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7 LE TERROIR. FIN OU RENOUVEAU D'UNE NOTION Pierre BRUNET Université de Caen Résumé Le terroir est à la charnière des géographies physique et humaine. Mais il n'est pas synonyme de la plus haute qualité, qui dépend aussi d'autres facteurs (espèces cultivées, savoir-faire ...). La vogue des produits de qualité amène à s'interroger sur la relation entre le terroir et la qualité des produits agricoles qu'il fournit. Mots-clés Terroir, Production agricole, Qualité. Le terroir est une notion traditionnelle de la géographie rurale au même titre que le genre de vie. Aussi apparaît-elle quelque peu "ringarde" aux yeux d'une géographie mathématique et d'une agriculture prométhéenne. Néanmoins aujourd'hui on ne peut plus parler de qualité sans terroir que d'environnement sans paysage. Même s'il n'est pas un mot piège, terroir est un mot dont la définition n'est pas évidente. Cela vient déjà de son étymologie, le latin classique territorium ayant donné les doublets, "territoire" qui désigne la terre considérée d'un point de vue administratif et politique, et "terroir" qui évoque la terre envisagée comme productive. Le terroir est ainsi une lecture des conditions naturelles en terme agricole. C'est ainsi que le définissent aussi bien les dictionnaires classiques ("terre considérée par rapport à l'agriculture", dictionnaire Larousse universel; "étendue limitée de terre considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles", dictionnaire Robert) que les dictionnaires spécialisés ("le terroir est une unité naturelle définie au sein de la région par des aptitudes agricoles particulières dues à la nature du sol, au microclimat local, à l'exposition des coteaux", dictionnaire agricole Larousse; "Territoire présentant certains caractères qui le distinguent au point de vue agronomique des territoires voisins", Lexique agraire de la Commission de géographie rurale). Cependant les historiens restent fidèles à la langue juridique ancienne pour laquelle le terroir désignait le territoire dépendant d'un village (ex. "X. vend 3 quartiers de terre en la delle de la Londe au terroir de Sainte Croix") et les géographes tropicalisants ont adopté le même sens ("portion de territoire appropriée, aménagée et utilisée par le groupe qui y réside et en tire des moyens d'existence", G.Sautter et P.Pélissier (1) alors que les autres géographes ruralistes préféraient le terme de finage pour identifier cette notion (2). I - L'INTERPRETATION AGRICOLE DES CONDITIONS NATURELLES Le premier des facteurs physiques qui conditionnent l'agriculture est le sol. Au début du XVIIe siècle Olivier de Serres écrivait déjà : "Le fondement de l'agriculture est la connaissance du naturel des terroirs que nous voulons cultiver"(3). Le sol est lié à la roche mère et à la pente. Il se caractérise par des éléments physiques, chimiques, minéraux et par l'eau qu'il contient. Le climat local y individualise des conditions atmosphériques liées aux altitudes, aux oppositions de versants qui influencent l'insolation, la température, la pluie, les troubles de l'air (4). Cahiers Nantais N° 43

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LE TERROIR. FIN OU RENOUVEAU D'UNE NOTION

Pierre BRUNET Université de Caen

Résumé Le terroir est à la charnière des géographies physique et humaine. Mais il n'est pas synonyme de la plus haute qualité, qui dépend aussi d'autres facteurs (espèces cultivées, savoir-faire ... ). La vogue des produits de qualité amène à s'interroger sur la relation entre le terroir et la qualité des produits agricoles qu'il fournit.

Mots-clés Terroir, Production agricole, Qualité.

Le terroir est une notion traditionnelle de la géographie rurale au même titre que le genre de vie. Aussi apparaît-elle quelque peu "ringarde" aux yeux d'une géographie mathématique et d'une agriculture prométhéenne. Néanmoins aujourd'hui on ne peut plus parler de qualité sans terroir que d'environnement sans paysage.

