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http://lib.ulg.ac.be http://matheo.ulg.ac.be Le secteur ONG et la sécularisation en Belgique: le cas de quatre ONG catholiques Auteur : Nelson, Elwando Promoteur(s) : Pirotte, Gautier Faculté : Faculté des Sciences Sociales Diplôme : Master en sciences de la population et du développement, à finalité spécialisée Coopération Nord-Sud Année académique : 2015-2016 URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/1690 Avertissement à l'attention des usagers : Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces documents, les disséquer pour les indexer, s'en servir de données pour un logiciel, ou s'en servir à toute autre fin légale (ou prévue par la réglementation relative au droit d'auteur). Toute utilisation du document à des fins commerciales est strictement interdite. Par ailleurs, l'utilisateur s'engage à respecter les droits moraux de l'auteur, principalement le droit à l'intégrité de l'oeuvre et le droit de paternité et ce dans toute utilisation que l'utilisateur entreprend. Ainsi, à titre d'exemple, lorsqu'il reproduira un document par extrait ou dans son intégralité, l'utilisateur citera de manière complète les sources telles que mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du document ou son résumé) nécessite l'autorisation préalable et expresse des auteurs ou de leurs ayants droit.

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http://lib.ulg.ac.be http://matheo.ulg.ac.be

Le secteur ONG et la sécularisation en Belgique: le cas de quatre ONG catholiques

Auteur : Nelson, Elwando

Promoteur(s) : Pirotte, Gautier

Faculté : Faculté des Sciences Sociales

Diplôme : Master en sciences de la population et du développement, à finalité spécialisée

Coopération Nord-Sud

Année académique : 2015-2016

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/1690

Avertissement à l'attention des usagers :

Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément

aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger,

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Par ailleurs, l'utilisateur s'engage à respecter les droits moraux de l'auteur, principalement le droit à l'intégrité de l'oeuvre

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mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du

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Master en Sciences de la Population &

du Développement

Le secteur ONG et la sécularisation en Belgique: le

cas de quatre ONG catholiques

Présenté par : Elwando, NELSON

Membres du Jury :

M. Gautier PIROTTE (Promoteur)

M. Jacques DEFOURNY (Lecteur)

M. Pierre VERJANS (Lecteur)

Année Académique 2015-2016

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« Parmi les drames qui déchirent l’humanité, il en est un plus laid, plus révoltant, plus immonde, un

drame que les hommes n’ont pas créé- comme celui de la guerre- mais qui ne persiste et ne se

perpétue que par leur indifférence, leur inconscience de la solidarité qui unit tous les êtres humains :

le drame de la faim dans le monde. Cette indifférence se camoufle souvent sous le paravent facile

d’une aumône, quelques vivres, quelques médicaments que l’on envoie de-ci de-là, au hasard des

événements et de la publicité qu’on leur donne. Guérir un peu, manger quelques jours, et puis mourir

de faim. Tel est le lot de ceux que l’on prétend aider. Certes, cela vaut mieux que rien. Les pays riches

ont bonne conscience. Les affamés meurent un peu moins vite».

Dominique Pire

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3

Remerciements

Tous nos remerciements …

A M. Pirotte, notre promoteur, pour ses conseils judicieux, son encadrement et son

enthousiasme à l’idée de nous accompagner tout au long de ce travail.

A nos lecteurs, M. Jean VERJANS et Jacques DEFOURNY, pour votre disponibilité et vos

précieux conseils. Nos échanges ont été très fructueux.

A mes parents, Grazela Noel, Martel Nelson et Aliancier Nelson, ce travail est avant tout le

fruit de vos labeurs, nous vous serions éternellement reconnaissants.

A tous nos lecteurs, amis et camarades pour vos remarques.

A toi ma chérie, mon amour Lisa, ma première lectrice, pour son amour et sa tendresse.

A tout ce beau monde et bien d’autres, je vous dis MERCI !

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Liste des acronymes et abréviations

ACJB Association Catholique de la Jeunesse Belge

ACNG Acteurs de la coopération non gouvernementale

ACODEV Fédération des ONG de coopération au développement

ACW Algemeen Christelijk Werkersverbond

ANMC Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes

ASBL Association sans but lucratif

CAFOD Catholic Fund for Overseas Development

CARAES Caritate Aegrorum Servi

CCFD Comité Catholique Contre la Faim et le Développement

CELAM Conférence Episcopale Latino-américaine

CETRI Centre Tricontinental

CJC Conseil de la Jeunesse Catholique

CJP Commission Justice et Paix

CMT Confédération Mondiale du Travail

CNUCED Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement

COOPIBO Les Compagnies bâtisseurs

CRISP Centre de Recherche et d’information Socio-Politiques

CSC Confédération des Syndicats Chrétiens

CTB Coopération technique belge

CV Caritas veritate

DGD Direction générale du développement

EF Entraide et Fraternité

ESE Enseignement Social de l’Eglise

EUDAC Equipe Universitaire d’Action Catholique

FAO Food and Agriculture Organization of the United Nations

FMI Fonds Monétaire International

IP Iles de Paix

IPSI Initiatives populaires de solidarité internationale

JEC Jeunesse Etudiante Catholique

JIC Jeunesse Indépendante Catholique

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5

JOC Jeunesse Ouvrière Chrétienne

MEP Missions Étrangères de Paris

MM Mater magistra

MOC Mouvement Ouvrier Chrétien

MSF Médecins Sans Frontière

ONG Organisation Non Gouvernementale

ONGD Organisation Non Gouvernementale de Développement

ONU Organisation des Nations Unies

ONUDI Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel

PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement

PP Populorum Progressio

SM Solidarité Mondiale

SRS Sollicitudo rei socialis

UIT Union Internationale des Télécommunications

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6

Le secteur ONG et la sécularisation en Belgique: le cas de quatre ONG catholiques

Sommaire

Remerciements …………………………………………………………………………………… 3

Liste des acronymes et abréviations ……………………………………………………….…….. 4

Sommaire ……………………………………………………………………………………..….. 6

Introduction ………………………………………………………………………………………. 9

Partie I : Cadre théorique, problématique et hypothèse ……………………………………... 10

Chapitre I : Cadre théorique ……………………………………………………………… 11

1.1. Problématique et hypothèse ……………………………………………………… 11

1.2. L’Église catholique et la question du développement …………………………... 12

1.2.1- Développement : quelques tentatives de définitions ……………………... 13

1.2.2-La doctrine sociale de l’Église (DSE) catholique …………………………. 14

1.2.3-L’Église et la cause des pauvres …………………………………………… 15

1.2.4-Le développement selon le magistère de l’Église catholique ……………... 16

a) Rerum novarum …………………………………………………………. 17

b) Quadragesimo anno …………………………………………………….. 18

c) Mater et magistra …………………………………………………….…. 19

d) Gaudium et Spes ……………..…………………………………………... 19

e) Populorum progressio …………………………………………………… 20

f) La théologie de la libération ……………………………………………… 21

g) Laudato si ……………………………………………………………….. 23

1.2.5-Présence et modes d'actions de l’Église dans le développement …………… 25

a) Des institutions ecclésiales ………………………………………………………25

b) Des institutions religieuses ………………………………………………………25

c) ONG catholiques ………………………………………………………………...26

Chapitre II : L’Église face à la sécularisation ……………………………………….………26

2.1. Qu’entend-on par sécularisation ? …………………………………………………. 26

2.2. Les ambiguïtés du concept de sécularisation ………………………………………. 28

2.3. La sécularisation en Europe ………………………………………………………… 30

2.4. La sécularisation en Belgique ………………………………………………………. 31

2.4.1- La neutralité de l’État………………………………………………………. 31

2.4.2- La sécularisation manifeste et latente………………………………………. 31

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Partie II : Les ONG belges de la coopération au développement et le pilier catholique……… 34

Chapitre I- Approche méthodologique et problématique …....……………………………. 34

1.1. Approche méthodologique………………………………………………………….. 34

1.1.1- La recherche bibliographique ……………………………………………….. 34

1.1.2- Les entretiens ………………………………………………………………... 35

1.1.3- Difficultés rencontrées……………………………………………….………. 36

1.2. Les limites de la recherche ……………………………….………………….……... 36

Chapitre II : La coopération belge au développement …………………………………….. 37

2.1. Les ONG belges de la coopération ………………………………………………... 37

2.1.1- Origines …………………………………………………………………… 37

2.1.2- Les acteurs ………………………………………………………………… 40

2.1.3- Le financement ……………………………………………………………. 41

Chapitre III : Le pilier catholique ………………………………………………………….. 42

3.1. L’Église de Belgique ………………………………………………………………. 44

3.1.1- L’Église comme ’’institutions’’ …………………………………………….. 44

3.2. Les ’’acteurs’’ du pilier catholique belge ………………………………………….. 45

3.2.1- Les mouvements d’action catholique ……………………………………….. 45

a) Les mouvements de jeunesse ……………………………………………….. 45

b) Les groupements de spiritualité et les mouvements d’adultes ……………... 46

c) Les mouvements familiaux …………………………………………………. 46

d) Les mouvements professionnels ……………………………………………. 46

3.2.2- Les institutions et organisations chrétiennes ………………………………… 46

a) L’enseignement …………………………………………….……………….. 46

b) L’action caritative et d’assistance …………………………………………... 47

c) Les organisations sociales chrétiennes ……………………………………… 47

- Le MOC ……………………………………………………………………. 47

- Les organisations agricoles ………………………………………………… 47

- Les organisations de classe moyenne et de cadres………………………. 47

Partie III : Le catholicisme à travers ces ONG aujourd’hui …………………………………..... 48

Chapitre I : Les ONG du pilier catholique ………………………………………………… 48

1.1. Entraide et Fraternité ……………………………………………………………….. 48

1.2. Solidarité Mondiale ………………………………………………………………… 49

1.3. Iles de Paix …………………………………………………………………………. 51

1.4. Caritas International ………………….…………………………………………….. 52

1.5. Le catholicisme, pilier fondateur de ces ONG ? …………………………………… 53

Chapitre II : Le catholicisme dans ces ONG aujourd’hui …………………………………… 55

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2.1. Entraide et Fraternité et le catholicisme en Belgique ……..……………………….. 55

2.1.1- La vision d’EF……………………………………………………………. 55

2.1.2- La déclaration de mission d’EF …………………….……………………. 56

2.1.3- Entraide et Fraternité, le clergé belge et les paroissiens …………………… 57

2.1.4- Structure organisationnelle d’Entraide et Fraternité …………………….. 59

2.1.5- Les valeurs prônées par Entraide et Fraternité ………………………….. 60

a) La souveraineté alimentaire…………………………………………… 60

b) La lutte paysanne ……………………………………………………... 61

c) L’agroécologie ……………………………….……………………...... 62

d) Les changements climatiques …….…………………………………... 63

2.2. Solidarité Mondiale (SM) et le catholicisme en Belgique …………………………. 63

2.2.1- Solidarité Mondiale aujourd’hui ………………………………………… 64

2.2.2- Vision et stratégies d’actions ………………………………………………. 64

2.2.3- Le statut et l’organigramme de Solidarité Mondiale ………………………. 65

2.3. Iles de Paix et le catholicisme en Belgique …………………………………………... 66

2.3.1- Iles de Paix aujourd’hui ……………………………………………………. 66

2.3.2- Missions et objectifs des Iles de Paix ……………………………………. 67

2.4. Caritas International et le catholicisme aujourd’hui………………………………... 68

2.4.1- Caritas International aujourd’hui …………………………………………... 68

2.4.2- Vision et missions de Caritas International ………………………………... 69

2.4.3- Caritas International et le monde catholique ………………………………. 70

Chapitre III : La sécularisation dans les ONG belges : une étude comparative ……………. 72

3.1. La situation chez Solidarité Mondiale ……………….……………………………. 72

3.2. La situation chez Iles de Paix …………………………………………………………74

3.3. La situation chez Entraide et Fraternité ……………………………………………... 74

3.4. La situation chez Caritas International ……………………………………………. 78

Conclusion ………………………………………………………………………………………… 82

Bibliographie ………………………………………………………………………………………… 85

Annexes ……………………………………………………………………………………………… 91

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9

INTRODUCTION

Avec le discours de Truman du 20 janvier 1949, le problème du sous-développement a acquis son

laissez-passer dans le discours politique international et a fait du 33e président américain l’inventeur

de l’aide au développement. Si à partir de cette date l’opinion politique mondiale s’est penchée sur

cette question, plusieurs décennies avant, des missionnaires catholiques s’occupaient déjà du

problème surtout dans les colonies en Afrique et en Amérique latine. Etant donné que leur mission

première était l’évangélisation, on ne se souvient plus de leur effort dans la lutte contre la pauvreté à

tel point que l’on a complètement oublié la place de la religion dans le développement. L’Église non

plus ne s’en souciait pas vraiment.

Quelques années après ce discours, la machine du développement s’est mise en route et l’Église est

montée à bord. Le Vatican s’est positionné en faveur de cette cause et a invité les chrétiens de par le

monde à s’engager au profit du développement. Ainsi sur tous les continents des initiatives

chrétiennes dirigées soit par des religieux, soit par des laïcs sont mises en place. Les Nations Unies

lancèrent leur première décennie du développement et l’Europe fut parmi les avant-gardistes. Dans

des pays de tradition catholique comme l’Italie, la France, l’Espagne ou la Belgique des initiatives

sont fécondes.

En Belgique, dès l’indépendance du Congo, plusieurs générations d’ONG catholiques ont vu le jour.

La plupart d’entre elles interviennent surtout dans les anciennes colonies mais peu à peu elles se

multiplient et investissent d’autres territoires. D’années en années le travail des ONG se

professionnalise et devient de plus en plus technique. La volonté de vouloir aider ne suffit plus et

l’aide au développement n’est plus l’apanage des seules initiatives religieuses. Au contraire, la place

de la religion dans le secteur diminue et certaines ONG préfèrent jouer la carte de l’humanisme.

L’évolution politico-sociale belge en dit long sur la situation.

Si de moins en moins d’ONG se définissent encore aujourd’hui comme chrétiennes, certaines

résistent. Dans ce contexte, nous souhaitons partir de quatre ONG belges, toutes fondées dans le

monde catholique belge : Iles de Paix, Entraide et Fraternité, Caritas International et Solidarité

Mondiale. Nous nous demanderons si ces ONG, socialement et organiquement, sont toujours bien

intégrées dans le réseau catholique? Nous partirons de nos observations chez Entraide et Fraternité,

Iles de Paix et Caritas international afin de développer ce travail en trois parties. La première partie

fera écho aux discours de la religion catholique sur le développement et abordera la thèse de la

sécularisation ainsi que son impact en Belgique. La deuxième évoquera le climat belge de la

coopération au développement et la question du pilier catholique belge. Et enfin nous questionnerons

le niveau de catholicité de nos quatre ONG aujourd’hui dans la société belge.

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10

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE, PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE

Cette première partie de notre travail s’étale sur deux chapitres : le cadre théorique et l’Église face à la

sécularisation. L’objectif de cet ensemble est de définir le profil de notre travail. Nous partirons de

son cadre logique afin de définir notre problématique à partir de notre question de départ : est-ce que

ces ONG, socialement et organiquement, sont toujours bien intégrées dans le réseau catholique?

Celle-ci nous permettra d’énoncer notre hypothèse de départ.

Dans le premier chapitre nous essayerons d’établir le lien existant entre l’Église catholique et le

monde de l’aide au développement. Tout d’abord au premier point nous commencerons par présenter

quelques tentatives de définitions du concept de développement fournies par les sciences sociales, ce

sera donc au-delà du catholicisme. Puis arrivera le moment de présenter le contour de la doctrine

sociale de l’Église catholique, sans laquelle il est pratiquement impossible de comprendre les

approches de l’Église en matière du développement. Nous continuerons par retracer une brève histoire

de l’engagement de l’Église pour la cause des pauvres. Là nous aborderons l’un des points les plus

importants de ce chapitre, à savoir, la conception de l’Église catholique du développement et surtout

comment elle le conçoit à travers un ensemble de textes (encycliques, Vatican II et des documents de

différentes conférences épiscopales) et plusieurs pontificats. Et à la fin de ce chapitre nous tiendrons à

mettre en évidence la présence et les modes d’actions de l’Église dans le développement.

Le second chapitre, l’Église face à la sécularisation, se focalisera sur le concept même de

sécularisation. Tout d’abord une tentative de définition, qu’entend-on par sécularisation ? Pour ensuite

discuter des ambigüités qui entourent ce concept. Le troisième et dernier point de ce chapitre

concernera la sécularisation en Europe, en tenant compte de la situation spécifique de la Belgique.

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Chapitre I : Cadre théorique

Notre travail sera guidé à la fois par l’enseignement social de l’Église catholique en matière de

développement et de la sociologie des religions. Dans le premier chapitre du travail nous tiendrons

compte de deux points essentiels. D’un coté il s’agira de cerner la conception catholique du

développement (chapitre I) et d’un autre de contourner le débat sociologique autour de la thèse de la

sécularisation (chapitre II). Pour le premier point, nous ferons surtout appel au magistère de l’Église

catholique, c'est-à-dire aux écrits de ses enseignants, à savoir, les papes, les diverses conférences

épiscopales et d’autres spécialistes de la doctrine catholique. Essentiellement nous partirons de Jean

XXIII qui fut le premier pape à mentionner le développement parmi les problèmes à résoudre pour

l’humanité, avant d’arriver à Paul VI avec son concept du « développement humain intégral » qui

demeure encore aujourd’hui la vision du développement au sein de l’Église catholique. D’autres

papes comme Jean-Paul Ier

, Jean-Paul II, Benoit XVI ou plus récemment le pape François et aussi

bien la conférence épiscopale Latino-américaine (CELAM) à travers « la théologie de la libération »,

vont à leur tour approfondir cette conception du « développement humain intégral ».

En ce qui concerne le deuxième point nous partirons de la sociologie de la religion où deux courants

s’opposent en ce qui concerne la thèse de la sécularisation. D’une part il y a les sociologues qui la

soutiennent, parmi eux, Bryan Ronald Wilson (1926-2004) de l’université d’Oxford et Peter Ludwig

Berger (1929) de la tradition libérale protestante. D’autre part des sociologues de religion qui la

contestent parmi eux James Arthur Beckford (1942), spécialiste des mouvements religieux

socialement controversés et Danièle Hervieu-Léger (1947), spécialiste de l’interprétation théorique de

la modernité religieuse y compris la question de la sécularisation. Les postulats de ces deux courants

ne s’opposent pas catégoriquement mais leur point de vue diffère. Pour le cas spécifique de la

Belgique, Hervé Hasquin et surtout Karel Dobbelaere nous seront d’un grand support.

1.1. Problématique et hypothèse

A travers quatre ONG belges de coopération au développement que sont Solidarité Mondiale,

Entraide et Fraternité, Iles de Paix et Caritas, il s’agira d’étudier leur niveau de relation avec le

catholicisme qui fut un de leur pilier à l’origine. Nous partirons de la question suivante : est-ce que

ces ONG, socialement et organiquement, sont toujours bien intégrées dans le réseau catholique? De

cette question en découleront bien d’autres :

- Quels liens institutionnels avec d’autres piliers catholiques entretiennent-elles ?

- Ont-elles aujourd'hui d'autres inspirations chrétiennes ou sont-elles tournées vers d'autres

inspirations de type environnemental par exemple?

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- Assistons-nous à un recul d'une intervention dictée par les valeurs chrétiennes au profit des

valeurs écologiques par exemple?

- Est-ce que le catholicisme demeure encore aujourd’hui un pilier dynamique ?

Notre hypothèse est la suivante : la sécularisation en Belgique n’affecte pas seulement quelques

domaines ou quelques institutions de la société, mais l’ensemble de la société en général. En ce sens

ces ONG, bien que catholiques au départ, sont avant tout des acteurs sociaux comme d’autres et

n’échappent pas au processus de sécularisation de l’ensemble de la société. Toutefois, de par leur

histoire particulière, leur parcours, leurs logiques de fonctionnement, leurs liens avec d’autres

institutions, elles ne sont pas affectées par le processus de sécularisation de la même manière.

1.2. L’Église catholique et la question du développement

Si l’invention de l’aide au développement, telle que nous la connaissons aujourd’hui, remonte au

point IV du discours d’investiture de Truman, à savoir, une extension aux nations défavorisées de

l’aide technique américaine qui avait été jusque là accordée à certains pays d’Amérique latine (Rist,

2012, 132) ; il existait pourtant bien avant cela des efforts contribuant à améliorer les conditions de

vie des classes défavorisées depuis la période coloniale. En ce sens le christianisme, en particulier des

missionnaires de l’Église catholique en sont parmi les pionniers. Ainsi : « contrairement à une opinion

reçue, les institutions ecclésiales catholiques se sont en grandes partie montrées favorable au

développement, et ce dès le milieu du XIXe siècle» (Bertina, 2013, p.141).

Malgré cela, durant plusieurs décennies « la configuration développementiste » (J-P. Olivier de

Sardan, 1995, p.7) s’est complètement détachée de la religion : «La religion et la spiritualité ont été

largement évacuées des études du développement et des dialogues politiques jusqu’à leur récente

découverte (ou redécouverte ?) […] Cette omission explique avant tout par l’habitude largement

répandue de percevoir les organisations religieuses et confessionnelles comme des obstacles

historiques à la connaissance, à la modernité et à la science» (Kartas et Silva, 2013, p.251).

Certains vont même jusqu’à expliquer l’échec du développement par cette absence de reconnaissance

de la culture, et particulièrement de la religion dans la théorie et la stratégie du développement

(Selinger, 2004). Il a fallu attendre le milieu du siècle suivant, en particulier avec les interventions du

Saint-Siège le développement pour recommencer petit à petit à y redécouvrir la religion, et surtout lui

attribuer sa place. Ainsi de l’encyclique Mater magistra du pape Jean XXIII à Laudato si du pape

François, le christianisme se révélera être un acteur clé du développement.

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13

1.2.1- Développement : quelques tentatives de définitions

Les sciences sociales nous proposent diverses définitions du concept de développement. Ce passage

vers ces définitions est important car celles-ci nous permettront de mieux saisir dans les pages

suivantes la conception catholique du développement, et même peut-être, de comprendre comment le

catholicisme a influencé la communauté internationale du développement. Gilbert Rist (2013) passe en

revue différentes définitions du concept de développement, formulées par des spécialistes, des

institutions internationales, des commissions, etc. Logiquement il choisit de commencer par la

définition du dictionnaire. Selon le Petit Robert (1987) : « Pays, région en développement, dont

l’économie n’a pas atteint le niveau de l’Amérique du Nord, de l’Europe occidentale, etc. Euphémisme

créé pour remplacer le sous-développement» (Rist, 2013, p. 33).

Une définition qui ne nous amène nulle part, le concept de développement est repris dans sa propre

définition. En plus, selon Rist, cette définition a un présupposé d’évolutionnisme social, il s’agit du

rattrapage des pays industrialisés. Il nous propose une deuxième définition, celle du rapport de la

commission Sud, rédigé sous l’autorité de l’ancien président tanzanien Julius K. Nyerere. Selon cette

commission :

« Le développement est un processus qui permet aux êtres humains de développer leur

personnalité, de prendre confiance en eux-mêmes et de mener une existence digne et

épanouie. C’est un processus qui libère les populations de la peur du besoin et de

l’exploitation et qui fait reculer l’oppression politique, économique et sociale. C’est par

le développement que l’indépendance économique acquiert son sens véritable. Il se

présente comme un processus de croissance, un mouvement qui trouve sa source

première dans la société qui est elle-même en train d’évoluer » (Rist, 2013, p. 33).

Selon Rist cette définition a un présupposé individualiste car il s’agit de développer la personnalité des

êtres humains. Pour finir, Rist se lance et propose lui-même sa définition du concept de

développement :« Le développement est constitué d’un ensemble de pratiques parfois contradictoires

en apparence, qui, pour assurer la reproduction sociale oblige à transformer et à détruire de façon

généralisée le milieu naturel et les rapports sociaux, en vue d’une production croissante de

marchandises, biens et services, destinés, à travers l’échange, à la demande solvable » (Rist, 2013, p.

40).

A travers ces différentes définitions plus ou moins uniques, force est de constater qu’aucune ne peut

s’imposer. Elles ont toutes leur force et faiblesse. Rist, parlant du concept de développement, reconnait

qu’il s’agit d’un mot fétiche, un mot-valise ou un mot plastique (2013). Azoulay pour sa part

souligne : « Si l’on se réfère aux définitions du mot même, le terme « développement » peut

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14

s’appliquer à une équation, à une pellicule, à un embryon, ou encore à l’intelligence de l’’enfant. Si

dans chacun de ces domaines, il est possible de s’accorder sur une signification précise, dans le champ

économique et social, le mot développement ne fait pas l’objet d’une définition unique, acceptée par

tous» (Azoulay, 2002, p.41).

1.2.2- La doctrine sociale de l’Église (DSE) catholique

Le concept de « doctrine sociale » n’est plus approprié, car depuis Vatican II, l’Église préfère parler de

« Enseignement social » de l’Église (ESE). Selon Yves-Marie Hilaire (2009), l’idée d’une doctrine

sociale de l’Église a pris forme avec la publication de l’encyclique « Rerum Novarum » (RN) (A

propos des choses nouvelles ou des réalités nouvelles) publiée par le pape Léon XIII le 15 mai 1891.

Selon lui, cette encyclique « a servi de référence à d’autres documents sur le même sujet, la question

sociale. Elle est le point de départ d’une réflexion sociale catholique, mise à jour en fonction des

réalités nouvelles qui sont apparues ». Ce n’est pourtant qu’en 2004 dans son « Compendium de la

doctrine sociale » que l’Église a « résumé » sa pensée du social (Lafoucarde, 2009, p. 101). Elle y

déclare:

« Le chrétien sait qu'il peut trouver dans la doctrine sociale de l'Église les principes de

réflexion, les critères de jugement et les directives d'action sur la base desquels

promouvoir un humanisme intégral et solidaire. Diffuser cette doctrine constitue, par

conséquent, une priorité pastorale authentique, afin que les personnes, éclairées par

celle-ci, soient capables d'interpréter la réalité d'aujourd'hui et de chercher des voies

appropriées à l'action: « L'enseignement et la diffusion de la doctrine sociale font partie

de la mission d'évangélisation de l'Église » (Compendium de la doctrine sociale de

l’Église, 2004, n°7).

