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7/27/2019 Le rle de lintonation en syntaxe et en smantique tude de cas portant sur lopposition dtat du nom kabyle S
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Cahiers de lILSL, N22, 2007, pp. 47-62
Le rle de lintonation en syntaxe et ensmantique: tude de cas portant sur lopposition
dtat du nom kabyle
Sedh CHALAH
Universit de Tizi-Ouzou,
INTRODUCTION
Salem Chaker (cf. Chaker, 1991, pp. 5-25), en sappuyant sur des donnes
exprimentales, reste le pionnier des tudes berbres portant sur la
prosodie en gnral. Depuis son travail sur laccent en 1987 et sur
lintonation et la syntaxe en 1988, ce jour, le constat reste tel quil a t
formul par cet auteur : sil est un domaine que lon peut considrer
comme le parent pauvre des tudes de linguistique berbre, cest bien
celui de la prosodie (1991, p. 5). Avec ces deux tudes, Chaker a soulev
le problme de la prise en compte de lintonation dans lanalyse
syntaxique du kabyle ouvrant ainsi un autre champ dinvestigation dans le
domaine de la linguistique berbre (Chaker, 1996, p. 83). Cependant, ces
dernires annes, nous pouvons parler dun regain dintrt pour ce
domaine; notamment, dans le cadre des travaux du Centre de Recherche
Berbre (INALCO)1.
1 Cf. http://www.inalco.fr/crb/corpus_berbere/corpus_berbere/accueil_corpus.htm et
http://www.inalco.fr/crb/corpus_berbere/corpus_berbere/intonation.htm
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PRESENTATION DU SUJET ET DE LA PROBLEMATIQUE
Ltat dannexion, par opposition ltat libre, dsigne la modification qui
affecte la premire voyelle (ou la premire syllabe) de certains noms
berbres.
Exemples :
A ltat libre / ltat dannexion
[ amdan ] / [ wmdan ] "homme, personne".
[ tiqiin ] / [ tqiin ] "filles".
Beaucoup de noms berbres ne connaissent pas lopposition dtat.Certains berbrisants dsignent ce phnomne par "le syncrtisme des
formes dtat" qui renvoie la stabilit formelle du nom malgr les
fonctions diverses quil occupe.
Etat libre / Etat d'annexion
[ tala ] / [ tala ] "fontaine"
[ fad ] / [ fad ] "soif"
[ la ] / [ la ] "faim"
Dans certains contextes, ltat dannexion constitue la marque
distinctive du complment explicatif par opposition au complment
direct qui est ltat libre.Exemple :
yena aqcic "il a tu un enfant" aqcic complment direct
yena weqcic "lenfant a tu" aqcic complment explicatif
Les berbrisants saccordent dire que le phnomne dtat
dannexion est en perte de vitesse et, dans la majorit des cas, un fait de
morphologie. Ce constat de lvolution du phnomne de lopposition
dtat est d plusieurs facteurs. Nous pensons que lintonation joue un
rle important dans cette volution; cest elle qui permet de se passer de
lopposition dtat dans certains types dnoncs.
Dans ce travail, La question pose est donc la suivante : la forme
du nom lE.A. (ltat dannexion) est-elle marque prosodiquement, en
plus du changement formel linitiale, dune manire diffrente par
rapport celle du nom lE.L (ltat libre) ? Pour rpondre cette
question, nous avons travaill sur les types dnoncs suivants :
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- [ar] + nom.
- [s] + nom.
- Nom1 +[d] + Nom2.
- Nom1 + verbe + Nom2.
Ces noncs sont analyss du point de vue intonosyntaxique, cest--dire
que nous avons tudi les liens entre les structures intonative et
syntaxique de ces noncs. Nous avons vrifi si le nom lE.A. et le
nom lE.L. sont marqus diffremment du point de vue prosodique.
Dans le cas des noms qui connaissent le phnomne du syncrtisme des
formes dtat, nous avons dgag les paramtres prosodiques qui
permettent de prendre en charge l'opposition d'tat sans marque
morphologique.
