guyane : à propos d’un cas clinique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le respect de la volonté du patient à l’épreuve de la culture bushinengué en Guyane : à propos d’un cas clinique

M

E

LlG

RG

1h

édecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2014) 13, 44—47

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

XPÉRIENCES PARTAGÉES

e respect de la volonté du patient à’épreuve de la culture bushinengué enuyane : à propos d’un cas clinique

espect of the patient’s will confronted to Bushinengué culture inuyana: A case report

Olivia Crépeau-Boespflug (Médecin)1,∗,Gaëlle Saintomer (Infirmière), Virginie Pomies(Psychologue)

Équipe mobile de soins palliatifs, centre hospitalier Andrée-Rosemon, rue des Flamboyants,97300 Cayenne, Guyane francaise

Recu le 18 avril 2013 ; accepté le 23 juillet 2013Disponible sur Internet le 8 novembre 2013

MOTS CLÉSCulture bushinengué ;Loi Leonetti ;Respect de la volontédu malade ;Limites

Résumé Les différentes cultures qui se côtoient en Guyane nous ont permis de mesurer leslimites de l’application de la loi Leonetti. Un patient de 61 ans, Bushinengué originaire deMaripasoula, atteint d’un lymphome, a exprimé le souhait d’un retour en Hollande où il atravaillé et vécu pendant 23 ans, et où il a deux enfants adultes, afin d’y terminer ses jours etd’y être enterré. Ce projet a heurté de front la culture d’origine de ce patient et sa familles’y est opposée fermement, expliquant que sa réalisation générerait de graves retentissementspour toute la famille et que le malade n’était plus décisionnaire pour lui-même. Dans la culturebushinengué, ce sont les membres de la famille maternelle qui deviennent les interlocuteurs

des soignants pour toute annonce ou décision à prendre. L’arrivée des enfants de Hollande estvenue contrebalancer cette position et la décision finale a été prise d’un départ pour ce pays.Le patient est décédé le jour même du départ. Cette situation nous a permis de constater que l’application des principes éthiques portés par la loi Leonetti trouvait ses limites en Guyane,territoire administrativement francais, mais aux cultures multiples. Nous accordons la plus

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (O. Crépeau-Boespflug).

1 Photo.

636-6522/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2013.07.004

Page 2: Le respect de la volonté du patient à l’épreuve de la culture bushinengué en Guyane : à propos d’un cas clinique

Respect de la volonté du patient dans la culture bushinengué 45

grande importance au respect de ces cultures, ce qui devrait nous imposer parfois de révisernos pratiques dans l’application des textes législatifs fort éloignés de la réalité de terrain enGuyane.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSBushinengué culture;Leonetti law;Respect of thepatient’s will;Limits

Summary Different cultures that mix in French Guyana permitted us to measure the limits ofLeonetti law’s application. A 61-year-old patient, Bushinengué (an ethnic group) from Maripa-soula, suffering from a lymphoma, expressed the wish to go back to Holland, where he lived andworked during 23 years, and where his two adult children are living, to end his life and be buriedthere. This plan conflicted with his origins’ culture and his family has strongly been opposedto it, explaining that its realization would generate severe repercussions for the whole familyand that the patient was the decision-maker for himself. Indeed, in Bushinengué culture, thefamily members on the maternal side become the interlocutors for the medical and paramedi-cal team, be it for announcing bad news or making decisions. The arrival of the children fromHolland counterbalanced this position and the final decision was to organize the departure ofthe patient for that country. The patient died the day he was supposed to leave. This situationis an example of the limits of Leonetti law’s ethical principles application in French Guyana,which administratively belongs to France but with multiple cultures. We attach the greatestimportance to the respect of these cultures, which should sometimes compel us to readapt ourpractices when applying the law that is far from the actual situation in French Guyana.

All r

tiascl

mnlqM

tmsmltGcadqadobsnds

© 2013 Elsevier Masson SAS.

