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 Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.  Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected]  Article  Alexis Nouss Protée , vol. 28, n° 2, 2000, p. 35-46.  Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :  URI: http://id.erudit.org/iderudit/030592ar DOI: 10.7202/030592ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.e rudit.org/apropos/ utilisation.html Document téléchargé le 31 décembre 2014 09:32 « "Deux bouchées de silence" : une lecture de Paul Celan »

Le Silence Dans l'Oeuvre de Celan

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Poésie

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    scientifiques depuis 1998.

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    Alexis NoussProte, vol. 28, n 2, 2000, p. 35-46.

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    "Deux bouches de silence": une lecture de Paul Celan

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    DEUX BOUCHESDE SILENCE

    PROTE, AUTOMNE 2000 page 35

    DEUX BOUCHES DE SILENCE:UNE LECTURE DE PAUL CELAN

    ALEXIS NOUSS

    Mais il ny avait pas de voix dans tout le vaste dsert sans limites, etles caractres gravs sur le rocher taient : SILENCE.

    (E. Poe, trad. C. Baudelaire)

    La notion de silence surgit aisment la conscience du lecteur de Celan,offrant la facilit dun concept quune certaine vulgate de lesthtique moderne arpandue. Fonds obscur que lart ne recouvrirait pas mais rvlerait. Pour la posiecelanienne, en outre et la critique ne sest pas fait faute dgrener de tellesanalyses , le silence pourrait tre rapport dautres catgories : le silencemystique ; celui de la crise du langage au tournant du sicle, nourri deromantisme ; celui, enfin et surtout, n dune histoire ayant au XXe sicle, dans sabarbarie et son horreur, priv lhumain de sa dignit dtre parlant. Le silence,dans ces perspectives, serait la manifestation dun indicible, la positivit de cetteimpossibilit. Mais la posie de Celan ne succombe pas lindicible, elle le combatou linterroge, elle est qute dun langage propre le figurer.

    Dans lEntretien dans la montagne, son unique rcit en prose, il est dj voqudeux silences (le silence voqu, trouvant voix ? Ce qui semblerait maladressestylistique rvle lide-force que je cherche dgager). Le premier appartient lanature, sauve de lhumanit, ou dserte. Le second, qui sinstalle entre les deuxprotagonistes, est dun autre ordre : [...] le silence nest pas un silence, nulle parolene sest tue, nulle phrase, ce nest quune pause, ce nest quun intervalle entre lesmots, ce nest quun vide, tu peux voir toutes les syllabes immobiles alentour ; ilssont langue et bouche, ces deux-l, comme auparavant [...] (Entretien, p. 11). Lesilence comme immobilit ou immobilisation des syllabes, non plus un manque delangage mais une intensification de celui-ci, sa prsentation comme champdintensits, dautant plus puissant quil est, en somme, larrt. Le langage nesest pas tu, il sest interrompu. Et il va reprendre, mais autre, diffrent, tel que levise la posie celanienne.

    Si lEntretien dans la montagne dgage ainsi deux sortes de silence, la langueallemande permet, lexicalement, den distinguer trois dont les usages dans luvrede Celan rvlent, en regard, trois qualits ou conditions de ltre et du langage, de

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    ltre du langage : Schweigen, Stummheit, Stille 1. Danscette esquisse dune analytique du silence, les troistermes ont une vertu heuristique et leurs occurrencesne rpondent pas un smantisme systmatique quidcoulerait des catgories dgages. Une telle lectureserait contraire un principe majeur de la potiquecelanienne qui est lvnementialit spcifique dechaque pome et donc lorganisation autonome de sasignifiance.

    Schweigen dsigne le silence en son acceptioncourante, labsence de parole ou sa cessation danslexercice concret (au sens de la premire interruptiondes deux mentionnes plus haut).

    Stummheit, mutisme, renvoie davantage une non-parole, son refus ou son contraire (la secondeinterruption). La notion est encore lie au langagemais dans une conceptualit plus large qui touche lthique.

    Stille prend valeur de silence dans le champsmantique du calme, du repos, de limmobilit.Dimension dpassant la seule sphre humaine poursuggrer une ontologisation et une autonomisation dusilence qui en fait un de ces espaces utopiques verslesquels tendent et o se croisent les mridiens de lapotique celanienne.

    Articuls dans une pense de lhistoire, ces troismodes ou tensions de la parole potique endessinent une sortie progressive. Schweigen participe delexercice langagier, ft-il interdit ou alin, maisdemeure intrinsquement li son historicit.Stummheit se comprend comme un retrait de cetteinscription, drive vers la condition de lin-fans. Stilleaccomplit et achve ce retrait, hors du langage et horsde lhistoire, royaume o vie et mort deviennentindistinctes, o les survivants rejoignent les disparus.

    1/ SCHWEIGENDdi Ren Char, que Celan traduisit,

    Argumentum e silentio dj en son titre dveloppe lanature de ce premier silence. Il est impos au langage, ille saisit de lextrieur, la mort frappant le vivant :

    chacun, le mot qui chanta pour lui,/ quand par derrire lameute se rua sur lui / chacun, le mot qui chanta pour lui et

    se figea.// elle, la nuit,/ ce qui fut survol dtoiles, arros demer,/ elle, ce qui fut silenci [erschwiegne],/ ce qui necoagula pas quand le crochet venin/ transpera les syllabes.// elle, le mot qui fut silenci. 2 (Seuil, p. 111)

    Le silence saigne, cependant, laisse sa trace ; lablessure reste ouverte et le pome nat de cette non-cicatrisation dont il perptue la bance. Plus hautdans le recueil, Soir des mots disait : [...] la cicatricedu temps/ souvre/ et couvre le pays de sang [...] (Seuil, p. 74). Dans le recueil suivant, la dernirestrophe de Stimmen ( Voix ) dit : Pas/une voix un/bruit tardif, tranger aux heures, offert/ tes penses,ici, enfin,/ ici veill : une/ feuille-fruit, de la tailledun il, profondment entaille ; elle/ suinte, neveut pas cicatriser (Grille, p. 13). Le silence est bien icilabsence de parole sans que cesse nanmoins lapotentialit dune expression 3.

