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LE RÉFÉRENDUM ET LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX Marthe Fatin-Rouge Stéfanini P.U.F. | Revue française de droit constitutionnel 2003/1 - n° 53 pages 73 à 101 ISSN 1151-2385 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2003-1-page-73.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Fatin-Rouge Stéfanini Marthe, « Le référendum et la protection des droits fondamentaux », Revue française de droit constitutionnel, 2003/1 n° 53, p. 73-101. DOI : 10.3917/rfdc.053.0073 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 202.90.82.30 - 26/08/2012 09h40. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 202.90.82.30 - 26/08/2012 09h40. © P.U.F.

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  • LE RÉFÉRENDUM ET LA PROTECTION DES DROITSFONDAMENTAUX Marthe Fatin-Rouge Stéfanini P.U.F. | Revue française de droit constitutionnel 2003/1 - n° 53pages 73 à 101

    ISSN 1151-2385

    Article disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2003-1-page-73.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Fatin-Rouge Stéfanini Marthe, « Le référendum et la protection des droits fondamentaux », Revue française de droit constitutionnel, 2003/1 n° 53, p. 73-101. DOI : 10.3917/rfdc.053.0073--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F..© P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays.

    La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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  • La question de la compatibilité entre les procédures de démocratiedirecte, qu’il s’agisse de référendum « d’en haut » ou de référendumsorganisés à la suite d’une initiative populaire (référendum « d’en bas »)1,et la protection des droits fondamentaux a souvent fait l’objet de discus-sions. Pendant de nombreuses années, le peuple comme le Parlement,étaient considérés comme ne pouvant pas être liberticides. Pour Jean-Jacques Rousseau, par exemple, la souveraineté du peuple était le seulmoyen de garantir la liberté de l’individu2. Il considérait que leshommes étaient libres à partir du moment où ils participaient à l’élabo-ration de la loi3. Condorcet, pour sa part, justifiait le référendum d’ini-tiative populaire par l’idée que tout citoyen est capable de décider « dece qui intéresse immédiatement le maintien de la liberté, de la sûreté, dela propriété; objets sur lesquels un intérêt personnel direct peut suffi-samment éclairer tous les esprits »4. La censure du peuple découlaitdonc, selon lui, de l’existence de « droits naturels, inaliénables et sacrésde l’homme »5.

    De nos jours, beaucoup d’auteurs s’accordent encore à écrire que leréférendum et l’initiative populaire ne sont pas dangereux pour les droits

    Marthe Fatin-Rouge Stefanini, chargée de recherche au CNRS, Groupe d’études et derecherches sur la justice constitutionnelle, UMR n° 6055.

    1. Selon la distinction élaborée par F. Hamon, Le référendum. Étude comparative, LGDJ, coll.systèmes, 1995, p. 22-29.

    2. Cf. J.-J. Rousseau, Du Contrat social, in Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, coll.« Pléiade », 1964, not. p. 363-365 ; voir aussi O. Beaud, La puissance de l’État, PUF, collec-tion Léviathan, 1994, p. 435.

    3. Rousseau écrivait que « Le souverain n’étant formé que des particuliers qui le composen’a ni ne peut avoir d’intérêt contraire au leur », (op. cit., p. 363).

    4. Essai sur l’analyse mathématique des décisions prises à la pluralité des voix, Paris, 1785, p. 24cité par F. Hamon, précité, p. 52.

    5. Ibid.

    Le référendum et la protection des droits fondamentaux

    MARTHE FATIN-ROUGE STEFANINI

    Revue française de Droit constitutionnel, 53, 2003

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    et libertés6 et qu’ils contribuent même à les développer7. A propos duprojet de loi constitutionnelle du 20 juillet 1984 visant à élargir ledomaine du référendum aux « garanties fondamentales des libertéspubliques », M. Badinter considérait qu’une éducation suffisante dupeuple pouvait empêcher que des outrages soient proférés à l’encontre decertains droits fondamentaux8. Or, l’étude du droit comparé permet deconstater que le peuple peut consciemment ou inconsciemment faire deschoix liberticides.

    Toute la difficulté de la question de la compatibilité entre le référen-dum et les droits fondamentaux s’est révélée en France avec deux projetsqui dans un intervalle d’une dizaine d’années présentaient deux optionsopposées. Le projet de loi constitutionnelle du 20 juillet 1984, prévoyaitd’introduire dans nos institutions un référendum sur « les garanties fon-damentales des libertés publiques » ; il n’a finalement pas abouti. Cepen-dant, lorsqu’en 1995, l’article 11 de la Constitution a été modifié, lesdiscussions ont montré qu’il s’agissait à tout prix d’éviter qu’un référen-dum puisse être organisé sur une liberté ou un droit fondamental mêmesi aucune garantie pour empêcher cela n’a été introduite dans la Consti-tution. Donc, en quelques années, le recours au référendum a été perçutantôt comme une garantie pour les libertés tantôt comme un dangerpour les libertés.

    Cependant, en France, même depuis l’élargissement du champ d’ap-plication de l’article 11 en 1995, le référendum a été très peu utilisé. Dece fait, la question de savoir si le référendum, qu’il soit d’en haut ou d’enbas, constitue un danger pour les libertés et les droits fondamentaux asurtout fait l’objet de discussions théoriques. Il convient donc de menerune analyse du droit étranger, et plus précisément de la pratique desquelques pays qui recourent plus fréquemment qu’en France au référen-dum et à l’initiative populaire pour tenter de donner des éléments deréponse à cette question. Nous verrons aussi, toutefois, que parmi lesréférendums organisés en France, certains ont pu porter atteinte auxdroits fondamentaux des citoyens, non pas en raison du sujet sur lequelils portaient mais en raison de la façon dont la question était posée.

    L’étude du droit étranger nous permettra cependant de constater quemême s’il est reconnu que les référendums peuvent présenter un dangerspécifique pour les droits fondamentaux (I), ces derniers peuvent fairel’objet de garanties adaptées pour éviter les risques d’atteinte (II).

    6. L. A. Baker, « Direct Democracy and Discrimination : a Public Choice Perspective.University of Virginia School of Law John M. Olin Foundation : Symposium on Law andEconomics of Local Government », Chicago-Kent Law Review, 1991, vol. 67, p. 707-776 ;A.Ranney, « Référendum et démocratie », Pouvoirs, n° 77, p. 17-18 ; S. Zogg, La démocra-tie directe en Europe de l’Ouest, Centre européen de la culture, Actes Sud, 1996, p. 30.

    7. F. Hamon, précité, p. 48.8. Déb. parl., Sénat, JORF, 1984, p. 2285.

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    I – LES RÉFÉRENDUMS SONT-ILS DANGEREUXPOUR LES DROITS FONDAMENTAUX?

    En France, le recours au référendum a toujours suscité des craintes enraison notamment de l’utilisation plébiscitaire de cette institution (A).En pratique, le danger que peut représenter le vote du peuple pour lesdroits fondamentaux semble plus grand encore dans certains pays ayantopté pour l’initiative populaire (B). Cependant le risque provient ausside la façon dont le référendum est élaboré et la campagne organisée (C),à ce moment là, non seulement les droits des minorités peuvent êtreaffectés mais aussi les libertés du peuple tout entier peuvent être tou-chées en commençant par la liberté de vote des citoyens.

    A – LA CRAINTE PLÉBISCITAIRE EN FRANCE

    Les débats vigoureux suscités par la question de l’élargissement duréférendum en France en 1995, les recours peu fréquents à cette institu-tion et les réticences à instaurer l’initiative populaire sont l’expressiond’une méfiance de la part des pouvoirs publics. Le recours au référendumest d’autant plus craint aujourd’hui qu’il est devenu le fer de lance decertains partis extrémistes. Cependant, cette crainte existe dans lesconsciences françaises depuis très longtemps. Elle trouve sa source dansles plébiscites napoléoniens qui ont conduit à renforcer le pouvoir per-sonnel de ceux qui en ont été les auteurs, au détriment de la séparationdes pouvoirs et des libertés. Elle s’est prolongée à travers les référendumsplébiscitaires organisés par le général de Gaulle et, surtout, le référen-dum relatif à l’élection du Président de la République au suffrage uni-versel direct si souvent dénoncé9. Elle a rejailli à chaque fois qu’il a étéquestion de toucher au domaine de l’article 11 de la Constitution.

    A l’occasion du projet de loi constitutionnelle du 20 juillet 1984visant à élargir le domaine du référendum aux « garanties fondamentalesdes libertés publiques », M. Robert Badinter déclarait : « commentconcevoir qu’un président élu par les français demande aux français deréduire ou de détruire eux-mêmes ces garanties des libertés publiquessans lesquelles leurs libertés disparaîtront »10. Il ajoutait qu’ « aussilongtemps que les libertés seront vivantes dans le cœur des citoyens, laliberté n’a rien à craindre dans la cité, c’est en enracinant le respect des

    9. Notamment par F. Mitterrand en 1964 dans le coup d’État permanent, Plon, Paris,1964.

    10. Déb. parl., Sénat, JORF, 1984, p. 2285.D

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    libertés dans le cœur des citoyens que l’on fortifie la liberté et la démo-cratie »11. L’opinion rassurante de M. Badinter est restée isolée par rap-port aux critiques dont ce projet a fait l’objet. Certains redoutaient quepar le biais d’une question sur une liberté publique, le peuple puisseporter atteinte à des droits et des libertés fondamentaux sans que leConseil constitutionnel soit en mesure de s’y opposer12. En effet, le pro-jet prévoyait d’étendre le champ d’application du référendum législatifaux « garanties fondamentales accordées aux libertés publiques » alorsque, en raison de leur importance, ces garanties relèvent du domaineconstitutionnel13. De plus, la distinction entre la notion de libertépublique, dont la protection est assurée par le législateur, et celle deliberté fondamentale, garantie par la Constitution14, s’estompe au profitde la seconde15. Enfin, à la lecture des débats parlementaires, il semble-rait que beaucoup d’hommes politiques n’aient pas conscience de l’im-portance de cette distinction16. Même parmi les juristes et les universi-taires, certains utilisent encore la notion de liberté publique pourdésigner un droit ou une liberté fondamentale.

