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0 ENSC- 2007 n°84- THESE DE DOCTORAT DE L’ECOLE NORMALE SUPERIEURE DE CACHAN Présentée par Madame LEDRAPIER Catherine. pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’ECOLE NORMALE SUPERIEURE DE CACHAN Domaine : SCIENCES DE L’EDUCATION Sujet de la thèse : Le rôle de l’action dans l’éducation scientifique à l’école maternelle ; cas de l’approche des phénomènes physiques. Thèse présentée et soutenue à Cachan le 15 décembre 2007 devant le jury composé de : COQUIDÉ Maryline, professeur, INRP .................….……………. présidente du jury. GIORDAN André, professeur, Genève………………………..….…………rapporteur. MARTINAND Jean-Louis, professeur, ENS Cachan……………….directeur de thèse. TOUSSAINT Jacques, professeur, Lyon I………………………………… .rapporteur. WEIL-BARAIS Annick, professeur, université Angers…………………..examinatrice. Nom du Laboratoire ……UMR STEF……………… ENS CACHAN/CNRS 61, avenue du Président Wilson, 94235 CACHAN CEDEX (France)

Le rôle de l'action dans l'éducation scientifique à l'école maternelle

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    ENSC- 2007 n84-

    THESE DE DOCTORAT DE LECOLE NORMALE SUPERIEURE DE CACHAN

    Prsente par

    Madame LEDRAPIER Catherine.

    pour obtenir le grade de DOCTEUR DE LECOLE NORMALE SUPERIEURE DE CACHAN

    Domaine :

    SCIENCES DE LEDUCATION

    Sujet de la thse : Le rle de laction dans lducation scientifique lcole maternelle ;

    cas de lapproche des phnomnes physiques.

    Thse prsente et soutenue Cachan le 15 dcembre 2007 devant le jury compos de :

    COQUID Maryline, professeur, INRP ................... prsidente du jury.

    GIORDAN Andr, professeur, Genve...rapporteur.

    MARTINAND Jean-Louis, professeur, ENS Cachan.directeur de thse.

    TOUSSAINT Jacques, professeur, Lyon I .rapporteur.

    WEIL-BARAIS Annick, professeur, universit Angers..examinatrice.

    Nom du Laboratoire UMR STEF ENS CACHAN/CNRS

    61, avenue du Prsident Wilson, 94235 CACHAN CEDEX (France)

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    Le rle de laction dans lducation scientifique

    lcole maternelle.

    Cas de lapproche des phnomnes physiques.

    (table des matires en fin de document)

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    Le rle de laction dans lducation scientifique

    lcole maternelle.

    Cas de lapproche des phnomnes physiques.

    Introduction : une recherche en didactique des sciences

    Lobjet de la recherche est lducation scientifique lcole maternelle. La question

    est de savoir sil est possible de viser une ducation scientifique, ds cet ge et lcole. Il

    faut donc en premier lieu dfinir ce que pourrait tre une ducation scientifique entreprise ds

    lcole maternelle. Il faut tablir un cadre pour une telle ducation scientifique, et ltablir

    selon les rsultats des recherches en didactique des sciences, en intgrant des donnes de la

    recherche en psychologie pour tenir compte des contraintes ducatives lies au jeune ge des

    lves. Cette recherche est donc propositionnelle, cest une recherche empirique, rendant

    compte de la conception, de lessai et de lvaluation dun projet dactivits visant une

    ducation scientifique lcole maternelle.

    Bien que relative lcole maternelle, notre recherche relve de la didactique des

    sciences. En effet, nos finalits, nos questions, nos mthodes sont celles de la didactique des

    sciences. Lobjectif tant de concevoir des contenus et des dmarches dducation scientifique

    pour lcole maternelle, il y a une responsabilit didactique vis--vis de ces contenus et de ces

    dmarches, une responsabilit relative la lgitimit des propositions. Cest principalement ce

    fait qui inscrit notre recherche en didactique des sciences, car comme le dit Jean-Louis

    Martinand : Le terme didactique dsigne ltude des processus denseignement et

    dapprentissage du point de vue privilgi des contenus. [...] tout didacticien exerce une

    responsabilit vis--vis des contenus, soit pour leur cration ou leur adaptation, soit pour

    leur lgitimit ou leur intgrit. 1 Il est question dune rflexion sur les savoirs, ce qui relve

    de la didactique. La recherche en didactique a t amene construire des concepts, et ce sont

    certains de ces concepts qui constituent les lments pour notre cadre thorique. Les concepts

    1 Jean-Louis Martinand, 1994 d, p.254 & 255.

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    impliqus dans notre travail sont : le concept de pratique de rfrence, le concept de

    reprsentations, ceux de conceptions et de concepts en acte, celui dobjectif-obstacle, celui de

    rfrent empirique, celui de modlisation, celui de problmatisation. Nous reprenons comme

    un acquis didactique quau fond les contenus, les savoirs ne se transmettent pas, mais

    doivent tre reconstruits, appropris. La mtaphore de la transmission na pas de valeur ds

    que lon sintresse aux mcanismes. Cela conduit accorder de plus en plus dimportance

    aux recherches qui tudient lappropriation en sintressant aux aspects lis au

    dveloppement psychologique et aux mdiations pdagogiques mises en uvre. 2 Jean-Louis

    Martinand prcise que les recherches de terrain permettent de faire la diffrence avec ce qui

    relve de lopinion, que ce soit celle des universitaires spcialistes des disciplines ou celle des

    psychologues, des sociologues, des historiens, des philosophes. Il prcise galement que les

    interactions avec les sciences cognitives et lhistoire de lenseignement sont particulirement

    utiles aux didacticiens. Et cest bien le cas de notre recherche, qui vise fonder des pratiques

    pdagogiques non pas sur la tradition ou lempirisme, mais sur une approche rationnelle et

    didactique. Du point de vue de la professionnalit des enseignants, il sagit de suggrer une

    gamme de possibles et non un enfermement dans une modalit unique dinterventions. Notre

    recherche tudie lappropriation de concepts relevant de la physique, elle sattache la

    premire approche de ces concepts, et surtout lappropriation de dmarches intellectuelles

    typiquement scientifiques, appropriations ralises par des lves singuliers qui apprennent

    ensemble. Linscription de notre recherche dans le domaine de la didactique tient galement

    au fait quelle examine ltude des reprsentations des lves, de leurs modes de

    raisonnement, et aussi lanalyse du mode dintervention de lenseignant (JP Astolfi, 1989, p. 9

    & 10). Notre recherche analyse des processus, en particulier les conduites des lves et des

    enseignants. Comme la plupart des recherches en didactique, cette recherche vise une plus

    grande comprhension des processus relatifs lapprendre, ceux qui caractrisent

    lapprentissage scientifique, dans une perspective defficacit accrue de lacte

    denseignement. Le but est de faire mieux russir les lves, et en plus grand nombre.

    Deux questions vont dominer ltude. La premire concerne les critres de

    scientificit retenir pour cette ducation scientifique premire puisque le problme est de

    savoir comment penser une ducation scientifique, didactiquement, pour des lves de 3 6

    ans. La premire question fondamentale est donc : Quelles caractrisations pour une

    ducation scientifique lcole maternelle ? et en corollaire bien sr : Quelles interventions

    enseignantes ? La seconde question de recherche tant : Quels rles peut jouer laction ?

    Comment laction peut-elle permettre datteindre ces objectifs ? Linterrogation porte

    ncessairement sur laction, du fait que lon se place lcole maternelle. En effet, on

    2 Jean-Louis Martinand, 1994 d, p. 255-256.

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    constate un consensus chez les psychologues selon lesquels cet ge, cest laction qui est le

    mode dintervention privilgi, comme le dit Marcel Crahay dans ses recherches sur

    lapprentissage en cole maternelle, Les enfants sont naturellement motivs pour agir et

    cest notre levier dintervention. 3 Laction tait initialement interroge du fait du jeune ge

    des lves, mais cest finalement une interrogation plus gnrale, plus fondamentale, sur le

    rle de laction et ses limites qui est ouverte. Laction sera ainsi entendue avec diffrentes

    acceptions, du geste individuel lactivit collective, de lapprentissage par laction selon

    Piaget, la thorie de lactivit de Lontiev.

    Pour dfinir un cadre pour lducation scientifique cole maternelle, nous prendrons

    essentiellement appui sur les travaux de Jean-Louis Martinand et son quipe (le LIREST puis

    STEF). Notre problmatique est en effet de type curriculaire, tablie sur les questions

    fondatrices du laboratoire STEF pour les propositions de curriculum. Quels principes

    fondateurs ? Quels principes organisateurs ? Quels enseignements lmentaires et

    progressifs ? Les questions poses par Jean-Louis Martinand sont : Comment construit-on les

    activits scolaires ? Avec quoi pense-t-on ? Avec quoi travaille-t-on ? Que veut-on changer ?

    Quels futurs adultes souhaite-t-on former ? Il sagit de rpondre en terme de rfrence au rle

    social de la discipline. Il sagit de la construction, linvention mme dactivits scolaires en

    relation des pratiques de rfrences. Il sagit en effet douvrir des possibles et non

    seulement de mieux habiller ou de critiquer un mauvais habillage 4 Dsigner les

    rfrences des activits et les fins vises par celles-ci passe [...] bien avant la construction des

    savoirs faire acqurir. 5 Cest ainsi que ce qui orientera notre choix pour une ducation

    scientifique lcole maternelle sera dune part les missions vises, dautre part, et bien sr en

    cohrence, le choix des rfrences. Les travaux de ce laboratoire concernent surtout lcole

    lmentaire et le second degr, des applications destination de lcole maternelle sont

    donc concevoir afin de prendre en compte les spcificits lies lcole maternelle, car nous

    dsirons laborer des propositions de pratiques scolaires conues pour des enfants de trois

    six ans, et non projeter les activits scientifiques existantes lcole lmentaire sur lcole

    maternelle, moyennant quelques adaptations.

