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Hydrological Sciences-Journal-des Sciences Hydrologiques, 42(6) December 1997 815 Le soutien de crue mobile dans le Fleuve Sénégal, à partir du barrage de Manantali JEAN-CLAUDE BADER Laboratoire d'Hydrologie, ORSTOM, 911 Avenue d'Agropolis, BP 5045, F-34032 Montpellier Cedex 1, France Résumé Parmi les objectifs assignés au barrage de Manantali sur le Bafing, le soutien de pointe de crue, indispensable pour le maintien des cultures traditionnelles de décrue dans la vallée du Sénégal, concurrence gravement les autres besoins lors des années déficitaires en eau: baisse de production électrique et diminution des réserves d'eau destinées à l'irrigation. On propose ici des règles permettant de réaliser un soutien de crue mobile relativement économique en eau, coïncidant avec une pointe de débit sur les affluents non contrôlés pour lesquels on envisage une prévision à l'horizon 10 jours. On montre par simulation numérique au pas de temps journalier que le soutien mobile, comparé au soutien à date fixe, permet de faire en période sèche un gain important de production électrique, tout en conservant une fréquence de crue "correcte", supérieure à celle du régime naturel. Variable flood management on the Senegal River below the Manantali reservoir Abstract Manantali is a multi-purpose reservoir on the upper Senegal River. Among its operational objectives, conventional flood management required for traditional flood plain farming causes, during below average water years, significant losses of electric power production and reduction of water stored for irrigation. Rules are proposed for an economical variable management policy which incorporates coincident flow peaks on uncontrolled tributaries for which 10-day forecasts are made. A daily numerical simulation shows that variable flood management compared with fixed-date management gives, during dry years, important benefits in electric power production and maintains flood frequency behaviour better than that of the natural regime. CADRE ET OBJECTIF DE L'ETUDE Important cours d'eau d'Afrique de l'ouest, le fleuve Sénégal (Fig. 1) reçoit l'essentiel de son débit de ses branches mères Bafing et Bakoye, qui drainent les versants du Fouta-Djallon et des plateaux mandingues. Au niveau de la station de Bakel qui contrôle la quasi-totalité des écoulements de la basse vallée du fleuve, son régime hydrologique est de type tropical pur (Rodier, 1964), caractérisé par une crue annuelle unimodale très variable s'étalant de juillet à novembre (Fig. 2). Le tarissement qui s'étend de décembre à juin aboutit certaines années à un arrêt total de l'écoulement. Depuis 1987, le barrage de Manantali implanté sur le Bafing, contrôle environ la moitié des écoulements passant à Bakel. Dune capacité de 12 Gm 3 légèrement supérieure au volume annuel moyen écoulé dans le Bafing, cet ouvrage est destiné à produire de l'électricité et à régulariser le fleuve pour divers objectifs: fourniture de Open for discussion until 1 June 1998

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Hydrological Sciences-Journal-des Sciences Hydrologiques, 42(6) December 1997 815

Le soutien de crue mobile dans le Fleuve Sénégal, à partir du barrage de Manantali

JEAN-CLAUDE BADER Laboratoire d'Hydrologie, ORSTOM, 911 Avenue d'Agropolis, BP 5045, F-34032 Montpellier Cedex 1, France

Résumé Parmi les objectifs assignés au barrage de Manantali sur le Bafing, le soutien de pointe de crue, indispensable pour le maintien des cultures traditionnelles de décrue dans la vallée du Sénégal, concurrence gravement les autres besoins lors des années déficitaires en eau: baisse de production électrique et diminution des réserves d'eau destinées à l'irrigation. On propose ici des règles permettant de réaliser un soutien de crue mobile relativement économique en eau, coïncidant avec une pointe de débit sur les affluents non contrôlés pour lesquels on envisage une prévision à l'horizon 10 jours. On montre par simulation numérique au pas de temps journalier que le soutien mobile, comparé au soutien à date fixe, permet de faire en période sèche un gain important de production électrique, tout en conservant une fréquence de crue "correcte", supérieure à celle du régime naturel.

Variable flood management on the Senegal River below the Manantali reservoir Abstract Manantali is a multi-purpose reservoir on the upper Senegal River. Among its operational objectives, conventional flood management required for traditional flood plain farming causes, during below average water years, significant losses of electric power production and reduction of water stored for irrigation. Rules are proposed for an economical variable management policy which incorporates coincident flow peaks on uncontrolled tributaries for which 10-day forecasts are made. A daily numerical simulation shows that variable flood management compared with fixed-date management gives, during dry years, important benefits in electric power production and maintains flood frequency behaviour better than that of the natural regime.

CADRE ET OBJECTIF DE L'ETUDE

Important cours d'eau d'Afrique de l'ouest, le fleuve Sénégal (Fig. 1) reçoit l'essentiel de son débit de ses branches mères Bafing et Bakoye, qui drainent les versants du Fouta-Djallon et des plateaux mandingues. Au niveau de la station de Bakel qui contrôle la quasi-totalité des écoulements de la basse vallée du fleuve, son régime hydrologique est de type tropical pur (Rodier, 1964), caractérisé par une crue annuelle unimodale très variable s'étalant de juillet à novembre (Fig. 2). Le tarissement qui s'étend de décembre à juin aboutit certaines années à un arrêt total de l'écoulement.

