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www.histoire.presse.fr ÉVÉNEMENT : UN PRÉSIDENT, POUR QUOI FAIRE ? LE SUAIRE DE TURIN la vraie histoire d’un faux MENSUEL DOM/S 7,20 € TOM/S 950 XPF TOM/A 1 600 XPF BEL 7,20 € LUX 7,20 € ALL 7,90 € ESP 7,20 € GR 7,20 € ITA 7,20€ MAY 8,70 € PORT. CONT 7,20 € CAN 9,75 $CAN CH 12 ,40 FS MAR 60 DH TUN 6,50 TND ISSN 01822411 3:HIKLSE=WU[WUX:?a@d@h@m@k; M 01842 - 372 - F: 6,20 E

Le suaire de Turin : la vraie histoire d’un faux

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Pourquoi tant de gens ajoutent-ils foi à l’authenticité du « suaire » de , Turin, ce linceul censé avoir enveloppé le Christ à sa mort ? La volonté de croire défie la raison.

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Page 1: Le suaire de Turin : la vraie histoire d’un faux

www.histoire.presse.fr

événement : un président, pour quoi faire ?

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’sommaire

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 2 f é v r i e r 2 0 1 2 4

’actualitéon en parle18 La vie de l’édition - L’homme en vue - en tournage

portrait 20 Gerd Krumeich, un amour de Jeanne Par Daniel Bermond

expositions 22 La grande soif d’Alexandrie Par Juliette Rigondet

23 La légende d’Hannibal Par Bastien Stisi

françafrique 24 Les mallettes africaines de la république Par Jean-Pierre Bat

livre 26 Louise élisabeth, peintre de la reine Par Joël Cornette

27 Agenda : les rencontres du mois

28 Clemenceau au cœur Entretien avec Michel Drouin

cinéma 30 Les gens de la place tahrir Par Antoine de Baecque

31 spielberg à cheval Par Gene Tempest

médias 32 Jean Lebrun, « narrateur national » Par Daniel Bermond

33 « Les lundis de l’histoire » : bel anniversaire !

concordance des temps 34 La pierre et le pouvoir Par Dominique Iogna-Prat

bande dessinée 36 Juifs et Polonais Par Pascal Ory

’Feuilletonles grandes heures de la presse86 Le manifeste des « 343 salopes » Par Jean-Noël Jeanneney

’GuiDela revue des revues88 Cimetières sous la lune - Génocide rwandais - Les Amériques en ligne

les livres90 « Un succès philosophique : l’“Histoire de la folie à l’âge classique” de Michel foucault », de Philippe Artières et Jean-françois Bert Par Hervé Duchêne

91 La sélection du mois

le classique96 « Le xixe siècle à travers les âges » de Philippe Muray Par Guillaume Cuchet

’Carte BlancHe98 « outrancièrement » Par Pierre Assouline

couverture : La Déposition par Giovanni Battista Della Rovere, début du xviie siècle, Turin, galerie Sabauda (De Agostini/Leemage).

retrouvez page 37 les rencontres de l’histoire

abonnez-vous page 97Ce numéro comporte trois encarts jetés : Manière de voir (abonnés), L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

’événement8 Un président, pour quoi faire ? Par Michel Winock Depuis 1792, chaque nouvelle république a posé la question : régime d’assemblée ou président ? retour sur les relations d’amour-haine entre les français et leur président.

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www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour préparer les concours.Chaque jour, une archive de L’Histoire pour comprendre l’actualité.

N°372-février 2012

Page 3: Le suaire de Turin : la vraie histoire d’un faux

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40 Les tribulations d’un linceul Entretien avec Andrea Nicolotti42 document : souvenir de Lirey 45 Le chanoine érudit 48 document : petite leçon de paléographie 48 L’archiviste du vatican

52 Une peinture en très piteux état Par Jean Wirth

60 Moyen Age. des faux par milliers Par Laurent Morelle61 document : une forgerie du xiie siècle

64 Une relique si moderne !Par Yann Potin

42 Lexique

65 Pour en savoir plus

’dossier PAGE 38

LE suAirE dE turiN

La vraie histoire d’un faux

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’recherche68 vous serez tous citoyens romains ! Par Maurice sartre 212 : Caracalla accorde la citoyenneté à tous les habitants de l’empire. Un fait unique dans l’histoire.