Enseignement social de l’Église, de quoi s’agit-il exactement ? Nous référant à la définition restreinte

proposée par Ignace Berten (2009), il s’agirait de toutes les interventions des papes depuis la fin du

XIXe siècle, textes qui sont les plus officiels. Nous proposons d’y ajouter des textes également publiés

par des conférences épiscopales des différents continents. Berten précise :

« L’ESE présente des éléments de continuité, d’approfondissement et d’élargissement

progressif. Il est aussi lié, cela va de soi, à la situation du moment où chacun des textes

est publié. Chacun de ces documents est aussi marqué par la personnalité du pape, par

les experts qui ont contribué à sa rédaction, par les préoccupations du Saint-Siège à ce

moment, par des traits idéologiques, etc. Il n’y a donc pas une doctrine cohérente : il y a

évolution, et dans certains cas des contradictions » (Berten, 2009, p.16).

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1.2.3- L’Église et la cause des pauvres

Dans l’enseignement social de l’Église, les pauvres ont toujours occupé une position privilégiée. Selon

Alain Durand (1992), « Le pauvre est celui qui est davantage dans le besoin qu’un autre. Il est en

situation d’inégalité par rapport aux autres » (Durand, 1992, p.171). Dans l’Ancienne Alliance, le

pauvre est avant tout celui qui est victime de l’injustice des riches (Balthasar, 1986). S’il y a des

pauvres c’est parce que les riches sont des méchants. Avec Jésus-Christ, la responsabilité des riches

dans la situation des pauvres est moins directement mise en cause : « La béatitude de Jésus prolonge

sans doute cette ligne, mais l’accusation prophétique contre les riches oppresseurs ne retentit plus

qu’indirectement » (Balthasar, 1992, p.4).

Il est tout de même difficile, comme le mentionne Isabelle Grellier (2007), de retracer complètement

l’histoire des attitudes et des politiques sociales inspirées par la foi chrétienne à l’égard des pauvres,

mais quelques orientations sont quand même à noter. Dans l’Église primitive selon elle, l’engagement

à l’égard des pauvres a longtemps été vécu sur le mode de la charité. Une position guidée par

l’engagement des monastères dans la cause des pauvres. Au Moyen-âge, I. Grellier nous dit que

l’Église privilégiait surtout la pauvreté spirituelle, ainsi des chrétiens ont choisi de la partager. Selon

elle : « Si les pauvres avaient une place dans la société du Moyen-âge, c’est en tant qu’il permettait au

riche d’accomplir des œuvres charitables, et ainsi de préparer son salut» (Grellier, 2007). Une position

partagée par Geremek (1987) qui ajoute : « Dieu aurait pu rendre tous les hommes riches, mais il a

voulu qu’il y ait des pauvres dans ce monde pour que les riches puissent ainsi racheter leurs péchés»

(Gemerek, 1987, p.27).

Vers le XVIe siècle, les autorités ont décidé de placer les pauvres à l’écart de la société, ils sont

éloignés du regard des « honnêtes gens » et ont décidé de mettre au travail tous les potentiels

travailleurs. C’est ce que, toujours selon I. Grellier, M. Foucault a appelé « grand enfermement des

pauvres ».

Luis Martinez (2009) pour sa part se focalise sur trois réalités du monde contemporain, défavorables

aux pauvres, qui interpellent aujourd’hui la conscience chrétienne. Tout d’abord celle de la

mondialisation de l’économie qui exclut et crucifie davantage les pauvres. La conséquence désastreuse

de cette mondialisation a été déjà dénoncée par la conférence épiscopale latino-américaine :

« La mondialisation suit une dynamique de concentration du pouvoir et des richesses

dans les mains d’une minorité ; il ne s’agit pas seulement des ressources matérielles et

monétaires, mais surtout de l’information et des ressources humaines, ce qui produit

l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas assez préparés et informés, en augmentant les

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inégalités qui touchent tristement notre continent et qui maintiennent dans la pauvreté

une multitude de personnes … » (Martinez, 2009, p.90).

Ensuite, la deuxième réalité qui interpelle la conscience chrétienne aujourd’hui selon Martinez, c’est la

migration des pauvres et l’enjeu d’une société multiculturelle. Aujourd’hui, malgré les progrès

scientifiques et la mondialisation qui permettent plus facilement le déplacement des individus, la

migration demeure un problème mondial: « dans la majorité des cas, ce mouvement migratoire massif

est un mouvement forcé à cause de la guerre, de la famine, de la discrimination religieuse ou de la

persécution politique subies dans les pays d’origine […] Les conditions de logement, de travail et de

sécurité sociale de ces migrants surtout des sans-papiers, sont d’une grande précarité et leur situation

est aggravée par la croissance de la xénophobie» (Martinez, 2009, p.90).

Et en dernier lieu la troisième réalité contemporaine qu’il pointe du doigt est l’agression sur

l’environnement et l’avenir de l’humanité : « sous la pression d’intérêts économiques qui soutiennent

le projet de la mondialisation, d’immenses étendues de forêts, d’énormes ressources d’eau douce, etc.

se trouvent en danger immédiat, avec la menace que cela entraine sur la biodiversité et la vie humaine

elle-même » (Martinez, 2009, p.95).

1.2.4- Le développement selon le magistère de l’Église catholique

L’inégalité de partage des ressources qui caractérise les pays du Nord et du Sud est immense. Bien que

le Nord soit abondamment riche, la précarité, la misère et surtout les instabilités politiques et sociales

du Sud menacent la tranquillité au Nord et l’équilibre même de la planète. De ce fait bien que

l’intention n’est pas de sauver le Sud de la misère, leur survie est donc nécessaire pour le bien-être de

tous et la tranquillité au Nord.

L’Église catholique pour sa part, comme le stipule Philippe Laurent (1981), n’a pas attendu que se

schématisent dans les termes « Nord-Sud » les rapports entre pays développés et en développement,

pour prendre conscience de ce grave problème international. Si la doctrine sociale de l’Église a

retrouvé son repère dès 1891 avec Rerum novarum, il a fallu attendre 1967 avec l’encyclique

Populorum progressio de Paul VI pour qu’elle s’engage définitivement dans la problématique des

relations Nord-Sud. Si à cette période l’Europe a été en pleine croissance économique, la situation fut

différente pour les nouveaux états. La coopération et le développement sont donc une nécessité. A

noter en ce qui concerne l’Église spécifiquement : « la solidarité économique des Etats, et l’idée d’une

responsabilité collective des peuples est ancienne dans la doctrine catholique» (Jean, 1962, 9.886).

Mais son engagement sur la question du développement soulève avant tout la question du rapport

existant entre religion et développement.

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Le rapport entre religion et développement pourrait constituer le sujet central d’une quantité infinie

d’ouvrages. Dans ce travail, nous avons déjà souligné l’idée que ce que nous connaissons aujourd’hui

sous le nom de développement a trouvé ses racines dans des activités encadrées par des monastères

remontant de la colonisation. Ce qui fait dire à Henri Desroche (1961): « la Religion est mère du

Développement mais le développement sur ce retour de son périple étrangle une mère qu’il ne

reconnait plus » (Desroches, 1961, p.5). Ceci démontre également le rapport tendu entre les deux

concepts. Katherine Marshall et Lucy Keough (2004) pour leur part parlent d’une séparation historique

entre le terme de religion et celui du développement. Selon elles, ces deux mondes ne partagent que

des liens « fragiles et intermittents » qui ont été « déterminants et conflictuels ». Elles pensent que

cette séparation serait principalement à cause d’une part, la distinction institutionnelle historique entre

l’Église et l’État, et d’autre part, le fait que ces deux mondes fonctionnement selon un ensemble de

dynamiques divergentes.

Maintenant afin de comprendre la conception du développement selon le magistère romain, nous

passerons en revue les principales publications, en majorité des encycliques, qui ont façonné la

doctrine du développement selon l’Église catholique. Nous entendons par encyclique, « une position

écrite du gouvernement central de l'Église qui trace un enseignement de référence pour le

comportement approprié des catholiques au sein de la société » (Philippe, 1997, p.107). Et à la fin, un

tableau récapitulatif reprendra les idées centrales de chaque texte.

a) Rerum novarum (RN) :

Publiée le 15 mai 1891 par le pape Léon XIII, l’encyclique Rerum novarum (RN) (des choses

nouvelles) est considérée comme le point de départ de l’ESE. Son titre, les premiers mots, renvoie aux

dangereuses innovations de l’époque (Philippe, 1997), au moment où l’Europe, depuis plus d’une

décennie, est en pleine Révolution industrielle. Elle n’est pourtant pas la première encyclique publiée,

d’ailleurs Léon XIII à lui seul, pape de 1878 à 1903, a publié une cinquantaine d’encycliques dont une

vingtaine avant celle-ci.

En 1891 l’Europe est en pleine Révolution industrielle, c’est une époque de grandes transformations

qui ont bouleversé les pratiques sociales et économiques. Le principe économique qui prédominait à

l’époque insistait sur le fait que l’Etat devait s’abstenir de toute intervention dans le domaine

économique, ce fut « une conception naturaliste, qui nie tout lien entre moral et économie. Le motif

unique de l’activité économique, affirmait-on, est l’intérêt individuel» (Vie chrétienne, 2016).

Pourtant malgré une forte croissance et l’accumulation de richesses provoquées par la Révolution

industrielle, les conditions de vie des travailleurs, y compris des enfants, restaient désuètes: «salaires

insuffisants ou de famine, conditions de travail épuisantes et sans aucun égard pour la santé physique,

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les mœurs et la foi religieuse » (Vie chrétienne, 2016). Au sein de cette classe appauvrissant et

maltraitée, murissaient les graines de la révolte. L’Église pour sa part subissait des critiques pour son

silence, «certains osaient accuser l’Église catholique de se borner, devant la question sociale, à prêcher

la résignation aux Pauvres et exhorter les riches à la générosité » (Vie chrétienne). Ce sont là les

conditions sociales à l’époque de la publication de Rerum novarum.

RN s’adresse au monde du travail « qui doit être traité non plus comme une marchandise, mais comme

une expression de la personne humaine» (Vie Chrétienne, 2016). Elle s’adresse aussi à l’État qui « ne

peut être absent du monde économique ; il doit être présent pour y promouvoir avec opportunité la

production d’une quantité suffisante de biens matériels […] C’est, en outre, le devoir de l’État de

veiller à ce que les relations de travail se développent en justice et équité, que dans les milieux de

travail la dignité de la personne humaine, corps et esprit, ne soit pas lésée » (Vie chrétienne, 2016).

Elle s’adresse aussi aux travailleurs afin de reconnaitre « le droit naturel de créer des associations pour

ouvriers seuls ou pour ouvriers et patrons, comme aussi le droit de leur donner la structure organique

qu’ils estimeront la plus apte à la poursuite de leurs intérêts légitimes, économiques et professionnels

… » (Vie chrétienne, 2016). Et enfin aux ouvriers et employés qui « doivent régler leurs rapports en

s’inspirant du principe de la solidarité humaine et de la fraternité chrétienne» (Vie chrétienne, 2016).

b) Quadragesimo anno(QA) :

Quadragesimo Anno fait partie de la longue liste des encycliques publiées pour célébrer le succès de

Rerum novarum. Elle est publiée le 15 mai 1931, c’est l’encyclique du quarantième anniversaire de

son illustre prédécesseur. En quarante ans le monde fut témoin de beaucoup de changements dont la

Première guerre mondiale (1914-1919), la Révolution Russe de 1917 et beaucoup d’évolution

économique et sociale ouvrant à la modernité. D’où, selon Olivier de Dinechin (2011), le thème de la

nouvelle encyclique, d’élargir la question ouvrière à « l’instauration de l’ordre social ».

QA fut publiée dans un contexte économique spécifique selon Dinechin, deux ans de cela, le monde a

connu le grand « krach » de Wall Street : « Après plusieurs années de prospérité, la grande crise

économique s’est abattue sur le monde industriel américain et, deux ans après, a ses répercussions en

Europe » (Dinechin, 2011). Sur le plan social, mis à part le chômage provoqué par le grand « krach»,

le syndicalisme ouvrier a connu un essor et de nouvelles catégories sociales apparaissaient comme les

fonctionnaires. Sur le plan économique c’est l’intervention de l’état et sur le plan social, l’arrivée des

gouvernements forts en Europe et des dictateurs en Amérique du Sud.

C’est dans la troisième et dernière partie de l’encyclique que Pie XI analyse la situation de son époque.

Il traite des changements sociaux et économiques suscités par le monde industriel et le système

capitaliste en dénonçant la dictature économique des monopoles ou de l’État, tout en prônant la

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restauration d’une saine et libre concurrence sous la vigilance des pouvoirs publics. Il analyse

l’évolution du socialisme qu’il rejette et trouve contradictoire au christianisme et encense l’action

sociale. Et enfin, selon notre auteur, il scrute l’état des mœurs et fourgue la « ruine des âmes »

découlant de la déchristianisation.

c) Mater magistra (MM):

Si l’encyclique RN constitue l’acte fondateur de l’enseignement social de l’Église, nous pourrions

affirmer que MM, publiée en 1961 pour le 70e anniversaire de RN, constitue l’engagement officiel

l’Église en matière de développement international (Bertina, 2013, p.142). Si la croissance en Europe

est au niveau maximal, les relations internationales pourtant restent doublement bipolaires (Laurent,

1981). D’un coté il y a les nations industrialisées, donc développées, pays d’abondance et de

gaspillage ; et d’un autre il y a les pays sous-développés majoritairement agricoles. Bipolaire aussi

parce que le monde est aussi divisé en deux blocs : le bloc de l’Ouest ayant à sa tête les USA et le bloc

de l’Est avec l’URSS. Ainsi on range d’un coté les bons et de l’autre les mauvais.

Avec MM il y a deux points essentiels à signaler en matière de coopération internationale. Tout

d’abord pour la première fois dans une encyclique un pape parle de coopération. Le pape recommande

la « coopérative de production » (Desroches, 1973, p.72). Ensuite, et le plus évident en ce qui

concerne notre travail, dans MM le pape sollicite la coopération internationale et présente le

développement comme problème à résoudre :

« Le problème le plus important de notre époque est peut-être celui des relations entre

communautés politiques économiquement développées et pays en voie de développement

économiques. Les premières jouissent d'un niveau de vie élevé, les autres souffrent de

privations souvent graves. La solidarité qui unit tous les hommes en une seule famille

impose aux nations qui surabondent en moyens de subsistance le devoir de n'être pas

indifférentes à l'égard des pays dont les membres se débattent dans les difficultés de

l'indigence, de la misère, de la faim, ne jouissent même pas des droits élémentaires

reconnus à la personne humaine » (Jean XXIII, 1961, n°157).

d) Gaudium et Spes (GS)

Gaudium et Spes (Joies et Espoirs) ou « La Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de son

temps » est l’un des principaux documents issus du Concile Vatican II. Ce document adopté presqu’à

l’unanimité le dernier jour du Concile, comme le relate Gérard Mathon (2006), apporte des

perspectives nouvelles. Le Concile a préféré parler de constitution PASTORALE et non plus

DOGMATIQUE, une manière selon Mathon de passer d’une morale de la loi à une morale plus

anthropologique qui était jusque là absente des traités et manuels. Où ? DANS LE MONDE. L’Église

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qui va s’ouvrir au dialogue sur des sujets qui ne sont plus purement théologiques. Cette formule va

manifester toute sa signification quand le pape Paul VI prendra la parole au siège des Nations Unies le

4 octobre 1965.Quel monde ? LE MONDE DE SON TEMPS. Cette formule témoigne désormais de la

prise en compte du Vatican de l’insertion de l’Église dans l’Histoire.

L’objectif de Gaudium et Spes est donc clair : « la recherche d’une vision humaniste centrée sur le

Christ et faisant sa place à l’Histoire du Salut, le discernement des signes des temps pour y lire

l’actualité de Dieu dans le monde, le champ et la signification du libre agir humain dans les réalités

terrestres» (Dinechin, 1985, p.8). Cette ouverture de l’Église fut une nécessité car il fallait rompre avec

la mentalité dominante de l’Église de la Contre-réforme : «la mentalité de la Contre-réforme avait été,

à l’origine, une mentalité de lutte à outrance contre le protestantisme […] et de défiance à l’égard de la

Renaissance et du premier essor scientifique. Elle était devenue en quelque sorte une mentalité de

ghetto, depuis le triomphe rationaliste de la Philosophie des Lumières et les contrecoups de la

Révolution française » (Coste, 1986, p. 17).

Avant Vatican II l’Église était par exemple très réticente aux questions des droits de l’homme. Une

attitude qui pouvait s’expliquer en partie par le fait que d’une part « les courants philosophiques alors

les plus influents étaient rationalistes, souvent sceptiques, voire opposés à la foi chrétienne » (R.

Coste, 1986, p.97) et d’autre part « le courant majoritaire de la pensée théologique, qui inspirait les

prises de positon des responsables ecclésiaux, restait attaché à l’idéologie de la chrétienne médiévale »

(R. Coste, 1986, p.98). Avec Gaudium et Spes le combat pour la promotion des droits de l’homme sera

perçu désormais comme une exigence essentielle de la foi chrétienne. L’Église ira même plus loin à

professer la liberté religieuse, une ouverture à l’athéisme et à la promotion du bien commun.

e) Populorum progressio (PP)

Publiée le 26 mars 1967 par le pape Paul VI, cette encyclique avec son concept clé de

« développement humain intégral », s’impose comme « la pensée religieuse du développement »

(Bertina, 2013, p.148). Ce qui contribue à faire la force de cette encyclique c’est qu’elle « s’appuie sur

l’expérience de catholiques engagés dans les débats et dans l’action en faveur du développement.

Parmi eux le père Louis-Joseph Lebret1 qui a joué un rôle majeur» (Catta, 2014). Dès le début de

l’encyclique, Paul VI appelle chaque individu à prendre conscience que le problème de la question

sociale est devenue mondiale: «Aujourd'hui, le fait majeur dont chacun doit prendre conscience est

que la question sociale est devenue mondiale […] Les peuples de la faim interpellent aujourd'hui de

1 - Louis-joseph Lebret (1897-1966) fut un prêtre dominicain français qui a mené une grande action sociale et syndicale dans

le monde des marins, avant de parcourir le monde pour lancer des programmes de développement et conseiller les acteurs.

Ami proche du pape Paul VI qui lui confia le projet de l’encyclique Populorum progressio, il est à l’origine du concept de

« développement de tout l’homme et de tout homme ».

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façon dramatique les peuples de l'opulence. L'Église tressaille devant ce cri d'angoisse et appelle

chacun à répondre avec amour à l'appel de son frère » (Paul VI, 1967, n°3). La solution à ce problème

ne peut venir d’un seul homme ou d’une seule nation, mais de nous tous : « Aussi est-ce à tous que

Nous adressons aujourd'hui cet appel solennel à une action concertée pour le développement intégral

de l'homme et le développement solidaire de l'humanité » (Paul VI, 1967, n°5).

Pour Paul VI le bien être de l’homme doit être au cœur de nos préoccupations. Il fait appel au

développement des peuples, et non des choses, mais celui de l’homme dans toutes ses dimensions. Le

développement économique est important mais il ne peut être prioritaire, il faut voir l’homme avant

tout : « Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Pour être authentique, il

doit être intégral, c'est-à-dire promouvoir tout homme et tout l'homme » (Paul VI, 1967, n°14). Telle

est, jusqu’à nos jours, la vision catholique du développement. Comme le note Bertina (2013), le

développement humain intégral est avant tout perçu comme un instrument d’émancipation au service

de l’être humain et non de son confort :

« Il ne s'agit pas seulement de vaincre la faim ni même de faire reculer la pauvreté. Le

combat contre la misère, urgent et nécessaire, est insuffisant. Il s'agit de construire un

monde où tout homme, sans exception de race, de religion, de nationalité, puisse vivre

une vie pleinement humaine, affranchie des servitudes qui lui viennent des hommes et

d'une nature insuffisamment maîtrisée; un monde où la liberté ne soit pas un vain mot et

où le pauvre Lazare puisse s'asseoir à la même table que le riche » (Paul VI, 1967, n°47).

f) La théologie de la libération

Parmi les textes de la doctrine catholique qui ont fortement influencé la conception du

développement, il n’y a pas que des encycliques. Il n’y a pas non plus que le pape ou le Saint-Siège.

La théologie de la libération se révèle être un parfait exemple. Tout a pratiquement commencé avec la

deuxième conférence de l’épiscopat latino-américain (CELAM) en 1968 à Medellin en Colombie

pour réfléchir sur le thème de «L’Église dans la transformation de l'Amérique latine, à la lueur de

Vatican II». Dans le texte final de cette conférence, le CELAM déclara : «Nous sommes au seuil d'une

époque nouvelle de l'histoire de notre continent, époque clé du désir ardent d'émancipation totale, de

la libération de toutes espèces de servitude2». Ainsi, l’Église de l’Amérique latine fait du combat pour

l’amélioration de la vie des pauvres un choix prioritaire.

Le contexte sociopolitique qui sévit en Amérique Latine à cette période a beaucoup contribué à

l’émergence de ce mouvement théologique. François Houtart (1998) nous explique que, à la fin des

2 http://croire.la-croix.com/Definitions/Mots-de-la-foi/Theologie/Qu-est-ce-que-la-theologie-de-la-liberation

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années soixante, l’Amérique latine commence à sortir du projet « développementiste » qui consistait à

centrer le développement sur la substitution des importations par une production locale. Débuta alors,

avec le support des différents régimes militaires, l’ère du capital extérieur qui se révéla défavorable

pour l’investissement en accroissant la pauvreté de la masse.

Ainsi cette théologie de la libération « repose sur la prise de conscience que les pauvres attendent une

libération réelle et qu'il est vain de parler du Christ et du salut qu'il apporte si ce salut n'est pas

immédiat. Le critère le plus précis de l'authenticité évangélique est donc la lutte contre la pauvreté »

(Houtart, 1998, p.512). Un mouvement qui trouve en partie ses racines chez Jean XXIII avec Mater

magistra et Paul VI avec Populorum progressio. Car le premier « manifeste les préoccupations de

l’Église qui s’intéresse aux problèmes matériels des hommes, sur tous les plans : social, politique,

culturel et moral » (Jullien, 1984, p.896). Et le second à son tour a confirmé cette orientation. Cette

position du Saint-Siège a renforcé la volonté des chrétiens d’Amérique latine de continuer à lutter

contre la pauvreté, pour la justice et la paix.

Michel Schooyans (1975) fait ressortir deux points communs entre les théologiens de la libération,

entre autres, Gustavo Gutierrez, Helder Camara, Oscar Romero ou Léonardo Boff. Ils ont en commun

une intention, ou plutôt une volonté : faire de la théologie. Pour la première fois en Amérique latine

des théologiens réclament avec tant de vigueur le droit de faire de la théologie. Et deuxièmement ils

présentent entre eux une appréciable parenté de méthode, l’engagement prime sur la réflexion. Une

méthode au service d’un projet portant sur la situation de dépendance et de domination dans laquelle

se trouve l’Amérique Latine, sachant que là où il y domination et dépendance il y a du péché.

Mais ce mouvement de théologie de la libération devait s’affronter au Vatican. La Congrégation pour

la doctrine de la foi, fondée à l’origine pour défendre l’Église contre les hérésies3 a émis un avis

négatif contre la théologie de la libération le 6 août 1984. Elle « met en garde contre les déviations

dues à l'introduction d'éléments du marxisme et critique les lectures rationalisantes de la Bible qui

réduisent l'histoire du Christ à celle d'un libérateur social et politique » (Journal La Croix). Et moins

de deux ans plus tard le 22 mars 1986, cette même Congrégation a émis un autre avis plutôt favorable

dans lequel « la théologie de la libération est relue de manière positive en y introduisant la dimension

spirituelle d'une théologie de la liberté » (Journal La Croix).

3-http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_pro_14071997_fr.html

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g) Laudato Si4

Quelques mois avant la COP21, le pape François a publié Laudato Si, une encyclique dédiée

entièrement à l’écologie. Si avant lui ses prédécesseurs, Jean Paul II et Benoit XVI, avaient abordé la

question, le pape François va plus loin en liant le respect des plus pauvres à la sauvegarde de

l’environnement. Il dénonce la condition humaine et la sauvegarde de la planète qui sont menacées

par la toute-puissance de l’économie.

Dans « Laudato si- la sauvegarde de la maison commune », le pape François exhorte les Hommes à

rester des gardiens de la création, des protecteurs de la maison commune, c’est-à-dire qu’il les

encourage à sauvegarder notre planète : "notre maison commune est aussi comme une sœur, avec

laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts ”

(François, 2016, n°6). Le Saint-Père exhorte également les responsables mondiaux à agir vite pour

sauver la planète, menacée de destruction par le réchauffement et le consumérisme. A la lumière de

Saint-François d’Assise, le pape invite tous les hommes et femmes, fils et filles de notre Terre-Mère, à

une communion universelle en faveur d’une écologie intégrale, en passant d’une société inégalitaire à

une société plus juste, en harmonie avec la création.

Voici un tableau5 récapitulatif de ces principaux documents qui ont marqué l’enseignement social de

l’Église ayant lien avec la conception catholique du développement :

4 Résumé réalisé pour Entraide et Fraternité dans le cadre de mon stage.

5 Inspiré de http://doctrinesocialeeglise.org/documents/encycliques-et-textes/article/principaux-textes-de-la-dse.

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Documents

Idées développées

Evènement majeur par

rapport aux relations

Nord-Sud

Rerum novarum (Les choses

nouvelles), 1891, pape Léon XIII

Fondements des droits et des

responsabilités des travailleurs, des

détenteurs de capitaux et du

gouvernement. Condamnation du

socialisme athée.

Révolution industrielle

Une conception naturelle de

l’économie

Quadragesimo Anno (La

reconstruction d’un ordre social),

1931, pape Pie XI

Dénonce les méfaits de l’égoïsme

et de la concentration du pouvoir

économique sur les travailleurs et

sur la société. Propose une société

basée sur le principe de

subsidiarité.

Première guerre mondiale

Révolution russe

Krach de Wall Street

Mater et Magistra (Christianisme

et progrès social), 1963, pape Jean

XXIII

Déplore l’élargissement du fossé

entre les nations riches et les

pauvres, la course aux armements

et la crise agricole. Appelle les

chrétiens à travailler pour un

monde plus juste

Les Trente Glorieuses

Début de la Guerre Froide

Gaudium et Spes (l’Église dans le

monde de ce temps), 1965, Vatican

II,

Regrette le développement mondial

de la pauvreté et la menace d’une

guerre nucléaire. Demande aux

chrétiens de s’engager pour faire

émerger des structures susceptibles

de promouvoir un monde juste et

pacifique.

Les Trente Glorieuses

Guerre Froide

Populorum progressio (Le

développement des peuples), 1966,

pape Paul VI

Affirme le droit des nations pauvres

à un vrai développement. Décrit les

structures économiques causes des

inégalités. Le développement est le

nouveau nom de la paix. Appelle à

l’action des organisations

internationales et à des accords

multilatéraux

Trente Glorieuses

La décolonisation

Naissance de l’ère du

développement

Théologie de la libération, 1968,

CELAM

Fait du combat pour l’amélioration

de la vie des pauvres un choix

prioritaire.

