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Le signe conventionnel motivé; Un débat millénaire Author(s): Ivan Fónagy Source: La Linguistique, Vol. 7, Fasc. 2 (1971), pp. 55-80 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248188 . Accessed: 15/06/2014 20:27 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.181 on Sun, 15 Jun 2014 20:27:05 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Le signe conventionnel motivé; Un débat millénaire

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Le signe conventionnel motivé; Un débat millénaireAuthor(s): Ivan FónagySource: La Linguistique, Vol. 7, Fasc. 2 (1971), pp. 55-80Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248188 .

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVIE

Un debat mill6naire

par Ivan F6NAGY

I. II y a pres de deux mille cinq cents ans qu'Hermogene a soumis ta Socrate sa controverse avec le philosophe Cratyle. << Cra-

tyle ici present declare, Socrate, qu'il existe une rectitude originelle de d6nomination, appartenant de nature (physei) a la rdalit6 >>

(Platon, Cratyle, 383 a, I, p. 614). Socrate, par le d6tour dialectique qui lui est propre, << demontre >> d'abord en s'adressant &t Hermo- gene que celui qui a 6tabli les noms (nomothetes) les avait choisis en fonction de leur ressemblance avec les objets d6not6s', puis, se tourne vers Cratyle pour attirer son attention sur des faits qui vont &t l'encontre du principe naturaliste. Le son I dans scle'rotes << n'est-ce pas le contraire de la duret6 que cette lettre exprime ?... Mais s'il en est ainsi, qu'y a-t-il l1 d'autre qu'une convention de toi- meme avec toi-meme ? >> (Cratyle, 435 a, p. 682). En revenant sur ses pas, il s'approche du point de vue d'Hermogene qui declare tout au debut du dialogue : << Pour ce qui est de moi..., je ne me puis convaincre qu'il y ait autrement rectitude de deno- mination, si ce n'est par une convention et un accord (nomos, the'sis; Cratyle, 384 c, p. 614).

Hermogene, qui represente dans le dialogue le conventio- nalisme des sophistes, preconise en meme temps le principe de l'arbitraire du signe, principe qui, selon Ferdinand de Saussure,

i. << La lettre r a 6t6 jug6e par celui qui a 4tabli les noms, comme 6tant un bon outil de mouve- ment..., tout au moins en use-t-il maintes fois en visant celle-ci. Pour commencer, dans les mots memes de rhein et de rhoe, << couler >>, << courant>>..., ensuite, dans tromos, le << tremblement >>... D'un autre c6t6, s'htant rendu compte que dans 1 il y a un glissement tr&s marqu6 de la langue, il en a r6alise la ressemblance dans les noms qu'il a donn6s A ce qui est leion, << lisse>>, comme au fait mhme de olisthanein, << glisser >>, collodes, << collant >>..., il avait besoin de la valeur significative de l'o pour le << rond >>, gongulon, strongulon > (Cratyle, 426 c-427 c, I, pp. 670-671).

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56 IVAN F6NAGY

est I'axe de la linguistique moderne (p. IIo); il apporte, avec Socrate, des arguments decisifs : on designe le meme objet diff6- remment en diffirentes langues (434 c, I, 68); le nom d'un objet peut etre modifid sans cesser de denoter le meme objet (384 d, I, 614); les sons, census avoir telle ou telle qualite, se trouvent dans des mots qui ne possedent point cette qualit6 (434 c-435 a, I, 68 f.).

La question sur la nature du signe verbal a peine posse tait

ddjea rsolue. Et, pourtant, la discussion continue au cours de l'Antiquite

(Steinthal, pp. 42-10o9) et du Moyen Age - quand les << realistes >> seront les defenseurs de la thdorie physei et les << nominalistes >> soutiendront le principe thesei. En 1688, Locke doit reaffirmer qu'd l'encontre de l'opinion gendrale, << il n'y a pas de rapport naturel entre le mot et la chose d6signie par le mot >>(III, II, p. 225 f.). La thiorie naturaliste trouve cependant des defenseurs en Herder (3, II, p. 2) et Humboldt (VII, p. 65). Dans ses cours, Saussure constate que << le principe de l'arbitraire du signe n'est conteste par personne >> (p. Ioo) et aurait ete sans doute 6tonn6 de voir le petit volume qu'Engler a publi6 en I962, contenant les critiques du principe saussurien de l'arbitraire du signe, auquel l'auteur a du ajouter, en 1964, un compl6ment.

Un debat analogue a eu lieu aux Indes, independamment du Cratyle de Platon. Selon Bharrthari, philosophe id6aliste, l'Fme universelle est incarnee d'une part dans les mots, d'autre part dans les objets, ce qui assure l'appropriation innie (anadi) des mots. La rhetorique Kavya-Pracaqa voit cependant une simple tradition (krtrima) dans la tradition qui relie le mot et son aspect sonore a l'objet (cf. P. Regnaud, 12 ff.).

En suivant le cours du debat millenaire, on a finalement

l'impression que les deux theories gardent une certaine indepen- dance l'une vis-a-vis de l'autre, et que les participants se montrent

presque impermiables aux arguments avances par les adversaires. Ceci s'explique en partie par la complexite du problkme et

par une certaine ambiguite inherente 'a la communication verbale. Par la suite, je tAcherai de relever quelques faits susceptibles d'illus- trer cette complexiti qui, d'ailleurs, n'a pas ichappi a Socrate. Quand Hermogene lui soumet la question debattue, il repond par l'antique proverbe : << Les belles choses, difficile a savoir ce qui en est ! >> (384 a, p. 1614).

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVi 57

L'arbitraire du signe et la double articulation

2. Quant l'importance du principe thesei qui domine la communication verbale, il suffit de renvoyer a certaines pages des Cours de Saussure (pp. Ioo ff., I8o ff.).

On pourrait, tout au plus, illustrer par un exemple le rapport 6vident entre l'arbitraire du signe et sa double articulation.

Les langues que nous connaissons ne diff6rent guire du point de vue de l'articulation. Nous pouvons suivre cependant de pres l'articulation progressive de la projection graphique du langage sonore.

On peut distinguer plusieurs phases dans l'histoire de l'6criture. On d'signe par le terme de pictographie la representation

globale et directe d'un 6v6nement. Trois fois dix petites lignes verticales encadrdes par deux longues lignes verticales represen- tent le message : << 30 dakotas ont etd tuds >>; des arcades qui che- vauchent sur une ligne horizontale :<< il y avait une inondation et beaucoup de gens ont trouve la mort dans le Missouri>> (Jensen). Ces repr6sentations graphiques doivent etre considerdes comme des messages inarticulds.

L'criture iddographique rdsulte de l'analyse conceptuelle de l'univers et suppose l'articulation du signifid. L'iddogramme reprd- sente un concept et correspond gendralement 'a un certain mot.