Depuis 1987, le barrage de Manantali implanté sur le Bafing, contrôle environ la moitié des écoulements passant à Bakel. Dune capacité de 12 Gm3 légèrement supérieure au volume annuel moyen écoulé dans le Bafing, cet ouvrage est destiné à produire de l'électricité et à régulariser le fleuve pour divers objectifs: fourniture de

Open for discussion until 1 June 1998

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Fig. 1 Carte des principaux cours d'eau du bassin du Sénégal.

7000 T

6000 --

5000 --

4000 --

3000 -

2000 -

1000 -

0 i=

m" s 1967

-1984

jan fev mar avr mai jut jui aou sep oct nov Fig. 2 Sénégal à Bakel: exemples d'hydrogrammes du régime naturel.

dec

débit permettant de pratiquer la culture irriguée à longueur d'année tout le long de la vallée; soutien d'étiage pour la navigation; laminage des fortes crues; soutien des faibles crues permettant une inondation du lit majeur dans la vallée, suffisante pour la pratique des cultures traditionnelles de décrue.

Le soutien de crue actuellement envisagé consiste à réaliser un hydrogramme figé en temps au niveau de Bakel, tel que défini par Gibb et al. (1987). A partir de crues naturelles observées certaines années ayant connu une bonne production agricole dans la vallée, et selon la superficie inondée désirée, ces auteurs préconisent ainsi trois hydrogrammes types dont le plus faible, noté Gibb A, est donné dans le Tableau 1. Albergel et al. (1993) montrent, par une simulation numérique basée sur les débits naturels journaliers observés de 1904 à 1992, qu'un tel soutien de crue ne pose aucun problème pour les années d'hydraulicité normale. Lors des années sèches par contre, particulièrement nombreuses depuis 25 ans (Fig. 3), il pénalise gravement les autres

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Le soutien de crue mobile dans le fleuve Sénégal à partir du Barrage de Manantali 817

Tableau 1 Hydrogramme Gibb A, calé de telle sorte que le jour 12 tombe le 15 septembre.

Jour 1 12 17 28 53 54

Débit moyen journalier (m3 s'1) 500 2500 2500 1500 300 0

55

0

1400 -, 1200 i 1000 i 800 i. 600 1 400 • 200 -.

0 ;

_mV r h i i l . r A A h N\t /\A JW V V Y, r Vu V

V ^ ^ - r ^ ~ m [ 1

A A ~ •v j \ K kr*\hN\ ^Wv\ A N W u *

VA v VSA " V N A A T M . année

~ H ^ i i i • 1 i , ^ r ^ ^ + ^ 1 , 1 , , | , , , ,-,

1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990

Fig. 3 Evolution du débit moyen annuel du Sénégal à Bakel depuis 1904: régime naturel (reconstitué de 1987 à 1993).

objectifs, en faisant par exemple chuter la production électrique d'environ 30% sur la période 1970-1992. Ceci est dû au fait que le soutien de crue nécessite à certains moments des lâchers très importants, à la fois pris sur la réserve d'eau destinée aux autres besoins, et supérieurs à la débitance des turbines. Bien conscients de ce problème, Horowitz & Salem-Murdock (1990) pensent néanmoins qu'il est impératif de maintenir le soutien de crue pour des raisons sociales et écologiques. Plutôt qu'une "crue artificielle" de type Gibb, figée en temps, Morel-Seytoux (1988) et Hollis (1990) préconisent donc une "crue améliorée", qui permettrait déconomiser l'eau du barrage en faisant coïncider le soutien de crue avec la pointe de débit des affluents non contrôlés, Bakoye et Falémé. Ce type de soutien nécessite une prévision en temps réel du débit de ces rivières, que ces auteurs estiment possible à l'horizon de deux semaines grâce à un modèle hydro-pluviométrique.

Le but de cette étude est de proposer à la place de l'hydrogramme Gibb A, un mode de soutien de crue moins pénalisant pour les autres objectifs du barrage, en envisageant deux solutions qui permettent malgré tout de conserver le même volume de crue. La première est une "crue artificielle" calée à date fixe de façon optimale. La seconde correspond à une "crue améliorée" comme il est envisagé plus haut. Dans un premier temps, les règles de gestion associées à ces deux types de soutien de crue sont déterminées par un calcul au pas de temps pentadaire, de façon distincte pour les années de bonne et de mauvaise hydraulicité. Les performances du barrage sont ensuite analysées par simulation numérique au pas de temps journalier, pour les différents types de soutien de crue envisagés.

DONNEES

Données hydrométriques

Les chroniques de hauteurs d'eau observées sur les stations du haut bassin du Sénégal sont rassemblées dans une banque de données informatisée. Celle-ci, après

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homogénéisation et reconstitution des données manquantes (Bader, 1990), est complète de 1904 à 1993 pour la plupart des stations. Les débits sont obtenus par traduction des cotes avec les étalonnages établis ou corrigés par Lamagat (1989a). Le Tableau 2 donne l'ordre de grandeur des écoulements naturels observés aux stations de Oualia, Gourbassy, Bakel et Manantali, les débits postérieurs à 1986 étant reconstitués à partir des stations de l'amont pour les deux dernières d'entre elles.

Tableau 2 Débits moyens annuels (m3 s4) des principales stations du haut bassin du Sénégal.