    Mais cette possibilit qui demeure entrane unetemporalit particulire. Du mot silenci, le pomeprcise : [...] il tmoigne en dernier,/ en dernier,quand seules rsonnent des chanes,/ il tmoignepour elle [la nuit], qui repose l-bas/ entre lor etloubli [...] (Seuil, p. 111-113). Y est repris limpratifdu pome Parle toi aussi : Parle toi aussi,/ parle endernier,/ dis ta parole (Seuil, p. 105). Le silence quisabat sur le mot porte le risque dtre dfinitif 4, lapremire interruption nest jamais sauve de devenir laseconde. Schweigen est constamment menac dedborder vers Stummheit. Ce que montre lesmantisme instable du premier terme. Certainspomes font du silence un envers du langage, ou unmodle : [...] un mot qui me fuyait/quand ma lvresaignait de langage.// Cest un mot qui allait ct desmots,/ un mot limage du silence [nach dem Bilde deSchweigens],/ entour de buissons de chagrin et depervenches (Seuil, p. 27) ; Avec la bouche, avec sonsilence [mit seinem Schweigen],/ avec les mots qui serefusent (Rose, p. 21) ; Vous couteaux aiguiss deprire,/ de blasphme, de prire,/ de mon/ silence[meines/ Schweigens].// Vous mes paroles, qui vousestropiez/ avec moi, vous/ mes paroles droites (Rose,p. 61). Mais ailleurs le silence acquiert une valeur en

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    soi comme le montrent les citations autour delEntretien dans la montagne ou ce pome de Schneepartreprenant la symbolique de la pierre :

    [...] elle, elle aussi [ton ombre]/ je la cailloutais [besteinigt] demoi/ le droitement ombr, le droitement/ rsonnant une/sixtetoile,/ vers laquelle tu fais silence [hinschwiegst],//aujourdhui/ fais silence [schweig dich], o tu dsires,// [...]chez moi dans la multitude ptre. (Part de neige, p. 23)

    Le silence nest plus contingent mais prend la figuredun destin, sixte toile dissimulant peine ltoilejaune. Dans le pome Du durchklafterst , la venue auoui sopre am Saum des gewendeten Schweigens ( aubord du silence retourn ) (Part de neige, p. 27),renversement similaire celui du souffle Atemwende(Renversement du souffle), titre dun recueil antrieur indiquant la transmutation non dialectise, lechangement ontologique, le passage une ralit plusessentielle. Strette , pome final de Sprachgitter,rnonce lassociation du silence et de la vgtationpose dans le pome initial Stimmen : Il tait aussicrit que/ O ? Nous/ posmes dessus un silence[Schweigen]/ vaste, gorg de poison 5,/ un/ silence/vert, spale, il/ sy attacha une ide de vgtal / vert,oui/ attacha, oui,/ sous un ciel/ mchant (Grille,p. 97-99 ; trad. modifie). De mme, les distiques ouvrantet fermant hauteur de bouche : hauteur debouche, tangible :/ sombre vgtation [litt. : vgtationde tnbres].// [...]// Lvre sut. Lvre sait./ Lvre le tait[schweigt es] jusqu la fin (Grille, p. 63) 6.

    Le silence ne vient pas clore mais ouvrir, il est duct du vivant, pos sur la bouche comme une parole.Schweigen, il contient dj la tension qui le pousse versStummheit.

    En deux endroits les deux termes sont co-occurrents et permettent de saisir la relation des deuxnotions. Dans le pome Les pis de la nuit ,reprenant lide dune floraison ne du nant, quidonne son titre la dernire section de Pavot etMmoire, le regard, synonyme de langage pour Celan,est associ aux deux types de silence : Comme eux[les pis de la nuit] muets [stumm]/ nous flottons versle monde :/ nos regards,/ changs pour tre

    consols/vont ttons,/ nous font de sombressignes.// Sans regard/ton il dans mon il faitsilence [schweigt] maintenant [...] (Pavot, p. 139). Lemutisme porte la capacit expressive dont estdpourvu lautre silence. Dans lavant-dernier pomede De seuil en seuil, le texte associe directement laparole, sous la forme dcline spricht, aux deuxsilences :

    Ils vendangent le vin de leurs yeux,/ [...] ainsi lexige la pierre,/la pierre par-dessus laquelle parle [dahinspricht] leur bquille/dans le silence [Schweigen] de la rponse / leur bquille quiune fois,/ une fois, en automne,/ quand lanne enfle jusqu lamort comme raisin, une fois, parle travers [hindurchspricht]le mutisme [durch Stumme], de part en part, en bas,/ vers lafosse du conu. (Seuil, p. 115 ; trad. modif.)

    Un dire accident, bless, rencontre sur deuxmodes le silence. Le premier nest que rponse lhistoire meurtrire, strile puisquil ne fait que ragir une pression externe, rsultat dune oppression.Travers par lhistoire, il ne possde pas la facult dece qui la traverse, la fcondit du second silence quivendange la mort (Tod/Traube, mort/raisin), qui lacreuse pour en tirer matire pense (Schacht est lafosse ou le puits de mine et se pose en allitration erdachten, participe pass de erdenken, imaginer,concevoir, o on peut encore entendre Erde, la terre).

    2/ STUMMHEITLe mutisme correspond une phase mdiane et

    mdiate o laffliction reue dans lhistoire setransforme en possibilit. Linterdit de parole susciteune autre parole, non seulement un autre dire maisun dire disant cet interdit. Au sein de ce qui lui estrefus mais dont on ne peut lexclure commentpriver un locuteur de sa langue ? , le sujet trouve unautre mode langagier. Exemplaire ici la langueallemande de lcriture des pomes de Celan. [...] au-del/ de la zone des peuples muets, en toi/ balance deparole, balance de mots, balance/de pays : Exil 7

    (Choix, p. 215-217). Lexil des mots cre les mots delexil, et ce langage nouveau devient le pays daccueil.Lalination du sujet, son tranget (voir infra le

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    pome Schliere ) sont dsormais une exprience, unregard, transmuant, de baudelairienne manire, le malen esthtique, non pour le transcender mais pour luifaire trace, alors que lontologie sy refuse : Mutismeet surdit sinstallent 8/ derrire les yeux./ Je vois lepoison fleurir/ En toute sorte de paroles et deformes (Rose, p. 129).

    Et le sujet, retrouvant un langage marqu parlexprience, retrouve une identit : le mutisme devientun refuge. Mutit, nouveau, spacieuse, une maison :/viens, tu dois habiter (Grille, p. 159) dit le pome Indie Ferne , Au loin , dont le titre exprimelloignement devenu proximit et demeure. Heimkehr ( Retour la maison et aussi,pertinence contextuelle : le rapatriement du prisonnierde guerre) dcrit un paysage de neige ce qui recouvrede silence , site chez Celan de laprs-dsastre, maisaussi de ce qui sy est prserv 9, crypte 10 recueillantlexprience de ceux qui nont pas eu de spulture : Dessous, labri,/ se hausse/ ce qui fait si mal auxyeux,/ de colline en colline,/ invisible.// Sur chacune,/revenu chez soi 11 dans son aujourdhui,/ un Jechapp dans le mutisme :/ de bois, un pieu (Grille,p. 23 ; trad. modif.). Le pome suivant Unten ( Enbas ), dont les deux premires strophes commencentpar heimgefhrt , un synonyme pour revenu lamaison , se conclut par : Et le trop de mon verbiage :/dpos sur le petit/cristal 12 dans le fardeau de tonsilence [Schweigens] (Grille, p. 25 ; trad. modif.).