METHODOLOGIE, CADRE THEORIQUE ET CADREDESCRIPTIF
Nous avons inscrit notre travail dans le cadre des thories dites
morphologiques (approche par contours) en nous inspirant des premiers
travaux de lInstitut de Phontique dAix-en-Provence (cf. Mario Rossi et
al, 1981). Pour ce qui est du choix du modle syntaxique, nous nous
sommes inscrits dans la tradition des berbrisants dits fonctionnalistes
(Fernand Bentolila, Salem Chaker,..). Selon l"Ecole dAix-en-Provence",
lintonation est un systme linguistique destin organiser linformation,
et aussi linariser la hirarchie des structures syntaxiques. Pour les
fonctionnalistes "orthodoxes", la suite de Martinet, tout ce qui nentre
pas dans le cadre de la double articulation (segmentations phonmatique
et monmatique) est considr comme suprasegmental. A leurs yeux,
lintonation est un phnomne marginal car elle ne participe pas la
double articulation. Cependant, beaucoup dintonologues prsentent,aujourdhui, des systmes de reprsentation de lintonation sous une
forme doublement articule (cf. Rossi, 1999, pp. 25-29) : chaque phrase
intonative (ou syntagme intonatif) est forme de morphmes intonatifs, et
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chaque morphme intonatif est, son tour, constitu dun ensemble de
traits raliss sur ses syllabes (intonmes).
Pour rpondre la problmatique et voir clairement le rle que
joue lintonation en syntaxe (dans lvolution du phnomne de
lopposition dtat du nom) et en smantique (changement des paramtres
prosodiques en fonction du sens des lments), nous avons procd la
comparaison des contours intonatifs dans des contextes linguistiques
identiques (un procd emprunt la phonmatique : la commutation2).
Dans notre analyse, nous nous sommes intresss la direction et aux
frontires des contours intonatifs, en prenant en considration les
paramtres de la frquence fondamentale (mlodie), de lintensit (sonie)
et de la dure. Enfin nous avons utilis les niveaux intonatifs de Mario
Rossi et Michel Chafcouloff (Rossi et Chafcouloff, 1972, pp. 167-176),
pour reprsenter la variation de hauteur des diffrents noncs.
LE CORPUS
Afin de neutraliser certaines variables, nous nous sommes limits
lanalyse dnoncs qui ont t obtenus dans une chambre isoleavec une
technique denqute qui consiste recrer la situation et le contextenonciatifs appropris. Cette mthode est recommande par Albert Di
Cristo et Mario Rossi (Rossi et al, 1981, p.27). Pour notre travail, nous
avons recueilli un corpus auprs dun locuteur (informateur) du village de
Tawrirt Meqwren (commune de Larbaa Nat Iraten, Kabylie) durant le
mois de novembre 2002.
2Les "traits distinctifs" (facteurs discriminants) sont reprsents, ici, par les "paramtres
prosodiques" qui changent et qui nous permettent donc eux seuls davoir deux sens pour
un mme nonc.
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Exemples : (recrer des situations et poser des questions) :
1) [ar] + nom. ([ar] " vers () / jusqu")Q1 (question1) :- [sani a: tlo akka] ? "o vas-tu comme a?"R1 (rponse1) :- [ar tala] "vers / la fontaine"Q2 :- [alamma d anda a: taw] ? "jusquo arriveras-tu ?"R2 :- [ar tala] " jusqu la fontaine"3
2) [s] + nom. ([s] "vers () / avec")Q1 :- [sani a:to] ? "o vas-tu ?"
R1 :- [s axxam] " la maison"Q2 :- [ukud to] ? "avec qui es-tu parti ?"R2 :- [s wxxam] "avec ma famille (maison)"
3) nom1 + [d] + nom2. ([d] "est (ce sont) / et (avec)")Q1 :- [d acu t nodin] ? "il est qui ce Nourdine ?"R1 :- [nodin d lhayca] " Nourdine est un ne."Q2 :- [nodin d wanwa] ? "Nourdine et qui dautre ?"R2 :- [nodin d lhayca] " Nourdine et un ne."
4) nom1 + verbe + nom2 (objet / expansion rfrentielle)Q1 :- [anw aqcic]? "de quel enfant sagit-il?"
R1 :- [aqcic ywwt lmir] "(de) lenfant agress par le maire"Q2 :- [anw i gwwt wqcic] ? "lenfant a agress qui ?"R2 :- [aqcic ywwt lmir] "lenfant a agress le maire".