L'hidroglyphe represente une hirondelle et correspond au mot igyptien wr < hirondelle >>. Le signifiant reste inarticuld dans le message ideographique. Cependant, l'6criture igyptienne a depasse le stade iddographique et s'est transformee en &criture syllabique grace a une invention qui anticipe le rebus (Cohen, pp. 34 ff.). Le signe peut representer non seulement le mot d'hirondelle, mais aussi son homonyme wr << sortir >>. L'hidro- glyphe c qui reprisente le mot r? << bouche >>, peut figurer en meme temps la consonne r. Ceci revient 'a dire que le signe gra- phique est demotive, se d6tache par la voie de l'homonymie du signifie pour s'attacher directement au signifiant. La ddmoti- vation, l'application du principe de l'arbitraire du signe gra- phique, permet de reprdsenter une sdquence de phonemes, une syllabe, et souvent une seule consonne, par un signe graphique. L'articulation du signifiant suppose donc, dans le cas de la

reprdsentation graphique, la demotivation du signe. Il y a lieu de croire que l'articulation des signaux sonores

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58 IVAN FONAGY

suppose egalement une demotivation des gestes phonatoires independants et leur integration dans un signe compose d'une sequence de gestes phonatoires demotives. Les signaux non articulks (pst! ha! ouf! l'inspiration expressive, le clic apico- alveolaire qui exprime le regret, l'dtonnement dans plusieurs langues europeennes, etc.) sont tous motives, gestuels.

Interpritation d'une virgule : conventionnel, arbitraire

3. Faut-il en conclure que tous les signes linguistiques sont conventionnels, arbitraires ?

Tout d'abord, il faut s'entendre sur le sens de ces derniers termes qu'on rencontre souvent c8te a c6te separds par une vir- gule, dans les discussions linguistiques. La virgule est un signe ambigu qui peut correspondre en frangais, comme dans d'autres langues, A des operations logiques diverses : a la disjonction conces- sive et exclusive (latin aut et vel), a la conjonction (et),

* l'impli-

cation (si a alors b). Dans le sens de << et >> :

Tu rappelles ces jours blancs, tildes et voiles... (BAUDELAIRE, Ciel brouille'.)

Dans le sens de << ou >> (disjonction concessive) Ii est des parfums... Ayant l'expansion des choses infinies, Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens...

(BAUDELAIRE, Correspondances.)

Dans le sens de << ou >> (disjonction exclusive) : Ton ceil... Alternativement tendre, reveur, cruel... ... Ton oeil mysterieux (est-il bleu, gris ou vert?)

(BAUDELAIRE, Ciel brouill6.)

Dans le sens de << puisque >> (implication) : Des meubles luisants, Polis par les ans...

(BAUDELAIRE, Les phares.)

Dans le sens de << c'est >> :

Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse. (BAUDELAIRE, Les phares.)

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 59

Dans les discussions linguistiques, on se sert indiffdremment des termes arbitraire et conventionnel; la virgule semble marquer l'equivalence2.

Je crois qu'on aurait intiret "

distinguer soigneusement les signes conventionnels des signes arbitraires. Cette n6cessit6 me parait s'imposer quand on traite des signes complexes : de mots composes (syntagmes autonomes, Martinet, 1967, pp. 112 ff.), de series et d'unitis phrasiologiques (Bally, 1921, I, pp. 7o-87), de mita-

phores et de comparaisons figdes (Bally, 1921, I, pp. 186-202). Pour interpreter correctement un mot compose, anglais ou alle- mand, il ne suffit pas de connaltre les significations des monemes

qui composent ce mot. Il serait A peine possible de deviner le sens exact des mots pigwash << soupe pour le cochon >>, pigtail << natte >>, pignut << pistache de terre >> sans connaitre la convention

qui determine le sens actuel des termes et leur rapport syntaxique. Le mot compose est donc sans doute conventionnel. Dans la

plupart des cas, il serait absurde de vouloir soutenir que le sens

global du mot compose soit independant de la signification de ses Il6ments. Le mot compos6 est donc rarement arbitraire.

Les images figdes, metaphores ou comparaisons, relevent de la langue. Ii faut connaitre les conventions verbales pour remplir conformiment a l'usage des cases vides << une chaleur... >>, << boire comme... >>. Comment deviner qu'en hongrois on est censa etre << agile comme un lezard >> [fiirge mint a gytk]. Comment le sujet hongrois pourrait-il comprendre ce qu'il faut entendre par << C'est un lkzard! >>, sans connaltre les conventions lexicales du frangais ? Mais, meme en ce cas paradoxal, les images sont loin d'&tre arbitraires : il s'agit de deux aspects diffdrents du lizard.

Dans d'autres cas, c'est le caractlre conventionnel d'un signe complexe qui pourrait dchapper A l'attention. Rien ne distingue, semble-t-il, les phrases telle que : Vous descendez & la prochaine ? Ces Messieurs sont deja servis? Je ne vous le fais pas dire. Je n'ai pas de conseil & vous donner. Ce n'est pas de refus... de n'importe quelle autre phrase. Ce n'est qu'au cours de la traduction qu'on s'aperqoit du caractere nettement conventionnel de la phrase, en voyant les resultats bizarres auxquels on arriverait en traduisant ces

phrases prifabriquies de la meme manidre que les autres, c'est-A-

2. Andr6 Martinet se sert de la conjonction << ou , l'op6ration logique sous-jacente est cepen- dant l'6quivalence : <<... c'est dans ce sens qu'il faut comprendre que les faits de langue sont v arbi- traires >> ou < conventionnels >> (1967, p. 20).

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dire a partir des monemes correspondants et en reproduisant la meme structure grammaticale. La phrase Que c'est beau de vous voir! ne produit certainement pas le meme effet dans un roman

franqais que la phrase How nice to seeyou! (diclenchde automatique- ment par l'arrivee du couple invite) dans un roman americain. Si l'on traduisait, litteralement, par Ne mozduljon! le Ne bougez pas! poli d'un Frangais qui est en train d'apporter une chaise

pour epargner cette peine a une dame d'un certain age, le lecteur hongrois verrait un revolver plaqud contre la vieille dame ahurie. Une femme hongroise, si on la complimentait de sa robe, etait

censde rdpondre, surtout avant la deuxieme guerre mondiale, par c'est un petit rien ou c'est une vieille loque. Cette phrase, traduite en

anglais, a vivement impressionnd un cercle mondain ' Los Angeles. Un jeune Franqais, parlant bien le hongrois, a rdpondu

' la ques- tion Maga most mit csindl [ Qu'est-ce que vous allez faire maintenant ?] en detaillant son programme. La jeune fille qui venait de poser la question 6tait 1kgerement bless&e, puisque la signification < situationnelle a de cette phrase hongroise correspond plut6t au frangais Est-ce que vous etes libre ce soir ?

Toutes ces phrases, parfaitement motivees par rapport aux

elements qui les composent, sont d6termindes en meme temps par une convention lexicale qui les assigne globalement et direc- tement a telle ou telle situation (typique). Elles representent des unites lexicales complexes sans cesser d'etre des phrases reguli6- rement construites.

Cette contradiction inhdrente aux phrases predtablies - qui represente probablement la majorit6 des phrases dans les conver- sations quotidiennes - empeche la traduction automatique des textes non scientifiques.