Introduction

L’équipe mobile de soins palliatifs a initié en 2011 un tra-vail de recherche sur les rites funéraires en Guyane parmiles cinq grandes communautés qui s’y côtoient — outre lesmétropolitains plus familiers — que sont les Amérindiens,les Créoles, les Haïtiens, les Hmongs et les Bushinengués.Finalisé en 2012, ce travail a trouvé une illustration cli-nique saisissante dans la confrontation de deux cultureset nous a conduits aux limites d’un des principes del’accompagnement proposé par les équipes de soins pallia-tifs qui est le respect de la volonté du patient.

Cas clinique

L’équipe mobile de soins palliatifs a été sollicitée pourrencontrer un patient de 61 ans, Bushinengué néerlando-phone, en phase palliative d’un lymphome T, avec desco-infections à virus lymphotrope T humain (HTLV), del’immunodéficience humaine (VIH) et de l’hépatite C (VHC).Il revenait du centre hospitalier universitaire de Fort-de-France en Martinique où il avait été hospitalisé durantsix mois pour un geste neurochirurgical de décompressionmédullaire et la réalisation de la chimiothérapie.

Cliniquement, lors de notre première rencontre,l’échange a été limité par un ralentissement idéomoteurimportant, chez un patient amaigri, dont l’état général aété évalué à 3 selon le Performance Status de l’OMS. Il disaitêtre douloureux (EVS : forte), on notait une sécheresse etune mycose buccales. Des ajustements thérapeutiques ontété proposés. Tous les entretiens se sont déroulés en anglais,

car il disait être plus à l’aise qu’en francais, et à défautde compétence en néerlandais de notre part. Biologique-ment, il avait une pancytopénie, justifiant des transfusions.Lorsque nous avons revu le patient après le week-end, soit

sp

é

ights reserved.

rois jours plus tard, il n’y avait plus de ralentissementdéomoteur, l’antalgie était efficace et les soins de bouchevaient débutés. Nous ne détaillerons pas plus la dimen-ion physique de la prise en soin dans la suite de l’exposé,ette dimension étant passée rapidement au second plan de’accompagnement.

Le patient se posait des questions sur sa maladie, expri-ait de l’anxiété et disait être entouré par sa famille,

otamment une sœur vivant à Kourou qui venait le voir régu-ièrement. Il avait un frère à Cayenne avec lequel il n’avaitue peu de contacts. Il envisageait un retour à domicile àaripasoula, mais seulement lorsqu’il irait mieux.

La visite suivante, le surlendemain après la rencontre ini-iale, a débuté par le questionnement du patient quant à saaladie, disant qu’il ne savait pas ce qu’il en était. Nous

avions qu’il avait été informé du diagnostic, des traite-ents recus et de l’évolution. Nous avons repris avec lui

es grandes étapes de son parcours de soins, l’arrêt de toutraitement spécifique de sa maladie, jusqu’à son retour enuyane et l’hospitalisation actuelle. Il a exprimé alors leonstat que c’était la fin et qu’il n’avait plus d’espoir, puis

formulé fermement le souhait de rentrer, pour y vivre seserniers moments et y mourir, aux Pays-Bas où il nous a expli-ué avoir travaillé 23 ans et où habitaient ses deux enfantsînés âgés de 30 et 26 ans. Il a poursuivi en exprimant leésir d’emmener avec lui ses deux enfants de 13 et 8 ansrphelins de mère qui habitaient à Maripasoula dans un éta-lissement d’accueil tenu par des religieuses. Lui-même etes deux jeunes enfants étaient détenteurs de passeportséerlandais. Nous lui avons signifié que nous prenions actee ce projet. Il nous a déclaré être content de cette conver-ation. Nous avons relayé l’information auprès de l’équipeoignante et pris ensuite contact avec l’assistante sociale

our évaluer la faisabilité du projet.

