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le songe d’une nuit d’été

le songe d’une nuit d’été - Denise-Pelletier€¦ · Un rêve, un éveil, une fête des sens, un hymne à l’amour naissant, la plus connue des comédies de Shakespeare fait

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le songe d’une nuit

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S A L L E D E N I S E - P E L L E T I E R D U 2 1 M A R S A U 1 8 AV R I L

TEXTE

WILLIAM SHAKESPEAREADAPTATION

FRÉDÉRIC BÉLANGER ET STEVE GAGNON

MISE EN SCÈNE

FRÉDÉRIC BÉLANGERCOPRODUCTION THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

ET THÉÂTRE ADVIENNE QUE POURRA

« JE VOUDRAIS MORDRE DANS MA JEUNESSE. MENTEUSE. ELLE QUI ME PROMETTAIT TANT DE CHOSES. TRAHIE, EN LAMBEAUX MAINTENANT MES RÊVES. J’AVAIS À PEINE APPRIS À AIMER MAIS JE NE SAIS PLUS QUE HAÏR. » — HERMIA

Un rêve, un éveil, une fête des sens, un hymne à l’amour naissant, la plus connue des comédies de Shakespeare fait se côtoyer le mystérieux, le merveilleux, l’attendrissant et le surnaturel. Jouée pour la première fois le 1er janvier 1604, Le Songe d’une nuit d’été raconte les mésaventures amoureuses de deux couples dont la vie devient illusion et théâtre, et ce, par les tours que leur jouent des êtres féériques sous les ordres de Titania et Obéron.

La cité est en fête alors que Thésée, duc d’Athènes, va épouser Hippolyte, la reine des Amazones. Pourtant, le vieil Égée ne partage pas cette euphorie, car sa fille Hermia, qui doit selon lui épouser Démétrius, se laisse courtiser par Lysandre. Héléna soupire, elle, pour Démétrius. Égée demande au duc de trancher en sa faveur, et celui-ci rappelle à Hermia que la loi exige qu’elle se soumette à la volonté de son père, sous peine d’être condamnée. Quand ils sont enfin seuls, Lysandre propose à Hermia un plan audacieux : s’échapper d’Athènes.

Le Songe d’une nuit d’été est un joyeux et inespéré terrain de jeu pour acteurs, metteurs en scène et spectateurs. De la nuit d’ampoules éternelles jusqu’à la forêt d’échelles où les dieux tombent du ciel, tous les refuges d’ombres et les interdits sont permis pour assouvir les passions de nos jeunes amoureux. Steve Gagnon et Frédéric Bélanger, dans leur adaptation charnelle, explorent la jeunesse rêveuse et l’exigence de ses aspirations.

Le Théâtre Advienne que pourra s’associe au Théâtre Denise-Pelletier pour présenter ce filmique, musical et allègre voyage du grand Will.

AVEC ADRIEN BLETTON, DANY BOUDREAULT, GABRIELLE CÔTÉ, STEVE GAGNON, KARINE GONTHIER-

HYNDMAN, MAUDE GUÉRIN, HUBERT LEMIRE, JEAN-PHILIPPE PERRAS, ÉTIENNE PILON ET OLIVIA PALACCI

ASSISTANCE ET RÉGIE JULIE TESSIER CONCEPTION VIDÉO ALEXIS LAURENCE

SCÉNOGRAPHIE FRANCIS FARLEY-LEMIEUX COSTUMES SARAH BALLEUX LUMIÈRES JULIE BASSE CONCEPTION SONORE SÉBASTIEN WATTY LANGLOIS

CHORÉGRAPHIES ANNIE ST-PIERRE COACH VOCAL AUDREY THÉRIAULT

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E N T R E V U E

L’ADAPTATIONPAR STÉPHANIE CARDI

P O U R Q U O I ?

Frédéric Bélanger et Steve Gagnon nous proposent une toute nouvelle adaptation du Songe d’une nuit d’été. Je leur ai posé quelques questions pour en apprendre davantage sur leur vision et sur la pertinence de cette pièce aujourd’hui.

- S. Cardi

POURQUOI LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ FASCINE ENCORE AUJOURD’HUI ?

FRÉDÉRIC BÉLANGER Parce qu’il parle de nous. Parce qu’on y côtoie la comédie. Parce qu’on y rencontre le drame. Parce qu’au-delà du songe, il y a le mystère. La naïveté. L’amour. Le fantasme. La passion. Le désir. L’interdit. La jalousie. L’envie. L’inconstance. L’orgueil. La solitude. L’égoïsme. L’empathie. La cruauté. L’espoir. Parce que c’est un terrain de jeu formidable pour des créateurs. Une histoire fascinante pour le public. Shakespeare nous livre une réflexion sur l’illusion et le théâtre. Un hymne à la nuit, à la vie, aux passions amoureuses et au pouvoir de l’imagination. Il nous offre la possibilité de s’abandonner… la liberté de rêver.

STEVE GAGNON Parce que ça nous redonne, quelques heures, une candeur dont on est tous nostalgiques. Ce désir de croire que tout est possible que l’on perd ou que l’on apprend à taire. Notre version appelle à une rêverie commune. Nous devons absolument recommencer à rêver et nous devons le faire ensemble. Rêver ensemble. Oui. Voilà. C’est un peu ce que l’on fait toujours au théâtre, mais avec Le Songe nous souhaitons apprendre un peu mieux aux spectateurs comment traîner cette magie jusqu’à la maison et partout dans leur vie.

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COMMENT EST NÉE L’IDÉE D’UNE ADAPTATION ?

F.B. Sarah Balleux, Francis Farley-Lemieux et moi-même travaillons depuis longtemps sur ce Songe. Nous avions le désir de nous l’approprier, de faire cohabiter l’ancien et le moderne. Par défi. Par nécessité. Nous trouvions que, peu importe la qualité de la traduction, la puissance des mots de Shakespeare, en anglais, ne peut être égalée. Alors, aussi bien transposer ces mots pour les faire nôtres. Nous avons cherché à faire résonner ce texte mythique à travers l’univers inspiré d’un auteur contemporain. La plume de Steve Gagnon est passionnelle, brute, poétique, viscérale, charnelle et débridée. Elle est pour moi l’essence même du projet. Une réponse d’aujourd’hui aux mots d’autrefois. Une adaptation actuelle, à la fois différente, mais fidèle à l’œuvre originale.

COMMENT ABORDE-T-ON UNE ŒUVRE DE SHAKESPEARE ?  COMMENT S’EST FAIT LE TRAVAIL D’ADAPTATION ET QU’AS-TU VOULU PRIVILÉGIER DANS L’ÉCRITURE ?

S.G. Shakespeare est un monument, mais ce n’est pas avec cette idée que j’ai eu envie de « m’attaquer » à son œuvre. Je me suis plutôt donné toutes les permissions pour m’amuser le plus possible avec son texte. Un peu comme Puck est un exécutant qui désobéit formidablement bien aux ordres question de brouiller toujours les cartes, je suis entré dans le travail d’adaptation avec cette même jouissance à désobéir à Shakespeare, à l’amener danser ailleurs, à mélanger son histoire. Je n’ai d’ailleurs rien gardé d’intégral, j’ai voulu tout réécrire pour que, bien que l’univers lui appartienne toujours, la langue, elle, soit la mienne. J’ai simplifié l’histoire, mais complexifié la psychologie des personnages. J’ai adapté la bande de « bouffons » à une réalité plus proche de la nôtre. D’« ouvriers », ils sont passés à « ouvreurs » (de salle de spectacle).

Titania n’est pas une fée, mais une grande star de cinéma. Ainsi sa suite n’en est pas une de fées mais bien de maquilleuses, coiffeuses, habilleuses. Bref, même s’il y a décidément quelque chose d’intemporel dans l’œuvre de Shakespeare, cette version, sans être trop fixée dans le temps et l’espace, s’éloigne des forêts enchantées et se passe bien plus proche de chez nous.

POURQUOI S’INSPIRER DE L’ÂGE D’OR DU CINÉMA HOLLYWOODIEN ET DU GLAMOUR ?

F.B. Le Songe offre un matériau incroyable : trois pièces en une seule. Trois mondes différents. Il y a la cour et la jeunesse, les fées et les dieux, les ouvriers et le peuple. Je désire une rencontre de ces trois univers auxquels je confronte différents éléments : le maintenant et le passé, la jeunesse et la mémoire, le désir et l’amour, le théâtre et le cinéma. Je cherche à jouer avec la réalité et le rêve, à trouver quelque chose de vaporeux et d’onirique, comme l’indique le titre de la pièce. À explorer le culte de la nostalgie, omniprésent autour de nous, et qui met en évidence ce que nous chérissions, ce que nous tentons de retrouver, ou bien d’oublier. À travers le glamour, cette fausse réalité que nous croyons être idéale, je tente de parler de la sève bouillonnante du désir. Le désir d’être quelqu’un, celui d’être soi, celui d’être aimé.

Frédéric Bélanger

Steve Gagnon

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A N A LY S E

L’INFLUENCE DES RÊVESPAR BERNARD LAVOIE

P O U R Q U O I ?