74 Les Hollandais sont-ils arrivés à Java ?Par romain Bertrand Le récit surprenant des premiers contacts entre Hollandais et Javanais au tournant du xviie siècle.

80 françois et Jean, nés filles au xixe siècle Par Gabrielle Houbre sous le second empire, des femmes, travesties en hommes, ont pu convoler avec d’autres femmes.

Vendredi 27 janvier à 9 h 05 « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin Retrouvez Gabrielle Houbre pour la séquence « L’atelier du chercheur » en partenariat avec L’Histoire

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’événement président de la république

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Un président, pour quoi faire ?

Par Michel Winock

l’aUteUrConseiller de la direction de l’Histoire, professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris, Michel Winock a récemment publié Madame de Staël (Fayard, 2010, grand prix Gobert 2011 de l’Académie) et fait paraître une édition nouvelle et augmentée de la Droite (Perrin, 2012).

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La une du Petit Journal, le 13 mai 1931, jour de l’élection. Paul Doumer en sort victorieux. Page de droite : l’hôtel d’Évreux, baptisé « Élysée » par la duchesse de Bourbon à la fin du xviiie siècle, est la résidence présidentielle depuis 1848. Photo de 1885. L

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La première République française, en 1792, n’avait pas de président. D’où vient l’idée, qui s’impose finalement en 1848, de confier le pouvoir exécutif à un seul homme ? Et comment ne pas donner un pouvoir disproportionné à celui que l’on décide, alors, de faire élire au suffrage universel ? Le casse-tête constitutionnel autour du statut du chef de l’État est, en France, un sport national.

«Le président de la République a tous les pou-voirs de la royauté : il dispose de la force ar-mée ; il nomme aux emplois civils et militai-

res ; il dispense toutes les faveurs ; il a tous les moyens d’action, toutes les forces actives qu’avait le dernier roi. Mais ce que n’avait pas le roi, et qui mettra le président de la République dans une position bien autrement formidable, c’est qu’il sera l’élu du suf-frage universel. » Jules Grévy, futur président de la iiie république – mais qui sera élu, lui, par le Parlement –, prononçait ces fortes paroles le 6 oc-tobre 1848, lors de la discussion du projet consti-tutionnel de la iie république à l’Assemblée consti-tuante. Aux yeux de ce républicain, c’était un « pouvoir monarchique » que l’on était en train de restaurer sous un autre nom. D’où venait donc la volonté de ses collègues d’inventer un président de la république ?

il n’en avait jamais été question après la chute de Louis Xvi en 1792, tant le rejet du pouvoir per-sonnel était puissant. Dans un premier temps, un Conseil exécutif provisoire est mis en place, qui convoque une « Convention » – un terme em-prunté aux états-Unis. La nouvelle assemblée vote la Constitution de 1793, qui attribue le pou-voir exécutif à un Conseil de 24 membres, choisis par le Corps législatif, « un, indivisible et perma-nent ». Cette Constitution de 1793 est provisoire-ment mise sous le boisseau, mais pendant toute la durée de la ire république (1792-1804), l’exécu-tif est collégial. successivement, le Comité de sa-lut public, animé par robespierre, un Directoire de cinq membres, puis un triumvirat consulaire dominé par Bonaparte, aux côtés de Cambacérès et de Lebrun, gouvernent la france. Mais déjà la

dictature bonapartiste était en marche. Par le coup d’état du 18 Brumaire (1799), la républi-que commençait son agonie sous la botte d’un futur empereur. il faut attendre les journées de fé-vrier 1848 pour la voir renaître.

1848, la première foisLa monarchie, restaurée en 1814, était abattue : qui allait gouver-ner la france ? Au lendemain des journées de février, un gouver-nement provisoire, après avoir décrété l’instauration du suffrage universel (masculin), organise les élections d’une Assemblée constituante. Celle-ci, réunie le 4 mai, nomme une Commission exécutive et, en vue d’élaborer un projet constitutionnel, une Commission de Constitution. Présidée par le vicomte de Cormenin, elle compte, parmi ses dix-huit membres, Alexis de tocqueville et son ami Gustave de Beaumont, avec lequel il avait entrepris son grand voyage d’Amérique. Dans sa séance du 27 mai 1848, Cormenin, abor-dant la question du pouvoir exé-cutif, énumère les trois systèmes possibles : « 1) L’Assemblée elle-même exerçant le pouvoir exécutif par des délégués. 2) Trois ou cinq consuls ou directeurs. 3) Un prési-dent ou consul. »