    Cette inquiétude à l’égard de l’institution référendaire a resurgi lorsde la révision constitutionnelle du 4 août 1995 accordant la possibilitéde soumettre au référendum « des réformes relatives à la politique éco-nomique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concou-rent »17. M. Malvy a fait remarquer que le référendum est une « arme(qui) entre les mains d’un Président populiste, (...) risque de devenirsocialement dangereuse. Les droits économiques et sociaux acquis desluttes et des forces du progrès et énumérés dans le préambule de laConstitution de 1946, ne peuvent être livrés au risque de l’aventu-risme »18. En effet, qui pourrait empêcher que soit posée au peuple laquestion de savoir si le droit de grève dans les services publics doit être

    11. Ibid.12. L. Favoreu, « Le référendum sur le référendum : exemple d’un débat anachronique »,

    in Droit, Institutions et Systèmes politiques, Mélanges en l’honneur de M. Duverger, PUF, 1987,p. 79-91 ; F. Goguel, « On a pas le droit de jouer avec le suffrage universel », Le Monde,22 juillet 1984 ; L. Philip, « Dissiper le soupçon », Le Monde, 23 août 1984 ; J.-L. Quer-monne, « Éviter une crise institutionnelle », Le Monde, 16 août 1984.

    13. L. Favoreu, op. cit., p. 82.14. Selon M. le doyen Favoreu, la première expression « désigne essentiellement des

    libertés protégées contre l’exécutif, en vertu de la loi, et par le juge ordinaire (administratifou judiciaire) » ; tandis que l’expression « droits et libertés fondamentaux », « qualifie deslibertés protégées contre l’exécutif et le législatif, en vertu de textes constitutionnels ouinternationaux, par le juge constitutionnel (ou le juge international), », « Le droit constitu-tionnel, droit de la Constitution et constitution du droit », cette Revue, 1990, n° 1, p. 82.

    15. L. Favoreu, « Le référendum sur le référendum », op. cit., p. 81-85.16. Cette remarque peut être effectuée tant pour les débats qui ont eu lieu en 1984 que

    pour la révision constitutionnelle de 1995.17. Article 11 de la Constitution française de 1958.18. Déb. parl. AN, 2e séance du 12 juillet 1995, JORF, p. 1029.

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  • Le référendum et la protection des droits fondamentaux 77

    supprimé19 ? Par exemple, les grèves répétées des cheminots (en dehorsdes revendications liées à la sécurité) sont généralement impopulaires.Cela pourrait conduire à un référendum restreignant l’exercice du droitde grève dans certains services publics au-delà de la réglementation exis-tante. Les risques de violation des droits et libertés fondamentaux àcaractère économique et social, que présente la réforme de 1995, ont étédénoncés20 et montrent combien ces droits sont devenus des valeursessentielles pour notre démocratie.

    Devant les craintes dont les parlementaires ont fait part, au regard del’extension du domaine de l’article 11, M. Toubon, ministre de la Justiceà l’époque, défendant le projet au nom du Gouvernement, a précisé dansles débats que certaines matières devaient être soustraites au champd’application du référendum au motif qu’elles font partie des « préroga-tives traditionnelles du Parlement ». Parmi ces matières, se trouvaient,selon lui, les libertés publiques, le droit pénal, les lois de finances, et les« questions de souveraineté », telles que la défense, la police, la politiqueétrangère21. Le garde des Sceaux a précisé que les libertés publiques, telleque la liberté syndicale, ne pourraient être soumises au peuple22. Donc,l’interprétation a contrario de l’article 11 de la Constitution, nourrie parles débats relatifs à la révision constitutionnelle du 4 août 1995, devraitpermettre d’éviter l’organisation d’un référendum sur les libertés et lesdroits fondamentaux (sachant, encore une fois, que le terme de « libertéspubliques » utilisé par le garde des Sceaux couvre aussi, selon sa concep-tion, la notion de droits fondamentaux). Cependant, en l’absence d’uncontrôle de constitutionnalité, personne n’est en mesure d’assurer queces vœux pieux seront respectés, d’autant que cela ne figure que dans lesdébats parlementaires. Par ailleurs, le Président de la République est leseul garant du respect de cette interprétation. Lui seul peut décider enfin de compte si une matière fait ou non partie du champ d’applicationde l’article 11.

    Si le référendum suscite une crainte du plébiscite en France, l’initia-tive populaire apparaît encore plus redoutable pour les pouvoirs publics.D’ailleurs, elle n’est pas prévue par nos institutions. En revanche, la miseen place d’un référendum d’initiative minoritaire « organisé à l’initiatived’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième desélecteurs inscrits sur les listes électorales » avait été envisagé en 1993,

    19. Id. Voir par ailleurs B. Derosier, 1re séance du 10 juillet 1995, JORF, p. 853. ; J.Dray,id., p. 856-857.

    20. Cf. not. F. Hamon, « L’extension du référendum : données, controverses, perspec-tives », Pouvoirs, n° 77, 1996, p. 116-117 ; M. Pernier, « Une loi au-dessus de tout soup-çon », RPP, 1996, p. 40 et p. 46. W. Sabete, « Souveraineté populaire et souveraineté par-lementaire », RPP, 1996, p. 28

    21. Déb. parl. AN, 1re séance du 10 juillet 1995, JORF, p. 847.22. Déb. parl. AN, 1re séance du 11 juillet 1995, JORF, p. 920.

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    par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé parM. le doyen Vedel. Ce comité avait repris le souhait du Président Mit-terrand d’élargir le domaine du référendum de l’article 11 « aux garan-ties fondamentales accordées aux libertés publiques ». Cependant, cetélargissement devait être accompagné de l’introduction d’un contrôlepréventif de la constitutionnalité du projet de loi référendaire. Cecontrôle, selon le rapport du Comité, « permettrait d’éviter que, par lebiais de consultations référendaires provoquées dans un moment detrouble ou de violente émotion peu propice à la réflexion, des donnéesinstitutionnelles fondamentales ou des libertés ou droits essentiels nesoient mis en cause »23. Ce projet n’a pas été retenu.

    Si l’initiative populaire n’existe pas en France, régulièrement des pro-positions sont déposées devant les assemblées pour que cette procéduresoit introduite dans nos institutions24. Dans ce cas-là, un contrôle a prioride la constitutionnalité de ces initiatives serait indispensable. Les initia-tives provenant, même partiellement, des citoyens semblent, en effet,présenter des risques démagogiques et liberticides encore plus impor-tants que les référendums « d’en haut »25.

    B – LES DANGERS LIÉS AUX INITIATIVES POPULAIRES.

    L’expérience américaine du référendum et de l’initiative populaire estriche d’exemples dans lesquels des minorités ont fait l’objet de décisionsdiscriminatoires. Le XIXe siècle a marqué le début des initiatives racistes26allant de pair avec la ségrégation raciale et les problèmes de l’esclavage.Avant la guerre de sécession, les populations d’Indiana, de l’Illinois, duKansas et de l’Oregon avaient approuvé des propositions destinées àexclure les colons noirs27. De même, les citoyens de l’Oklahoma ontadopté en 1910 un amendement à la Constitution appelé « Grand-fatherclause » liant l’exercice du droit de vote à un certain niveau d’éducation.En fait, cette exigence s’appliquait aux populations noires tandis que lespersonnes de race blanche de faible condition en étaient dispensées28. Unpeu plus tard, dans les années 1920, les californiens ont ratifié une ini-

    23. T. Renoux et De Villiers, Code constitutionnel, Litec, 2001, p. 1430.24. Voir par exemple la proposition de loi constitutionnelle n° 24 du 5 juillet 2002 pré-

    senté à l’Assemblée nationale et la proposition de loi n° 134 du 24 juillet 2002 relatives à unréférendum d’initiative populaire présentées par M. André Gérin à l’Assemblée nationale.

    25. A. Ranney, « Référendum et démocratie », Pouvoirs, n° 77, 1996, p. 17-18.26. D. A. Bell, « The Referendum : Democracy’s Barrier to Racial Equality », Washing-

    ton Law Review, 1978-1979, n° 54, p. 1.27. K. R. Johnson, « Symposium on Immigration Policy : an Essay on Immigration Poli-

    tics, Popular Democracy, and California’s Proposition 187 : the Political Relevance andLegal Irrelevance of Race », Washington Law Review, vol. 70, 1995, p. 632.

    28. T. E. Cronin, Direct Democracy, the Politic of Initiative, Referendum and Recall, Cam-bridge, Harvard University Press, 1989, p. 92-93.

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  • Le référendum et la protection des droits fondamentaux 79

    tiative populaire destinée notamment à empêcher les personnes d’originejaponaise de devenir de grands propriétaires terriens29.