La < lexicalisation > ne s'arrete pas au niveau de la phrase. Les comportements << multi-phrastiques>> codes sont appelds gend- ralement des coutumes, ainsi que le comportement significatif non verbal, comme le baiser respectueux ou le caf6 qu'on sert (en Turquie) pour faire comprendre que les invites sont censis vider la tasse et partir. Les coutumes remontent souvent a des ceremonies magiques. Selon un rituel verbal et gestuel fort rdpandu en Hongrie, les jeunes gens doivent saluer et arroser le lundi de

PAques les jeunes filles qui, a leur tour, l'acceptent en souriant et en offrant des ceufs rouges et decords. Cette coutume remonte probablement

' une ceremonie de fertilite. D'autres ciremonies

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 6I

sont moins spectaculaires, mais non moins contraignantes, ainsi les conversations au cours d'un cocktail ou les paroles peu aimables

que les automobilistes echangent 'a certaines rencontres.

Les onomatopies

4. Saussure n'ajamais mis en cause la motivation<< secondaire>>, celle des signes complexes. II distingue, selon le degre de moti- vation des signes complexes des langues << lexicologiques >> (moti- vation riduite) comme le frangais et des langues < grammati- cales >> (motivation forte) comme l'allemand. Ce qu'il conteste, c'est la motivation < primaire >>, celle des signes simples, des mon6mes. Il suspecte meme la motivation des signes motives par definition, celle des onomatopies. Il se reporte 'a l'extreme varia- bilit' des onomatopies et des exclamations. S. Chatman (p. 194) a cite recemment la diversiti des mots d'signant le chant du coq en anglais (cock-a-doodle-doo), en hollandais (kukeleku), en fran-

gais (cocorico), en espagnol (quiquiriqui), en japonais (kokekokkoo) pour montrer le caractere arbitraire des soi-disant onomatopies.

Ces exemples prouvent, en effet, le caractere conventionnel des onomatopies, sans infirmer cependant l'hypothese de leur motivation. Afin de d6montrer l'arbitraire d'un signe, il faut prouver l'independance totale de son signifiant B l'agard de son

signifid. Quand un signifiant est complhtement indipendant de son signifi6, la distribution et la frdquence de ses phonemes ne

ddpendent que des rbgles qui gouvernent la distribution des pho- names dans la langue donnee. Dans l'absence d'une motivation, les onomatopies devraient etre aussi dissemblables d'une langue a l'autre que les autres mots du vocabulaire, ne ddpassant jamais la limite d'une ressemblance al6atoire.

Pour pouvoir donner une reponse sfire et exacte ' la question << Est-ce que le mot cocorico est un signe motive ou arbitraire ? >>, il faudrait d'abord trouver une mesure de ressemblance entre les signifiants appartenant a diff6rentes langues non apparenties (nombre de phon6mes identiques, siquences de phonemes iden-

tiques, dissemblance par segment definie en termes de traits distinctifs, identite ou ressemblance de patterns rythmiques, etc.), determiner ensuite le degr6 de ressemblance moyenne par mots. Une ressemblance ddpassant la moyenne pourrait tre considerde comme une indication du caractbre motive du mot en question,

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et l'on pourrait mesurer le degre de motivation en quantifiant la ressemblance.

I1 semble evident que la ressemblance entre les mots cocorico, kokekokkoo, cock-a-doodle-doo depasse tres nettement la ressemblance alkatoire des mots frangais, japonais et anglais. La ressemblance n'atteint pas le meme degre dans les mots designant le tonnerre et le grondement cites par H. Schuchardt (pp. 237 ff.) : lat. tonitrus, basque durunda, hongr. mennydirge's, etc., qui relevent de la formule sous-jacente :

occl. + r + + . o n

Jespersen (chap. XX, 8-1o) signale une correspondance non al6atoire entre la representation de la petitesse et de la proxi- mite dans les signifies et la presence de la voyelle i dans le signi- fiant de mots appartenant a des langues non apparentees.

L'anthropologue americain, G. O. Murdock, ne s'est pas contente d'une analyse impressionniste. En comparant I 072 termes de parentC, il a trouv6 une tres forte corrdlation entre le concept de la mere et la presence de la nasale labiale /m/ (cf. Jakobson, PP. 538 ff.).

Des tendances onomatopoetiques peuvent apparaitre a travers des ensembles lexicaux composes de signes apparemment arbi- traires. A. Chastaing a consulte' les vocabulaires de trois langues, l'anglais, le frangais et l'italien, pour voir si la frequence des voyelles claires etait plus grande dans l'ensemble des mots d'no- tant la clart6 que dans ceux denotant l'obscurite. Le resultat etait nettement positif (1962). L'ecart sera encore plus significatif si l'on tient compte de la frequence des mots dans les textes courants (Chastaing, 1964).

Independamment de l'Ftude de Chastaing, nous sommes arrives a des resultats analogues en comparant la distribution de frequences des voyelles dans les mots hongrois frangais et anglais appartenant aux spheres semantiques suivantes : a) som- bre, la-bas, triste, laid, amer, grand, lent; b) clair, El-haut, joyeux, sucr' (doux), petit, agile; puis la distribution de frequence des consonnes dans les ensembles (c) colkre, sauvage, dur, mauvais, amer ; (d) amour, mou, bon, sucrd (doux). Les voyelles palatales dominaient dans le groupe (a), les velaires dans le groupe (b); les consonnes t, k, r, dominaient dans le groupe (c), selon les

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIV1 63

vocabulaires frangais et hongrois, dans I'anglais le k etait legere- ment moins frequent; le m, le 1, le yod dominaient dans le groupe (d)3.

Le porte peut faire valoir les tendances << naturalistesa latentes du langage par le choix et l'agencement des mots et etablir ou

rdtablir un rapport entre le sens et l'expression sonore (Denys d'Halicarnasse, p. 274; McDermott, 194o; F6nagy, 1961; cf. aussi les remarques critiques de Delbouille, 1961, 1967). Ii << rdmunere >>, selon Mallarme, << philosophiquement... le defaut des langues >> (p. 364).

Le statut des variantes combinatoires

5. Selon la doctrine du cercle linguistique de Prague, la phonologie 6tudie les phonemes (Trubetzkoy, 1933, p. 232). La variation est << extraphonologique >>, et c'est la phonetique qui doit &tudier les deformations que l'entourage phonetique inflige au son concret, assimilant par exemple le /n/ apical

'

l'occlusive velaire /k/ ou /g/ en le transformant en nasale vdlaire. J. Laziczius fut le premier 'a s'inscrire en faux contre cette

conception (1935, p. 204) : << La phonologie tudie avant tout les phonemes, les systemes phonologiques, mais aussi la variation combinatoire et la variation stylistique. >> Trubetzkoy tiendra compte de cette critique dans ses Principes de phonologie (1967, pp. 16-29).

Ii serait absurde de vouloir remettre en question la presence de l'dlement naturel physiologique, des tendances paralinguis- tiques dans la variation contextuelle des phonemes. La variation [n]-[xj] est attestie dans beaucoup de langues apparentees et non apparenties (le grec ancien, I'anglais, le hongrois). Cette variation est, sans doute, motivee par l'entourage consonantique et due a la tendance au moindre effort. La langue garde cependant une certaine independance t l'dgard de ces tendances universelles. La regle /n/+ k g -

[j]] n'est pas valable en russe oti le /n/ de

/lenka/ est un [n] apical (cf. encore Perfecky, 1971). Le degre d'universalite d'une variation combinatoire diffbre

d'ailleurs d'un cas ' l'autre. L'assimilation entre consonnes

3. Distribution of phonemes in word-sets contrasting in meaning, Milanges offerts a Marcel Cohen (1970). L'article a 6t6 soumis au rhdacteur du volume en 1965.