Même s'il n'est pas un mot piège, terroir est un mot dont la définition n'est pas évidente. Cela vient déjà de son étymologie, le latin classique territorium ayant donné les doublets, "territoire" qui désigne la terre considérée d'un point de vue administratif et politique, et "terroir" qui évoque la terre envisagée comme productive. Le terroir est ainsi une lecture des conditions naturelles en terme agricole. C'est ainsi que le définissent aussi bien les dictionnaires classiques ("terre considérée par rapport à l'agriculture", dictionnaire Larousse universel; "étendue limitée de terre considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles", dictionnaire Robert) que les dictionnaires spécialisés ("le terroir est une unité naturelle définie au sein de la région par des aptitudes agricoles particulières dues à la nature du sol, au microclimat local, à l'exposition des coteaux", dictionnaire agricole Larousse; "Territoire présentant certains caractères qui le distinguent au point de vue agronomique des territoires voisins", Lexique agraire de la Commission de géographie rurale). Cependant les historiens restent fidèles à la langue juridique ancienne pour laquelle le terroir désignait le territoire dépendant d'un village (ex. "X. vend 3 quartiers de terre en la delle de la Londe au terroir de Sainte Croix") et les géographes tropicalisants ont adopté le même sens ("portion de territoire appropriée, aménagée et utilisée par le groupe qui y réside et en tire des moyens d'existence", G.Sautter et P.Pélissier (1) alors que les autres géographes ruralistes préféraient le terme de finage pour identifier cette notion (2).

I - L'INTERPRETATION AGRICOLE DES CONDITIONS NATURELLES

Le premier des facteurs physiques qui conditionnent l'agriculture est le sol. Au début du XVIIe siècle Olivier de Serres écrivait déjà : "Le fondement de l'agriculture est la connaissance du naturel des terroirs que nous voulons cultiver"(3). Le sol est lié à la roche mère et à la pente. Il se caractérise par des éléments physiques, chimiques, minéraux et par l'eau qu'il contient. Le climat local y individualise des conditions atmosphériques liées aux altitudes, aux oppositions de versants qui influencent l'insolation, la température, la pluie, les troubles de l'air (4).

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Une remarquable démonstration en a été faite par H.Enjalbert en opposant les terreforts et les boulbènes du pays toulousain (5). Les terreforts correspondent aux terroirs des coteaux de molasses avec des pentes de 8 à 15%, des sols argilo-calcaires à pouvoir absorbant notable, insensible à l'érosion, mais difficile à travailler s'ils ne sont pas bien ressuyés . Les boulbènes tapissent les grandes nappes alluviales à très faible pente de leurs sols sableux, légers, lessivés qui donnent des terres pauvres chimiquement, meubles mais noyées en hiver et facilement glacées en surface. La montagne multiplie les situations différentes. Sur les hautes terres du Massif Central A.Fel a distingué de nombreux complexes pente-sol-eau-climat local : le cam, sommet plan balayé par la neige et le vent aux sols non renouvelés par les colluvions, le puech, colline granitique de formes douces et de sols aisés à labourer, la combe, vallon enrichi de limons et d'argiles et d'eaux qui s'écoulent normalement, les sucs et les côtes aux pentes fortes tapissées de pierrailles souvent incultivables; les sagnes, fonds mouilleux, parfois tourbeux, toujours marécageux après la pluie et la fonte des neiges et qui favorisent les brouillards et les gelées matinales (6) . Sur les plates-formes cristallines de l'Afrique des interfluves aux rivières, se succèdent les cuirasses ferrugineuses impénétrables aux racines, les champs de cailloutis puis les sols sableux sans réserves mais faciles à travailler à main d'homme et enfin les sols argileux et humifères des vallons inondables qui demandent une grande force de travail et peuvent prolonger les cultures au-delà de la saison humide (7). Ailleurs, dans les deltas asiatiques l'inégale durée de la submersion est le facteur discriminant des terroirs émergés, inondés saisonnièrement ou constamment recouverts d'eau (8).