Chose étonnante, la Commission parle d’une seule voix : « On aura peine à croire, écrit tocqueville dans ses Souvenirs, qu’un sujet si immense, si difficile, si nouveau, n’y fournit la matière d’aucun débat général, ni même d’aucune discussion fort approfondie. On était unanime pour vouloir confier le pouvoir exécutif à un seul homme1. » L’un des membres de la Commission, Dupin aîné, propose alors qu’il porte le titre de « président de la république ». Adopté2 !

Le projet constitutionnel (suffrage univer-sel, Assemblée législative unique, président de la république élu au suffrage universel), après avoir été examiné par les bureaux de l’Assemblée, est mis à la discussion par la Constituante en octobre. Là, point d’unanimité. Le modèle de la Convention reste prégnant dans bien des esprits ; la gauche, notamment félix Pyat, sans désavouer le choix d’un « président », veut que celui-ci n’émane que de l’Assemblée unique et soit soumis à celle-ci. Jules Grévy, lui, l’assimile à un simple président du Conseil révocable.

victor Hugo, depuis son banc de député, s’agace : « Ils veulent l’État sans chef, ni consul, ni président, une assemblée unique, sept cent cin-quante têtes gouvernant, l’agitation perpétuelle, l’instabilité en permanence, les coups de majorité, c’est-à-dire les coups de vent, faisant tout, la loi, le

Jusqu’à Napoléon Bonaparte en 1804, l’exécutif est collégial

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Louis Napoléon Bonaparte Élu président de la IIe République au suffrage universel, il rétablit quatre ans plus tard l’empire.

Adolphe ThiersNommé par l’Assemblée, il est renversé par la majorité monarchiste en 1873.

Patrice de Mac-MahonAprès son coup de force contre l’Assemblée et la victoire des républicains, il doit « se démettre ».

Jules GrévyIl redonne la suprématie des pouvoirs au Parlement. Son second mandat est interrompu en 1887 par le scandale des décorations.

1848-1852

1871-1873

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’actualité cinéma

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Le Caire, fin janvier 2011, des milliers d’égyp-tiens convergent vers la place tahrir pour exiger le départ de Hosni Moubarak et de-

mander l’instauration d’élections libres. Quelques jours après la chute de Ben Ali en tunisie, divers groupes appellent à manifester sur la place via leur page facebook : le 25 janvier, nommé « Journée de la colère », lance ce mouvement par un ras-semblement d’environ 15 000 personnes. Le len-demain, le gouvernement annonce que les ras-semblements ne seront plus tolérés. Pourtant, les manifestations ne cessent pas. Même les chars qui prennent position sur la place le 27 janvier n’em-pêchent pas une foule toujours plus nombreuse de confluer. Bientôt, la place tahrir est constam-ment occupée. Le 1er février, ce sont plusieurs cen-taines de milliers de manifestants qui s’y retrou-vent. Beaucoup demeurent sur place plus de dix jours, incarnant une forme de protestation qui fait le tour du monde sur les écrans de télévision ou les réseaux internet. enfin, le 11 février, le départ de Moubarak est annoncé, provoquant joie, danses et chants de liesse.

Le cinéaste italien stefano savona arrive sur la place le 29 janvier, et n’en repart qu’au lendemain de la chute de Moubarak. Durant quinze jours, il vit là et enregistre la foule, avec son appareil photo Canon 5D, qu’il utilise comme une caméra, plus un petit capteur sonore placé au milieu des groupes qui l’entourent. Ancien étudiant en égyptologie, rompu aux techniques du cinéma direct, il choi-sit de filmer au plus près la contestation politique. sa méthode : s’approcher des gens, enregistrer les conversations, les gestes, les réunions, les défis, les heurts, les blessures et les morts dans ce qu’ils ont de plus concret. Ce film est constitué par la maté-rialité d’une révolte.