Période

1904-1993 1970-1993

Manantali

320 226

Oualia

148 69.4

Gourbassy

135 64.8

Bakel

711 396

Données concernant le barrage de Manantali

Les données concernant la géométrie du lac de Manantali, l'évaporation moyenne mensuelle et les différents organes du barrage, y compris l'usine électrique non encore installée, sont données par Gibb et al. (1987). Outre quelques valeurs figurant dans le Tableau 3, signalons les caractéristiques suivantes: niveau du seuil de vidange de fond: 155.28 m; niveau du seuil de déversoir: 202.00 m; cote maximale du lac permettant de conserver les vannes secteur de déversoir fermées: 208.05 m; cote maximale de sécurité dans le lac: 210 m; turbines envisagées: cinq fois 40 MW.

Tableau 3 Caractéristiques

Cote du lac (m IGN)

Débit minimal évacué (m3 s"1) Défait maximal évacué (m3 s'1) Puissance productible (MW)

Volume d'eau stocké (Mm3) Superficie du lac (km2)

155.28 0

0

0

10.5

21.1

du barra

179.96 0

2455

20

2144

239

ige et du Lac de Manantali.

180.27 0

2480

40

2206

241

180.57 0

2506

60

2268

243

180.88 0

2531

80

2332

245

181.19 0

2557

100

2396

246

195.61 0

3458

200

6295

364

202.00 0

3733

200

8592

427

208.05 0

6781

200

11301

478

210.50 1690

7880

200

12810

506

METHODE

Choix d'un critère distinguant les années de bonne et de mauvaise hydraulicité

Les règles de gestion établies dans cette étude étant destinées à une utilisation opérationnelle, il faut définir un critère réaliste permettant au gestionnaire du barrage de choisir, entre les consignes optimisées pour les années de bonne ou de mauvaise hydraulicité, celles qu'il va appliquer sur la crue à venir. Ce choix devant intervenir au plus tard au début de la saison des hautes eaux qui dure 4 mois nécessite, plusieurs mois à l'avance, une prévision des débits sur le haut bassin du Sénégal. On

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ne sait pas faire, à l'heure actuelle, une telle prévision de façon déterministe, sur des bases physiques. On envisage donc une approche statistique, basée sur le fait que les débits moyens annuels observés sur le Sénégal depuis le début du siècle présentent une certaine autocorrélation. On considère le critère suivant: soit M, le débit moyen annuel du Sénégal pour l'année j , en régime naturel. On prévoit l'année i comme sèche si (Af,-.3 + M,,2 + AfM)/3 est inférieur à 600 m3 s"1, et comme humide dans le cas contraire.

Appliqué sur les modules naturels observés à Bakel de 1904 à 1993, ce critère conduit aux résultats suivants (avec les années 1904-1906 arbitrairement classées): - années prévues humides: 1904-1913; 1917-1941; 1946-1972; - années prévues sèches: 1914-1916; 1942-1945; 1973-1993.

Ce classement, imparfait puisqu'on y trouve des années mal placées (1913 et 1972 prévues humides; 1945 et 1974 prévues sèches) est toutefois assez cohérent. Ainsi, 80% des années prévues sèches ont un module inférieur à 500 m3 s"1, et 90% des années prévues humides ont un module supérieur à 500 m3 s"1. Ces séries d'années définissent les "périodes humides" et "périodes sèches" retenues ci-dessous pour établir les règles de gestion associées au soutien de crue.

Détermination des règles de gestion associées au soutien de crue

A ce niveau de l'étude, on admet que le débit passant à Bakel le jour j peut être assimilé à la somme des débits passés le jour y" - 3 aux stations de Oualia, Gourbassy et Manantali. Ce schéma, inspiré de façon simpliste du modèle de propagation de Lamagat (1989b) présenté plus bas, suffit pour dégrossir le problème.

D'après Lamagat (communication personnelle), on peut envisager un horizon de prévision de 10 jours par modèle hydro-pluviométrique sur les débits des stations de Oualia et Gourbassy. Ce laps de temps est insuffisant, dans l'hypothèse de "crue améliorée", pour permettre de réaliser un hydrogramme Gibb A coïncidant en pointe avec les débits de Oualia et Gourbassy. Le temps de montée de celui-ci est en effet trop important: 13.5 jours pour passer de 500 m3 s'1 au milieu du palier à 2500 m3 s1. Il faut un hydrogramme montant plus rapidement (dans des limites toutefois couramment observées en régime naturel), qui conserve un volume total de crue et un palier équivalents pour engendrer une inondation similaire. L'hydrogramme trapézoïdal retenu, noté ORSTOM1 (Tableau 4), donne un volume écoulé de 6.27 Gm3 pour les débits supérieurs ou égaux à 500 nf s'1 (6.21 Gm3 pour Gibb A). Sa montée présente un gradient acceptable de 417 m3 s'1 jour"1 pendant 6 jours, correspondant à une progression observée une année sur trois à Bakel entre 1950 et 1970. Cet hydrogramme est retenu pour les deux options envisagées: ORSTOM1 fixe pour la "crue artificielle"; ORSTOM1 mobile pour la "crue améliorée".

Tableau 4 Hydrogramme ORSTOM1.

Jour 0 6 11 55 Débitmoyenjournaiier(m3s-') 0 2500 2500 0

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La recherche des règles de gestion associées aux deux solutions retenues consiste à minimiser les lâchers d'eau destinés au soutien de crue et ne pouvant pas être turbines. Le débit maximal turbinable valant 565 m3 s"1 on retient, comme critère à minimiser, la moyenne interannuelle C des tranches de lâchers supérieures à 600 m3 s"1 entre le 8 juillet (quantième 189) et le 31 octobre. On a:

1 [7 = 1904-1913, 1917-1941, 1946-1972: périodes humides C = —T.(Ci)\

Z l i \ i = 1914-1916, 1942-1945, 1973-1993: périodes sèches

Ci = § max{[g(l 89 + 5y + 3) - Qo{\ 89 + 5y) - Qg{\ 89 + 5y) - 600], oj ./=0

Qo{k), Qg{k) et Q(k) sont les moyennes des débits journaliers (m3 s"1) entre les quantièmes k - 2 et k + 2, respectivement: observé à Oualia; observé à Gourbassy; désiré à Bakel. Compte-tenu de la taille importante des fichiers, les calculs sur tableur ont été menés au pas de temps de 5 jours.