Ces caractères des différentes composantes naturelles des terroirs leur accordent­ils une valeur agronomique, et plus encore une aptitude, une vocation agricole ? Ces termes ambigus exigent d'être utilisés avec précaution. La valeur qui leur est attribuée dépend de nombreux autres facteurs . Ainsi comment expliquer le contraste entre l'attitude des paysans d'Afrique tropicale qui ont préféré les sols sableux des interfluves aux sols argileux et humides des fonds de vallées, et celle des paysans d'Asie sud-orientale et méridionale qui ont aménagé ceux-ci en rizières et exploité ceux-là de manière extensive (Dekkan), quand ils ne les ont pas · négligés (Chine) ? Seules des différences de civilisation agraire et de densité ou peuplement peuvent être évoquées . La technologie dont disposent les agriculteurs modifie leur appréciation d'un même terroir. En Champagne crayeuse les rendzines blanches dépourvues d'argile et dévoreuses de matière organique mais labourables avec si peu d'énergie, ont été successivement considérées comme attractives par les villageois de l'époque de la Tène sans grandes forces de travail , puis méprisées, juste bonnes à faire des savarts pastoraux ou des reboisements, avant d'attirer à nouveau les agriculteurs actuels capables de les fertiliser par les engrais verts et soucieux de diminuer leurs coûts de production (tracteurs de faible puissance, main d'oeuvre réduite) . Les techniques collectives d'encadrement sont à la source de la valeur des terroirs des grands périmètres d'irrigation ou des polders qui sans elles demeureraient inaccessibles à l'agriculture. Selon la dimension des exploitations, l'attention portée aux nuances différentes des terroirs varie beaucoup . La petite ferme recherche toutes les possibilités tandis que la grande exploitation mécanisée n'est plus sensible qu'aux conditions d'utilisation de son matériel. Ainsi en Lauragais les métairies mettaient en valeur toutes les nuances différentes des terroirs des collines de Terrefort : le bois de chênes pour la glandée sur le versant nord, la vigne sur la boulane, les labours des pentes et les prés des vallons. L'achat de ces propriétés par les pieds-noirs ou leur reprise en gestion directe a substitué la grande exploitation céréalière et ses immenses parcelles indifférentes . On aboutit à la même négation des terroirs offert par la topographie de moraine de fond dans les entreprises collectivisées du Mecklembourg ou de Poméranie. Et on rappellera pour mémoire que les élevages hors-sol et les serres représentent la phase ultime dans cet effort pour "s'affranchir des terroirs ".

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Dans cette perspective les agriculteurs peuvent aménager les terroirs et leur donner des caractères différents (9) . Les transformations affectent le relief. Dans des régions assez localisées des terrasses remplacent la pente (pays méditerranéens, Java, Philippines, Andes) quand des populations suffisantes sont capables de les construire et de les entretenir (10). Aussi toute évolution démographique régressive les condamne rapidement (Cévennes). Les rideaux, résultat moins volontaire des pratiques de labour, sont moins fragiles. L'aménagement en rizières des plaines alluviales et des basses pentes par aplanissement et construction de diguettes a une extension beaucoup plus considérable qu'en Asie.

Les caractères des sols sont susceptibles d'être modifiés (11). Dès que les moyens de transports, surtout le chemin de fer, l'ont rendu possible, le chaulage des terres acides a déclenché le recul des landes et sonné la fin des segalas. Aux Pays-Bas, dans la province de Groningue, dans les tourbières asséchés un sol artificiel a été créé par le mélange du sable, de la couche supérieure de la tourbe, d'ordures ménagères et de divers amendements . Grâce à l'utilisation de l'engrais humain les villes chinoises sont entourées d'auréoles de fertilité décroissante. Le long de certains littoraux l'usage des amendements et des engrais marins y a localisé des terroirs artificiels. Le goémon a fait du Gandara sableux portugais une plaine de cultures quand les Landes de Gascogne méritaient bien leur nom. Les modifications du régime hydrologique sont sans doute les plus générales. Le drainage des plaines paludéennes du monde méditerranéen a radicalement changé leurs caractères. Faut-il citer les effets de l'irrigation dans les grands périmètres conquis sur les déserts au cours de ce siècle, ou ceux du passage de l'irrigation saisonnière à l'irrigation pérenne en Egypte depuis la mise en service du Sadd-el-Ali. Et face à la mer les polders représentent le passage de la submersion biquotidienne à l'émersion, de l'eau salée à l'eau douce.

