36
LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L. Université Paris 7 Le nom et le reconnaître sont des circonstances d’élimination de la chose même. Paul VALÉRY En el libro tercero de la Retórica, Aristóteles observo que toda metáfora surge de la intuición de una analogía entre cosas disímiles[...]. Aristóteles, como se ve, funda la metáfora sobra las cosas, y no sobre el lenguaje. 2 Jorge Luis BORGES, Historia de la eternidad PROLOGUE Contre les habitudes que nous avons contractées de nommer et de classer, il semble y avoir un remède : la métaphore. Elle peut susciter une perception neuve et vive des choses. Aristote déjà l’affirme. Premier à l’appeler metaphora, à en dessiner une théorie, il lui donne une place 2 “ Dans le livre III de la Rhétorique, Aristote remarque que toute métaphore surgit de l’intuition d’une analogie entre des choses dissemblables […]. Aristote fonde, comme on peut voir, la métaphore sur les choses, et non sur le langage ; les tropes relevés par Snorri résultent (ou paraissent résulter) d’un processus mental, qui ne perçoit pas d’analogie, mais combine des mots ”. Borges (1936/97, 80), traduction de Daniel Oskui.

LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

  • Upload
    others

  • View
    5

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

LE TEXTE COMME MILIEUNATUREL DE LA MÉTAPHORE –

OU POURQUOI UN LION N’ESTPAS TOUJOURS COURAGEUX.

Daniel OSKUIC.I.E.L. Université Paris 7

Le nom et le reconnaître sont des circonstances d’élimination de la chosemême. Paul VALÉRY

En el libro tercero de la Retórica, Aristóteles observo que toda metáfora surgede la intuición de una analogía entre cosas disímiles[...]. Aristóteles, como seve, funda la metáfora sobra las cosas, y no sobre el lenguaje.2Jorge Luis BORGES, Historia de la eternidad

PROLOGUE

Contre les habitudes que nous avons contractées de nommer et declasser, il semble y avoir un remède : la métaphore. Elle peut susciter uneperception neuve et vive des choses. Aristote déjà l’affirme. Premier àl’appeler metaphora, à en dessiner une théorie, il lui donne une place

2 “ Dans le livre III de la Rhétorique, Aristote remarque que toute métaphore surgitde l’intuition d’une analogie entre des choses dissemblables […]. Aristote fonde,comme on peut voir, la métaphore sur les choses, et non sur le langage ; les tropesrelevés par Snorri résultent (ou paraissent résulter) d’un processus mental, qui neperçoit pas d’analogie, mais combine des mots ”. Borges (1936/97, 80),traduction de Daniel Oskui.

Page 2: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003privilégiée parmi les composants de l’expression, tout en soulignant sonoriginalité et son pouvoir d’évocation perceptive :

Le plus important de beaucoup, c’est de savoir faire des métaphores. Car celaseul ne peut être repris d’un autre, et c’est le signe d’une nature bien douée ; carbien métaphoriser [metapherein], c’est voir [theôrein] le semblable [tohomoion]3.

“ To eu metapherein to to homoion theôrein estin ” 4 : petite phrase quidonnera matière à une réflexion millénaire. L’art de la vision métaphorique(theôrein) : est-ce voir, apercevoir ou concevoir le semblable (to homoion) ?Par construction conceptuelle, comme suppose le cognitivisme ? Parcomposition linguistique, qu’Aristote appelait lexis ? Ou juste par“ intuición ”, comme nous dit Borges ? Dans le livre III de la Rhétorique,rédigé après la Poétique, Aristote apporte une touche de précision.Renouvelant l’éloge du metapherein (III, 2, 8), il étend sa portée à desdiscours autres que poétiques : “ En philosophie aussi, il faut de la sagacitépour apercevoir le semblable dans les choses qui sont éloignées ” (III, 11,1412a). Paradoxe de la vision métaphorique : voir loin, c’est faire secontredire les choses.