Economie de substitution

des importations en

Amérique latine

Dictatures militaires

Laudato Si (Loué sois-tu), 2016,

pape François

Appelle à une écologie intégrale.

Le pape François milite pour la

sauvegarde de la nature qui est liée

au respect des plus pauvres. Il

dénonce la condition humaine et la

sauvegarde de la planète qui sont

menacées par la toute-puissance de

COP 21

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1.2.5- Présence et modes d’actions de l’Église dans le développement

Identifier la présence et les modes d’actions de l’Église dans le développement est complexe. Selon P.

Laurent (1981) elles sont multiples et diversifiées en fonction de trois éléments : ses objectifs

spécifiques et ses choix prioritaires ; son organisation transnationale ; sa structure hiérarchique et sa

nature de « peuple de Dieu ». C. Verger (1995) va dans le même sens en attestant :

« Sous le couvert de l’Église vit et se développe un ensemble complexe de réseaux dont

les mailles ne sont ni uniformes ni parallèles. Plusieurs niveaux d’échanges se

superposent et s’entrecroisent, qu’ils soient le fait de la structure institutionnelle, des

relations internes aux congrégations présentent à travers le monde, ou encore du

dialogue établi de façon formelle, ou plus informelle, entre des groupes de chrétiens, par

le biais d’associations, de jumelage de diocèses, etc. » (Verger, 1995, p.25).

Elle nous met aussi en garde à ne pas assimiler aide aux Églises et aide au développement, bien qu’il

arrive que des Églises et congrégations religieuses les lient dans une même mission. Reprenant le

modèle de Verger, essayons tout de même de présenter quelques réseaux par lesquels l’Église

intervient dans le développement :

a) Des institutions ecclésiales : par ce canal nous sommes au niveau international et, toujours

selon Verger, l’Église s’est dotée de deux institutions. D’un coté il y a le Saint-Siège, à savoir

le Vatican qui vise à mettre en œuvre une solidarité effective entre Églises riches et Églises

démunies. Ainsi : « en matière d’engagement dans le champs du développement […], il reste

qu’en dernière analyse, c’est le Vatican qui sanctionne, en les approuvant ou en les récusant,

la validité de ses orientations » (Verger, 1995, p.27). Signalons aussi que le Vatican a un statut

international particulier (Laurent, 1981). Il entretient des liens actifs de coopération avec les

organisations internationales soit comme observateur (ONU), soit comme Etat-membre

(CNUCED, ONUDI, UIT, etc.). D’un autre coté il y a les conférences épiscopales qui, selon

Verger, ont pour fonction privilégiée de favoriser la réflexion et l’action en matière de

développement. Ces épiscopats créent ou favorisent la mise en place de structures de vigilance

et de solidarité.

b) Des institutions missionnaires : l’Église abrite dans ses rangs une multitude d’organisations

et de congrégations religieuses qui tiennent aussi leur rôle dans la promotion humaine et de

développement. En plus de leur mission première qu’est l’évangélisation, elles tiennent aussi

l’économie.

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compte du bien être physique et matériel de l’Homme. Verger nous dit qu’elles sont très

diversifiées. Nous y trouvons par exemple des sociétés de prêtres et de séculiers au service de

la mission comme les MEP (Missions Etrangères de Paris) ; mais aussi et surtout des

congrégations religieuses dont les membres ont fait des vœux dans une congrégation nationale

ou internationale. Ces congrégations ont souvent des orientations prioritaires, comme les

Salésiens pour l’éducation et la formation en milieu populaire. Ces organismes on les retrouve

à la fois au Nord comme au Sud.

c) ONG catholiques : un dernier réseau est constitué des ONG catholiques qui, selon Verger,

relient les chrétiens aux peuples du Sud. Leur mission est surtout « de témoigner de la

solidarité et de la volonté des chrétiens de participer à la construction d’un monde plus juste et

fraternel qui réponde davantage aux besoins essentiels des populations pauvres » (Verger,

1995, p. 41). Ce réseau a pris son essor au Nord principalement dans les années soixante,

citons entre autres : Caritas international, en France on a le Comité Catholique Contre la Faim

et le Développement (CCFD), en Allemagne on retrouve Misereor, en Suisse Action de

Carême Suisse, en Belgique Entraide et Fraternité et Broederlijk Delen, au Royaume-Uni

CAFOD (Catholic Fund for Overseas Develoment) et au Canada Développement et Paix, etc.

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Chapitre II : L’Église face à la sécularisation

Le titre de ce chapitre met en opposition les concepts de sécularisation et d’Église au point de penser

le premier comme anti-religieux. Pourtant, « d’après la religion chrétienne, la sécularisation, en tant

qu’elle déconnecte l’ordre profane de celui de la religion, n’implique aucune opposition anti-

religieuse » (Vergotte, 1983, p.431). Il faut remonter à la pensée sociologique pour mieux saisir la

compréhension d’une telle approche : « la pensée sociologique elle-même a véhiculé, dès son origine,

une interrogation sur le devenir du religieux dans les sociétés modernes, la perte d’influence sociale

des religions sur les individus et les sociétés tendant à être considérée comme un indicateur du

passage d’une société traditionnelle à une société moderne » (Willaime, 2006, p.756).

J.J. Rousseau dans ouvrage « Le contrat social », propose d’établir ce qu’il nomme « la religion

civile » : « celle dont il appartient au souverain de fixer les dogmes et les prescriptions, et dont il doit

sanctionner le respect par la peine de mort » (Cité par Vergotte, 1983, p. 435). Plus tard au XXe siècle

Willaime (2006) croit que Durkheim lie la crise de la société moderne par le non-remplacement des

morales traditionnelles fondées sur les religions et pense qu’il revient à la sociologie de reconstituer

une morale répondant aux exigences de l’esprit scientifique (Willaime, 2006).

Ainsi depuis les Lumières avec Rousseau nous nous retrouvons dans une logique opposant modernité

et religion qui a pu faire objet même de la sociologie naissante. Le concept de sécularisation pour sa

part n’a pas pu échapper à cette opposition car « c’est avec cet héritage complexe opposant modernité

et religion, nous dit Willaime, que le concept de sécularisation a été abondamment utilisé en

sociologie des religions » (Willaime, 2006, p. 756). Pour notre travail, devons nous concevoir la

sécularisation à travers l’opposition modernité et religion comme quoi l’un pourchasserait l’autre ?

2.1. Qu’entend-on par sécularisation ?

Essayons tout d’abord de commencer par ce qu’habituellement le concept de sécularisation évoque

dans la pensée de beaucoup de gens, à savoir :

« Une perte, un recul sans fin de la religion dans les sociétés modernes : baisse de la

pratique religieuse, diminution et crise permanentes du clergé et des personnes - hommes

et femmes - voués à la chose religieuse, « perte de la foi » - en tout cas dans ces facettes

visibles -, fonctionnement de la société hors de toute référence et de tout critère religieux,

y compris en des matières éthiques essentielles où, traditionnellement, la religion était

impliquée, y compris dans la « morale commune » qui règle les relations et les décisions

courantes des individus » (Schlegel, 1995, p.9).

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Affirmons-le dès maintenant, dans ce travail la sécularisation ne sera pas abordée dans ce sens, à

savoir comme une sortie de la religion. Une définition du concept nous exige à remonter à son origine

car il ne fut pas utilisé pour la première fois ni en sociologie ni en histoire. « Le mot a son origine,

nous rappelle Antoine Vergote, dans les lois de l’Église catholique, où il signifie le passage, d’un

homme ou d’une femme, de la vie religieuse consacrée à la vie laïque » (Vergotte, 1983, p.421). Donc

le concept de sécularisation fut au départ un terme ecclésiastique : « il s’agit d’un processus, actif ou

passif, par lequel une réalité qui était étroitement liée à Dieu et à la religion, retourne au saeculum, au

monde profane» (Vergotte, 1983, p. 421). Le concept de sécularisation serait lui-même sécularisé,

selon l’auteur, pour trouver une nouvelle interprétation dans l’histoire de la civilisation occidentale.

Par le fait de toujours penser la sécularisation comme une sortie de la religion, il devient de plus en

plus difficile de trouver une définition appropriée. Toutefois certains auteurs nous facilitent le travail

en proposant des définitions proches du fait. Ainsi selon Danièle Hervieu-Léger :

« La sécularisation, ce n’est pas d’abord une perte de la religion dans le monde moderne.

C’est l’ensemble des processus de réaménagements des croyances qui se produisent dans

une société dont le moteur est l’inassouvissement des attentes qu’elle suscite, et dont la

condition quotidienne est l’incertitude liée à la recherche interminable des moyens de les

satisfaire. Contrairement à ce que l’on nous dit, ce n’est donc pas l’indifférence croyante

qui caractérise nos sociétés. C’est le fait que cette croyance échappe très largement au

contrôle des grandes Églises et des institutions religieuses» (Hervieu-Léger, 1999, p. 42).

Une définition qui nous dit surtout ce que la sécularisation n’est pas, mais pas ce qu’elle est. Plus

simplement nous pouvons le concevoir comme un « mouvement historique qui a vu des secteurs de

plus en plus nombreux de l’activité et de la pensée humaines échapper à l’emprise du religieux »

(Donegani, 2008, p. 39).

2.2. Les ambigüités du concept de sécularisation

Plusieurs auteurs soulignent les ambigüités du concept de sécularisation. A. Vergote (1983) pour sa

part pense même que ces ambigüités font négliger la réalité de la pensée religieuse. Selon lui certains

confondent séculariser et déchristianiser, et d’autres prennent pour vrai l’idéologie selon laquelle les

hommes arrivés à maturité ou dans une culture scientifique, abandonnent nécessairement la religion.

Pour lui tout cela est faux dans la mesure où des études ont clairement montré que dans son ensemble,

la civilisation européenne reste fortement attachée à l’orientation religieuse et morale de la civilisation

chrétienne.

Les ambigüités du concept de sécularisation peuvent se comprendre aussi par le revirement de

position de certains de ses ardents défenseurs. Ainsi B. Wilson (1966) fut l’un des plus ardents

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défenseurs de la thèse de sécularisation et la concevait comme : « the process whereby religious

thinking, practice and institutions lose social signifiance » (Bryan, 1966, p.14). Pour Willaime (2006),

la définition de Wilson présente quatre éléments centraux. Tout d’abord la sécularisation est bien un

processus de baisse ou de perte affectant la religion. Ensuite ce processus concerne l’influence sociale

de la religion dans le fonctionnement du système social. Puis il concerne également les croyances, les

pratiques et les institutions religieuses. Et pour finir, il est surtout repérable en Occident. Près de vingt

ans plus tard, Wilson éprouvait la nécessité de rectifier ses dires. Ainsi il précisa, selon Willaime,

« qu’il voulait tout simplement dire que les conceptions du supranaturel « cessaient d’être

déterminantes pour l’action sociale » (Cité par Willaime, 2006, p.761). Et ajoute « le modèle de la

sécularisation ne prédisait en rien une éventuelle éclipse total du religieux : non seulement il pouvait

perdurer dans la sphère privée, mais aussi revêtir de nouvelles formes » (Willaime, 2006, p.761).

Comme Wilson, Peter L. Berger dans son ouvrage traduit en français sur le titre de « La religion dans

la conscience moderne », définissait ainsi la sécularisation : « le processus par lequel des secteurs de

la société et de la culture sont soustraits à l’autorité des institutions et des symboles religieux »

(Berger, 1971, p.174). Plus de deux décennies plus tard dans son ouvrage « Le réenchantement du

monde », il a radicalement changé d’avis pour préciser : « L’idée selon laquelle nous vivons dans un

monde sécularisé est fausse. Le monde aujourd’hui, avec quelques exceptions sur lesquelles je

reviendrai, est aussi furieusement religieux qu’il l’a toujours été ; il l’est même davantage dans

certains endroits » (Berger, 2001, p.15).

Wilson et Berger ne sont pas des cas isolés, nous pourrions encore citer comme exemple le sociologue

américain Mark Chaves. Tout ceci nous permet de saisir toute la sensibilité qui entoure cette thèse de

sécularisation. Les études se multiplient, les positions changent et le débat continue. Mais l’ensemble

des spécialistes du sujet sont presque unanimes pour reconnaitre que la thèse de la sécularisation est

discutée sur trois angles principaux (Willaime, 2006, p. 766): certains dénoncent la polysémie de la

notion et s’interrogent sur la perception de la religion qu’elle présuppose. D’autres contestent les

liens établis entre les dimensions de la modernisation et la perte d’influence sociale de la religion. Et

pour finir d’autres la perçoivent comme une théorie occidentale en allant même jusqu’à parler de la

sécularisation comme d’une « exception européenne ».

Tous ces auteurs, Wilson, Berger et Chaves, font pourtant partie de ceux qui, au départ, soutenaient la

thèse de la sécularisation. D’autres y sont opposés. Danièle Hervieu-Léger dans son livre « Le pèlerin

et le converti », invite à tenir compte de cette mutation des formes de la religiosité et cette

dissémination des phénomènes de croyance qui nous éloignent de la figure classique du « paroissien »

(Cité par Willaime, 2006, p. 768). James A. Beckford aussi de son coté « insiste sur le fait qu’aucun

des traits habituellement associés à la sécularisation ne fonctionne de façon univoque […] il n’y a pas

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obligatoirement incompatibilité entre religion et rationalité. Non seulement parce que les religions

sont aussi porteuses de rationalité, mais aussi parce que la science peut reconnaitre ses limites par

exemple pour définir quand commence ou s’arrête une vie humaine » (Cité par Willaime, 2006,

p.768). Plus radicalement, Jeffrey Hadden soutient que « la sécularisation est un fatras d’idées

vaguement reliées plutôt qu’une théorie systématique » (Cité par Tschannen, 1992, p.18).

2.3. La sécularisation en Europe

Tout comme la sécularisation qui est vue par certains auteurs comme une exception européenne

(Willaime, 2006), les concepts de séculier, sécularisation et sécularisme ont été tous créés en Europe

(Tschannen, 1992). C’est également en Europe qu’A. Vergote situe le début de ce qu’on appelle

aujourd’hui la sécularisation à partir du XVIIe siècle. Il y faut voir aussi l’influence des Lumières et

de la Révolution française. L’Europe a connu un anticléricalisme très violent nous dit Berger :

« Quand l’école est devenue obligatoire, les enfants étaient “victimes” de cette intelligencia

sécularisée. L’éducation était une fonction de l’Etat central6 ». Pourtant « entre tous les continents

l’Europe présente au regard du fait religieux une originalité qui est une donnée capitale : c’est le seul

qui ait été totalement christianisé » (Raymond, 1998, p.29). Il est devenu, selon Vergote, la première

civilisation sécularisée. Cette situation peut s’expliquer par des raisons internes et externes.

En interne Vergote insiste sur les débauches au sein même du christianisme. Si le climat fut propice

au développement de la sécularisation c’est avant tout parce qu’au sein même du christianisme les

débauches se multipliaient :

« Par son abus du pouvoir et par son luxe, la papauté avait perdu son autorité morale.

Les effroyables guerres de religion avaient suscité une révolte morale. Les disputes

hargneuses entre les écoles de théologie faisaient perdre aux théologiens leur crédit

intellectuel. L’intolérance religieuse était devenue un scandale et on stigmatisait la

violence des chefs religieux comme étant en contradiction flagrante avec la mission de

Jésus-Christ » (Vergote, 1983, p. 427).

En externe il souligne les résultats du progrès de la pensée, de la science et de la technologie.

Ainsi: « d’une part, on est amené à rejeter toute autorité intellectuelle, à lui substituer l’observation de

la nature, l’expérience, la raison naturelle. D’autre part, on se détourne d’une religion dont l’obsession

doctrinaire et le fanatisme ont causé tant de désastres, pour se vouer avec la même ardeur à la

technologie, convaincu d’améliorer ainsi les conditions de vie et même de perfectionner l’homme»

(Vergote, 1983, p.427).

6 http://www.leconomiste.com/article/la-secularisation-l-europe-est-une-exception

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2.4. La sécularisation en Belgique

Pour mieux comprendre le processus de sécularisation en Belgique, il est nécessaire de remonter

brièvement avant l’indépendance. Selon Hervé Hasquin (2008), le territoire belge d’aujourd’hui fut

français de 1794 à 1814/1815, puis hollandais de 1814/1815 jusqu’à la veille de l’indépendance. Donc

de 1794 à 1830, le territoire fut dirigé par deux empereurs césaro-papistes, à savoir Napoléon et

Guillaume 1er, qui ont tout fait afin d’exercer leur autorité sur les affaires de l’Église : « Transformer

l’Église des Pays-Bas autrichiens en une « Église Belgique » nationalisées et aux liens les plus

distendus possibles avec Rome, telle était l’ambition suprême des Hasbourg et de leur chancelier

Kaunitz. […] Echaudés, le clergé et l’opinion catholique eurent à subir, après l’annexion à la

République, la vague anti-religieuse et les ventes des biens nationaux » (Hasquin, 2008, p.13).

2.4.1- La neutralité de l’État

Toujours selon Hasquin, à la fin du régime hollandais, les catholiques et les libéraux s’alliaient et

permirent la consolidation de la Révolution en octobre 1830 et : « la Constitution adoptée par le jeune

Etat indépendant en 1831 ne fait référence explicitement ni à la laïcité – l’expression n’existait pas

encore -, ni à la séparation de l’Etat et de l’Église » (Hasquin, 2008, p. 15). Toutefois, en regardant de

près certains articles de la Constitution on pouvait apercevoir les lueurs d’une forme de laïcité

politique. Trois des articles (Hasquin, 20080) de cette constitution le confirment :

- L’article 19 garantit la liberté des cultes, leur exercice public et la liberté d’expression.

- L’article 20 spécifie que « nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque

aux actes et aux cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos ».

- L’article 21 dénie à l’Etat le moindre droit de regard dans la vie de l’Église mais précise que

« le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale ».

A noter, selon Hasquin, que ces trois articles n’ont jamais subi la moindre modification. De ce fait ce

régime belge n’est ni concordataire parce que la Belgique n’a jamais signé le Concordat, ni un régime

d’absorption de l’Église par l’Etat et ni non plus un régime de séparation stricto sensu. Ainsi la nature

de l’Etat belge peut être qualifiée de neutre, c'est-à-dire, « les lois de l’Église n’y sont pas

d’application et n’ont plus aucun effet civil ; il est tolérant et accorde même aide et protection aux

églises en punissant ceux qui outragent leurs ministres et les objets du culte» (Hasquin, 2008, p. 20).

2.4.2- La sécularisation manifeste et latente

Cette distinction élaborée par Karel Dobbelaere (2008) entre sécularisation manifeste et sécularisation

latente est importante pour la suite de notre travail. Il entend par sécularisation manifeste, une forme

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de sécularisation consciente et voulue : « celle-ci vise intentionnellement à conforter la différenciation

fonctionnelle entre le sous-système religieux et les autres sous-systèmes sociétaux, tels que

l’enseignement, la médecine et le juridique, par la mise en place de mesures légales consacrant

l’autonomie de chacun de ceux-ci » (Dobbelaere, 2008, p. 177).

Rappelons que suite à l’indépendance de la Belgique, ce sont les catholiques et les libéraux qui se sont

mis ensembles pour organiser le nouvel État. Mais cette collaboration fut fragile et a vacillé sous

l’influence de l’aile radicale libérale :

« L’aile radicale libérale, sous l’influence des loges anticléricales, s’indigne de

l’autoritarisme de la hiérarchie catholique et elle s’irrite de la mainmise que les prêtres

continuent à exercer sur la culture et le souci des pauvres. Durant la seconde moitié du

19e siècle, les majorités parlementaires changent et les libéraux radicaux, soutenus en ce

sens par un parti socialiste émergeant, vont peu à peu réussir à développer une politique

de laïcisation » (Dobbelaere, 2008, p. 177).

Les réponses de la hiérarchie de l’Église catholique ne vont pas se faire attendre. En plus de riposter à

travers des sermons belliqueux, l’Église va surtout renforcer son pilier : « le conflit en matière scolaire

stimule les leaders catholiques à ériger des écoles privées, ce qui constitue un facteur essentiel dans

l’établissement d’un pilier catholique, c'est-à-dire, d’un ensemble d’institutions et d’associations,

conçu comme devant s’inspirer de la doctrine et de la philosophie chrétienne » (Dobbelaere, 2008, p.

178). En mettant en place des écoles, des universités, des hôpitaux, des mouvements de jeunes et

d’adultes, des organisations culturelles, des médias, des mutualités, des syndicats, des banques, des

coopératives, ce pilier catholique va doubler les services de l’État.

Ainsi dès les premières années de ce jeune État, le pays a subi ce que l’auteur appelle une première

vague de laïcisation. A côté de cette forme de sécularisation manifeste, K. Dobbelaere expose aussi

une forme de sécularisation latente, c'est-à-dire, une sécularisation non recherchée provenant d’actions

ou de situations dont l’objectif n’est pas la sécularisation. Il illustre cette forme de sécularisation dans

ce qui s’est passé dans les écoles et hôpitaux catholiques du pays.

Tout d’abord dans les écoles, la démocratisation de l’enseignement dans les années 50 a eu un effet de

sécularisation latente. L’accès à l’école à tous les jeunes a provoqué une augmentation du nombre des

élèves et contraint les écoles catholiques à demander l’aide de l’Etat. Celui-ci en profite pour imposer

quelques conditions : « celui-ci l’a assortie d’exigences légales, concernant notamment les diplômes

des enseignants. Or, dans les écoles catholiques, beaucoup de ceux-ci étaient des prêtres et des

religieux (ses) qui n’étaient pas titulaires de tels diplômes. Il fallut donc embaucher de nombreux laïcs

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répondant à cette exigence, mais pour qui la référence était prioritairement celle de la profession et non

plus celle de l’Église » (Dobbelaere, 2008, p. 179).

Donc ces nouveaux enseignants ne sont pas des religieux (ses), mais des professionnels de

l’enseignement. Là où avant avec les religieux (se) comme enseignants, la religion avait son empreinte

sur toutes les matières enseignées, elle devient maintenant une matière à part entière comme les autres.

Ces nouveaux enseignants laïcs ne sont pas formés pour parler de religion dans leur cours. Nous

assistons donc ainsi à une sécularisation des matières à l’école ce qui n’était certainement pas l’effet

recherché en démocratisant l’enseignement.

Ensuite dans les hôpitaux catholiques dans les années 50, la professionnalisation du personnel entama

son processus : « Désormais ce sont les spécialisation médicales et le développement de la rationalité

administrative qui commandent la structure organisationnelle. La dimension religieuse y est totalement

marginalisée et dans la seconde moitié du 20e siècle, l’aumônerie devient un service optionnel […]

Aujourd’hui, c’est un personnel médical et infirmier de plus en plus spécialisé qui gère les choses en

se référant avant tout à des normes professionnelles » (Dobbelaere, 2008, p. 180).

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DEUXIÈME PARTIE: LES ONG BELGES DE LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT

ET LE PILIER CATHOLIQUE

Cette deuxième partie de notre travail nous dirige vers le monde de l’aide au développement belge et

le pilier catholique. Trois chapitres y seront développés. Dans le premier il s’agira de présenter notre

approche méthodologique : les recherches bibliographiques, les entretiens, les difficultés rencontrées

et les limites de notre recherche. Le deuxième chapitre laissera place à la coopération belge au

développement, plus particulièrement à ses origines, ses acteurs et son mode de financement. Et au

troisième chapitre nous évoquerons le pilier catholique belge à travers l’institution ecclésiale et

certains acteurs de ce pilier.

Chapitre I : Approche méthodologique et problématique

Si en première année de master nous avons travaillé sur la situation d’Haïti dans le cadre des accords

de Cotonou, nous avons quand même trouvé le sujet trop économique. Très tôt nous nous sommes

convaincu de la nécessité de trouver un autre sujet pour la deuxième année. De la question de la

sécurité alimentaire, de l’impact de la colonisation sur l’aide humanitaire, des ONG en Haïti suite au

séisme, etc. les idées furent nombreuses. Et au final, suite à la lecture d’un texte traitant du

« développement de tout l’homme et de tout homme », nous avons décidé de travailler sur la

conception catholique du développement. Dans ce chapitre nous allons essayer de présenter les

différentes étapes de notre recherche. Nous partirons de notre approche méthodologique et ainsi de la

recherche bibliographique, en passant par les entretiens et les difficultés rencontrées. Nous tiendrons

aussi à faire part des limites de notre recherche.

1.1. Approche méthodologique

Nous avons eu la chance de faire notre stage chez Entraide et Fraternité qui est une ONG catholique.

Ce qui fut un bon départ pour notre sujet et du coup une approche qualitative pour notre travail s’est

imposée. Depuis le mois de février nous avons établi des contacts chez Entraide et Fraternité, Iles de

Paix et Solidarité Mondiale pour des entretiens. Avant d’arriver au déroulement de ces entretiens,

voyons tout d’abord la recherche bibliographique.

1.1.1- La recherche bibliographique

Dès la certitude de travailler sur ce sujet, la recherche bibliographique fut la première étape. Elle a

pratiquement commencé dans le cadre du « Séminaire d’initiation à la recherche en développement et

coopération internationale » où nous avons eu comme exercice de présenter une bibliographie en lien

avec notre sujet de recherche. C’est qu’ainsi nous avons commencé les premières recherches

bibliographiques pour notre travail.

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Notre premier souci était de rechercher des informations sur la conception catholique du

développement. Le réseau bibliothèque de l’université nous a été très utile, de même que celui des

Chirroux et sans oublier la bibliothèque de l’institut international de théologie Lumen vitae à

Bruxelles. Comprendre la conception catholique du développement nous a exigé une compréhension

de l’enseignement social de l’Église. Pour cela il nous a fallu faire connaissance avec les encycliques

sociales depuis Rerum novarum jusqu’à Laudato Si.

Dans notre travail il s’agit aussi de la sécularisation qui est un concept complexe en sociologie des

religions. Il nous a fallu trouver des ouvrages et surtout des articles scientifiques pouvant nous

permettre d’acquérir un minimum de données. Nous traitons de la sécularisation dans des ONG du

pilier catholique en Belgique. Nous ne pouvons pas dans ce cas ignorer le contexte de l’aide au

développement belge et son histoire.

Notre stage chez Entraide et Fraternité nous a aussi permis de découvrir une mine de documents à la

fois sur l’ONG et aussi sur la conception catholique du développement. C’est aussi à partir de là que

les contacts sont établis vers les deux autres ONG qui nous concernaient au départ, à savoir Iles de

Paix et Solidarité Mondiale. A chaque contact d’autres personnes nous ont été conseillées et des

sources de recherches nous ont été proposées. Ainsi notre bibliographie a pris forme et a continué de

s’enrichir tout au long des lectures et de notre analyse.