Parfois certains aménagements qui modifient les caractères des terroirs ont des effets involontaires qui montrent la complexité de ceux-ci. Le remembrement du vignoble de Kaiserstuhl en pays de Bade a généralisé de larges terrasses aisément taillées dans la couverture de Loess. Or compte-tenu de l'inclinaison des rayons solaires à cette latitude la suppression de la pente a diminué l'insolation directe et par suite la température maximale au sol de 5 à 10°, tandis que les pièges à air froid que constituent ces grandes terrasses augmentaient les risques de gel au printemps et en automne. Le résultat a aussi été un abaissement du degré alcoolique des moûts et des pertes de récoltes fréquentes (12). Autre exemple, le drainage des marais tourbeux (Everglades de Floride ou Fens d'Angleterre) provoque un affaissement du terrain de plusieurs mètres qui accroît les risques d'inondation à partir des rivières, et rend le sol si sec et pulvérulent qu'il offre prise à l'érosion éolienne et aux feux.

Ainsi le terroir, ensemble de conditions naturelles, peut être modifié dans celles-ci par les sociétés rurales qui l'exploitent tandis que son interprétation agricole dépend de ces sociétés, de leurs techniques et de leurs organisations. Le terroir est donc intimement à la charnière des géographies physique et humaine (13). Il est un des maillons nécessaires d'une géographie globale.

Il - LE TERROIR EST-IL RESSUSCITE PAR LA RECHERCHE DE LA QUALITE?

On assiste depuis quelques années à une vogue des produits de qualité et des produits d'origine déterminée. Les premiers dérivent d'une réaction contre la banalisation des aliments de grande consommation et de soucis croissant d'hygiène sanitaire encouragés par les mouvements écologistes. Les seconds accompagnent le désir des citadins de retrouver des racines régionales et de ne plus consommer uniquement des produits transformés présentés sous une marque publicitaire. Au prix d'une certaine

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confusion, ces deux notions tendent à s'assimiler. Et le géographe doit s'interroger sur cette relation entre un terroir et la qualité des produits agricoles.

La vigne offre sans doute une des meilleures entrées pour réfléchir sur cette question des rapports entre terroir et production, entre terroir et cru (14). Le terroir n'a pas toujours été privilégié. Roger Dion minimisait son rôle en affirmant que le vin était l'oeuvre des hommes et du commerce avec un rôle très fort du climat qui distinguait les régions septentrionales de marge de la Méditerranée sèche (15). Les Californiens ont le même jugement en pensant que les bons vins se font avec de bons climats, de bons cépages et de bons techniciens. Henri Enjalbert, pourtant si sensible aux données morphologiques, rappelait qu'au XVIIe siècle, la notion de terroir était encore ignorée.

"Les grands vins ne sont pas nés sur des terroirs privilégiés, mais dans des pays touchés par une véritable révolution qui entraîna la rénovation des méthodes de culture de la vigne et de préparation du vin" (16). On a même préféré d'autres facteurs d'explication de la qualité, surtout les données sociales. On oppose le château, l'aristocratie foncière, les moyens financiers aux paysans dotés de petites surfaces et sans grandes possibilités d'investissements. Et il est incontestable que sur des superficies exiguës il est difficile de ne choisir que le bon terroir, de limiter sa production, de ne retenir que les raisins des vignes vieilles. Cependant d'autres chercheurs, tels ceux de la station INRA d'Angers, magnifient le rôle des terroirs dans une relation presque déterministe : sol et sous-sol­cépage-caractère du vin (17) .