Quand il est question de Shakespeare, Bernard Lavoie est un incontournable. J’avais envie de savoir ce qu’il avait à dire sur Le Songe d’une nuit d’été… sur cet univers de fantasmes, de rêves et d’illusoire…

- S. Cardi

Le thème du rêve est cher à Shakespeare. Tout au long de sa carrière, il y reviendra. Par exemple, avec Hamlet, il compare la mort au sommeil. Un sommeil dont les rêves ne peuvent être prévisibles. Des rêves tellement inimaginables qu’il est mieux de demeurer vivant le plus longtemps possible. Avec son soliloque « Être ou ne pas être », il explique :

Mourir… dormir, dormir ! Peut-être rêver ! Oui, là est l’embarras. Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort, quand nous sommes débarrassés de l’étreinte de cette vie ? Voilà qui doit nous arrêter. (Hamlet, acte III, scène 1)

La Querelle d’Obéron et de Titania, Étude de Joseph Noel Paton, vers 1849

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ 64

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Pendant sa réflexion sur le suicide, Hamlet recule face à l’horreur des rêves qu’un geste malheureux pourrait provoquer. Avec La Tempête, il n’est plus question de la mort, mais de la vie. Pour Prospéro, « nous sommes faits de la même étoffe que nos rêves... » (La Tempête, acte IV, scène 1) La vie elle-même est un rêve. Il rend supportables les épreuves que nous subissons jour après jour. Ça ne peut qu’être un rêve. Calderon, un auteur espagnol, utilise des procédés semblables avec sa pièce La Vie est un songe. Alors qu’il prend la tête d’une révolution, le prince Sigismond, qui a toujours été perçu comme une personne immorale, décide de changer son comportement de peur que les événements qu’il vit ne soient qu’un rêve et qu’à son réveil, il ne retourne dans la prison dans laquelle il a passé la plus grande partie de sa vie. Le rêve balise la vie. Il érige des limites qui influencent notre comportement et en révèle les tares les plus sombres.

Avec Le Songe d’une nuit d’été, Shakespeare utilise le rêve de façon plus désinvolte. Son influence sur les comportements des êtres humains est modulée par la fuite des amoureux dans une forêt magique. Lysandre, Hermia, Démétrius et Héléna se retrouvent à la merci de Puck, un être malicieux qui, à l’aide d’une fleur magique, s’amuse à changer les inclinations amoureuses des protagonistes. Dans ce chassé-croisé, la belle Hermia sera abandonnée par ses deux prétendants qui tout à coup lui préfèrent Héléna. Afin de créer cette confusion, Puck profite toujours du sommeil de l’un et de l’autre. Quand finalement, les couples sont reformés selon leur inclination originale, il ne reste aux amoureux que de vagues souvenirs des conflits de leur nuit.

La folie a duré toute une nuit de juin. Les amants ont honte de cette nuit et ne veulent pas en parler, pas plus qu’on ne rappelle des rêves pénibles. Mais cette nuit les a libérés d’eux-mêmes. Dans leurs rêves, ils ont été vrais. (Kott, 253)1

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

Scène du Songe d’une nuit d’été, Edwin Landseer

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Bernard Lavoie est détenteur d’une maîtrise professionnelle en mise en scène de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Il a obtenu son Doctorat en histoire et critique du théâtre de la Louisiana State University (LSU) à Baton Rouge. Depuis 1986, il enseigne le jeu, la dramaturgie, la mise en scène et l’histoire du théâtre. Il est aussi metteur en scène et conseiller dramaturgique. Bernard Lavoie s’intéresse au théâtre américain et aux liens qui peuvent se créer entre l’histoire du théâtre et la pratique théâtrale actuelle. Il est professeur au département de théâtre du Collège Lionel-Groulx.

1. Kott, Ian. Shakespeare notre contemporain. Petite bibliothèque Payot, Paris, 2006. (Julliard 1962)

La nuit et la forêt magique contribuent à convaincre les amoureux que leur mésaventure n’était qu’un rêve.

Parallèlement, dans le monde des fées qui vivent dans la forêt, tout n’est pas rose. Obéron le roi est en froid avec sa reine Titania. Pour la punir, il utilisera lui aussi le suc de la fleur magique pour la rendre amoureuse du premier animal qu’elle apercevra à son réveil. Cet animal est en fait l’artisan Bottom à qui Puck a joué un tour en l’affublant d’une tête d’âne. Quand Obéron se décide à libérer son épouse du mauvais sort qu’il lui a infligé, ils s’amusent ensemble de cette vision qu’elle a eue dans laquelle elle était amoureuse d’un âne. Quant à Bottom, Obéron demande à Puck de lui redonner son apparence humaine « afin que, s’éveillant avec les autres, il s’en retourne comme eux à Athènes, ne se rappelant les accidents de cette nuit que comme les tribulations d’un mauvais rêve » (acte IV, scène 1). À son réveil, Bottom est tellement confus qu’il affirme, tentant d’expliquer l’étrangeté de son rêve, que « l’œil de l’homme n’a jamais ouï, l’oreille de l’homme n’a jamais rien vu de pareil » (acte IV, scène 1). Il est tellement ébloui par le vague souvenir de cette fée qui était follement amoureuse de lui qu’il décide même de se faire composer une ballade afin de commémorer l’événement. Elle s’intitulera : Le Rêve de Bottom.

Dans la forêt magique du Songe d’une nuit d’été, le sommeil, l’amour et le rêve se confondent dans une ribambelle de situations cocasses qui transforment les êtres en leur permettant de se réconcilier les uns avec les autres tout en vivant des aventures rocambolesques loin des lois et des convenances de la société.

Il faut retenir un élément supplémentaire à l’utilisation du rêve dans la pièce de Shakespeare. Dans son adresse finale aux spectateurs, Puck leur révèle que si la pièce a déplu, il faut s’imaginer qu’ils n’ont fait qu’un somme et que l’ensemble de la pièce n’était qu’un rêve. Et c’est là toute l’originalité de la pièce. Les spectateurs en venant au théâtre se sont retrouvés dans un monde magique comme celui où ont évolué les personnages. Ce faisant, ils ont eux aussi vécu sous l’influence féérique du monde des rêves.

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

Détails de La Querelle d’Obéron et de Titania, Étude de Joseph Noel Paton, vers 1849

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F I C T I O N

SHAKESPEARE PAR DANY BOUDREAULT

P O U R Q U O I ?

Pour découvrir une facette cachée de Shakespeare. J’ai invité Dany Boudreault, qui incarne l’illustre Puck, à passer une nuit avec le grand Will. Il nous convie à une rencontre inusitée entre le personnage et l’auteur.

- S. Cardi

Pour une préparation de personnage en bonne et due forme, j’ai résolu de participer à un Grandeur nature sur le Mont-Royal. Comme il est dit dans Le Songe d’une nuit d’été, Puck aurait la faculté de se transformer en pouliche. Je me suis donc trouvé très astucieux de débarquer sur le Mont-Royal affublé d’une corne en éponge plus ou moins convaincante en seule guise d’arme. Je me suis dit que ça correspondrait au charme celtique de l’événement. J’ai même imaginé un profil bancal qui cadre avec les règles d’un Grandeur nature. Mont-Royal, 1er novembre. J’arrive au Grandeur Nature.

Les guerriers, mages, nains et elfes patentés brandissent leurs épées de caoutchouc dans ce qui se transforme en une boue moyenâgeuse réussie. Je regarde le ciel ; le soleil se couvre.

Vlan.

Taloche de bouclier. Je suis jeté au sol, entraîné malgré moi dans une échauffourée entre deux trolls. Agilité : zéro. Je ne parviens pas à me redresser. Tous scandent des cris

de guerre entendus dans Le Seigneur des Anneaux ; des étincelles de bouette giclent de toutes parts. Ma coquette corne est désormais «effouarée» dans la boue.

Puis, subitement, silence.

Humiliation de pouliche.

Tous forment un cercle autour de moi. Je relève la tête : j’aperçois une main. Se dresse devant moi une sorte de centaure, le visage tatoué d’une rose anglaise, le front dégarni, une fraise de dentelle autour du cou.

- Ellylldan…

- Juste Dan, c’est correct…

- Tu es l’elfe du feu.

- ?

- L’elfe. De. Feu.

- Non, en fait, je suis plutôt censé être une pouliche, mais ma corne est…

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ 67

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Il me relève d’un élan de centaure, me donne un semblant de «bine».

- Moi, c’est Shakespeare.

Tout le monde retire son heaume et l’observe avec respect. Le ciel se dégage. Une éclaircie le balaie. Tous lèvent les bras. Shakespeare regarde le soleil décliner.

- My fairy lord…

- Je… oui ?

Je reste coi.

- …this must be done with haste, For night’s swift dragons cut the clouds full fast.

- Les dragons… ? Pardon ?

- Les rapides dragons de la nuit fendent les nuages à plein vol...

- C’est… une de mes répliques.

- Oui et c’est moi le tailleur de ton verbe.

- Tu parles en…

- …vers comptés, vers comptés, Dan.

- Tu… connais mon nom ?

- Oui. Ellylldan était l’elfe du feu. Et il avait l’âme et le cœur au jeu Mais gare à celles et ceux qui le piquent Selon la vieille légende celtique

- Je peux te poser une question, Shakespeare ?

- Question pour question, et chacun répond.

- D’accord… Pourquoi t’as pris la forme d’un centaure ?

- Je suis plus athlétique pour la chasse.

- Tu chasses…?

- Je chasse l’amant de la matinée.

Nous n’en avons vraiment plus pour très long.

- On est déjà le 1er novembre… Est-ce que je vais y arriver ?

- Mais on y parvient toujours, mon cher Dan. Je n’offre pas de la confiance en « can ». Ton texte, tu le sais déjà par cœur. N’est-ce pas là le tout premier labeur ? Cette pièce est trop forte pour mettre en valeur quiconque d’autre qu’elle-même. Aujourd’hui est la journée du « Puca ». Arrête de te plaindre et festoie.

- Hein ?

- C’est un festival des récoltes païen Les fermiers laissent le puca aux champs Il s’agit du foin volontairement Laissé là pour la bête affamée Qui rôde, rôde non loin chaque année.

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

- …

- Ce n’est qu’une allégorie pour « soleil ».

- Ah, tu cours après le soleil… C’est éternel, ça.

- Le soleil ne se couche pas sur mon empire.

- C’est pas de toi, ça.

- Non, c’est de la reine Victoria.

Je veux dire : mon théâtre ne meurt pas.