    Sans entrer ds maintenant dans les dtails de notre cadre de rfrence didactique

    signalons toutefois les points-cls. Parmi les nombreux points emprunts aux travaux de Jean-

    Louis Martinand, deux sont prpondrants : la dmarche de modlisation caractrise par les

    aller et retour entre registre empirique et modle explicatif et lentre par les activits. Cest

    ainsi que prvoir une entre possible par les activits en tant que telles en posant que lactivit

    3 Marcel Crahay, 1983 a. 4 Jean-Louis Martinand, 1989, p. 25. 5 Jean-Louis Martinand, 2001 b, p. 257.

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    est en soi ducative, comme le fait Jean-Louis Martinand, est finalement une proposition rare

    en didactique. Une mission de promotion dune pdagogie de laction, par et pour la

    ralisation collective, comme valeur en soi, dans une perspective de dveloppement personnel

    dabord 6 Il sagit bien daffirmer que cest la participation la ralisation collective en

    elle-mme qui est ducative en promouvant des valeurs et des dispositions (mission

    pdagogie de laction) 7 Ou encore, Il faut la penser (la discipline) dabord partir

    des activits. Cest lengagement dans linvestigation, dans lappropriation dun savoir

    accessible qui est formateur. 8 Certaines positions didactiques sont ainsi en harmonie, en

    cohrence profonde, avec certaines positions philosophiques. Il y a des cadres de pense qui

    sembotent (et dautres qui se heurtent ou qui sexcluent) entre options philosophiques,

    psychologiques et didactiques. Nos rfrences psychologiques seront essentiellement

    walloniennes, vygotskiennes et lontieviennes. Les thories de Wallon, de Vygotski et

    Lontiev sur lorigine sociale de la pense nous semblent trouver leur cho dans le concept de

    pratique sociale de rfrence de Jean-Louis Martinand, ainsi que dans sa proposition dentre

    par les activits. Quant aux relations entre laction et la pense, chez Vygotski mais surtout

    chez Wallon, elles semblent se couler avec aisance dans la problmatique du concret et de

    labstrait dveloppe par Jean-Louis Martinand dans ses propositions relatives la

    modlisation. Le seul contact avec les choses ne saurait donner lieu des connaissances,

    cest--dire des reprsentations maniables en dehors de leur prsence effective. 9 Wallon

    pense que grce la fonction symbolique il devient possible pour lenfant dchapper

    lordre des choses actuel, immdiatement ralisable, et il lui devient possible de limaginer

    diffrement, soit dans le pass, soit pour lavenir, soit seulement dans le monde des possibles.

    (Henri Wallon, 1945/963, p.10). Il sagit pour lenfant dun vritable passage oprer

    entre le perceptif et le reprsentatif, du passage de ce qui est sensoriellement actuel sur un

    autre plan, sur le plan de lobjet mental. Cest ce quon appelle couramment la formation des

    concepts et ce passage constitue, dit Wallon, un moment capital dans lvolution

    intellectuelle de lenfant. 10 Et par ailleurs Wallon dveloppe comment la figuration nest

    possible que si le sujet est impliqu dans des activits. Par activit, il ne sagit aucunement

    dentendre activisme, activit qui se donne voir en tant que mouvement mais qui nest que

    cela, ce qui pourrait tre effectivement une drive potentielle, notamment lcole maternelle.

    Il sagit au contraire de laction dans lactivit collective, de laction comme exprience vcue

    incontournable pour accder un autre registre, le registre de llaboration intellectuelle dans

    le schma de modlisation de Jean-Louis Martinand, ce que Jean-Yves Rochex et lisabeth

    6 Jean-Louis Martinand, 2000, p. 4, soulign par lauteur. 7 Jean-Louis Martinand, 2003, p. x +7. 8 Jean-Louis Martinand, 1994 a, p.52. 9 Henri Wallon, 1945/963 p. 138. 10 Henri Wallon, Perception et concept, 1949, p.8.

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    Bautier entendent par secondarisation. Marcel Postic signalait dj cette spcificit dans les

    travaux de Jean-Louis Martinand se limitant une simple curiosit intellectuelle et dsir

    de dcouverte ? Non. Volont de matriser les situations quotidiennes en vue dagir. En

    commenant tt dans la scolarit, on accde ainsi une culture technique. 11 Ainsi lcole

    maternelle se doit de ne pas seulement sen tenir au registre de la familiarisation pratique, et

    autant il est indispensable de donner toute lpaisseur ncessaire au rfrent empirique, autant

    il faut galement entrer dans le registre des laborations intellectuelles, ds la maternelle.

    Comme le dit lisabeth Bautier : Lcole maternelle ne peut limiter ses objectifs une

    logique de dveloppement de lautonomie de lexpression de la communication et de

    lpanouissement individuel, non plus qu une logique de normalisation et de socialisation

    au seul vivre ensemble lcole. 12 Cest donc bien ds la maternelle quil faut

    commencer laventure intellectuelle.

    Dautres concepts de didactique nous seront indispensables, outre la dmarche de

    modlisation et limportance de llaboration dun rfrent empirique, nous nous appuierons

    trs fortement sur les travaux relatifs la problmatisation, essentiellement sur ceux de

    Michel Fabre et Christian Orange, parce que, plus que dautres, ces auteurs sattachent plus

    la construction du problme qu la vracit de sa solution. Nous nignorerons pas pour autant

    les travaux relatifs la rsolution de problme, notamment ceux de Michel Caillot & Andre

    Dumas-Carr, de Monique Goffard. Et bien sr, dun bout lautre de notre tude, nous nous

    appuierons sur les travaux relatifs aux conceptions des lves et leur prise en compte dans

    lapprentissage, tout spcialement les trs nombreux travaux dAndr Giordan, qui fut le

    prcurseur en la matire, et le principal vulgarisateur des travaux sur les conceptions,

    permettant ainsi une large diffusion de cet outil chez les enseignants, et entranant une

    modification de la conception enseignante de lapprendre. Sagissant dlves de lcole

    maternelle, nous proposerons une mthodologie spcifique et nouvelle pour le recueil des

    conceptions : par rapport au recueil traditionnel se limitant souvent au registre oral ou crit,

    nous prendrons en compte de faon privilgie le comportement, les gestes, et les actions des

    lves pour accder leurs conceptions.

    Pour ce qui relve de laction, nous sortons du champ de la didactique. Mais de

    nombreux auteurs ont travaill sur laction, et se sont attachs au rle de laction dans

    llaboration de la pense. Cest le cas de Piaget, Wallon et Vygotski, et nous nous rfrerons

    leurs travaux ainsi qu ceux de leurs successeurs en psychologie cognitive. voquons pour

    linstant la conclusion, concernant le rle de laction dans la conceptualisation, que propose

    11 Marcel Postic, Jean-Louis Martinand, 1995. 12 lisabeth Bautier, 2000, p. 8.

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    Vygotski dans son travail sur les relations entre pense et langage : Au dbut tait le

    Verbe.13 cette parole de lvangile Goethe a rpondu par la voix de Faust : Au dbut

    tait lAction14, voulant par l dprcier le mot. 15 Vygotski, en conclusion de son ouvrage

    majeur Pense et langage dit que lon peut accentuer diffremment ce verset biblique si lon

    considre lhistoire du dveloppement humain : au dbut tait laction. Le mot reprsente un

    stade suprieur du dveloppement de lhomme. Le mot ntait pas au dbut. Au dbut il y a

    avait laction. Le mot constitue la fin plutt que le dbut du dveloppement. Le mot est la fin

    qui couronne luvre. 16 Lapothose de la conceptualisation se trouve donc bien dans le

    mot, mais elle ny dbute pas. Et il y a aussi des mots creux, vides de sens, car ils ne sont pas

    laboutissement dune conceptualisation, mais issus dun pur verbalisme, ce sont des mots

    privs de pense nous dit Vygotski. Quest-ce quun mot priv de pense ? Le mot priv

    de pense est un mot mort. 17 Tout louvrage de Vygotski tend nous faire dcouvrir le

    rapport dynamique entre la pense et le mot, il analyse le passage de la pense au mot : pour

    lui le mot est la ralisation, lincarnation de la pense. Il reprend Hegel qui considrait le mot

    comme un tre anim par la pense, et souligne que cet tre est absolument ncessaire nos

    penses. Vygotski souligne que les mots ne sont pas rien pour la pense, que leur relation est

    puissante, que les mots alimentent et modifient la pense en retour (Vygotski, 1985, p. 376-

    384). Mais la pense, do vient-elle ? Vygotski consacre un chapitre entier de son ouvrage

    (Vygotski, 1985, p. 111-142), montrer, grce un faisceau de recherches concourantes, que

    la pense et le langage ont des racines gntiques diffrentes, que le dveloppement de la

    pense et celui du langage suivent des cours diffrents et indpendants lun de lautre, jusqu

    un certain moment, o les deux cours se rejoignent et partir duquel la pense devient verbale

    et le langage intellectuel (ibid., p. 125 128). Lintervention ducative se doit donc de tenir

    compte de ce point nodal, qui se situe justement au moment de lentre de lenfant lcole

    maternelle. Donc, la pense nest pas rductible au langage, ni mme au langage sans le son

    selon la conception bhavioriste, et la relation entre pense et langage nest mme pas

    originelle, cest par contre une relation qui se construit : mais, aussi importants que soient ces

    faits, ils ne disent pas pour autant la racine gntique de la pense. Pour Vygotski, qui dnie

    tout autant lorigine biologique que lorigine spiritualiste, elle est essentiellement dorigine

    socio-historique et trouve sa racine dans lactivit sociale des hommes, do sa position : au

    dbut tait laction. Lon remarquera que cette sentence utilise par Vygotski en conclusion

    de son ouvrage Pense et langage, est celle employe par Wallon ds les premires lignes de

    13 Cest ainsi que la redonne Vygotski, mais en fait la citation exacte est : Au commencement, il y avait le Verbe. Evangile selon saint Jean. La Bible. Jn 1/1. 14 J.W. Goethe, Faust, premire partie, cabinet de travail 15 Vygotski, 1985, p. 384. 16 Ibid, p. 384. 17 Ibid, p. 384.

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    son ouvrage De lacte la pense, attribuant Au commencement tait le Verbe, aux

    idalistes, aux disciples mystiques de Platon, lopposant aussitt Au commencement tait

    lAction, pour rappeler que cest l un vieux dbat qui divise encore les philosophes

    (Wallon, 1942, introduction). Laissons la parole Piaget qui rsume lvolution de ses

    positions sur cette question lors dune analyse autocritique rtrospective de son uvre :

    toute la suite de mes ouvrages sur la gense des oprations intellectuelles partir de laction

    elle-mme, et sur la gense des structures logiques partir des coordinations de laction,

    dmontre suffisamment que je ne spare pas la pense de laction.18 Nous reviendrons sur

    les travaux de Piaget, de Vygotski et de Wallon, Wallon pour qui la pense part de laction et

    retourne laction, sans que pour autant la pense ne soit dj dans laction, la pense se

    situe sur un autre plan que celui de laction, celui de la reprsentation. Pour ces trois auteurs,

    il y a relation forte entre lacte et la pense, mais les analyses quils font de cette relation sont

    diffrentes, voire opposes. De cadres thoriques divergents, rsulteront des implications

    didactiques et pdagogiques antagoniques, qui donneront donc lieu des pratiques scolaires

    notablement diffrentes.

    Le mmoire est compos comme suit.