Il paraît bien nécessaire de séparer la personnalité et la qualité du vin. Il semble que le complexe sol et sous-sol influence la personnalité (18). La vigne au cours de sa longue vie acquiert des racines profondes de plusieurs mètres qui atteignent la roche mère à condition qu'elle soit pénétrable et bien drainée. Plus le sol superficiel est maigre et pauvre, plus le rôle du sous-sol est important (terrasses de graves disséquées et sans limon du Bordelais, versants de débris calcaires de Bourgogne, schistes gélivés des pentes du massif schisteux rhénan ou de l'Alto-Douro). La relation entre ces données géo­pédologiques et le vin demeure encore mystérieuse : car elle passe par les cépages, certes liés à certains sols, mais qui donnent des produits assez variés sur des sols différents. La qualité dépendrait plutôt du climat annuel et se traduirait dans l'inégale valeur des millésimes.

La relation est encore plus imprécise pour d'autres végétaux que la vigne. Quand on a recherché les terroirs dignes d'une A.O.C. pour le cidre du Pays d'Auge, ce plateau de craie enrobé d'argile à silex, en partie recouvert de loess et défoncé par de nombreuses vallées aux versants argileux, on a aisément identifié des terroirs différents : fonds de vallées humides, versants en pentes modérées et à sols argileux, pentes fortes, chanfreins d'argile à silex pierreux, plateau de limons sur argile à silex assez mal drainé. En dehors d'un drainage correct et d'une certaine épaisseur de sol, les exigences du pommier sont mal connues, comme celles des différentes variétés. La délimitation ne peut s'appuyer que sur quelques exclusions. Il en est de même pour d'autres A.O.C. telles les cassis, carottes, lentilles ou olives .

Pour d'autres produits la relation devient encore plus difficile. Ce n'est pas seulement la part de l'aménagement du terroir mais le savoir-faire dans l'élaboration du produit qui prend un rôle croissant dans l'explication de la qualité (ou de la personnalité?). Le fromage de Roquefort constitue un cas exceptionnel puisqu'il se réfère non à un terroir de production de la matière première mais à un terroir d'affinage. Depuis 1411 on a reconnu les vertus spécifiques des caves installées dans les blocs de calcaire jurassique de la butte du Combalou, ce pan de la muraille effondré et disloqué du Causse du Larzac. Dépourvues de l'aération naturelle par les fissures, les autres caves ne pourraient être que bâtardes (19). Pour les autres produits laitiers on ne voit guère comment relier leur qualité à un terroir, sinon avec la flore de l'étage alpin sur certains

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substrats. Au-delà on quitte la référence à un terroir, même si l'indication géographique, d'ailleurs trop large, peut parfois être intéressante comme le jambon de Guijuelo qui correspond au complexe du pacage des porcs noirs ibériques sous la forêt claire des chênes-lièges et des chênes-verts. Et souvent la dénomination géographique cache en réalité un procédé de fabrication comme pour le camembert de Normandie.

Le terroir, même délimité, n'est pas synonyme de la plus haute qualité. La qualité, dont les définitions sont multiples (sanitaire, nutritionnelle, économique, organoleptique), a des origines variées. L'Institut National des Appellations d'Origine reconnaît que la qualité peut être abordée par la marque ou le cépage. Lui-même ne fait-il pas reposer l'A.O.C. non seulement sur un terroir mais sur des cépages, des savoir-faire et une notoriété (20)? Si les caractères d'un terroir sont relativement aisés à préciser par rapport à l'agriculture et à l'habitat, ses relations avec les variétés de plantes cultivées et la typicité de leurs productions demeurent un problème délicat à élucider. Enfin si les géographes se réjouissent de cette nouvelle vogue des terroirs, ils ne peuvent oublier qu'à partir du moment où le terroir supporte une appellation à valeur économique d'autres pressions sociales interviennent pour en profiter ou le pervertir.