Le rythme y est primordial : on sent respirer la foule ou les jeunes hurler leur haine ; on voit dia-loguer les gens, assis en cercle, et d’autres s’enfuir sous les coups de feu de snipers isolés dans des im-meubles en surplomb ; on entend les arguments s’échanger, la colère qui monte, les pierres qui vo-lent, jusqu’à l’apaisement de la nuit quand la place

occupée se repose et sommeille. elle ne dort jamais que d’un œil, troublée par les échauffourées ou réveillée par les appels à la prière. C’est un grand corps qui vit, que personne ne peut ni enfermer, ni étouffer, ni même calmer.

L’autre caractéristique de cette place est la diversité des manifestants qui y campent : des paysans, des étudiants, des bourgeois, des em-ployés, des pauvres, certains très religieux d’autres pas du tout, quelques révolutionnaires et une masse de simples témoins de l’événement en marche. Mais tout circule entre ces groupes et ces individus si dis-semblables, les paroles, la nourriture, les couvertu-res, les téléphones, les pierres, l’argent, les idées, les prières et les slogans. et la caméra de savona.

Jamais ce dernier n’intervient ouvertement, n’organise les rencontres, ne provoque un dialo-gue. Mais toujours il observe, il capte, il écoute, d’un bout à l’autre de la place. Ce n’est pas un re-portage qui tenterait une analyse à chaud, mais un film mis en scène par le peuple lui-même, puisqu’il est constamment organisé, désorganisé, puis réor-ganisé par ses déplacements, ses mouvements, ses pauses ou ses paroles. en quelque sorte, un film mis en scène par l’histoire en train de se faire.

Antoine de Baecque Historien et critique de cinéma

S. Savona, Tahrir. Place de la libération, en salles le 25 janvier.

il y a un an, stefano savona s’est mêlé à la foule des manifestants égyptiens.

Bien plus qu’un reportage, un grand film.

Les gens de la place Tahrir

En haut : une vue aérienne de la « place de la libération » au Caire le 29 janvier. En bas : un exemple de la diversité des manifestants filmés par Savona : une femme âgée, une jeune fille, un homme.

Un corps que personne ne peut étouffer D

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Spielberg à cheval

Pigeons voyageurs, chiens, chameaux et surtout équidés ont participé massivement à la Grande

Guerre. L’armée française a mobilisé à elle seule plus de 1,5 million de chevaux et mulets. Le réali-sateur américain steven spielberg le rappelle avec son film War Horse. il présente une guerre large-ment inconnue, celle des animaux. son film s’ins-pire du livre pour la jeunesse de l’auteur anglais Michael Morpurgo (1982), également adapté pour la scène en 2007, avec de magnifiques marionnet-tes de chevaux, grandeur nature. il raconte les par-cours croisés du cheval Joey et de son jeune maî-tre anglais Albert Narracott (interprété par Jeremy irvine, photo), qui nous conduisent de la ferme au front. Joey commence la guerre avec la cavalerie anglaise, avant de servir dans l’armée allemande, avec un bref répit en zone occupée. De son côté, Albert, affecté dans l’infanterie, cherche son che-val tout au long de la guerre.

en 1918, Joey, blessé, est conduit chez un mé-decin anglais qui déclare : « Il n’y a pas de vétéri-naires. Il ne reste quasiment plus de chevaux. » Ce « cheval miraculé » devient dès lors un monument vivant d’une guerre héroïque qui aurait disparu avec les tranchées… C’est oublier qu’il y avait plus de chevaux sous les drapeaux en novembre 1918 qu’en août 1914. Contrairement à une idée re-çue (que le film de spielberg perpétue), la guerre moderne n’a pas aboli l’usage des chevaux. Au contraire, c’est la traction animale qui a rendu pos-sible la guerre mécanisée.

on ne trouvera pas ici les audaces du spielberg d’Il faut sauver le soldat Ryan. Dans ce film à usage familial, la mort reste invisible. Quant à la blessure la plus présente du film, celle d’Albert, elle est due au gaz de combat et n’est donc pas une blessure sanglante. il y a heureusement la musique toujours aussi émouvante de John William et quelques ins-tants de beauté – notamment la splendeur du che-val qui court à grand galop à travers champs de blé et no man’s land – qui sauvent le film et nous rapprochent peut-être de la reconnaissance d’une identité nouvelle du front.