C’est à ton tour de poser une question.

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Comédien et auteur originaire de Métabetchouan au Lac-Saint-Jean, Dany Boudreault complète sa formation en interprétation à l’École nationale de théâtre en 2008. Depuis sa sortie, il a eu le privilège de collaborer avec plusieurs metteurs en scène chevronnés : Claude Poissant, René Richard Cyr, Alice Ronfard, Martin Faucher, Catherine Vidal, Frédéric Blanchette et Serge Denoncourt. Parallèlement, il a écrit et interprété Je suis Cobain (peu importe) à la Petite Licorne et (e), un genre d’épopée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, dont il a assuré également la mise en scène. À titre d’auteur dramatique, il a pris part à la mouture 2011 des Zurbains du Théâtre Le Clou avec son texte Trembler comme les vieilles personnes, et finalement, il co-signe la pièce Descendance publiée à L’Instant scène. Dany Boudreault a publié deux recueils de poésie aux éditions Les Herbes rouges : Et j’ai entendu les vieux dragons battre sous la peau, ainsi que Voilà. Au cinéma, Dany s’associe à plusieurs distributions : Le météore de François Delisle, Vic et Flo ont vu un ours de Denis Côté et Chasse au Godard d’Abbittibbi de Éric Morin. Il a également participé au Projet Épopée initié par le réalisateur Rodrigue Jean. Nous avons pu le suivre dans Destinées pendant six saisons avec le personnage de Félix Tanguay, ainsi que dans Toute la vérité, 30 vies et Il était une fois dans le trouble. Récemment nous avons pu le voir dans la web série L’âge adulte ainsi que dans la pièce Le Déclin de l’empire américain mise en scène par Patrice Dubois. Depuis maintenant trois ans, il enseigne la poésie contemporaine aux acteurs en formation à l’École nationale de théâtre du Canada.

- Donc, c’est une bonne journée aujourd’hui ?

- Oui.

- J’ai une autre question.

- Vas-y tout de bon.

- C’est quoi la relation entre Puck et Obéron ?

- Procédons.

- Allons.

- Obéron est le roi des ombres et Puck ; Sa flamme vive. De la norme il se moque. Les deux s’amusent et déjouent le soleil Dans une course éternelle et sans sommeil.

- Je savais pas que tu étais aussi mystique.

- Je préfère mieux celtique à mystique. Il existe une période de ma vie qu’on ne connaît pas J’étais en fait dans le Breconshire au Pays de Galles.

Où l’on retrouve la vallée de Puck.

- Pis comment on fête ça, la Puca ?

- C’est la seule journée où la bête, Puca… Où Puck se conduit avec civilité.

- Autrement, il se conduit comment ?

- Il est très… charnel. Il fait des mauvais coups avec la baratte à beurre Qui devient comme de la crème.

- OK. C’est wild Le Songe d’une nuit d’été.

- C’est ma pièce la plus… « dionysiaque ».

- « Dionysiaque ».

Et c’est sur cette allusion au monde débridé de Dionysos que Shakespeare disparait dans un rayon de soleil.

Vlan. Nouveau coup de bouclier.

De nouveau au sol, je brave ma peur idiote et me redresse. Mon charisme a augmenté de dix points. Les mages et les nains se retirent sur mon passage. Dans mon esprit, les fées, c’est soudain un peu plus sexy qu’un vulgaire farfadet sketch aux genoux pliés.

Je rejoins Karine Gonthier-Hyndman qui me prenait en photo au loin pour m’humilier sur Instagram. Elle me regarde, pétrifiée.

- Voyons Karine, as-tu vu un mort ?

- Dan… tu viens-tu juste de parler avec Shakespeare ?

- Ouais.

- Il t’a dit quoi.

- Dan, ça veut dire feu.

- Je mets ça sur Instagram.

Et nous quittons le Mont-Royal. Et depuis, ma sagesse de pouliche gagne un point chaque jour.

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L’ILIADE

H I S T O R I Q U E

P O U R Q U O I ?

Dans l’adaptation de Frédéric Bélanger et Steve Gagnon, Titania est une star de l’âge d’or du cinéma américain. Michel Coulombe, dont la réputation n’est plus à faire quand vient le temps de parler cinéma, était tout désigné pour nous raconter la machine à fabriquer du rêve qu’est Hollywood.

- S. Cardi

On situe généralement l’âge d’or de Hollywood entre les premiers pas du cinéma parlant, à la fin des années 1920, et la fin des années 1950, victoire définitive du petit sur le grand écran.

Aux premières heures du parlant, cinq studios, le « Big Five », dominent le marché : MGM, Paramount, 20th Century Fox, Warner Bros et RKO. Non seulement ces studios produisent des films, mais ils les distribuent et les présentent dans leurs salles, celles des grandes villes, qui sont les plus rentables.

Ces studios mettent sous contrat des réalisateurs, des scénaristes, des techniciens et des acteurs dont ils font

DES STUDIOS, DES STARS ET DU GLAMOURPAR MICHEL COULOMBE

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des stars. MGM en promet d’ailleurs plus qu’il n’y en a dans le ciel. Lors de la Grande Dépression qui frappe les années 1930, les agences d’artistes reçoivent 100 000 dossiers d’aspirants acteurs en tout juste cinq ans ! Avec ses westerns, ses comédies élégantes, ses films de gangsters et ses salaires astronomiques, Hollywood fait rêver.

Les studios embauchent des recruteurs à l’écoute de tout ce que produit la radio, Broadway ou le vaudeville. Ils recrutent aussi dans la rue. Ainsi MGM fera de Lana Turner, une adolescente qui avait séché son cours de dactylo, la femme fatale du Facteur sonne toujours deux fois (Tay Garnett, 1946). Les stars sont les propriétés des studios qui exercent un contrôle sur leurs vies, façonnent soigneusement leur image, leur imposent des rôles à volonté et les prêtent à l’occasion à d’autres studios. C’est ce qu’on appelle le « star system ».

L’usine à rêves ne fait pas que des heureux. À tour de rôle, les actrices Bette Davis et Olivia de Havilland poursuivent Warner Bros, la première parce qu’elle souhaite obtenir de meilleurs rôles, la seconde pour contester l’ajout de six mois à son contrat. La victoire de cette dernière devant la justice ébranle les studios.

À l’époque, les enfants stars sont très populaires. Certains travaillent à un rythme effréné. Avant même ses douze ans, Shirley Temple, la plus connue de tous, avait déjà tourné 23 films et de nombreux courts métrages. Judy Garland, la vedette du Magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939), travaille six jours par semaine, parfois 18 heures d’affilée. Au besoin, on lui donne des pilules pour la garder alerte et quand elle ne parvient pas à dormir, on lui fournit des somnifères.

Après que des scandales aient entaché son image, Hollywood se dote d’un code de censure, en vigueur de 1934 aux années 1960. Le code Hays stipule que « nul film ne doit être produit qui abaisserait le niveau moral de ceux qui le voient. » Il proscrit la drogue, la nudité, le blasphème, les relations intimes interraciales et toute atteinte au drapeau américain.

À des années-lumière de la violence qui prévaut dans le cinéma hollywoodien des années 2000, on vend de la beauté, de la jeunesse, de l’exotisme, du mystère, du glamour. Les actrices, Marlene Dietrich, Jean Harlow ou Rita Hayworth, sont séduisantes. Les acteurs, Gary Cooper, Cary Grant ou Errol Flynn, incarnent la virilité. Tous sont blancs. Il faudra attendre 1964 pour qu’un homme afro-américain, Sydney Poitier, remporte un Oscar.

Dans les années 1930, Walt Disney innove en produisant un long métrage animé, Blanche-Neige et les sept nains (David Hand, 1937), pari risqué qui se transforme en un immense succès. Ginger Rogers et Fred Astaire dansent avec élégance sur la chanson Cheek to Cheek dans Le danseur du dessus (Mark Sandrich, 1935). Dracula, Frankenstein, le Docteur Jekyll, Tarzan, Zorro, King Kong et Robin des Bois triomphent déjà au grand écran. La décennie prend fin avec un drame historique, Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939). Cette adaptation du roman de Margaret Mitchell demeure le film le plus populaire de tous les temps.

Lors de la décennie suivante, Orson Welles fait sensation devant et derrière la caméra avec son premier film, Citizen Kane (1941), et le cinéaste anglais Alfred Hitchcock, maître du suspense, remporte l’Oscar du meilleur film avec Rebecca (1940), qui marque ses débuts américains. Avant même que les États-Unis n’entrent en guerre, Charlie Chaplin, grande vedette du muet, tourne Adolf Hitler en dérision dans Le dictateur (1940). Le réalisateur John Ford et son interprète de prédilection, John Wayne, deviennent les rois incontestés du western. Enfin, Ingrid Bergman et Humphrey Bogart forment un couple inoubliable dans Casablanca (Michael Curtiz, 1942). Huit ans plus tard, Ingrid Bergman délaisse son mari pour un cinéaste italien, Roberto Rossellini, ce qui déclenche un scandale retentissant.

En 1948, la loi antitrust oblige les studios à se défaire de leurs salles. Le contrôle des studios sur les stars s’érode alors qu’on voit apparaître les Marilyn Monroe, Grace Kelly, Elizabeth Taylor, Marlon Brando, James Dean…

Le cinéma résiste de son mieux à la télévision en produisant des films en relief – déjà la 3D ! –, en misant sur le cinémascope et en offrant du spectaculaire, notamment le péplum Ben-Hur (William Wyler, 1959). Peine perdue. En 1946, 90 millions de spectateurs américains fréquentent les salles de cinéma chaque semaine. En 1970, on n’en compte plus que 20 millions.

L’âge d’or n’est plus qu’un souvenir.