    Dans les années soixante, plusieurs scrutins référendaires ont étéorganisés contre une répartition équitable des logements entre blancs etnoirs (anti-fair housing) dans plusieurs États. Près de 90% d’entre euxont abouti à un résultat positif30. Deux de ces mesures ont cependant étéinvalidées par la Cour suprême des États-Unis31. Dans le même ordred’idée, entre 1960 et 1979, plusieurs propositions ont été adoptées pourlutter contre la politique de déségrégation raciale à l’école (anti-busingproposals)32. Deux d’entre elles ont été invalidées, l’une par la Coursuprême des États-Unis33, l’autre par la Cour suprême de Californie34.

    Aux initiatives racistes ont succédé des propositions contre l’immi-gration35 et contre les homosexuels36. Parmi les plus connues et les plusrécentes se trouvent la proposition 187 adoptée par les Californiens,interdisant à l’État de fournir une assistance sociale, éducative et médi-cale aux immigrants illégaux37 et la proposition 209, entérinée à 54%des voix dans le même État, visant à y interdire « toute discrimination,ou privilège, à un individu ou à un groupe, reposant sur la race, le sexe,la couleur, l’origine ethnique ou nationale, dans la fonction publique,l’enseignement ou l’attribution de contrats publics »38. En 1996, la Cour

    29. Id., p. 93. Portfield v. Webb, 44 US 21 (1923). La Cour suprême n’a pas condamnécette législation.

    30. Ces scrutins ont eu lieu en 1963 à Berkley (Californie), en 1964 dans deux villes duMichigan (Détroit et Jackson), trois villes de l’Ohio (Akron, Toledo et Springfield) et auniveau de l’État de Californie avec la proposition 14 remettant en cause la législation « fairhousing » et, enfin, en 1968, dans l’État du Maryland et à Washington. Seule la dernière deces propositions a échoué. Recensement effectué par Sylvia R. Lazos Vargas, « JudicialReview of Initiatives and Referendums in Which Majorities Vote on Minorities’ Democra-tic Citizenship », Ohio State Law Journal, vol. 60, 1999, p. 426.

    31. Il s’agit de la proposition 14 adoptée par les Californiens en 1964 remise en cause, en1967, par la Cour suprême dans la décision Reitman v. Muckley (387 US 369) et du référen-dum remettant en cause la législation de fair housing dans la ville d’Akron, invalidée par laCour suprême en 1969 dans la décision Hunter v. Erickson (393 US 385).

    32. Cf. l’article de Sylvia R. Lazos Vargas, précité, p. 427-428. Ces scrutins ont eu lieuen Californie (2, l’une en 1972 et l’autre en 1979), dans l’Arkansas (1960), dans le Missis-sipi (1960), dans le Colorado (1974), dans le Massachusetts (1978) et dans l’État deWashington (1978). Sur les 7 propositions, 6 ont été adoptées.

    33. Washington v. School District n° 1 (458 US 457 (1982). La Cour suprême a considéréque la mesure adoptée par la ville de Seattle reposait sur une classification raciale.

    34. Santa Barbara School District v. Superior Court, 530 P. 2d 605 (1975).35. Parmi ces mesures, on peut inclure les propositions visant à exclure qu’une autre

    langue que l’anglais soit utilisée à l’école, par l’administration ou encore dans les textes offi-ciels (ces propositions ont été appelées « Initiatives English-only »).

    36. T. E. Cronin, op. cit., p. 94-96. W. E. Adams, « Pre-Election Anti-Gay Ballot Initia-tive Challenges : Issues of Electoral Fairness, Majoritarian Tyranny and Direct Democracy »,Ohio State Law Journal, 1994, vol. 55, p. 604-607. Les mesures contre les homosexuels sontde loin les plus nombreuses des initiatives mettant en cause le statut ou les droits d’uneminorité : Sylvia R. Lazos Vargas en recense 48 entre 1977 et 1999. 85% de ces mesuresont été adoptées, cf. art. précité, p. 428-432 et p. 544-550.

    37. Cf. K. R. Johnson, loc. cit.38. V. D. Amar et E. H. Caminker, « Equal Protection, Unequal Political Burdens, and

    the CCRI », Hastings Constitutionnal Law Quaterly, vol. 23, 1997, p. 1019-1056.D

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    suprême des États-Unis a déclaré inconstitutionnel un référendum refu-sant aux homosexuels le droit d’être protégé contre les discriminationsqui s’exercent à leur encontre en matière d’emploi et de logement39.

    Les référendums « veto-populaire » qui permettent aux citoyens dedemander qu’un acte adopté par les assemblées soit soumis à la ratifica-tion du peuple, ont aussi montré qu’ils pouvaient être liberticides. Cetteprocédure a déjà été utilisée notamment pour rejeter des lois visant àrétablir une égalité de fait pour certaines minorités40.

    Le référendum et l’initiative populaire peuvent aussi être un obstacleaux droits fondamentaux en raison du conservatisme qu’ils véhiculent.Ainsi, à plusieurs reprises, les femmes se sont vues refuser le droit devote dans certains cantons suisses. En 1989, la landsgemeinde du cantond’Appenzel Rhodes intérieures a réitéré un tel refus alors que la Consti-tution fédérale proclamait le principe d’égalité entre les hommes et lesfemmes depuis 1981. Le Tribunal fédéral a pu déclarer cette dispositioninconstitutionnelle en 199041. Dans les années trente, une initiative« pour la sauvegarde des droits constitutionnels des citoyens » tendant àl’extension de la juridiction constitutionnelle n’a même pas recueilli lenombre minimal de signatures nécessaires pour être recevable42.

    Ces critiques peuvent cependant être relativisées, en remarquant quecertains États semblent plus sujets à des référendums à tendance discri-minatoires et liberticides que d’autres. D’après quelques auteurs améri-cains, les États-Unis, par exemple, semblent avoir une tradition danslaquelle « le racisme, le sexisme, le nationalisme et l’intérêt personnel »ont beaucoup d’importance43. La Suisse, en revanche, ne connaît pas lesmêmes difficultés44. Chaque citoyen suisse fait partie d’un groupe lin-guistique et religieux s’exprimant au niveau cantonal et le droit fédéralpermet de veiller à ce que les droits des minorités nationales soient res-pectés. De plus, l’État fédéral suisse s’est constitué par agrégation de

    39. Romer v. Evans, 116 S. Ct. 1620 (1996). Pour quelques commentaires cf. D. Meltzeret G. Scoffoni, chr., cette Revue, 1996, p. 624 ; K. M. Hamill, « Romers v. Evans : Dullingthe Equal Protection Gloss on Bowers v. Hardwick », Boston University Law Review, 1997,vol. 77, n° 3, p. 655-685 ; L. M. Seidman, « Romer’s Radicalism : the Unexpected Revivalof Warren Court Activism », The Supreme Court Review, 1996, p. 67-121 ; L. Zecchini, « LaCour suprême des États-Unis interdit toute discrimination à l’encontre des homosexuels »,Le Monde, 22 mai 1996, p. 5.

    40. Voir not. Reitman v. Muckley, 387 US 369 (1967).41. ATF, 116, Ia, 359, T. Rohner c/Canton d’Appenzel Rhodes Intérieures.42. Initiative populaire du 22 janvier 1939, Feuille Fédérale 1938 I 561. Cette initiative

    proposait notamment d’ouvrir aux citoyens un droit de recours devant le Tribunal fédéralsur le fondement d’une violation de leurs droits constitutionnels par la législation fédéraleet les décrets fédéraux. Cette réforme aurait constitué un progrès dans la défense des droitset des libertés fondamentaux.

    43. J. Eule, « Judicial Review of Direct Democracy », Yale law Journal, 1990, p. 1553.Il ajoute : « alors que les proclamations publiques d’attitudes racistes ont perdu de leur res-pectabilité, la volonté de nuire continue à se manifester dans le secret de l’isoloir ».

    44. F. Hamon, Le référendum : étude comparative, op. cit., p. 180-181.D

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  • Le référendum et la protection des droits fondamentaux 81

    diverses communautés. L’acceptation du pluralisme est donc à la base del’unité nationale45. Les seules initiatives constitutionnelles pouvant porteratteinte aux droits fondamentaux d’une minorité ont été celles de 1970 etde 1974 qui visaient à réduire le nombre d’étrangers en Suisse et celles de1988, de 199646 et de 2000 destinées à lutter contre l’immigration clan-destine. Elles ont toutes été rejetées par la majorité des votants. Quant àl’initiative « Pour une politique d’asile raisonnable » présentée en 1995 àl’Assemblée fédérale, elle a été déclarée nulle par cette dernière carcontraire aux principes du droit international impératif 47. Enfin, derniè-rement, le 24 novembre 2002, une initiative intitulée « contre les abusdans le droit d’asile », qui visait notamment à diminuer l’aide sociale etles prestations médicales accordées aux demandeurs d’asile, a été rejetée àune courte majorité.

    De la même façon, en Italie, aucune demande de référendum abro-gatif n’a défrayé la chronique par son caractère liberticide si ce n’estl’une des propositions de 1981 visant à interdire l’avortement mêmethérapeutique48.