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voisde et non voisee (progressive ou regressive selon les langues!) est certainement plus rdpandue que le divoisement de la consonne

voisde finale. Le caractere specifique, linguistique, de la spiran- tisation des occlusives voisees intervocaliques (p. ex. V + b + V

-- p) est encore plus apparent. Tous les deux relkvent neanmoins

de tendances physiologiques omniprisentes. Malgre la grande diversite de la variation contextuelle, toute

variante combinatoire suppose, d'une part, une tendance univer- selle, d'ordre physiologique, et d'autre part une convention lin- guistique. Selon la definition proposde par Andre Martinet - < rien n'est proprement linguistique qui ne puisse diffdrer d'une langue A l'autre > (1967, p. 20) -, la variation combina- toire appartient sans doute A la langue.

N'y a-t-il pas de contraintes physiologiques universelles << indomesticables >> qui echappent a tout contr6le linguistique ? Bien suir, elles sont nombreuses. Selon une loi probablement universelle : la voyelle est plus breve devant une occlusive non

voisde que devant une occlusive voisee, toutes conditions egales d'ailleurs. Ou : la voyelle d'une syllabe accentude, toutes conditions egales d'ailleurs, est plus longue que la voyelle d'une syllabe non

accentude. Ces contraintes absolues relevent uniquement de la parole et doivent etre soigneusement distinguees de la variation contextuelle.

On dissocie d'ailleurs, meme involontairement, les deux les deformations naturelles, universelles, non coddes, sont imper- ceptibles. Les variations de durde d'une voyelle devant consonne voisee et non voisee chappent A l'observation directe4; et on

n'apergoit pas non plus que la premiere voyelle de la syllabe (accentude) dans le mot hongrois etet < il donne a manger > est

plus longue que la seconde. On pourrait faire valoir cependant, A juste titre, que l'allon-

gement de la voyelle dans les syllabes accentudes des mots russes

/dul hi/ << parfums >> et / Iduhil << esprits >>, ou dans les mots italiens

/proI vare/, /mulseo/ est nettement perceptible. C'est ce qui indique justement que l'allongement de la syllabe accentuee en russe et en italien rel6ve de la langue. Cet allongement audible et tres

4. Ceci ne veut pas dire que les changements de duree ne sont pas d6cod6s a un certain niveau. Des experiences, utilisant les synth6tiseurs de parole, en fournissent la preuve : I'allongement de la voyelle prec'dant une occlusive ou constrictive transforme, dans notre perception, la consonne non voisbe en consonne voisee (Denes, 1955). L'allongement de la voyelle, sans atteindre le niveau de la conscience, entre en ligne de compte au cours du d6codage de la consonne.

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 65

considerable est un trait concomitant conventionnel5. Les conven- tions qui determinent I'allongement de la voyelle tonique ne sont pas les memes en russe, en italien et en hongrois. Toute

voyelle russe est allongee en syllabe accentude. En italien, la

voyelle n'est allongee qu'en syllabe ouverte. En hongrois, il n'y a pas d'allongement concomitant (volontaire) d'ordre linguistique.

Un etranger peut se tromper en allongeant la voyelle accentude en hongrois ou en n'allongeant pas suffisamment la voyelle accen- tude du russe, mais serait incapable, et pour cause, de commettre une telle erreur au niveau des deformations naturelles. Le terme d'erreur ne s'applique qu'aux ragles qui determinent la variation au niveau linguistique, non pas aux lois physiologiques.

Les regles de la variation combinatoire et concomitante vont souvent dans le meme sens que les tendances physiologiques. Les voyelles du frangais sont en gendral longues en syllabe accen- tuee devant constrictives voisees /z, i, v/ et devant /r/, elles sont

generalement braves devant occlusives non voisees ou voisees. Or, les voyelles sont, semble-t-il, toutes conditions egales d'ailleurs, plus longues devant constrictives voisees, comme devant occlu- sives (Magdics, 1966).

D'autre part, les voyelles frangaises sont gendralement braves devant /1/, et ceci va A l'encontre des tendances universelles qui allongent la voyelle devant liquides /r/ ou /1/. Ou : les voyelles fermees sont, toutes conditions egales d'ailleurs, plus braves que les voyelles ouvertes; mais ceci n'empeche pas que les voyelles ouvertes /e/ et /oe/ du hongrois et d'autres langues (Straka, 1959, p. 282) soient des braves, et les voyelles fermres /e:/, /o:/ soient des longues.

La variation libre

6. Imposees par des contraintes naturelles et linguistiques, les variantes combinatoires sont redondantes. Les variantes libres, stylistiques supposent cependant un second choix qui suit le choix du phoneme. On est libre de divoiser ou de ne pas devoiser la voyelle anterieure, fermee en position finale : /mersi] ou [mersi], [vddy] ou [vddy]. On est libre de prononcer un mot, qui commence

par un phoneme vocalique, avec une attaque douce (mise en

5. L'allongement moyen de la voyelle en syllabe accentuee est de 20 % en hongrois (Magdics, 1966), de 59,6 % en russe (F6nagy, 1963). Ce qui distingue les deux, c'est plut6t le fait que la voyelle accentuee russe est allongeable, mais non pas la voyelle accentu6e hongroise.

LA LINCUISTIQUE, 2 5

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66 IVAN F6NAGY

vibration progressive des cordes vocales) ou avec une attaque forte

(faisant prdc6der la voyelle d'un coup de glotte : [alj] ou [?alj]. La variante libre est donc plus informative, dans le sens

technique du terme (Inf = 1 d N) que la variante combinatoire et aussi dans le sens plus gendral, quotidien, puisque le choix de la variante exprime une attitude, et greffe un message secon- daire, expressif, ecto-simantique sur le message primaire, d'ordre

conceptuel, endo-simantique (Meyer-Eppler, 1969, p. 3; Moles, 1958, pp. 129 ff.; F6nagy, 1964 a, pp. 21-28).

Quel est le statut linguistique des variantes stylistiques ? La diversit6 totale des signifiants frangais /grd/, russe /bolfoj/,

hongrois /na/l representant le meme concept (celui de la grandeur) contraste avec le paralldlisme du prolongement emphatique de la voyelle accentude [grd::] [bolfo::j], [na::j]. qui exprime dans les trois langues, et dans beaucoup d'autres, une emotion forte, ou souligne l'idde de la grandeur. Ces analogies semblent indiquer que l'allongement emphatique de la voyelle est motivd. Ceci vaut egalement pour l'allongement emphatique de la consonne,

attestd en franqais (bbandit! imppossible), en hongrois ppiszok! << salaud >, en allemand schschan! (Trubetzkoy, 1967, p. 25), dans le latin (Graur, 1929), les anciens dialectes germaniques (Martinet, 1937), etc.