Le lendemain, une première réunion de famille até organisée, rassemblant un frère, une sœur et une

Page 3: Le respect de la volonté du patient à l’épreuve de la culture bushinengué en Guyane : à propos d’un cas clinique

4

ciplclaqlé

Pvpc

léCeptmdd

léujpp

Pbuslllencpfvdflqeàldsatfaedd

fa

bll

C

LdaMplenlskl

mvcecfsoilbddmàpptrêlduifls

(mancêtres ; ces puissants aïeuls participent à la gestion de la

6

ousine. Nous leur avons exposé le projet du patient, auquells n’ont absolument pas adhéré, expliquant qu’il n’étaitas en concordance avec leur culture bushinengué et que’éventuelle réalisation de ce projet aurait des conséquen-es néfastes pour eux-mêmes après le décès du patient,es rites funéraires propres à leur culture ne pouvant êtreccomplis en l’absence du corps. Ils ne souhaitent pasue cette position soit exposée au patient, afin de ne pase contrarier, nous demandant de dire que les démarchestaient en cours.

Ensuite, l’assistante sociale a joint la fille du patient auxays-Bas, qui a déclaré préparer sa venue en Guyane pouroir son père. Le patient a été informé de cet échange télé-honique et a exprimé le souhait que son fils soit égalementontacté.

Quatre jours plus tard, nous avons informé le patient quees deux enfants des Pays-Bas, ainsi qu’une parente vivantgalement dans ce pays, allaient arriver prochainement àayenne. À partir de ce moment, des démarches ont éténtreprises de part et d’autre pour organiser le transfert duatient dans une unité de soins palliatifs aux Pays-Bas, enransitant brièvement par une unité de soins palliatifs enétropole afin de bénéficier d’une prise en charge au titre’une évacuation sanitaire, et dans la mesure où il n’y a pase vol direct Cayenne—Amsterdam.

Huit jours après, le patient était somnolent et fébrileorsque nous l’avons vu. L’équipe nous a expliqué qu’il avaitté extrêmement content de voir deux de ses enfants,ne fille et un garcon, dont nous ignorions l’existenceusqu’alors, des jumeaux de 11 ans vivant pour l’un à Mari-asoula avec la mère, pour l’autre à Papaïchton avec unearente.

Deux jours plus tard, les enfants adultes étant arrivés desays-Bas la veille, une réunion de famille a eu lieu, rassem-lant, outre les deux aînés, un frère et une sœur du patient,ne parente vivant aux Pays-Bas (Madame S.), l’assistanteociale de secteur qui connaissait les enfants mineurs orphe-ins de mère, l’assistante sociale du service, le médecin et’interne du service, et enfin le médecin et l’infirmière de’équipe mobile de soins palliatifs. Le projet du patient a étéxposé, ainsi que les contraintes liées à son état de santé quiécessitait le support logistique d’une évacuation sanitairelassique. Les enfants hollandais ont exprimé leur soutien aurojet de leur père, contre l’avis des autres membres de laamille qui maintenaient leur refus, en expliquant de nou-eau les conséquences pour eux-mêmes de l’impossibilité’effectuer les rites funéraires en cas de départ de leurrère. La question du devenir des enfants mineurs a été sou-evée, l’assistante sociale a exposé les souhaits du patient,ui étaient que ses enfants puissent grandir et être éduquésn Europe et bénéficier des conditions de vie européennes,

la garde de Madame S. Celle-ci a déclaré ne pas pouvoires accueillir dans l’immédiat, mais que cela serait possibleans quelques mois. L’assistante sociale a rappellé qu’elle’était entretenue avec les enfants concernés, et qu’ilsvaient exprimé leur réticence à ce projet. La réunion s’esterminée sur le constat de la nécessité d’une concertationamiliale, dont le résultat serait communiqué rapidementu service. Les démarches d’organisation du devenir des

nfants mineurs ont été poursuivies par l’assistante socialee secteur, qui ont abouti à la rédaction et la signature desocuments nécessaires par le patient. En fin d’après-midi, la

csd

O. Crépeau-Boespflug et al.

amille nous a indiqué la confirmation du projet. Le départ été prévu pour le lendemain.