Pour l'option ORSTOM1 fixe, il s'agit de positionner Fhydrogramme désiré de façon optimale dans l'année.

Pour l'option ORSTOM1 mobile, il faut établir des règles conditionnant le déclenchement du soutien de crue en fonction des débits connus 10 jours à l'avance à Oualia et Gourbassy. Les règles optimales sont celles qui, avec suffisamment de paramètres, permettraient de déclencher le soutien à la date optimale de chaque année. Ceci n'est bien sûr pas envisageable pour l'utilisation opérationnelle des règles mises au point, qui doivent être simples et stables. Leur détermination est donc basée sur les principes suivants: (a) Pour déclencher le soutien de crue, on attend que la somme des débits de Oualia

et Gourbassy dépasse un certain seuil Dl. Afin d'éviter au maximum les soutiens trop précoces ou trop tardifs dans l'année, ce seuil doit être élevé en début de crue, et faible à la fin. On limite à quatre le nombre de paramètres décrivant son évolution annuelle (deux paliers séparés par une progression linéaire).

(b) Avant une certaine date limite D2, on attend en plus, pour déclencher le soutien de crue, que la somme des débits prévus à Oualia et Gourbassy diminue. La conjonction des règles a et b vise à faire coïncider le palier de l'hydrogramme désiré, avec une pointe de débit observée 3 jours avant à Oualia et Gourbassy.

(c) On admet que certaines années, faute d'apparition des conditions précédentes, aucun soutien de crue ne soit effectué. Il est souhaitable que ceci ne se produise que pour les années qui, même avec un calage optimal du soutien, auraient nécessité le plus de lâchers non turbinables.

Test des différentes solutions par simulation au pas de temps journalier

Cette partie de l'étude est réalisée grâce au logiciel SIMULSEN (Bader, 1991), qui utilise le modèle de propagation de crue de Lamagat (1989b). Tous deux sont

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Le soutien de crue mobile dans le fleuve Sénégal à partir du Barrage de Manantali 821

brièvement décrits ci-dessous.

Modèle de propagation de crue de Lamagat Ce modèle, calé sur les données du régime naturel, décrit la propagation des débits entre les stations du haut bassin du Sénégal. Il consiste à exprimer la relation entre le débit ôamont d'une station à l'instant t, et Qml résultant à une station située à l'aval au temps t + Dt, en calculant par tranches de valeurs de gamont et pour différentes valeurs de Dt, les régressions linéaires entre Qimont(t) et gaval(f + Dt). Pour chaque tranche, on retient la valeur moyenne de <2amont > ^a valeur de Dt donnant le meilleur coefficient de corrélation, et la valeur de Qml donnée par la régression retenue. Les relations ainsi établies de façon statistique entre stations successives, tiennent compte en moyenne de l'amortissement des ondes de crues, des pertes, prélèvements et apports intermédiaires. Les deux modèles utilisés dans cette étude, qui donnent les débits à Kayes en fonction de Oualia et Manantali (Lamagat, 1989b) et ceux de Bakel en fonction de Kayes & Gourbassy (Bader, 1992a), sont calés de façon satisfaisante sur des données observées à la fois en périodes sèches et humides.

Modèle de gestion de la retenue de Manantali: SIMULSEN Ce logiciel permet d'évaluer l'effet de certaines règles de gestion du barrage de Manantali sur le degré de satisfaction des objectifs assignés à l'ouvrage. Son principe consiste à simuler numériquement une gestion en temps réel (avenir inconnu) de la retenue, en calculant ce qu'il en résulte pour la propagation de débit jusqu'à Bakel (modèle Lamagat), le niveau de la retenue et la production d'électricité. Les chroniques de débits, cotes et production électrique ainsi élaborées sont ensuite analysées pour estimer l'efficacité des consignes testées.

Sur la base des chroniques de débits homogénéisés du haut bassin du Sénégal, le calcul est fait au pas de temps journalier pour une combinaison de règles de gestion, choisies parmi la liste suivante et affectées de rangs de priorité arbitraires: (a) respect du niveau maximal admissible pour la sécurité de la retenue; (b) laminage des crues, au niveau de Bakel ou à la sortie de la retenue; (c) demande de production électrique; (d) satisfaction de différents types de besoins en eau (irrigation, navigation, soutien

de crue, autres consommations) exprimés en débit au niveau de Bakel; (e) respect d'un débit réservé, à Bakel et à la sortie du barrage.