    La premire partie interroge les enjeux et le contexte et fait le point sur ltat de la

    question. Quel intrt peut-il y avoir tenter de dbuter si tt une ducation scientifique, alors

    que, a priori, le dveloppement mental semblant ncessaire pour pratiquer des activits

    scientifiques apparat comme lapanage denfants nettement plus gs ? Que se fait-il lcole

    maternelle dans le domaine des sciences, et que sest-il dj fait ? Quelles sont les pratiques

    prescrites ? Quelles sont les pratiques relles ? Y a-t-il des recherches sur ces diffrentes

    questions, que donnent-elles ? Cette premire partie permet de contextualiser notre recherche.

    La seconde partie consiste en llaboration de la problmatique de la recherche.

    Comme cette recherche a pour objet de concevoir des contenus et des dmarches dducation

    scientifique lcole maternelle, il sagit de dcliner toutes les questions, de raliser toutes les

    investigations, permettant de contribuer la question centrale : Quelle ducation scientifique

    peut-on envisager lcole maternelle ? Ces questions sont avant tout dordre didactique,

    pour tablir des critres de scientificit, et envisager une ingnierie enseignante en

    adquation. Dautres questions se situeront dans le champ de la psychologie afin de prendre

    en compte le dveloppement intellectuel des enfants, de situer le rle de laction, de lactivit

    18 Piaget, 1962/1985, p. 391.

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    dans lapprentissage, permettant ainsi denvisager des caractrisations scientifiques possibles

    pour cette tranche dge.

    La troisime partie prsente le dispositif de recherche. Tout dabord une prsentation

    du projet dducation scientifique labor : conception des activits scolaires et des

    interventions enseignantes visant une ducation intellectuelle, ducation au raisonnement et

    attitudes scientifiques, selon les lments dtermins en deuxime partie. Ces

    comportements et comptences seront mis en uvre lors dactivits relatives des

    phnomnes qui relvent gnralement de la physique ; ce titre lon pourra dire quil sagit

    galement, bien que trs modestement, dune premire approche scolaire des phnomnes

    physiques en question. Des projets ont ainsi t mens dans les domaines de loptique

    (ombres et lumire, miroir), de la mcanique (engrenages, mouvement), de llectricit, du

    magntisme, et surtout de lhydrostatique (jeux deau, dplacements deau). En fait un projet

    sera ensuite tout spcialement analys, projet o le matriel propos (toutes sortes de plans

    inclins et de mobiles) permet de mettre en jeu des problmes relatifs au mouvement, au

    roulement, la mise en mouvement, et daborder les concepts de vitesse, de trajectoire et

    dinertie. Viendra ensuite la prsentation de la mthodologie de la recherche, puis celle de la

    mthodologie de lanalyse du corpus. Il sagira dexpliciter les indicateurs retenus pour

    lanalyse des donnes, et les critres dinterprtation : ce qui nous permet de valider ou non la

    mobilisation de telle ou telle comptence ou de tel ou tel concept, ce qui nous permet

    destimer des diffrences de niveau dans ces mobilisations, nous permettant dtablir

    lexistence dun progrs, ce qui nous intresse est la dynamique lie au mode dactivits

    scolaire propos.

    La quatrime partie prsente les rsultats. La thse est propositionnelle, il sagit donc

    la fois de ltude de faisabilit du projet dducation scientifique labor, et de ltude

    interprtative des processus en jeu. Lors de la mise lpreuve du projet ducatif dans le

    systme scolaire, ltude de faisabilit porte sur deux registres : faisabilit du point de vue des

    lves, faisabilit du point de vue des enseignants. Il sagit de savoir quels sont, parmi les

    objectifs didactiques poursuivis, ceux qui peuvent tre atteints et jusqu quel point. Bien sr

    il ne sagit que dtudes de cas, les cas analyss permettant de poser des problmes

    didactiques et de faire avancer la comprhension.

    La dernire partie propose des discussions. Une discussion interne prenant position sur

    les rsultats, sur les difficults rencontres lors de lessai, sur les situations qui semblent

    facilement reconductibles et transfrables, et sur celles qui le semblent moins. Une discussion

    externe soumet notre travail au regard dautres chercheurs, pointant certains de nos rsultats

    qui peuvent interpeller, confrontant certains de nos rsultats avec les rsultats dautres

    recherches. Il sagit galement de discuter linterprtation mme des rsultats car, comme le

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    disait dj Vygotski comme toute tude qui cherche apporter une solution neuve un

    problme, on est amen tout naturellement se demander ce que notre travail contient de

    nouveau et, par consquent, de discutable19 Ce qui est trs consensuel Car lintrt est

    de donner critiquer linterprtation des rsultats, puisque, comme dans toute activit de

    recherche, la critique concourt la garantie du produit. 20

    La conclusion reprendra les contributions principales et reconsidrera les enjeux. Les

    apports sont de deux types : dune part la proposition dun cadre pour lducation scientifique

    en cole maternelle, avec plusieurs essais tests, dautre part analyse du rle de laction dans

    les diffrentes caractrisations scientifiques choisies. Cette partie est nouvelle puisque de

    nombreuses recherches - en psychologie puis en psychologie cognitive - ont dj port sur

    lapprentissage par laction, mais quaucune na regard le rle de laction du point de vue de

    la conceptualisation des phnomnes physiques. Lanalyse tait toujours faite dun point de

    vue structurel et/ou dveloppemental (origine et volution des oprations mentales, gense

    des structures logiques), et laction navait jamais t considre comme un moyen

    permettant dacqurir des postures et attitudes scientifiques, jamais interroge en tant

    qulment participatif llaboration de comptences typiquement scientifiques, comme la

    problmatisation et la modlisation. Cest donc sous un angle totalement nouveau relevant de

    la didactique de la physique que laction est ici interroge. Il pourrait sembler bien audacieux,

    voire prsomptueux de prtendre approcher les phnomnes physiques avec des enfants de cet

    ge, mais les rsultats parlent deux-mmes. Toutefois les vritables enjeux sont ailleurs. Au-

    del de la question dune premire approche des phnomnes physiques ds la maternelle -

    laquelle ce travail pourrait se cantonner en montrant quelle est possible - la question

    importante est dinterroger le rle dune ducation scientifique, en tant quducation la

    raison, dans cette tranche dge. Interrogation relative certes la vise dune meilleure

    formation scientifique ultrieure, mais essentiellement relative une autre vise : celle de

    laccessibilit du plus grand nombre un comportement rationnel, permettant terme

    lexercice raisonn des droits de citoyen. Interrogation non centre sur la formation dun

    grand nombre dexperts, mais sur celle dun grand nombre de citoyens duqus, capables dun

    accs raisonn aux ressources expertes, capables dun raisonnement rationnel, capables de

    prises de dcisions informes. Une finalit donc essentiellement thique et dmocratique. Si

    la ncessit dduquer la raison entre trois et six ans savre une condition capitale pour

    permettre lavnement dune pense raisonne et raisonnante, alors les enjeux sont in fine des

    enjeux sociaux. Et il faudra faire le choix entre une formation litiste qui pourra toujours se

    19 Vygotski, 1985, prface p. 29. 20 Van der Maren, 1995, p. 479, cit par A Terrisse, 2001, p. 11.

  • 12

    passer dune ducation scientifique ds lcole maternelle ou celui de tenter un accs la

    raison pour le plus grand nombre.

    La conception ducative de Wallon montre

    la fois la possibilit de lducation et les

    responsabilits des ducateurs vis--vis de lenfant.

    Elle rsout lopposition du biologique et du social

    ni dterminisme biologique, ni dterminisme social,

    laction ducative consciente nest ni toute puissante

    ni totalement inefficace(daprs Zazzo, 1962).

    Wallon insiste constamment sur limportance du

    milieu ce nest pas le ftichisme invtr de

    ses parents qui peut interdire un individu plac ds

    son enfance dans des conditions favorables de

    sapproprier et dutiliser avec le maximum

    defficacit les notions et les formules intellectuelles

    qui mettent chaque jour davantage la causalit

    physique la discrtion de lhomme. Henri Wallon.

  • 13

    I - Contexte et enjeux de la Recherche. tat de la question

    Cette premire partie interroge les enjeux et le contexte de notre recherche et fait le

    point sur ltat de la question. Quel intrt peut-il y avoir tenter de dbuter si tt une

    ducation scientifique, alors que, a priori, le dveloppement mental semblant ncessaire pour

    pratiquer des activits scientifiques apparat comme lapanage denfants nettement plus gs ?

    Que se fait-il lcole maternelle sur ce registre ? Quelles sont les pratiques prescrites ?

    Quelles sont les pratiques relles ? Quelles sont les spcificits de lcole maternelle ? Y a-t-il

    des recherches sur ces diffrentes questions, que donnent-elles ? Cette premire partie permet

    de contextualiser notre recherche, den situer les enjeux.

    I - 1. Faire des sciences lcole maternelle ?

    Faire des sciences lcole maternelle ! Est-ce bien raisonnable ? Mais dj

    apprendre tout court, des sciences ou dautres choses, a toujours pos problme lcole

    maternelle. Quand je pense quil y a des enfants de 2 6 ans lcole, je ne sais si je dois

    rire ou pleurer [...] Croyez aussi que nous comptons sur vous, (les institutrices de maternelle)

    pour changer nos pleurs en un sourire reconnaissant. 21 Cette rflexion, faite lors dune

    confrence par Mme Kergomard22, Inspectrice Gnrale des coles maternelles de 1881

    1917, nous semble garder toute sa pertinence. En effet, bien des entreprises inhrentes cole

    maternelle ont t tour tour encenses et critiques, car leurs mises en oeuvre ont donn tout

    et son contraire, ce qui apparaissait enthousiasmant pouvant finir par devenir inquitant dans

    les faits, voire dangereux pour les enfants. Avant mme lavnement23 de l'cole maternelle,

    21 Pauline Kergomard, 1910, p. 40. 22 Pauline Kergomard, 1910, p. 40. Pauline Kergomard jouera un rle essentiel pour la reconnaissance dune spcificit pdagogique pour cole maternelle, une pdagogie adapte aux petits respectant les besoins, la particularit et la dignit du jeune enfant. 23 Traditionnellement les historiens font remonter les origines de lcole maternelle 1770 avec la cration de petites coles tricoter linstigation du pasteur Jean-Frdric Oberlin et sa femme, dans huit villages des Vosges. Il sagissait doccuper et dinstruire ces enfants de 4 7 ans laisss sans surveillance par leurs parents ouvriers dans les filatures vosgiennes. Linstruction comportait 3 4 heures par jour dapprentissage du tricot et de la couture, do leur nom. Il faut ensuite attendre 1801, avec louverture de la premire salle dhospitalit Paris par Adlade Pastoret (marquise du-), mais qui est une crche plus qucole, et surtout un chec cependant en 1815, dautres ouvertures de salles dhospitalit furent russies. Puis en 1926 souvrent les deux premires salles dasile Paris, rue du Bac et rue des Gobelins, par Mme Emilie Mallet (fille dOberampf) et Denys Cochin, maire du XIIime arrondissement. Denys Cochin qui fait ensuite construire un groupe scolaire sur sa fortune personnelle (cole lmentaire et salle dasile), et en fait donation la ville de Paris ; qui envoie Mme Eugnie Millet, femme du peintre, en 1827 en Angleterre pour observer les infant schools. (Les infant schools sont cres ds 1816 en cosse par Robert Owen, industriel qui organisa la garde des enfants des ouvriers de sa manufacture de coton.).Le mme Denys Cochin invente peu peu une mthode adapte lge

  • 14

    les salles dasile, classiquement qualifies danctres de lcole maternelle franaise, sont

    dj soit glorifies et objet du plus grand dvouement, soit trs svrement critiques.