    Le contexte dans lequel le référendum, qu’il soit d’initiative popu-laire ou d’ « en haut » intervient est aussi très important. Celui-ci abeaucoup d’influence sur le comportement des électeurs. D’ailleurs, etcela permet de tempérer les critiques faites à l’encontre des procéduresde démocratie directe, un examen d’ensemble des initiatives populaireset des questions référendaires montre que le peuple a su écarter les pro-positions liberticides lorsqu’il était sollicité dans une période politiquestable. En effet, des études suisses49 et américaines50 révèlent que la plu-part des initiatives populaires échouent au stade de la récolte des signa-tures ou au moment du référendum51. En revanche, lorsque les citoyenssont craintifs et insatisfaits, pour quelque raison que ce soit, ils serontplus enclins à voter en faveur de mesures contre des minorités impopu-laires, contre les étrangers et l’immigration ou encore contre les droitsaccordés à certains (comme la politique de quotas permettant notam-ment de réserver des postes à certaines catégories de personnes, la popu-

    45. Ibid.46. J.-Cl. Burher, Le Monde, 30 novembre 1996.47. Comme nous le verrons plus loin, II, B.48. Mais cette initiative a été déclarée inadmissible par la Cour constitutionnelle, déci-

    sion n° 26/1981, in Racc. uff. ord. sent. Corte cost., 1981, vol. LVII, p. 187-210.49. De 1891 à 1995, sur les 201 initiaves déclenchées, 12 ont se sont traduites par une

    révision constitutionnelle, cf. S. Zogg, La démocratie directe en Europe de l’Ouest, Centre euro-péen de la culture, Actes Sud, 1996, p. 69-70.

    50. Une étude américaine a montré que seulement 39% des initiatives populaires obte-naient une majorité de votes favorables aux urnes. Cf. D. B. Magleby, op. cit., p. 35, note 86et le tableau p. 26.

    51. Par exemple, l’initiative suisse tendant à réintroduire la peine capitale pour les per-sonnes qui font le commerce de drogues dures a échoué au stade de la récolte de signaturesle 14 mai 1985.

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    lation noire ou encore les homosexuels, dans le cadre des politiques dediscrimination positive). Ces craintes et insatisfactions peuvent être uti-lisées par ceux qui mènent les campagnes référendaires. La façon dont lacampagne est conduite et dont la question est posée revêtent alors unegrande importance.

    C – LES DANGERS LIÉS À L’ÉLABORATION DE LA QUESTIONET À LA CAMPAGNE RÉFÉRENDAIRE

    Les citoyens peuvent faire l’objet de manipulations dans leurs choixpar des questions multiples, à double sens ou imprécises. Dans ce cas,c’est la liberté de vote de chacun qui est atteinte. Cette situation s’estproduite en France avec les référendums algériens du 8 janvier 196152 etdu 8 avril 196253, dans lesquels étaient posées deux questions pour uneseule réponse54. Ces référendums confus ont d’ailleurs entraîné le dépôtd’une proposition de loi constitutionnelle visant à ce que « la pratiquedu référendum s’exerce désormais dans des conditions non équivoques,et que les chefs d’État ou les gouvernements futurs ne puissent mettre àprofit l’imprécision des textes constitutionnels pour couvrir des actesd’arbitraire à la faveur de questions mal posées (…) »55. Cette requête,restée sans réponse, n’a pas empêché la tenue du référendum du 27 avril1969 regroupant dans une seule question deux sujets différents : d’unepart, la création des régions, d’autre part, la rénovation du Sénat56.

    En ce qui concerne les initiatives populaires visant les droits des mino-rités ou d’une catégorie de la population, la tromperie provient du fait quela volonté discriminatoire n’est pas toujours, dans la grande majorité descas, ouvertement affichée. Elle est même le plus souvent cachée derrièredes termes neutres. Ainsi, certaines propositions visant à faire de la langue

    52. La question posée était la suivante : « Approuvez-vous le projet de loi soumis aupeuple français par le Président de la République et concernant l’autodétermination despopulations algériennes et l’organisation des pouvoirs en Algérie? ».

    53. La question posée lors du référendum du 8 avril 1962 était la suivante : « Approu-vez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le Président de la République etconcernant les accords à établir et les mesures à prendre au sujet de l’Algérie sur la base desdéclarations gouvernementales du 19 mars 1962? ».

    54. Voir sur ce point C. Leclercq, « (Le référendum en) France », in F. Delpérée et al.,Referendums, éd. CRISP, Bruxelles, 1985, p. 189.

    55. Proposition de loi constitutionnelle n° 164 déposée au Sénat le 24 avril 1962 parM.Barrachin tendant à compléter l’article 11 de la Constitution. Cette proposition visait àinsérer entre le premier et le deuxième alinéa de l’article 11 de la Constitution le nouvel ali-néa suivant « Le projet de loi soumis au référendum ne peut, ni directement ni par renvoi àun texte, porter sur deux ou plusieurs sujets différents ». Dans le même esprit, la proposi-tion n° 7 déposée le 7 décembre 1962 à l’Assemblée nationale par M. Hersant tendant àréglementer l’usage du référendum par la révision de l’article 11 de la Constitution envisageait que« (4) Dans tous les cas une seule question doit être posée ».

    56. La question posée était la suivante : « Approuvez-vous le projet de loi soumis aupeuple français par le Président de la République et relatif à la création de régions et à larénovation du Sénat ? ».

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  • Le référendum et la protection des droits fondamentaux 83

    anglaise la langue officielle dans certains États, étaient destinées à margi-naliser les populations d’origines latino-américaine et chinoise par rapportà la vie politique57. Plus récemment, des initiatives populaires visant àmettre fin aux avantages de la politique de l’affirmative action dont bénéfi-ciaient les femmes58 ou les homosexuels59 ont été présentées comme s’ils’agissait de remédier à une injustice par rapport au reste de la population.Dans ces cas-là, il est difficile de prouver l’intention discriminatoire de lamesure alors que cette preuve est nécessaire pour démontrer que la propo-sition porte atteinte au principe d’égalité. Cette difficulté est d’autant plusréelle que les personnes qui sont appelées à voter n’ont pas toujoursconscience des conséquences d’un vote majoritaire sur les droits des mino-rités. Ainsi, une étude a montré que beaucoup de personnes ayant voté enfaveur des initiatives « English only », avaient tout simplement envie dedéfendre la langue et la culture américaine60. Toutefois, à l’origine de cetype d’initiative, se trouvait le mouvement « US English » avec à sa têteJohn Tanton, un conservateur qui dans un article publié par The ArizonaRepublic avait tenu des propos à caractère raciste61.

    Il est vrai, par ailleurs, que les initiatives visant à imposer l’anglaiscomme seule langue officielle peuvent à première vue apparaître commedes mesures favorisant l’intégration des populations étrangères. Cepen-dant, en pratique, ce n’est pas toujours le cas, notamment lorsque l’onsait que les textes officiels et encore plus, les propositions soumises à unvote populaire, sont rédigés dans un langage soutenu ou volontairementambiguë et, par conséquent, difficilement compréhensible même par lapopulation utilisant d’ordinaire la langue anglaise.

    Un autre sondage effectué avant la rédaction de la proposition 20962montre, aussi, que selon la manière dont la question est posée, les résul-tats peuvent nettement diverger. Ainsi, lorsque les personnes ont étéinterrogées sur le point de savoir si elles étaient pour l’interdiction d’untraitement préférentiel, 78% d’entre elles répondaient par l’affirmative.

    57. Initiatives « English only » adoptée notamment en 1984, 1986 et 1998 en Califor-nie, en 1988 en Arizona, dans le Colorado et en Floride et en 1998 dans l’Alaska. T. E. Cro-nin, op. cit., p. 96 ; D. Nedjar, « Initiative et référendum aux Etats-unis. Contribution àl’étude des normes d’origine populaire et du droit référendaire », RDP, 1994, p. 1630. Voirplus largement l’excellente étude menée par Sylvia R. Lazos Vargas, article précité, OhioState Law Journal, vol. 60, 1999, p. 399-555.

    58. Californie, Proposition 209 appelée « California Civil Rights Initiative » adoptée le5 novembre 1996 à 56% des voix. C. Mullard, Le Monde, 7 nov. 1996, p. 3.

    59. W. E. Adams, « Pre-Election Anti-Gay Ballot Initiative Challenges : Issues of Elec-toral Fairness, Majoritarian Tyranny and Direct Democracy », Ohio State Law Journal, 1994,vol. 55, p. 583-646. Voir aussi D. B. Magleby, « Governing by Initiative : Let the VotersDecide? An Assessement of the Initiative and Referendum Process », U. of Colorado Lawreview, vol. 66, 1995, p. 42.

    60. Cf. S. R. Lazos Vargas, précité, not. p. 440 à 442.61. Id., p. 443.62. Étude dont les résultats ont été fournis par L. Chávez, The Color Bind : California’s

    Battle to End Affirmative Action (1998), citée par S. R. Lazos Vargas, précitée, p. 460.D

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  • 84 Marthe Fatin-Rouge Stefanini

    En revanche, à la question « êtes-vous pour l’interdiction des program-mes d’affirmative action? », 31% seulement des personnes interrogéesont répondu par l’affirmative. Bien entendu, la proposition 209 a étérédigée en termes neutres afin d’obtenir le plus grand nombre de voix.

    Cela conduit à se poser une question essentielle qui est de savoir si,dans le cadre des référendums, il faut se méfier de la réponse du peupleou plutôt de celui ou ceux qui posent la question. Pour notre part, laréponse est claire, le danger provient de la question posée et des consé-quences qu’implique un vote positif. Ces conséquences bien souvent nesont pas claires pour de nombreux citoyens. Cela ne vaut pas seulementpour des initiatives populaires dont l’objectif caché est de porter atteinteaux droits d’une minorité; sont aussi concernés les référendums portantsur l’adoption de textes difficilement compréhensibles par une majoritéde la population. Cela a été le cas, par exemple, pour le référendum por-tant sur la ratification du traité de Maastricht. La difficulté est plusgrande encore lorsque les citoyens sont appelés à se prononcer sur desréférendums abrogatifs, comme c’est le cas en Italie, sachant que l’abro-gation peut porter seulement sur quelques mots dans le texte. La Courconstitutionnelle a sur ce point élaboré une jurisprudence très impor-tante afin de protéger la libre expression de la volonté des citoyens63.