Chaque consigne permet de définir soit une limite minimale Qmin, soit une limite maximale Qmax, soit les deux, pour le débit total à lâcher du barrage dans la journée (vidangé + déversé + turbiné). Pour la plupart, ces limites correspondent soit aux valeurs de débit lâché—notées gmina ou gmax0—permettant de satisfaire directement la demande associée (c'est par exemple le débit qui, associé à ceux du Bakoye et de la Falémé, produit à Bakel le débit à atteindre ou à ne pas dépasser), soit aux valeurs—notées Qminb ou gmax ,̂—qui ramènent la cote du lac au niveau de stock ou de revanche nécessaire pour garantir la possibilité de satisfaire la demande associée avec un certain niveau de risque d'échec dans le futur. Les courbes annuelles de niveaux limetes associées à ômin ,̂ et ômax,, (Figs 4 et 5, par exemple) sont préalablement créées par une procédure spéciale (Bader, 1992b) de SIMULSEN,

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212 T

210

208 206 204

quantième de l'année

100 150 200 250 300 350

Fig. 4 Niveau IGN maximal à ne pas dépasser dans le lac pour pouvoir limiter les échecs évitables de laminage (4500 m3 s"1 à Bakel) à un tous les 50 ans.

100 150 200 250 300 350 0 50 Fig. 5 Niveau IGN minimal à respecter dans le lac de Manantali, pour pouvoir satisfaire les demandes en irrigation et besoins associés 24 années sur 25.

qui calcule sur la base des données observées en régime naturel, la chronique de cotes extrémales du lac compatible avec la satisfaction à 100% de l'objectif considéré.

A chaque pas de temps, l'application successive des différentes règles par ordre de priorité décroissante, resserre une fourchette de valeurs limites pour le débit à lâcher. Quand toutes les règles ont été prises en compte, ou que l'une d'elles, incompatible avec les bornes fixées par les règles précédentes, resserre la fourchette en une valeur unique, la limite inférieure de la fourchette est retenue comme débit à lâcher.

Les différents types de soutien de crue envisagés sont testés sur la période 1904-1993 avec les consignes suivantes, classées par ordre de priorité décroissante: (i) respect du niveau maximal de sécurité de la retenue; (ii) respect de débits réservés: 50 m3 s"1 à la sortie du barrage et à Bakel; (iii) laminage des crues à 4500 m3 s"1 à Bakel, avec respect d'une revanche suffisante

pour permettre déviter tout échec (évitable) 49 années sur 50 (Fig. 4); (iv) fourniture d'eau permettant d'irriguer 100 000 ha de cultures, augmentée de

20 m3 s"1 pour la consommation humaine et de 30 m3 s"1 pour compenser les pertes par evaporation le long de la vallée. L'hydrogramme nécessaire, exprimé au niveau de Bakel, est donné dans le Tableau 5. Cette consigne inclut le respect d'un stock suffisant pour limiter les échecs de fourniture à un tous les 25 ans (Fig. 5);

(v) production de 90 MW d'électricité si le niveau du lac dépasse 182 m; (vi) quatre options de soutien de crue: ORSTOM1 mobile; aucun soutien; Gibb A;

ORSTOM1 fixe.

Tableau 5 Hydrogramme du Sénégal à Bakel permettant de satisfaire les besoins de 100 000 ha de culture irriguée, augmentés de 50 m3 s"1 pour besoins associés et compensation des pertes.

Mois Jan. Fév. Mars Avr. Mai Juin Juil. Août Sep. Oct. Nov. Dec. Débit (m3 s'1) 75.9 124 143 144 132 120 116 181 212 197 146 91.2

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Le soutien de crue mobile dans le fleuve Sénégal à partir du Barrage de Manantali 823

La cote initiale du lac de Manantali est fixée à 205 m le 1 janvier 1904 pour tous les calculs. Elle se situe entre les valeurs médianes et quinquennales sèches obtenues pour le 1er janvier dans les quatre cas de gestion testés.

CONSIGNES OBTENUES POUR LE SOUTIEN DE CRUE ORSTOM1

Soutien ORSTOM1 fixe

Le calage de l'hydrogramme ORSTOM1 est repéré par la date d'occurrence du premier des 6 jours de palier (2500 m3 s"1) à Bakel. Cette date se situe de façon optimale (pour Ci minimal) entre le 29 juillet et le 12 octobre selon les années. La date moyenne optimale (pour C minimal) se situe le 2 septembre en périodes humides et le 28 août en périodes sèches.

Soutien ORSTOM1 mobile

Les valeurs obtenues pour Dl sont données dans le Tableau 6. Avec la date du 27 août obtenue pour D2, ces valeurs ne permettent d'activer aucun soutien de crue pour les années 1913, 1972, 1983, 1984, 1987 et 1990. Le déclenchement du soutien de crue est déterminé par la procédure suivante:

Etat d'alerte au soutien de crue Cet état d'alerte désactivé au début de chaque année, ainsi qu'à la fin de tout soutien de crue, est réactivé dès que la somme des débits moyens pentadaires centrés prévus à Oualia et Gourbassy à l'horizon 8 jours dépasse le seuil Dl correspondant. Ceci donne pour le jour j , si l'alerte n'est pas encore active:

Qo(j + %) + Qg(j + &) > Dl(y' + 8) => Alerte activée le jour j

Lancement du soutien de crue Seulement dans le cas où l'alerte au soutien de crue est active le jour j - 1, le soutien est lancé le jour j si le débit moyen pentadaire diminue entre les jours j + 7 et j + 8 à Oualia et Gourbassy, ou si le jour j + 8 dépasse la date limite D2:

alerte active le jour j -1

et

[{&U + 8) + QgU + 8)) < (Qo(J + 7) + QgU + V))] ou [(j + 8) > m] =>

début

de soutien

le j o u r ;

Tableau 6 Variation annuelle du paramètre Dl caractérisant le seuil de débit non contrôlé (Oualia et Gourbassy) déclenchant l'alerte au soutien de crue.