1.1.2- Les entretiens

Grâce aux contacts établis durant notre stage, nous avons pu fixer quelques rendez-vous pour des

entretiens. Tout d’abord avec des membres d’Entraide et Fraternité, puis de Solidarité Mondiale et des

Iles de Paix. A chaque fois les méthodes ont été les mêmes en s’améliorant d’un entretien à un autre.

Nous avons opté pour des entretiens semi directifs car pour nous l’essentiel était de permettre à notre

interlocuteur de pouvoir s’exprimer ouvertement. Toutefois de temps en temps nous intervenons pour

une reprise, une relance afin d’orienter la conversation sur certains thèmes clés.

Pour ces différents entretiens nous avons élaboré une grille contenant deux parties. La première,

identique à tous nos interlocuteurs, consiste, en demandant l’autorisation d’enregistrer, à sa

présentation, son lien avec l’ONG, son parcours, etc. La deuxième partie contient surtout des points

ayant rapport avec l’ONG en question. Nous avons bien dit, des points et non uniquement des

questions. Nous n’avons pas formulé des questions au préalable, nous avons tout simplement noté des

mots clés suite à nos lectures. Les questions sont formulées spontanément et ce sont surtout les

relances et les reprises qui ont guidé nos entretiens.

Ce qui fut aussi assez intéressant, c’est que chaque entretien nous a servi de support au suivant. A un

certain moment nous savions les points sur lesquels il fallait surtout insister et l’entretien ne mettait

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pas fin au contact avec notre interlocuteur, des échanges par email, voire même des vidéoconférences

demeurent possible en cas de besoin.

1.1.3- Les difficultés rencontrées

La tâche n’a pas toujours été facile. Notre première difficulté était de trouver des personnes de contact

chez Iles de Paix et Solidarité Mondiale pour un entretien. Après avoir contacté le secrétariat de ces

deux ONG, la réponse fut à peu près la même, pour l’instant le personnel est surchargé, certains sont

même en mission, le peu de personnel restant travaille pratiquement à temps plein. Mais à travers nos

échanges, nous avons fini par comprendre que notre sujet n’intéressait pas ces deux ONG. La question

de la sécularisation, selon elles, ne les concerne pas puisqu’elles n’ont jamais été des ONG

confessionnelles.

Cela ne nous a pas découragé, nous avons établi de nouveaux contacts qui, finalement, nous ont

permis de fixer des rendez-vous pour d’éventuels entretiens chez Iles de Paix et Solidarité Mondiale.

Si pour la première ONG nous sommes satisfaits des entretiens, ce ne fut pas le cas pour la deuxième.

Nous avons recueilli trop peu de données et avons même pensé abandonner cette piste pour une autre.

Cependant, le cas de Solidarité Mondiale dans le cadre de notre sujet demeure intéressant. Pourquoi

alors ne pas tenir compte d’une quatrième ONG qui, à la différence des deux autres, reconnait et

admet son statut d’ONG catholique ? C’est même souhaitable si notre objectif est d’étudier la

sécularisation dans ces ONG, d’où notre choix pour Caritas-Belgique. Donc au lieu des trois ONG

comme annoncé au début de notre travail, il y aura quatre.

1.2. Les limites de la recherche

Nous partons de l’idée d’une mission impossible, rendre un travail parfait ! Sur les réseaux sociaux il

y aurait sûrement un charmant petit émoticône au lieu d’un point d’exclamation à la fin de cette

phrase. Malheureusement dès le départ nous avons pris conscience de certaines limites de notre

travail, dont deux sont principalement significatives. La première limite concerne les personnes

interviewées. Elles sont pour la plupart des cadres de l’ONG et donc surreprésentées. Et la deuxième

est le manque de connaissance ou de données recueillies sur nos ONG mise à part Entraide et

Fraternité.

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Chapitre II : La coopération belge au développement

Comme le titre l’indique déjà, ce chapitre nous ramène au cœur de la coopération belge au

développement. Nous allons surtout nous intéresser à l’un des acteurs clés de cette coopération que

sont les organisations non gouvernementales belges de coopération au développement. Elles n’ont pas

toujours existé, elles ont été créées à un certain moment de l’histoire résultant du contexte à la fois

politique, économique et social belge et international.

2.1. Les ONG belges de la coopération

La création d’organisations non gouvernementales n’est pas le fruit du hasard, elle résulte souvent

d’une combinaison de différents facteurs à la fois social, politique et économique aussi bien sur le

plan national qu’international. Pour ainsi dire, « l’émergence des ONG a été fortement influencée par

le contexte propre aux différentes époques et par leur inscription institutionnelle et sociologique dans

la société belge » (Gregor Stangherlin, 2001, p.6). Ainsi plonger dans leurs origines nous aidera à

mieux saisir le contexte de leur époque, leurs différents acteurs et leur mode de financement.

2.1.1- Origines

En Belgique, de par son époque de création, le contexte international, son objectif et d’autres facteurs

parfois méconnus, la complexité qui caractérise le secteur des ONG est de plus en plus difficile à

cerner. Toutefois partir de leur origine permet de mieux les comprendre. Selon une typologie

proposée pas Gregor Stangherlin (2001), quatre générations d’ONG sont à l’origine de la coopération

au développement belge.

La première génération remonte selon lui aux initiatives entreprises durant la période coloniale à

partir des années 1930 dans le contexte politique, social et économique de l’après-guerre. Ce sont des

associations d’avant-garde et ces initiatives sont portées par des universités et des organisations du

pilier catholique dans les colonies. Cette génération a privilégié des initiatives de développement

communautaire et des initiatives d’assistance aux macro-structures. Les premières puisent leur origine

dans la tradition anglo-saxonne. Dans ce système la communauté locale est considérée comme la base

de la vie en société et de son développement, l’animateur du village en est le moteur. En ce qui

concerne le deuxième type d’initiative, il s’agit de l’insertion de volontaires dans des macro-

structures, comme l’enseignement, l’administration et les centres de santé.

Parmi ces associations de cette période coloniale citons : les Compagnies bâtisseurs (COOPIBO),

Withuis, la Fondation Damien, Medicus Mundi, etc. Elles n’étaient pas encore des organisations de

coopération au développement mais furent la base de ces projets entamés à partir des années 1960.

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Elles ont surtout permis de créer une sensibilité aux problèmes du Sud. Elles s’organisaient autour de

trois types d’activités : l’aide alimentaire, la formation et la santé.

La deuxième génération, selon Stangherlin (2001), est liée à la décolonisation et au mouvement

international des deux premières décennies de développement. C’est surtout à partir de cette

génération que l’on commence à parler de coopération au développement. Nous sommes en 1960,

l’Europe est en plein boom économique, la croissance est partout. Toutefois, l’expérience douloureuse

de la guerre restait vive dans les mémoires et facilitait une forme d’empathie envers les nations

touchées par la guerre et la famine. Et aussi beaucoup d’agents d’ex-colonies éprouvaient un

sentiment de responsabilité envers leur patrie d’adoption en difficulté. Tout ceux-ci ont permis la

création d’initiatives non gouvernementales. Ce furent surtout des projets de petite taille. Parmi ces

organisations figurent COMIDE-EDMOS et Caritate Aegrorum Servi (Caraes).

Au niveau international durant l’année 1960, deux facteurs ont contribué à la création d’autres ONG.

Le premier fut la campagne lancée par le FAO contre la faim et qui incite aussi à la création de

comités nationaux. Ainsi l’on a vu naitre par exemple en France le Comité français contre la faim et

en Belgique, le Comité pour la campagne contre la faim. Le pape Jean XXIII a donné son appui à la

campagne de la FAO en appelant aux chrétiens de prendre part à la lutte contre la faim. Suite à cet

appel, en Belgique la Campagne de Carême est lancée et donna naissance par la suite à Entraide et

Fraternité et Broederlijk Delen. Et du coté protestant on retrouve : Missions évangéliques contre la

lèpre, Tear Fund, Solidarité protestante, etc. Le second facteur de développement du secteur des

ONG, toujours selon Stangherlin (2001), est la prolifération des programmes d’envoi de jeunes outre-

mer, faisant écho en Belgique à l’appel du roi Baudouin aux jeunes forces de la nation de s’engager

comme volontaire outre-mer.

Cette deuxième génération a donc vu naitre des ONG fortement institutionnelles et qui sont nées soit à

l’intérieur des structures préexistantes que sont en majorité des églises et des communautés

religieuses ; soit à partir des initiatives internationales.

La troisième génération d’ONG pour sa part qualifiée d’ONG tiers-mondistes, trouve son repère à la

conférence des non-alignés de Bandung en 1955. Cette génération fait suite aux mouvements

étudiants de Louvain et de la radicalisation du discours d’une partie du catholicisme. Ce sont pour la

plupart des mouvements plus politiques qui font le lien entre le sous-développement du Sud et le

capitalisme du monde occidental. La radicalisation de ces mouvements est aussi liée à l’arrivée à

Louvain de beaucoup d’étudiants venant de l’Amérique latine. Parmi les ONG de cette troisième

générations nous retrouvons : OXFAM-Belgique en 1963, la Commission justice et Paix (CJP) créée

en Belgique en 1968 suite au Concile Vatican II, le CETRI en 1976, , etc. Avec cette génération

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d’ONG, le développement n’est plus considéré comme une simple question de retard ou de

modernisation. Apporter de l’aide ne suffit plus.

Avec la quatrième génération d’ONG baptisées de techniciens sans frontières vers les années 1980,

Stangherlin (2001) nous apprend que l’idéologie tiers-mondiste subit une remise en question

fondamentale. La nouvelle vague d’ONG que sont Médecins sans frontières (MSF), Médecins du

monde, Handicap international, MEMISA, etc. rejette l’idée d’un Sud victime du pillage du Nord.

Cette nouvelle génération tient à souligner le rôle des dirigeants du Sud dans le dysfonctionnement de

leur propre Etat. Avec des guerres dans différents endroits du monde au cours des années 1990, on

voit aussi émerger l’aide humanitaire. C’est donc une génération d’ONG techniciennes, moins

idéologiques, plus apolitiques et plus pragmatiques.

Donc selon Stangherlin (2001), sur le plan institutionnel en Belgique, nous avons assisté à

l’émergence de quatre générations d’ONG en deux catégories. Une première catégorie ce sont des

ONG créées à l‘intérieur des structures préexistantes que sont les églises (catholiques et protestantes),

l’université, les partis et les syndicats. Une deuxième catégorie d’ONG d’initiatives des nouveaux

mouvements sociaux et de la génération d’après 1968 avec un rapport plus distant et plus critique. Sur

le plan sociologique les ONG se distinguent en fonction de leur inscription ou non dans les piliers de

la société belge : sociale-chrétienne, socialiste, libérale, et en dehors des piliers traditionnels.

Patrick Develtere et ses collègues (2004) résument la situation en concluant : « Dans leur ensemble,

les ONG belges n’ont jamais vraiment développé de vision unitaire ni de stratégie commune.

Contrairement aux « grands mouvements sociaux », les organisations non gouvernementales ne

disposent, pour la plupart, ni d’un membership ni de procédures participatives ou démocratiques

permettant de négocier et de dégager une vision collective et des stratégies propres» (Develtere,

Fonteneau, Pollet, 2004, p.804).

Précisons enfin que, si cette typologie de Stangherlin part des années 1930 et place la naissance de la

coopération belge au développement avec l’indépendance du Congo en 1960, l’opinion la plus

répandue remonte sa naissance avec la Société des Nations : « En fait, elle [la coopération belge]

débute bien avant : après la Première Guerre mondiale déjà, dès 1919, la Belgique s’inscrit dans les

objectifs de la Société des Nations qui se fixe notamment pour buts de promouvoir la coopération

internationale et d’amener progressivement les pays colonisés à l’autonomie et à l’indépendance»

(Aristide, Develtere, 2011, p.8)

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2.1.2- Les acteurs

Les acteurs de la coopération belge au développement sont nombreux et divers. Principalement on en

distingue deux groupes : les acteurs institutionnels et les acteurs de terrain que sont les coopérants. Ils

ne contribuent pas tous au même niveau : « certains collaborent au niveau bilatéral, d’autres au niveau

multilatéral et d’autres enfin de façon indirecte » (ACODEV, 2016). Parmi ces acteurs citons : le

ministre ou le secrétaire d’Etat, l’administration de la coopération, le parlement fédéral, les ONG, les

universités, les institutions scientifiques, les nouveaux partenaires pour la coopération, le secteur privé

et les entreprises, et enfin les partenaires internationaux. Tous ces acteurs selon ACODEV peuvent

être classés en quatre groupes : les institutions gouvernementales, les acteurs indirects, les instances

internationales et les organisations et institutions dans le Sud.

Pour les institutions gouvernementales nous retrouvons les acteurs officiels de la coopération belge, et

là encore ils sont divers. A sa tête nous retrouvons un ministre ou un secrétaire d’Etat à la

coopération. Ce dernier, selon P. Develtere et A. Michel : « jouit d’une grande liberté d’action sous le

contrôle, peu contraignant, du Parlement et du gouvernement » (Aristide, Develtere, 2011, p. 41). En

ce qui concerne la politique de développement : « celui-ci peut donner l’impulsion qu’il souhaite,

pour autant qu’il respecte les orientations générales de la politique extérieure belge. Si l’objectif de la

coopération vise à contribuer au développement des populations les plus pauvres, il existe de

nombreuses façons de rencontrer cet objectif. Chaque titulaire développe sa propre vision de la lutte à

mener contre la pauvreté » (Aristide, Develtere, 2011, p. 41).

Le ministre ou le secrétaire d’Etat n’est pas seul, il est entouré d’une administration et d’une agence

qui s’occupent des politiques de développement. D’un coté la Direction Générale de Développement

(DGD) qui « se charge de l’aide bilatérale (à travers des programmes gouvernementaux) et

multilatérale de l’Etat fédéral. La DGD reconnaît et cofinance les activités proposées par les acteurs

de la coopération indirecte (par exemple les ONG) » (ACODEV, 2016). Et d’un autre la CTB qui

« est l’Agence d’exécution de coopération au développement bilatérale belge. C’est une société

anonyme de droit public à finalité sociale dont les relations avec l’Etat fédéral sont définies dans un

contrat de gestion. La CTB met en œuvre et fait le suivi des programmes conçus par la DGD ; mais

aussi des programmes appartenant à d’autres institutions (par exemple : UE) » (ACODEV, 2016). Et

au niveau des communautés il y a un département qui se charge de la coopération au développement.

Les acteurs indirects de leur coté sont aussi divers, nous y retrouvons : les ONG, les universités, les

institutions scientifiques, les syndicats, les IPSI, le secteur privé et les entreprises, les villes, les

communes, etc. L’ensemble de ces acteurs sont regroupés sous le sigle d’ACNG (acteurs de la

coopération non gouvernementale). Les ONG découlent de la société civile et sont constituées en

ASBL. Elles tissent des liens avec la société civile des pays du Sud.

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Au niveau multilatéral nous avons un troisième groupe d’acteurs que sont les instances

internationales : « La Belgique contribue de manière substantielle à des nombreuses agences et à

plusieurs organismes des Nations-Unies, en particulier la Banque Mondiale, le FMI, le programme

ONUSIDA, l’OIT, l’OIM, etc. Ces contributions sont généralement d’ordre budgétaire, et sont gérées

et orchestrées par l’Administration fédérale en charge de la coopération au développement (DGD) »

(ACODEV, 2016). En dernier lieu il y a aussi des institutions du Sud qui reçoivent l’aide de la

Belgique pour certains projets.

2.1.3- Le financement

Nous n’allons pas tenir compte du financement de la coopération belge au développement dans son

ensemble, mais celui d’un groupe d’acteurs spécifique: les ONG. Pour parler du financement des

ONG en Belgique, on préfère utiliser le concept de cofinancement. Ceci parce que « le financement

des ONG se distingue par ce qui relève de l’apport privé d’une part et ce qui relève de l’apport public

d’autre part » (AVODEV, 2016).

L’apport privé des ONG est en grande partie constitué de dons reçus des particuliers, des fondations,

des sociétés, des églises, etc. En plus de ces dons, il y a « la campagne 11.11.11 de récolte de fonds

qui permet aux ONG d’obtenir une bonne partie de leurs ressources propres. Cette campagne a lieu

chaque année au mois de novembre depuis 1966. Elle est organisée par le CNCD pour la partie

francophone du pays et par 11.11.11 Vlanderen pour la partie néerlandophone » (ACODEV, 2016).

De manière individuelle, chaque ONG développe sa propre stratégie de récolte de fonds en respectant

un principe d’éthique dans leur communication. Cet apport privé des ONG constitue ce qu’on appelle

couramment leur fond propre.

En ce qui concerne l’apport public, c'est-à-dire, des subsides du gouvernement fédéral,

communautaire et régional, c’est plus compliqué car l’ONG doit recevoir de l’Etat belge une

accréditation comme organisation de la société civile. Celle-ci est fournie sous certaines conditions et

à la demande de l’ONG. Chaque bailleur décide lui-même du pourcentage du montant à contribuer.

Les principales sources de cofinancement publiques proviennent de trois sources (ACODEV, 2016):

- Au niveau fédéral : à ce niveau le cofinancement est de la charge de la DGD. Mais les ONG

peuvent aussi recevoir le support du Ministère des Affaires étrangères et du Parlement

fédéral ;

- Au niveau communautaire ou régional : chaque communauté ou région cofinance leur propre

ONG. Ainsi la région wallonne et la communauté française cofinancent les ONG

francophones et la communauté flamande les ONG néerlandophones ;

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- L’Union européenne : les ONG sont aussi cofinancées par l’Union européenne en répondant

aux appels d’offre réservés aux acteurs non-étatiques. Mais ce cofinancement est de plus en

plus difficile à cause de l’élargissement de l’Union et du fait que le montant alloué est resté

stable depuis une dizaine d’années.

Chapitre III : Le pilier catholique

Comprendre le lien entre le catholicisme et le monde des ONG en Belgique requiert une attention

particulière à ce monde catholique, nous parlerons ainsi du pilier catholique. Il est évident de

comprendre plus ou moins ce qu’il en est, son organisation, ses différents acteurs et même les tensions

qui s’y dégagent. Notre intention ici n’est pas d’identifier tous les acteurs du pilier catholique, ce

serait une mission trop incertaine. L’objectif est plutôt de permettre de se faire une idée de cet

ensemble. Qu’entend-on par « pilier » dans le contexte de notre travail ? Selon le CRISP7, un pilier

serait un :

« Ensemble d’organisations qui ont une idéologie commune et qui veillent à son

influence dans l’organisation de la société […] En ce sens, un pilier est un ensemble

d’organisations qui partagent une même tendance idéologique : de manière plus ou

moins complète selon le cas, un pilier peut se composer d’un syndicat, d’une ou de

plusieurs mutualités, d’organisations professionnelles de classes moyennes ou

d’agriculteurs, de mouvements de jeunesse et d’éducation permanente, d’écoles privées

ou publiques, d’associations culturelles, sociales, etc. […] Un pilier peut être traversé

par de fortes nuances internes, voire par des tensions : le pilier chrétien, par exemple, est

loin d’être homogène en matière socio-économique voire religieuse». (CRISP, 2016)

Cette division de la société en pilier fut une réalité en Belgique et aux Pays-Bas. En Belgique, selon le

CRISP, les principaux piliers correspondaient aux trois partis politiques traditionnels: chrétien, libéral,

socialiste. D’où la figure triangulaire suivante tracée par H. Haag (1982):

7 - http://www.vocabulairepolitique.be/pillier/

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Selon ce schéma, la société du point de vue politique était surtout divisée en catholiques et non

catholiques que sont les libéraux et les socialistes. Il faut toutefois éviter de considérer ce clivage

comme franc et net car « figurent dans le monde non catholique politique des personnes qui sont et

resteront néanmoins catholiques sur le plan religieux […] Pas mal de libéraux siégeant au Parlement

en 1879 étaient catholiques sur le plan religieux » (Guérin, 1982, p. 164). Ainsi dire, « les piliers

s’intéressaient non seulement aux croyances, mais également à la défense des intérêts des adhérents en

couvrant les grands risques sociaux de la classe ouvrière par des interventions multiples de l’Etat »

(Mommen, 2014, p.117).

Mais dès 1960, nous dit A. Mommen, les églises catholiques se vidaient de leurs fidèles à cause, entre

autres, d’un triple changement. Le premier était la commercialisation des pilules contraceptives sur le

marché, ainsi les jeunes s’orientaient librement vers la liberté sexuelle, délaissant massivement

l’Église devenue désuète. Deuxième changement, la démocratisation des études supérieures doublée

d’une révolution culturelle symbolisée par Mai 68 poussant les partis politiques à adopter des lois

relatives au droit familial, y compris le divorce. Troisième et dernier changement, toujours selon A.

Mommen, « l’accumulation rapide de capitaux, permettait d’améliorer le niveau de vie de la majorité

de la population, tandis que la suburbanisation déplaçait une partie de la population toujours plus

importante vers de nouvelles cités dans lesquelles les habitants perdent peu à peu leur identité

d’origine » (Mommen, 2014, p. 122).

Cet affaiblissement de l’Église va conduire au déclin du parti chrétien et à la montée de l’idéologie

néolibérale. Ainsi en Belgique on va assister à une coalition social-démocrate et libérale qui

« s’impose en 1999 suite à une défaite électorale cuisante des démocrates-chrétiens. Ce type de

coalition nommée « mauve » signifie la fin définitive de la pilarisation de la société et du système de

concertation entre les groupes d’intérêts différents » (Mommen, 2014, p. 123).

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3.1. L’Église de Belgique

L’Église de Belgique compte aujourd’hui neuf diocèses (Conférence épiscopale) : l’archidiocèse de

Malines-Bruxelles, les diocèses de Liège, de Namur, de Tournai, des Forces Armées, d’Anvers, de

Bruges, de Gand et d’Hasselt. L’ensemble des évêques exerçant leur fonction se regroupe en

Conférence épiscopale, en général une fois par mois, autour de l’archevêque de Malines-Bruxelles,

Mgr Jozef De Kesel : « L’archevêque, avec le Secrétaire Général, définit différents points qui

concernent le fonctionnement de l’Église à examiner lors des séances de cette Conférence des évêques

de Belgique […] A noter encore que chaque évêque est référent dans une matière bien particulière. Il

en devient en quelque sorte le spécialiste et c’est lui qui est chargé lorsque des questions visant sa

compétence sont examinées lors de la Conférence épiscopale d’en informer ses collègues8 ». Cette

conférence épiscopale est la voix officielle de l’Église catholique belge.

3.1.1- L’Église comme ’’institutions’’

Aborder l’Église comme institution nous exhorte au départ à préciser ce que nous entendons par

institution. Michel Johner (2000) dans sont article « L’Église : l’événement et l’institution » examine

la question en précisant que du point de vue philosophique « l’institution n’est pas un simple état de

fait, ce n’est pas la simple nature des choses […] c’est d’abord la façon dont la communauté

s’organise et se structure. C’est aussi la structure d’autorité dont la communauté se dote. Mais au-delà

de cette organisation, l’institution est essentiellement une parole, la parole par laquelle, ou autour de

laquelle, la communauté se rassemble » (Johner, 2000). Ainsi selon lui, l’institution c’est :

« L’ensemble des paroles qui sont reconnues par la communauté comme l’expression

(officielle) de son identité et de ses projets. Ce sont les paroles qui disent la normalité et

précisent la direction dans laquelle le groupe espère se construire. Ce sont les repères,

les référentiels sur lesquels la société veut se bâtir et qui constituent le cadre juridique

par lequel les expériences individuelles vont recevoir leur sens et être rattachées (ou

détachées) du projet communautaire » (Johner, 2000).

Ramenant l’institution à l’Église, le dominicain Christian Ducoq (1999) croit que sa finalité est de «

permettre aux croyants d’affronter ensemble la longueur du temps et de briser la clôture locale des

communautés spontanées ou informelles (…). L’institution maîtrise le temps et l’espace, elle

universalise » (Ducoq, 1999, p. 99). L’Église catholique est ainsi avant tout une institution et pour

être plus exact des institutions. Il faut ainsi la voir à deux niveaux. Au niveau extérieur ou elle est

définie comme institution et comme société. « En tant qu’institution, elle est constituée d’une

8- http://www.cathobel.be/eglise-en-belgique/la-conference-des-eveques/

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organisation permanente et possède un contenu orienté vers une finalité déterminée. Et en tant que

société, elle présente une structure de membres dont les fonctions sont bien précisées » (CRISP, 1967,

p.2). Et au niveau théologique, elle demeure une institution et une société.

Il faut quand même distinguer l’Église d’avant le concile Vatican II et l’Église d’après. Avant le

concile Vatican II, « l’Église était présentée comme une Société parfaite dont le dessein était de

transmettre et de maintenir le ’’dépôt de la Révélation’’ […] La communauté ecclésiale était saisie

dans sa réalité hiérarchique (et abusivement juridique) et identifiée, à l’extérieur du ’’monde

catholique’’ par son épiscopat et son clergé » (CRISP, 1967, p.2). Avec Vatican II beaucoup de

choses ont changé, l’Église comme Société parfaite est désormais du passé. Désormais « elle inscrit sa

réalisation dans des étapes qui sont liées à son degré d’insertion spirituelle dans le monde » (CRISP,

1967). Elle est vue comme missionnaire dans un monde non-chrétien, dans sa vie catéchuménale en

rassemblant ceux qui cherchent la foi chrétienne et dans son niveau eucharistique en tant que

communauté du salut (CRISP, 1967).

3.2. Les ’’acteurs’’ du pilier catholique belge

Comme nous l’avons déjà précisé au début de ce chapitre, notre objectif n’est pas d’énumérer tous les

acteurs du pilier catholique belge, mais plutôt d’essayer de présenter une vue d’ensemble. Cela nous

amènera à tenir compte à la fois des mouvements d’action catholique et aussi des institutions et

organisations chrétiennes.

3.2.1- Les mouvements d’action catholique

Ces mouvements d’actions catholiques que nous allons présenter s’adressent à un public large et

hétérogène : des jeunes, des adultes, des femmes, des parents, des familles et aussi à des catégories

professionnelles. Ce sont donc des mouvements de jeunesse, des groupements de spiritualité et des

mouvements d’adultes, des mouvements familiaux et des mouvements professionnels.

a) Les mouvements de jeunesse : dans le pilier catholique il n’existait pas un mouvement de

jeunesse mais plusieurs. On en distingue principalement quatre types (CRISP,1967). Tout

d’abord des mouvements à orientation spirituelle, leur objectif était de rechercher un

approfondissement religieux et s’adressaient à des jeunes de tous les milieux sociaux. L’exemple

parfait est la Légion de Marie. Ensuite des mouvements d’action catholique spécialisés qui eux,

s’adressent à des jeunes de milieux sociaux bien spécifiques, soit à une finalité apostolique

comme la JEC (Jeunesse Etudiante Catholique), l’EUDAC (Equipe Universitaire d’Action

Catholique) et la JIC (Jeunesse Indépendante Catholique), soit à une finalité éducative et sociale

comme la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), puis des mouvements plus proprement éducatifs

comme les Patros et les Scouts.