Gene Tempest Doctorante, département d’histoire, Yale University

S. Spielberg, War Horse, en salles le 22 février.

dans les salles

Hommage à Feyder 1616. Dans une petite ville de flandre orien-tale, la cité se prépare à la kermesse annuelle quand un garde vient annoncer l’arrivée de l’ambassadeur d’espagne et de sa suite armée, se rendant aux Pays-Bas. La femme du bourg-mestre décide alors de jouer les hôtesses de charme afin d’éviter les pillages. réalisé en 1935 par Jacques feyder, La Kermesse héroï-que obtint l’année suivante le Grand Prix du cinéma français.Projection du film lors du festival de cinéma Travelling Bruxelles, du 7 au 14 février à Rennes.

Femme de tête C’est un événement en Grande-Bretagne. Le nouveau film de Phyllida Lloyd retrace des frag-ments de la vie de Margaret thatcher, première et unique femme Premier ministre du royaume-Uni de 1979 à 1990. La Dame de fer révèle un portrait intimiste et surprenant de l’une des personnalités féminines les plus influentes du xxe siècle, porté par l’actrice Meryl streep.En salles le 15 février.

Poésie et apartheid Dans les années 1960, dans une Afrique du sud bâillonnée par l’apartheid, le film de Paula van der oest raconte le parcours de la fille du minis-tre de la Censure, ingrid Jonker, qui trouve sa liberté d’expression dans la poésie.En salles le 22 février.

le passé du présent ouvrier Partant d’histoires locales, le réalisateur du do-cumentaire De mémoires d’ouvriers Gilles Perret finit par raconter la grande histoire des ouvriers des montagnes de savoie, les mutations subies et la menace de leur disparition par la logique économique de la mondialisation. Un documen-taire saisissant.En salles le 29 février.

Dr

Envoyez vos manuscritsEditions Persée29 rue de Bassano – 75008 ParisTél. 01 47 23 52 88 – www.editions-persee.fr

Les Editions Perséerecherchent

de nouveaux auteurs

Page 8: Le suaire de Turin : la vraie histoire d’un faux

’DOSSIER suaire de turin

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 2 f é v r i e r 2 0 1 2 52

l’auteurProfesseur à l’université de Genève, Jean Wirth est historien de l’art médiéval. Il vient de terminer une trilogie au Cerf : l’Image à l’époque romaine (1999), l’Image à l’époque gothique (2008) et l’Image à la fin du Moyen age (2011).

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Une peinture enLa comparaison du suaire de turin avec des

Jean Wirth a mené l’enquête.

Par Jean Wirth

L’avis des historiens de l’art a été peu sollicité dans les querelles sur le suaire de turin, sans doute parce qu’il peut paraître moins « scientifique » que celui des chimistes. Les historiens de l’art eux-mêmes manifestent

rarement, de leur côté, de l’intérêt pour une œuvre à ce point dégradée et, de surcroît, quasiment inaccessible. sans prétendre combler cette lacune, j’aimerais proposer quelques pistes d’analyse du point de vue de ma discipline.

L’absence de distorsion de la silhouette exclut qu’il puisse

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Une toile à l’ocre

très piteux étatœuvres d’art médiévales est riche d’enseignements. et livre des conclusions surprenantes.

une toile à l’ocre

notes* Cf. lexique, p. 42. 1. Cf. W. McCrone, « the shroud of turin : Blood or Artist’s Pigment? », Accounts of Chemical Research t. XXiii, mars 1990, pp. 77-83, consultable en ligne mcri.org/home /section/63-64 /the-shroud-of -turin.

I l n’est pas question de reprendre ici l’interminable discussion

sur l’authenticité du suaire*. Disons péremptoirement qu’il s’agit des restes d’une toile peinte a tempera vers 1355 pour la collégiale de Lirey en Champagne, comme l’ont déjà vu les enquêteurs diligentés par l’évêque de troyes à

l’époque (cf. Andrea Nicolotti, p. 40) et plus récemment les chimistes les moins prévenus1. L’absence de distorsion de la silhouette exclut qu’il puisse s’agir de l’empreinte d’un objet tridimensionnel.

son état de conservation a accentué son aspect fanto-matique qui favorise toutes les rêveries, ce qui s’explique

très bien : presque toutes les toiles médiévales peintes a tempera ont été détruites suite à leur dégradation rapide et le suaire n’aurait pas survécu s’il n’avait pas été considéré comme une relique*, d’autant plus qu’il avait été gravement endommagé par l’incendie de 1532 dans la sainte-Chapelle de Chambéry. n