"Périodes humides" "Périodes sèches"

Jour 1 jan. 12 août 21 sept. 31 dec. 1 Jan. 12 août 27 août 31 dec. Dl(m3s-') 1960 1960 500 500 1100 1100 400 400

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824 J.-C. Bader

Dans ce cas, les lâchers du barrage sont ajustés à partir du jour j pour obtenir l'hydrogramme ORSTOM1 à Bakel, calé de telle sorte que le premier des 6 jours de palier de débit à 2500 m3 s4 tombe le jour y' + 8 à cette station.

TEST DES CONSIGNES OBTENUES

Hydrogramme de crue à Bakel

Deux types de paramètres permettent d'évaluer la qualité des crues obtenues: les débits caractéristiques dépassés pendant N jours consécutifs (Fig. 6); les valeurs minimales annuelles M de manque de débit sur 55 jours pour l'obtention de l'hydrogramme souhaité (Fig. 7). En notant Qb(j + k) le débit obtenu le jour j + k à Bakel, et Q(k) le débit du jour k de l'hydrogramme désiré (Tableau 1 ou Tableau 4), on a:

M = nùn 4 f ; max[0,(e(*) - Qb(j + *))]}

En périodes humides Les modes de soutien de crue Gibb A et ORSTOM1 fixe permettent, avec les meilleurs résultats pour le second, d'obtenir dans tous les cas et à peu de choses près (M < 25 m3 s"1), les hydrogrammes désirés. Ces hydrogrammes sont dépassés plus de 9 années sur 10 dans le cas du régime naturel, pour lequel un déficit sérieux (M > 300 m3 s"1) n'apparaît qu'une fois tous les 30 ans environ, précisément pour les années 1913 et 1972. Ces deux années sont celles pour lesquelles le soutien de crue de type ORSTOM1 mobile—donnant le reste du temps des résultats équivalents au soutien ORSTOM1 fixe—reste totalement inopérant, le seuil Dl d'alerte au soutien n'y étant jamais atteint. L'absence de soutien de crue donne les plus mauvais résultats, avec un déficit sensible (M > 198 m3 s"', soit 941 Mm3 sur 55 jours, correspondant à 15 % du volume de crue désiré) survenant environ 1 année sur 6.

En périodes sèches Un déficit M supérieur à 198 m3 s"1 ne survient qu'une fois tous les 4 ans avec le soutien Gibb A, tous les 5-6 ans avec le soutien ORSTOM1 mobile, et tous les 7 ans avec le soutien ORSTOM1 fixe. Il est par contre dépassé plus d'une année sur trois en régime naturel, et 3 années sur 4 sans soutien de crue. L'analyse des débits caractéristiques de crue confirme les mauvais résultats obtenus en absence de soutien de crue, l'hydrogramme désiré n'étant atteint qu'une année sur six environ, alors qu'il est dépassé une année sur deux en régime naturel. Les trois types de soutien de crue envisagés donnent des hydrogrammes corrects jusqu'à la récurrence 4 ans en année déficitaire. Mais à partir de la récurrence 5 ans, la fin de l'hydrogramme type n'est plus correctement réalisé, du fait de l'arrêt du soutien de crue avant terme, imposé par la nécessité de garder une réserve d'eau suffisante pour

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Le soutien de crue mobile dans le fleuve Sénégal à partir du Barrage de Manantali 825

5000 T>

4000

3000

2000

1000 J-

0

V

o

récurrence : 2 ans

_N (jours).

récurrence : 5 ans

10 20 30 40

3000 T,

récurrence: 10 ans 2500

2000 -f

1500

1000 -

500

< 1 N (jours). o

20 30 40

H , N (jours)-

20 30 40

récurrence : 25 ans

N (jours).

10 20 30 40

recurrence :

10 20 30 40 10 20 30 40

1 : années 1904-1913; 1917-1941; 1946-1972

2 : années 1914-1916; 1942-1945; 1973-1993

Régime naturel

O Soutien de crue ORSTOM1 mobile

Sans soutien de crue

• Soutien de crue Gibb A fixe

Soutien de crue ORSTOM1 fixe 0 10 20 30 Fig. 6 Sénégal à Bakel, Débit caractéristique de crue (m3 s"1 dépassé pendant N jours consécutifs) obtenu avec les différents modes de gestion en années déficitaires, sur chaque groupe d'années caractéristiques.

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826 J.-C. Bader

années 1904-1913; 1917-1941; 1946-1972 années 1914-1916; 1942-1945; 1973-1993

20 » références: hydrogrammes 1 5 GibbAetORSTOMI

10

5

0 *&-•'+*'-•-*-*'*•-*=-?—-

600 1- références: hydrogrammes

400 -L

200

0

GibbAetORSTOMI

1000 -r- référence: hydrogramme GlbbA

référence: hydrogramme ORSTOM1

-Sout ien ORSTOM1 mobile

- rég ime naturel

Sans soutien

soutien Gibb A

0.50 1.00

-Soutien ORSTOM1 fixe

Fig. 7 Sénégal à Bakel. Répartition en fréquence du manque moyen de débit (m3 s') sur 55 jours, pour l'obtenation des hydrogrammes Gibb A et ORSTOM1.

l'irrigation. Une année sur huit, le soutien de crue ORSTOM1 mobile est inopérant et équivaut alors à l'absence de soutien de crue. Le fléchissement constaté en fin de crue pour les années très déficitaires, est plus important pour le soutien Gibb A que pour ORSTOM1 fixe. Il s'accentue avec les temps de retour.