    Pour Celan, la restauration du langage rpond une double motivation : sa corruption dans lhistoireet son incapacit dire lhorreur dun relinconcevable mais pourtant advenu. Devant cetteaporie, il revient au langage non seulement de dire lerel mais aussi de le donner voir, den donner lesimages fussent-elles dficientes, mutiles , dolassociation rcurrente du langage et du regard dansles pomes. La mutit touchera alors pareillementlil muet/ sous sa paupire de pierre (Grille, p. 17).Invalidit explicitement traite dans le pome Schliere ( Taie ) : Taie sur lil :/ pour que soitprserv/ un signe qui traverse lobscur,/ aviv par lesable (ou la glace ?) dun temps tranger/

    pour un Toujours encore plus tranger/ et, commemuette/ vibrante consonne, accord (Grille, p. 29 ;trad. modif.). Ce dernier mot, gestimmt, du lexique desinstruments de musique, renvoie morphologiquement Stimme, la voix. Une parole nouvelle nat delhistoire accidente ; le silence hrit du pass devientun silence matriciel, habitacle ou maison, pourlmergence potique.

    Mais un tel accord ne signifie pas harmonie. Lesigne nat dun regard voil et sa vibration recueillelobscurit, le vide, ltranget, telle la voix de Celandisant ses pomes. Un pome ultrieur dAtemwendesaffiche comme ars poetica, prenant le contre-pied dela mtaphorisation familire Jabs, nonant, sur lemodle de la thologie, comme une potologiengative : PLUS DART DE SABLE, plus de livre desable, plus de matres./ Rien sur les ds. Combien/ demuets ?/ Dix-sept.// Ta question ta rponse./ Tonchant, que sait-il ?// Au profond-de-la-neige,/ fond-de-eige,/ on-e-ei 13 (G. W., II, p. 39 ; ma trad.)

    De nouveau, le sable et la neige, la glace, blancsilence. Dsir dun langage, pulsion esthtique seheurtant limpuissance et la dpassant enlexprimant. Lart est condamn, plus dinspiration recevoir des matres du chant pour ne pas employerun wagnrien matres-chanteurs peut-tre implicite puisque lhistoire a amen le rgne dautres matres,mortifres 14. Plus dinspiration mme du ct de laposie moderne, si prompte traduire le silence,Mallarm par exemple, le livre, le d, avec lequeldialoguent les deux premiers vers. Mme une criture du dsastre , aux lettres de cendres 15, estpromise lchec. Pareillement, le rconfort du silencemystique : dix-sept , selon les commentateurs,dsigne limpossibilit datteindre la plnitude des dix-huit bndictions dune prire centrale de la liturgiejuive ou encore le mot hbreu pour vie qui revtcette valeur numrique.

    Le mutisme, cependant, ne verse pas dans le nant.Il peut encore dire lchec. Scoulent commedrisoires grains de sable les syllabes des trois derniersvers. Autour/ circulaient des voix sans mots, desformes vides [...] dit la premire strophe de Die Silbe

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    Schmerz ( La syllabe douleur ), qui se termine sur : [...] dans labme/ p-, p-, -/ pelait 16 (Rose, p. 135).Balbutiement ou bgaiement, lallen. Tendresse dans lepome Stille ! : [...] et la langue nous balbutiait[lallte] des douceurs.../ (Elle balbutie [lallt] ainsi, ellebalbutie encore ainsi) (Pavot, p. 151). Forceprophtique dans le pome consacr Hlderlin : Silvenait,/ venait un homme,/ venait un homme aumonde, aujourdhui, avec/ la barbe de clart/ despatriarches : il devrait,/ sil parlait de ce/ temps, il/devrait/ bgayer [lallen] seulement, bgayer,/toutoutoujours/ bgayer (Rose, p. 41). Dans les deuxcas, une promesse, un accueil : le langage se creuse desilence devant dautres paroles, laltrit de l-venir 17.

    Au profond-de-la-neige,/ fond-de-eige,/ on-e-ei .Perte progressive de la capacit communicatrice dulangage, mouvement vers un silence ngatif, conclutune lecture commune de ce pome, remarquant queles derniers vers seraient intraduisibles en hbreu,langue dont lcriture ne comporte pas de voyelles. Lalangue du peuple extermin, elle-mme efface. Laposie de Celan combat prcisment ce silence-l. Unpome de Pavot et Mmoire indique une autredirection, mutisme-mutation : Nous mangeons lespommes des muets dit Tard et profond (Pavot,p. 75) qui annonce un temps nouveau :

    Nous prtons serment par le Christ Nouveau dunir la poussire la poussire,/ les oiseaux au soulier errant,/ [...] nous prtonsles serments sacrs de sable la face du monde,/ [...] Vousbroyez la farine blanche de la promesse dans les moulins de lamort,/ vous la prsentez nos frres et surs // Nous agitonsles cheveux blancs du temps.// [...] Vienne sur nous la faute detous les signes alarmants,/ vienne la mer gargouillante,/ larafale acharne du repentir,/ le jour de minuit,/ vienne ce quijamais ne fut !// Vienne un homme sorti de la tombe. 18

    (Pavot, p. 75-77)

    Sorti du nant, du silence de la tombe, cet tre-lnen porte pas moins une parole, comme lesnombreux personnages de muets dans luvre dlieWiesel, comme le narrateur de lOiseau bariol de JerzyKosinski, comme Hurbinek, l enfant de la mort quePrimo Levi rencontre Auschwitz :

    Il ne paraissait pas plus de trois ans, personne ne savait rien delui, il ne savait pas parler [...] mais ses yeux, perdus dans unvisage triangulaire et maci, tincelaient, terriblement vifs,suppliants, affirmatifs, plein de la volont de briser ses chanes,

    de rompre les barrires mortelles de son mutisme. 19

    Il prononce pourtant, rptitivement, quelques sons,un mot ou plusieurs. Les jours suivants, nouslcoutions tous, en silence, anxieux de comprendre etil y avait parmi nous des reprsentants de toutes leslangues dEurope : mais le mot dHurbinek restasecret (ibid.). Levi conclut son rcit : Hurbinekmourut les premiers jours de mars 1945, libre maisnon rachet. Il ne reste rien de lui : il tmoigne travers mes paroles (p. 22-23). Quelle aurait pu tre lardemption pour lenfant n de la mort ? Nest-elle pasdans ce mot qui est langage ( variations exprientalesautour dun thme, dune racine, peut-tre dunnom , dit Levi) mais insaisissable dans aucune langue,langage dun au-del des langues, semblable au purlangage, die reine Sprache , dont Walter Benjaminaffirme la prsence rvle dans le contact traductifdes langues humaines 20 ? Nest-elle pas dans le rcit deLevi, ce dont il ferait laveu par sa dernire phrase ?Cest au demeurant partir de ce passage de Levi queGiorgio Agamben dveloppe sa pense dutmoignage :

    Cela veut dire que le tmoignage est la rencontre entre deux

    impossibilits de tmoigner ; que la langue, pour tmoigner, doitcder la place une non-langue, montrer limpossibilit detmoigner. La langue du tmoignage est une langue qui ne

    signifie plus, mais qui, par son non-signifier, savance dans lesans-langue jusqu recueillir une autre insignifiance, celle du

    tmoin intgral, de celui, qui par dfinition, ne peuttmoigner. 21

    Deux mutismes donc se rencontrent pour donnervoix au silence : celui de la victime prive de parole parlhistoire, celui du tmoin qui lhistoire donne laparole mais qui est priv de mots devant lindicible.