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Et enfin d’autres services divers pour la jeunesse qui sont des organismes d’animation et de

coordination des mouvements comme le CJC (Conseil de la Jeunesse Catholique) et l’ACJB

(Association Catholique de la Jeunesse Belge).

b) Les groupements de spiritualité et les mouvements d’adultes : ces groupements sont nombreux et

s’adressent tantôt aux adultes et tantôt aux catholiques sans distinctions (CRISP,1967). Nous y

trouvons la Ligue du Sacré-Cœur, les Congrégations Mariales et l’apostolat de la Prière, l’Action

Catholique Rurale, etc.

c) Les mouvements familiaux : ces mouvements s’adressent directement aux familles catholiques.

Vu son importance, l’Église belge a créé 1959 un Centre National de Pastoral Familial (CRISP,

1967). Elles furent présentes dans tous les diocèses du pays : Les Equipes Notre-Dame, Fraternité

de Route, Foyers Compagnons de Saint-François, etc.

d) Les mouvements professionnels : ce sont des mouvements constitués sur une base

professionnelle, liés aux impératifs déontologiques de la profession. Ces mouvements « visent

une réflexion sur la ’’doctrine sociale’’ de l’Église et une mise en pratique de ses principes »

(CRISP 1967, p. 22). Distinguons : l’UNIPEC-Belgique qui regroupe les patrons et les cadres

dirigeants catholiques ; la Société Médicale Belge de Saint-Luc ; La Fédération des Institutions

Chrétiennes de Belgique, etc.

3.2.2- Les institutions et organisations chrétiennes

Le pilier catholique belge s’est également doté de plusieurs institutions et organisations chrétiennes.

Nous allons tenir compte de quelques unes des mieux structurées et aussi de par l’importance de leur

taille au niveau national. Ce sont l’enseignement, l’action caritative et d’assistance et les organisations

sociales chrétiennes dont le fameux MOC (Mouvement Ouvrier Chrétien).

a) L’enseignement : de par sa taille et de son importance, nous pourrions qualifier l’enseignement

catholique comme un pilier dans le pilier car « le domaine de l’enseignement reste sans doute celui

ou l’emprise du monde catholique est la plus considérable » (CRISP, 1967 : 23). Il s’est structuré

autour d’un ensemble de réseaux, d’organes de coordination et de contacts tels : le Conseil Général

de l’Enseignement Catholique, l’Union des Fédérations des Associations de Parents de

l’Enseignement Catholique, la CSC-enseignement, etc. Aujourd’hui encore, le secteur de

l’enseignement catholique en Communauté française de Belgique résiste et occupe une place

prépondérante. Quelques chiffres9 datant de 2011-2012 pour l’enseignement général en

témoignent :

9 - http://enseignement.catholique.be/segec/index.php?id=1344

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b) L’action caritative et d’assistance : à l’origine, l’action caritative et d’assistance a occupé une

place de premier rang dans le domaine hospitalier. Elle fut centralisée dans ’’ l’Organisation

Nationale Catholique de la Santé et de l’Entraide ’’ dénommée Caritas Catholica (CRISP, 1967 :

26). Elle comprenait trois fédérations d’institutions et un organisme de coordination des services

d’entraide sur les plans national et international. Tout d’abord la Fédération des Institutions

Hospitalières regroupant les cliniques, les maternités, les institutions psychiatriques et les homes

pour personnes âgées et ensuite la Fédération des Services Médico-sociaux qui regroupait les

services de soins à domicile, les crèches, les œuvres et services d’hygiène mentale, etc. La

troisième était la Fédération des Institutions de Plein Air et de l’Enfance Inadaptée. Et enfin le

groupement Caritas-Secours pour la coordination avec la Société Saint-Vincent de Paul, les

Equipes d’entraide des Dames de la Charité, etc.

c) Les organisations sociales chrétiennes : ce sont des organisations qui en grande majorité

s’inspirent de l’enseignement social de l’Église, toutefois « elles n’agissent pas en fonction d’un

mandat de l’autorité ecclésiastique mais comptent au sein de leurs divers organes des représentants

du clergé (c'est-à-dire des aumôniers dénommés anciennement ’’directeurs d’œuvres sociales’’)

dont l’autorité ou l’influence varient selon les organisations et les régions linguistiques du pays »

(CRISP, 1967, p.27).

Parmi ces organisations sociales chrétiennes, le MOC (mouvement Ouvrier Chrétien) est sans nul

doute l’organisation la plus puissante du monde catholique (CRISP). Il se divise en un secteur socio-

économique regroupant les Syndicats Chrétiens, les Mutualités Chrétiennes et les Coopératives

Chrétiennes et un autre secteur socio-culturel qui poursuit un but à la fois apostolique, éducatif et

social (CRISP, 1967). En plus du MOC nous y trouvons également les organisations agricoles telles

le Boerenbond, l’Alliance Agricole Belge et le Centre d’Etudes Rurales.

Aussi à noter dans ces organisations chrétiennes les Organisations de Classes Moyennes et de Cadres

qui poursuivent une finalité culturelle et religieuse et plus particulièrement la défense des intérêts des

classes moyennes (CRISP, 1967).

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TROISIÈME PARTIE : LE CATHOLICISME À TRAVERS CES ONG AUJOURD’HUI

Nous voilà arrivés à ce qui constitue la dernière partie de notre travail : le catholicisme à travers ces

ONG aujourd’hui. Cette partie nous ramène au cœur de nos ONG à savoir, leur histoire et politique de

développement. Trois chapitres y seront développés. Le premier chapitre traite des ONG du pilier

catholique, plus particulièrement de leur histoire respective. Il ne s’agira pas de présenter toutes les

ONG de ce pilier mais de préférence celles qui nous concernent dans ce travail : Entraide et

Fraternité, Solidarité Mondiale, Iles de Paix et Caritas Belgique (Caritas International). Au deuxième

chapitre, le catholicisme dans ces ONG aujourd’hui, nous engagerons la politique de développement

de ces ONG à travers leur mission, leur lien probable avec l’Église, leur organigramme ou statut, leurs

principales valeurs prônées, etc. Le dernier chapitre pour sa part, essayera de réaliser une étude

comparative de nos quatre ONG en ce qui concerne leur niveau de sécularisation.

Chapitre I : Les ONG du pilier catholique

1.1. Entraide et Fraternité10

Afin de répondre à une famine qui sévit dans l’État du Kasaï (RDC) en 1961, la Caritas Catolica

lance la campagne du Carême de Partage sous le slogan d’Entraide et de Fraternité. Cette campagne

fut un succès et donna son nom à ce service d’Église. Deux ans plus tard en 1963, Entraide et

Fraternité devint une organisation non gouvernementale autonome qui s’inscrit dans le renouveau de

l’Église lancé par Jean XXIII et Vatican II.

En devenant une ONG autonome, Entraide et Fraternité reste tout de même attachée à l’Église

catholique. Encore aujourd’hui, elle s’inspire des principes évangéliques en agissant pour plus de

justice sociale et pour le développement libérateur. Au cours de cette première décennie pour le

développement lancée à l’appel des Nations Unies, l’aide devait permettre un rattrapage grâce aux

transferts de capitaux et d’une assistance technique. Entraide et Fraternité a suivi la tendance et a

utilisé les premiers relais, missionnaires et communautés chrétiennes, elle a apporté aussi des

contributions financières pour l’envoi des coopérants.

La décennie suivante, l’optique change considérablement. La lutte contre le sous-développement

prend l’accent d’une libéralisation politique contre la dépendance internationale et les dictatures au

pouvoir en Amérique Latine et ailleurs. Lors de la rencontre des évêques de Medellin (Colombie),

émerge une nouvelle conception de l’engagement chrétien en faveur des pauvres. Cette théologie de la

libéralisation, comme nous l’avons vu, met en avant les valeurs de l’Évangile pour la libéralisation

10 - http://www.entraide.be/Entraide-et-Fraternite-au-fil-du-temps. Ce sont des notes de mon rapport de stage.

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politique, sociale, économique et culturelle des peuples du Tiers-Monde. L’aide d’Entraide et

Fraternité suivra cette évolution.

Ainsi, les interlocuteurs de l’aide d’EF ne sont plus considérés comme des assistés mais comme des

partenaires en lien avec les organisations populaires locales. En novembre 1977, la campagne de

Carême de Partage fut défédéralisée et deux ASBL autonomes furent créées : Broederlijk Delen pour

la Flandre, Entraide et Fraternité pour la partie francophone du pays. Les années 80 furent celles

d’une consolidation des grandes lignes de force d’EF. L’accent est d’avantage mis sur la

reconnaissance des personnes comme actrices du développement. Avec cette vision, EF cherche à

favoriser des projets qui s’articulent les uns aux autres, à rechercher des groupes qui incarnent des

forces de résistance et de changement, à prendre en compte les contextes nationaux et régionaux.

1.2. Solidarité Mondiale

L’histoire de l’ONG Solidarité Mondiale est intimement liée à celle du Mouvement Ouvrier Chrétien

(MOC). Il est donc nécessaire de nous focaliser d’abord sur l’histoire du MOC. A la deuxième partie

de ce travail nous avons vu que le MOC est une organisation sociale chrétienne du pilier catholique et

est même considéré comme l’organisation la plus puissante du monde catholique. Mais le MOC

également pour sa part est l’aboutissement de la Ligue Nationale des Travailleurs Chrétiens (LNTC).

La fin de la Première guerre mondiale (14-18) fut vécue comme un nouveau départ. Au sein de

l’Église en Belgique, selon Jean Neuville (1996), ils furent nombreux à penser la réorganisation des

« œuvres » une fois le territoire libéré. Parmi eux, le père Rutten, dominicain, murmurait l’idée de

mettre en place un « bureau central de l’action sociale catholique » avec pour mission d’assurer

l’unité de programme et de direction non seulement des œuvres ouvrières mais aussi des œuvres

agricoles, des classes moyennes. Son projet, nous dit J. Neuville, aboutit au secrétariat général des

œuvres sociales qui groupait les directeurs diocésains et nationaux d’œuvres.

En Flandre, avant les élections législatives du 16 novembre 1919, le parti des catholiques va organiser

les milieux sociaux, c’est le « standen » comme disent les flamands, d’où l’expression

« standenorgnisatie ». Peu de jours après ces élections, les « travailleurs sociaux » (sociale werkers)

ont créé la Fédération des Ligues Ouvrières. Une année plus tard, nous dit toujours J. Neuville, elle

devint : l’Algemeen Christelijk Werkersverbond (ACW), en français la Confédération générale des

ligues ouvrières chrétiennes. La présidence de l’ACW signe une circulaire dans laquelle : « nous

convoquons les délégués de tous les cercles et ligues d’ouvriers chrétiens du pays wallon à une

réunion, laquelle aura lieu à Bruxelles, 19, rue Pletinckx, le lundi 10 novembre 1920 à 10h du matin

… » (Neuville, 1996, p. 13).

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Au cours de cette réunion il fut décidé d’étendre la confédération aux autres groupements : syndicats,

mutualités, coopératives, etc. pour former le « bloc démocratique ». Ce dernier fut baptisé la Ligue

Démocratique Chrétienne de Belgique (LDCB), pour devenir plus tard la Ligue Nationale des

Travailleurs Chrétiens (LNTC) qui se réunit en congrès une fois l’an. Mais comme pour la première,

la Seconde guerre mondiale (39-44) va une nouvelle fois tout chambouler. Le 9 octobre 1944, selon

Florence Loriaux (1996), se tint depuis la première guerre la première réunion officielle du comité

exécutif de la LNTC qui a pour mission de procéder à des réformes. Ainsi, la dénomination LNTC fut

remplacée par le MOC pour les francophones.

Depuis la Seconde guerre, nous rapporte F. Loriaux, le MOC aborde dans tous ses congrès les

problèmes relatifs aux pays en voie de développement et rappelle sa position car il est du « devoir du

MOC de veiller dans la métropole à la protection des intérêts culturels et économiques des indigènes»

(Loriaux, 1996, p. 183). A cette fin, dès 1955 une « Commission Congo » est mise en place. Sa

mission est d’établir des contacts entre les dirigeants des organisations. Peu de temps après

l’indépendance du Congo, le MOC décide de poursuivre son action envers le nouvel état

indépendant :

« Convaincu de la nécessité de donner rapidement et efficacement son appui moral et

financier aux mouvements ouvriers chrétiens naissants dans les pays en voie de

développement ; […] décide de créer un groupe de travail dans lequel toutes les

organisations constitutives seront représentées en vue de préparer une action ayant pour

objet d’attirer l’attention des travailleurs sur leur devoir de solidarité internationale et

de rassembler des fonds nécessaires pour aider les mouvements des travailleurs chrétiens

dans les pays en voie de développement » (Loriaux, 1996, p.184).

Ainsi fut créé le Fonds de Solidarité Mondiale qui, selon F. Loriaux, s’engage à une triple

mission :

- Assurer des échanges entre les organisations ouvrières du tiers-monde et le MOC ;

- Soutenir des organisations internationales comme la Confédération Mondiale du Travail

(CMT) ou la JOC internationale ;

- Promouvoir, grâce à une large participation financière des militants, des projets

proposés par les organisations notamment en matière de formation (Loriaux, 1996,

p.184).

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1.3. Iles de Paix

Si l’histoire de Solidarité Mondiale est intimement liée à celle du MOC, il en est de même de l’histoire

des Iles de Paix avec celle du père Dominique Pire, né Georges Pire, prix Nobel de la paix en 1958,

principal fondateur des Iles de Paix. Un détour par son histoire nous aidera à mieux comprendre

l’histoire des Iles de Paix. Le jeune Georges Pire n’avait que quatre ans lorsque sa famille a dû fuir les

troupes allemandes en 1914. En route pour Rennes, la famille Pire fit l’expérience des réfugiés et cela

marquera à jamais son existence. Il le témoigne : « Je suis fatigué, j’ai mal à la gorge. Je marche, je

dors. Tram, train. Deux jours et deux nuits en wagon à marchandises. Arrêt à Rennes, en Bretagne, car

j’ai de la fièvre. On nous regarde, on nous plaint, on nous aide. Je suis un réfugié. Mais je ne le sais

pas. Je ne le saurai, je ne le comprendrai, que trente-cinq ans plus tard, en voyant mes frères des

camps…11

». De retour en Belgique après l’armistice, la famille retrouve leur ville de Dinant en ruine.

Il entra au séminaire en 1927 et sera ordonné prêtre en 1934. Au cours de la Seconde guerre mondiale

en 1947, il rejoignit la résistance comme aumônier et devint à la fin de la guerre curé de Sarte. La

volonté et les idées du père Pire pour le social se sont développées d’un « choc initial » du contact

humain avec les réfugiés (Vander Elst, 1969). Ses œuvres furent diverses et traversées par un même

esprit:

« œuvre d’aide à l’enfance avant guerre, soutien matériel et moral des réfugiés après la

tourmente, défense surtout de leur dignité d’hommes, Université de Paix, Amitiés

Mondiales, Parrainages Mondiaux, Iles de Paix […] ayant toutes ce commun

dénominateur : aider son semblable non seulement par l’amour du cœur mais aussi par

cette forme supérieure de l’amour, celui de l’esprit, qui est respect de sa dignité, de sa

liberté, de sa conscience individuelle, sans aucune arrière-pensée philosophique,

religieuse ou politique qui puisse y porter atteinte » (Vander Elst, 1969, p. 198).

Le drame de la faim dans le monde fut parmi les problèmes de l’époque qui hantèrent le plus le père

Pire, car selon lui les pays riches ne font pas assez pour éliminer ce fléau : « Guérir un peu, manger

quelques jours, et puis mourir de la faim. Tel est le lot de ceux que l’on prétend aider. Certes cela vaut

mieux que rien. Les pays riches ont bonne conscience. Les affamés meurent un peu moins vite »

(Raymond Vander Elst, 1969 : p. 249). Ainsi bien entouré, soutenu et conseillé par des amis dont,

principalement le professeur Raymond Vander Elst, l’économiste Jacques Lefèbvre, l’agronome

Vladimir Drachoussoff et le docteur Charles Drico, il réalisera ses « Iles de Paix » dans l’esprit du

« self-help »: « Et si on aidait un groupe d’hommes et de femmes à prendre son futur en mains jusqu’à

11- https://www.ilesdepaix.org/qui-sommes-nous/ong-iles-de-paix/dominique-pire/biographie-detaillee/

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ce qu’il puisse évoluer seul?12

». Sa première Ile de Paix fut lancée à Gohira (Bangladesh) en 1962. Ce

proverbe de Confucius résume ses idées de développement : « Si tu reçois un poisson, tu mangeras un

jour. Si tu apprends à pêcher, tu mangeras toute ta vie ».

1.4. Caritas International

Caritas-Belgique n’est qu’un membre d’un grand corps qu’est Caritas Internationalis qui a débuté dès

1897 à Cologne en Allemagne. Mais ce sera surtout au XXe siècle, suite aux deux guerres mondiales

que « le besoin d'organisations humanitaires catholiques nationales se fait sentir et Caritas commence

à croître en Amérique du Nord et en Europe » (Caritas international, 2016). Relancée après les deux

guerres, 13 pays membres de Caritas se rassemblent pour la première fois en 1951 à Rome par Mgr

Montini, futur pape Paul VI. Ils s’organisent et adoptent officiellement en 1954 le nom de Caritas

Internationalis. Selon l’Église, Caritas est sa voix officielle « par rapport à son enseignement en

matière de travail caritatif » (Caritas international, 2016).

Pour sa première à l’étranger, Caritas apporte ses réponses à des inondations qui ont fortement frappé

l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas en 1955. Plus tard ce sont des réponses d’urgence en Ethiopie,

Chine et Viêt-Nam. Début des années soixante avec la décolonisation, Caritas accueille quatorze

nouveaux pays membres dont neuf nouveaux états africains. Et au moment du concile de Vatican II

Caritas Internationalis comptait déjà 74 pays membres de tous les cinq continents. Et en 2004, le pape

Jean Paul II garantit à la confédération un statut de droit canonique en reconnaissance de son travail.

Aujourd’hui « Caritas Internationalis réunit 165 organisations partout dans le monde. Il répond aux

catastrophes, promeut le développement de la personne humaine dans toutes ses dimensions et plaide

contre la pauvreté et les conflits. Réseau caritatif mondial de premier ordre, il a un statut de membre

observateur à l’Organisation des Nations unies (ONU) » (Caritas internationalis, 2016).

En Belgique, suite à la demande des évêques, le Secours International de Caritas Catholica (SICC)

ouvre ses portes en 1948, soit quelques années avant le réseau Caritas Internationalis. Son « objectif

est de venir en aide aux victimes de la Seconde Guerre Mondiale et de veiller à la réunification des

familles. Accueil et accompagnement des enfants étrangers victimes de la guerre et placés dans des

familles belges » (Caritas international, 2016). Au cours des années de 1950, le SICC accueille des

Russes et Ukrainiens malades sortis des camps chinois et apporte son aide d’urgence et de

réhabilitation au Soudan et en Hongrie. Les années 60 sont surtout marquées par l’accueil des rapatriés

belges du Congo, l’aide aux réfugiés albanais du camp de Gerovo, des opérations au Viêt-Nam et de

l’aide humanitaire au Biafra.

12-https://www.ilesdepaix.org/qui-sommes-nous/ong-iles-de-paix/dominique-pire/biographie-detaillee/

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Dans les années septante le SICC est rattrapé par l’aide d’urgence pour les victimes du cyclone et de la

guerre civile au Pakistan, également au Burundi, Roumanie, Iran, etc. Les années 80 voient le SICC

s’engager principalement contre trois fléaux : la sécheresse et famine qui ont frappé 24 pays

d’Afrique, des projets médicaux suite aux catastrophes de Tchernobyl et programme alimentaire en

Roumanie suite à la chute du mur de Berlin. Ce dernier évènement fait le pont aux années 90. En 1992

le SICC devient Caritas Secours International (CSI) et appuie surtout des programmes au Rwanda

suite au génocide. Et en 2003, le CSI change de nom et devient Caritas International.

1.5. Le catholicisme, pilier fondateur de ces ONG ?

Il ne s’agira pas ici de chercher à confirmer le catholicisme comme pilier fondateur de nos quatre

ONG mais de préférence de voir, à leur origine, ce qui les liait au catholicisme. Ou tout simplement il

s’agira de répondre à la question : est-ce que ces quatre ONG sont effectivement issues du pilier

catholique belge? Nous nous situons au moment de la création de nos ONG. Nous avons déjà vu que

les organisations et institutions chrétiennes du pilier catholique en Belgique sont principalement de

trois types : soit elles sont dans l’enseignement, soit dans l’action caritative et l’assistance, et

finalement dans le social. Il apparait donc aisé de pouvoir les classer comme organisations sociales

mais qui font aussi des actions caritatives et de l’assistance.

Pour Caritas comme pour Entraide et Fraternité l’appartenance à ce pilier parait évidente. Elles sont

toutes deux créées suite à la demande des évêques. Pour Caritas les évêques ont tout simplement

répondu favorablement à un mouvement lancé depuis l’Allemagne qui petit à petit s’est structuré dans

les pays catholiques du monde sous le nom de Caritas. Le service EF pour sa part est créé d’une

décision des évêques et pris en charge par la Caritas. Bien qu’elle est devenue une ONG à part entière,

son attachement à l’épiscopat est resté comme un fait, d’ailleurs au cours de ces premières années,

l’Église, à travers ses fidèles, assumait pratiquement la totalité de son financement (Carême de

partage, don, legs, etc.). Nous pouvons dire que Caritas et EF sont créées à la demande d’un groupe

d’acteurs de première place du pilier catholique que sont les évêques. Il n’y a pas mieux au niveau

national.

La donne est différente en ce qui concerne les ONG Solidarité Mondiale et Iles de Paix. Différentes

tout simplement au niveau des acteurs qui ont eu l’idée de les créer. Pour la première, fille du MOC

qui est considéré, selon certains, comme le mouvement le plus puissant du pilier catholique. Ainsi

nous voyons mal comment nous pourrions ne pas considérer SM comme ayant appartenu à ce pilier.

Surtout l’un de ses objectifs était de faire le lien entre les organisations ouvrières du Sud et le MOC en

Belgique.

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Iles de Paix, pour sa part, bien que fondée en majeure partie par le père Pire présente des

caractéristiques assez particulières par rapport aux trois autres ONG. Certes ce fut l’initiative d’un

curé, le père pire, mais entouré de fidèles collaborateurs sans qui l’expérience serait toute autre. Deux

d’entre eux : Raymond Vander Elst, professeur à l’ULB est franc-maçon et l’agronome Vladimir

Drachoussoff est Russe et orthodoxe. Ce que Laurent Degge nous confirme : « Il [D. Pire] crée cette

organisation avec deux personnes, le professeur Raymond Vander Elst qui est professeur de droit à

l’ULB, le gars est franc-maçon autant qu’il est possible de l’être et un agronome qui va être le penseur

technique pendant longtemps qui s’appelle Vladimir Drachoussoff c’est un gars qui a été actif dans le

Congo belge». (Propos recueillis de Laurent Degge, Iles de Paix)

Iles de Paix est donc fondée par un curé et ses premières activités ont pris forme autour de sa paroisse

de Sarte. En majorité ce sont des fidèles de la paroisse qui furent les premiers bénévoles engagés, sans

oublier l’utilisation des locaux de la paroisse. De ce fait, il est acceptable de considérer Iles de Paix

comme appartenant au pilier catholique. Toutefois l’ONG présente plus un caractère œcuménique ou

humaniste que catholique, ce qu’admet le père Pire lui-même lors de son discours d’inauguration de la

première Iles de Paix à Gohira : « Dans ce que je vais commencer il n’y a aucune arrière pensée

d’utilitarisme ou de pression d’ordre national, politique ou religieux. En particulier il doit être bien

établi que mon travail ne se fait pas au nom de mon pays et qu’il n’est pas une mission, ou le

camouflage d’une mission, de mon Église ». (Raymond Vander Elst, 1969 : p. 296) Autrement dit, Sa

présence n’est ni au nom de son pays, d’un mouvement politique ni de sa religion catholique.

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Chapitre II : Le catholicisme dans ces ONG aujourd’hui

Au chapitre précédent nous avons pris le soin de présenter nos quatre ONG et d’aller à leur origine. A

la différence de Caritas Internationalis qui date de la fin du XIXe siècle, les trois autres ONG sont

toutes pratiquement de la même période, deuxième moitié du XXe siècle. En nous référant à la

classification de Stangherlin, nous remarquons que toutes nos ONG sont grosso modo issues de la

deuxième génération. Si à leur création toutes les quatre sont du pilier catholique, qu’en est-il

aujourd’hui ? Tel est l’objectif de ce chapitre, voir de l’intérieur le lien existant entre chacune de ces

ONG et le catholicisme aujourd’hui.

2.5. Entraide et Fraternité et le catholicisme en Belgique

En peu de mots rappelons qu’Entraide et Fraternité est créée sur une décision de la conférence

épiscopale belge à charge de la Caritas. Ce qui nous fait dire qu’EF est née du pilier catholique à un

double niveau. Au niveau le plus élevé, la Conférence épiscopale qui est la hiérarchie de l’Église

catholique belge et à un deuxième niveau au sein de la Caritas qui, souvenons nous-en, dans sa

dimension internationale, est la voix officielle de l’Église catholique en la matière. Cette double

appartenance, si nous osons le dire ainsi, n’est pourtant pas un gage de pérennité dans le pilier. Si par

le passé nous avons remarqué que ce lien entre EF et l’Église catholique fut intense et direct, qu’en

est-il aujourd’hui? Voyons un peu en nous rapprochant de l’ONG à travers sa vision, sa déclaration de

mission, la place du clergé et les fidèles, sa structure et finalement les valeurs qu’elle prône à son

public cible.

2.5.1- La vision d’EF13

Entraide et Fraternité conçoit le développement comme solidaire : « Notre vision est celle d’un monde

où les populations du Nord et du Sud de la terre, particulièrement les plus pauvres et marginalisées,

vivent dans une société juste et égalitaire, et jouissent entièrement de leurs droits au sein d’une

communauté internationale solidaire » (Entraide et Fraternité). Elle conçoit le développement comme

avant tout un droit : « Il convient d’agir contre le ’’mal développement’’ actuel qui accroît toujours

davantage le fossé entre les riches et les pauvres. Entraide et Fraternité choisit donc de soutenir les

groupes défavorisés dans le rôle que ceux-ci peuvent prendre pour s’émanciper» (Entraide et

Fraternité, 2016).