Actif en cinéma depuis le début des années 1980, Michel Coulombe dirigea notamment les Rendez-vous du cinéma québécois et Silence, on court ! Coauteur du Dictionnaire du cinéma québécois, il agit régulièrement à titre de conseiller à la scénarisation, en plus d’être présent à la radio et à la télévision depuis près de vingt-cinq ans.

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ABÉCÉDAIRETEXTE ET TRADUCTION FRANÇAISE DES EXTRAITS ORIGINAUX PAR GUY BEAUSOLEIL

ASS

Dans Le Songe d’une nuit d’été, ce mot ne désigne pas une partie de l’anatomie des mammifères.

Ass, dans ce contexte, signifie âne ou bourrique. Mais, sans doute, l’homophonie entre ass et ass faisait-elle se bidonner le public élisabéthain ; Shakespeare, connaissant la rudesse d’une bonne partie de ses spectateurs, ne dédaignait pas de temps à autre une incursion dans la grivoiserie. Le bestiaire médiéval représentait les vices et les vertus de l’espèce humaine par des animaux. L’âne y figurait la paresse et la bêtise. La lubricité bestiale, aussi bien. Bottom le tisserand sera métamorphosé en une chimère mi-âne mi- homme. Le sortilège une fois dissipé, il n’en croit pas sa mémoire :

« Man is but an ass, if he go about to expound this dream ».

« Celui qui essayerait d’expliquer ce rêve se verrait tourné en bourrique. »

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

Ce frontispice nous apprend que la troupe de théâtre de Shakespeare « appartenait » au Chambellan de la Reine. Est-ce à dire que ce noble subventionnait les activités de « sa » troupe à même ses fonds personnels ? Était-il un mécène ? Nullement. Les revenus des compagnies dépendaient entièrement des entrées au guichet et fluctuaient selon le succès des différents spectacles de leur répertoire.

La seconde moitié du 16e siècle anglais vit la montée d’une faction politique qui s’appelait les puritains. Partisans d’une rigueur morale extrême – à l’image de l’extrême droite du parti républicain actuel aux États-Unis –, ces fanatiques voulaient ni plus ni moins la fermeture de tous les théâtres et autres établissements de jeu. Élisabeth première, férue de divertissements, professait haut et fort son amour des arts mais, pour calmer ses adversaires turbulents, elle décida de leur concéder, en 1572, l’application d’une ordonnance déclarant que tous les acteurs dépourvus « du patronage d’un aristocrate » seraient considérés comme de louches délinquants bons à écrouer.

Les acteurs de la troupe de Shakespeare arboraient donc à la ville les « couleurs » et insignes (blason et écu) de leur protecteur.

P O U R Q U O I ?

Guy Beausoleil est une sommité dans le domaine du théâtre, tout particulièrement celui de Shakespeare. Je l’ai eu comme enseignant à l’UQAM et je me souviens très vivement de sa passion contagieuse pour l’auteur du Songe d’une nuit d’été. Il était donc naturel qu’il perpétue la magnifique tradition de l’Abécédaire !

- S. Cardi

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CLOWNS

À l’ère élisabéthaine, on croyait que l’être humain occupait une place spécifique dans l’univers : de la plus basse forme d’existence — par exemple, les pierres — jusqu’à la perfection divine, l’être humain occupait une station intermédiaire. Ni ange ni bête mais participant des deux. En tendant vers l’ange, il assurait son salut éternel. S’adonnant à des excès sensuels, s’approchant de la bête, il se damnait. Cette tendance culturelle à structurer l’univers en ordres se retrouve en écriture dramatique : les personnages de théâtre sont classés selon leur nature.

La nature des rois et des reines fait qu’ils sont naturellement beaux et que leurs pensées sont sublimes ; la nature des bourgeois les porte à considérer les choses sous un angle pratique ; la nature des paysans et artisans fait d’eux des êtres simples, naïfs, un peu nigauds sinon des brutes. Ces derniers ont pour fonction traditionnelle de divertir le public, de ménager des moments de détente au cours d’un drame. Dans ses distributions, Shakespeare réunit ces derniers dans la catégorie des clowns, c’est-à-dire bouffons. Les noms propres chez Shakespeare livrent toujours des indices sur le caractère des personnages. BOTTOM fait référence au « derrière » ; SNUG s’apparente à « slug », la limace, à cause de la lenteur de son esprit. Dans Le Songe d’une nuit d’été, les ouvriers d’Athènes sont les dindons de la farce. Or, Shakespeare ne les ridiculise pas : leurs vaillants efforts pour offrir un spectacle digne des épousailles de leur prince font rire, mais ne sont pas risibles.

« Are you sure // That we are awake ? It seems to me // That yet we sleep, we DREAM. »

« Êtes-vous sûrs // Que nous somme éveillés ? Il me semble // Qu’encore nous dormons, nous rêvons. »

Pour les anciens, l’activité onirique du sommeil les branchait sur l’au-delà : ils en recevaient messages pré- monitoires, avertissements divins, révélations prophé-tiques… La conception freudienne stipule que le rêve est un théâtre mettant en scène les désirs refoulés… D’autres écoles psychanalytiques voient le rêve comme l’expression d’un débat entre l’animus et l’anima, travail incessant de l’âme tentant d’harmoniser ses facettes féminine et masculine, Yin et Yang. Shakespeare, intuitivement, avait compris ce qui se tramait pendant cette mort momentanée du sommeil. Le rêve est le miroir déformant d’une réalité enfouie, censurée par les obligations et les cadres de la vie sociale. Shakespeare savait que ce que nous prenons pour notre identité n’est peut-être qu’un faux-self. Dans le rêve, les apparences ruissellent et les identités fuient. Le désir mène le bal et dès lors les rêveurs s’étonnent de ce qu’ils éprouvent, s’effraient de ce qu’ils deviennent.

« Ne suis-je pas Hermia ? N’es-tu pas Lysandre ? »

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

« This man hath BEWITCH’D the bosom of my child… »

« Cet homme a ensorcelé le cœur de mon enfant. »

L’action vient à peine de commencer ; écumant de colère, le Sieur Égée vient dans son palais demander au Duc de faire respecter l’antique prérogative patriarcale qui autorise les pères à donner leur fille à un époux de leur choix. Mais Hermia favorise Lysandre et refuse d’agréer Démétrius, le choix paternel. Comme souvent, Shakespeare nous dispose à entrer dans un univers dramatique par l’emploi de mots suggestifs : ici le verbe to bewitch, qui signifie être envoûté par sorcellerie. Les envoûtements constitueront, justement, le ressort des péripéties de la pièce et la source des imbroglios tragi-comiques entre les deux jeunes couples.

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« FAIRY, thou speak’st aright ; // I am that merry wanderer of the night. »

« FÉE, tu dis vrai ; // Je suis ce folâtre bourlingueur de la nuit. »

Lutins, fées, esprits des cours d’eau, marécages et forêts, nymphes, naïades, faunes, kobolds, leprechauns, gremlins, gobelins, abatwas et autres trolls sont des personnifications de l’âme des plantes, des objets inanimés et des phénomènes inexpliqués. Égare-ton une paire de chaussettes, un foulard ? Notre distraction est sans doute en cause, mais il est plus facile de se dédouaner en accusant la malice des farfadets. Ses entités capricieuses, nées de la superstition, vivent auprès de nous comme une sorte de vermine : serviable si on l’entretient avec nos rogatons, mais vindicative si on la néglige. Les esprits sylvestres de Shakespeare forment un véritable monde parallèle à celui des humains, avec sa hiérarchie, ses us et coutumes. L’agitation des humains leur inspire tour à tour de la pitié, de l’ironie, parfois une franche hilarité.

« Seigneur, comme ils sont fous ces mortels ! »

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« The poet’s EYE, in a fine frenzy rolling, // Doth glance from heaven to earth, from earth to heaven ; // And, as imagination bodies forth // The forms of things unknown, the poet’s pen // Turns them to shapes, and gives to airy nothing // A local habitation and a name. »

« L’œil du poète, errant dans sa transe, // Rebondit du ciel à la terre, de la terre au ciel ; // Et, tandis que son imagination donne corps // À des objets inconnus, // La plume du poète // Les met en forme, et confère au néant aérien // Une situation particulière et un nom. »

Merveilleuse description de l’activité poétique ! Or, on détecte, dans les propos du Duc d’Athènes, une teinte de condescendance : il semble dire que la poésie n’est qu’un vain amusement de l’esprit, une babiole décorative. On verra pourquoi Thésée accorde si peu de crédit à ce labeur artistique.

GLOBE

The Globe était le nom du lieu théâtral abritant les activités de la troupe du Lord Chambellan, puis, après le décès de la reine Élisabeth en 1603, de la même troupe renommée The King’s men (Les hommes du roi Jacques Ier).

La structure des théâtres élisabéthains est tout à fait spéciale : c’est une arène à peu près circulaire (un « O » de bois) à ciel ouvert. Aussi, y donnait-on les représentations pendant l’après-midi. Un drapeau à l’effigie du titan Atlas portant le globe terrestre sur ses épaules était hissé en haut d’un mât : à ce signal visible de loin, on était averti qu’un spectacle allait bientôt débuter.

Le lieu du théâtre élisabéthain dans sa forme sphérique représentait la grande scène du monde et les spectateurs assistant aux tribulations tragiques ou cocasses de leurs semblables pouvaient jouir, le temps d’un spectacle, d’un point de vue pour ainsi dire omnivoyant, d’un surplomb quasi divin. Évidemment, le quartier des théâtres était situé en dehors des limites (le mur d’enceinte) de la city sous prétexte que ces lieux de rassemblement favo- risaient l’éclosion du choléra, de la peste, et encoura-geaient soit le vice, soit la sédition. On se rendait donc sur la rive sud de la Tamise en traversant la rivière en barque ou en empruntant une rue enjambant le cours d’eau : le London Bridge. Zone mal famée, les théâtres y côtoyaient les maisons de prostitution ainsi que les arènes de bear-baiting et de cock-fights. Ces combats de coqs, de chiens contre des ours – on pariait sur l’issue de ces joutes sanglantes – comptaient parmi les loisirs préférés des londoniens. The Globe fut érigé en 1599, fut détruit par un incendie en 1613, rebâti plus somptueux en 1614. Il fut fermé en 1642 lorsque les puritains s’emparèrent du pouvoir, puis démoli en 1648.