L'allongement vocalique ou consonantique n'en est pas moins conventionnel. L'allongement emphatique d'une voyelle atone est possible en roumain (Iordan, pp. 57 ff.), ne l'est pas en hon-

grois, etc. Des regles pricisent les conditions de l'allongement de la consonne en franqais qui est lid a un diplacement de l'accent de la derniere A la premiere syllabe du mot (Marouzeau, 1923). Les regles, qui determinent la variation stylistique changent avec le temps. L'allongement consonantique et l'accent d'insis- tance, si courant dans le franqais moderne, etait probablement inconnu avant la deuxieme moitid du xixe si'cle6.

Le caractere conventionnel de la variation est encore plus evident dans les cas, plus specifiques, de palatalisation affective.

Bogoraz signale une mouillure facultative de /1/ et /r/ dans le dialecte russe de Kolyma (Jakobson, 1931, p. 266). Cette mani re de parler est qualifi&e de sladkoglasie (parole doucereuse) par les

6. Le com6dien Alfred Mortier raconte dans une lettre 6crite a Elise Richter que sa mere,

n6e en I840, n'a pas connu la < d6saccentuation>> (p. 51).

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 67

habitants du village. En dressant une sorte d'inventaire de la

parole expressive, Stankiewicz (I964, p. 250) mentionne la pala- talisation de /t/ et de /n/ en huichol dans la parole des adultes s'adressant ' un enfant, dans le basque oii la palatalisation a un caractere diminutif (borda << maison >>, bord'a << maisonnette >>) et la palatalisation depreciative dans le dialecte sud-est du yiddish (cf. Weinreich, 1958, pp. 374 f.). Machek a observe une mouillure servant a la formation des mots pijoratifs dans les langues d'Eu-

rope confinant aux << langues mouillantes >> (cit. Jakobson, 1962, p. 242). Il est evident qu'on ne palatalise pas n'importe quelle consonne en n'importe quelle langue, et que la variante palatale peut avoir diff6rentes valeurs. La palatalisation des consonnes

peut preter d'une part un caractere doucereux, diminutif, enfantin a la parole. Dans ces cas, elle semble correspondre a une tendance d'identification avec l'enfant qui palatalise tres forte- ment '

l'age d'un ' trois ans. D'autre part, la palatalisation peut exprimer le degouit, le didain. On pourrait penser

' une simanti- sation de la forte salivation qui accompagne le degouit, la nausee, et, en meme temps, au crachement malifique dont la salivation

depriciative serait une forme attenuee. La contraction pharyngee et laryngee peut egalement se

ditacher de l'acte biologique primaire qu'il accompagne, de l'acte de vomir et devenir, par transfert biologique, l'expression du degout, du mdpris dans la parole (Trojan, 1952; F6nagy, 1962). La fonction biologique primaire de la glotte est d'empecher que des corpuscules nocifs ne pinetrent dans les poumons. La toux est une occlusion glottique suivie d'une forte explosion qui doit loigner les corpuscules qui ont ddjoud la vigilance de la censure

glottique. La toux simantisde, le coup de glotte expressif, reflete la vellkit6 d'dloigner un objet deplaisant, et de rdduire par 1h une tension psychique elevee. La nasalisation des voyelles et consonnes non nasales peut exprimer la lassitude, la nonchalance, le dedain en hongrois, le mepris en allemand, en frangais (Gram- mont, pp. 407 f.; Trojan, pp. 158 ff.; Sauvageot). Ces attitudes sont naturellement liees a un relhchement des organes phonatoires.

On pourrait considdrer les variantes emotives comme des

gestes vocaux expressifs (Paget, Spire, F6nagy, 1962, 1963, 1970), sans oublier pourtant que ces gestes sont integris a la langue et

que leur valeur stylistique depend en m6me temps de la distri- bution des variantes dans l'espace social (la nasalisation avait

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68 IVAN FONAGY

un caractbre aristocratique dans la monarchie austro-hongroise). Le caractere continu (Lotz, 14; F6nagy, 1956, 78), I'encodage analogique (Sebeok, 436 f.) des variantes 'motives sont en rapport avec leur origine gestuelle, paralinguistique.

L'intonation

7. Si l'on pouvait ajouter foi aux mitaphores du vocabulaire

scientifique, le terme hongrois de l'intonation - hanglejtis danse sonore>> - contiendrait l'aveu du caractere gestuel de l'intonation.

Selon Diderot<< l'ame se reflete dans les ondulations mdlodiques de la parole et trahit meme les mouvements les plus secrets de l'me > (Salon de i767, (Euvres completes, XI, Paris, 1876, p. 268). Ch. Bally voit dans l'intonation l'expression naturelle de la moda- lit' (1944, p. 42). En effet, l'intonation est probablement le pre- mier message compris par l'enfant et le dernier vestige du langage, dans des cas graves d'aphasie centrale.

Cependant, si l'intonation n'itait qu'un riflexe conditionne, comme le veut Elise Richter (1933), une expression naturelle, ancestrale de la modalite et des emotions, comment expliquer la diversit6 extreme des formes d'intonation dans les langues non apparenties et apparenties ?

Il n'est pas difficile de montrer le caractere conventionnel de l'intonation. En hongrois, par exemple, le sommet melodique se deplace dans les questions totales, non marquees par une

particule interrogative, de la premiere syllabe (accentuee) a l'antipinultiRme syllabe (non accentude) du dernier groupe rythmique s'il contient plus de deux syllabes.

me- Ka-

me- Ka- ra. ra ?

En russe, le sommet milodique ne quitte jamais dans les questions totales neutres la syllabe accentude :

Ka- a Ka

a-

me- me- ra. ra ?

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 69

C'est ce qui explique que les questions d'une 6tudiante russe parlant bien le hongrois, mais conservant ses habitudes mdlodiques, sont souvent interprdties comme des exclamations 'tonnees, et ne provoquent pas la rdponse attendue.

La phrase 6nonciative est nettement descendante en hongrois. En franqais, en anglais les dnonces a montde finale sont tout a fait courants. On peut supposer qu'un inonce hongrois auquel on preterait la mdlodie montante de la phrase franCaise ou anglaise declarative serait interprdtd en certains cas comme une question. Pour confirmer ou infirmer cette hypothese, nous avons reproduit par synthese le Well! anglais ' montee finale et la phrase corres- pondante hongroise Jd << bien >>

' finale descendante. La phrase anglaise a dtd interpritee par 16 sur 20 sujets americains comme une phrase declarative (exprimant une certaine attitude : << Why not ? >>, << Let us go! >>, etc.). La phrase synthetique hongroise a

etd interprdtie par les 20 sujets hongrois comme un anonce. Puis, nous avons combind la courbe de frequence du fondamental de la phrase synthetique Well avec la courbe d'intensite et la structure formantique de la synthese hongroise. Le J6 ainsi

transformd a 6td interprete par les 20 sujets hongrois comme une phrase interrogative.

Des tests, faits avec 200 phrases hongroises synthetisees, ont apportd d'autres arguments qui semblent parler egalement en faveur du caractere conventionnel de l'intonation (F6nagy, 1970).