    Par ailleurs, les informations diffusées lors de la campagne référen-daire peuvent être insuffisantes, faussées ou orientées; elles peuvent dis-simuler certains aspects importants relatifs aux conséquences de la pro-position. Le manque d’information objective est d’autant plus importantpour les initiatives populaires sachant que ces initiatives coûtent trèscher. Par conséquent, les citoyens peuvent être facilement sensibilisés parla publicité faite autour d’une initiative démagogique s’appuyant sur lescraintes et les ressentiments de chacun. Le contre-projet tel qu’il existeen Suisse, rédigé par l’Assemblée fédérale, permet aux citoyens appelés àse prononcer sur une initiative populaire de réfléchir sur une propositiondifférente susceptible de mieux leur convenir.

    On peut ajouter à ces remarques et, d’une manière plus générale, quela décision populaire n’est ni issue d’un processus de législation filtré, nile résultat d’un compromis au terme de débats, ce qui la rend suspecte64.

    63. Sur ce point, nous renvoyons à notre thèse, Le contrôle du référendum par la justice consti-tutionnelle, Aix-en-Provence, 1999, p. 176 à 182.

    64. R. Charlow, « Judicial Review, Equal Protection and the Problem with Plebiscites »,Cornell Law Review, 1994, n° 79, p. 540-541. Lors des débats relatifs à la révision constitu-tionnelle du 4 août 1995, M. Mazeaud a fait remarquer que « la procédure du référendumest une procédure qui n’est pas particulièrement souple, et c’est la raison pour laquelle jesouhaite que l’on réserve les libertés publiques à la compétence du Parlement. Pourquoi ?Parce qu’il y a deux chambres, des navettes et le droit d’amendement, par lequel on exerce,en quelque sorte, un droit de repentir. Il est donc nécessaire de pouvoir délibérer longue-ment et avec beaucoup de souplesse sur les libertés publiques qui concernent le droit et laliberté des citoyens au lieu de les réserver au seul référendum », Déb. parl. AN, 1re séance du11 juillet 1995, JORF, p. 913.

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  • Le référendum et la protection des droits fondamentaux 85

    Après avoir effectué une étude sur les initiatives populaires à caractèreraciste aux États-Unis, M. Derrick Bell faisait remarquer que la chargeémotionnelle qui accompagne une campagne référendaire réduit le niveaude tolérance des électeurs et, par là même, accentue les risques de discri-mination65. Cependant, d’un autre côté, il est difficile de démontrer queles législations populaires sont plus liberticides que ne le sont les législa-tions adoptées par les représentants66. Aux États-Unis, les lois parlemen-taires ont largement contribué à la discrimination raciale. Par exemple, la« Grand-father clause » adoptée par l’Oklahoma en 1910, censurée par laCour suprême des États-Unis en 1915, a été reprise par les législateursdémocrates dans une nouvelle proposition permettant de contourner ladécision juridictionnelle. Cette proposition a été rejetée par les électeurseux-mêmes67. Cet exemple indique que le peuple peut être parfois plussage que ses représentants en se pliant aux exigences de la Constitution.Aujourd’hui encore, il n’est pas rare que les États soient à l’origine d’unemesure restreignant les aides d’une minorité68. De plus, est-il besoin derappeler que la jurisprudence des juridictions constitutionnelles recèle unemultitude d’exemples dans lesquels une législation a porté atteinte auxdroits fondamentaux d’une manière plus ou moins consciente et manifeste.A contrario, la démocratie directe a été parfois le moyen de conquérir desdroits ou des libertés. Aux États-Unis, par exemple, de nombreuses initia-tives ont été déposées avant 1920 afin d’accorder le droit de vote auxfemmes. Après plusieurs tentatives infructueuses, il leur a été accordé dansl’Arizona, le Colorado, l’Oregon et le Wyoming, plusieurs années avantque la Constitution fédérale soit amendée en ce sens. Récemment, enIrlande, les citoyens ont rejeté, certes à une faible majorité (50,42%), unréférendum visant à durcir la législation contre l’avortement69. Cette légis-lation visait notamment à revenir sur une décision de la Cour suprêmerendue en 1992 qui avait reconnu – malgré la rigidité des termes de laConstitution qui proscrivent purement et simplement le recours à l’avor-tement – le risque de suicide d’une femme enceinte comme étant un motifpermettant à celle-ci de recourir à l’avortement.

    Par conséquent, il n’y a pas lieu de dramatiser et encore moins debannir le recours au référendum même d’initiative populaire70. Ces pro-

    65. Précité.66. L. A. Baker, « Direct Democracy and Discrimination : a Public Choice Perspective.

    University of Virginia School of Law John M. Olin Foundation : Symposium on Law andEconomics of Local Government », Chicago-Kent Law Review, 1991, vol. 67, p. 707-776.

    67. T. E. Cronin, op. cit., p. 93.68. R. Briffault, « Distrust of Democracy », book review about D. B. Magleby, « Direct

    Legislation : Voting on Ballot Propositions in the United States », Texas Law Review, 1985,n° 63, p. 1364.

    69. Voir l’article de J.-P. Langellier paru au journal Le Monde du 9 mars 2002 et la chro-nique de J.-E. Callon, cette Revue, 2002, p. 879-881.

    70. De nombreux auteurs se montrent très virulents à l’encontre de cette institution. Voirpar exemple les critiques rassemblées par W. E. Adams, précité.

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    cédures peuvent être utilisées dans la mesure où elles sont bien encadrées.Ce n’est pas le cas en France et cela explique en partie l’attitude craintivedes pouvoirs publics à l’égard de l’utilisation de ces institutions.

    Reconnaître, par ailleurs, que la législation ordinaire peut être touteautant liberticide qu’une législation référendaire, n’est pas un argumentqui permettrait de justifier l’absence de contrôle des actes soumis au votepopulaire. Bien au contraire. Le respect des libertés et des droits fonda-mentaux et le principe de pluralisme doivent être garantis même contrela volonté de la majorité du peuple s’exprimant par voie référendaire.Cette précaution est nécessaire à la survie de la démocratie et doit êtreconfiée à un juge constitutionnel non susceptible d’être soumis aux pres-sions populaires – ce qui, n’est pas toujours le cas aux États-Unis71. SelonM. D. Rousseau, « pour ne pas être tyrannique, la force de (la règlemajoritaire) appuyée sur le pouvoir de suffrage doit être équilibrée par laforce des droits fondamentaux appuyée, notamment, sur le pouvoir dujuge »72. Le juge constitutionnel doit être en mesure d’imposer ce respectà toutes les autorités de l’État, ce qui nécessite une protection particu-lière de ces règles constitutionnelles.

    II – LES GARANTIES OFFERTES AUX DROITS FONDAMENTAUXFACE AU RÉFÉRENDUM

    Les libertés et les droits fondamentaux constituent au même titre quela souveraineté du peuple un des fondements de la démocratie et del’État de droit. La fin du XXe siècle a marqué en Europe le renforcementdes garanties mises en place pour en assurer le respect. Considérés long-temps comme des droits naturels, ils ont acquis la valeur de droits posi-tifs depuis la Seconde Guerre mondiale par l’organisation d’une protec-tion constitutionnelle qui n’a cessé de s’étayer. Cette protection passenaturellement par l’inscription des droits fondamentaux dans une charteconstitutionnelle dont les violations sont sanctionnées par la juridictionconstitutionnelle73. Mais de plus en plus de constitutions entourent lesdroits fondamentaux de garanties supplémentaires en interdisant, parexemple, toute révision constitutionnelle en la matière74 ou en posantdes conditions procédurales de révision plus lourdes que pour les autres

    71. Sur cette question se reporter à notre thèse, précitée, not. p. 71 à 76.72. D. Rousseau, « Pour ou contre la limitation du pouvoir du juge constitutionnel ? »,

    RA, 1998, n° 301, p. 202-203.73. L. Favoreu, « La protection constitutionnelle des droits fondamentaux », Vers une nou-

    velle Europe ?, sous la direction de Mario Telo, Bruxelles, édition de l’Université deBruxelles, collection dirigée par l’Institut d’études européennes, 1991, p. 367-378.

    74. Article 79 al. 3 de la Loi fondamentale allemande.D

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    dispositions de la Constitution75. Par ailleurs, ils ont acquis une dimen-sion « transnationale »76, du moins en leur partie substantielle composéedes droits de l’homme, grâce à leur consécration par les conventionsinternationales et la protection que leur assurent les juridictions euro-péennes et constitutionnelles77.