Au cours de la nuit qui a suivi, le patient a sombré assezrutalement dans le coma, ce qui a conduit à l’annulation de’évacuation sanitaire. Il est décédé en début d’après-midie lendemain.

ontexte culturel

es Bushinengués (de l’anglais « bush negroes ») sont lesescendants des noirs marrons échappés des plantationsux xviie, xviiie et xixe siècles. Ils vivent sur les rives duaroni, fleuve-frontière avec le Suriname. Les mouvementsermanents de populations d’une rive à l’autre mêlentes Bushinengués de nationalité francaise francophonest ceux de nationalité surinamienne néerlandophones, leéerlandais étant resté langue officielle après l’accès à’indépendance du pays en 1975. Les Bushinengués, qui seubdivisent en plusieurs groupes ethniques (les Bonis ou Alu-us, les Saramacas, les Paramacas, les Djukas, les Kwintis,es Matawais), ont une langue commune, le srannang tongo.

Ces communautés sont divisées en lignages de filiationatrilinéaire ; chaque homme ou femme doit vivre dans le

illage natal de sa communauté maternelle ; les hommes yonstruisent leur maison dès qu’ils ont atteints l’âge adultet ils devront offrir une habitation à leur femme, qui seraonstruite dans le village de naissance de celle-ci, où il n’yera que des séjours temporaires. La cellule familiale reposeur la mère et les enfants, dont l’éducation est confiée auxncles maternels ; le père réside dans son propre village oùl élèvera ses neveux et nièces. De ce fait, la responsabi-ité de toute décision concernant un individu repose sur laranche maternelle de la famille ; ainsi lorsqu’un membree la communauté est atteint d’une maladie grave, il este coutume qu’il ne soit pas informé directement par lesédecins du fait de sa fragilité, et que l’annonce soit faite

ses oncles maternels ; le malade s’en remet à sa familleour toute décision le concernant ; il sera encouragé par sesroches jusqu’au terme de sa vie et d’autres traitementsraditionnels (y compris éventuellement d’une culture diffé-ente : hmong, amérindienne, créole ou haïtienne) pourronttre tentés. La fin de vie et les obsèques reviennent éga-ement à la famille maternelle ; chaque individu connaîtepuis l’enfance les conséquences et les rites qu’entraînen décès au sein de la communauté et y est préparé enntégrant soit le groupe des laveurs de mort, soit celui desaiseurs de cercueil (chaque village dispose de bois poura réalisation des cercueils des défunts), soit celui des fos-oyeurs.

Le culte des ancêtres est le pilier de lasociété bushinengué.

Le décès d’un adulte entraîne une succession de ritessur une période de quelques jours à un an) qui per-ettent au défunt de rejoindre le groupe des esprits et des

ommunauté en protégeant ses membres mais aussi en lesanctionnant si ceux-ci se comportent mal. Mais avant que leéfunt puisse rejoindre la communauté des ancêtres, il doit

Page 4: Le respect de la volonté du patient à l’épreuve de la culture bushinengué en Guyane : à propos d’un cas clinique

é

rfhfa

tltaaflu

nbadnaàc

dllnrlvns

D

Lr

R

Lac

P

Ll

d

Respect de la volonté du patient dans la culture bushinengu

être jugé ; pour ce faire, il doit être interrogé au sein de sonvillage afin de déterminer s’il s’agit d’un bon mort ou d’unmort par faute. Le corps est déposé sur une planche soute-nue par deux porteurs et à distance de l’interrogateur ; lesmouvements de la planche seront guidés par l’âme du mortqui face à ses ancêtres devra répondre sans pouvoir men-tir aux questions qui lui seront posées. L’interrogatoire dumort a valeur de confession et ses réponses peuvent entraî-ner des conséquences pour l’ensemble des communautésbushinengués par la révélation par exemple d’un fait de sor-cellerie qui affectera le lignage sur plusieurs générations.De même, les funérailles ont une importance métaphysiqueconsidérable puisqu’elles permettent au fantôme du défunt,triste et mécontent d’avoir perdu la vie, de rejoindre lesancêtres, apaisé par le chagrin exprimé par ses proches,par les offrandes et la réalisation de sa tombe ; si les funé-railles n’ont pu être convenablement réalisées, le défuntpeut revenir sous la forme d’un esprit vengeur (avec un pou-voir de mort sur son entourage proche : épouse, enfants) quimenacera tout le matrilignage.