Nous savons, d'autre part, que dans un grand nombre de langues non apparenties, lajoie se reflte dans un palier mdlodique eleve, une large gamme de frdquence (du fondamental); la tris- tesse dans une faible intensit6, un palier melodique bas, une ligne melodique descendante; I'angoisse dans une intensit6 faible, une gamme mdlodique restreinte, etc. (Huttar, pp. I3-46). La plainte se reflite en quatre langues analysdes (le franaais, l'anglais, l'allemand, le hongrois) dans un pattern tres regulier : le ton monte a intervalles rythmiques d'un demi-ton pour retomber toujours au niveau du depart. La querelle epouse souvent une configuration prosodique non moins regulikre, bien que diff6- rente. Un accent fort frappe les syllabes a intervalles igaux, par exemple chaque troisikme ou chaque quatrikme syllabe; dans les syllabes accentudes, le ton monte soudainement d'une quinte ou d'une sixte pour retomber au niveau du ddpart; les syllabes atones forment une ligne mdlodique rigide, les syllabes toniques

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70 IVAN FONAGY

une deuxiame ligne virtuelle, egalement toute droite; le debit est

accel'r' (F6nagy et Magdics, 1963, PP- 297, 305, 311, 317). Les configurations prosodiques sont des projections sonores

d'attitudes emotives. La plainte est un sanglot domestique et integre a la parole. Les secousses rythmiques, les petits glissements periodiques rappellent les contractions rythmiques du diaphragme au cours du sanglot, contractions qui provoquent de soudaines monties et descentes de la voix. Le comportement vocal de la colere, de la querelle reproduit au niveau sonore un combat : forte contraction musculaire, rigidit6 de la ligne mdlodique, brusques Ccarts (coups), la phrase dechirie par des accents violents qui frappent n'importe quelle syllabe. Les mouvements

m'lodiques ondoyants de la tendresse evoquent, par contre, des mouvements lents, arrondis, caressants.

Cette gesticulation melodique - << gesturing with the glottis >> selon le terme de Martinet (1962, p. 28) - n'apparait jamais a l'tat pur. Elle est soigneusement assimilke au systeme prosodique de la langue, intigree au code linguistique. C'est ce qui explique que les mtmes tendances peuvent aboutir "a des resultats plus ou moins diffirents d'une langue ?t l'autre. Une certaine surprise joyeuse se reflite - selon une experience faite avec deux sujets frangais - dans un palier melodique relativement dleve, un ton flottant au debut de la phrase et dans une forte montee finale. La meme emotion s'exprime en hongrois - selon une experience analogue faite avec deux sujets hongrois - par trois lignes melo-

diques descendantes. Ceci s'explique par l'antinomie des deux systemes accentuels. Le frangais est une langue oxytonique, le

hongrois une langue barytonique. En pronongant ou en .coutant la phrase hongroise exprimant la surprise joyeuse, le locuteur

hongrois a l'impression que le ton monte au cours de la phrase. Il rapproche probablement la phrase 6motive d'une phrase non

marquee par l'motion et entend ce qui distingue la phrase emotive de la phrase neutre. Si, au lieu de comparer la phrase emotive frangaise a la phrase emotive du hongrois, on compare les deux 'a la phrase neutre franqaise et hongroise, et qu'on calcule les "carts par centisecondes, on obtiendra deux courbes diff&- rentielles. Or, ces deux courbes qui reflitent les ecarts (en Hz relatifs) des phrases emotives par rapport a une phrase non mar-

quee par l'motion, sont beaucoup plus rapprochees l'une de l'autre que n''taient les phrases emotives (fig. I).

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 71

Ceci revient a dire que les tendances communes, inhdrentes a l'intonation dmotive, ne sont pas ndcessairement a la surface et peuvent etre masquies par la divergence des systemes proso- diques. Ce qui semble appartenir en commun B l'intonation de deux langues, c'est la regle de transformation mdlodique propre a chaque attitude emotive. En appliquant la mime regle a des structures diff6rentes, les resultats seront ndcessairement diff6- rents. Une transformation emotive tres caractdristique perce cependant malgrd les divergences des deux systemes. Selon des

Hz +90 -

80 - A hongrois .

70 - .......... A franpais 60

40 Teg- n p m 6 g itt romrnok I1- t cak 30

20

10 - 20 40 60 *80 100 120

140"" 160 180 200 220 240 260 280 cs

20 -

30-

40

50 -

-60 Hier i I y avait enc- ore des ruines!

tests faits & Prague, a Santa Barbara (Etats-Unis) et & Tokyo, avec des phrases 6motives pseudo-hongroises, l'expression de la colkre est plus manifeste que celle de la joie ou de l'ironie (en prdparation).

<< La quantite des mots est bornde, celle des accents est infinie. >> Cette phrase de Diderot (Salons, I767), vaut egalement pour les << accents >> melodiques. Il y a apparemment un rapport d'ordre

analogique, entre l'intensite de la joie ou de la colkre et la gamme du mouvement m'lodique. Il n'en est pas moins vrai que l'int&- gration des gestes mdlodiques dans la langue semble favoriser la tendance 5 l'encodage digital. L'existence des metaphores mdlo- diques, par exemple, le transfert de l'intonation interrogative dans certaines phrases imperatives (F6nagy, 1964 c, I970), suppose des formes d'intonation relativement stables. En effet, l'encodage des intonations modales est nettement binaire en hongrois, et meme la gamme continue qui caractdrise l'intonation emotive

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72 IVAN FONAGY

connait des points de cristallisation, des intervalles particuli&- rement favorises (F6nagy, 1964 c, p. 285). Il y a une vingtaine de << formules mdlodiques >>a intervalle stable dans le frangais parisien qui se distingue en meme temps par un haut degrd de << mlodicitC >>7 (F6nagy, Galvagny,

" paraitre). Le caractbre

digital de l'intonation grammaticale a 6te mis en relief, au detriment de son caractbre analogique, par G. Faure (I964). Faure a pr6sente a ses sujets six variantes d'une phrase interro-

gative, obtenues par amputations successives de I/6 de la tonique finale. Il resulte de ces tests que le nombre des votes << question >>, au lieu de diminuer progressivement avec chaque amputation, diminue << par saut >>a partir d'un certain seuil << qui nous fait basculer d'un coup d'une interpretation a une autre >> (1967, 1970).

Il serait difficile, voire hasardeux, de r6pondre par un simple oui ou non ' la question : l'intonation est-elle continue ou dis- crete ? Cette hesitation s'explique moins par l'insuffisance de nos connaissances que par l'ambigui't inherente t l'intonation qui s'in- tegre au systeme linguistique, sans renoncer completement a son caractere gestuel (cf. Malmberg, 1966, p. Io7; F6nagy, 1956).

Statut et fonction des signes conventionnels motivis

8. On peut donc affirmer que le signe conventionnel motive existe dans le langage et apparait sous des formes multiples.

Les signes complexes - phrases recurrentes, les syntagmes prdptablis, les mots composes, synthmes - sont motivds par rapport aux termes qui les composent, mais supposent en meme

temps une sanction, une convention d'ordre lexical. Une partie des monemes (tous conventionnels par definition)

est motivie, la structure de leur signifiant n''tant pas entierement

independante de la structure de leur signifid. Il y a en plus des ensembles composes de monetmes apparemment arbitraires ayant une motivation globale (par ex. l'ensemble des monemes qui denotent la grandeur oppos a l'ensemble des monemes denotant la petitesse). Le langage podtique peut crier un rapport entre le signifiant et le signifid, dans l'unit6 du vers, par le choix et l'agen- cement des monemes arbitraires.