    Cette attention particulière portée aux droits fondamentaux conduità considérer que ce ne sont pas des règles constitutionnelles comme lesautres78. S’il est concevable qu’ils puissent subir quelques altérations, neserait-ce que pour les rendre plus effectifs ou pour les concilier avecd’autres impératifs constitutionnels, il semble impossible d’en suppri-mer la substance79. Dès lors, force est d’admettre qu’ils doivent s’impo-ser aux plus hautes autorités de l’État tant leur importance est considé-rable. En effet, la gravité de la question des droits de l’Homme fait qu’iln’est plus acceptable que des minorités aient à subir tous les capricesd’une majorité. Dans l’affaire Lucas v. Forty-fourth General Assembly80, leChief Justice Earl Warren a déclaré que « les droits constitutionnels descitoyens ne peuvent pas être violés simplement parce qu’une majorité dupeuple en a décidé ainsi »81. Cependant, on ne doit pas se tromper sur lesens de la protection des droits des minorités. Par nature, toute mesureadoptée par la majorité fait échec aux revendications d’une minorité. Or,à partir du moment où les droits fondamentaux de cette dernière ne sontpas atteints, existe-t-il encore une raison pour qu’elle ne se plie pas à lavolonté de la majorité? Le courant progressiste, qui est à l’origine del’introduction de l’initiative populaire et du référendum aux États-Unis,justifiait celle-ci notamment par la volonté d’éviter que les minorités aupouvoir ou des groupes de pression financièrement puissants fassent pas-

    75. Article 168 de la Constitution espagnole.76. M. Cappelletti, Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, sous la direc-

    tion de M. L. Favoreu, PUAM, Economica, 1982, p. 471.77. J. Dhommeaux, « Convention européenne des droits de l’homme et supra-constitu-

    tionnalité », RIDC, 1993, vol. 15, p. 369-387 ; L. Favoreu, « Supraconstitutionnalité etjurisprudence de la juridiction constitutionnelle en droit privé et en droit public français »,RIDC, 1993, vol. 15, p. 461-471 ; J.-F. Flauss, « Les droits de l’homme, comme élémentd’une constitution et de l’ordre européen », LPA, 30 avril 1993, n° 52, p. 8-15.

    78. G. Vedel, « La constitution comme garantie des droits, le droit naturel », in 1789 etl’invention de la constitution, Actes du colloque de Paris organisé par l’Association française desciences politiques : 2, 3 et 4 mars 1989, Bruylant, LGDJ, coll. « La pensée juridiquemoderne », 1994, p. 213.

    79. M. Favoreu estime que seraient non-modifiables et, donc supraconstitutionnelles, lesnormes relatives aux droits fondamentaux, « parce qu’il y a un consensus, une complémen-tarité des jurisprudences qui établissent l’impossibilité de modifier les normes relatives auxdroits fondamentaux, du moins le noyau dur, la partie intangible des droits fondamentaux »(« Supraconstitutionnalité et jurisprudence de la juridiction constitutionnelle en droit privéet en droit public français », RIDC, 1993, vol. 15, p. 470).

    80. 377 US 713 (1964).81. En rappelant les principes posés dans l’affaire West Virginia State Bd. of Education v.

    Barnette (319 US 624, 638), il a ajouté que « le droit à la vie, la liberté, la propriété et toutautre droit fondamental » ne peuvent être soumis au vote « car ils ne dépendent du résul-tat d’aucune élection ».

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    ser leurs intérêts avant ceux de la majorité de la population82. Donc larecherche d’une protection des minorités ne doit pas conduire à inverserle mouvement. A ce propos, Alain Tourraine écrivait en 1994, « Il estsouhaitable que les minorités soient reconnues dans une société démo-cratique, mais à condition qu’elles reconnaissent la loi de la majorité etqu’elles ne soient pas absorbées par l’affirmation et la défense de leuridentité »83. Ce constat doit cependant être nuancé en rappelant que laloi de la majorité ne doit prévaloir que s’il n’est pas porté atteinte auxdroits et libertés fondamentaux des minorités.

    Pour assurer la protection des droits et libertés fondamentaux, l’ins-cription dans une charte constitutionnelle peut suffire. Cependant, siaucun contrôle de constitutionnalité des lois référendaires n’est prévu,comme en France, ou si les normes populaires prennent place au sommetde la hiérarchie, des garanties spécifiques peuvent s’imposer au niveaunational (A). Par ailleurs, le développement des conventions internatio-nales peut fournir le moyen de s’opposer notamment à des révisionsconstitutionnelles d’origine populaire (B).

    A – LES GARANTIES OFFERTES SUR LE PLAN NATIONAL

    De nombreuses constitutions ont prévu d’écarter les droits fonda-mentaux du champ d’application du référendum (1), ce n’est pas le casen France, mais aujourd’hui, le Conseil constitutionnel dispose desmoyens de s’opposer à l’organisation d’un référendum qui ne respecteraitpas le champ d’application de l’article 11 ou les limitations découlant del’article 89 de la Constitution (2).

    1 – La situation à l’étranger

    Diverses méthodes permettent de protéger les droits fondamentauxd’une décision populaire. Parmi les plus radicales, certaines consistent àempêcher qu’un référendum ou une initiative populaire soit organisé enmatière de libertés et de droits fondamentaux. Par exemple, l’amende-ment n° XLVIII, pt. 2, section 2 de la Constitution du Massachusettsdispose qu’ « aucune proposition contraire aux droits individuels sui-vants, tels qu’affirmés actuellement dans la déclaration des droits, nepourra être soumis à l’initiative populaire et au référendum : droit de

    82. R. B. Collins et D. Oersterle, « Governing by Initiative : Structuring the Ballot Ini-tiative : Procedures that Do and Don’t Work », Univ. of Colorado Law review, vol. 66, 1995,p. 60.

    83. « Qu’est-ce que la démocratie ? », Fayard, 1994, p. 98 cité par P. Fraissex, « Lesdroits fondamentaux, prolongement ou dénaturation des droits de l’Homme », RDP, n° 2,2001, p. 534.

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    recevoir une indemnité en cas d’expropriation pour cause d’utilitépublique, droit d’accéder librement à la protection des juridictions, droitd’être jugé par un jury, protection contre une recherche déraisonnable etcontre la loi martiale, liberté de la presse, liberté d’expression, libertédes élections et droit de réunion pacifique »84. Le cas du Massachusettsest particulièrement intéressant à cet égard, car la Constitution estimeque les restrictions sus-indiquées à l’article XLVIII de la Constitutionsont intangibles. Cela signifie que les droits fondamentaux visés ne peu-vent faire l’objet d’une initiative constitutionnelle même pour réviser ladisposition qui les prévoit.

    En Europe, la loi constitutionnelle de la Fédération de Russie, du10 octobre 1995, dispose dans son article 3 que « les questions soumisesau référendum de la Fédération de Russie ne peuvent limiter ou supprimerles droits et libertés de l’homme et du citoyen universellement reconnuset les garanties constitutionnelles de leur réalisation ». Le respect decette exigence est vérifié par la Cour constitutionnelle (article 12)85.

    La Constitution roumaine et la Constitution slovaque prévoient,quant à elles, que les initiatives populaires en demande de révision nepeuvent pas porter sur les droits fondamentaux86. Toute requête en cesens doit être déclarée irrecevable par l’autorité chargée d’en contrôlerl’admissibilité. En République slovaque, cette limite vise spécifique-ment les référendums et le contrôle de la constitutionnalité desdemandes est assuré par le Président de la République87 (ce qui ne nousparaît pas être une garantie suffisante). En revanche, en Roumanie, cettemission a été confiée à la Cour constitutionnelle88. L’étendue de soncontrôle peut être très poussé, car l’article 148 précise que « ne peut êtreréalisée aucune révision qui aurait pour résultat la suppression des droitsfondamentaux et des libertés fondamentales des citoyens ou de leurgaranties »89. Cette méthode présente l’avantage d’affirmer clairement laprépondérance des droits fondamentaux. Cependant, elle pose le pro-blème de la permanence de la souveraineté du peuple qui empêche unegénération de lier les autres pour l’avenir de manière définitive90.

    84. S. Diemert, Textes constitutionnels sur le référendum, PUF, coll. Que sais-je?, 1993,n°2744, p. 92. De même, la Constitution du Mississippi interdit qu’une initiative consti-tutionnelle soit utilisée pour amender la charte des droits et libertés de l’État (cf. R. B. Col-lins et D. Oersterle, op. cit., p. 51, note 13).

    85. F Hamon, Le référendum (documents d’études réunis et commentés par F. Hamon), Ladocumentation française, n° 1-21, éd. 1997, p. 32-33.

    86. Article 148 de la Constitution roumaine du 8 décembre 1991 et article 93 al. 3 de laConstitution slovaque du 1er septembre 1992.

    87. Article 93 al. 1 de la Constitution de la République slovaque.88. Article 37 (1) de la loi n° 47 du 18 mai 1992 sur la Cour constitutionnelle de

    Roumanie.89. Souligné par nous.90. Sur la question délicate des limitations imposée aux normes constitutionnelles, nous

    renvoyons à notre thèse, précitée, p. 288 à 346. Cette question est, en effet, bien trop com-plexe pour être traitée à l’intérieur même de cette communication.

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    D’autres méthodes évitent cet inconvénient. Elles s’inscrivent dansun cadre général de garantie des normes constitutionnelles sans quel’origine référendaire ou parlementaire d’une disposition soit prise enconsidération. Dès lors, dans un soucis d’assurer le respect de la hiérar-chie des normes, le juge constitutionnel pourra sanctionner les atteintesaux droits fondamentaux inscrits au sommet de cette hiérarchie.

    Aux États-Unis, par exemple, une triple précaution a été prise par lesfondateurs de l’État.

    D’une part, le référendum et l’initiative populaire ne sont pas prévusau niveau national, ce qui permet d’éviter qu’une norme d’origine popu-laire remette en cause une disposition de la Constitution fédérale.D’autre part, les libertés et les droits fondamentaux ont été inscrits dansles dix premiers amendement à la Constitution fédérale afin d’être placéshors d’atteinte d’une majorité relative91. Les juridictions veillent particu-lièrement à leur protection par la mise en œuvre d’un contrôle parfoisplus strict (strict scrutiny). Enfin, le principe du fédéralisme conduit lesjuridictions fédérales à censurer des dispositions d’origine populaire,adoptées par un État, qui seraient contraires au droit fédéral92.