Evaluation de l'option de soutien ORSTOM1 mobile Les 6 années pour lesquelles le soutien ORSTOM1 mobile est inopérant se caractérisent par des valeurs optimales de Ci comprises entre 528 et 662 m3 s4. Ces valeurs sont parmi les sept plus fortes de ce paramètre (période 1904-1993), qui représente la moyenne sur 55 jours de la fraction de débit supérieur à 600 nf s"1 à lâcher du barrage, pour obtenir l'hydrogramme ORSTOM1 calé de façon optimale sur chaque année. Pour les années ayant bénéficié du soutien de crue, les valeurs optimales de Ci sont comprises entre 0 et 568 m3 sA avec une moyenne de 45 m3 s"1 sur les périodes humides, et 286 m3 s1 sur les périodes sèches. Les valeurs réellement obtenues pour Ci sont aussi comprises entre 0 et 568 m3 s"1, avec une moyenne de 62 m3 s"1 en période humides, et 300 m3 s"1 en périodes sèches. On voit donc que le soutien réalisé dépense chaque année en moyenne 16 m3 s"1 pendant 55 jours (soit 76 Mm3) en plus du débit théorique minimal nécessaire. Ce gaspillage d'eau, dû au court horizon de prévision (10 jours) envisagé sur les débits du haut bassin du Sénégal, est relativement faible.

Les six faibles crues non soutenues avec l'option ORSTOM1 mobile ne le sont pas toutes de façon complète (et donc efficace) avec les autres options, puisqu'un

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Le soutien de crue mobile dans le fleuve Sénégal à partir du Barrage de Manantali 827

déficit M supérieur à 198 m3 s'1 y est observé quatre fois avec Gibb A, et trois fois avec ORSTOM1 fixe. Quand elles le sont (1913 et 1972 par exemple), cela cause un abaissement important du niveau du lac, qui se répercute gravement sur la production électrique des années suivantes.

Production d'électricité

Les quatre types de gestion envisagés donnent les puissances moyennes inter­annuelles suivantes sur les périodes humides et sèches respectivement: 114.2 et 73.1 MW sans soutien de crue; 114.6 et 46.5 MW pour ORSTOM1 mobile; 114.3 et 28.2 MW pour ORSTOM1 fixe; et 114.3 et 27.2 MW pour Gibb A.

Pendant les périodes humides, les puissances obtenues sont légèrement supérieures avec soutien que sans soutien de crue. Ceci traduit le fait qu'en cas d'abondance, il vaut mieux turbiner au maximum un volume d'eau qui, sans quoi en excédent, risque d'être déversé plus tard en pure perte.

Pendant les périodes sèches, l'avantage de ORSTOM1 mobile sur les autres modes de soutien de crue apparaît à la fois sur les puissances moyennes annuelles produites et sur le respect de la fourniture des 90 MW demandés (Fig. 8). Par rapport à l'absence de soutien de crue, une perte de production moyenne annuelle supérieure à 20 MW survient 27 années sur 28 avec Gibb A, 6 années sur 7 avec ORSTOM1 fixe, et moins d'une année sur deux avec ORSTOM1 mobile.

La Fig. 9 montre que le soutien ORSTOM1 mobile permet de maintenir une production normale pendant les années 1914-1916 et 1973-1977, contrairement à Gibb A et ORSTOM1. La période récente voit une pénurie ininterrompue de production débuter en 1973 pour Gibb A et ORSTOM1 fixe, 1978 pour ORSTOM1 mobile et

0.00 0.20 0.40 0.60 0.80 1.00 0.00 0.20 0.40 0.60 0.80 1.00

1 : années 1904-1913; 1917-1941; 1946-1972 2 : années 1914-1916; 1942-1945; 1973-1993 — o soutien ORSTOM1 mobile sans soutien de crue

— © — s o u t i e n de crue Gibb A soutien de crue ORSTOM1 fixe

Fig. 8 Répartition des valeurs moyennes annuelles (a) de puissance électrique produite, et (b) de déficit de production par rapport à la demande de 90 MW.

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828 J.-C. Bader

140

120 <

100 -

80 -

60 -

40 -

20 -

0 -

- MW

y\ v ^ ^ * V

— i — i —

*«W*

1

— i —

( / A ^

année i 1 1 ^¥4

1915 1925 1935 i soutien ORSTOM1 mobile — soutien Gibb Afixe

1945 1965 1975 - sans soutien de crue

soutien ORSTOM1 fixe Fig. 9 Evolution de la puissance électrique moyenne annuelle produite.

1981 sans soutien de crue. Les baisses de production électrique s'observent lors des successions d'années sèches (Fig. 3), avec un retard dun ou deux ans dû à l'effet tampon du volume d'eau stocké dans la retenue. Elles coïncident avec une baisse importante du niveau du lac (Fig. 10), qui approche le seuil de la vidange de fond à plusieurs reprises au cours des années 1980, pour tous les types de soutien envisagés.

160 __ soutien de crue ORSTOM1 fixe 150

1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990

1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990

Fig. 10 Evolution des niveaux IGN caractéristiques annuels obtenus dans le lac de Manantali. Les courbes représentées correspondent aux niveaux suivants, de haut en bas: maximal annuel; dépassé 60 jours dans l'année; médian; non atteint 60 jours dans l'année; minimal annuel.