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

Globe Theatre

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HISTORIES

Sept ans après le décès de Shakespeare, en 1623, John Hemminge et Henry Condell, deux acteurs de la troupe des King’s Men, rassemblèrent en un seul volume imprimé tous les textes dramatiques de leur éminent collègue et ami.

Pour la première fois, les éditeurs établirent un classement des pièces par genre : tragédies, comédies, pièces à sujets historiques.

Les pièces classées sous l’appellation anglaise histories constituent une impressionnante fresque. C’est dans ce genre de pièce à sujet historique que Shakespeare s’est fait un nom en début de carrière.

Après la victoire de l’Angleterre sur l’Espagne en 1588, la fierté nationale anglaise était à son comble. Shakespeare su capter cette ferveur patriotique et la condenser sous forme dramatique. Ces histories illustrent ce que Jan Kott a nommé Le Grand Mécanisme : ascension meurtrière, atteinte du sommet puis chute inévitable des princes. La couronne, objet de fascination, finit toujours par écraser celui qui la porte.

« The lunatic, the lover, and the poet, // Are of IMAGINATION all compact. […] in the night, imagining some fear, // How easy is a bush suppos’d a bear ! »

« Le fou, l’amant et le poète // sont tous dans le même bain d’imagination. […] dans la nuit, imaginant une cause de frayeur, // Comme il est facile de prendre un buisson pour un ours ! »

L’imagination serait soit une pathologie qui aliène l’être de la réalité ; soit un délire passionnel qui transfigure l’être aimé ; soit un talent à déceler des relations inattendues et surprenantes entre les phénomènes qui offrent une vision décapée de la réalité. Tout cela en même temps parfois.

Dans le prologue d’une de ses pièces sur l’histoire des rois d’Angleterre, Henry V, Shakespeare nous livre une clé essentielle de son travail.

« […] laissez-nous travailler sur vos forces imaginaires. // Que votre esprit rapièce nos manques : // Divisez un homme en mille, créant ainsi une armée imaginaire. »

Shakespeare veut un public actif, un public complice. Les moyens matériels limités dont la troupe dispose ne permettent pas d’illustrer les scènes. Le poète dramatique passe donc un contrat avec l’imagination des spectateurs : « Remplissez les blancs du spectacle, co-créez la représentation ! »

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

« These are the forgeries of JEALOUSY…»

« Voilà de ces chimères forgées par la jalousie ! »

Réplique de Titania à Obéron, le roi des fées, qui accuse sa reine d’être volage.

La jalousie est un motif souvent traité par Shakespeare. Le Songe en présente un aspect bénin et la résolution optimiste de la pièce atténue la dangerosité de ce sentiment.

Il arrive que le spectacle de ceux qui jouissent de biens ou d’affections suscite chez un observateur un sentiment de privation. L’envie de supplanter l’autre peut mener cet observateur à poser les gestes les plus extrêmes. Lysandre et Démétrius, tous deux rivaux pour l’affection d’Héléna, à un certain moment, ne songent plus qu’à s’annihiler mutuellement afin de prouver leur amour. Or, l’objet même de leur désir fiévreux, Héléna, ils finissent par l’ignorer totalement. La rivalité s’est déplacée : ils ne compétitionnent plus pour obtenir les faveurs d’Héléna, mais strictement pour savoir qui aura le dessus sur l’autre !

Ce drame-là – drame de la trahison, de l’abandon redouté – joue en boucle dans ce théâtre morbide du délire jaloux. Rien ne peut freiner ce manège emballé. Les amants sont fous à lier.

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« Either I mistake your shape and making quite // Or else you are that shrewd and KNAVISH sprite // Call’d Robin Goodfellow. »

« Ou je me méprends sur l’allure et la frimousse // Ou tu es bien cette malfaisante fripouille // Appelée Robin Bonenfant. »

Knave désigne, en anglais élisabéthain, un voyou, un fauteur de trouble, un pendable joueur de tours… Robin Bonenfant est le vrai nom du personnage de Puck. Puck était en fait un adjectif. On disait : « He is a puck ; he has a puckish face… » C’est à dire une bouille très laide ! Mais le surnom est devenu le nom même du farfadet farceur, du fou du roi Obéron. Selon la légende, le roi Fée Obéron tomba amoureux d’une mortelle à l’époque du roi Richard cœur de lion. Le fruit de cette union fut Robin/Puck éduqué par les fées. Obéron dota son rejeton du pouvoir de changer de forme lorsqu’il voulait aider ou châtier un humain. Son faciès respire la malice : yeux bridés, sourire en coin, démarche chaloupée, dansante.

Puck ne dit-il pas :

« Et rien ne me fait plus plaisir // Que de voir tout aller de travers ! »

« Ay me ! for aught that ever I could read, // Could ever hear by tale or history, // The course of true LOVE never did run smooth… »

« Hélas ! dans tout ce que j’ai lu // Tout ce que j’ai entendu dans les contes ou les chroniques, // L’amour vrai se bute toujours à l’adversité. »

L’amour, Shakespeare l’a chanté sur tous les tons, l’a décliné dans tous les registres. Et on ne s’en lasse jamais ! Or, amour et désir sont-ils des synonymes ? Pas tout à fait, semble-t-il. Désir vise une cible, anticipe son bonheur ; Amour peut se complaire à broder sur le thème de l’être élu. Désir remue ciel et terre ; Amour entretient une pâle flamme nostalgique. L’amour vrai (true love) ressemble à l’amour feint (feigning love), comme le théâtre ressemble à la vie. Le second imite le premier dans le but de tromper. Toutefois, comment être sûr de distinguer les manifestations du vrai et du feint, savoir si l’on nous dupe ou non ? Les désillusions sont trop fréquentes. Ironie du sort : l’être qui simule peut se prendre, parfois, à son propre jeu…

Amour/désir hisse l’objet élu sur un piédestal : divagant, le cœur épris pare cette personne de toutes les qualités humaines, car toute l’humanité se réduit à cette personne. Être en amour/désir est, souvent, une épreuve : combien se sont retrouvés plus bas que terre, humiliés, espérant recevoir de l’être élu une seconde d’attention ?

« Je vais te suivre et de mon enfer je ferai un paradis, // En mourant par la main qui me ravit. […] Je suis ton épagneul ; et Démétrius, // Plus tu me maltraites, plus je veux te cajoler… »

Amour/désir associe souvent des individus disparates. Ces appariements peuvent sembler insolites, saugrenus. Or, si une norme déterminait la composition des couples, cela priverait le monde d’une diversité vitale.

« Madame, il me semble que ça n’a pas de bon sens que tu t’amouraches de moi ; mais, ce qui est sûr, c’est que le bon sens pis l’amour sont loin de faire la paire au jour d’aujourd’hui. »

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

Puck et les fées de Sir Joseph Noel Paton

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« […] the MOON, like to a silver bow // New-bent in heaven, shall behold the night // Of our solemnities. »

« La lune, comme un arc d’argent // Nouvellement tendu au firmament, // couvera de son regard la nuit // De nos célébrations. »

Hippolyta, l’Amazone fiancée au Duc d’Athènes, compare le croissant de la lune et l’arc tendu de Cupidon. C’est logique : l’Amazone n’est-elle pas une redoutable tireuse à l’arc ? Lune, soleil nocturne, lune, œil laiteux d’un cyclope espion des ébats confus de mortels jetés dans l’indistinct, abandonnés à leurs instincts. Lune où se mire l’émotion érotique de Titania. Titania la diaphane, Titania l’exquise, ne songe qu’à se livrer à corps perdu aux élans lubriques d’un monstre velu et suant. La lune représente aussi l’image de la stérilité. Hermia, rejetant le parti que son père lui destine, n’a qu’une alternative : soit mourir, soit mener l’existence d’une nonne toute sa vie. La lune sert, en fait, d’écran aux fantasmes des personnages : ils y voient ce qu’ils y projettent selon leur humeur.

NUPTIALS (Noces)

Il semble que la première représentation du Songe fut donnée dans les jardins du palais londonien des Southampton, vaste édifice de style gothique. L’occasion était le remariage de la mère du jeune comte. L’action de la pièce redoublait la circonstance pour laquelle Shakespeare avait reçu sa commande. Il nous est loisible d’imaginer le parterre d’aristocrates éméchés se délectant de l’érotisme du texte et, peut-être, des allusions aux mœurs de certains des spectateurs présents, allusions qui nous échappent maintenant. Le talent de Shakespeare a transcendé le prétexte mondain. Thésée et Hippolyta se sont d’abord affrontés ; ils se sont fait la guerre ! Mais, tous les deux guerriers d’égale force, ils décident de former un couple plutôt que de s’anéantir mutuellement. Aussi, le rituel des noces de Thésée et d’Hippolyta représente l’union des contraires/complémentaires. Le mariage des princes garantit l’harmonie du monde ; leur exemple influence positivement leurs sujets.