Dans lanalyse de notre corpus, nous nous sommes intresss
uniquement aux donnes de lintonation en cartant toute autre source
dinformation (contexte, situation, ).
3 On peut obtenir, aussi, ce type dnonc dans un contexte o le locuteur profre des
injures et des menaces lencontre dune autre personne prsente. Dans ce cas, [ar tala]
jusqu la fontaine signifie : rendez-vous tala (la fontaine), o nous allons rgler nos
comptes.
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ANALYSE DES ENONCES ET RESULTATS :
noncs du type : [ar]4 + nom
La prposition [ar] peut avoir le sens de "jusqu", et peut aussi avoir le
sens de "vers". Nous avons pens, la suite dautres chercheurs, que cest
la forme dtat du nom qui suit, qui dtermine le sens donner [ar] :
- [ar] + nom lE. L [ar] "jusqu"
- [ar] + nom lE. A [ar] "vers"
Exemples :
- [ar axxam] "jusqu la maison".- [ar wxxam] "vers la maison".
Si ctait la seule forme de lopposition dtat qui dtermine le sens
donner ces deux types dnoncs, nous naurions pu avoir quun seul
sens pour [ar] dans les noncs du type [ar] + nom qui connat un
syncrtisme des formes dtat. Ce qui nest pas le cas. En effet, mme
pour ce type dnonc nous avons les deux sens pour [ar].
Exemple :
"jusqu la fontaine"[ar tala]
"vers la fontaine"
Aprs une analyse acoustique des noncs du type : prposition[ar]+nom, et une comparaison des valeurs, nous avons obtenu lesrsultats suivants :
En comparant les noncs du type [ar] "vers" + nom ceux du
type [ar] "jusqu" + nom, nous avons remarqu pratiquement une mme
distribution des dures. Cependant, il y a une lgre diffrence de dure
darticulation des premires syllabes qui correspondent [ar] : [ar] "vers"
est plus longue que [ar] "jusqu".
Aprs avoir compar les valeurs de la frquence fondamentale desdiffrentes syllabes constituant les noncs des deux types nous avons
4 [ar] est un monme fonctionnel (prposition) du type [akd] (cf. Bentolila, 1981, pp 213-
216). [ar] est dit aussi fonctionnel non-propositionnel, une prposition spcifique qui, le
plus souvent, rattache un nominal un prdicat verbal (cf. Chaker, 1983, pp. 163-166).
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remarqu que les valeurs de la frquence fondamentale correspondant la
ralisation de [ar] "jusqu" sont suprieures celles de la ralisation de
[ar] "vers". La courbe, reprsentant les valeurs de la frquence
fondamentale des deux noncs du type [ar] "jusqu" + nom, est
dcroissante (du registre aigu au grave). Par contre, pour les noncs du
type [ar] "vers" + nom, la courbe mlodique est croissante aprs
larticulation de [ar] (du mdium laigu), puis dcroissante (de laigu au
grave).
Nous avons remarqu que les syllabes-prpositions [ar] ayant le
sens "jusqu" sont diffrentes de celles ayant le sens "vers". Pour bien
illustrer cela, nous avons "divis" (spar) chaque nonc en ses deux
constituants : [ar] ("jusqu" / "vers") + nom. Nous avons compar, du
point de vue prosodique, la syllabe-prposition [ar] "jusqu" la syllabe-
prposition [ar] "vers". Voici les rsultats :
- la dure de larticulation de la prposition-syllabe [ar] "vers" est plus
longue que celle de [ar] "jusqu" de 11% en moyenne. Mais cela
nexcde pas le seuil perceptif, qui est de 0,05 s., et est donc insignifiant
du point de vue auditif.
- la frquence fondamentale avec laquelle est articule la prposition-
syllabe [ar] "jusqu" est plus leve que celle de [ar] "vers" de 51% en
moyenne, ce qui est trs significatif du point de vue auditif.
CONTOURS INTONATIFS
[ar] "jusqu" + nom [ar]"vers" + nom4(a.)3(i.a.)2(m.)1(g.)