7. La m61odicit6 est une cat6gorie perceptive qui relve de la r6gularit6 de la courbe de fr6- quence du fondamental dans l'intervalle d'une syllabe.

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 73

Les formes d'intonation sont conventionnelles, mais souvent motivies.

Les variantes combinatoires sont motivees par des tendances

physiologiques et determinees par le code linguistique. Les variantes libres stylistiques sont motivees par le geste

articulatoire qui les engendre et par leur distribution dans I'espace social, mais n'en sont pas moins integrees au systhme linguistique.

Le signe conventionnel motive semble resister a la tendance de polarisation qui oppose le naturel 5. l'arbitraire. Il represente un compromis, ou plut6t une synth6se des deux principes contra- dictoires. L'antinomie est particulie'rement marquee dans le lan- gage sonore oh le phon'ime, 'Ikment d'un signe gendralement arbitraire, apparait sous une forme qui n'est jamais entibrement arbitraire : le phoneme s'incarne dans le son concret qui inthgre au phoneme un geste articulatoire.

La participation des elements motives est plus ou moins importante selon le genre verbal et l'age, fl'tat mental du sujet parlant : Les signes arbitraires dominent dans le langage scien- tifique. La podsie montre une preference trts prononcee pour les signes motives. L'dlement gestuel est inseparable de la voix. Le quotient

motive arbitraire

croit avec l'intensit' des 'motions et avec l'affaiblissement du

contr6le intellectuel (fatigue, intoxication). La communication par signes motives (geste manuel et oral,

intonation, accent, allongements emphatiques) joue un plus grand r6le dans la parole enfantine que dans le langage des adultes. L'en- fant n'accepte qu'a' contrecceur l'existence des signes arbitraires.

Un enfant hongrois de 4 ans insiste pour que e'g << ciel >> et << brfile >> soient un meme mot. Pourquoi table [Miert asztal?]

a demands mon fils a l'age de 3 ans, en attendant une justifi- cation, une motivation. A 4 ans, il interpr6te spontandment tdpszer (aliment fortifiant) comme un derive de tdpdszkodik (< se lkve avec peine >>) et lui attribue la vertu de ressusciter des morts; il nous explique, un autre jour, qu'on appelle le petit-lait iro/i : ro:/ puisqu'il est pur et blanc comme une feuille de papier; c'est-.- dire il associe ir6 < petit-lait > avec ird6 < <crivaina et ramine le mot ' ir < <crit >>. L'6tymologie populaire, les lkgendes 6tiologiques

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74 IVAN FONAGY

relevent de la meme tendance enfantine. Un petit garqon, lig&- rement nevrose, se cachait sous la table pour echapper

' M. Szabd (Tailleur) qui lui couperait l'oreille avec ses ciseaux.

Toute regression mentale affaiblit le principe, difficilement acquis, de l'arbitraire du signe. Les signes motivds sont moins sujets A l'oubli dans les cas d'aphasie centrale. Les malades

interpretent souvent les mots composes, non pas selon le sens veritable, fixd par la convention, mais selon la signification pre- miere de ses composants. Le mot Backfisch < adolescente>> deviendra ou redeviendra Back-fisch < poisson cuit>> par remotivation (Gold- stein, p. 483). Un malade hibernd, a la question Hdzas [Etes-vous marid ?], a repondu par Van hdzam [J'ai une maison], reduisant le mot hdzas a ses elements : hdz [maison] + as [possidant]. Et s'engageant encore plus loin sur la voie de la remotivation : on identifie le mot a la chose qu'il denote, transformant le signe en rdalitd. Freud voit dans ce reinvestissement des images verbales

par la libido que le malade retire des objets reels, la principale caracteristique de la schizophrdnie (X, 299 f.). Le rdinvestisse- ment des mots par la libido objectale est la condition de base de toute magie verbale, dont on retrouve les traces dans les

socidtis plus evoluies sous la forme des jurons et de l'euphimisme. Une contrepartie de 1' < objectivation >> des signes est l'inter-

prntation anagogique de la rdalitd : pour Hugues de Saint-Victor, le monde est un livre immense ecrit de la main de Dieu (Patrologie, t. CLXXVI, col. 814). Les principes d'une zoologie simiologique sont parfaitement rdalises dans les Bestiaires du Moyen Age. La colombe est l'image de l'dglise, ses deux ailes representent la vie active et la vie contemplative. Le hibou ne voit pas clair pendant le jour, quand il s'aventure en pleine lumiere, les oiseaux lui donnent la chasse : le hibou veut donner par l1 un exemple, l'image de l'aveuglement du peuple juif qui a fermd les yeux au Soleil, etc. Le paysage se retransforme en ecriture dans la vision

podtique et philosophique du romantisme allemand.

L'interpretation double d'une expression verbale, ses demoti- vation et remotivation simultandes sont a la base des jeux de mots, des contrepeteries (F6nagy, 1964, p. 29). La remotivation des

signifids complexes ddmotives, l'identification des homonymes sont un des traits caracteristiques du langage des reves. L'analyse des reves nous a appris que l'inconscient identifie sans hisiter des

signes en vertu de l'identitd ou la ressemblance des signifiants.

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 75

La phrase Vous me trompez est dramatisde dans un reve par I'intro- duction sur la scene d'un elephant avec une trompe enorme

(Freud, II-III, 417). Cet exemple illustre en m~me temps une autre tendance de regression semiologique : dans les reves, la transformation des concepts en reprisentations visuelles.

La pref6rence pour les signes gestuels est souvent accompagnde d'un autre phenomene, 6galement regressif : la frequence des

signes mal ou non articulds. Les cliches, des phrases declenchees

automatiquement par une situation typique, subsistent dans des cas d'aphasie centrale, a un moment oi0 les elements composant ces stereotypees ne sont plus accessibles au malade (Goldstein, PP. 449, 454). Les messages sont toujours directement et globa- lement lids 'a la situation dans le monde animal. La sterdotypie de la conversation banale pourrait etre considdrde comme une

regression intellectuelle instantande. Les signes conventionnels motives sont etroitement lies a la

prehistoire de la communication verbale. Ils representent un stade de ddmotivation incompl6te, ou plutSt les stades successifs de l'evolution du signe verbal. Les coutumes, surtout sous leur forme originale de performance magique, representeraient un

premier stade : une activit6 est identifiee a une autre, represente cette autre, sans cesser d'etre ce qu'elle est par elle-m me. La

prosodie de la phrase emotive est la projection sonore d'un compor- tement << magique >> (Sartre, pp. 45 ff.) qui remplace l'action directe par un jeu mimitique. L'intonation modale pourrait tre

considerde comme une forme domestiqude de l'intonation emo- tive. Selon les experiences synthetiques de O. Mettas, l'intonation interrogative recouvre en franqais certaines formes de l'intonation declarative emotive (p. 187). En hongrois, cependant, selon des

expdriences analogues, il n'y a pas de chevauchement entre l'intonation modale et affective. Les changements de hauteur, qui constituent les tons, sont parfaitement arbitraires : aucun rapport entre les tons du mandarin et les comportements 6motifs.