    Cependant, puisque Levi est ici mentionn, il fautrappeler que la critique 22 se plat souligner lasvrit avec laquelle il commenta et jugea la posie de

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    Celan. Il est vrai que les lignes qui lui sont consacresdans De lcriture obscure peuvent semblerngatives, rdiges au nom dun devoir moral :

    Si son message est un message, celui-ci se perd dans le bruit : il

    nest pas une communication, il nest pas un langage, tout auplus est-il un langage encombr et manchot, tel celui de qui vamourir, seul comme nous le serons tous lagonie. Mais

    justement parce que nous les vivants nous ne sommes pas seuls,nous nous devons de ne pas crire comme si nous tions seuls.

    Nous sommes responsables, tant que nous vivrons : nous devonsrpondre de ce que nous crivons, mot pour mot, et faire en sorteque chaque mot porte. 23

    Il est nanmoins loisible de ne pas prterentirement foi la vhmence de Levi, ou, du moins,den tenter une analyse. Dabord lessai nest pasconsacr lcriture de la Shoah mais la vogued une manire obscure dcrire et ladmirationquelle suscite. Dans son argumentation, rpte toutdu long, attribuant lcriture une fonction decommunication lobligeant la clart et lacomprhensibilit, refusant lexpression seulementidiolectale le hurlement, linarticul, le grognementanimal , Levi en vient une exagration suspectepuisquil y amalgame Celan Pound dont lobscuritde [l]a posie a la mme origine que son culte dusurhomme (ibid., p. 73) ou la rhtorique rpressivedes coercitions religieuses et politiques. Par ailleurs,on mettra en avant le suicide de Levi. Alors quilrapproche le destin final de Trakl et Celan et leurcriture, commentant : Leur destin commun faitpenser lobscurit de leur potique comme un prt--mourir, un non-vouloir-tre, un fuir-le-mondedont la mort voulue a t le couronnement (ibid.,p. 73-74) ; alors quil consacra de fortes pages ausuicide de son ami Jean Amry dans Les Naufrags etles Rescaps, lui-mme se donnera la mort en avril,comme Celan , ce qui ne manque dappeler unereconsidration de ses propos. En outre, relireattentivement De lcriture obscure , la positionsavre plus modre quil ny parat. Levi admet unejuste motivation aux styles de Trakl et de Celan, dueaux contextes historiques respectifs tout en prcisant,

    avec une curieuse insistance : Pour Celan surtout, etparce quil est notre contemporain (1920-1970), il fautpenser de manire plus srieuse, plus responsable (ibid., p. 74). Il reconnat ensuite que son obscuritnest ni orgueil, ni facilit mais un reflet delobscurit de son propre destin et de sa gnration,qui va spaississant autour du lecteur, lenserrantcomme tenaille dacier et de froid (ibid.). Puis aprsavoir ritr son exigence de clart dans lchangeentre les hommes , il conclut brutalement : Maisallons bon, je le rpte, ce sont l mes prfrences, etnon la rgle. Quand on crit, on est libre de choisir lelangage ou le non-langage le mieux appropri [...] (ibid., p. 77), tout crit obscur pouvant devenir clairpour dautres lecteurs ou dautres temps. Le jugementnest donc pas sans appel. Et lon peut se demander sice plaidoyer nest pas pro domo, nonc dans lammoire et la blessure de ce que Si cest un homme,crit au lendemain de la guerre, trouva difficilementun diteur et fut reu dans lindiffrence. Levi revintplus tard plusieurs reprises sur langoisse dusurvivant dont le rcit nest pas cout.

    Au demeurant, on ne peut qutre troubl par unpome de Levi dont le titre est identique celui quiouvre Grille de parole ( Voix ) et dont les variationsthmatiques autour du langage et du silencerejoignent troitement Celan, jusqu la citation deVillon, dmentant la thse de De lcritureobscure :

    Voix muettes depuis toujours, voix dhier ou peine teintes ;/Tends loreille et tu en saisiras lcho./ Voix rauques de ceux quine savent plus parler,/ Voix qui parlent mais ne savent plusdire,/ Voix qui croient dire,/ Voix qui disent et ne se font pasentendre :/ Churs et cymbales pour faire passer encontrebande/ Le sens dans un message qui na pas de sens,/ Purchuchotement pour laisser croire/ Que le silence nest pas lesilence./ vous parle, copains de galle :/ Cest vous,compagnons de noce que je parle,/ Vous, comme moi ivres demots,/ Mots-poignards, mots-poison,/ Mots-cl, mots-rossignol,/Mots-sel, mots-masque, mots-npenths./ Lendroit o nousallons est un lieu de silence,/ Un lieu de surdit, limbes dessolitaires et des sourds./ La dernire tape, il te faut la parcourirsourd,/ La dernire tape, il te faut la parcourir seul. 24

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    lire ces vers, le texte sur lcriture obscure rvledavantage un travail de dngation 25. Mme sil neladmettait pas pour des raisons tenant son combatcontre loubli dAuschwitz, Levi nest pas tranger laffirmation que tout langage aprs les camps est mldu rle du moribond , que la posie doit porter lafois la mmoire et lanticipation du silence de la mort.

    Ce silence dun avant ou dun aprs du langagesera celui de notre dernire catgorie.

    3/ STILLEAlors que Le Mridien 26 prsente le pome

    comme en chemin, vers lautre, vers la rencontre, unpome antrieur disait dj : Un peu parla dans lesilence [Stille], un peu se tut [schwieg],/ Un peu alla sonchemin./ Banni et Perdu/ taient chez eux (Grille,p. 57). Banni : Celan ou le pote, der Verbannte dortoben, der/ Verbrannte , l-haut le Banni, le Brl (Rose, p. 153). Et perdu pour qualifier le langage,perdu dans labme, perdu dans lindicible : [...] jaiperdu / perdu un mot,/ qui mtait rest :/ sur.//[...] jai perdu un mot, qui me cherchait :/ Kaddisch (Rose, p. 33) dit le pome Lcluse , dont limage seretrouve dans un pome dAtemwende : Silence desvasires, puis/ de lherbe des berges [krautige Stille derUfer].// Cette cluse encore. [...]// Devant toi, dans/ lessporanges gants rameurs,/ siffle, comme si ahanaientl des mots, la faucille/ dune brillance (Choix,p. 279).

    Brillance dont la trace nest pas perdue, conserveen la langue hbraque, ziv, que la tnbre na suteindre 27, pas plus que le peuple la parlant : Calme[still] dans les artres coronaires,/ dlie :/ Ziv, cettelumire (G. W. II, p. 202). Contrainte de lumire dit letitre du recueil posthume, comprendre commelinextinguibilit de la lumire dans la tnbre, o lediscours potologique relaie celui, invalid parlhistoire, de la croyance spirituelle. Dans un pomeau titre emprunt Shakespeare, Le Roi Lear, Give theword , qui thmatise le langage comme passage, les mots de passe contre la bouillie dart 28 , Celanreprend une figure dj cite : Vint un homme etconclut en unissant encore le silence et la lumire :

    La lpre silencieuse [der stille Aussatz] se dcolle deton palais,/ et vente ta langue de lumire/ delumire (Choix, p. 275 ; trad. modif.). Est-ce ici unerfrence mallarmenne lventail et au pouvoirdcriture ? On peut entendre dans Aussatz Satz laphrase, la proposition, et aussi la compositiongrammaticale et typographique de mme que leprincipe de raison. Il est encore possible de donnerle mot . Le silence-lumire de Stille aprs le silence-non-couleur de Stummheit.