En plus d’être un droit, le développement pour Entraide et Fraternité doit être durable. Elle entend par

durable une approche plus générale englobant les aspects sociaux, économiques, écologiques et

politiques. Cette durabilité selon elle va de pair avec une autre manière d’envisager l’économie : « les

13- http://www.entraide.be/Vision. Ce point est pris de mon rapport de stage.

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intérêts financiers doivent être soumis d’une part, aux aspects sociaux (le bien-être de chacun, des

générations futures, entre les régions) et d’autre part, aux aspects environnementaux (préservation de

la diversité biologique et des systèmes permettant la vie) » (Entraide et Fraternité, 2016).

Entraide et Fraternité voit aussi le développement comme une dynamique principalement endogène.

C’est-à-dire elle voit le développement comme venir de l’intérieur des populations concernées : « Le

développement s’opère en premier lieu à partir de l’intérieur des populations concernées. Elles

doivent pouvoir se constituer en véritables actrices de leur propre développement. Entraide et

Fraternité entend les appuyer pour une plus grande maîtrise des conditions dans lesquelles elles

vivent. Cela suppose des conditions internationales équitables d’échanges et de coopération »

(Entraide et Fraternité, 2016).

2.5.2- La déclaration de mission d’EF14

La principale mission d’Entraide et Fraternité peut se comprendre à travers son slogan qui dit

tout : « Pour que la terre tourne plus juste ». Se définissant comme ONG catholique, sa mission va au-

delà de toute frontière et milite pour une justice mondiale : « Nous, ENTRAIDE ET FRATERNITÉ,

ONG catholique de développement, voulons être les représentants de l’expression de la solidarité

internationale des chrétiens de Wallonie et de Bruxelles et de tous les citoyens épris de justice sociale

pour que la terre tourne plus juste » (Entraide et Fraternité, 2016).

Sa mission consiste en un triple objectif : promouvoir la solidarité internationale, la réduction des

inégalités et la lutte contre la pauvreté (EF). Et ceci :

- En soutenant des associations partenaires en Asie, Afrique, Amérique latine et Caraïbes,

actrices de changement et solidaires des populations les plus démunies (partenariat) ;

- En formant le public belge et notamment les communautés chrétiennes, à l’analyse et à la

réflexion critique sur les mécanismes qui régissent les relations Nord/Sud, pour arriver à un

changement individuel et sociétal (éducation) ;

- En renforçant, par des actions et analyses politiques, le courant de proposition d’alternatives

et de contestation des structures et mécanismes injustes (action politique).

Ces différentes missions de l’ONG prennent forme à travers sa campagne annuelle

d’éducation/sensibilisation. Cette campagne vise à fournir des éléments d’analyse critique à cinq

publics-cibles pour qu’ils réfléchissent à leur rôle concret dans la société en tant qu’agents de

changement et agissent en conséquence.

14- http://www.entraide.be/Declaration-de-mission. Ce point est aussi tiré de mon rapport de stage.

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En tant qu’ONG catholique il y a tout d’abord les acteurs paroissiaux et, en général, le monde chrétien

qui est ciblé. Il y a ensuite le monde scolaire, notamment l’enseignement libre catholique et, en

particulier, les professeurs du secondaire de transition et de qualification. Puis tout un réseau de

volontaires qui s’organise en équipes de solidarité. Les décideurs politiques sont notamment visés.

Dans l’exercice de leur fonction, ils prennent des décisions et orientent des politiques ayant un impact

sur les populations d’ici, mais aussi sur le développement des pays du Sud. Et enfin, l’ONG cible des

associations et des réseaux qui partagent ses analyses et son combat.

2.5.3- Entraide et Fraternité, le clergé belge et les paroissiens

La relation entre une ONG comme EF et le catholicisme aujourd’hui doit nécessairement être

analysée par le lien existant d’un coté entre l’ONG et le clergé. C'est-à-dire quels contacts existe-t-il

entre la direction et les évêques, les curés, les paroisses, les communautés religieuses, etc. Et d’un

autre coté, le lien existant entre l’ONG et les fidèles paroissiens. Si le lien avec les évêques reste

toujours solide, nous remarquons toutefois qu’il est difficile de le définir ou le caractériser. Il existe et

est solide par le fait même que, si l’ONG peut continuer à bénéficier de la collecte de carême dans

toutes les paroisses de la Wallonie, c’est parce que les évêques l’autorisent : « Dans le financement

d’EF les collectes paroissiales constituent un quart de nos ressources financières propres » (Propos

recueilli de Angelo Simonazzi, secrétaire général d’EF). Et cette autorisation, selon nous, est tout

simplement du fait qu’ils reconnaissent en l’ONG une alliée. La présence de l’ONG dans les

différents diocèses témoigne aussi de cette proximité avec les évêques : « le fait que nous soyons

présents dans les différents diocèses ici de Belgique, nous sommes considérés comme un service

diocésain, comme le service de la santé, le service de l’enseignement, nous sommes un service

diocésain» (A. Simonazzi).

Ce lien demeure aussi à travers un évêque référendaire comme le précise Michel Molitor, président de

l’ONG : « L’ONG a un évêque référendaire qui est l’évêque de Liège avec qui on pourrait discuter

des choses […] C’est l’évêque qui est chargé par la Conférence épiscopale, c’était notre répondant à

la Conférence épiscopale […] ce n’est pas monseigneur Delville mais monseigneur Justine que la

Conférence épiscopale a maintenu dans sa charge malgré le fait qu’il soit retraité» (Propos recueilli de

Michel Molitor, président d’EF). Et sans oublier que : « dans l’assemblée générale il y a eu toujours

et il continue d’y avoir un représentant de chaque évêque qui siège à l’assemblée générale d’EF »

(Angelo Simonazzi).

Ce lien avec les évêques est aussi symbolique et s’exprime aussi à travers de petits liens

matériels : « par exemple la relation encore à l’église c’est le fait que lorsque j’ai été désigné par

l’assemblée générale comme président, j’ai reçu une lettre de confirmation de la Conférence

épiscopale quand même […] Il y a quand même là un signe matériel si vous voulez de relation, ma

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désignation comme président du conseil a été sanctionnée positivement par la Conférence

épiscopale » (M. Molitor).

En ce qui concerne les curés, la collaboration est certes efficace mais mérite tout de même de

s’améliorer :

« il y en a qui viennent vers nous et qui sont très engagés, qui nous suivent, qui

s’engagent. Mais comme d’habitude il y a des curés dans des paroisses qui font le strict

minimum. Le minimum syndical qui mettent l’affiche de campagne et de rappeler que le

quatrième et le sixième dimanche de carême sont les collectes pour Entraide et

Fraternité et qui en général versent les collectes. Mais on sait aussi qu’il y en a qui

gardent les collectes pour d’autres choses, c’est une minorité vraiment minuscule mais il

y a aussi des curés engagés qui avec nous s’engagent dans la préparation de certains

événements que cela soit des soirées de solidarité dans les paroisses, ils invitent les

paroissiens à faire des gestes symboliques, à écouter aussi des témoins. C’est

important » (Propos recueilli d’A. Simonazzi).

Cette attitude peu encourageante de cette « minorité minuscule de curés » peut selon nous trouver une

explication dans des propos que nous avons recueillis du président d’EF :

« l’expérience que nous avons faite est que les personnes les plus sensibles à notre travail

et à nos arguments c’était les personnes plus âgées du clergé, les prêtres de la génération

Vatican II et donc qui avaient été forts secoués, motivés par l’idée de coopération

internationale, de justice internationale etc. Que les jeunes prêtres, les jeunes clercs

semblent aujourd’hui plus indifférents. Lorsqu’on essaie aujourd’hui de développer des

activités dans des paroisses on se sentait beaucoup mieux accueilli par les clergés

d’avant, c’est paradoxal les prêtres de la génération de Jean Paul II avaient une vision

différente, je ne dis pas çà du tout dans un point de vue critique, ils étaient plus

sensibilises etc. » (Michel Molitor)

Si l’épiscopat autorise les collectes de carême, c’est au final les paroissiens qui donnent de l’argent.

Cela traduit en partie le lien existant entre EF et les fidèles paroissiens. D’ailleurs le public catholique

constitue le premier public de l’ONG : « Le public, notamment le public de l’éducation au

développement est surtout un public chrétien et donc c’est çà. C’est dans notre statut, c’est clairement

dit que nous devons faire vivre la solidarité internationale chez les chrétiens belges et développer leur

esprit critique envers les questions de développement international. C’est notre public, nous sommes

une ONG catholique, notre public est ce public là, ça a été toujours notre public, cela ne veut pas dire

que notre message ne va pas au-delà de ce public » (A. Simonazzi). Ce public était là depuis le début

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et semble même être le principal catalyseur de la décision des évêques de mettre en place le service

d’Entraide et Fraternité : « quand je dis que cela a été une décision de la Conférence épiscopale mais

cette décision a été demandée par un tas de gens, un tas de chrétiens qui travaillaient dans le

développement et qui ont fait pression d’une certaine façon » (A. Simonazzi).

2.5.4- Structure organisationnelle d’Entraide et Fraternité15

Entraide et Fraternité se structure autour de son secrétariat général et de trois départements clés. Dans

son organigramme16

, on retrouve au sommet le secrétariat général qui encadre les secteurs politique,

logistique, qualité, le secteur du développement personnel et celui de l’informatique. De manière

horizontale trois départements s’en suivent. Celui du partenariat international qui s’occupe des projets

internationaux en Afrique, en Asie, en Amérique latine et aux Caraïbes. Ce département veille aussi

sur le secteur fonds institutionnels. Il y a aussi le département mobilisation citoyenne qui encadre le

secteur volontaires et groupes, puis celui d’animation jeunes et également les coordinations

nationales, à savoir les bureaux d’EF de Bruxelles/Brabant wallon, Hainaut, Namur/Luxembourg,

Liège et d’Eupen. Enfin le département de communication et récolte de fonds qui regroupe les

secteurs communication, fonds propres et le secteur base de données.

Voici l’organigramme de l’ONG EF daté de novembre 2014 tel qu’il est publié sur son site :

15- Une partie de ce point tirée de mon rapport de stage

16- http://www.entraide.be/L-organigramme-d-Entraide-et

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Cet organigramme ayant l’air si simple et très explicatif cache pourtant quelques réalités qu’il nous

convient de préciser. Nous ne voyons nulle part dans l’organigramme où il est question de curé,

d’évêque, de diocèse ou de paroisse. Pourtant ils y sont tous. Rappelons que dans l’assemblée

générale il y a la présence d’un délégué de chaque évêque. En plus, concernant les coordinations

régionales qui sont sous la tutelle du département de mobilisation citoyenne, à savoir, les bureaux de

Bruxelles/Brabant wallon, Hainaut, Namur/Luxembourg, Liège et Eupen ; ces villes sont les diocèses

francophones de Belgique. En clair ces coordinations régionales sont des bureaux diocésains et font

office de services diocésains comme nous l’avons déjà mentionné.

2.5.5- Les valeurs prônées par Entraide et Fraternité

La catholicité de l’organisation peut aussi être analysée à travers les valeurs qu’elle défend. Quels

liens existe-t-il entre les valeurs défendues par EF et les valeurs du catholicisme ? Sont-elles toutes

adéquates aux valeurs de l’Église catholique ? Nous avons ainsi sélectionné quatre des valeurs les plus

pertinentes prônées par EF : la souveraineté alimentaire, la lutte paysanne, l’agroécologie et les

changements climatiques. Nous allons essayer de voir comment elle les défend et en quoi elles sont

en accord ou pas avec le magistère romain.

a) La souveraineté alimentaire

Au moment où nous écrivons ces lignes, deux cent quatre-vingt seize (296) articles sur la souveraineté

alimentaire sont disponibles sur le site d’EF. Ce grand nombre d’articles sur ce seul sujet témoigne de

son importance aux yeux de l’ONG. Dans un dossier sur la souveraineté alimentaire publié en 2008

sur le site d’EF, l’ONG part de la différence entre celle-ci et la question de sécurité alimentaire. Selon

EF, différentes institutions internationales de développement, comme la FAO, définissent ainsi la

sécurité alimentaire : « l’accès physique et économique de chaque individu à chaque instant à une

alimentation suffisante, salubre et nutritive qui doit permettre à chacun de satisfaire ses besoins

énergétiques et ses préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (Entraide et

Fraternité, 2008). Ces institutions, selon EF, mettent en avant trois facteurs déterminants : la

disponibilité, l’accès aux aliments et la qualité alimentaire.

De par ces trois facteurs largement insuffisants pour le bien être de l’humain, EF préfère le concept de

souveraineté alimentaire car : « Ce concept englobe, au-delà du simple accès à la nourriture, les

dimensions politiques, économiques, culturelles et environnementales, qui garantissent aux

populations une sécurité alimentaire à long terme » (EF, 2008). Ainsi selon une analyse de Gérard

Warnotte de la commission politique d’EF, « défendre la souveraineté alimentaire c’est affirmer:

- le droit des peuples à se nourrir, à vivre dans la sécurité alimentaire;

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- le droit des populations, de leurs Etats ou Unions à définir leur politique agricole, de protéger

et de maîtriser leur agriculture, de s’engager dans le commerce sans dumping vis-à-vis des

pays tiers et dans le seul but d’atteindre des objectifs de développement durable(…) ;

- le besoin d’atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’accès et le maintien des

ressources » (EF, 2012).

EF dans son document « Souveraineté alimentaire, Dieu de justice et entraide » (EF, 2013), l’ONG

soutient la souveraineté alimentaire notamment en rappelant aux dénonciations des prophètes à travers

l’Ancien Testament contre les inégalités : « Dieu rejette ceux qui s’enrichissent de manière éhontée en

s’emparant des propriétés des pauvres et en les exploitant sans vergogne » (EF, 2013 : 7).

L’enseignement social de l’Église sert aussi d’appui à EF pour réclamer la souveraineté alimentaire

des peuples. Ainsi des extraits de Rerum novarum, Vatican II, Populorum progressio, Caritatis in

Veritate sont cités afin de s’aligner dans la même démarche de l’Église.

b) La lutte paysanne

Pas moins de cinq-cent cinquante articles sur la lutte paysanne sur le site d’EF. Un sujet encore plus

discuté qui fait couler beaucoup d’encre chez EF. A la différence de la lutte pour la souveraineté

alimentaire qui ne concerne pratiquement que les pays du Sud, la lutte paysanne pour sa part est un

sujet brûlant à la fois au Sud comme au Nord et ici même en Belgique. La lutte paysanne s’amorce

dans l’objectif des conditions d’une vie meilleure pour les paysans. Cette amélioration des conditions

de vie sera possible, entre autres, que si les paysans ont accès à la terre, s’ils arrivent à trouver des

solutions contre le changement climatique, s’ils arrivent à produire mieux et vivre de leur production

sans contraintes commerciales absurdes, et si les paysans acquièrent leur souveraineté alimentaire.

L’accès à la terre est effectivement l’un des grands problèmes des paysans, permettre aux paysans

d’avoir accès à la terre est l’un des objectifs de cette lutte. Ils doivent lutter pour avoir un morceau de

terre à cultiver, et ceux qui en ont doivent s’organiser pour contrecarrer l’accaparement des terres. Ce

processus d’accaparement des terres est, selon EF, ce « phénomène qui consiste dans l’achat ou la

location de grandes superficies de terres agricoles grâce à des accords impliquant investisseurs privés

(nationaux ou étrangers) et gouvernements ». (EF, 2011) S’il a toujours existé, ces dernières

décennies le phénomène s’accroit et les hectares de terres agricoles accaparés se comptent en millions.

Et ce sont, dans la plupart des cas, des contrats qui s’étendent sur plusieurs générations voire un

siècle. La lutte paysanne doit aussi prendre en compte le changement climatique. Si les paysans sont

très peu responsables du changement climatique, ils sont pourtant les principales victimes. Quand les

plus faibles sont privés de leur morceau de terre, ce sont des familles entières qui sont livrées à la

misère.

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c) L’agroécologie

Une autre valeur importante pour EF est l’agroécologie. Avec l’agroécologie le message est clair, si

nous voulons vraiment faire face aux problèmes de famines en cette période de changement

climatique, il nous faut trouver des pratiques nous permettant de développer un meilleur rapport avec

le sol, l’eau, l’air, en gros avec la nature. Cet ensemble de pratiques est connu sous le nom

d’agroécologie qui:

« est avant tout un ensemble de pratiques agricoles qui observe les mécanismes de la

nature et les adeptes de l’agriculture. La nature est donc au centre de l’attention.

L’agroécologie est aussi une approche scientifique dont le but est à la fois de mieux

comprendre les processus naturels et les pratiques traditionnelles des paysans pour les

améliorer. Les paysans y occupent une place centrale comme détenteurs de savoirs

ancestraux. L’agroécologie est également un mouvement social, imbriqué dans le

mouvement de la souveraineté alimentaire, qui rejette l’agriculture industrielle,

destructrice de l’environnement et du lien social. L’humain et la nature sont au centre de

ses préoccupations» (EF, mars 2016, p. 5)

Comme il est précisé l’agroécologie n’est pas que agricole, elle est aussi sociale, en tant que tel, elle

est surtout très critique « elle critique l’industrialisation des agricultures, l'usage d'intrants externes,

l'utilisation extensive de la terre et le découplage entre la productivité et les contraintes écologiques.

Les adeptes de l'agroécologie remettent en cause le modèle agricole actuel tout en replaçant les

agriculteurs dans un rôle de protection du paysage, de la biodiversité et du territoire » (EF, 2012).

Si interprétation du livre de la Genèse impose la domination de l’homme sur la nature, l’Église aussi

durant une longue partie de son histoire n’a pas tenu un discours si différent. Mais certains pères de

l’Église comme Saint-François d’Assise ont eu l’audace et le courage de proposer une relecture de la

Genèse allant à contre pied des idées dominantes. Depuis déjà plusieurs décennies, plus

particulièrement depuis Jean-Paul II, l’enseignement de l’Église prône le strict respect de la nature. Et

le pape François, avec Laudato Si, rappelle que le respect de l’environnement est proprement chrétien.

Un message que EF reçoit à cœur ouvert : « dernièrement on a la chance d’avoir un pape François qui

est un pape très social, par exemple la dernière encyclique [Laudato Si] nous l’avons utilisée de façon

très, très forte et nous continuons à l’utiliser parce que cela colle parfaitement à notre travail qui est

surtout en tant que travail qui fait le lien avec l’agroécologie, l’environnement et ca pour nous c’est

très, très important ». (Propos recueillis d’A. Simonazzi).

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d) Les changements climatiques

Il apparait absurde de citer les changements climatiques comme valeurs prônées par Entraide et

Fraternité. Le changement climatique qui a surtout des effets néfastes sur la vie humaine ne peut en

aucun cas être considéré comme une « valeur ». Mobiliser la société civile sur les problèmes de

changement climatique, faire pression sur les politiques pour prendre des décisions justes contre le

réchauffement ou encore sensibiliser les populations à risques sur les précautions à prendre et surtout

aider les paysans à adapter leur culture, telles sont des valeurs découlant de ce problème. EF « tente

de démontrer que les changements climatiques portent atteinte au secteur de l’agriculture paysanne, et

ce, particulièrement dans les pays en développement (baisse des rendements agricoles, réduction de la

production alimentaire locale, accroissement des disparités entre agriculture paysanne et l’agriculture

de l’agrobusiness, etc.) » (EF, 2015, p. 3).

Dans un pays comme Madagascar, nous dit Maxime Caudron d’EF, « une légère augmentation de la

température favorise le développement de ravageurs tels que les sauterelles qui envahissent le pays en

permanence […] Les invasions annuelles de sauterelles détruisent les cultures et augmentent les

risques d’insécurité alimentaire» (EF). En plus du développement de ces ravageurs « on note aussi

une augmentation du nombre de cyclones intenses qui frappent l’île annuellement […] Mais l’effet le

plus dramatique du changement climatique qui est aussi le moins visible est le décalage des saisons.

Les saisons sèches durent plus longtemps, surtout dans les hautes terres … » (EF). Ce changement

climatique a aussi des effets néfastes sur la croissance démographique ajoute M. Caudron,

l’environnement se dégrade et en conséquence la déforestation devient un moyen de subsistance à

court terme pour la population.

2.6. Solidarité Mondiale (SM) et le catholicisme en Belgique

Nous avons déjà démontré que Solidarité Mondiale est bien une ONG fondée au sein du pilier

catholique belge. Il s’agit maintenant de démontrer en quoi pouvons-nous encore considérer l’ONG

comme appartenir au monde catholique. A sa création en 1961 la Solidarité Mondiale avait pour

mission « d’assurer des échanges entre les organisations ouvrières du tiers-monde et le MOC, de

soutenir les organisations internationales comme la Confédération mondiale du travail (CMT) ou la

JOC internationale et de promouvoir, grâce à une large participation financière des militants, des

projets proposés par les organisations notamment en matière de formation » (F. Loriaux, 1996 : p.

184). Ainsi, en tant qu’ONG du MOC, la SM faisait le pont entre le MOC et deux types de

mouvements : des mouvements sociaux chrétiens comme la JOC et d’autres mouvements sans affinité

chrétienne comme la CMT. Qu’en est-il aujourd’hui ? Pour le savoir nous allons faire appel aux

entretiens et aux informations publiées sur le site de l’ONG.

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2.6.1- Solidarité Mondiale aujourd’hui

Sur son site, l’ONG se définit toujours comme celle du MOC et aussi de toutes les autres

organisations membres à savoir : la Confédération des Syndicats Chrétiens, l’Alliance Nationale de

Mutualités Chrétiennes, Vie Féminine, les Equipes Populaires et enfin les Jeunes Organisés et

Combatifs (Solidarité Mondiale). Son objectif est « de renforcer les mouvements sociaux en Afrique,

en Asie et en Amérique Latine pour qu’ils soient des acteurs de changement et des agents de

développement en faveur des populations locales » (Solidarité Mondiale). Autrement dit, la SM

travaille aujourd’hui avec des mouvements sociaux du Sud et de ce fait s’appuie sur « les

organisations du MOC [qui] relaient nos campagnes et nous soutiennent financièrement. Ce sont les

ambassadrices de l’ONG » (SM)

De ce point de vue, de 1961 à nos jours quelque chose a subtilement changé. Dans les années soixante

la SM s’occupait à faire le lien entre ces mouvements sociaux du Sud et le MOC ici en Belgique, en

quelque sorte la SM était au service du MOC. Aujourd’hui nous pouvons constater que la SM a pour

objectif de renforcer ces mouvements sociaux en ayant l’aide du MOC et de ses organisations

membres. Le MOC soutient financièrement la SM et fait écho de ses réalisations dans le Sud. Donc de

1960 à nos jours, nous sommes passés du MOC qui occupait le centre de l’action sociale, appuyé par

un ensemble d’associations dont la SM, à la Solidarité Mondiale qui à présent occupe le centre et a le

MOC comme partenaire. Nous pouvons comprendre cela comme un renforcement de l’ONG SM et un

affaiblissement du MOC mais qui restent tout de même partenaires dans la lutte sociale.

2.6.2- Vision et stratégies d’actions

Dans un document publié en 2013 ’’Vers une société durable et inclusive : les mouvements sociaux

comme force de changement social’’ (SM, 2013), l’ONG SM fait part de sa vision et stratégies

d’actions. Selon elle, la société doit évoluer dans le sens « vers une société durable et inclusive où la

solidarité et la justice sociale sont des valeurs et des responsabilités partagées. Durable, parce que

l’économie, l’écologie et le social doivent se développer de concert ; et inclusif, parce que tous les

acteurs pertinents doivent pouvoir jouer leur rôle dans la détermination et la réalisation du processus

de développement» (SM, 2013, p. 3). Ainsi SM conçoit le développement comme :

« la direction dans laquelle une société veut évoluer, dans un sens positif (plus de justice

sociale et de solidarité, et donc moins de pauvreté, d’exclusion sociale, d’inégalité et de

vulnérabilité), ou dans un sens négatif (moins de justice sociale et de solidarité et donc

plus de pauvreté, d’exclusion sociale, d’inégalité et de vulnérabilité) […] Pour Solidarité

Mondiale et son réseau, le développement est un processus dynamique, qui est en devenir

constant et évolue incessamment, dans un sens positif ou négatif ». (SM, 2013 : p. 3)

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La mondialisation, selon SM, elle n’a fait qu’accroitre l’exclusion sociale, la pauvreté, l’inégalité et

l’injustice : « dans la globalisation actuelle, le problème de la pauvreté est toujours solidement ancré et

il affaiblit la stabilité sociale d’un grand nombre de pays […]A l’échelle mondiale, nous observons

d’une part une masse énorme de « travailleurs pauvres » dotés de droits économiques, sociaux et

culturels très limités, et d’autre part, une petite élite économique qui, dans le Sud également,

s’approprie la majorité des revenus » (SM, 2013 : p. 4). C’est un processus de développement exclusif,

c'est-à-dire non participatif, (Annexe 1) dans lequel il n’y a que l’état et les acteurs économiques qui

font le développement au mépris du tissu associatif représentant la majorité de la population.

D’où, selon SM, la nécessité d’un développement intrusif (Annexe 2) dans lequel les principaux

acteurs sociaux à savoir, l’état, les acteurs économiques et la société civile travaillent ensemble au

développement de la société en contribuant chacun à leur manière à travers le dialogue pour une

transformation vers une société durable et inclusive (SM, 2013). Dans ce sens nous aurons un Etat qui

régule et organise : « En premier lieu, l’Etat a comme tâche d’organiser le dialogue entre les différents

acteurs et de couler le fruit de ce dialogue dans la réglementation (rôle régulateur)» (SM, 2013, p. 8).

Les acteurs économiques pour leur part vont œuvrer avec et pour l’homme et la société. Á coté de

l’état et des acteurs économiques nous aurons la société civile comme acteur structurel (SM, 2013).

2.2.3. Le statut et l’organigramme de Solidarité Mondiale

Le statut et l’organigramme de Solidarité Mondiale nous disent beaucoup sur les liens existant encore

entre l’ONG et le monde catholique. Il est plus difficile de parler des liens avec l’Église, ce qui est

différent des liens avec le monde catholique. Le monde catholique dépasse le cadre de l’Église, la

preuve en est que des gens de confessions diverses, des humanistes ou encore des athées y collaborent

sans le moindre rapport avec l’Église, le curé ou les évêques. Cela a toujours été ainsi et encore

aujourd’hui. Rappelons que sur son site l’ONG se définit toujours comme l’ONG du Mouvement

Ouvrier Chrétien (MOC) alors que ce dernier demeure malgré tout un acteur du monde catholique.