    Effectivement elles se veulent tre limage des premires tentatives ducatives pour cet ge,

    certes parfois un peu idalises, et sous lgide de grands philosophes et pdagogues tels

    Montaigne, Rousseau, Pestalozzi, Frbel Soit elles sont pointes du doigt pour leurs

    dysfonctionnements dans les pratiques relles : surnombre, jusqu quatre cents marmots et

    plus dans une mme cole24, et de ce fait la pdagogie est militarise, avec claquoir et sifflet

    pour scander et stopper les activits collectives, obtenir dans linstant silence et immobilit,

    pour mettre fin un exercice ou en scander sa mesure, tout marche la baguette

    (description-prescription donne par le manuel de Cochin de 1833). Une pdagogie non pas

    centre sur le respect de lpanouissement de lenfant, sur son besoin de jeu et de

    mouvement, telle que la prsente les grandes dclarations, mais sur lobissance, la

    soumission, le respect de pratiques religieuses et lacquisition dune bonne moralit. Ce

    double phnomne se retrouve galement aprs les lois laques de la troisime rpublique et

    lavnement de lcole maternelle. Les lois ds 1881 abolissent linstruction religieuse au

    profit de la seule ducation morale, limitent le nombre dlves (100 150 maximum25), et

    vont, sous linfluence de Ferry, Buisson, Grard, gommer laspect caritatif et mettre en avant

    la mission dducation et dinstruction Mais nouveau les pratiques resteront bien souvent

    des enfants, puis rdige en 1933 un ouvrage de conseils pour lenseignement en salle dasile. Mme Mallet soccupera de salles dasile pendant plus de trente ans. En 1933 deux circulaires reconnaissent un rle dinstruction aux salles dasile, et parlent de premire cole. Circulaire dAdolphe Thiers, mars 1833 : Il ne peut tre que fort utile de commencer linstruction ds lge le plus tendre : et tel semble devoir tre le but principal des salles dasile, qui formeraient le premier degr de lenseignement lmentaire, et que, pour cette raison, on pourrait appeler plus justement petites coles ou coles de l'enfance. (Circulaire dAdolphe Thiers, mars 1833).Et En premire ligne se prsentent les coles les plus lmentaires de toutes, celles qui sont connues sous le nom de salles dasile et o sont reus les petits enfants de lge de deux ans lge de six ou sept ans, trop jeunes encore pour frquenter les coles primaires proprement dites, et que leurs parents, pauvres et occups, ne savent comment garder chez eux. (Circulaire Franois Guizot, juillet 1933). Le ministre Salvandy, neveu de Mme Mallet, officialise et rglemente les salles dasile en 1837, Les salles dasile, ou coles du premier ge, sont des tablissements o les enfants des deux sexes peuvent tre admis jusqu lge de six ans accomplis pour recevoir les soins de surveillance maternelle et de premire ducation que leur ge rclame. Il y aura dans les salles dasile des exercices qui comprendront ncessairement les premiers principes de linstruction religieuse et les notions lmentaires de la lecture, de lcriture, du calcul verbal. On pourra y joindre des chants instructifs et moraux, des travaux daiguille et tous les ouvrages de main. Carnot, le 28 avril 1848, dbaptise les salles dasile pour les appeler coles maternelles mais cela sera phmre et ce nest quen 1880 que cesse lappellation salles dasile, et quadviennent vritablement les coles maternelles. La diffrence majeure avec la circulaire de 1837 est quapparat le dveloppement intellectuel. Etablissement de premire ducation o les enfants des deux sexes reoivent en commun les soins que rclame leur dveloppement physique, intellectuel et moral. Par rapport aux salles dasile, laspect caritatif, disparat officiellement au profit de laspect ducatif et les lois laques de 1881 abolissent lducation religieuse. Cest lcole, tous les degrs que se fait la fusion des diffrentes classes sociales. Lcole est le vrai berceau de la dmocratie. Encore faut-il que son titre nhumilie pas les uns et nloigne pas les autres dira Pauline Kergomard en 1986. Rsum ralis daprs A.Prost 1968, A.Prost 1981, F. Mayeur 1981J-Luc 1982, C. Nique et C. Lelivre 1990. 24 leffectif est tel que lenseignement mutuel est alors obligatoire. 25 Rparties en deux sections.

  • 15

    nettement en de des ambitions et des dclarations. Malgr plusieurs tentatives de

    recentrage, sous linfluence de Mme Kergomard qui tentera de placer en premier lieu le jeu et

    la libert de mouvement, l'cole maternelle arrivera avec beaucoup de mal se dfaire des

    pratiques des salles dasiles et ce sera bien souvent pour tomber dans des pratiques trs

    proches de celle de lcole lmentaire.26 Mme Kergomard dnoncera ces classes maternelles

    qui ne sont que de petites casernes ou de petites Sorbonne, car pour elle, l'cole

    maternelle, il sagit avant tout dduquer et non dinstruire. Pour obtenir ses lettres de

    noblesse et poser sa spcificit pdagogique, fonde sur la place centrale faite au jeu de

    lenfant et son activit spontane, l'cole maternelle aura pendant longtemps se battre,

    tant contre les mthodes de la salle dasile que contre celles de lcole primaire. Aprs la

    seconde guerre mondiale, lcole maternelle connatra nouveau un phnomne analogue

    quand il sagira de passer dun modle dit productif27 dans les annes 1945, un modle dit

    expressif dans les annes 1980 fond sur le libre panouissement et dveloppement de

    lenfant. Les changements de paradigme ducatif et les changements dans les pratiques ne se

    font pas sans heurts. Nous analyserons plus loin les pratiques prescrites et relles actuelles

    quant lenseignement spcifique des sciences. Longue opposition donc pour l'cole

    maternelle entre les principes fondateurs, les grandes ambitions et les pratiques relles. Faire

    des sciences lcole maternelle, doit-on en rire ou en pleurer ? La rponse nest pas si

    vidente ! Quest-il question de leur faire faire exactement ? Cest ce quil faut examiner en

    premier lieu, et cest ce que nous envisagerons dans les chapitres suivants mais lHistoire

    nous montre quavant toute conclusion, il faudra passer par une tude dune faisabilit

    institutionnelle, afin de ne pas obtenir deffets pervers.

    Quoiquil en soit, la question fait sourire certains scientifiques ou certains enseignants

    de sciences physiques du secondaire ou encore des universitaires. Pour nombre dentre eux,

    on ne peut commencer tudier la physique qu lentre dans leur niveau

    denseignement. De surcrot, ce qui a t fait avant leur intervention, apparat ces personnes

    plus souvent comme une entrave que comme quelque chose de bnfique. Cest ce que Jean-

    Pierre Astolfi nomme le mythe virginal. Le fantasme dtre le premier pour un

    apprentissage. Les prcdents ont forcement gch linstant prsent sy prenant mal ! Cest

    dabord la faute au primaire. Mais jusqu luniversit comprise on entend regretter les

    26 Dans la loi du 18 janvier 1887 Mme Kergomard fait inscrire le jeu la premire ligne du programme, et fait disparatre ce qui dpasse lge des enfants : plus de notions, plus de leons. 27 Eric Plaisance (1977 & 1986) montre comment lcole maternelle passe dun modle dominant quil appelle productif dans les annes 45, un modle dit expressif dans les annes 80. Le modle productif est bas sur les qualits des productions de lenfant, productions juges selon des critres de perfections techniques, en adquation une norme de russite pralablement dfinie. Le modle expressif est bas sur le dveloppement des qualits dexpression de chacun, sur le principe du libre panouissement, plus dtalon de russite ou de perfection mais originalit de lexpression de la personne : les attitudes supplantent les productions.

  • 16

    enseignements antrieurement dispenss. [...] Il faudrait toujours que le travail soit toujours

    parfaitement prpar [...] mais jamais dflor28 Mais ces personnes nimaginent souvent

    ce qui peut avoir t fait avant leur propre intervention, que comme une rduction, une

    simplification de ce que eux enseignent. Dans ces conditions, en suivant ce point de vue, il est

    vident quil y a un stade minimal de dveloppement intellectuel acqurir, et il est

    galement vident que les enfants de lcole maternelle ne matrisent pas encore les

    oprations mentales ncessaires. Ce type dopinion semble trs rpandue dans le corps

    enseignant. Alors pourquoi vouloir faire des sciences lcole maternelle ? Quel intrt ?

    Quelle lgitimit ? Puisquil semble que lon puisse remettre en question lutilit de ce

    type de pratique, quil soit nomm activits dveil scientifique ou dcouvrir le monde ou

    tout autrement.29 Pourquoi un projet de faire des sciences en maternelle ? Un apprentissage

    prcoce savre-t-il utile, en toute innocuit? Quelle pertinence, quel intrt une telle

    dmarche peut-elle avoir pour des enfants de trois six ans ? Ne vaudrait-il pas mieux,

    comme le proposent certains, attendre plus tard, au moins lge de douze ans, voire quatorze

    ou quinze ans30, selon les stades piagtiens, lorsque les enfants matrisent quelque peu les

    oprations formelles et entrent dans la logique formelle, cest--dire deviennent capables de

    manipuler des propositions et de leur faire subir le groupe INRC31, quand ils deviennent

    capables de manier le raisonnement hypothtico-dductif, cest--dire capables dinfrences et

    dhypothses, ainsi que de dductions (cest--dire produire du vrai partir de vrai). Ne

    vaudrait-il pas mieux attendre cette priode avant dentamer un enseignement scientifique ?

    I - 2. Ncessit et possibilit dune ducation scientifique ds lcole maternelle

    I - 2.1. lments sociologiques

    Pourquoi envisager une ducation scientifique prcoce ? Nous y voyons deux raisons :

    ltat de lenseignement scientifique et limpact de la frquentation de lcole maternelle pour

    la russite scolaire ultrieure.

    Un grand nombre douvrages en didactique des sciences commence par ce type de

    constatation : Lenseignement des sciences et des mathmatiques est devenu un enjeu social

    28 Astolfi, lerreur un outil pour enseigner, 1997, p. 70. 29 Nous regarderons de plus prs dans un paragraphe suivant ce que recouvrent ces diffrentes appellations. 30 Et mme 20 ans selon les crits de Piaget de 1966. 31 Groupes des quatre oprations logique de base : I : identique, N : inverse ou ngative, R : rciproque, et C : corrlative.