    Malgré tout, le respect des droits fondamentaux n’est pas totalementgaranti car les juridictions fédérales ne peuvent connaître que des affairesmettant en cause une violation du droit fédéral. De plus, dans de nom-breux États, les juges sont élus ce qui les rend plus sensibles à l’opinionpublique93. De ce fait, il est difficile pour eux de s’opposer à une décisionadoptée par la majorité des citoyens, d’autant que dans de nombreux casc’est à un juge unique qu’il revient de décider ou non de la constitu-tionnalité d’une décision adoptée par le peuple. Par exemple, dans lecadre de la procédure d’injonction lancée à l’encontre de la proposition209, visant à enrayer la politique de discrimination positive en Califor-nie, la Cour d’appel fédérale a rejeté le jugement de la Cour de districten remarquant sévèrement que : « la décision conduit à menacer lavolonté du peuple au sens littéral du terme : ce que le peuple de Cali-

    91. J. Eule, « Judicial Review of Direct Democracy », Yale law journal, 1990, p. 1529-1530, 1539-1545. La révision constitutionnelle au niveau fédéral est trés difficile à réaliserpuisqu’une proposition votée par les deux chambres (Sénat et Chambre des Représentants) àla majorité des deux-tiers doit être soumise à la ratication d’au moins trois quarts des Légis-latures des États membres, cf. G. Scoffoni, « Révision de la constitution et justice constitu-tionnelle », Xe table ronde internationale des 16 et 17 septembre 1994, AIJC X-1994,p. 90-92.

    92. Voir par exemple Truax v. Raich, 239 US 33 (1915); Oyama v. California, 322 US633 (1948); Reitman v. Muckley, 387 US 371 (1967); Epperson v. Arkansas, 393 US 97(1968); Hunter v. Erickson, 393 US 385 (1969); Washington v. Seatlle School District, 458 US457 (1982); Romers v. Evans (1996), précité.

    93. L. T. Aspin et W. K. Hall, « Retention elections and judicial behavior », Judicature,vol. 77, 1994, n° 6, p. 312. Voir par ailleurs l’article de J. Eule, « Crocodiles in the Bath-tub : State Courts, Voter Initiatives and the Threat of Electoral Reprisal », University of Colo-rado Law Review, vol. 65, 1994, p. 733-740.

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    fornie espérait faire est mis en échec sur la base de principes que lepeuple des États-Unis n’a ni établi ni ordonné. Un système qui permetà un seul juge de s’opposer d’un trait de plume à ce que 4 736 180citoyens de l’État ont décidé d’ériger en loi met à l’épreuve le caractèreintègre de notre démocratie constitutionnelle »94. Dans ce pays, le faitque le contrôle de constitutionnalité intervienne après le vote ne joue pasen faveur de la protection des droits fondamentaux car certains jugesrefusent de s’opposer à la volonté de la majorité. La jurisprudence de laCour suprême elle-même en matière de contrôle des référendums n’estpas claire. Dans certaines affaires, elle a fait preuve de déférence à l’égardde la volonté du peuple tandis que dans d’autres, elle n’a pas hésité àannuler une mesure adoptée par ce dernier. Force est de reconnaîtrecependant, qu’il est parfois difficile pour les juridictions de démontrerune volonté discriminatoire en particulier lorsqu’elles sont en présenced’une disposition visant à remettre en cause une mesure de discrimina-tion positive et que cette disposition est rédigée en termes neutres. Lesdroits préférentiels accordés à une minorité peuvent-ils réellement pré-valoir sur la volonté de la majorité qui ressent cette discrimination posi-tive comme une injustice voire même un privilège accordé à certains audétriment du reste de la population. Cette question est très délicate àtrancher. La remise en cause des politiques d’affirmative action, fait partiedes principaux thèmes des référendums organisés aux États-Unis. Ceproblème ne se retrouve pas dans les autres pays recourant fréquemmentà des procédures de démocratie directe.

    En Italie, la protection des droits fondamentaux vis-à-vis du référen-dum est assurée grâce à la mise en place de plusieurs remparts. D’aprèsl’article 75 de la Constitution, le référendum abrogatif ne peut viser que« des lois ou des actes ayant force de loi ». La Cour constitutionnelle ainterprété largement cette disposition puisqu’elle en a tiré la consé-quence qu’une demande d’abrogation ne pouvait porter ni sur une dis-position de valeur constitutionnelle, ni sur une législation qui rendraitinopérationnelle une disposition constitutionnelle95. Le contrôle de l’ad-missibilité opéré par la Cour constitutionnelle permet donc d’éviterqu’un référendum abrogatif porte atteinte aux dispositions constitution-nelles relatives aux droits fondamentaux ou à leur mise en œuvre par lalégislation96. De plus, si malgré cette jurisprudence la demande d’abroga-tion était recevable, la norme qui résulterait d’un référendum d’abroga-tion partielle ne serait pas à l’abri d’un contrôle de constitutionnalité. En

    94. United States Court of Appeals, 9th circuit, Coalition for Economic Equity et al. v. PeteWilson et al. (Proposition 209), 10 février 1997, 110 F. 3 d 1431, 1436.

    95. Sentence n° 16 du 2 février 1978, Gazz. Uff. n° 39 du 8 février 1978, Rec. des déci-sions de la Cour, p. 141.

    96. Voir en ce sens notamment les décisions n° 42/2000 et 49/2000 du 7 février 2000,Giurisprudenza costituzionale, 2000-1, p. 336 et 379.

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    effet, dans le cadre du contrôle incident prévu à l’article 134 de la Consti-tution, la Cour pourrait aboutir à déclarer la loi inconstitutionnelle97.

    Pour ce qui est du référendum constitutionnel prévu à l’article 138de la Constitution98, aucune limite matérielle à la révision constitution-nelle, autre que celle relative à la forme républicaine du gouvernement99,n’a été posée par la Constitution. Cependant, dans une décision n° 1146de 1988, la Cour constitutionnelle a estimé qu’une révision constitu-tionnelle ne pourrait pas porter atteinte à un certain nombre de prin-cipes suprêmes100. Ces principes, selon la Cour, recouvrent aussi bienceux « dont la Constitution elle-même prévoit explicitement qu’ils for-ment une limite absolue au pouvoir de révision constitutionnelle, telleque la forme républicaine, que les principes qui, tout en n’étant pasexpressément mentionnés parmi ceux qui ne sont pas soumis à la procé-dure de révision constitutionnelle, font partie des valeurs supérieures surlesquelles se fonde la Constitution italienne ». Or parmi ces valeurssupérieures figurent des droits fondamentaux, tels que la liberté d’ex-pression, la liberté de communication101 ou encore le droit à la vie102.Cette jurisprudence pourrait permettre à la Cour de dénoncer une révi-sion constitutionnelle qui porterait atteinte aux droits de l’Hommequalifiés d’ « inviolables » par l’article 2 de la Constitution103. Pour

    97. La Cour constitutionnelle italienne affirme depuis la décision n° 251 du 18 décembre1975 (Gazz. Uff., n° 339 du 24 décembre 1975), que le contrôle de l’admissibilité qu’elleopère dans le cadre de l’article 75 de la Constitution est différent du contrôle de constitu-tionnalité prévu par l’article 134. Cependant, certaines décisions ont montré la difficultéd’une distinction claire entre le contrôle de l’admissibilité et le contrôle de la constitution-nalité. Voir à ce sujet notre thèse, p. 225-232. A ce jour et à notre connaissance, deux déci-sions seulement ont opéré un contrôle a posteriori de la constitutionnalité d’une loi ayant faitl’objet d’un référendum abrogatif. Il s’agit des décisions n° 244 de 1996 et n° 114 de 1998.

    98. L’article 138 de la Constitution dispose que : « (1) Les lois de révision de la Consti-tution et les autres lois constitutionnelles sont adoptées par chacune des deux chambresaprès deux délibérations successives, séparées par un intervalle de trois mois au moins, etelles sont approuvées à la majorité absolue de chacune des chambres lors du second vote. (2)Ces mêmes lois sont soumises à référendum populaire lorsque, dans un délai de trois moisaprès leur publication, demande en est faite par un cinquième au moins des membres del’une des deux chambres ou bien par 500 000 électeurs ou bien par cinq conseils régionaux.La loi soumise au référendum n’est pas promulguée si elle n’est pas approuvée par la majo-rité des suffrages exprimés. (3) Il n’y a pas lieu à référendum si la loi a été approuvée ausecond vote par chacune des deux chambres à la majorité des deux tiers de ses membres ».

    99. Article 139 de la Constitution italienne.100. Décision n° 1146/1988 du 15 décembre 1988, Rec. des décisions de la Cour constit.,

    vol. LXXXIX, p. 627-634. Voir sur ce point B. Caravita, « Principes suprêmes, principessupraconstitutionnels ou principes communs? », RIDC, 1993, vol. 15, p. 443-449 ; A. Piz-zorusso et E. Rossi, « Révision de la constitution et justice constitutionnelle », Xe tableronde internationale des 16 et 17 septembre 1994, AIJC, X-1994, p. 132-143. Voir aussi,Marcello Piazza, I limiti alla revisione costituzionale nell’ordinamento italiano, Cedam, 2002,401 p.

    101. Sentence n° 366 de 1991. Cf. B. Caravita, op. cit., p. 444.102. Sentence n° 35 du 30 janvier 1997, Giur. cost. I-1997, p. 281.103. En l’état actuel du droit, seul le Bureau central près la Cour de cassation, mis en

    place à l’occasion d’un référendum constituant, pourrait s’opposer à l’organisation d’un réfé-rendum portant atteinte à des principes suprêmes en interprétant largement les compé-

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    l’instant, un seul référendum a été organisé dans le cadre de l’article 138et la loi constitutionnelle adoptée n’a pas été contrôlée par la Courconstitutionnelle.