Comme nous le constatons, partir de ces courbes mlodiques, le sens
donner [ar] ne dpend pas uniquement de la forme dtat du nom qui
suit mais, et surtout, de son propre registre ponctuel (niveau tonal). Nous
avons, donc, deux registres de tons ponctuels pour [ar] : ton haut (aigu) :
[/ar] "jusqu" et ton bas (mdium) : [ar\] "vers". Ce qui change dans les
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noncs nest pas le morphme intonatif du nom, mais le ton (registre
ponctuel) de [ar]. Donc, lorsquil sagit dun nom qui connat un
syncrtisme des formes dtat, il suffit que le registre ponctuel de [ar]
change (bas/haut) pour avoir deux sens. Il reste vrifier ce rsultat dans
des noncs identiques plus longs (o [ar] ne sera pas linitiale) afin de
comparer entre [ar] "vers" et [ar] "jusqu". Cela nest valable, bien sr,
que pour les rgions o lon utilise [ar] pour signifier aussi bien "vers" et
"jusqu", car il existe des rgions o lon utilise [r] pour dire "vers" et
[ar] pour "jusqu".
noncs du type : [s]5 + nom
La prposition [s] peut avoir le sens de "avec" et le sens de "vers". Pour
les noncs composs de la prposition [s] + nom, le sens dpend,
uniquement, de la forme de ltat du nom. En effet :
- [s] + nom6 l E.L. [s] "vers"
- [s] + nom l E.A. [s] "avec"
Exemples :
- [s axxam] "vers la maison"
- [s wxxam] "avec la maison"Lorsque le nom qui suit [s] connat le syncrtisme des formes
dtat, [s] signifie uniquement "avec" : [s ddhb] "avec de lor", [s
lhmum] "avec des problmes". La question que nous pouvons poser alors
est la suivante : pourquoi la prposition [s], lorsquelle est suivie dun
nom qui connat un syncrtisme des formes dtat, ne garde-t-elle quun
seul sens ? Nous avons mis lhypothse quil pouvait y avoir une
5 [s] est un monme fonctionnel (prposition) du type [akd] (cf. Bentolila, 1981, pp. 213-
216). [s] est dit aussi fonctionnel non-propositionnel, une prposition spcifique qui, leplus souvent, rattache un nominal un prdicat verbal (cf. Chaker, 1983, pp. 163-166).
Cette prposition a le sens de "vers" dans les parlers marocains. Dans certains parlers
kabyles (Draa El Mizan, Sid Ali Bounab,..), la prposition [s] na que le sens de "avec".
6 Le nom doit tre ici au masculin (et non au fminin). Aprs la prposition [s], lopposition
dtat des noms fminins est un fait de morphologie, puisque dans ces cas, quelle que soit
la forme de ltat, [s] na que le sens de "avec" : [s tamurt] = [s tmurt] "avec le pays".
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explication prosodique. Pour vrifier cette hypothse, nous avons travaill
sur un corpus contenant des noncs du type : [s] ("avec" / "vers") +
nom.
A partir des reprsentations graphiques de la hauteur des noncs
du type : [s] + nom, nous remarquons que chaque nonc est reprsent
par un seul et mme contour : la courbe mlodique est toujours
dcroissante de laigu (ou de linfra-aigu) au grave.
CONTOUR INTONATIF :
[s] + nom ( lE.A./ lE.L.)
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Nous remarquons la mme courbe mlodique pour les deux types
dnoncs, donc la forme dtat est dterminante pour le sens donner
[s] (et, donc, lnonc). Un nonc du type : [s] + nom qui connat un
syncrtisme des formes dtat ne peut pas avoir deux sens diffrents, car
[s] "vers" + nom lE.L. et [s] "avec" + nom lE.A. ont un mme
schma dintonation, ce qui a t aux paramtres prosodiques la
possibilit de jouer le rle distinctif pour diffrencier les deux types
(comme pour les noncs du type : [ar] + nom).
La question que nous pouvons poser est la suivante : pourquoi,
dans ce cas, [s] a-t-il le sens de "avec" et non de "vers" ? Nous pensons,
que cela dpend des besoins de la langue (Martinet, 1980, pp. 173-174).