  • 17

    majeur. 32 Les deux prochaines dcennies seront capitales en matire dducation

    scientifique. 33 Une culture scientifique est devenue ncessaire 34 Lenseignement des

    sciences fait partie de ces sujets rcurrents o, chaque gnration, des esprits minents

    saisissent lopinion publique pour en signaler les insuffisances, et plus rcemment, pour

    salarmer de la dsaffection des jeunes dans les filires scientifiques. 35 Effectivement,

    toutes les tudes36, y compris les tudes internationales, montrent quil y a problme,

    dsaffection et insuffisance des rsultats. Lenseignement scientifique connat une crise, non

    seulement un problme denrlement mais aussi une inefficacit rcurrente, dj longuement

    interroge en didactique. Les premiers travaux en didactique des sciences ont ainsi analys

    cette mauvaise rentabilit de lenseignement scientifique, en vue damliorer les situations

    denseignement et dapprentissage. Le naufrage de lducation scientifique ? [...]Comment

    se fait-il que cet enseignement soit en pure perte pour les trois quarts des lves qui y ont t

    soumis ? 37 Une grande partie des savoirs scientifiques enseigns est oublie au bout de

    quelques annes, voire quelques semaines 38 nous disent les didacticiens. Certains travaux en

    didactique ont cherch les causes de ce peu defficacit de lenseignement (travaux sur les

    conceptions), dautres recherches essaient de proposer des remdiations pour amliorer les

    effets de lenseignement scientifique (travaux sur les obstacles, la modlisation, les

    curricula).

    La seconde raison se rapporte lge des lves. Il y a plusieurs dcennies maintenant

    que des travaux internationaux39 ont montr limportance de lducation prscolaire dans la

    russite scolaire puis professionnelle. Ds les annes 1960 le regard que la socit porte sur

    32 Johsua & Dupin, 1993, p. 1. 33 Giordan et coll. 1994, p. 11. 34 Giordan 1999, p. 9. 35 Goffard & Weil-Barais, 2005, p.13. 36 lchelon international, des tudes ont t menes au niveau des lves de 15 ans par lOCDE (Organisation de coopration et de dveloppement conomiques).Une des dernires en date (PISA : programme international pour le suivi des acquis des lves, dc. 2001).place le Japon et la Core aux deux premiers rangs pour les mathmatiques et les sciences. Plusieurs rapports commands par le gouvernement fdral des USA, rvlent une dficience du systme amricain : dans les disciplines mathmatiques, physique, chimie, sciences naturelles et pour toutes les tranches dge, ces rapports aboutissent la mme conclusion alarmante : aux tats-Unis, le niveau national en sciences est vritablement lamentable, le trs srieux Science & Governement Report nhsite pas parler de catastrophe nationale. En France des tudes plus locales nous alertent de faon semblable. Rapport dvaluation pdagogique annuel du service de la prvision, des statistiques et de lvaluation demand en fin dcole primaire (cours moyen 2e anne [CM2], concernant des lves gs de 10 11 ans), par le ministre de lducation nationale (direction des coles). Cit in : GIORDAN Andr et GIRAULT Yves, 1994 Les aspects qualitatifs de lenseignement des sciences dans les pays francophones, Paris : d. UNESCO-Institut international de planification de lducation (IIPE), 172 pages, p. 3. (cit par J Ueberschlag). 37 Giordan et coll., 1978, p. 8. 38 ibid. 39 En tmoignent, la cration de lOMEP ds 1948 (Organisation Mondiale pour lEducation Prscolaire), regroupant 40 comits nationaux, dont le but est de promouvoir dans tous les pays lducation des jeunes enfants.

  • 18

    lenfant est profondment modifi : lenfant devient une personne, les connaissances

    psychologiques ont une telle diffusion quil est devient vident pour tout le monde que

    tout se joue avant six ans.40 Mme si ce type de dclaration est sans doute abusif, il existe

    une tendance assez forte qui consiste penser que plus on donnera lenfant une stimulation

    intellectuelle prcoce, plus il deviendra vif et intelligent. Il sagit parfois aussi dacqurir une

    intelligence suprieure Ce qui nest pas sans susciter des inquitudes lgitimes. Au dbut

    des annes 70 souvre un dbat passionn41 sur le rle de lcole dans la dmocratisation, et

    tout spcialement celui de l'cole maternelle. Les nombreux programmes de compensation ds

    les annes 1960 aux USA et 1970 en France, ainsi que les nombreuses tudes sociologiques

    relatives limpact de la pr-scolarisation dans la russite scolaire le soulignent. De

    nombreuses tudes montrent aussi que linfluence de lenvironnement est dautant plus

    marque quelle sexerce dans cette priode42.

    Les travaux dEric Plaisance et dAntoine Prost, expliquent par ce changement de

    regard sur lenfant, laugmentation considrable43 de la frquentation de l'cole maternelle en

    France, et surtout le fait que lorigine sociale de son public se modifie progressivement. En

    effet, lorigine l'cole maternelle sadresse aux enfants de familles indigentes, qui, suite la

    rvolution industrielle, ne peuvent assurer ni la garde ni lducation de leurs enfants44. Jusqu

    la seconde guerre mondiale l'cole maternelle continue sadresser quasiment exclusivement

    aux enfants des classes populaires, ensuite elle devient de plus en plus un rel lieu de mixit

    sociale. Lcole maternelle est ainsi passe du statut de garderie des enfants pauvres celui

    dune tape indispensable dans le dveloppement enfantin, et les classes dirigeantes se

    reconnaissent dans cette dmarche, ce qui va primer sur leur vitement de la promiscuit : il y

    a homognit sociale de la frquentation.

    Les tentatives ministrielles sont nombreuses45 pour tenter de remdier au fameux

    handicap socioculturel par les pratiques mises en uvre en maternelle. Mais Basile

    40 Les publications de Dodson y contribuent, notamment Tout se joue avant six ans, Dodson 1972. 41 Quelques uvres majeures structurent ce dbat : Baudelot et Estalet, lcole capitaliste en France, Bourdieu et Passeron, les hritiers, la reproduction, Snyder, cole classe et lutte des classes. 42 Bloom, affirme par exemple que les enfants forment 50% de leur intelligence avant 4 ans et 30% de plus avant 8ans ! 43 La progression du travail fminin nexplique pas totalement la gnralisation de lducation prscolaire, car les deux phnomnes ne sont pas de la mme ampleur. (Prost Antoine, 1981 p. 98) 44 Pauline Kergomard rappelle quil ne faut pas oublier que l'cole maternelle nest pas obligatoire et que si les enfants la frquentent cest que leur famille est pauvre et donc mal loge et mal nourrie, cest parce que la mre travaille au dehors. Ainsi les coles maternelles continuent sadresser quasiment exclusivement aux enfants des classes populaires. Le dveloppement du capitalisme industriel au XIXime sicle entrane la ncessit de recruter des travailleurs en grand nombre la femme latelier et lenfant lasile vitant vagabondage et oisivets, salles dasiles puis coles maternelles constituent une protection aux enfants de la classe ouvrire. 45 Les VIime et VIIime plans, (76-80), sont marqus par les perspectives de prvention des inadaptations et de rduction des ingalits.

  • 19

    Berstein (1964), puis Chamboredon et Prvot46 (1973), puis Eric Plaisance (1977 & 1986)

    montrent bien que si la frquentation prscolaire est bnfique pour tous les enfants, elle

    profite surtout aux enfants des classes moyennes et suprieures47. Plaisance en explique la

    raison : il y a connivence entre les modles pdagogiques de l'cole maternelle et les

    conceptions des classes privilgies, notamment sur le rle du jeu lcole. Ainsi les parents

    de classes populaires demandent avant tout lcole maternelle de bien prparer leur enfant

    la scolarit obligatoire, ils apprcient les acquis immdiats et visibles, les connaissances bien

    identifies. Le jeu reste pour nombre dentre eux une activit gratuite, futile le jeu est

    lenvers du travail, ce nest pas une activit efficace. Au contraire, des parents plus

    intellectuels vont reconnatre, comme le fait lcole, le srieux du jeu48 de lenfant, et surtout

    son rle dans son dveloppement et ses apprentissages Ils ne seront pas inquiets dacquis

    diffrs, non immdiatement visibles ou mesurables, mais stabiliss long terme. Pour Eric

    Plaisance l'cole maternelle a suscit lintrt des classes sociales aises et sest peut-tre

    mme adapte ses demandes spcifiques. Selon les origines sociales, les demandes des

    parents ne sont pas les mmes vis--vis de lcole, la connivence, la comprhension,

    ladhsion ce qui sy fait non plus. Les acquis des enfants qui entrent lcole maternelle ne

    sont pas les mmes : certains sont dj dans la logique et les pratiques qui sont celles de

    lcole, ils sont dentre institus en tant qulves, dautres pas. lisabeth Bautier49,

    reprenant le fil des travaux de Basile Berstein, cherche expliquer comment, en quoi les

    pratiques scolaires de l'cole maternelle creusent encore lcart existant entre les classes

    sociales. Cest ainsi quelle montre que ce qui fait difficult pour certains lves, ds la

    maternelle, cest la non-distinction entre la tche demande et lobjet dapprentissage. Ce qui

    est vident pour les uns ne lest pas pour les autres, en fonction de lorigine sociale... Alors

    que l'cole maternelle prsuppose dans ses pratiques un consensus partag par tous. Ainsi

    lapprendre passe exclusivement par le faire pour un grand nombre denfants issus de

    milieu populaire, et il y a difficult de prendre, dapprendre, une posture cognitive seconde.

    lisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex montrent galement comment les pratiques

    dindividualisation sont perfides et peuvent nuire au sujet parce quelles instaurent des

    pratiques langagires implicites, familires, dans une relation duelle ladulte, o la

    46 Il y a selon Chamboredon et Prvot des fonctions diffrentielles exerces par lcole maternelle vis--vis des diffrentes classes sociales 47 Les enqutes de lducation nationale montrent que les carts entre les groupes sociaux ne se trouvent pas amenuiss par la frquentation de lcole maternelle. Plus rcemment les travaux de Marie Duru-Bellat confirment quil en est toujours ainsi, que la frquentation de lcole maternelle ne rduit pas les carts sociaux mais quau au contraire ils saccroissent. In les ingalits sociales lcole : des analyses sociologiques aux interrogations politiques. Comprendre n 4, PUF p. 53-67. 48 Pour Jean Chteau, 1967, le srieux est le caractre essentiel du jeu de lenfant. 49 E. Bautier, 2006.