« Hippolyta, je t’ai fait la cour avec mon épée, // Gagné ton amour en te causant du préjudice ; // Or, je t’épouserai dans une autre tonalité, // Celle de l’opulence, du bonheur et de la jubilation ! »

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

ORIGINAL PRONUNCIATION (Prononciation originale)

Lorsque nous écoutons des acteurs anglais (américains ou britanniques) interpréter Shakespeare, leur accent correspond grosso modo à la prononciation des britanniques contemporains. La sonorité de la langue parlée au temps de Shakespeare était beaucoup plus rude, et avait plus de similitudes avec les accents populaires irlandais, écossais, ou cockney. L’examen des rimes terminant les vers shakespeariens révèle des incongruités qui sont les indices nous permettant de comprendre la façon dont on prononçait les vers au temps d’Élisabeth première. Voici un exemple.

Hermia : « I give him curses, yet he gives me love. » Héléna : « O ! that my prayers could such affection move. » Hermia : « Je le maudis, il me répond par des mots d’amour. » Héléna : « O ! si mes supplications pouvaient autant l’émouvoir. »

Les mots love (lav) et move (moûv) ne riment pas en anglais moderne. Toutefois, en anglais élisabéthain, le mot love se prononçant loûv et rimait avec move.

Pour se faire une idée approximative du son original de la parole shakespearienne, il est loisible d’écouter certains personnages de corsaires dans Pirates of the Caribbeans!

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Titania et Bottom, John Anster Fitzgerald 2

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

PUNS & WORD-PLAY

Calembours & jeux de mots

« Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole », a dit Victor Hugo. Shakespeare en est un inventeur prolifique ; certains sont plutôt faciles, mais la plupart sont de vrais mots d’esprit qui enrichissent les dialogues de seconds degrés. Deux mots ou verbes peuvent offrir un même son à l’oreille (homophonie), mais peuvent avoir deux significations différentes ; ils acquièrent alors un caractère équivoque, c’est-à-dire qu’on peut les interpréter de diverses manières selon le contexte, la personne qui les énonce, etc. Dans la conversation de tous les jours déterminée par l’efficacité, l’économie, la productivité, une équivoque, est ressentie comme un accident, un brouillage mal intentionné de la communication. Dans le théâtre de Shakespeare, les équivoques surgissent pour mettre en relief l’artificialité du langage, montrer que le langage est un outil pour manipuler l’interlocuteur. Par exemple : Lysandre veut convaincre Hermia de l’honnêteté de ses intentions quand il propose de se coucher auprès d’elle dans la forêt.

Lysander : « Then by your side no bed-room me deny, // For lying so, Hermia, I do not lie. »

Lysandre : « Ne me refuse pas une place à tes côtés, // Car couché près de toi, Hermia, je ne trahirai pas ta confiance. »

L’équivoque sur les verbes to lie (se coucher) et to lie (mentir) est intraduisible.

De même, les verbes to die (mourir) et to die (teindre), se prêtent à l’équivoque.

QUARREL

Querelle, dispute

« Pourquoi Titania, voudrait-elle contrarier son Obéron ? // Je ne demande qu’un jeune garcon de sa suite // Pour en faire mon page. »

Le susceptible Obéron est très à cheval sur les lois de préséance : comment pourrait-il supporter que sa suite soit moins nombreuse que celle de Titania ? Shakespeare, visiblement, n’a pas cherché très loin pour inventer une motivation à la mésentente des fées. La chicane à propos de l’enfant est un MacGuffin. Qu’est-ce que ça mange en hiver ça, un MacGuffin ? Alfred Hitchcock en a fait la théorie. « Dans un train, un voyageur aperçoit dans le porte-bagages d’en face un objet biscornu. Le voyageur demande au passager qui se trouve sous l’objet mystérieux : Pourriez-vous me dire ce que c’est

que… ça ? Le passager répond : C’est un MacGuffin. Ah ? Et qu’est-ce qu’un MacGuffin, je vous prie ? Le passager d’en face répond : C’est un appareil pour chasser les lions en Écosse. Le voyageur, interloqué, s’exclame : Il n’y a pas de lions en Écosse ! Alors l’autre, après avoir jeté un rapide coup d’oeil à l’objet, dit : Bon ben dans ce cas, ce n’est pas un MacGuffin.» L’anecdote hitchcockienne signifie que l’élément qui « lance » une histoire – par exemple, subtiliser une technologie ennemie ou obtenir un enfant – n’a, au fond, aucune importance en soi : l’essentiel, on le trouve dans les répercussions suscitées dans l’âme des personnages.

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LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

Hippolyta : « ‘Tis strange, my Theseus, that these lovers speak of.

Thésée : More strange than true. I never may believe // These antic fables, nor these fairy toys. // Lovers and madmen have such seething brains, // Such shaping fantasies, that apprehend // More than cool REASON ever comprehends. »

Hyppolyte : « Ces amants, mon Thésée, racontent des choses bien étranges.

Thésée : « Plus étranges que vraies. Je n’arriverai jamais à m’intéresser // À ces contes à dormir debout, à ces futilités. // Les amants et les fous ont de ces cerveaux bouillonnants, // De ces accès de délire qui leur font voir // Bien plus que la froide raison ne peut accepter. »

Il est toujours préférable qu’une personne responsable de la conduite de l’État ait une tête sur les épaules, comme on dit. C’est le cas du terre à terre Thésée. Thésée dirait, aujourd’hui, qu’il est « réaliste ». Cette attitude a son revers : les réalités délicates, évanescentes restent ignorées de qui porte des œillères « réalistes ».

Malgré tout, Shakespeare tient à ce que Thésée soit un dirigeant éclairé. La sympathie qu’il manifeste à l’endroit des ouvriers/acteurs le démontre.

Hyppolyte : « Il dit qu’ils ne font rien de bien dans ce genre-là.

Thésée : Alors soyons meilleurs qu’eux en les remerciant même s’ils ne nous ont rien donné. // Notre agrément sera d’agréer ce qu’ils ne savent pas faire. // Devant ce que la pauvre bonne volonté ne peut accomplir, une âme noble // Rend hommage aux intentions, pas au mérite. »

« Mon rôle, je vais le jouer avec une barbe couleur paille, ou une barbe couleur orange-brûlé, ou une barbe pourpre-violette […] »

Ils se préoccupent de l’effet que produira leur spectacle, surtout auprès des dames de la cour...

« Y a des choses dans c’te comédie de Pyrame et Thisbé qui passeront jamais la rampe. […] Faut que Pyrame tire une épée pour se tuer, c’que les dames supportent pas. […] »

Dans les théâtres professionnels de l’époque, des adolescents interprétaient les rôles de femmes ; un des artisans, Flûte, est distribué dans le seul rôle féminin. Celui-ci proteste.

« Non, pour vrai, faites-moi pas jouer une femme ; j’ai de la barbe qui s’en vient. »

« Ça ne fait rien : tu la joueras avec un masque pis tu prendras une voix aussi flûtée que tu voudras. »

Ils jouent à être des acteurs. Ils imitent des clichés, les attitudes extérieures des professionnels tout en ignorant l’authentique travail qui mène à une interprétation.

L’art, c’est un métier.

STAGE BUSINESS

On traduit généralement cette expression anglaise par jeux de scène, c’est-à-dire grosso modo, le spectacle, tout ce que les acteurs font sur le plateau lorsqu’ils interprètent la pièce.

Au temps de Shakespeare, les compagnies théâtrales se constituaient un répertoire, ce qui leur permettait, à la demande, de donner Roméo & Juliette un jour et, le lendemain, donner La Comédie des erreurs… Du théâtre à la carte, pour ainsi dire.

Les répétitions ne duraient que quelques jours ; la mémorisation des textes laissait souvent à désirer, de sorte qu’un souffleur était présent sur la scène, assis dans un coin, le cahier de régie (prompt book) sur les genoux, donnant l’amorce de sa réplique à l’acteur affligé d’un blanc de mémoire.

Pourquoi la troupe ad hoc des ouvriers athéniens est-elle si désopilante dans Le Songe ? Ces braves gens sont pourtant d’un sérieux irréprochable, attitude qui dénote chez eux une grande considération pour la profession théâtrale.

Ils utilisent le jargon des praticiens, désirent représenter leurs personnages correctement.

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LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

THEATRICALITY

Qu’est-ce que ça signifie quand on dit que quelque chose est théâtral ?

La théâtralité serait la réalité théâtrale ; ce qui, dans un spectacle vivant, indique aux spectateurs qu’ils assistent à un jeu ayant ses conventions.

Dans Le Songe, Shakespeare ne cherche pas à nous faire croire que les fées existent réellement : il nous les présente comme des acteurs jouant un jeu. L’auteur adresse constamment des clins d’œil à son public.

Obéron : « Qui vient par ici ? Je suis invisible, // Aussi, je vais espionner leur conversation. »

Le texte nous indique que l’acteur interprétant Obéron se mouvait autour des deux acteurs interprétant Héléna et Démétrius ; ceux-ci faisaient semblant de ne pas voir leur partenaire, établissant ainsi la convention de l’invisibilité des fées.

UP AND DOWN

« I will lead them up and down : // I am fear’d in field and town ; Goblin, lead them up and down. »

« De ci, de là, en haut en bas, // Je les mènerai par monts et par vaux : // Dans les prés, dans les villes on me craint ; // Allez, fais-les courir Gobelin. »

Ce petit couplet narquois de Robin/Puck annonce le traitement de choc auquel il entend soumettre les amoureux éperdus.

À l’époque shakespearienne, période fertile en navigations périlleuses, en voyages vers des contrées mirifiques, perdre le nord, c’est-à-dire se dérouter, se désorienter, errer, s’avérait, la plupart du temps sinon toujours, fatal.

Combien de marins, combien de capitaines // Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, // Dans ce morne horizon se sont évanouis. (Victor Hugo)

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LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

WILDERNESS

Nature sauvage

Dans les contes de fées, la nature, plus souvent qu’autrement, est inquiétante, hostile, homicide. Les cavernes infestées, les pics escarpés, les précipices vertigineux, les bocages malsains, les pinèdes étouffantes, les traîtres sables mouvants, autant de pièges aux promeneurs distraits ou aux persécutés fuyant l’oppresseur.