    Le langage comme perte 29 mais non dfinitive,plutt son passage ailleurs lcluse , dunehumanit dfaite une humanit refaite, du verbiagehumain, devenu insignifiant, au royaume potique,utopique, Stille, le silence comme promesse et accueilde cette parole ressuscite si le pote parvient denouveau rguler le dire, clusier pour contenir letrop-plein de lhorreur, devenant ce titre sourcierdans le silence (Seuil, p. 75).

    Stille ! est le titre de lantpnultime pome dePavot et Mmoire :

    Silence ! Jenfonce lpine ton cur,/ car la rose, la rose/ sedresse avec les ombres dans le miroir, elle saigne !/ Elle saignaitdj, lorsque nous mlions le oui et le non 30,/ lorsque nous lesirotions,/ parce quun verre, qui avait jailli de la table, tinta :/il annonait une nuit qui sentnbra plus longtemps que nous.//[...]// Silence ! Lpine a pntr plus profond dans ton cur ://elle se dresse allie la rose. (Pavot, p. 151 ; trad. modif.)

    Le cur, les ombres et la rose : emblmes de laposie celanienne. Ddie la figure de la sur-pouse la mre disparue rcurrente dans Pavot etMmoire 31, rejointe par la potique, qui apparaissaitdans le pome prcdent, Paysage , et qui revientdans le suivant, Eau et feu 32 : [...] pense que je fusce que je suis :/ un matre de cachots et de tours,/ unsouffle dans les ifs, un buveur dans la mer,/ un mot,o tu descends en feu (Pavot, p. 155). Le dernierpome du recueil marque le parcours potiqueaccompli :

    [...] L-bas seulement tu entras entirement dans le nom, celuiqui est tien,/ tu vins toi dun pas sr,/ libres, les marteauxslancrent au beffroi de ton silence 33 [Glockenstuhl deines

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    Schweigens],/ ce qui est cout te rejoint,/ ce qui est mort metaussi son bras autour de toi,/ et vous allez tous les trois dans lesoir.// Rends-moi amer./ Compte-moi parmi les amandes.(Pavot, p. 157)

    Par la parole du pome, par la potique dsormaisconquise, le sujet peut rejoindre son destin 34 et leservir par cette parole mme. La parole potiquesunit au silence de la disparue, au mutisme de ladisparition.

    Stille se retrouve comme titre dun pome deFadensonnen, dernier recueil paru du vivant de Celan,sa signifiance polarisant ainsi toute luvre : Silence 35, conduis-moi parmi les rapides./ Feu descils, luis en avant (G. W. II, p. 170 ; ma trad.). Laposie celanienne recueille ce qui est venir, donne entendre ce qui na pas encore t prononc, lapromesse de lumire. Elle cre ainsi un temps, un fluxtemporel, une continuit que lon pouvait croireperdue jamais, efface dans le dsastre de lhistoire : Toi de foehn. Le calme [Stille]/ volait devant nous,une seconde/ vie, bien visible.// [...] la branche,/ vitecrite au ciel, nous porta, [...] un demain/ sauta danslhier, nous saismes,/ en poussire, le chandelier, jejetai/ tout dans la main de personne (Grille, p. 61 36).Ce personne qui marque rcurremment chez Celanle nant de la destruction historique, non-espace lutopie du Mridien et pourtant rceptacle dela parole renaissante. Le pome sintitule Un jour etencore un . Cest quil nest pas, ne fut pas de jourdernier 37. Grce lcriture : [...] il y eut un reste detemps, un reste chercher/ du ct de la pierre elle/fut hospitalire, elle/ ne coupa pas la parole . Marquede confiance, ce dernier terme tant le titre dunpome prcdent qui dit : Il y aura encore un il,/[...] Il y aura encore un cil,/ [...] Devant vous il est luvre,/ comme si, cause de la pierre [litt. : puisquily a pierre], il restait des frres (Grille, p. 17).

    Un temps au-del du temps, une prolongation, unesurvie : a se dit berleben mais pourquoi ne pas ledire Stilleben , nature morte 38, puisque Stilledonne penser la possibilit dun temps prserv dunaufrage, un temps qui naurait pas sombr dans

    lhistoire, un calme soustrait la tempte (les deuxtermes figurant dans le premier pome de La Rose depersonne). Le pome Stilleben parle de lumire, deregard et dun temps 39 encore possible que le pomeannonce et quil reprsente, sans cependant effacer ledsastre puisquil en provient et lui rpond, luiopposant une nouvel ethos :

    Bougie contre bougie, lueur contre lueur, reflet contre reflet.// Etcela ici, en dessous : un il/ sans lautre et clos,/ a dot de cilsce qui est venu/ tard et ntait pas le soir. 40 // Au-devantltranger, dont tu es lhte ici :/ le chardon sans lumire/ quedu lointain/ lobscurit offre aux siens/ pour ne pas treoublie.// Et encore ceci, disparu dans la surdit :/ la bouche/de pierre et mordant dans les pierres,/ hle par la mer/ quiroule ses glaces le long des annes. (Seuil, p. 69 ; trad. modif.)

    Dans la proposition verschollen im Tauben , disparu dans la surdit [litt. : dans ce qui estsourd] 41, le terme verschollen dsigne les disparusdune guerre. La surdit, alors, pendant du silence,interprtable comme la coupable passivit devant lecrime, est aussi ce qui prserve les victimes et peut lesinscrire sur la pierre muette. Une telle prservation estjustement illustre dans linterprtation double etcontraire dun mme vers. Le silence sera lespacescripturaire de la stratgie hermneutique demandepar la potique celanienne.

    Le motif de la bougie, dj prsent dans lEntretiendans la montagne, anime un pome antrieur durecueil, Devant une bougie . Dans ce texte aulyrisme inspir par la figure de la mre et nourri desymbolique religieuse, les derniers vers dveloppentencore le thme dun reste temporel o le sujet, lepote, peut inscrire sa survie. Souligne par uneparonomase en fin de ligne (bertabt/ Taube,assourdi/ colombe), la surdit reconduit la notion desilence, dans le dcor habituel de mer et de glace.