  • 20

    dsignation non-verbale est frquente, sans rigueur impersonnelle. Elles sont discriminantes

    puisque cest ainsi lenfant qui est valu et non llve.

    La modification de la population qui frquente lcole maternelle a entran

    pareillement un changement complet au niveau des enjeux. Lhypothse de Plaisance reste la

    mme pour ce qui est des enjeux : les pratiques de l'cole maternelle se sont modifies parce

    que le public sest modifi. Quand la frquentation tait essentiellement populaire, il sagissait

    dinculquer aux enfants des habitudes dordre et dobissance. Il sagit de les rendre plus

    doux et plus polis, de leur faire accomplir leur devoir envers Dieu, leurs parents, leur matre

    et tous leurs suprieurs. 50 Plaisance51 dnonce une volont denrgimenter les enfants

    douvriers ds la salle dasile, et la considre comme une institution au service des classes

    dominantes, pour maintenir les autres dans une position subalterne52. Les enjeux ne sont plus

    tels, mais quels sont-ils ? Officiellement : la russite pour tous les enfants. Mais, nous venons

    de le voir, les chercheurs en sociologie ont montr que l'cole maternelle favorise encore

    actuellement les enfants des classes sociales aises, parce que les valeurs et les pratiques de

    l'cole maternelle sont celles des classes suprieures et non celles des milieux populaires.

    Les programmes de lcole maternelle ultrieurs aux travaux dric Plaisance ont chang, ils

    sont de plus en plus centrs sur les comptences, les valeurs sont donc galement modifies.

    Dans un mouvement de centration gnrale du primaire sur les savoirs et non plus sur

    lenfant53, laccent est mis sur les connaissances que lenfant doit acqurir. Lcole maternelle

    constitue le socle ducatif et pdagogique de lcole. Base, pivot, socle, les derniers

    programmes laffirment clairement, l'cole maternelle est une cole importante. cole

    importante, parce que ce qui peut tre fait cet ge est prpondrant, et quil convient den

    tenir compte tout en prenant en compte des inquitudes lgitimes relatives des excs de

    stimulation intellectuelle prcoce. Lenjeu affich par lcole rpublicaine, cest bien la

    russite de tous.

    Le rle trs bnfique de la frquentation de lcole maternelle pour la russite

    scolaire de tous les enfants, mme si elle reste plus bnfique pour les enfants des milieux

    privilgis que pour ceux des milieux populaires, nest donc plus prouver, ni analyser. Par

    contre limportance ou non dy commencer une relle ducation scientifique na pas encore

    t interroge. La question de savoir ce que lon met derrire ducation scientifique est

    alors fondamentale. Si les enjeux sont dabord et avant tout sociaux, le problme central de la

    50 Arrts de 1838 et de 1855. 51 Plaisance 1977, p. 43. 52 Une des finalits des salles dasile est le contrle par les classes suprieures, en imposant aux classes populaires des comportements acceptables. Pour ltablissement de la morale et maintien de lordre social il faut crer des habitudes dordre et dobissance, dvelopper un ducation religieuse et morale (Plaisance Eric, 1986) 53 la nouvelle loi dorientation, 2005, dite loi Fillon.

  • 21

    recherche est lui didactique. Cette question est de type curriculaire, car mme si lcole

    maternelle nest pas obligatoire,54 il faut prendre en compte quelle est trs majoritairement

    frquente55 en France. La maternelle pour tous ! Dans toutes les rgions et dans tous les

    milieux 56 Pour terminer sur les enjeux sociaux, il faut bien sr rappeler la grande spcificit

    franaise : laccueil est gratuit pour les familles, car il y a prise en charge par ltat. Alors que

    dans la plupart des pays il sagit de garderies, de jardins denfants, ou parfois de premire

    cole, mais presque toujours payants. De plus cette prise en charge ne relve pas des affaires

    sociales, mais de lducation Nationale, lcole maternelle bnficie donc de personnels

    enseignants spcialement forms57.

    I - 2.2. lments psychologiques

    La question nest donc plus de sinterroger sur la pertinence, la ncessit dune

    intervention cole maternelle, la question est maintenant de savoir si une intervention dans

    le registre scientifique est possible : les enfants de cet ge ont-ils acquis le minimum de

    capacits intellectuelles requises ? Un enseignement si prcoce nest-il pas prmatur ?

    Comment situer la limite afin que ces interventions ne soient pas inoprantes plus ou moins

    long terme? Ce sont ici les possibilits psychologiques que nous dsirons explorer et non les

    54 En France, depuis la loi Jules Ferry du 28 mars 1882, article 4, cest linstruction, et non pas lcole, qui est obligatoire, partir de 6 ans. Larticle L.131-2 du code lducation prcise : Linstruction obligatoire peut tre donne soit dans les tablissements ou coles publics ou privs, soit dans les familles par les parents, ou lun dentre eux, ou toute personne de leur choix . Les parents ont par priorit le droit de choisir le genre dducation donner leurs enfants. Dclaration Universelle des Droits de lHomme, 1948, article 26-3. Nul ne peut se voir refuser le droit linstruction. LEtat, dans lexercice des fonctions quil assumera dans le domaine de lducation et de lenseignement, respectera le droit des parents dassurer cette ducation et cet enseignement conformment leurs convictions religieuses et philosophiques. Protocole additionnel la Convention europenne de sauvegarde des droits de lHomme et des liberts fondamentales, 1952, article 2, protocole n1. 55 Les salles dasiles une fois dveloppes (en 1876) regroupaient 25% dune classe dge, aprs les loi laques il y a une retombe de la frquentation, mais partir de 1946 il y a progression continue de la pr scolarisation qui atteint 50 % pour la tranche dge de 2 5 ans ds 1964, et il y a scolarisation des enfants de 4 ans 99, 3% ds 1980 (daprs Plaisance, 1986 & Prost 1981). 56 Expression dAntoine Prost, 1981. Alors que cette scolarisation stagnait peu prs depuis les annes 1930 le nombre de classes maternelles 8745 en 1938-1939 18641 en 58-59 et 31880 en 1968-1969 puis 51830 en 1976-1977 cette date le taux de scolarisation 4 ans est de 97%, au-del des objectifs du 5ime plan. : le dveloppement de la pr scolarisation a t prvu et planifi, il a fait lobjet dun consensus gnral, ctait une vidence pour tous. Le dveloppement de lcole maternelle commence au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 35 ans leffectif a t multipli par quatre fois et demi : Cest spectaculaire ! in PROST Antoine, 1981, Lcole et la famille dans une socit en mutation, 1830-1980, tome IV de Histoire gnrale de lenseignement et de lducation en France, Louis Henri PARIAS directeur, pp14-729, Paris, Nouvelle Librairie de France. 57 Les enqutes montrent qu'un enseignement de qualit passe par un haut niveau de formation du personnel encadrant les enfants dans les structures prscolaires. Notamment D. J. Ackerman (2005) montre l'importance des qualifications et de la formation des enseignants destins lducation prscolaire. [Informations issues de la Cellule de veille scientifique et technologique. (VST)]

  • 22

    possibilits institutionnelles. Cest ce degr de potentialit qui va conditionner directement

    les rponses possibles la question centrale de notre travail : quelle ducation scientifique

    lcole maternelle ?

    Si lon sen rfre aux stades piagtiens la question est rgle, puisque quil faudrait

    attendre le stade des oprations formelles, ladolescence, pour entrer dans le raisonnement

    hypothtico-dductif58. Les partisans et ducateurs piagtiens qui relvent le problme,

    puisque les pratiques pdagogiques font sans cesse appel aux raisonnements inductif et

    dductif, disent par exemple, comme Michel Perraudeau, quelles en prparent

    lacquisition. 59 Pourtant Piaget, et lcole piagtienne par la suite, ne croyait pas en une

    influence de lducation sur le dveloppement, ou trs peu, et alors dans des cas particuliers

    o les tches scolaires savraient de type piagtien, comme le montrent les crits

    pdagogiques de Piaget. Mais les rsultats des travaux de Piaget sont maintenant fortement

    remis en question par un grand nombre de psychologues. La thorie des stades de

    lintelligence, qui a fait la clbrit de Piaget, est trs lgante, sduisante et, premire vue,

    convaincante. Durant la seconde moiti du XXime sicle elle a profondment marqu la faon

    de penser le dveloppement cognitif dans le monde de la psychologie et de lducation. Cest

    toutefois elle qui, [...] fait lobjet des critiques les plus fondes de la part de la nouvelle

    psychologie de lenfant. 60 Les recherches de ces dernires dcennies montrent quil existe

    dj chez le bb des activits cognitives assez complexes, ignores par Piaget, et dautre part

    que la suite du dveloppement de lintelligence est jalonne derreurs, de biais perceptifs, de

    dcalages inattendus, et dapparentes rgressions cognitives, non prdits par la thorie

    piagtienne (Houd, 2004, p. 86). De nombreuses recherches, anglo-saxonnes notamment,

    tudient les capacits des trs jeunes enfants en ce qui concerne leurs activits mentales. Elles

    nous apprennent lexistence de comptences et connaissances insouponnes chez les trs

    jeunes enfants, ds quelques mois. Ces connaissances sinscrivent dans le cadre gnral de la

    cognition physique du bb, i.e. des connaissances prcoces propos du monde des objets, de

    leurs proprits et de leurs relations dans lespace. Par la mise au point de technologies

    dexprimentation permettant dtudier lactivit perceptive des bbs, on sest aperu

    quelles mettaient en jeu les capacits cognitives dcrites par Piaget mais de manire plus

    prcoce que celui-ci ne le supposait. Roger Lecuyer signale que le point essentiel est ce que

    lon pourrait appeler la description dune pense sans langage. [...] La perception est une

    activit. 61 La diffrence nest pas que quantitative, elle met aussi en cause la nature des

    58 Rappelons quen psychologie, la pense hypothtico-dductive est utilise chaque fois que lon raisonne en utilisant un nonc verbal de la forme sialors . La partie si (antcdent) correspond lhypothse et la partie alors (le consquent) la dduction (daprs Houd, 2004, p. 88). 59 Perraudeau, 1996, p. 65. 60 Houd, 2004, p. 17. 61 Lecuyer, 2000, p. 92-93.