    Au Portugal, un référendum peut être organisé par décision du Pré-sident de la République à l’initiative de l’Assemblée de la Républiqueou du Gouvernement ou encore sur une initiative des citoyens présentéeà l’Assemblée de la République (art. 115 de la Constitution du 21 février1976 révisée en 1999). Le texte soumis au référendum a force de loi et ilest systématiquement soumis à un contrôle de constitutionnalité et delégalité qui a lieu a priori, c’est-à-dire, avant que le texte soit soumis à laratification populaire. Par conséquent, la protection des droits fonda-mentaux est assurée par l’intervention préalable du juge constitutionnel.

    Cette solution avait été préconisée en France notamment par la Com-mission Vedel en 1993.

    2 – La situation en France

    En France, une législation référendaire pourrait porter atteinte auxdroits fondamentaux. En effet, le Conseil constitutionnel refuse depuis1962 de contrôler la constitutionnalité d’une loi référendaire au prétextequ’il s’agît d’une expression directe de la souveraineté nationale. Ce refustouche aussi bien les référendums portant sur des textes de valeur consti-tutionnelle ou organique comme en 1962104, que législatif comme en1992105. Cette déclaration d’incompétence du Conseil constitutionnelest, en réalité, surtout due au fait que le contrôle interviendrait après levote donc une déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi adoptée par lepeuple mettrait le Conseil constitutionnel dans une situation politique-ment délicate. Or, à notre sens, le peuple lorsqu’il s’exprime dans lecadre d’une procédure prévue par la Constitution ne s’exprime pas entant que souverain mais en tant qu’organe de l’État. Donc, il doitcomme les autres organes respecter le cadre fixé dans la constitution ycompris lorsqu’il intervient par la voie de l’article 89 de la Constitution.Dans ce cas, le contrôle exercé ne sera pas un contrôle de constitutionna-lité, et encore moins de « supra-constitutionnalité » mais un contrôle del’admissibilité comme on peut le connaître dans certains pays étrangers.

    L’autre difficulté qui a pu justifier la déclaration d’incompétence duConseil constitutionnel, tient au fait que le référendum de l’article 11 aété conçu comme un pouvoir du Président de la République et ce der-

    tences qu’il tient de la loi n° 365 de 1970 (art. 12). M. Panunzio propose d’instituer uncontrôle préventif des révisions constitutionnelles qui serait confié à la Cour constitution-nelle (« Riforma delle istituzioni e participazione popolare », Quad. cost., 1992, p. 565).

    104. Décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi référendaire relative à l’élection du Pré-sident de la République au suffrage universel direct, Rec. p. 27, RJC I-11.

    105. Décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, Maastricht III, Rec. p. 94, RJC I-511.D

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    nier a été lui-même placé au centre de la Constitution. Il est d’ailleurssymptomatique de constater que l’article 5 de la Constitution fait duchef de l’État le garant de droit commun du respect de la Constitutiondonc le premier interprète de la Constitution. Par conséquent, il estcensé respecter les termes de l’article 11 lorsqu’il décide de donner suiteà une proposition de référendum formulée par le Gouvernement ou lesdeux Assemblées. En outre, lorsque la question de l’élargissement duchamp d’application du référendum a été discutée en 1995, l’idée demettre en place un contrôle de constitutionnalité a priori n’a pas été rete-nue. Cela signifie que l’assemblée ayant procédé à la révision constitu-tionnelle n’a pas souhaité changer le rôle du référendum de l’article 11dans nos institutions.

    Les évolutions récentes de la jurisprudence du Conseil constitution-nel en matière de contrôle des actes préalables aux opérations référen-daires laissent entrevoir toutefois une autre possibilité. En effet, dans ladécision Hauchemaille du 25 juillet 2000106, le Conseil constitutionnel aaccepté de contrôler en qualité de juge électoral, certains actes prépara-toires aux opérations référendaires107. Il a transposé avec une petitevariante la jurisprudence qu’il avait retenu quelques années auparavanten matière d’élections législatives depuis les décisions Delmas du 11 juin1981108 et Bernard et autres des 16 et 20 avril 1982109. Jusqu’à 2000, enmatière de votation, le Conseil constitutionnel opérait une distinctionentre ses compétences consultatives qu’il tient des articles 46 et 47 del’ordonnance organique du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitu-tionnel et ses compétences juridictionnelles qui découlent de l’article 50de ce même texte. Dans une décision une décision du 23 septembre1960, Regroupement national110, le Conseil constitutionnel avait refuséd’examiner une requête contestant, sur le fondement de l’article 47 del’ordonnance ci-dessus indiquée, la décision par laquelle le Gouverne-ment rejetait une demande d’inscription d’un parti politique sur la listedes organisations habilitées à utiliser les moyens officiels de propagandeen vue du référendum. Cette position devait être confirmée dans la déci-sion du 3 avril 1962, Parti Communiste Réunionnais111.

    Il résultait de ces décisions que pour la Haute juridiction, la missiondont il disposait dans le cadre de ses attributions consultatives étaitexclusive des attributions juridictionnelles qu’il tient de l’article 50 del’ordonnance.

    106. Rec. CC, p. 117.107. Sur cette question voir notamment R. Ghevontian, RFDA, 2000, p. 1004.108. RJC V-2.109. RJC V-3.110. Rec. CC, p. 67 ; L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel

    (GDCC), 11e édition, 2001, n° 8.111. Rec. CC, p. 63.

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    La déclaration d’incompétence du Conseil constitutionnel avait alorslaissé la place à l’intervention, dans certaines limites, du Conseil d’État112.

    La décision Hauchemaille a remis en cause la rigueur de la positionadoptée dans l’affaire Regroupement National. Après avoir rappelé les prin-cipes établis dans cette décision, la Haute Juridiction a considéré « qu’envertu de la mission générale de contrôle de la régularité des opérationsréférendaires qui lui est conférée par l’article 60 de la Constitution, ilappartient au Conseil constitutionnel de statuer sur les requêtes mettanten cause la régularité d’opérations à venir dans les cas où l’irrecevabilitéqui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravementl’efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait ledéroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnementnormal des pouvoirs publics »113. Cette reconnaissance d’une compétenceexceptionnelle lui a permis d’examiner le décret n° 2000-665 du12 juillet 2000 décidant de soumettre un projet de révision de la Consti-tution au référendum, le décret n° 2000-666 du 18 juillet 2000 portantorganisation du référendum, le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000relatif à la campagne en vue du référendum (Hauchemaille I notamment)et le décret n° 2000-835 du 31 août 2000 fixant pour les territoiresd’outre-mer, La Nouvelle-Calédonie, Mayotte et Saint-Pierre et Mique-lon (Hauchemaille III).

    L’étendue de la compétence du Conseil constitutionnel est différentede celle que le Conseil d’État se reconnaissait auparavant114 car, depuisl’arrêt Brocas rendu en Assemblée le 19 octobre 1962115, ce dernier refu-

    112. CE Ass. 27 octobre 1961, Le Regroupement national, Rec. CE, p. 594 ; Actualité juri-dique Droit administratif, AJDA, 1961, p. 672, note J.-T. ; Dalloz, 1962, p. 23, noteC.Leclercq ; Sirey, 1963, p. 28, note L. Hamon ; CE, Ass., 19 octobre 1962, Brocas, Rec. CE,p. 553 ; AJDA, 1962, p. 612, chron. A. de Laubadère; Dalloz, 1962, p. 701 concl. Bernard ;CE, 29 avril 1970, Comité des chômeurs de la Marne et Sieur le Gac, Rec. CE, p. 279.

    113. Le principe posé a été confirmé dans cinq décisions qui ont suivi à propos de l’orga-nisation du même référendum (Conseil constitutionnel, Hauchemaille (II), 23 août 2000,Rec. CC, p. 134 ; Larrouturou, 23 août 2000, Rec. CC, 137 ; Hauchemaille (III), 6 septembre2000, Rec. CC, p. 140 ; Pasqua, 6 septembre 2000, Rec. CC, p. 144 ; Meyet, 11 septembre2000, Rec. CC, p. 148). Les trois premières décisions reprennent la même formule. Les deuxderniers appliquent le contrôle sans rappeler le considérant de principe. Aucune de ces déci-sions n’a cependant conclu à l’annulation des décrets attaqués.

    114. Le Conseil d’État s’appuyant sur le principe de l’exception de recours parallèle aaccepté, non sans quelques critiques (voir not. concl. Savoie sur Conseil d’État, 1er septembre2000, Larrouturou, Meyet et autres, RFDA, sept.-oct. 2000, p. 989-1002 not. p. 997 et s. ;M. Guyomar et P. Colin, chron., AJDA, p. 803-807 ainsi que les concl. Piveteau sur ladécision Marini rendue par le Conseil d’État le 14 septembre 2001, p. 6), les nouvelles com-pétences que s’est reconnu le Conseil constitutionnel depuis la décision Hauchemaille. Tou-tefois, il reste compétent pour examiner la légalité des décrets ayant un caractère permanent(CE, Meyet, 19 octobre 2001, RFDA, novembre-décembre 2001, p. 1334) ainsi que pourcertains actes détachables de la votation référendaire proprement dite c’est-à-dire, les arrêtéset les avis ministériels (CE, Ass., 1er septembre 2000, Larrouturou et autres, RFDA, 2000,p.1002-1003), les décisions rendues par le Conseil supérieur de l’audiovisuel et les autresorganismes appelés à inter