Comble de cruauté, la nature abrite en son sein des êtres maléfiques, sorcières cannibales et autres striges. Évidemment, ces figures engendrées par la superstition symbolisent la terreur des humains confrontés à l’inconnu.

La nature telle que dépeinte dans le texte de Shakespeare n’a rien d’idyllique ! Les bois qui encerclent Athènes sont habités de prédateurs. Le croc et la griffe y règnent en maîtres.

Titania, épuisée par sa querelle avec Obéron, s’apprête à faire un somme dans son boudoir – quelque nid aban-donné sous l’ombrelle d’une amanite. Les fées entonnent, alors, un chant pour éloigner de sa couche toute créature potentiellement dangereuse. L’énumération n’est pas ragoûtante.

« Vous serpents tachetés à la langue fouchue, // Porcs-épics hérissés, ne vous montrez pas ; // Batraciens venimeux, lombrics gluants, ne soyez pas malfaisants ; N’approchez pas de notre charmante reine.

Araignées tisseuses, gardez vos distances ; // Loin d’ici, fileuses aux longues jambes, loin ! // Asticot ou limace, n’attaquez pas notre reine. »

X or Will the true author of Shakespeare’s works please rise ?

(Le véritable auteur des œuvres de Shakespeare est prié de s’identifier…)

Quelqu’un se dissimule-t-il derrière ce patronyme ? Avons-nous affaire au prête-nom d’un génie qui a préféré rester incognito ? La controverse fait rage depuis un siècle et demi.

Dans un camp, les « stratfordiens » : ils soutiennent que le natif de Stratford-upon-Avon est bien celui qui a écrit 38 pièces de théâtre, deux poèmes dramatiques et 154 sonnets, tout en faisant l’acteur au Globe Theatre. Dans le camp adverse, les « anti-stratfordiens » : ceux-ci ne peuvent concevoir que ce « Shake-spear » ait pu accoucher d’un monde poétique aussi divers et foisonnant, lui dont on sait si peu de choses, qui n’a jamais fréquenté

l’université, qui ne pouvait posséder une connaissance directe des usages à la cour d’Élisabeth, qui n’aurait jamais quitté son île… Ceux qui appartenaient de près ou de loin à la profession théâtrale étaient déconsidérés. Peut-être était-ce un aristocrate voulant s’épargner l’opprobre d’être associé à une pratique vue comme dégradante par sa classe…?

Miss Celia Bacon, donc, en 1856, publia un article dans la revue Putnam’s Monthly où elle déclarait que son aïeul, le grand intellectuel élisabéthain Sir Francis Bacon, était le cerveau derrière le masque nommé Shakespeare. La thèse de Miss Bacon ne s’étayait pas sur des preuves dûment recherchées, mais sur un présupposé : comment un roturier, c’est-à-dire un citoyen né dans une classe sociale inférieure, pouvait-il avoir produit ce suprême monument littéraire ? Plusieurs « experts » ont saisi la balle au bond et tenté de légitimer la thèse baconnienne… Sans jamais fournir d’arguments probants. La liste des autres candidats proposés depuis est fort longue.

Les auteurs dramatiques de l’époque élisabéthaine travaillaient souvent en comités à la manière d’équipes de scénaristes ou de scripteurs ; révisions et réécritures d’un texte par un tiers étaient monnaie courante. Des experts disent avoir détecté dans certaines pièces de Shakespeare la main d’autres dramaturges contemporains et dans des textes qui ne lui sont pas attribués de probables contributions shakespeariennes.

Savoir que cette pratique ait eu cours diminue-t-il la densité et la force des œuvres ?

Cette polémique, au lieu de jeter des lumières sur le « mystère Shakespeare », tend plutôt à l’épaissir.

Reine Elisabeth I

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LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

YOKE

« So will I […] die, my lord, // Ere I will yield my virgin patent up // Unto his lordship, whose unwished YOKE // My soul consents not to give sovereignty. »

« Ainsi, je mourrai, seigneur, // Avant que de soumettre ma virginité au joug abhorré de ce cuistre // Auquel mon âme refuse d’accorder la souveraineté. »

Les contes de fées commencent toujours par des horreurs. Enfants égarés volontairement dans la forêt pour y mourir… Une malheureuse est livrée en pâture à un monstre pour payer les erreurs de son père…

Dans Le Songe, au lever du rideau, un couple évoque les joies de leur prochain mariage… Aussitôt, cette douce atmosphère est fracassée par l’irruption d’un père vociférant des menaces à l’endroit de sa fille. Sanglotante, échevelée, les yeux bouffis, celle-ci hurle son malheur ; deux garçons se disputent : ils gesticulent, se crachent au visage, s’empoignent. La pièce commence bien comme un conte de fées, mais la faucheuse rôde dans les arrière-plans ; l’infection de la discorde n’épargne personne. Les protagonistes, ayant vécu plusieurs morts symboliques, sortiront métamorphosés de leur aventure. Car on ne se découvre soi-même que lorsqu’on change. Pour que l’aventure se déclenche, quelque chose doit toujours sortir de ses gonds, un cataclysme est nécessaire. Un conte de fées, c’est toujours un conte initiatique.

ZOUNDS !

Cette interjection usitée à l’époque de Shakespeare est formée par la contraction de : « By God’s Wounds ! » c’est-à-dire : « Par les blessures de dieu ! » ou, autrement dit : « Par les plaies du Christ ! ». L’exclamation « Marry ! » est encore plus fréquente. C’est la contraction de : « By The Virgin Mary ! » c’est-à-dire : « Par la Vierge Marie ! » Ce type de juron marquait un étonnement, une surprise désagréable, une vive contrariété.

La langue française procède pareillement pour élaborer un ample catalogue de jurons. Par exemple « Palsambleu ! » veut dire : « Par le sang de Dieu ! »

Metteur en scène, auteur dramatique, concepteur visuel, Guy Beausoleil a appris son métier à l’École nationale de théâtre du Canada, puis est devenu Maître ès arts à l’Université du Québec à Montréal. Il a travaillé avec Jean-Pierre Ronfard, Michelle Rossignol, André Brassard, Eugene Lion. Il enseigne la dramaturgie, l’histoire du théâtre, le jeu de l’acteur et la conception visuelle un peu partout : École nationale de théâtre du Canada, Cégep de St-Hyacinthe, UQÀM, Université Concordia, Université d’Ottawa. Il a toujours été passionné par la création de nouveaux textes, en particulier ceux d’André Ricard ; ses auteurs « classiques » favoris sont Shakespeare, Claude Gauvreau, Michel de Ghelderode, Samuel Beckett. Il publie des textes poétiques dans la revue littéraire Les écrits et prépare un roman graphique. Le reste du temps, Guy Beausoleil est un électron libre.

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HUMPHREY BOGART 1899-1957

FRED ASTAIRE 1899-1987

GARY COOPER 1901-1961

MARLENE DIETRICH 1901-1992

CLARK GABLE 1901-1960

CARY GRANT 1904-1986

GRETA GARBO 1905-1990

BETTE DAVIS 1908-1989

HOLLYWOOD ET SES ICÔNES

ERROL FLYNN 1909-1959

JUDY GARLAND 1922-1969

LAUREN BACALL 1924-2014

JAMES DEAN 1931-1955

MARILYN MONROE 1926-1962

SHIRLEY TEMPLE 1928-2014

GRACE KELLY 1929-1982

ELIZABETH TAYLOR 1932-2011

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ

Marilyn Monroe

Grace Kelly

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HROSES : OUTRAGE

À LA RAISON

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S A L L E F R E D - B A R R Y D U 4 A U 1 4 AV R I L

TEXTE ET MISE EN SCÈNE

JILL CONNELLPRODUCTION IT COULD STILL HAPPEN

« LA POSITION DU COEUR CHANGE SOUVENT PENDANT UNE VIE. C’EST PAS PARCE QU’ON EST À UN PELOTON D’EXÉCUTION QU’ON VA SE FAIRE TUER. » — ELLERY

Les mines de sucre s’étendent sous la ferme de papier, propriété de deux familles rivales.

Lily, la petite fille de la chef de famille de la ferme de papier, rencontre Ellery, né sous terre dans les mines de sucre pendant une éclipse solaire. Deux solitudes, deux langues, l’anglais et le français se rencontrent dans ce conte étrange où deux êtres s’interrogent sur comment mener une bataille pour l’amour.

Si HROSES : Outrage à la raison est une histoire d’amour tragique, c’est aussi une fable d’espérance. Pour exprimer la beauté de cet amour et notre incapacité à le perpétuer, Jill Connell a choisi ce qu’elle nomme le heightened world, ce monde plus grand aux confins de la parabole et du réalisme magique.

It Could Still Happen est un collectif d’artistes de théâtre qui créent des performances viscérales dans des lieux non-conventionnels. L’auteure et metteure en scène Jill Connell, établie à Toronto, collabore avec la chorégraphe montréalaise Tedi Tafel pour créer des structures où la performance est basée sur l’écoute et l’impulsion. HROSES : Outrage à la raison a été créé à Montréal et Toronto en février 2017.

AVEC SASCHA COLE ET FRÉDÉRIC LEMAY

TRADUCTION FRANÇAISE ET DRAMATURGIE BILINGUE MIREILLE MAYRAND-FISET

MOUVEMENT ET ASSISTANCE À LA MISE EN SCÈNE TEDI TAFELCONSEILLER DRAMATURGIQUE

GUILLAUME CORBEILCONCEPTEURS PAUL CHAMBERS, ISHAN DAVÉ,

MATTHEW PENCER, CLAUDIA DEY ET HEIDI SOPINKA

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P O I N T D E V U E

P O U R Q U O I ?