  • 23

    processus qui conduisent cette permanence de lobjet (trois mois et demi et non 12 18

    mois chez Piaget). La diffrence avec les situations piagtiennes est dans le geste accomplir

    ou pas, geste que demandait Piaget et que ne demandent pas les psychologues actuels, geste

    qui se prsente comme un problme cognitif et non comme un moyen de rsoudre des

    problmes cognitifs. Lerreur de Piaget, et de tous ceux de son poque, est davoir rduit

    laction laction motrice. Et, Lhypothse de Piaget est quil (le bb) produit ces

    variations, et donc que tant quil en est incapable il ne comprend rien. Piaget a tent

    danalyser lacte comme source de la pense [...] le bb de quatre mois, incapable

    dattraper un objet [...] nen pense pas moins. Nous sommes bien obligs de tenter danalyser

    cette pense comme source de lacte. 62 Si certains travaux ont remis en question les rsultats

    de Piaget sur les stades de dveloppement63, cela vient du fait que la mthode utilise est

    totalement diffrente de celle de Piaget. Lintelligence du bb est teste travers son regard

    et non plus comme chez Piaget travers ses actions, ou travers les discours tenus par

    lenfant sur ses actions. Le principe de cette mthode, propose par R Baillargeon et nomme

    mthode du regard prfrentiel, ou encore mthode de lvnement impossible (ou

    inattendu), est dobserver le comportement du bb lors de situations impossibles, i. e. qui ne

    respectent pas certaines proprits du rel. Si le bb est surpris par ces situations

    inattendues, on considre quil conoit la proprit transgresse. La surprise chez le bb est

    une toute premire forme du sentiment intellectuel. Elle tait dj considre comme la

    chatouille de lme ds la fin du XIXime sicle, par Thodule Ribot64, titulaire de la

    premire chaire de psychologie au collge de France. Cette mthode simple65 est beaucoup

    plus sensible que ne ltait celle de Piaget pour valuer les comptences cognitives. Une

    diminution significative du temps de fixation visuelle indique un moment donn, que la

    situation nintresse plus le bb, car elle nest plus nouvelle pour lui. Il en a intgr

    cognitivement les proprits. Leurs rsultats montrent que les bbs regardent plus longtemps

    - car ils sont surpris - les vnements de type impossible que de type possible (Baillargeon

    2000, p. 55-87). Le fait de ne pas tenir compte des motions semble galement avoir fauss

    les choses ; sur ce point Jacques Mehler du CNRS a apport trs tt un souffle nouveau par

    62 Lecuyer, 2000 p. 95-97. 63 Selon Piaget lenfant dge prscolaire na pas encore acquis le concept de nombre. /../Sur cette question du nombre la thorie piagtienne est lgante et ldifice cohrent et bien structur, mais il na pourtant pas rsist aux vrifications exprimentales ultrieures.[...] Dfendant lide que les principes (comptences) prcdent les habilets (performances) Gelman suggre que les difficults dge prscolaire relvent de composantes procdurales et dutilisation. Ce ne seraient donc pas des difficults dordre conceptuel et logique comme le pensait Piaget.[...] A ceux qui mettent en doute contre Gelman, Mehler ou Wynn la notion du nombre que pourrait avoir lenfant avant 7-8 ans (le stade sacro-saint de Piaget) il faut rpondre quune relle notion mathmatique du nombre chappe encore bien des adultes( Karen Wynn, Yale University) publie dans la revue Nature un fait marquant : la dcouverte de la naissance du nombre avant le langage ( avant 2 ans), en fait par des bbs de 4 5 mois ! (Houd, 2004, p. 55-67). 64 cit par Houd, 2004. 65 Technique denregistrement des temps de fixation visuelle relatifs (vidos et informatiques).

  • 24

    rapport la thorie piagtienne. Ds 1967, son article dans Science implique une forte remise

    en cause de la chronologie du dveloppement du nombre selon Piaget, qui tait alors au

    somment de sa carrire. Les jeunes enfants russissent ds deux ans la fameuse tche

    piagtienne66 si les jetons sont remplacs par des bonbons. Lmotion et la gourmandise

    rendent le jeune enfant mathmaticien, lui font sauter la marche ou le stade dintuition

    perceptive de Piaget. 67 La non-prise en compte des motions peut donc totalement fausser

    linterprtation. Comme le fait remarquer Olivier Houd, on peut dailleurs se demander du

    point de vue du diagnostic cognitif, quelle est la valeur effective des tches o lenfant se

    trompe alors que le risque de se tromper nveille ni aucun enjeu, ni aucune motion !

    Nous ne pouvons rendre compte ici des trs nombreuses capacits ainsi dcouvertes

    rcemment chez les trs jeunes enfants, nous nous limiterons prsenter trs rapidement

    lessentiel des rsultats de quatre types de travaux qui seront particulirement utiles pour notre

    recherche. Il sagit des travaux dlisabeth Spelke, de Rene Baillargeon, des travaux sur les

    thories de lesprit et de ceux sur la thorie de linhibition.

    Nous considrerons en premier lieu les travaux Spelke, car ils interrogent les

    connaissances physiques chez lenfant. Selon dlisabeth Spelke (Harvard University) les

    bbs naissent avec la conscience dun certain nombre de principes physiques de base qui

    guident leurs interprtations des vnements. Parmi ces principes le principe de continuit,

    les objets existent de faon continue dans le temps et se dplacent de faon continue dans

    lespace, et le principe de solidit qui spcifie que deux objets ne peuvent jamais occuper

    un mme lieu en mme temps (Spelke, 1994). Elle montre galement que les reprsentations

    sont soumises comptition : plus le nourrisson porte son attention sur un objet, moins

    prcises seront les reprsentations dun autre objet. Or la prhension exige une reprsentation

    prcise, (les performances dans une situation dobscurit sont ainsi significativement

    meilleures). Elle travaille sur ce quelle nomme une scne incohrente : quand un fait les

    tonne, les bbs regardent significativement plus longtemps. Elle montre Alors que le

    nourrisson a, ds deux mois, la capacit de se reprsenter les objets dissimuls (tches

    piagtiennes), et cette capacit ne subit pas de rorganisation qualitative quand lenfant

    grandit. Elle rappelle qu neuf mois, le nourrisson ne trouve pas les objets cachs dans les

    situations les plus simples (Piaget 1937), et quavant deux ans il ne fait pas dinfrences sur la

    solidit pour rechercher un objet cach. Or le nourrisson de quatre mois a conscience de la

    persistance de lexistence des objets qui disparaissent de sa vue, elle pose donc que la

    performance des nourrissons dpend de la tche. Alors que pour Piaget, ces modifications

    66 Les enfants sont invits dire o est-ce quil y a le plus de jetons entre deux ranges de jetons, leur rponse est qu il y plus de jetons l o cest plus long. 67 Houd, 2004, p. 62-63.

  • 25

    comportementales refltaient lmergence de nouveaux systmes doprations logiques et

    dun nouvel ensemble de concept. Elle pense que les concepts sont mis en jeu bien plus

    prcocement que ne le pensait Piaget. Pour elle, le nourrisson et ladulte possdent les mmes

    capacits et les mmes mcanismes de reprsentation, cest la prcision de reprsentation qui

    voluera. La capacit de base se reprsenter les objets est constante mais la reprsentation

    gagne progressivement en prcision mesure que lenfant grandit, ce qui se traduit par une

    modification des performances.68 Autre dcouverte importante : les bbs ds 6 mois savent

    que dans le cas des humains la causalit physique pour mettre en mouvement nest pas

    ncessaire. Elle utilise la mme mthode : raction visuelle des vnements inattendus. Les

    bbs sont surpris (ils regardent plus longtemps), quand lunit dun objet nest pas respecte,

    ou quand il y a dplacement dun objet avant contact, ou discontinuit de la trajectoire dun

    objet mais ils ne sont pas surpris quand un tre humain se met en mouvement sans contact

    (ils savent que dans ce cas la causalit physique nest pas requise, ils ont la spcificit de

    principes physiques pour le monde des objets inanims, i.e., ici et cet ge, le principe de

    contact. Dans le monde social les intentions suffisent mouvoir les humains : cest la

    causalit mentale dit-elle. Ds leur plus jeune ge, les bbs semblent donc considrer que

    les tres humains sont anims par une vie mentale qui les diffrencient des objets inanims.

    Ainsi que pour ses collgues, nous remarquons que les termes employs sont, ds trois mois,

    conceptualisation (concept initial), prdiction, catgorisation et raisonnement. Pour Spelke ces

    connaissances sont innes, ce sont des noyaux inns du cerveau humain dit-elle, elles sont

    un cadre initial de comprhension du monde physique. Pour dautres, comme Baillargeon,

    Houd et Lecuyer, cest la facult dapprentissage qui est inne, par la perception (notamment

    visuelle) les bbs sont programms pour apprendre. Donc, contrairement lisabeth

    Spelke, Rene Baillargeon, Univerity of Illinois, nest pas inniste, ses travaux nous

    intressent donc dautant plus. Pour elle, le bb nat avec un mcanisme dapprentissage

    spcialis qui lui permet la formation de catgories distinctes dvnements. Ayant pos cela,

    elle tente ensuite de comprendre comment se dveloppent les connaissances des bbs en

    physique, et elle montre que les bbs se construisent prcocement des connaissances

    physiques par des mcanismes de catgorisation des situations perues, et par des

    raisonnements sur les variables qui les caractrisent. Car catgoriser est une activit cognitive

    68 Du Temps de Piaget, on pensait que le nourrisson passait dun univers gocentrique centr sur ses propres actions un monde objectif dans lequel il se voyait comme un objet parmi beaucoup dautres. Plus rcemment on a avanc que les modifications dveloppementales dans les actions sur les objets refltaient dautres modifications qualitatives, entre autres lapparition dune coordination dans le fonctionnement de voies visuelles multiples (Bernthal, 1996, Spelke, 1995), un passage du raisonnement qualitatif au raisonnement quantitatif (Baillargeon, 1998), lapparition dune capacit dvocation (Mandler, 1992), ou lapparition dune propension produire des explications (Baillargeaon 1998). Contrairement toutes ces possibilits nous suggrons que la nature et les limites des reprsentations des objets sont les mmes chez le nourrisson et ladulte et que seule se modifie progressivement la prcision des reprsentations. E. Spelke, 2002, p. 338-339.

  • 26

    fondamentale, omniprsente, et cette capacit est galement prsente chez le bb plus

    prcocement que ce que lon pensait jusqu peu. Les bbs se forgent un concept initial

    centr sur une distinction primitive binaire. Ensuite, avec lexprience, ils identifient

    progressivement une srie de variables qui affinent ce concept initial donnant lieu des

    prdictions et des interprtations plus exactes (support, occultation et collision des objets). Il y

    a catgorisation des situations physiques et raisonnement sur leurs variables. Pour elle, ce qui

    dclenche chez le bb lidentification dune variable pour une catgorie de situations

    physiques, cest lexposition des rsultats contrasts, qui sont inattendus sur la base de ses

    connaissances un moment donn (le dmenti des prvisions). Elle utilise la mthode dj

    dcrite appele mthode du regard prfrentiel. Cest Rene Baillargeon qui a dmontr en

    1993, que ds 4-5 mois les bbs ont parfaitement compris que les objets continuent dexister

    lorsquils disparaissent de leur vue.69 Sil existe chez les bbs une cognition physique

    prcoce, son affinement nen exige pas moins, chez Baillargeon comme chez Piaget, un

    apprentissage par la perception et laction.