Ces pratiques et croyances ancrées sur le fleuve Maronipeuvent apparaître modifiées dans certaines communautés,par les croyances religieuses ou la proximité de la ville quioblige à une restriction des rituels funéraires.

Discussion

L’équipe mobile de soins palliatifs s’est trouvée dans cettesituation clinique singulière prise entre le principe éthiquede respect de l’autonomie du patient, porté par la loi du22 avril 2005, et la culture bushinengué dans laquelle undiagnostic péjoratif ne peut être annoncé à un patient.Ce dernier s’en remet à sa famille pour tout car il saitque sa parole sera entendue après son décès lors del’interrogatoire du corps, lorsqu’il se trouvera face à sesancêtres. Dès lors, le concept même d’autonomie décision-nelle du malade n’a pas de sens ; la capacité de décisionrevient aux oncles, tantes, frères ou sœurs aînés. Ainsi,lors de la première rencontre, la famille du patient a mani-festé son incompréhension de la prise en compte du projetdu patient, allant jusqu’à un mécontentement clairementexprimé devant le développement de notre argumentation.Les notions d’autonomie décisionnelle, d’indépendance dupatient vis-à-vis de sa famille n’étaient pas entendables.La seconde réunion familiale a vu s’opposer fermement lesenfants du patient de culture européenne, engagés dansla dynamique de respect de la volonté de leur père, luireconnaissant toute sa capacité décisionnelle, aux autresmembres de la famille de culture bushinengué, soutenantleur position initiale puisque la non-interrogation du mortimplique une impossibilité d’apaiser l’esprit qui gardera undroit de vie et de mort sur les membres de la commu-

nauté.

L’assistante de sociale de Maripasoula a été interpelléeau sujet des enfants ; alors que nous évoquions les tensionsfamiliales, elle nous a appris que le patient, malgré son

d

dG

47

etour dans cette commune depuis quelques années, avaitait le choix de vivre en marge de sa communauté et ne sou-aitait pas que ses enfants soient confiés à un membre de saamille, car en désaccord avec les principes éducatifs usuelsu sein de cette communauté.

Dans ce contexte culturel particulier, l’équipe s’est posi-ionnée dans une neutralité relative, dans la mesure oùes principes théoriquement applicables dans cette situa-ion ont été exposés aux membres de la famille et où nousvons, avec l’accord du patient, été à l’initiative du contactvec les enfants vivant en Europe. Notre positionnement enaveur du respect de la volonté du patient s’est arrêté là,aissant les membres de la famille débattre pour parvenir àne décision, en l’occurrence non consensuelle.

Il se trouve que le décès du patient avant le départ’a pas été sans conséquence ; le patient a pu mener àien son projet de retour sans toutefois le concrétiser et

été enterré à Cayenne hors de sa communauté ; mais leécès en Guyane a sans doute permis à la famille guya-aise de pratiquer des prélèvements de cheveux et d’onglesfin que l’interrogatoire du mort ait tout de même lieu

Maripasoula, respectant ainsi les rites funéraires de laommunauté.

Cette situation vient nous démontrer que l’applicatione la loi n’est pas chose aisée en général, et en particu-ier dans un contexte socioculturel différent de celui dansequel elle a été rédigée et votée ; que la démarche éthiquee se résume pas à l’application stricte de la loi. Elle vientéinterroger, par ailleurs, la singularité de l’individu et lesiens qui l’unissent à sa communauté : l’intérêt d’un indi-idu prévaut-il sur celui du groupe ? Enfin cette situationous a interpellés sur la place accordée aux rites dans notreociété.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

emerciements

es auteurs tiennent à remercier Madame Diane Vernon,nthropologue à Saint-Laurent du Maroni, pour sa précieuseontribution.

our en savoir plus

oi no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et àa fin de vie.

Grenand P. Les noirs réfugiés de la Guyane francaise [Fondocumentaire Orstom]. Marseille: Institut de recherche pour le

éveloppement (IRD); 1977.

Parris J-Y. Interroger les morts. Essai sur la dynamique politiquees Noirs Marrons Ndjuka du Surinam et de la Guyane. Matoury,uyane francaise: Ibis Rouge Éditions; 2011.