Bibliographie :

1 . Sautter (G) et Pélissier (P) : Pour un atlas des terroirs africains. L'Homme, IV, 1964, p.56-72; Terroirs africains et malgaches. Etudes rurales, 37-38-39, 1970,555p. ; Atlas des Terroirs africains, vol.1, 1967, devenu rapidement Atlas des structures agraires au Sud du Sahara.

2 - Uhlig (H) ed. Materialen zur Terminologie der Agrarlands chaft. Vol.l. Flur und Flurformen. Giessen, 1967. Finage agricole = ensemble des terres cultivées, incultes et des forêts dépendant d'un lieu d'habitat.

3 - de Serres (0) : Le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs. Paris, 1601.

4 - Faucher (D) : Géographie agraire. Paris, 1949.

Sorre (M) : Fondements biologiques de la géographie humaine. Paris, 1943.

s - Enjalbert (H) : Les pays aquitains. Le modelé et les sols. Bordeaux, 1960.

6 - Fel (A) : Les hautes terres du Massif Central. Tradition paysanne et économie agricole. Clermont-Ferrand, 1962.

7 - Savonnet (G) Pina. Atlas des structures agraires Sud Sahara,4, 1970.

s - Gourou (P) Les paysans du delta tonkinois. Paris, 1936.

9- L'anglais to improve, améliorer, bonifier, souligne bien la finalité de ces opérations

10 - Sans population dense, l'aménagement de terrasses peut se poursuivre pour des productions de haute valeur (vigne, fleurs). cf BRUNET (P). Remembrement et réaménagement rural dans le vignoble de Franconie. Norois,93 ter, 1977, p 281-291.

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11 - En Soissonnais, sous le second empire, le labour profond à 40 centimètres mélangeait limons rouges et limons blancs lessivés qui les surmontaient. Il renversait la valeur des terres car le cadastre avait classé en terre labourable de 1ère catégorie les limons blancs plus faciles à travailler avec la vieille charrue picarde. cf BRUNET (P). Structure agraire et économie rurale des plateaux tertiaires entre la Seine et l'Oise. Caen, 1960.

12 - Endlicher (W) : Lokale Klimaveranderung durch Flurbereinigung das Bespiel Kaiserstuhl. Erdkunde, 34, 1980, s.17 5-190.

13 - D'où les définitions suivantes : "l'unité agronomique d'un terroir lui vient de ses qualités physiques originelles ou acquises par des aménagements humains" (Lexique agraire de la Commission de la Géographie Rurale); "Le terroir est une réalité écologique qui vit et meurt au rythme de la société rurale avec laquelle il s'identifie" (G.BERTRAND in G.DUBY et A.WALLON . Histoire de la France rurale.Tl, p.86, Paris, 1975). Belle illustration dans DION (R). La part de la géographie et celle de l'histoire dans l'explication de l'habitat rural du Bassin Parisien. Public.Soc .Géogr.Lille, 1946, p 6-80.

14 - Cru, substantif participial de croître, désigne ce qui croît dans un terrain, donc la production. "Le bouilleur de cru" est celui qui distille les produits de son propre cru, de son exploitation .

15 - Dion (R) : Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXème siècle. Paris , 1959.

16 - Enjalbert (H) : Histoire de la vigne et du vin. Paris, 1975. - Enjalbert (H) : Comment naissent les grands crus . Ann .E.S.C., 1953,

p.1-32.

17 - Cf. Les recherches de Morlat (R) et Asselin (Ch) sur le vignoble du Saumurois à l'INRA d'Angers .

18 - Pomerol (Ch) : Terroirs et vins de France . Orléans, 1984.

19 - Mergoil (G) : Le Rouergue . Toulouse, 1982.

20 - 1.N.A.0. Rapport de politique générale. 25-26 juin 1992.

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