Le kabyle a dj [ar] qui peut signifier "vers", et si, dans le contexte [s] +
nom qui connat un syncrtisme des formes dtat, [s] prenait le sens de
"vers", alors la langue aurait besoin dune autre prposition qui signifierait
"avec", puisque le nombre de noms qui connaissent un syncrtisme des
formes dtat est trs important. Le besoin a fait que [s] a le sens de
"avec".
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Lintrusion de [r] "vers", variante rgionale de [ar], par le biais
des mass mdia (les radios, les chanes tlvises,..) et de lcole,
permettrait [ar] de ne signifier que "jusqu" et [s] de navoir que le
sens de "avec", surtout avec le phnomne des emprunts qui "envahissent"
le kabyle sous des formes qui ne connaissent pas lopposition dtat.
noncs du type : nom1 + [d] + nom2 :
[d] peut tre une conjonction de subordination (un subordonnant) "et,
avec" ou un auxiliaire de prdication (un actualisateur) "(c)est / (ce)sont". Le nom qui suit [d] peut tre lE. A. ou lE. L. :
- nom1+[d] "est" +nom2 lE. L.[d] "auxiliaire de
prdication"7.
- nom1 + [d] "et" + nom2 lE. A. [d] "subordonnant"8
Exemples :
- [fat d argaz] "Ferhat estun (brave) homme"- [fat d wrgaz] "Ferhat etun (autre) homme"
Lorsque le nom qui suit [d] connat un syncrtisme des formes dtat,
nous pouvons avoir deux sens :
7 "Auxiliaire de prdication" pour Chaker (1983, pp. 169, 324), le monme [d] (qui est un
identificateur) appartient, daprs Bentolila, la classe des prsentatifs qui regroupe des
monmes servant actualiser un prdicat nominal [nom, pronom, ...] (cf. Bentolila, 1981,
pp 113-114).8 [d] (variante, dans dautres cas, de la prposition [akd]) est, daprs Bentolila, un monme
qui peut coordonner (coordonnant) en terme de compatibilit des lments (exemple : desnominaux) qui assurent une mme fonction (cf. Bentolila, 1981, pp. 213-216, 224, 356).
Pour Chaker, la suite de Lionel Galand, [d] nest pas un coordonnant mais il sagit dun
subordonnant dont lindice est la marque de lE.A. (Chaker, 1983, p. 281). En ralit, il ne
faut pas oublier que, contrairement Chaker qui pense que [d] est la seule prposition
dans ce contexte, Bentolila considre la forme de lE.A. comme un signifiant discontinu de
la prposition [d].
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Exemple:
"Dieu etle diable"
[bbi d ian]9
"Dieu estle diable"La question est de savoir quel est le paramtre qui nous permet de
distinguer les deux sens. Nous avons mis lhypothse quil sagirait peut-
tre dun paramtre prosodique. Pour vrifier cette hypothse, nous avons
travaill sur un corpus contenant les noncs du type nom1 + [d] "et/est"
+ nom2.
Les noncs du type nom1 + [d] "est" + nom2" sont caractriss,du point de vue mlodique, par un sommet occup par la syllabe
constitue de [..d..] et/ou de celle qui la suit. Quant aux noncs du type :
nom1 + [d] "et" + nom2, ils sont caractriss, du point de vue
mlodique, par un sommet occup par la syllabe qui prcde celle
constitue de [..d..].
CONTOURS INTONATIFS
Nom1+[d]"et"+nom2 / Nom1+[d]"est"+nom2
4321
Pour les noncs du type : nom1 + [d] "et" + nom2, composs de trois
syllabes, nous avons un seul contour10 descendant : de laigu au grave.
Pour ceux composs de plus de trois syllabes, nous avons une courbe
croissante jusqu la syllabe finale du nom1 (du mdium laigu), puis
dcroissante (de laigu au grave).
9 Cet exemple (et mme ce type dnonc) est tir de lune des chansons de Ferhat (Mhenni)
Imazighen Imula, o il termine le dernier vers par [bbi d ian] qui peut tre interprt
diffremment : "Dieu (et / est ?) le diable" cause de la mlodie musicale qui cache
(couvre) la mlodie de lnonc.10 Nous remarquons quil ny a pas de rupture intonative entre le nom1 et le nom2.