    [...] je tabsous/ de lamen qui nous assourdit,/ de la lumireglaciale qui lentoure/ l o il se jette dans la mer, haut commeune tour,/ l o la colombe, grise,/ picore les noms/ de ce ct etde lautre du mourir :/ Tu restes, tu restes, tu restes/ enfantdune morte,/ vou au non de ma nostalgie,/ uni une crevassedu temps/ devant laquelle ma conduit le mot maternel/ pour

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    quune seule fois/ elle tressaille, la main/ qui toujours ettoujours agrippe mon cur ! (Seuil, p. 63)

    Le pome runit les disparus et les rescaps par-del la csure temporelle de labsence. Le sujet aintgr la tnbre, lcriture tant le lieu et le moyende cette intgration. Si la premire strophe de Soirdes mots peut dire : Soir des mots sourcier dans lesilence ! [im Stillen]/ Un pas, un autre,/ un troisimedont ton ombre/ nefface pas lempreinte (Seuil,p. 75) 42, cest que la meute de Argumentum e silentio ,qui se rue sur le mot, a inscrit sa fureur au creux de laparole potique, dans lintriorit mme du pote : Les dogues de la nuit des mots, les dogues/maintenant aboient/ au sein de toi [...] (ibid.).

    Un pome du premier des recueils posthumes,Contrainte de lumire, dira ce destin accept, encrypt,travail de deuil la fois accompli par le travaildcriture et le permettant, le silence vcu et prservcomme exprience, libr de la culpabilit attache la condition du survivant : [...] le silence/ prouv [dieerfahrenen Stille], un champ, insul,/ dans le feu,//aprs/ lesprance toute rassasie,/ aprs tout/ destindtourn :// gagns en chantant avec impnitence,/les sacrifices des marais, l o tu// me cherches, enaveugle (Contrainte, p. 139).

    La colombe introduisait dj dans Pavot et Mmoirele thme du silence o le sujet peut rejoindre celledont il est spar 43 : La plus blanche dentre lescolombes prend son vol : il mest permis de taimer !/[...] Larbre silencieux est entr dans la chambresilencieuse [Der stille Baum trat in die stille Stube]./ Tu essi proche, alors que tu ne demeures pas ici (Pavot,p. 125). Larbre, symbole de rsistance 44, apporte lapossibilit dune proximit qui ne nie paslloignement : nous nous sparons enlacs ( Louange du lointain , Pavot, p. 69). Lici du pomeaccueille tous les lointains, comme lici du lecteuraccueillera le pome. Offrande dune fleur, puis lepome conclut sur un nonc aphoristique, quirappelle un clbre adage freudien : O jamais nat, toujours va rester./ Jamais nous ne fmes : ainsinous restons prs delle (ibid.) 45. Pronom fminin

    qui, en allemand comme en franais, peut renvoyer la fleur, la colombe, la disparue, mais surtoutfminit matricielle et utopique o la prsence se crede dire labsence, fminit de la langue alors.

    Ce reste-l nest pas ce qui reste, un reliquat, langativit strile dun ayant-eu-lieu, puisque ce qui estarriv na prcisment pas eu de lieu, ayant effac lescatgories de lavoir-lieu (entendement, mmoire,expression), mais doit tre compris comme un nouvelespace qui accueille le possible de limpossible,limpossible devenu possible dans la parole potiquefaonne de silence, la reprise de la possibilit dupossible, autre nom du temps, un reste qui ne sedfinit pas tant de son avant que de son aprs. Unetelle potentialit cratrice fait naturellement de lalangue la demeure de ce reste 46 car ce reste nest pasnon plus un surplus ou un don, le legs des disparusaux survivants mais davantage un partage, cest--dire la fois ce qui spare et ce qui est mis en commun, oles disparus donnent vie aux survivants en mmetemps que les survivants donnent voix aux disparus.

    Partage du silence o scrit le pome : Tayantfait signe,/ le silence [Stille] de derrire/ le pas [Schritt]dune femme noire (G.W. II, p. 365) dit la premirestrophe dun pome politique de Celan, crit lasuite de lassassinat de Martin Luther King, quiconclut : Ne tajourne pas, toi . Le silence nest pasune sortie de lhistoire mais la scne de sa rencontre.Lallemand construit pareillement le verbe ajourner ,vertagen, autour de jour , Tag. Dans lespace dusilence, se fait jour le pome, en marche ; danslespace de ce jour, clt le temps reconquis surlhistoire, dt-il plus tard amener le pote sa fin 47 :

    [...] le duc du silence [der Herzog der Stille]/ enrle en basdans la cour du chteau des soldats./ Sur larbre il hisse sabannire une feuille qui y bleuit, lautomne venu ;/ il essaimelpi de la mlancolie dans son arme et les fleurs du temps ;/ desoiseaux aux cheveux il va immerger les pes. (Pavot, p. 17 ;trad. modif.)

    Ce parcours du silence par la posie celanienne, cequelle en a compris et quelle nous en fait

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    comprendre, apparat du rapprochement de deuxpomes portant le mme titre, Heimkehr ( Retour la maison ). Lcriture reflte le travail de lhistoiredans le geste scripturaire. Le premier pome, nonpubli du vivant de Celan, est class parmi les textes dejeunesse fragile typologie en posie , avant ce quiserait doctement nomm le corpus celanien. Unpremier tapuscrit le date de 1939, un second de 1944,rdig dans sa priode bucovinienne 48. Mais certainsthmes (la voix, la mre, ltoile sous la forme delaster , lobscur) et la facture (fragmentation mtriqueet morphologique) des pomes ultrieurs sont l, cequi invite dautant notre comparaison. Lhistoire a djfrapp ; Paul Antschel, avant de devenir Paul Celan, estdj atteint. Le pome, pourtant, est encore empreintdune certaine croyance en une clart, vitale ou diurne,gardant la dsolation distance.

    Aucune/ voix cache qui ne soit/ dvoile./ Aucune./Comment sinon persisterait/ la vie grandir devant moi/ et se transfigurer ?/ Aux amis/ la maison il ny en aura plus / un regard est certainement/ suffisant/ et la mre/ le signepeut-tre de mon aster / Ceux qui continuent de chercher,/sont seulement aux coutes pour savoir si la mort,/ ou un jourtorturant,/ un qui nest pas de lautre ct-/ sassombrissantdans la nuit,/ ne sont pas derrire le silence...// O brisures dansle cur. (Frhwerk, p. 16 ; ma trad.)

    Le silence est le premier de notre typologie(Schweigen), plus encore : la voix est mentionne, ft-elle tue, dissimule, mme si, derrire, menacent lamort ou la tourmente. Le retour la maison, quoiquesolitaire, semble encore possible.

    Dans le second pome, dj cit plus haut, lasouffrance, la dtresse barrent de dsolation lapossibilit du retour. La blancheur, comme hier ,celle de la neige et de la colombe, est sinistre, sansespoir, devenue la couleur sans chaleur de la perte.

    Chute de neige, de plus en plus dense,/ couleur colombe, commehier,/ chute de neige, comme si maintenant mme tu dormaisencore.// Du blanc qui stend jusque trs loin./ Dessus, linfini,/ la trace de traneau du perdu.// Dessous, labri,/ sehausse/ ce qui fait si mal aux yeux,/ colline aprs colline,/invisible.// Sur chacune,/ ramen la maison dans son

    aujourdhui,/ un Je chapp dans le mutisme :/ en bois, unpieu.// L-bas : un sentiment,/ que fait flotter par ici le vent deglace,/ attachant son drapeau couleur-de-/ colombe,-de-neige.(Grille, p. 23 ; trad. modif.)