La contraction pharyngde se dissocie de l'acte de vomir et

devient, par mdtaphore biologique, I'expression du degout, du didain. Dans certaines langues nilotiques (le nouba, l'aboua), cette contraction est demotivee et constitue un trait distinctif arbitraire qui oppose les voyelles << ecrasees >> ou << troubles >> aux

voyelles non pharyngalisees (Troubetzkoy, 1967, pp. 133 f.). Une autre serie dvolutive : le baiser est un rappel du premier contact

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76 IVAN FONAGY

drogene que le nourrisson a pu 6tablir par les lvres, avec l'entou- rage. Le baiser peut se transformer en geste, exprimant I'attache- ment ou le respect qu'on eprouve pour une personne. La labia- lisation emotive des voyelles - [moe sy m6 pty fu] Mais si mon

petit choul - est un baiser prefigure, integrd a la parole, greff6 sur le phoneme. La labialisation des voyelles ou consonnes est un trait distinctif arbitraire dans un tres grand nombre de langues.

Quelles sont les fonctions des signes conventionnels motives ? La motivation des mots composes facilite la comprehension,

la memorisation. Elle permet d'etablir des rapports entre les

objets d6signes. Ces rapports, suggerds par les signes complexes motives, seront souvent factices, et les definitions implicites qu'ils nous offrent, surannees -, la consonne peut sonner sans l'appui d'une voyelle, le Soleil couchant suggere une vision du monde

qui n'est plus le n6tre, qui, au moins, ne devrait pas l'etre. La metaphore renoue le lien entre mot et objet, redecouvre

la rdalit6 par la mise en valeur d'un de ses aspects encore inedits. C'est surtout au porte, en tant que faiseur de tropes (tropator, troubadour) qu'incombe la tache d'une conqu te permanente de la realitd subjective. La remotivation mdtaphorique est un contre- courant de la ddmotivation permanente des signes, une tentative de s'approcher de la rialit6 concrete.

On ajoute souvent, et A juste titre, en parlant de la fonction

expressive de l'intonation ou de la variation stylistique le quali- fiant modal << seulement >>. En effet, l'intonation ne designe pas la

plainte, l'attaque dure (le coup de glotte) ne designe pas la colkre. L'intonation emotive, la variation expressive sont loin d'atteindre le degrd d'abstraction des monemes arbitraires tels que plainte, colere qui peuvent denoter, au niveau conceptuel resumer, << saisir >> au niveau conceptuel les emotions que l'intonation ou le geste buccal peuvent << seulement >> exprimer. Il ne faut pas oublier non

plus que c'est leur ddmotivation imparfaite qui permet aux signes motives, gestuels, d'exprimer dans le sens littdral du terme les

emotions, en reduisant par un acting out la tension psychique. Ces signes sont motives en tant qu'une partie du signifid est contenue dans le signifiant. Le coup de glotte n'est pas un signe quelconque de la colkre, mais une partie du syndrome de la colere, et les

glissements rythmiques de la plainte contiennent en germe les

sanglots qui sont a la source de toute plainte. Le signe motive represente une tendance regressive. Le signe

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LE SIGNE CONVENTIONNEL MOTIVE 77

verbal nait d'un suicide : une activite corporelle renonce A sa substance, s'andantit pour se transformer en refdrence pure, se detache progressivement de la rdalitd pour la dominer par la voie de l'abstraction. Les chimpanzes de Kohler et de Kellogg (Kainz, p. 226) tendent le bras vers une banane hors de leur portee, font des gestes comme pour la saisir, ou font semblant de mastiquer. Ils dbauchent, ils miment l'action a laquelle ils viennent de renoncer. Ce mouvement inutile, cette mastication gratuite reprd- sentent un premier stade dans le diveloppement du signe verbal.

II faudra renoncer maintes fois a la possession immediate de I'objet souhaite pour arriver aux signes arbitraires, articulds (<< banane >>, << jaune >>, << deux >>). D'une faaon paradoxale, ce sont ces signes - qui n'ont plus aucun rapport physique, aucune ressemblance avec les objets denotes - qui assureront la maitrise de la rdalitd objective. Une sorte de nostalgie, une << soif de rdalite concrete >> (Buhler, p. 0oI) nous poussent cependant a rebrousser chemin et a recreer un contact plus direct bien que moins efficace, en

reproduisant un module sonore de la rdalite (onomatopde, varia- tion, intonation emotive) en poussant le signifiant dans la direc- tion de la rdalitd concrete (metaphore). L'instinct d'agrippement (Hermann) se conforme d'une part au principe de rdalitd et se contente de com-prendre, c'est-A-dire saisir les objets, mais cherche d'autre part des satisfactions plus immddiates, conformdment au principe du plaisir.

Le caractere implicite preconceptuel de l'encodage stylistique leur assure un certain anonymat, et facilite par lia la communi- cation de messages confidentiels ou meme inavoues, inconscients (F6nagy, 1964 b).

Les signes motives sont intimement lies aux changements linguistiques. Les changements phondtiques peuvent tre inter-

prdtes comme un changement de valeur des variantes stylistiques (F6nagy, 1956, 244-259). Les transferts lexicaux et grammaticaux finissent gendralement par changer la signification des lexemes et morphemes. Les transpositions accidentelles, expressives, sont

t l'origine du changement de l'ordre des mots. Les changements linguistiques ne r6sultent jamais de decisions

conscientes arbitraires, des membres de la communautd linguis- tique - < le signe linguistique &chappe A notre volont a>>, icrit Saussure (p. I04) -, mais A la suite de distorsions qui rel'vent d'un acte d'encodage secondaire ajoutant volens nolens des messages

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stylistiques << naturels >> ou < vocatifs >> (Bally, 1921, I, 170-249) au

message primaire. Il est donc Idgitime de dire avec Leo Spitzer que rien n'est dans la langue qui ne fut d'abord dans le style, le style etant l'ensemble des messages secondaires (F6nagy, 1964 b, 1971). Saussure avait sans doute raison en fdlicitant

Whitney d'avoir insistd sur le caractere arbitraire des signes et d'avoir place par la<< la linguistique sur son axe veritable >> (p. I o). On doit ajouter toutefois que le principe de l'arbitraire du signe se prate peu A l'explication de la structure des changements lin- guistiques8. Le changement est une sorte de gendse permanente; le signe arbitraire est, par contre, le resultat d'une longue dvolu- tion, et serait inconcevable & l'origine de ce developpement.

Le principe de l'arbitraire distingue la langue de la commu- nication animale. Ce qui distingue cependant toute langue natu-

relle, et surtout le langage sonore, des systemes de communication artificielle, tel que 1'ALGOL, est plut6t l'integration de la commu- nication motivee au systeme de communication arbitraire. Le

principe de l'arbitraire n'est qu'imparfaitement realise dans le langage humain. C'est en vertu de cette imperfection que le langage sonore rdpond si parfaitement A nos exigences multiples et contradictoires.

Le combat, toujours renouveld entre les defenseurs du prin- cipe thesei et les participants du principe physei, pourrait etre

interprdtd comme une dramatisation des contradictions inhd- rentes au langage humain.

C.N.R.S.

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