Le suaire de Turincliché de Secondo Pia, 1898 (Châlon-sur-Saône, musée Nicephore Niepce)

s’agir de l’empreinte d’un objet tridimensionnel

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’recherche conquête de java

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 2 f é v r i e r 2 0 1 2 74

Le 22 juin 1596, une flottille de quatre navires

hollandais, comman-dée par Cornelis de Houtman, fait son en-trée dans la rade de la cité-état de Banten, au nord de Java. Les coques et les équipa-ges ont souffert des quinze mois passés en mer : sur les 249 hom-mes embarqués à l’île de texel, plusieurs di-zaines souffrent déjà du scorbut et de mau-vaises fièvres. selon les règles en usage en monde malais, le maî-tre du port de Banten, cité for-tifiée de 40 000 hommes, vient promptement s’enquérir des in-tentions des nouveaux venus, et leur offre à cette occasion des vi-vres et de l’eau fraîche.

soucieux de se fournir rapi-dement en poivre, le commandant Houtman se rend quelques jours plus tard au palais du régent de la ville et entame des pourparlers commerciaux. Las, la négociation achoppe bien vite sur quantité de points, financiers et diplomatiques. incapables de maîtriser les tenants et les aboutissants de la si-tuation politique locale, très tendue depuis la mort au combat du précédent souverain et l’accession au

trône de son fils, âgé de quelques mois à peine, les Hollandais se persuadent que les Javanais complotent contre eux. La si-tuation dégénère : Houtman fait bombar-der les remparts de la cité, puis mettre à la voile à la va-vite. Les vaisseaux errent plusieurs mois durant le long des côtes de Java et de Bali, se livrant tout du long à de sanglants pillages. Minés par les maladies et les dissensions, les équipages réclament l’arrêt de l’expédition. Après une traver-sée émaillée d’incidents, la flottille rega-gne les côtes hollandaises en août 1597. La vente du poivre laborieusement acquis à Banten ne suffit pas même à rembourser la mise des armateurs.

en dépit de ce calamiteux bilan, la Première Navigation des Hollandais – ainsi que la nomme l’histoire coloniale classique – fut considérée, à l’époque,

comme un accomplissement digne de tous les élo-ges. occupés à établir la légitimité de la Grande révolte contre l’empire hispanique de Philippe ii,

les historiographes des Provinces-Unies érigèrent la découverte de la « route de l’inde » en signe an-nonciateur de la défaite prochaine de l’armée des flandres – l’armée des Pays-Bas espagnols1. Depuis que Philippe ii avait joint à la couronne d’espagne celle du Portugal, en 1580, les vaisseaux hollan-dais se voyaient en effet privés d’accès à la pénin-sule ibérique et aux échelles du Levant : l’argent des épices leur échappait, qui assurait au trésor es-pagnol de confortables rentrées. Briser à la source le monopole ibérique sur le négoce du poivre (un précieux condiment utilisé également comme mé-

Les Hollandais sont-ils arrivés

à Java ?Les Javanais et les Malais du xvie siècle savaient écrire

l’histoire et tenaient même de grandes chroniques. Alors pourquoi n’ont-ils rien dit de l’arrivée des européens

sur leur île en 1596 ? Les leçons d’un silence.

Par Romain Bertrand

Décryptageen se penchant sur les textes malais et javanais contemporains de l’arrivée des Hollandais à Java, romain Bertrand a découvert que cet événement n’y était pas mentionné. se tournant vers les documentations hollandaises et portugaises, il s’est intéressé à la façon dont il avait au contraire été érigé là en un fait politique de prime importance. Ceci l’a incité à revisiter l’archive coloniale des « premiers contacts » pour écrire une histoire « à parts égales » de la rencontre entre europe et Asie du sud-est.

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L’auteurDirecteur de recherche au Ceri (Sciences Po), spécialiste de l’Indonésie moderne et contemporaine, Romain Bertrand vient de publier L’Histoire à parts égales. récits d’une rencontre Orient-Occident, xvie-xviie siècle (Seuil, 2011).

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L’ H i s t o i r e N ° 3 7 2 f é v r i e r 2 0 1 2 75

dicament) et des épices des îles Moluques revenait à porter un terrible coup à l’ennemi hispanique.