Deux solitudes, deux langues, une bataille pour l’amour. En lisant HROSES, je n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec la scène théâtrale montréalaise. Pourquoi les artistes anglophones et francophones se mélangent si peu ? J’ai voulu en savoir plus sur ce qui nous distingue, ce qui nous unit… sur ce que ça nous apporterait de collaborer davantage. J’ai aussitôt pensé à Jon ! Comédien, metteur en scène et auteur originaire d’Edmonton, il travaille maintenant à Montréal autant sur la scène anglophone que francophone. Il me semblait bien placé pour réfléchir à cette réalité.

- S. Cardi

Automne 2012. Je viens tout juste de commencer à l’École nationale.

Ma première blonde québécoise et moi, on est en pleine crise : « Ça marchera jamais », qu’elle me dit, des larmes dans les yeux, « parce que peu importe ce qu’on pense, t’es anglais, pis chu Québécoise. You will never completely understand the way I think. »

Je trouvais qu’elle généralisait pas mal !

Changer la routine, des fois, c’est comme perdre une tradition qu’on a travaillé fort à affirmer. Ça explique peut-être pourquoi il y a si peu de collaborations artistiques entre les deux solitudes.

Okay, let’s talk about it. Je vais, comme mon ex, faire des grandes généralisations.

Quand on pense aux auteur(e)s dramatiques au Québec, Michel Tremblay nous vient rapidement en tête : un homme qui a fondé un théâtre d’affirmation pour les Québécois et la langue québécoise. Ça a donné de l’espace à des auteurs comme Olivier Choinière, Robert Lepage et Evelyne de la Chenelière. Ils ont offert à leur tour leur propre regard sur le monde et sur le Québec. Canada has a different story. En parlant avec plusieurs artistes et directeurs artistiques anglophones à travers le

HROSES : OUTRAGE À LA RAISON

REGARD SUR LES DEUX SOLITUDESPAR JON LACHLAN STEWART

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Canada, j’ai noté une tendance à valoriser plutôt le côté communautaire de chaque auteur : Ann-Marie MacDonald wrote the first lesbian kiss on the Canadian stage, Djanet Sears wrote casts of all black artists, and Tomson Highway forged a path for indigenous writers. Bien sûr, le Québec a produit des écrivains comme Yves Sioui Durand, mais la voix indigène reste obscure, ou même invisible. Some francophone directors I’ve interviewed in Montreal expressed that in their opinion, Montréal writing isn’t necessarily about writing about a specific community or visible minority, but rather just creation, period ; that writing isn’t about reminding us of our cultural roots, but rather talking about Québec’s place in the world.

Peut-être que des artistes comme Tremblay ont inculqué une habitude profonde d’aller au théâtre au Québec. En général, quand un anglophone non-artiste à Toronto pense au théâtre, il pense à la grande compagnie Mirvish, qui produit des comédies musicales la plupart du temps... Even though there are tons of fantastic companies producing new Canadian plays, je crois que la culture canadienne anglaise est souvent éclipsée par notre croyance que le théâtre sert à s’évader, que c’est seulement du divertissement. On est extrêmement influencés par la culture américaine. À Montréal, j’entends tellement l’accent québécois sur scène, que ça me donne l’impression qu’aller au théâtre pour un Québécois, c’est plutôt une réaffirmation de sa culture. We don’t have this level of connection to theatre and to our language in English Canada.

Let’s talk about representation in our respective communities.

Alix Dufresne, jeune chorégraphe et metteure en scène, fait une observation intéressante : « Je trouve en général que la culture canadienne a des longueurs d’avance sur l’éveil social... le racisme, le sexisme… mais ce que je trouve étonnant, c’est que ça ne se traduit pas au théâtre. Je trouve que le théâtre (canadien) est très sage. » Alisa Palmer, directrice du programme anglophone de l’École

nationale de théâtre du Canada, ne pense pas que c’est aussi simple que ça. Selon elle, on ne peut pas comparer comment nos deux solitudes représentent la diversité sur scène. That maybe geography and population size has something to do with why theatre in English Canada seems to have taken on the discussion around inclusivity.

Généralisons encore. Dans les années 1970 et 1980, un des grands principes de l’écriture canadienne était « we are diverse », tandis qu’au Québec, c’était « nous sommes Québécois ». Le dialogue que je rencontre le plus souvent sur les scènes québécoises est celui de chercher à pousser la forme artistique, tandis qu’au Canada, c’est un dialogue autour de qui on est et de comment vivre équitablement ensemble. J’ai l’impression qu’en recherchant un théâtre de formes dynamiques, le Québec a oublié la diversité qui le constitue, et que le reste du Canada, dans sa recherche de représenter diverses communautés sur scène, est en manque général de diversité de formes.

Et si les deux solitudes collaboraient ensemble ?

Ben, j’pense pas que tous nos « problèmes » disparaîtraient.

So... why should we do it ?

Le potentiel de l’union de nos deux solitudes me fait penser un peu à apprendre le latin : ça ne « sert » pas nécessairement à quelque chose. Mais ça transforme et réorganise notre façon de penser et d’interpréter. Mais finalement, pour moi, la diversité et la collaboration entre les solitudes n’est pas une question de « est-ce qu’on devrait... »

It just is who we are. All of us, in all our perceived differences, are all here together.

Let’s listen to one another.

Je repense à ma conversation avec mon ex… « You will never completely understand the way I think. » Après

un silence tendu, je lui ai répondu : « Isn’t that the case with everyone, all the time, everywhere ? » Même quand on parle la même langue, qu’on essaie bien fort, on ne réussit jamais à communiquer à 100%. Notre diversité de langage expose le fait que finalement, comme dit notre ami Samuel Beckett, « words fail ». Speaking different languages is an excuse to listen closer to one another.

Ça commence à être clair pour moi.

J’aurais juste une autre généralisation à faire.

I think we should all hang out a bit more. And listen.

Jon est metteur en scène, écrivain et comédien bilingue à Montréal, directeur artistique du Théâtre Surreal SoReal, codirecteur artistique avec La Fille du Laitier à Montréal, et finissant de l’École nationale de théâtre en mise en scène. Ses mises en scène incluent Madame Catherine prépare sa classe de troisième pour l’irrémédiable (Prospero, 2018), Macbeth Muet (tournée à New York, Texas, Vancouver, Ottawa, FIAMS, Casteliers 2018), TONG: Un Opéra sur le bout de la langue (Festival Petits bonheurs, 2018), L’Homme Boîte (Zone Homa 2016), Funny Girl (assistance, avec le centre Segal), Before Her Time : 3 plays by Samuel Beckett, Shopping and Fucking, A Number, The Woman Before (toutes avec l’École nationale de théâtre), The Genius Code (Catalyst Theatre, Edmonton, 2 nominations), Guernica (Hidden Harlequin, nommée pour meilleure mise en scène), et Big Shot (Carrefour international de théâtre, Prospero). À venir bientôt : Jonathan Livingston le Goéland, qui mettra en vedette plusieurs danseurs vivant avec des handicaps physiques, et Trying to listen while not giving a fuck, une pièce construite avec un concept technologique complexe et surprenant.

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LES SUGGESTIONS DE GILLES POULIN-DENIS

Christine Quintana - Jeune auteure, originaire de Vancouver, Christine est maintenant artiste associée au Tarragon Theatre de Toronto. J’ai eu le plaisir de traduire une de ses pièces pour adolescents, Selfie, en français. Elle a une écriture acérée et une maitrise du rythme. Depuis quelques années, Christine s’établit de plus en plus sur la scène nationale et ce n’est qu’une question de temps avant que sa carrière explose.

https://christinequintana.ca/

THÉÂTRE CANADIEN- ANGLAIS

Elysse Cheadle - Jeune créatrice basée à Vancouver. J’ai découvert l’oeuvre d’Elysse un soir de novembre dans un loft au fin fond d’un immeuble sur Hastings. Soft face and Featherless est une oeuvre finement écrite, entre le show rock et la performance artistique, tout en gardant une solide structure narrative. Une artiste à suivre.

http://www.elyssecheadle.com/

Selfie avec Julie Trépanier (red hair), Siona Gareau-Brennan (blonde hair) et

Vincent Leblanc-Beaudoin.

Acteur : Elliot Vaughan. Soft face and Featherless mis en scène par Marc Arboleda

HROSES : OUTRAGE À LA RAISON

P O U R Q U O I ?

J’ai demandé à Gilles Poulin-Denis et Laurence Dauphinais, deux artistes qui œuvrent autant au Québec que dans le reste du Canada, de nous aider à découvrir les artistes et le répertoire canadien anglophone. Question d’ouvrir les horizons un peu !

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LES SUGGESTIONS DE LAURENCE DAUPHINAIS

Supine Cobbler de Jill Connell (la même auteure que HROSES !)

Late company de Jordan Tanahill

Butcher de Nicolas Billon

Brothel #9 de Anusree Roy

THÉÂTRE CANADIEN-ANGLAIS

Laurence Dauphinais a été formée à l’École nationale de théâtre du Canada en interprétation et travaille également à titre d’auteure, de metteure en scène et de musicienne. Laurence a été partie prenante de nombreuses productions scéniques dont les versions française et anglaise de Cinq visages pour Camille Brunelle, et ishow, dont elle a assuré la co-mise en scène et la traduction anglaise, deux spectacles ayant abondamment tourné au Canada et en Europe. Elle était de la production à guichets fermés de Siri, spectacle présenté à Montréal, Édimbourg et Rio de Janeiro.

Gilles Poulin-Denis est un comédien, auteur, traducteur et metteur en scène originaire de la Saskatchewan. Il est diplômé en théâtre (jeu), de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, et écrit plusieurs textes dont Rearview, Statu Quo et Dehors. Il est directeur artistique de la compagnie de création 2PAR4, basée à Vancouver, ainsi que de la Biennale Zones théâtrales au Centre national des arts.

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