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Le soutien de crue mobile dans le fleuve Sénégal à partir du Barrage de Manantali 829

Fourniture d'eau pour l'irrigation et les besoins associés

La consigne très prioritaire visant à satisfaire ce besoin, inclut la préservation d'un stock dans le lac compatible avec un taux de réussite de 24 années sur 25. C'est ce taux qui est à peu près obtenu pour les options Gibb A et ORSTOM1 fixe, avec une pénurie affectant les années 1983, 1985, 1986 et 1991 (Fig. 11), toutes situées en périodes sèches pour lesquelles la fréquence d'échec est donc d'une année sur sept. Avec l'option ORSTOM1 mobile, seules les années 1983 et 1986 sont affectées, ce qui divise par deux la fréquence d'échec en période sèche. Sans soutien de crue, la demande pour l'irrigation est satisfaite à 100%.

Laminage des crues

Alors qu'en régime naturel, le débit journalier maximal annuel dépasse 4500 m3 s"1

environ deux années sur trois en périodes humides et une année sur sept en périodes sèches (Fig. 12), ce seuil n'est dépassé de façon nette qu'en 1922 en période humide, avec une valeur comprise entre 5231 et 5299 m3 s"1 selon les options de gestion retenues pour le barrage.

Respect du débit réservé

Alors que l'absence de soutien de crue permet de respecter les débits réservés à 100%, le soutien occasionne des débits inférieurs à 50 m3 s"1 à Bakel et à la sortie du barrage à quelques reprises en périodes sèches: - pour les trois options de soutien: en 1983 pendant moins de 10 jours et en 1986

pendant plus d'un mois;

0 5

n3 . - 1

année 1985

N(jour)

10 15 20 25 0 20 40 60 80 100

année 1991

0 10 20 30 40 50 60

-soutien ORSTOM1 mobile soutien Gibb A

N(jour)

10 15 20 25

soutien ORSTOM1 fixe

Fig. 11 Débit caractéristique de pénurie d'eau pour l'irrigation (dépassé pendant N jours consécutifs ou non dans l'année).

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830 J.-C. Bader

0.40 0.60 0.80

6000

4000

2000

années 1914-1916;

1942-1945:1973-1993

frequence

H 0.00 0.20 0.40 0.60

- rég ime naturel -sout ien Gibb A

-sout ien ORSTOM1 mobile -sout ien ORSTOM1 fixe

0.80 1.00

sans soutien de crue

Fig. 12 Répartition des débits journaliers maximaux annuels du Sénégal à Bakel.

- pour les options Gibb A et Orstoml fixe: en 1991 pendant moins de 15 jours et en 1985 avec un débit nul pendant plus de 50 jours, le niveau du lac descendant cette année là en dessous du seuil de la vidange de fond.

CONCLUSION

Par rapport au soutien de crue, l'absence de soutien entraîne un gain de production électrique moyenne d'au moins 26 MW en période sèche, et une perte inférieure à 0.4 MW en période humide. Ceci s'accompagne d'une dégradation importante de la qualité des crues par rapport au régime naturel, avec des hydrogrammes insuffisants 1 année sur 6 en période humide, et 3 années sur 4 en période sèche.

Les options de soutien de crue Gibb A et ORSTOM1 fixe donnent des résultats comparables en matière de débit réservé, laminage de crue et fourniture d'eau pour l'irrigation. La seconde, caractérisée par un sommet d'hydrogramme plus précoce à Bakel (13 jours en période humide, et 18 jours en période sèche), est cependant préférable pour la production moyenne d'électricité en période sèche ( + 1.0 MW) et la garantie d'obtenir un hydrogramme de crue correct.

Comparée à l'option ORSTOM1 fixe, l'option ORSTOM1 mobile qui permet de caler l'hydrogramme de crue à Bakel en fonction des apports prévus sur les affluents non contrôlés, donne des résultats identiques pour le laminage des crues (un échec important sur 90 années), meilleurs pour la production d'électricité (+0.3 MW en période humide et +18.3 MW en période sèche) et également meilleurs, en période sèche, pour le respect des débits réservés et la fourniture d'eau pour l'irrigation (temps de retour de 14 ans au lieu de 7 pour les pénuries). Ces performances sont obtenues au détriment de la qualité des crues à Bakel, qui reste tout de même meilleure qu'en régime naturel. En période humide, alors que le soutien à date fixe

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Le soutien de crue mobile dans le fleuve Sénégal à partir du Barrage de Manantali 831

n'occasionne jamais de crue insuffisante, ceci se produit à la fréquence trentenaire avec le soutien mobile, comme en régime naturel. En période sèche, le temps de retour des crues trop faibles, inférieur à 3 ans en régime naturel, passe de 5 à 6 ans avec le soutien mobile, à 7 ans avec le soutien à date fixe. Cette baisse relativement faible de la qualité des crues, comparée au bénéfice obtenu pour tous les autres objectifs du barrage, nous permet de proposer l'option ORSTOM1 mobile comme mode de soutien de crue conciliant les différents intérêts. Il faut souligner, en corollaire, l'utilité de mettre en place un système de prévision des débits à l'horizon de 10 jours sur le haut bassin du Sénégal, pour la gestion de Manantali.

Dans une étape ultérieure, il conviendra d'élaborer et de tester des consignes de gestion utilisant une prévision des débits entrant dans la retenue. Comme pour celles envisagées ici sur le Bakoye et la Falémé, il ne fait aucun doute que ce type de prévisions permettra encore d'améliorer les performances potentielles du barrage.

Remerciements L'auteur remercie Monsieur J. P. Lamagat pour ses conseils.

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