Au premier paragraphe du troisième article de son statut, l’ONG définit son objet : « Solidarité

Mondiale a pour objet la promotion de la solidarité et de la coopération internationale en réponse à

l’exclusion sociale et la pauvreté dans le monde. Pour cette raison toutes ses actions sont axées sur

l’amélioration des conditions de travail et de vie, sur la lutte intégrale contre la pauvreté et sur la

défense de la protection sociale et des droits du travail » (SM, article 3, § 1). Nous pouvons remarquer

que son objet continue à s’inspirer de la doctrine sociale de l’Église. Son concept de « lutte intégrale

contre la pauvreté » fait allusion directe avec la conception du « développement intégral » de Paul VI.

A la fin du deuxième paragraphe, nous lisons : « le mouvement ouvrier chrétien belge concrétise la

coopération au développement à travers ce réseau de solidarité mondiale » (SM, article 3, § 2). Ce que

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nous comprenons dans le sens que SM est aujourd’hui l’organe qui s’occupe de la coopération au

développement pour le MOC. Ce qui affirme l’appartenance de la structure de SM au MOC. L’article

huit enlève tout doute sur le lien existant entre la SM et le MOC encore aujourd’hui, donc de son

appartenance au monde catholique. Il stimule au point C : « les membres de l’association s’engage à

s’abstenir de toute expression d’opinion ou de tout acte : qui porte atteinte aux intérêts de

l’association, de ses organes ou de ses membres » (SM, article 8). Si le MOC demeure une structure

catholique, est-ce que cela ne sous-entendrait pas que les membres s’abstiennent par exemple de

prendre ouvertement une position contraire ou contradictoire avec la position du monde catholique ?

Dans son organigramme aussi nous remarquons une forte présence de structures catholiques. L’ONG a

deux organes décisionnels : le conseil d’administration et l’assemblée générale. Dans le conseil

d’administration siègent à la fois le MOC, l’Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes (ANMC)

et la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC). Dans l’assemblée générale également les trois y

sont convoqués et à des niveaux divers.

Il n’est pas non plus si simple de croire rapidement que par le fait même que SM se définit comme

ONG du MOC ou par le fait que toutes ces structures chrétiennes (MOC, CSC, ANMC) y adhèrent

que SM demeure forcément une structure chrétienne. Mais il est certain qu’existent encore des liens

entre l’ONG et le monde chrétien. D’ailleurs, comme il est indiqué sur son site, les organisations du

MOC la soutiennent financièrement également.

2.7. Iles de Paix et le catholicisme en Belgique

Malgré le fait qu’il soit prêtre, Dominique Pire n’a jamais revendiqué le statut d’organisation

chrétienne à son ONG. D’ailleurs lui-même ne s’y est jamais investi en tant que prêtre. Et comme

nous l’avons déjà démontré l’équipe des pères fondateurs de l’ONG avait plus un air pluraliste que

catholique. Toutefois l’ONG s’est développée dans un environnement très catholique, facilité bien sûr

par le statut de son principal fondateur Dominique Pire souvent en tenue de moine (Propos recueillis

de Laurent Deutsch des Iles de Paix). Après sa mort en 1969 « son action s’étend rapidement. Sa

démarche est universelle dès lors qu’elle refuse catégoriquement toute arrière-pensée de récupération

philosophique, culturelle ou religieuse. Au contraire, elle impose le respect profond des idées, des

opinions, de la culture et de la religion des hommes et femmes avec lesquels on collabore. C’est le

« dialogue fraternel », seconde pierre angulaire de l’action des Iles de Paix » (Iles de Paix).

2.7.1- Iles de Paix aujourd’hui

Il ne fait aucun doute qu’avec la mort de Dominique Pire seulement sept ans après l’ouverture de la

première Iles de Paix, cela a fortement modifié la trajectoire de l’ONG. Si Dominique Pire n’a jamais

revendiqué un statut d’ONG catholique ou chrétien aux Iles de Paix, son statut aujourd’hui d’ONG

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pluraliste date d’après sa mort. Admettons toutefois que dès le départ avec un prêtre, un franc-maçon

et un orthodoxe russe tout fut bien en place pour le pluralisme mais précipité par la mort de

Dominique Pire. Car avec lui dans l’esprit des gens, l’ONG fut bien catholique : « c’est une

association qui a été créée certes avec un dominicain, avec un franc-maçon et avec un orthodoxe russe

et donc, Iles de Paix, bien sûr avec cette figure tutélaire de Dominique Pire très souvent est d’ailleurs

en habit de moine, cela a marqué les esprits, on a dit très souvent qu’Iles de Paix est une organisation

catholique » (Propos recueillis de Laurent Deutsch, Iles de Paix).

Donc la mort de Dominique Pire peut être vue comme l’évènement qui a poussé davantage l’ONG

vers le pluralisme. Aujourd’hui les fondamentaux de l’ONG n’ont aucun attachement à la religion.

Elle se voit, entre autres, comme une ONG soucieuse du droit d’être solidaire, c’est pour elle plus

qu’un devoir moral, être solidaire est un droit. Elle est aussi une organisation soucieuse de la condition

de la femme, elle lutte en ce sens pour la réduction des inégalités. Elle se voit également comme une

organisation soucieuse de l’environnement car l’homme a besoin d’un environnement de qualité. Iles

de Paix s’est écartée de toute considération religieuse, politique ou philosophique.

Dans son statut, l’article quatre résume d’ailleurs le choix pluraliste de l’ONG : « Fidèle à l’inspiration

de ses fondateurs, l’association a pour but, en dehors de toute espèce d’appartenance religieuse,

philosophique, idéologique et politique, de contribuer à l’amélioration durable des conditions de vie

des populations pauvres dans les pays défavorisés. Au Nord, l’Association contribue à la formation

d‘une société davantage éclairée et engagée en faveur de ces pays défavorisés » (Article 4). Et dans

son organigramme également, rien ne suppose des liens avec des structures religieuses, politiques ou

philosophiques.

2.7.2- Missions et objectifs des Iles de Paix

Sur son site l’ONG se décrit comme ONG pluraliste qui fonctionne sans attachement religieux,

philosophique, idéologique ou politique. Et ceci selon une double vision, d’abord un monde

permettant à chacun de vivre dans la dignité et de développer ses potentialités et ensuite un monde

solidaire qui promeut l’accès de tous aux droits humains dans un environnement préservé. Ainsi sa

mission est d’encourager des comportements responsables, autonomes et solidaires et lutter pour la

réduction des inégalités (Iles de Paix).

Son action tend à répondre à trois objectifs. En premier lieu améliorer l’alimentation et augmenter les

revenus. Ainsi elle entend faire face au problème de malnutrition dont souffre une grande partie de la

population mondiale. Faire face à ce problème c’est à la fois améliorer les rendements de la production

mondiale en qualité et diversité. C’est également permettre aux paysans d’avoir un meilleur revenu

pouvant répondre à leur besoin familial. C’est pourquoi sur le terrain l’équipe des Iles de Paix se pose

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trois questions : comment produire plus ? Comment produire au meilleur moment ? Comment faire

plus de bénéfices ? (Iles de Paix).

Le deuxième objectif de l’ONG est de proposer de meilleures infrastructures. L’ONG est bien

consciente du fait que si dans les pays du Nord l’accès à des services comme l’éducation, la santé,

l’eau potable, le transport, les voies de communication, etc. semble aller de soi ; c’est loin d’être le cas

dans les pays du Sud, en tenant compte spécifiquement des pays où elle intervient. Dans ces pays là

l’Etat n’a pas suffisamment de moyens pour remplir son rôle. Face à cette absence des structures

étatiques, l’ONG tente de composer et apporte son soutien en construisant des écoles, des centres de

santé, des voies de communication, etc. Elle équipe aussi des écoles et centre de santé (Iles de Paix).

Le troisième objectif de l’ONG est d’améliorer la gouvernance et la participation citoyenne. Que cela

soit en Afrique ou en Amérique latine où elle s’investit, la population cible se pose pratiquement les

mêmes questions : comment agir pour que les autorités communales gèrent bien (ou mieux) les

affaires publiques, en toute transparence ? Comment favoriser la participation citoyenne, pour que les

gens prennent part à cette gestion, fassent valoir leurs droits, leurs projets et leurs revendications ?

Ainsi l’ONG accompagne des associations et aussi des cadres communaux sur le chemin de la bonne

gouvernance pour une meilleure gestion et plus de transparence (Iles de Paix).

2.4- Caritas International et le catholicisme aujourd’hui

Caritas est selon nous dans toutes ses dimensions, nationale ou internationale, l’ONG de l’Église

catholique. A travers son histoire Caritas s’est toujours développée à l’intérieur de l’Église et en

relation directe avec l’évêque du lieu. D’ailleurs, comme nous l’a bien dit monsieur Patrick Ducquois

de Caritas-Belgique, le nom de Caritas est protégé, une ONG ne peut l’attribuer sans ce lien direct

avec l’Église. Là nous sommes en partie un peu dans son histoire, qu’en est-il de Caritas en Belgique

aujourd’hui ?

2.4.1- Caritas International aujourd’hui

Caritas-Belgique est un peu à l’image politique du pays. Lorsque vers la fin des années de 1960

l’université catholique de Louvain s’est scindée en Leuven et Louvain-la-Neuve, la même division

s’est opérée au sein de Caritas : « on s’est retrouvé après ces différentes évolutions dans un paysage

tout à fait différent, c’est qu’on avait une confédération belge qui s’appelait Caritas Belgique mais qui

était en fait une sorte de boite vide et qui couronnait trois entités : Caritas francophone qui restait une

confédération surtout d’institutions, mais aussi d’autre choses ; Caritas Vlanderen qui était

l’équivalent en Flandre et un troisième le Secours International de Caritas Catholica qui elle était

bilingue » (Propos recueillis de M. Patrick de Bucquois).

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Mais il y quelques années la situation a un peu évolué : « en fait, je compare parfois Caritas à un

couple qui a divorcé il y a quarante ans et qui décide de nouveau de vivre ensemble. Parce que du coté

francophone et néerlandophone on a pris des trajets assez différents et il y a cinq ans on a appris qu’il

y avait un bâtiment à vendre juste à coté de Caritas international et on l’a acheté […] Ce qui explique

qu’on ne fait plus trop de distinctions entre Caritas Flandre et Caritas Francophone, bien sûr chacun

garde sa compétence mais on veut donner un signal qui donne une autre image de celle dont on a

souvent en Belgique » (Propos recueillis de Patrick du Bucquois).

La situation de Caritas Belgique est encore une preuve que les ONG comme membres de la société

n’échappent pas aux bouleversements qui la secouent. Suite à des problèmes communautaires et

linguistiques qui ont divisé la principale université catholique du pays, Caritas Belgique a subi la

même transformation. La Confédération Caritas Belgique s’est retrouvée comme une boite vide car la

Caritas francophone et Caritas vlanderen se sont occupées uniquement de leur Communauté et du

coup au niveau national, malgré les efforts du Secours international de Caritas Catholica, il n’y avait

pas vraiment une instance de Caritas pour une coordination. Aujourd’hui la Caritas de Belgique est

connue sous le nom de Caritas International à différencier de Caritas Internationalis qui est la grande

structure mondiale de Caritas qui a son siège à Rome. C’est une sorte de Confédération de toutes les

Caritas sous tutelle directe du Vatican et qui effectue des contrôles sur l’ensemble des Caritas de

chaque pays.

2.4.2- Vision et missions de Caritas International

Comme décrit sur le site de l’ONG, sa vision se structure autour de quatre piliers essentiels. Tout

d’abord Caritas International conçoit un monde à travers la paix, la solidarité et la justice : « Caritas

International œuvre pour un monde de paix, de solidarité et de justice, dans lequel la dignité de chaque

personne constitue une valeur fondamentale et dont les richesses sont mieux partagées entre tous »

(Caritas International). C’est si et seulement si nous arrivons à ce monde de paix, de solidarité et de

justice que la dignité de l’Homme sera respectée et il y aura suffisamment de richesses pour tout le

monde.

L’Évangile constitue ensuite la principale source d’inspiration de Caritas International : « Caritas

International puise son inspiration dans une vision chrétienne de l’Homme et de la société, basée sur

l’Evangile. Chaque personne a droit à une vie digne et doit pouvoir jouir de ses droits fondamentaux »

(Caritas International). Puis Caritas International se bat également afin que chaque homme puisse

avoir accès aux besoins nécessaires : « L’accès à une nourriture saine, à l’eau potable, aux soins

médicaux, à l’enseignement, à l’emploi et à un logement décent doit être garanti » (Caritas

Internationale). Et pour finir, si au niveau mondial Caritas Internationalis constitue la grande

confédération, l’ONG croit toutefois qu’il est nécessaire que l’autonomie de chaque structure soit

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respectée, et qu’il revient à chacun d’intervenir à son niveau pour le bien de l’ensemble. D’où

l’importance des valeurs de solidarité et subsidiarité : « Notre travail est fondé sur les valeurs de

solidarité et de subsidiarité(1)

. Aucun pays ou aucune organisation n’est à même de résoudre tous les

problèmes. Seule l’union des forces peut conduire à des solutions durables » (Caritas International).

Sa mission se développe ici en Belgique autour de trois publics cibles. Tout d’abord elle se veut être

proche des victimes de violence, de catastrophes naturelles et de pauvreté : « Caritas International

soutient les victimes de violences, de catastrophes naturelles et de la pauvreté, dans leur propre pays

ou en fuite, en collaboration avec ses réseaux nationaux et internationaux. Nous accomplissons notre

mission sans discrimination. Caritas International aide les personnes les plus vulnérables et les

accompagne dans leur recherche de solutions durables » (Caritas International). Elle ne se contente pas

que d’intervenir au moment des faits mais elle accompagne également.

Elle intervient également au niveau de l’aide d’urgence : « Caritas International et ses partenaires

fournissent une aide d’urgence efficace en cas de crise. Nous mettons également en œuvre des projets

de réhabilitation et de développement afin de donner aux personnes la possibilité de prendre en charge

leur vie et leur avenir » (Caritas International). Et finalement Caritas International tient compte du

problème des réfugiés, des migrants et des demandeurs d’asile :

« Caritas International accueille les demandeurs d’asile et défend le droit des migrants à

une aide matérielle, sociale et juridique, les accompagnant en Belgique ou dans leur pays

d’origine. Nous dénonçons les situations d’injustice et les dysfonctionnements dont nos

collaborateurs sont les témoins, et plaidons auprès des décideurs pour des solutions

structurelles. Notre expertise nourrit un travail d’information et d’éducation à

destination du grand public, et plus particulièrement du monde » (Caritas International).

2.4.3- Caritas International et le monde catholique

Nous pourrions même dire qu’il n’est plus nécessaire de parler des liens existants entre Caritas

International et le monde catholique, car comme nous l’avons déjà affirmé Caritas International peut

être considéré comme l’ONG même de l’Église catholique ici en Belgique et pareil dans tous les pays

où elle existe. Il n’y a pratiquement plus rien à dire de ces liens sinon que de répéter. Traitons ici de

son rapport avec les évêques du pays.

En Belgique, le lien de Caritas avec l’Église est avant tout garanti par le statut de Caritas même qui les

oblige à avoir des liens avec l’évêque du lieu : « le statut de Caritas, tant au niveau belge qu’au niveau

international les oblige à avoir des liens très étroits avec les évêques. On ne peut pas porter le nom

Caritas sans ça. Le nom est d’ailleurs protégé » (Propos de P. Du Bucquois). Toutefois ce rapport avec

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l’évêque ne s’établit pas dans le même rapport partout. Il revient à chaque entité nationale et même

diocésaine, de construire de leur façon à leur propre rythme cette relation :

« . Dans certains pays Caritas est une sorte de département de la Conférence épiscopale.

Mais nous en Belgique nous avons opté pour une solution plus professionnelle […] Nous

avons souhaité que la structure des Caritas soit des ASBL, des associations de droits

civils qui donc ont une autonomie juridique, mais d’autre part, le lien avec l’Église est

garanti par les statuts, par exemple, les présidents des Caritas ne peuvent être nommés

que moyennant l’assentiment de la Conférence épiscopale. Ça c’est un droit de regard

important que les évêques ont sur la nomination du président. Parfois même un droit de

regard sur la nomination des directeurs. Et dans chaque Caritas il y a un évêque

référendaire, c'est-à-dire, un évêque qui est désigné par la Conférence épiscopale pour

être membre de l’assemblée générale, parfois même du conseil d’administration de

Caritas, donc ce n’est pas seulement le droit de regard sur la nomination du président,

c’est un droit de regard aussi sur la gestion journalière » (P. Du Bucquois).

Cette relation avec l’Église n’est pas seulement au niveau des règlements et représentations, elle prend

corps aussi à travers des activités pratiques. Elle s’initie dans la formation :

« Il y a un souci de faire en sorte que par exemple dans le programme de formation que

la dimension de la diaconie soit beaucoup plus présente. Que les gens la partagent ou ne

la partagent pas, peu importe, mais qu’ils sachent au moins ce dont il s’agit. On a par

exemple l’an dernier, je crois qu’il y a eu une journée de formation pour tout le personnel

de Caritas international qui est la plus grande Caritas en Belgique, on a environ une

centaine de membres du personnel, donc il y a eu une journée de formation à la

diaconie » (P. Du Bucquois)

Les membres de la Caritas sont également invités à la messe : « nous avons de plus en plus

d’initiatives communes à tout le monde et qui peuvent se marquer par le fait qu’à Noël, à Pâques, la

Toussaint nous avons une célébration eucharistique à laquelle tout le personnel de Caritas est invité.

Maintenant tout le monde ne vient pas mais tout le monde est invité. Donc cette espèce d’identité

chrétienne n’est pas juste quelque chose qui est là dans les statuts, dans les papiers » (P. Du Bucquois).

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Chapitre III : La sécularisation dans les ONG belges : une étude comparative

Dans ce dernier chapitre nous allons tenir compte du niveau de sécularisation dans nos quatre ONG.

Ce travail comparatif consistera à pointer la sécularisation à l’intérieur de chacune de nos ONG en

tenant compte de leur histoire et à travers quatre figures du catholicisme : doctrinale, institutionnelle

belge, institutionnelle romaine et sociale. Pour chaque ONG, il s’agira d’étudier premièrement leur

niveau de relation aujourd’hui avec la doctrine sociale de l’Église. Ainsi nous aurons à questionner le

dogme catholique, également à travers les encycliques. Deuxièmement nous étudierons leur niveau de

relation avec l’Église à travers ses institutions au niveau local, donc du monde catholique. Et si

possible cette relation de l’ONG avec elle-même à travers des signes matériels de chrétienneté dans

ses locaux, ses activités et ses publications. Puis troisièmement cette relation avec l’Église sera

également abordée avec les institutions romaines et d’autres organisations catholiques internationales.

Et à la fin nous nous arrêterons sur leurs liens au niveau social.

3.1. La situation chez Solidarité Mondiale

Etant l’ONG du MOC, Solidarité Mondiale par le passé a eu des liens assez forts avec la doctrine

sociale de l’Église, avec le pilier catholique belge, probablement avec Rome et un engagement

infaillible dans le social. Au fil du temps, ces relations, si elles existent toujours, ne sont plus du

même ordre. Mais qu’en est-il aujourd’hui?

Au niveau doctrinal, il ne fait aucun doute que des encycliques comme RN ou PP ont eu un impact

majeur sur la mission de SM. Le contexte dans lequel ces deux encycliques sont publiées, a un lien

direct avec la mission de l’ONG. Nous pourrions même oser considérer SM comme une conséquence

des dénonciations des premières encycliques sociales, c’était en pleine révolution industrielle, des

emplois sont créés et la croissance fut en hausse. Toutefois le sort des ouvriers, ceux qui rendaient les

riches plus riches, était loin d’être confortable. Les riches devenaient de plus en plus riches et les

pauvres s’engouffraient davantage dans la pauvreté et tout cela sous le regard figé de l’Etat. RN vint

lancer le cri du droit et des responsabilités des travailleurs et des patrons.

Avec PP le contexte social ne fut pas si différent. Si au niveau local avec les Trente Glorieuses

l’économie et l’emploi se portaient mieux mais toujours avec une grande disparité entre les patrons et

les ouvriers ; l’encyclique vint attirer l’attention surtout sur la situation entre les pays riches et les pays

pauvres dans un contexte de décolonisation en Afrique. Les deux encycliques ont lancé le même cri,

la première pour la situation ici en Europe et la deuxième pour la situation entre l’Europe et les autres

parties du monde. Si le MOC s’est engagé auprès des travailleurs européens, sa fille SM est son regard

vers les ouvriers du tiers-monde, donc en partie les ouvriers de ces nouveaux états indépendants. Là

où le MOC est plus RN, SM pour sa part est plus PP.

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Nous avons scruté le site internet de Solidarité Mondiale, nous avons discuté avec des gens qui ont

travaillé pour l’ONG, nous avons lu et feuilleté un ensemble de documents publiés sur l’ONG ou

qu’elle publie elle-même ; la référence à la doctrine sociale de l’Église n’est aujourd’hui qu’une page

de son histoire. Si son objet « la promotion de la solidarité et de la coopération internationales en

réponse à l’exclusion sociale et la pauvreté dans le monde » (Art. 3, Statut de SM) ou son slogan

« ensemble contre l’injustice sociale » demeurent des engagements tirés de la doctrine sociale de

l’Église, l’ONG ne se réfère plus à elle. D’ailleurs quand nous avons contacté la direction de

Solidarité Mondiale pour un éventuel entretien pour le travail, leur réponse était de nous dire que la

question de la sécularisation ne les concerne pas, que Solidarité Mondiale est une ONG humaniste.

Cependant, si selon certains de ses membres Solidarité Mondiale est une ONG humaniste, son lien

avec le monde catholique, bien qu’affaibli, existe encore. Tout d’abord elle se définit toujours comme

l’ONG du MOC et ensuite la plupart de ses organisations membres telles la Confédération des

Syndicats Chrétiens (CSC) et l’Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes (ANMC), sont des

structures de la chrétienneté. Certes, il ne suffit pas d’afficher le mot ’’chrétien’’ pour être du monde

chrétien, peut-être que dans la pratique elles n’ont plus rien à voir avec l’Église, mais la référence au

concept n’est pas sans importance si l’on se réfère à ce débat qu’il y a eu quelques années dans la

société belge sur la fameuse lettre C concernant le scoutisme ou l’Université catholique de Louvain.

Délaissant le champ de l’Église, Solidarité Mondiale n’a ainsi plus aucun lien avec Rome, sinon que

de se montrer parfois assez critique contre certaines positions du Vatican. Ajoutons également que SM

continue à distribuer ses subsides à ses différentes organisations membres y compris les organisations

catholiques.

Sur le plan social cependant, Solidarité Mondiale maintient la ligne de son héritage catholique.

Comme nous venons de le voir Rerum novarum et Populorum progressio sont ses principales sources

d’inspiration en matière de lutte en faveur de la classe ouvrière. Dans le Sud surtout, elle appuie des

« mouvements sociaux qui œuvrent pour le travail décent, la protection sociale et la création

d’emplois pour tous les travailleurs » (Solidarité Mondiale). De manière plus détaillée, en Amérique

latine elle soutient « le travail de la CSA (Confédération Syndicale des Travailleurs des Amériques),

organisation régionale de la CSI, et celui de la JOCA (Juventud Obrera Católica de las Américas),

mouvement régional de jeunes autogérés, qui fait le suivi des JOC nationales du continent » (SM). En

Afrique elle supporte la CSI-Afrique qui est l’organisation continentale de la Confédération Syndicale

Internationale et en Asie la YCW-ASPAC qui est la coupole régionale des jeunes travailleurs des JOC

(SM). Et les titres de ses dernières publications vont dans le même sens : OIT : vers plus de travail

décent dans les chaines mondiales d’approvisionnement, Philippines : une pétition pour sauver

l’hôpital Fabella, Mauritanie : signature du protocole de l’OIT contre le travail forcé, etc.

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3.2. La situation chez Iles de Paix

Il y a de fortes raisons à ce que certains puissent douter de la prise en compte des Iles de Paix comme

ONG du pilier catholique. Bien que nous ayons déjà abordé la question les raisons de tant de doutes

demeurent fondées. La raison est simple, l’ONG ne s’est jamais définie comme chrétienne même si

elle fut dominée par la figure du père Dominique Pire. Au niveau doctrinal, comme la plupart des

ONG fondées à cette époque, elle a été influencée par la doctrine sociale de l’Église catholique. Elle

s’est bien développée autour d’une paroisse avec comme figure centrale le curé Dominique Pire. Mais

très tôt avec la mort de ce dernier l’ONG a perdu le seul lien qu’elle détenait avec l’Église. Donc plus

de liens véritables avec l’Église belge et encore moins avec Rome ou d’autres institutions catholiques.

C’est surtout sur le plan social que l’ONG et le catholicisme se rapprochent. Ses réalisations sur le

terrain porte les germes de la doctrine sociale de l’Église ou même de la théologie de la libération, à

savoir, une référence préférentielle pour les plus pauvres. Au Bénin par exemple, l’ONG concentre ses

efforts dans le Nord du pays et intervient dans les communes de Toucounouta, Cobli, Matéri et de

Boukoumb. Jusqu’à présent trente milles Béninois sont directement touchés par ses interventions dont

400 familles sont formées à la filière maïs : production, transformation et commercialisation. Sur le

plan scolaire, sept écoles primaires sont construites pour un total de 24 classes et quatre logements

pour les enseignants. Sur le plan économique, 5 gués sont construits pour rompre l’isolement des

villes en saison pluvieuse, plus de 200 femmes ont bénéficié du microcrédit et un nouveau marché

avec des boutiques et hangars vient d’être terminé. (Iles de Paix, 20116)

3.3. La situation chez Entraide et Fraternité

Entraide et Fraternité présente une situation différente de Solidarité Mondiale et des Iles de Paix : elle

continue à se définir comme ONG catholique. Son appartenance et son attachement au monde

catholique ne sont plus à démontrer, ce qui ne veut pas dire que l’ONG soit protégée de toute forme

de sécularisation, loin de-là. A travers les quatre figures catholiques que nous avons choisies,

analysons le lien de l’ONG aujourd’hui avec l’Église.