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Pour les noncs du type : nom1 + [d] "est" + nom2, nous avons
une courbe croissante jusqu la syllabe constitue de [..d..] ou celle qui
vient aprs (du mdium laigu), puis dcroissante (de laigu au mdium).
En conclusion, les paramtres de lintonation constituent des "traits
distinctifs" qui nous permettent de distinguer, dans un mme contexte :
nom1 + [d] + nom2, [d] (est) "auxiliaire de prdication" de [d] (et)
"subordonnant (ou coordonnant)". Le sens donner un nonc (ou [d])
du type : nom1 + [d] + nom2 qui connat un syncrtisme des formes
dtat, dpend, principalement, des paramtres de lintonation.
noncs du type : nom111 + verbe + nom2 :
La thmatisation du nom1, dans les noncs du type nom1 + verbe +
nom2, peut porter sur les noms (de lnonc neutre12) en fonction
"expansion rfrentielle" ("complment explicatif"), "objet" ("complment
dobjet direct") ou un nominal dverbatif (Chaker, 1983, pp. 455-462 ;
1996, pp. 87-92).
Exemples :
- [aqi j(a) ajul] "lenfant a mang un ne", [aqi] est en
fonction "indicateur de thme" (il correspond, dans ce cas, "lexpansionrfrentielle" dun nonc neutre), [ajul] est en fonction "objet"("complment dobjet direct").
- [aqi ja13 wjul] "lenfant mordu par un ne ", [aqi] esten fonction "indicateur de thme" (il correspond, dans ce cas, "lobjet"
11 Le nom antpos est, pour Basset, une "anticipation" (mise en relief) valeur stylistique
nayant pas de valeur syntaxique (fonction) indpendante (puisquil sagit dune variante
de lnonc neutre : verbe + nom1 + nom2). Cependant, pour Galand (1964), il sagit
dune fonction unique et originale : lindicateur de thme. Ce dernier constitue un
syntagme autonome li au prdicat (verbal) par la prosodie (cf. Chaker, 1996, pp. 87-92 et
107-109).12 Lnonc neutre correspond la forme de lnonc verbal la plus courante en berbre,
savoir : verbe (prdicat verbal) + nom1 ("expansion rfrentielle" ("complment
explicatif")) + nom 2 ("objet" ("complment dobjet direct")).13 Le verbe constitue dans ces cas, la suite de Chaker, un Prdicat(le noyau de la phrase).
Signalons que, pour Galand, cest le nom1 en "anticipation" qui forme le Prdicatde la
phrase.
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("complment dobjet direct") dun nonc neutre), [wjul] est enfonction "expansion rfrentielle".Nous remarquons que le nom1 est toujours lE.L., par contre, le nom2
peut tre lE.L. ou lE.A.. Le nom2 est lE.A. lorsquil occupe la
fonction "dexpansion rfrentielle" et que le nom1, qui est un indicateur
de thme, correspond "lobjet" ("complment dobjet direct") dun
nonc neutre. Par contre, le nom2 est lE.L. lorsquil occupe la
fonction d"objet" ("complment dobjet direct") et que le nom1, qui est
un indicateur de thme, correspond "lexpansion rfrentielle" dun
nonc neutre. LE.A. constitue, dans ce cas, un monme fonctionnel.Ainsi, nous constatons que le sens des noncs et la fonction
syntaxique du nom2 changent selon sa forme dtat (cest--dire la forme
de ltat du nom2). Cependant, lorsque nous avons affaire un nom2 qui
connat le syncrtisme des formes dtat :
aqcic yergem, lmir "un enfant a insult le maire"
[aqi jrgm lmir]
aqcic, yergem lmir "un enfant insult par le maire"
nous posons la question de savoir quel est le paramtre qui nous permet
de distinguer les deux types dnoncs (en terme de sens et de la fonction
du nom2). Nous avons mis lhypothse quil sagit dun paramtre
prosodique. Pour vrifier cette hypothse, nous avons travaill sur un
corpus contenant ces types dnonc : nom1 + verbe + nom2.