    Lhistoire a gagn, comme un invincible sommeil.Le mutisme ( ins Stumme ) du sujet rpond unpaysage dvast, o il est dsormais seul. La neige nelaisse percer que des signes menant au nant. Lespaceest vide, ferm la promesse du retour, et pourtant Dort : ein Gefhl , il ne succombe pas au silence lemutisme est refuge , limmobilit. Un vent souffle,certes glac, mais soutenant un mouvement. Un pieuplant comme un signe. Un drapeau hiss, avec peut-tre, qui disent le silence, les mots dun pome, celui-ci puisque la blancheur dsormais dite devient cellequi accueille lcriture 49.

    NOTES1. Un quatrime terme aurait pu se proposer catgorisation :

    ladjectif leise, relevant du champ smantique de la douceur, de lalgret. En quelques occurrences, les traducteurs de Celan lonteffectivement rendu par silencieux/silencieuse (Seuil, p. 29 ; Rose, p. 31 ;Part de neige, p. 40). Mais ce choix ne me semble rpondre qu unemotivation stylistique et ninduit aucune smantisation diffrente decelles que jai dgages.2. Celan, corrigeant une traduction de ce pome, inscrit : la parole

    de silence (Choix, p. 325).3. Raison pour laquelle je privilgie la traduction littrale feuille-

    fruit pour Fruchtblatt alors que J.-P. Lefebvre (Choix, p. 129) choisitdutiliser le lexique technique de la botanique, pistil , en prcisantque lextrmit du pistil se dit Narbe, stigmate, cicatrice. Blattnarbendans hauteur de bouche (Choix, p. 148).4. Voir mon essai Parole sans voix , dans Dire lvnement, est-ce

    possible ? (Sminaire autour de J. Derrida), Verdier ( paratre).5. Giftgestillt : noter le radical still, comme une annonce de la

    dernire catgorie de silence.6. Figure dans ce lexique botanique le stigmate dont il tait question

    plus haut.7. J.-P. Lefebvre remarque : Le mme radical russe nem sert former

    le mot qui veut dire allemand (nemeckij) et le mot qui veut diremuet (nemoj) (Choix, p. 356) en roumain. Ce pome, Et avec le livrede Taroussa , privilgie thmatiquement le destin des potes russesperscuts, mais on sait combien Celan identifiait leur souffrance aveccelle du peuple juif et la sienne. Nest-ce pas, par ailleurs, lexil LoStrauss qui crivit La Perscution et lart dcrire, qui certes ne traite pas

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    de posie, mais cependant doppression et du statut des minoritaires etdes victimes ?8. La traduction littrale serait : Cela devient muet, cela devient

    sourd [Es wird stumm, es wird taub] .9. La neige constitue un rseau mtaphorique prsent tout au long de

    luvre. Voir, dans le recueil Sprachgitter (Grille du langage), Schneebett ( Lit de neige ) qui suit immdiatement le pome ponyme Sprachgitter , sachevant sur les vers deux/bouches de silence . Lalogique potique est similaire : de mme que la neige recouvre lelangage et lexprience pour susciter un autre dire du rel, la grille quispare du langage, marquant limpossibilit de son usage antrieur, enrorganise un autre. En allemand, grille est le terme technique utilispour dsigner la structuration du cristal, une des symbolisations delcriture potique chez Celan. Voir aussi le recueil intitul Schneepart(Part de neige).10. Voir sur ce point la thorie psychanalytique de N. Abraham.11. M. Broda retient rapatri .12. Symbole de llaboration potique chez Celan. Le rseau de la neige(voir note supra) y est li par la figure du flocon.13. Le dmembrement de ces derniers vers est souligntypographiquement :Tiefimschnee,

    Iefimnee,I-i-e.

    Un autre exemple dune telle dislocation langagire se trouve dans Huhediblu (Rose, p. 123).14. La mort est un matre venu dAllemagne dit la clbre Fugue demort .15. Cendres et sable partagent la mme valeur comme en tmoignentde nombreuses occurrences et le titre du tout premier recueil paru en1948, puis interdit de diffusion par Celan, Le Sable des urnes (Das Sandaus den Urnen).16. [...] im Abgrund/buch-, buch-, buch-/ stabierte, stabierte . J.-P. Lefebvretraduit : [...] dans labme/ syl, syl, syl-/labait, labait (Choix, p. 211).17. Comme dans la philosophie de Lvinas o se lient langage, altritet temps.18. Les soleils de la mort sont blancs comme les cheveux de notreenfant [...] (Pavot, p. 71) dit le pome prcdent, et le suivant : Il esttemps quil soit temps (p. 81). Les trois textes forment la conclusion dela premire partie du recueil, juste avant la Fugue de mort .19. La Trve (trad. E. Genevois-Joly), p. 21.20. Voir Labandon du traducteur , nouvelle traduction de lessai surla traduction de W. Benjamin par A. Nouss et L. Lamy.21. Ce qui reste dAuschwitz (trad. P. Alferi), p. 48. Voir aussi p. 190 sq.,212 sq.22. Voir par exemple M. Anissimov, Primo Levi ou La Tragdie dunoptimiste, p. 410 et 568.23. P. Levi, De lcriture obscure , Le Mtier des autres. Notes pour uneredfinition de la culture (trad. M. Schruoffeneger), p. 75.24. une heure incertaine (trad. L. Bonalumi), p. 64. Les deux derniersvers sont imprims en retrait. J. Semprun, dans sa prface, rinterrogelui aussi larticle De lcriture obscure .25. Dautant quon trouve un autre exemple de dngation dans cemme recueil. Larticle Pourquoi crit-on ? (p. 52-57) aligne neufmotivations lcriture sans que soit mentionne celle qui poussa, deson aveu, Levi crire, savoir la ncessit, personnelle et sociale, detmoigner. Ces pages sont tout fait dconcertantes : pour lamotivation denseignement, il cite comme exemple un livre de cuisine ; celle d amliorer le monde , il oppose sa mfiance en citantlexemple nfaste de Mein Kampf ! La motivation psychologique est