Principal chroniqueur de la cour itinérante du stathouder Maurice de Nassau, emanuel van Meteren reproduit intégralement, dans ses Mémoires à propos des États néerlandais (1608), le récit de la Première Navigation publié par Willem Lodewijcksz en 1598. Dans son traité sur L’Antiquité de la République batave (1610), Grotius, alors historiographe des états de Hollande, lie quant à lui étroitement les revers de l’armée des flandres et l’affirmation de la souveraineté hollan-daise sur la scène internationale aux voyages vers les indes orientales.

Ce triomphalisme laisse également sa mar-que dans le domaine des arts. Dans son Retour à Amsterdam de la Seconde Expédition aux Indes orientales2, peint en juillet 1599, le maître mari-niste Hendrick vroom montre, alignés en rade de texel sous un ciel lumineux, des navires pimpants, harnachés de velours et d’oriflammes d’apparat, entourés d’une nuée de chaloupes remplies de burghers (« citoyens ») endimanchés. C’est donc peu de dire que l’arrivée à Java des premières ex-péditions commerciales hollandaises « fit événe-ment » en europe.

un non-événement Mais la chose « fit-elle événement » de même

manière côté malais et javanais ? trouve-t-on men-tion des Hollandais dans les grandes chroniques de royauté insulindiennes du temps ? L’Histoire de Banten (la Sajarah Banten), composée par un scribe royaliste à l’orée des années 1660 n’évoque à aucun moment les Premières Navigations. elle décrit en revanche avec un grand luxe de détails les intrigues et les conflits entourant la succes-sion de Maulana Muhamad, mort l’année même de l’arrivée à Java des Hollandais. La Chronique de la Terre de Java (le Babad Tanah Jawi), ache-vée dans les années 1740 mais dont le « noyau an-cien » fut peut-être rédigé dès les années 1620, n’en dit pas un mot.

Les Hollandais n’apparaissent dans les chro-niques javanaises qu’à compter du moment où leur présence prend le sens d’un défi militaire et d’une menace politique, c’est-à-dire lorsqu’ils s’emparent, en mai 1619, d’une petite cité lige de Banten : la principauté portuaire de Jakatra,

qu’ils renomment « Batavia » et dont ils font le principal point de rendez-vous de leurs navires en insulinde. et encore continuent-ils par la suite à être tenus par les élites javanaises pour de sim-ples sudagar (« marchands ») : des êtres patauds, peu au fait des convenances aristocratiques, qui violent allègrement les règles ordinaires de l’al-liance et de l’entrée en conflit. Dans tous les tex-tes poétiques javanais de la période moderne, les marchands, autochtones comme étrangers, sont en effet considérés comme des êtres moralement inférieurs, que leur cupidité conduit à fouler aux pieds, non seulement les exigences palatines de l’honneur, mais aussi le goût de l’ascèse et du dé-pouillement propre aux gentilshommes.

Ce constat documentaire pave la voie à un em-barrassant questionnement. Dès lors que le fait même de leur « rencontre » n’eut pas la même pertinence pour les Hollandais et les Javanais, com-ment en tramer le récit sans léser la conscience histo-rique de l’une des parties ? s’en tenir aux extraits des do-cumentations qui, de part et d’autre, ont pour objet d’en détailler le dérou-lement, d’en pré-dire les effets ou d’en déplorer les conséquen-ces, c’est s’exposer à agréer, sans même y prêter garde, deux prémisses fondamentales de l’européocentrisme.

La première de ces pré-misses tient pour acquise la validité universelle des versions européennes du temps et de l’espace3. L’histoire coloniale euro-péenne ne s’embarrasse pas de considérations, autres que péjoratives, sur les manières malaise et javanaise de da-

La flotte de Houtman gagnant Java en 1596 (gravure hollandaise de 1646). A droite, le marchand est accoutré comme un grand seigneur ; à gauche, le régent de Banten porte à la ceinture un kriss (dague à lame ondulée).

Page de gauche et ci-contre : figurines de bois du théâtre d’ombres javanais, le

wayang golek (vers 1970). A gauche :

Jan Pieterszoon Coen, le

« fondateur » de Batavia ; à droite, Sultan Agung,

souverain de l’empire

de Mataram. Les Hollandais

sont figurés comme des êtres grossiers,

avec un nez protubérant et une dentition carnassière.

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