    De nombreux autres travaux compltent bien sr ceux de Baillargeon et Spelke,

    souvent plus centrs sur les comptences mathmatiques. Retenons toutefois ceux de Rochel

    Gelman (University of California), qui proposent une existence prcoce de cinq principes

    numriques70 chez le jeune enfant de maternelle, principes mis en vidence ds lge de trois

    ans, tout en distinguant trois composantes : la composante conceptuelle (savoir pourquoi), la

    composante procdurale (savoir comment), et la composante dutilisation (savoir quand,

    pertinence des deux premires, utilisations dans les contextes). Ce que nous retiendrons pour

    notre travail, cest que Gelman dfend lide que les principes (comptences) prcdent les

    habilets (performances), et suggre que les difficults dge prscolaire relvent plutt de

    composantes procdurales et dutilisation. Ce ne seraient donc pas des difficults dordre

    conceptuel et logique comme le pensait Piaget. De mme nous retiendrons la conclusion

    gnrale des travaux de Jean Mandler (University of California), savoir que les conduites

    errones des jeunes enfants ne peuvent plus tre aussi facilement retenues comme lindication

    dun dfaut conceptuel (Jean Mandler, 1988). Nous retiendrons de ceux dAnnette Karmiloff-

    69 Elle travaille ensuite sur des situations dquilibre. Par exemple le bb estimait ( valu par ses ractions visuelles) si une bote place dans plusieurs positions par rapport au support devait rester stable. A trois mois dj un concept initial de support centr (contact/pas contact) tout contact avec le support est jug suffisant pour assurer la stabilit de la bote. Dans les mois qui suivent, le bb identifie progressivement une srie de variables qui affinent ce concept initial. Autour de cinq mois il commence prendre en compte le type de contact entre la bote et le support (par exemple pour le contact latral, a ne marche pas), aprs six mois il prend en compte la quantit de contact et sil y a plus de la moiti de contact cela lui semblera stable et dautres affinements surviennent encore jusqu douze mois. 70 Ordre stable - stricte correspondance- principe cardinal- principe dabstraction ( les objets ne sont que des entits distinctes compter, peu importe sils sont diffrents)- non pertinence de lordre.

  • 27

    Smith (University of London), lide gnrale dune redescription cognitive par laquelle

    lenfant passerait de connaissances implicites (celles du bb) des connaissances explicites

    avec lapparition du langage, vers deux ans. En dveloppant son intelligence linguistique,

    lenfant gagne en capacit dabstraction et de manipulation symbolique.

    Les travaux relatifs aux thories de lesprit ont galement retenu notre attention car

    directement utilisables et dans nos propositions et dans nos interprtations. Andrew Meltzoff

    (University of Washington) en est le prcurseur. Pour lui, limitation est la procdure pour

    dcouvrir lhumain, pour ce faire le bb sait dj demble, implicitement, que les autres sont

    comme moi.71 Ces travaux sont valids par des donnes dimagerie crbrale qui montrent

    que lorsque nous observons une action ralise par une autre personne, les rgions frontales et

    paritales, normalement utilises dans la gnration et lexcution dune action sont actives.

    Ces rgions sont galement impliques lorsque nous nous reprsentons mentalement cette

    mme action. Il sagit dun phnomne de rsonance motrice. Il semble que ce soit le

    mcanisme fondamental de lintersubjectivit, dont limitation chez le nouveau-n serait la

    toute premire manifestation comportementale. Comme le dit Houd, il ny a pas que le

    monde des objets physiques (leur permanence, leur dnombrement, leur catgorisation, et leur

    abstraction logique)il y a aussi la vie sociale (Houd, 2000 p. 20 & 109). Ce qui caractrise

    le courant de recherche thories de lesprit est de dcouvrir quand et comment les enfants

    font appel des entits mentales inobservables (croyances, dsirs, intentions, connaissances),

    pour dcrire expliquer et prdire les conduites humaines observables. Les tches qui relvent

    de ce courant sont des tches mtacognitives. Or, un des objectifs de Piaget tait de savoir si

    lenfant distinguait le monde physique extrieur du monde mental interne ou subjectif. Sa

    conclusion est quils sont ralistes, i.e. ils ne font pas de distinction entre les entits mentales

    (penses, rves) et les choses physiques. L encore les nouvelles recherches montrent quil

    existe des comptences prcoces dj chez le bb. Si les travaux de Piaget sont

    aujourdhui critiqus, cest parce quil se fiait trop la capacit des enfants verbaliser leur

    comprhension de lesprit en rponse des questions un peu bizarres. 72 Janet Astington

    (University of Toronto), qui tudie ce sujet et publie Comment les enfants dcouvrent la

    pense : la thorie de lesprit chez lenfant, dit : Nous nattendons pas des enfants quils

    soient capables de dcrire leur thorie de lesprit (comme le leur demandait jadis Piaget),

    cest nous de linfrer. 73 Nous retiendrons que John Flavell (Standfort University) a

    montr que lenfant prend conscience quune autre personne peut voir les choses autrement

    que lui trs. Ds 4 5 ans lenfant a la capacit de concevoir de multiples reprsentations dun

    71 La thorie du like me de A. Meltzoff. 72 Houd, 2004, p. 111. 73 Astington, 1999, p. 18.

  • 28

    mme objet. L encore, comptence plus prcoce que pour Piaget, qui disait quavant 7-8

    ans lenfant ne prend en compte que son propre point de vue. Les rcentes recherches dAnne-

    Marie Melot (Paris V-CNRS) prcisent que si les trois tches, fausses croyances, perspectives

    visuelles et apparence-ralit, qui caractrisent les thories de lesprit sont ralises

    positivement entre quatre et cinq ans, lordre de russite des tches varie selon les enfants, et

    surtout montrent quun apprentissage dans une de ces tches provoque un transfert

    dapprentissage sur une autre tche. Lenfant cognitif se double ds la naissance dun tre

    fondamentalement social orient vers le monde des humains , nous dit Houd en conclusion

    (Houd, 2000, p. 123), ce qui est lessence de la thorie wallonienne.

    Enfin, nous nous sommes intresse la thorie de linhibition, thorie qui permet

    de comprendre pourquoi les enfants interrogs par Piaget se trompaient. Grce une tude

    comparative en neuropsychologie74 animale, Adle Diamond (University of Masschussetts)

    pense quune inhibition entrave des connaissances dj prsentes, il y a mise en vidence dun

    dfaut dinhibition motrice et cognitive, dun dj acquis : le bb doit inhiber un savoir.

    Elle prouve ainsi que le dveloppement de lenfant ne doit plus seulement tre conu comme

    lacquisition progressive de connaissances (Diamond, 1989). Il sagit en fait dtre capable

    dinhiber ou non un comportement moteur inadquat. Mme chose pour Frank Dempster

    (University of Nevada), qui considre que les tches piagtiennes de conservation et

    dinclusion ont plus voir avec la capacit de rsister aux interfrences (confusion

    perceptive nombre / longueur), quavec la capacit de lenfant comprendre la logique sous

    jacente. Et rsister cest inhiber. En France cette thorie de linhibition est reprise par

    Houd, tout porte croire que ce qui pose problme rellement lenfant dcole

    maternelle de Piaget, ce nest pas davoir ou pas la notion de nombre, car les preuves sont

    maintenant solides, cest dtre incapable dinhiber une stratgie perceptive inadquate,

    stratgie qui dhabitude marche bien (tant pour ladulte que pour lenfant dailleurs). 75

    Stratgie rapide, efficace et conomique qui marche trs bien et trs souvent mais pas

    toujours ! En bref, la tche de conservation de Piaget ne teste sans doute pas ce quil croyait.

    Il y a dfaut dinhibition et non pas dfaut conceptuel numrique, lerreur longueur =

    nombre, est une raction de type conomique. En effet, le cerveau de lenfant dtecte trs

    tt ce type de rgularit visuelle et spatiale. Or, quasiment partout, sauf dans la tche de

    74 Comparaison de bbs de moins dun an et de singes adultes ayant subi une ablation du cortex prfrontal. Il sagit de lune des tches piagtiennes relatives la permanence de lobjet. La recherche systmatique dun objet disparu napparat que vers 8 mois. Mais lenfant ne cherche pas lobjet lendroit o celui-ci vient ouvertement dtre cach, alors quil le fait un an. Initialement, 8 mois, il cherche lobjet l o il la initialement trouv. Cette tche a bien sr t reproduite dans les laboratoires de psychologie du monde entier. Or les bbs singes, comme les bbs humains font initialement lerreur et ensuite ne le font plus. Les singes adultes normaux russissent cette tche Mais les singes adultes ayant subi une ablation du cortex prfrontal font la mme erreur que le bb de moins dun an ! 75 Houd, 2004, p. 72.

  • 29

    Piaget, la longueur et le nombre varient ensemble ! Cette erreur dans la rponse cette tche

    piagtienne vient simplement dune stratgie heuristique, frquemment valable et rapide, qui

    doit tre inhibe dans la tche de Piaget. Ce que cette thorie de linhibition montre, est quil

    ne sagit pas dun mode de pense enfantine correspondant un stade de

    dveloppement (Houd, 2004, p. 73 - 76). Le problme avec les tches piagtiennes est que la

    plupart dentre elles sont justement des tches pigeantes. Houd signale quvidemment

    Piaget choisissait sciemment des tches pigeantes pour voir si la rationalit de lenfant y

    rsisterait En fait, le problme est celui de linhibition de la stratgie habituelle.

    Il en va de mme pour ce qui est du raisonnement logique. Le raisonnement logique

    nest pas un apanage des adolescents et des adultes, il existe des formes prcoces chez les

    enfants, et lon peut mme considrer que les toutes premires formes dinfrence dductive

    sobservent ds les premiers mois de la vie propos de la permanence de lobjet ou du

    nombre. partir dvnements perus, le bb de quatre cinq mois infre, il sattend un

    rsultat (conclusion) qui est conforme ou non (vnement possible ou impossible), et lorsque

    le bb est surpris par les vnements physiques ou arithmtiques impossibles, cest bien quil

    considre dune certaine faon la structure de linfrence invalide (Houd, 2004, p. 107). La

    difficult, pour lenfant comme pour ladolescent ou ladulte, tient ce que deux stratgies de

    raisonnement entrent en comptition et se tlescopent. Face cette comptition cognitive, tout

    semble indiquer que le sujet choue inhiber la stratgie perceptive, sans quil sagisse pour

    autant dun problme de logique mentale en tant que tel. Les erreurs systmatiques de

    raisonnement observes chez les adultes ne sont pas les indicateurs dune absence de logique.

    Le raisonnement dductif ne se limite pas au raisonnement conditionnel, il comporte aussi les

    syllogismes76. Or i