    minore et les autres motivations sont de faible porte thorique. Bref,Levi vite constamment de se trouver l o on lattend.26. Dans Po&sie, no 9, 1979 (trad. J. Launay).27. Et que, pareillement, la traduction conservera. Ziv dsigne, dans lelexique kabbalistique, lclat lumineux de la splendeur divine. Tel quelchez Celan, le terme est intraduisible, au sens dune impossibilit etdun impratif : cette brillance-l doit percer au travers des langues. Ellefait signe vers un domaine silencieux que jai ailleurs associ lespacetraductif. Domaine de lentre-langues que thorisait Benjamin, dont lesides sur le langage sont proches de celles de Celan. Sur ziv et sa non-traduction, voir J. Felstiner, Langue maternelle, langue ternelle. Laprsence de lhbreu , dans Contre-jour, p. 75-76.28. Cet art inauthentique auquel Le Mridien oppose la posie.29. Quel que soit le mot que tu prononces,/ tu remercies/ laperdition (Seuil, p. 93). Verderben, perdition au sens de ruine,corruption.30. Dans le recueil suivant, De seuil en seuil, cette ide est donnecomme un impratif pour assurer lthique du langage : Parle / Maissans sparer le non du oui (Seuil, p. 105). Ce qui est venu de lhistoire,ce quelle a apport, a t intgr, transmu, pour constituer lapotique. Il en est de mme du silence. Schweigen devient Stille.31. Explicitement dans Der Reisekamerad ( Le compagnon devoyage ).32. Ces deux signifiants comme thanathmes, leau du suicide, le feudes crmatoires. Leur union faonne la potique celanienne. Jentendspar thanathme des figures potiques de la mort, celle de lhorizonhistorique de la posie celanienne, celle du biographique.33. [S]lancrent/silence : russite de la traduction de V. Brietreproduisant la paronomase schwangen/Schweigen .34. La critique saccorde voir dans lamande un double symbole dujudasme : motif traditionnel de la culture juive et rfrence au gaz deschambres de la mort.35. Felstiner choisit de traduire Stillness (calme, tranquillit) et lie lepome aux souffrances occasionnes par la grave crise psychiquetraverse alors par Celan (Felstiner, 1995, p. 233).36. Cologne, am Hof , Au loin , Un jour et encore un , hauteur de bouche , ces pomes cits se suivent dans Sprachgitter,formant ce que jappelle une micrologie potique, empruntant unterme adornien, cest--dire une unit textuelle, un nud de signifiancecirconscrite, forme que prend le sens dans luvre de Celan afin dersister une signification totalisante.37. [...] ce soir-l commenait un jour, un jour particulier, un jour quitait le septime, le septime aprs lequel viendrait le premier, leseptime et non pas le dernier [...] (Entretien, p. 15).38. Chiasme traductif o le franais choisit la mort pour dire ce quelallemand, et langlais, rattache la vie (litt. : vie silencieuse, ouimmobile).39. Voir les pomes ton il fut greff et il du temps (Seuil,p. 53 et 89).40. La traduction de cette strophe sloigne de loriginal mais en rendefficacement la signifiance. Autre version : Et ici en dessous, ceci : unil,/ dpareill et clos,/ frangeant de cils le Tard quon voyait poindre/sans tre le soir (Choix, p. 101).41. Avec un renvoi homophonique Taube, la colombe, dont il esttrait plus bas.42. Un pas : ein Schritt , suggrant lcriture, Schrift, une empreinteou une trace de mots, Wortspur , comme le dit le pome Dein vomWachen dAtemwende. Chez Celan, le pome est essentiellementmouvement (voir Le Mridien ), ce qui explique que son criture nenest jamais quune trace, en vertu dun principe potologique positif et

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    non ngativement, par simple logocentrisme. Parce quil est trace, etnon plnitude signifiante, le lecteur peut y dposer son rythme,marcher sur ses pas. Par ailleurs, si le mot est marqu de fragilit,dincompltude (parmi de nombreux exemples : sable du mot [LaRose de personne], ombre du mot [Part de neige]), cest que lhistoiremeurtrire a condamn le langage porter les stigmates de sa violence.La langue de la posie celanienne est la fois limage mutile de cequelle tait auparavant et lexprimentation de ce quelle pourraitredevenir. Elle est langue de lpreuve et preuve de la langue. Cest lethme du pome Huhediblu (Rose, p. 123), abondamment commenten ce sens.43. Cette figure rcurrente dsigne sous les traits de laime la mredisparue mais aussi, par identification, le double, disparu ou lointain,que le travail potique permet de retrouver (voir Le Mridien ).44. Voir Un air de filous et Arbre-aux-lueurs , les deux ensuccession, dans La Rose de personne. Un mot-arbre, prometteurdombre dit le second pome dans De seuil en seuil.45. TOI, SOIS COMME TOI, toujours (Contrainte, p. 179) ditlavant-dernier pome de Lichtzwang, qui cite la traduction en allemandancien dun passage dIsae par Matre Eckhart puis se conclut parloriginal en hbreu. La catgorie, cependant, du toujours chez Celanne dsigne pas une quelconque ternit transcendante mais une sphretemporelle nouvelle offerte au sujet, spcifiquement ouverte par lepotique. Langage, pilastre en lisire des tnbres , dit le mmepome.46. Le motif du reste est central chez Celan. La survivance de lidentitou de la culture perdues dans et par la langue est un leitmotiv delexprience des exils, volontaires ou contraints, notamment lesintellectuels et crivains : Gombrowiz, Semprun, Brodsky, tant dautres,les tmoignages sont nombreux. Ceux des victimes germanophoneschasses par le nazisme sont particulirement pertinents ici. On sesouvient de lentretien avec Hannah Arendt, Seule demeure la languematernelle (Esprit, juin 1980, repris dans La Tradition cache) au titreallemand plus loquent : Was bleibt ? Es bleibt die Muttersprache ( Quereste-t-il ? Il reste la langue maternelle ?). G. Agamben le commente(1999, p. 210 sq.). De mme J. Derrida dans Le Monolinguisme de lautre,qui remarque en un singulier clairage des vers de Celan que je viensde citer : Toujours, dit-elle sans dtour et sans hsitation. La rponsesemble tenir dabord en un mot, immer. Elle a toujours gard cetattachement indfectible et cette familiarit absolue. Le toujourssemble qualifier justement ce temps de la langue. Il dit peut-tredavantage : non seulement que la langue dite maternelle est toujours l,le toujours l, le toujours dj l, et toujours encore l ; mais aussiquil ny a peut-tre dexprience du toujours et du mme, l,comme tel, que l o il y a, sinon la langue, du moins quelque tracequi se laisse figurer par la langue : comme si lexprience du toujourset de la fidlit lautre comme soi supposait la fidlit indfectible la langue [...] (p. 101-102). Le rapprochement nest pas hasardeux.Celan dut tre expos luvre de Arendt, ne serait-ce quau momentdu procs dEichmann par lequel il fut extrmement marqu. Parailleurs, sur le plan philosophique, la pense de Arendt, lectrice deKafka (voir La Crise de la culture et La Tradition cache) et de Benjamin,analysant et dfendant le pouvoir humain doprer des brches dans lacontinuit chronologique par sa capacit de commencement, nemanque de rsonner avec le thme celanien de la csure temporelle.47. Lecture thanathographique du vers final.48. Je cite le classement des diteurs du volume Das Frhwek.49. Ladjectif dichter ( plus dense ), peut sentendre Dichter , lepote et la trace de traneau, Schlittenspur , renverrait Wortspur , la

    trace du mot ou la trace-mot, du pome Dein von Wachen dAtemwende. Ou les mots du pome suivant, Unten ( En bas ),galement prmentionn, qui reprend le thme du retour, le rseaulangage-regard-main et le motif de la syllabe : Ramen la maison/ lentretien convivial de/ nos yeux lents.//Ramen la maison, syllabe aprs syllabe, rparti/ sur les ds aveuglesde jour, vers quoi/ se tend la main qui joue, grande,/ dans lveil.// Etle trop de mon verbiage/ dpos sur le petit/ cristal dans le fardeau deton silence [in der Tracht deines Schweigens] . (Grille, p. 25 ; trad. modif.)

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