Du point de vue dogmatique, tout en se définissant comme ONG catholique, EF se positionne dans

l’Église mais à gauche : « c’est une ONG bien sûr qui reste une ONG catholique, mais qui est un peu

à gauche du monde catholique […] donc on est progressiste, on est une ONG qui est un mouvement

chrétien, qui est progressiste pour l’équité sociale, pour la justice sociale et qui axe davantage son

travail sur le social » (Propos recueillis de A. Simonazzi). Cette position gauchiste de l’ONG n’est pas

sans risque : « on s’est éloigné à un certain moment de la hiérarchie qui nous a considérés un peu trop

comme des gauchistes, donc elle n’était pas contente. Maintenant avec le nouveau pape si vous voulez

on a repris les contacts, les relations, cela va beaucoup mieux et cela ne peut pas cacher qu’à un

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certain moment et même dans les pays du Sud, on a eu pas mal de problèmes parce qu’en soutenant

certains évêques on se mettait à dos d’autres évêques » (Propos recueillis de A. Simonazzi).

En prenant cette position de gauche dans l’Église, EF s’est surtout inspiré du mouvement de la

théologie de la libération : « je pense que ce qui a historiquement le plus probablement marqué

l’ONG, en tout cas dans ces premiers acteurs, c’est les courants de théologie de libération […] C’est

clair qu’historiquement, des personnes de l’ONG qui ont travaillé en Amérique Latine, ont été

extrêmement marquées par des personnes comme Gustavo Gutiérrez, Leonardo Boff, Yvan

Kebararaque qui ont travaillé chez nous à un moment » (Propos recueillis de M. Molitor). Une

position qui a poussé EF à faire front uni contre Rome : « à un certain moment d’ailleurs on est rentré

en guerre contre des condamnations romaines de théologiens de la libération notamment en Equateur

avec d’autres Européens, des Autrichiens, des Hollandais, on a pris la défense assez vigoureusement

de ceux qui étaient condamnés par Rome » (Propos recueillis de M. Molitor).

Bien que à gauche, d’autres documents dogmatiques ont également eu une certaine influence sur

EF : « Rerum novarum qui a été très important, Populorum progressio bien sûr, il y a l’encyclique de

Benoit XVI sur la charité que l’on a utilisé» (A. Simonazzi). Pour M. Molitor ces encycliques là ne

suffisaient pas : « ces documents je dirais que c’est le minimum acceptable comme base, ordre

syndical, il n y a rien qui existe » (M. Molitor).

Si le courant de la théologie de la libération est, pourrions nous dire, la plus importante source

d’inspiration d’EF, aujourd’hui, la lettre encyclique Laudato Si du pape François y occupe une place

de plus en plus forte : « on a la chance d’avoir un pape François qui est très social, par exemple la

dernière encyclique [Laudato Si] nous l’avons utilisée de façon très très forte et nous continuons à

l’utiliser parce que cela colle parfaitement à notre travail qui est surtout en tant que travail qui fait le

lien avec l’agroécologie, l’environnement et ca pour nous c’est très très important» (A. Simonazzi).

Ainsi EF fait le relais et partage la réflexion sur cette encyclique avec d’autres acteurs « la dernière

encyclique Laudato Si, on s’est associé avec un certain nombre d’associations pour la célébrer et en

faire un certain nombre de diffusions importantes lors d’une journée d’études à Louvain la Neuve

parce que là c’est quelque chose d’extrêmement important et qui est extrêmement nourri aussi par la

sensibilité théologique d’Amérique Latine » (M. Molitor).

En ce qui concerne le rapport de l’ONG avec le monde catholique belge, nous pouvons l‘analyser

autour de trois relations institutionnelles: la relation avec l’épiscopat belge, avec le public chrétien,

avec d’autres organisations catholiques belges. Avec la conférence épiscopale le lien n’est pas

toujours positif et motivé. Si elle avait pris la décision de créer Entraide et Fraternité, les évêques,

depuis Mgr Cauwe, n’ont jamais vraiment dirigé l’ONG et cette dernière n’a jamais eu une relation de

subordination envers l’épiscopat. Tout de même l’ONG a un évêque référendaire, c’est son autorité de

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contact avec l’épiscopat. En plus elle a un bureau dans chaque diocèse francophone du pays qui est

considéré comme un service diocésain. Et chacun de ces diocèses envoie un représentant de l’évêque

à l’assemblée générale de l’ONG. L’attachement le plus fort de la conférence épiscopale à EF reste le

carême de partage.

Le public chrétien pour sa part, mis à part le cofinancement, reste le support le plus important pour

EF. La création même d’EF fut une demande du public chrétien prise en compte par les évêques.

C’est avant tout le principal public cible d’Entraide et Fraternité : « c’est clairement dit que nous

devons faire vivre la solidarité internationale chez les chrétiens belges et développer leur esprit

critique envers les questions de développement international. C’est notre public, nous sommes une

ONG catholique, notre public est ce public là, ca a été toujours notre public, cela ne veut pas dire que

notre message ne va pas au delà de ce public» (A. Simonazzi). Et concernant le financement propre

de l’ONG, le public chrétien est son principal donateur : « la majorité de nos donateurs sont du monde

chrétien parce qu’ils nous disent qu’ils donnent parce qu’ils se reconnaissent dans notre racine

chrétienne […] les collectes paroissiales constituent un quart de nos ressources financières propres

[…] Le reste ce sont des donateurs mais on sait que la majorité de ces donateurs nous appuie

financièrement parce qu’ils se reconnaissent dans notre discours » (A. Simonazzi).

L’ONG entretient aussi des liens institutionnels avec d’autres acteurs catholiques belges. Ce n’est plus

nécessaire de rappeler son lien avec Caritas, Broederlijk Delen ou encore avec l’association Vivre

Ensemble qui est partie intégrante d’EF. Mais également à l’intérieur même d’Entraide et Fraternité

existe une structure qui vivifie la catholicité de l’ONG : la commission théologique. Cette commission

théologique a pour mission de donner des idées critiques sur la manière d’être chrétien de l’ONG

aujourd’hui. Elle aide dans la démarche de pédagogie et de formation en faisant l’articulation entre les

exigences du christianisme et sa mise en œuvre dans le programme de travail d’Entraide et Fraternité.

Entraide et Fraternité est encore aujourd’hui membre d’un grand réseau catholique au niveau mondial.

Elle est par exemple membre du conseil d’administration de la CIDSE qui est l’alliance internationale

d’agences de développement catholiques qui comprend 18 organisations européennes et nord

américaines et intervient dans plus de 120 pays (CIDSE, 2016). Elle entretient des liens avec

MISEREOR en Allemagne, la CAFOD en Angleterre et le CCFD-Terre Solidaire en France.

Et comme nous l’avons aussi déjà vu, avec Rome la relation n’a pas toujours été de bonne augure. Si

Entraide et Fraternité a toujours supporté les théologiens de la libération condamnés par Rome, elle a

aussi dénoncé la position du Vatican dans le dossier de Pinochet : « on a eu des problèmes avec le

Vatican aussi, j’ai retrouvé une lettre que l’on a envoyé au secrétaire d‘Etat du Vatican en dénonçant

leur décision de soutenir Pinochet» (A. Simonazzi). Aujourd’hui avec le pape François la relation

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semble redevenir normale au point que le Vatican s’est informé sur la sécurité du personnel d’EF suite

aux attentats de Bruxelles.

Sur le plan social EF essaie de faire de l’option préférentielle pour les pauvres une réalité. Ainsi elle

intervient dans plus de 20 pays en Afrique, en Amérique latine et en Asie parmi les pauvres du monde

et concentre ses actions sur trois champs. Le premier est celui du droit à l’alimentation en soutenant

l’agriculture paysanne afin que la souveraineté alimentaire soit acquise. Le deuxième est celui des

droits des enfants et des jeunes afin de les considérer comme de vrais acteurs du changement et que

leurs droits soient respectés et qu’ils soient protégés. Et le troisième celui des droits civiques et

politiques en soutenant des associations de la société civile qui promeuvent la participation de groupes

marginalisés (Entraide et Fraternité, 2016).

Finalement pourquoi cette position de gauche dans l’Église pour une organisation créée par

l’épiscopat belge, donc au cœur du monde catholique? Plusieurs évènements peuvent nous aider à

comprendre ce revirement. Au début des années soixante, « les décisions sur les projets sont prises par

le directeur de l’époque, Mgr Cauwe, assisté de quelques secrétaires, et approuvées par le conseil

d’administration. On est encore très largement dans une dynamique de charité » (Molitor, 2015, p.6).

Vers le milieu de cette décennie jusque dans les années nonante, EF va connaitre une longue période

de bouleversements : c’est le temps du changement.

Tout d’abord le Concile Vatican II (1964-1967) a créé de grandes espérances dans l’Église. En

Amérique latine, les évêques latino-américains ont manifesté leur option préférentielle pour les

pauvres. Ensuite, en Europe, en Amérique latine et du Nord ont surgi des mouvements qui contestent

les formes traditionnelles d’autorité. Apparait ainsi une nouvelle culture politique critique qui

s’oppose aux anciennes manières de penser et d’agir. Celle-ci se fait entendre même au sein de

l’Église. Des permanents d’EF vont s’engager dans les causes du Sud et dans des mouvements comme

l’Église servante et pauvre en Belgique. De nouveaux courants d’idées du Sud dénoncent les visions

dominantes du développement. Parmi les plus fervents critiques citons : Gunder Frank, Eduardo

Galeano (Les veines ouvertes de l’Amérique latine), Samir Amin et surtout, des voix de l’épiscopat

telle que Dom Helder Camara du courant de la théologie de la libération (Molitor, 2015).

Puis, cette nouvelle manière de penser et d’agir va avoir des conséquences directes sur EF qui, à cette

époque, est associée avec Broederlijk Delen. L’opération « Carême de partage » de 1969 va être

violemment contestée par des étudiants de Leuven : « des étudiants avaient collé sur les

confessionnaux des églises des autocollants « Broederlijk Delen : 40 jours de partage, 365 jours de

vol». L’association est violemment critiquée comme assistantielle, conservatrice et cléricale»

(Molitor, 2015, p. 9). Attaquée dans son fief de l’université catholique de Leuven, EF/Broederlijk

Delen doit réagir. En réponse à cette situation, le directeur Basile Maes convoque une assemblée

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générale et sous l’influence des mouvements de jeunesse flamands, les associations adoptent des

positions neuves. Ainsi, le directeur a rédigé « La tâche spécifique d’Entraide et

Fraternité/Broederlijk Delen », un document qui acte et programme la transformation des

associations. Un peu plus tard un autre document « Projets : chances de libération » inscrit

définitivement les associations dans une vision critique du développement en optant pour le soutien

aux mouvements porteurs d’une alternative au modèle dominant (Molitor, 2015).

Suite à ce revirement officiel, l’ONG va s’engager dans des luttes qui l’éloignent de la hiérarchie

catholique et même parfois de l’opinion publique en général. En 1973, le coup d’état militaire au Chili

a suscité un grand mouvement de solidarité. EF s’investit dans l’accueil des réfugiés et dans des

mouvements d’opposition à la dictature. Un an plus tard en 1974, EF soutient les actions humanitaires

des mouvements de libération en Angola et au Mozambique au point que le journal La libre Belgique

l’accuse de fournir des armes aux rebelles. En 1975, suite à l’emprisonnement de trois prêtres

soutenus par EF dans la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud, l’ONG participe activement à

l’action « Banques apartheid » lancée par le Conseil œcuménique des Églises et relayée en Belgique

par la Commission Justice et Paix. Un dernier exemple, en 1983, EF organise une mission

d’information afin d’éclairer l’opinion en Belgique sur les changements à l’œuvre au Nicaragua, pays

à l’époque diabolisé par les USA (Molitor, 2015).

3.4. La situation chez Caritas International

Ce serait illusoire de dire que Caritas International se revendique toujours du catholicisme, car comme

nous l’avons vu, porter le nom même de Caritas c’est être du catholicisme et être en lien direct avec

l’évêque du lieu. Dans ce sens il s’agira ici d’analyser comment Caritas International entretient cette

relation avec l’Église au niveau doctrinal, avec le monde catholique belge, avec Rome et aussi sur le

plan social aujourd’hui. Mais précisons tout d’abord que Caritas dans son ensemble a une structure

calquée sur le modèle de l’Église, à savoir : paroisse, diocèse, conférence épiscopale, conférence

régionale comme la CELAM et à la fin l’Église de Rome. La structure n’est pas différente pour

Caritas Internationalis : « Caritas Internationalis a également des régions et que chaque région qui

correspond plus ou moins aux continents mais pas exactement a aussi une Caritas régionale. Par

exemple nous avons Caritas Europa qui est une Caritas pratiquement importante qui regroupe non

seulement les 28 pays de l’UE, bientôt 27 peut être et d’autres pays du Conseil de l’EU. Donc il y a 46

ou 47 membres de Caritas Europa » (Propos de Patrick du Bucquois).

Au niveau dogmatique les règles sont plutôt strictes chez Caritas International et elles concernent tous

ceux qui y travaillent. Dans certains cas on parle même d’une ligne rouge :

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« Les questions de dogme elles sont appréhendées à plusieurs niveaux dans l’engagement

des travailleurs ici. Il est très clair pour eux ils doivent faire preuve d’une certaine

loyauté envers la position de l’Église catholique […] S’abstenir de prendre publiquement

des positions qui vont à l’encontre du langage de l’Église catholique. Par exemple

quelqu’un qui serait un militant très actif en faveur de l’euthanasie n’a pas sa place à

Caritas. Quelqu’un qui estimerait que l’avortement doit être encore beaucoup plus utilisé

comme méthode anticonceptionnel n’aurait pas sa place à Caritas, c’est des choses qui

sont des lignes rouges » (P. du Bucquois).

Pour travailler chez Caritas il n’est pas obligatoire d’être baptisé ou même d’être croyant, ce qui est

évidemment souhaité, toutefois c’est essentiel d’éviter de prendre des positions publiques qui vont à

l’encontre de la position officielle de l’Église. De ce fait le nouvel employé, avant même la signature

de son contrat est informé de toutes ces mesures. Ça reste quand même un peu délicat, et c’est la

raison pour laquelle « le pape François insiste beaucoup sur l’importance de la conscience bien

formée, bien éclairée […] mais la liberté de conscience ne doit pas aller jusqu’à déforcer une

organisation en prenant des positions qui sont assez en contradiction directes avec les positions de

cette organisation » (P. Du Bucquois).

La relation de Caritas Internationalis avec le monde catholique belge s’impose automatiquement, est

assurée par son statut « le statut de Caritas, tant au niveau belge qu’au niveau international les oblige à

avoir des liens très étroits avec les évêques » (P. Du Bucquois). Mais si le statut oblige ce lien il ne le

définit pas, il revient alors à chaque Caritas et conférence épiscopale de définir comment nouer leur

rapport : « Dans certains pays Caritas est une sorte de département de la Conférence épiscopale. Mais

nous en Belgique nous avons opté pour une solution plus professionnelle […] Nous avons souhaité

que la structure des Caritas soit des ASBL, des associations de droits civils qui donc ont une

autonomie juridique, mais d’autre part, le lien avec l’Église est garanti par les statuts » (P. Du

Bucquois).

Ainsi, si les professionnels de Caritas International peuvent travailler en toute autonomie, le regard

des évêques sur son fonctionnement, sur les décisions à prendre ne s’affaiblit pas. Ces derniers ont

d’ailleurs un droit de regard important sur la nomination des directeurs et présidents : « les présidents

des Caritas ne peuvent être nommés que moyennant l’assentiment de la conférence épiscopale. Ça

c’est un droit de regard important que les évêques ont sur la nomination du président. Parfois même

un droit de regard sur la nomination des directeurs » (P. Du Bucquois). C’est en ce sens d’ailleurs

qu’un évêque référendaire est nommé : « dans chaque Caritas il y a un évêque référendaire, c'est-à-

dire, un évêque qui est désigné par la conférence épiscopale pour être membre de l’assemblée

générale, parfois même du conseil administration de Caritas donc ce n’est pas seulement le droit de

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regard sur la nomination du président, c’est un droit de regard aussi sur la gestion journalière » (P. Du

Bucquois).

Aujourd’hui la relation de Caritas International est de plus en plus étroite avec Rome. Rappelons que

Caritas Internationalis qui est la confédération des Caritas au niveau international a son siège à Rome

et effectue un contrôle sur tous les bureaux de Caritas à travers le monde. Pour mieux comprendre

cela il faut d’abord savoir que :

«Caritas Internationalis était une association confédération dont le siège était au Vatican

mais qui avait une assez large autonomie. Et lors de la fin du pontificat de Jn Paul II les

statuts de Caritas Internationalis ont été complètement transformés et Caritas a acquis le

statut canonique publique, ce qui fait de Caritas Internationalis vraiment partie

intégrante du Saint-Siège ce qui fait que Caritas Internationalis est sous l’autorité directe

du Vatican, d’une congrégation qui s’appelle Cor Unum » (P. Du Bucquois).

Etant sous l’autorité directe du Vatican, le pape François lui-même se tient informé de toutes les

décisions et de son fonctionnement. Suite aux scandales financiers qui ont secoué le Vatican ces

dernières années:

« Le pape François souhaite que les institutions d’Église soient beaucoup plus

responsables et transparentes, notamment au niveau financier […] Et donc Caritas

Internationalis vient d’adopter un système de normes de gestion (Management

Standards) qui doivent être appliqués dans tous les états membres, dans toutes les

organisations membres plutôt et c’est un suivi qui est quand même assez rigoureux. Moi

j’ai dû transmettre environs 45 documents : comptes annuels, les certificats par les

réviseurs d’entreprises, des décomptes, plans stratégiques, les statuts, les nominations,

les organigrammes, code éthique, toute une série de choses » (P. Du Bucquois).

Au niveau social, Caritas International rejoint les autres ONG dans la lutte contre la faim, la pauvreté,

l’injustice. Elle se bat aussi pour permettre à plus d’enfants du Sud d’avoir accès à une meilleure

éducation. Mais ces dernières années ici en Belgique, Caritas Internationalis se penche plus sur le sort

des réfugiés et fait de l’asile et de migrations son terrain de lutte privilégié :

« En Belgique, Caritas International apporte une réponse humaine et individuelle au

parcours migratoire de chacun, défend les droits des migrants et les accompagne dans la

recherche de solutions durables dans notre pays ou ailleurs. Fidèle à son credo, Caritas

International privilégie l'aide aux plus vulnérables dans ses programmes de soutien et

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accomplit sa mission sans distinction de nationalité, de sexe ou de convictions politiques,

philosophiques ou religieuses » (Caritas International, 2016).

En résumé sur une échelle de 1 à 5 nous pourrions présenter le tableau suivant :

Dogme Pilier catholique Rome Social

Iles de Paix 0 1 0 4

Solidarité M. 1 2,5 1 4

Entraide et F. 2 4 2 4

Caritas 4 4 4 4

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CONCLUSION

La conception de l’Église catholique du développement fait de l’être humain l’élément central de tout

projet de développement, une conception selon laquelle le progrès doit servir au bien-être de l’individu

dans tous ses aspects. Cette vision est officiellement lancée avec Populorum progressio de Paul VI qui

met en exergue le « développement de tout l’homme et de tout homme ». A la suite de cet appel

d’autres documents romains et de diverses conférences épiscopales sont venus conforter cette vision.

Mais entretemps la configuration du développement s’est professionnalisée et les institutions

internationales telles que: la banque mondiale, le FMI ou les Nations Unies, en ont fait leur spécialité.

A leur suite, des gouvernements nationaux se sont engagés, des ministères et des commissions de

coopération au développement se sont constitués. En Belgique, les ONG chrétiennes sont les pionniers

et pendant longtemps le pilier catholique a dominé le climat politique et social. Sous l’influence de son

aile conservatrice, le pilier libéral se réveille et occupe désormais davantage d’espace dans le champ

politique et social au détriment des catholiques. On assiste dès lors à une forme de sécularisation qui

touche tous les aspects de la vie nationale.

L’Église en tant qu’acteur de la société n’est pas épargnée par ce processus de sécularisation, de même

que ses différents alliés tels que nos quatre ONG : Iles de Paix, Solidarité Mondiale, Caritas et

Entraide et Fraternité. Soulignons que celles-ci ne présentent pas le même profil. Nous remarquons

que l’ONG Iles de Paix se démarque dans la mesure où il est même probable de ne pas la considérer

comme ayant appartenu au pilier catholique. En effet, elle n’a développé aucun lien avec l’Église ni au

niveau dogmatique, ni au niveau institutionnel. Solidarité Mondiale, de son côté, bien que fille du

MOC, n’a pas non plus entretenu un lien dogmatique formel avec l’Église, néanmoins au niveau

institutionnel et social, le lien existe, bien qu’il s’amenuise de plus en plus au point de ne plus se

revendiquer du catholicisme.

Contrairement aux deux ONG susmentionnées, Caritas et Entraide et Fraternité ont développé un

profil différent, fortement encré dans le catholicisme. Elles continuent à revendiquer le statut d’ONG

catholique et leurs bureaux en portent la marque : crucifix, chapelet, chandelles sans oublier leurs

multiples références au catholicisme à travers leur publication. Des différences s’imposent tout de

même entre elles. Caritas International apparait davantage catholique au niveau des règles. En ce sens

son statut l’oblige à avoir des liens avec les évêques à tel point que sans ces liens Caritas n’existerait

pas. L’évêque référendaire n’est pas seulement un observateur, il prend part à toutes les décisions

importantes. Même les employés sont tenus d’éviter de prendre publiquement des positions en

désaccord avec la position de l’Église. Entraide et Fraternité de son coté n’est pas si dogmatique mais

dans la pratique elle fait plus référence au catholicisme. Elle a une commission théologique, un

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conseiller théologique et elle publie régulièrement des documents liturgiques. Entraide et Fraternité vit

sa catholicité davantage avec les fidèles, tandis que Caritas la vit plus avec la hiérarchie de l’Église.

Nos quatre ONG belges se sont retrouvées coincées dans un triple processus de sécularisation. Tout

d’abord une sécularisation qui s’est opérée au sein même de l’Église en tant qu’institution. Ainsi avec

Gaudium et Spes, plus généralement avec Vatican II, l’Église va officiellement s’intéresser aux

« choses du monde ». Elle reconnait désormais officiellement la liberté religieuse, le respect des droits

de l’homme et la liberté de penser comme manière de nous protéger contre des pouvoirs qui se disent

chrétiens sans l’être. Les paroles de la messe sont traduites en langues vernaculaires afin de permettre

aux fidèles de tout comprendre : c’est la disparition de cet écran invisible entre Dieu et les fidèles. De

plus, désormais, le prêtre n’est plus la figure centrale de la liturgie. L’Église revient à la charge de

l’environnement et reconnait officiellement que le respect et la protection de l’environnement sont des

valeurs chrétiennes et que « tout est lié » (Pape François, 2015).

Un deuxième processus de sécularisation s’est opéré dans la société belge elle-même. Des décisions

politiques, sociales et des avancées scientifiques ont conduit à une sécularisation latente et manifeste.

Il existe de moins en moins de présence religieuse dans les écoles, les universités, les hôpitaux. De

plus les églises se vident. Les signes religieux diminuent également dans l’espace public. Un troisième

processus de sécularisation s’est effectué à l’intérieur même des ONG, tenant compte ici surtout de

Caritas et d’Entraide et Fraternité qui revendiquent toujours leur appartenance à l’Église. Par exemple,

Caritas, grâce à son statut d’ASBL, conserve une autonomie juridique par rapport à l’Église.

Trois autres facteurs ont encore accéléré ce processus de sécularisation. D’abord nous pouvons citer le

passage d’un public cible purement chrétien à un public plus élargi, ensuite le choix par exemple pour

Entraide et Fraternité de passer au cofinancement et donc doit respecter certaines règles du ministère

de la coopération. Puis la diversification du public interne a également joué un rôle, des gens d’autres

confessions et des athées travaillent actuellement pour l’ONG. Remarquons que ces trois facteurs sont

tous liés. La diminution du public chrétien conduit à l’élargissement du public cible, ce qui implique

une diminution des collectes d’où la nécessité du cofinancement. Ce dernier oblige au respect de la

législation belge en matière de recrutement.

Bien que Caritas et Entraide et Fraternité soient toujours bien intégrées dans le réseau catholique,

l’influence de l’Église n’occupe plus autant d’espace qu’avant. D’ailleurs, l’Église elle-même en tant

qu’institution est touchée par ce processus de sécularisation qui est en œuvre partout dans la société

belge. De ce fait, les ONG analysées sont à la fois touchées d’une part par la sécularisation au sein de

l’Église et d’autre part par celle qui est en œuvre dans la société belge. Si le statut de Caritas lui

garantit son appartenance à l’Église et que cela tient même à son existence, ce n’est pas le cas pour EF.

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Le statut d’ONG catholique d’EF demeure un choix du conseil d’administration qui, à n’importe quel

moment de son histoire, peut être remis en question.

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0060526_compendio-dott-soc_fr.html, consulté le 9 mai 2016].

VERGOTE Antoine, 1983, « Religion et sécularisation en Europe occidentale. Tendances et

perspectives », Revue théologique de Louvain, vol. 14, n°4 [http://www.persee.fr/doc/thlou_0080-

2654_1983_num_14_4_2002, consulté le 3 mai 2016].

VON BALTHASAR Hans-Urs, 1986, « Pour nous enrichir », Communio, Paris, n°XI, pp. 4-7.

WILLAIME Jean-Paul, 2006, « La sécularisation : une exception européenne ? Retour sur un concept

et sa discussion en sociologie des religions », Revue française de sociologie, vol.47,

n°4[https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RFS_474_0755, consulté le 3 mai 2016].

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Sites Internet:

ACODEV : www.acodev.be

Caritas International : www.caritas-int.be/fr

CIDSE: www.cidse.org

CRISP: www.crisp.be

Église catholique belge : http://www.cathobel.be

Encyclopédie Larousse : http://www.larousse.fr/encyclopedie/

Enseignement catholique : http://enseignement.catholique.be/

Entraide et Fraternité : https://www.entraide.be/

Iles de Paix : https://www.ilesdepaix.org/

Journal l’économiste : http://www.leconomiste.com

Journal La Croix : www.la-croix.com/

Solidarité Mondiale : www.solmond.be/

Vatican: http://www.vatican.va

Vie chrétienne : https://viechretienne.catholique.org/

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ANNEXES

Annexe 1 :

Source : JUSTAERT Gijs, MANHAEGHE Thierry, 2013, Vers une société durable et inclusive: les

mouvements sociaux comme force de changement social, Solidarité Mondiale, Bruxelles, p.6

[http://www.solmond.be/IMG/pdf/130128_vers_une_societe_durable_et_inclusive_-_final_fr.pdf,

consulté le 22 juin 2016].

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Annexe 2 :

Source : JUSTAERT Gijs, MANHAEGHE Thierry, 2013, Vers une société durable et inclusive: les

mouvements sociaux comme force de changement social, Solidarité Mondiale, Bruxelles, p.8

[http://www.solmond.be/IMG/pdf/130128_vers_une_societe_durable_et_inclusive_-_final_fr.pdf,

consulté le 22 juin 2016].