Pour les noncs du type : nom1 ("indicateur de thme") + verbe
(prdicat) + nom2 ("objet"), les courbes mlodiques sont croissantes
jusqu la syllabe finale du verbe (ou linitiale du nom2) puis elles sont
dcroissantes. Pour les noncs du type : nom1 ("indicateur de thme") +
verbe (prdicat) + nom2 ("expansion rfrentielle"), nous constatons que
les courbes mlodiques sont croissantes jusqu la syllabe finale du nom1
(ou initiale du verbe), ensuite dcroissantes.
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CONTOURS INTONATIFS
nom1+verbe+nom2 (objet) / nom1+verbe + nom2 (E.R.)
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Dans les noncs nom1 ("Indicateur de thme") + verbe (prdicat)
+ nom2 ("objet"), le nom1 en fonction "indicateur de thme" et le verbeconstituent, du point de vue intonatif, un mme syntagme. Le nom2, en
fonction "objet", forme un autre syntagme. Nous constatons quil y a une
plus grande fusion phonique entre le nom1 et le verbe quentre ce dernier
et le nom2. Et pourtant, du point de vue syntaxique, le nom2 (en
fonction : "objet") et le nom1 (en fonction : "indicateur de thme") sont en
expansion primaire par rapport au verbe (prdicat verbal) :
Dans les noncs du type nom1 ("indicateur de thme") + verbe
(prdicat) + nom2 ("expansion rfrentielle"), le nom1 en fonction
"indicateur de thme" forme un seul syntagme. Le verbe et le nom2 en
fonction "expansion rfrentielle" constituent, du point de vue intonatif,un autre syntagme. Nous constatons quil y a une plus grande fusion
phonique entre le nom2 et le verbe14 quentre ce dernier et le nom1.
Comme dans le cas prcdent, du point de vue syntaxique, le nom2 (en
fonction "expansion rfrentielle") et le nom1 (en fonction "indicateur de
thme") sont en expansion primaire par rapport au verbe (prdicat verbal)
Nous concluons, du point de vue intonatif, quil y a une plus
grande fusion entre le prdicat verbal et le nom en fonction "expansion
14Chaker (1991, p. 13 / 1996, p.106), en travaillant sur le type dnoncs simple neutres :
Verbe + Nom, a constat quil ny a pas de diffrence prosodiqueentre le nom lE.L.
(complment direct) et le nom lE.A.. Cependant, il a not que llvation mlodique
atteint plus rgulirement laigu avec le complment explicatif (+ tat dannexion)
quavec le complment direct (+ tat libre), ce qui est peut-tre interprter comme
lindice dune fusion phonique et dune solidarit syntaxique plus grande entre les deux
syntagmes constitutifs. (Chaker, 1991, p. 13).
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S. Chalah:Rle de lintonation en syntaxe et en smantique 61
rfrentielle" quentre le prdicat verbal et le nom en fonction "objet". A
partir des deux courbes, nous remarquons que, pour les noncs du type
nom1 + verbe + nom2 (objet), la courbe est croissante jusqu la syllabe
finale du verbe puis dcroissante. Pour ce qui est de lautre type, la courbe
est croissante jusqu la syllabe finale du nom1, puis dcroissante.
CONCLUSION GNRALE
Nous remarquons que les noms (qui connaissent ou non lopposition
dtat) assurant les mmes fonctions, sont marqus prosodiquement dune
faon presque identique, et ceux qui nassurent pas les mmes fonctions
sont marqus dune manire diffrente. Nous concluons que ce nest pas
la forme de ltat qui fait quun nom atteint ou non un registre plus haut
par rapport un autre (ou des caractristiques intonatives diffrentes),
mais cest plutt la fonction syntaxique du nom (qui connat lopposition
des formes de ltat ou non) et/ou le sens des lments de lnonc qui
font varier les paramtres prosodiques.
La structure intonative des noms lE.A. et de ceux lE.L.
dpend non pas de leurs formes mais de leurs fonctions syntaxiques dansles noncs et du sens des lments qui les constituent. Cest pour cela
que nous pouvons nous passer des formes de lopposition dtat dans ces
types dnoncs, et nous pouvons avoir les noms qui connaissent
lopposition des formes dtat et ceux qui ont le syncrtisme des formes
dans les mmes contextes.
Sedh Chalah
RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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ETUDES LINGUISTIQUES KABYLES
runies et prpares par
Remi JolivetNoura Tigziri
Cahiers de l'ILSL, n 22, 2007