Paradoxe qui incitait Platon et d’autres à bannir les poètes de la cité.Paradoxe que les surréalistes, suivant Isidore Ducasse, pousseront à sonparoxysme. Faux paradoxe cependant – pour peu qu’on ne s’enferme pas dansun idéalisme réaliste, ni dans un réalisme positiviste. Le goût de la métaphoredépend en effet du rapport à l’Être. Aristote, lui, y prend plaisir et la défend5.Grand empiriste réfléchi de son temps, il ne se lasse pas de collectionner et dedécrire les exemples qui prouve la justesse du metaphorein – mots des poèteset des rhéteurs. En premier, Homère, dont il nous lègue une citationretouchée, sempiternelle métaphore peut-être jamais vraiment comprise : “ celion s’élança ”. Quel lion ? Et quel Achille ?6

Deux millénaires plus tard Borges éprouve le besoin de nous rappeler laprofonde vision d’Aristote : “ toda metáfora surge de la intuición de unaanalogía entre cosas disímiles ”. Borges argumente contre ceux qui parlentd’elle comme d’un artifice de style, tel Snorri Sturluson7. Il faut “ fonder la

3 Poétique (1459a 5-8), trad. Dupont-Roc et Lallot (1980), modifiée par moi.4 Mot à mot : “ le bien métaphoriser, le semblable apervoir est ”.5 Y aurait-il eu, après la condamnation platonicienne, de telles discussionsmillénaires autour de la métaphore sans le plaidoyer poétique et rhétoriqued’Aristote ?6 Rhét. (III, 4, 1406b). Aristote ne cite pas textuellement Homère, cf. Iliade, XX,164.7 Snorri présente, vers 1220, l’art “ scalde ” de la métaphore (kenningar), dansl’Edda Prosaica, par exemple : “ mouette de la haine, cousin de l'aigle, cheval dela sorcière ” pour ‘corbeau’. Borges (1936/97, 47-86) collectionne cespériphrases énigmatiques avec un plaisir irrépressible, “ philatélique ”, nous

62

Page 3: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

métaphore sur les choses ”. Le mot métaphorique n’est pas un jeu de mots.Encore faudrait-il préciser si l’on parle de la métaphore d’invention ou de

la métaphore d’usage. Car la métaphore est une éphémère, court est son séjouren dehors des conventions, puis elle tombe, lexicalisée – c'est ce queconsidèrent du moins les rhétoriciens classiques, comme Fontanier (1830,104). Aujourd’hui, deux positions s’opposent : la pragmatique cognitivecontextualiste (Sperber et Wilson 1986/89, Récanati 2004), en déniant à lamétaphore même la vivacité in statu nascendi, va jusqu’à la “ banaliser ”(selon la critique de Kleiber 1993). Le cognitivisme linguistique de Lakoff etJohnson, en revanche, finit par qualifier toute métaphore de “ vivante ”, carstructurant nos pensées et nos actions, elles “nous font vivre” (1980/85, 64).

La métaphore entre les mots et les choses, entre don perceptif etconstruction conceptuelle, entre vivacité et usure, entre goût et eurèka : voilàles schismes possibles. Faut-il choisir son camp ? Les débats sont anciens.De nos jours, ils sont repris dans la polémique que les conceptionsphilosophiques, cognitivistes et pragmatiques entretiennent avec la conceptionrhétorique, poétique et linguistique8. Depuis trois décennies, depuis cette autrerenaissance, interdisciplinaire, du phénomène métaphore – après celle del’humanisme et du baroque –, un consensus se dessine : c’est oiseux d’étudierla métaphore sur le seul plan linguistique. Aussi s’applique-t-on à démontrerses qualités “ extra-linguistiques ” : référentielles, pragmatiques etcognitives9. “ La métaphore réside dans la pensée, non pas dans les mots ”,résume Lakoff et al. (1989, 2). Aristote et Borges seraient donc en bonnecompagnie aujourd’hui.

Néanmoins, la métaphore est bel et bien une façon de parler : “ n’est-cepas en effet, demande Irène Tamba-Mecz (1981, 193), par la médiation dulangage que l’homme crée en l’objectivant sa vision du monde, des autres et delui-même ” ? Répondant par l’affirmative, Tamba-Mecz (1981), mais aussiMichele Prandi (1992, 1999) et François Rastier (1987, 1994b) tiennent àréhabiliter, chacun à sa manière, la dimension linguistique de la métaphorepour réévaluer son rapport à l’extralinguistique10. L’intuition d’Aristote serait-

menant d'une fascination première au plus sévère rejet de ces jeux combinatoires.8 Pour un développement magistral de ce débat, cf. Ricœur (1975).9 Cognitives : la métaphore restructure nos systèmes conceptuels (Lakoff etJohnson 1980/85, Klinkenberg 1999). Référentielles : elle fait découvrir, dansle monde, des ressemblances, elle “ re-décrit ” la réalité, en invoquant des états dechoses inouïs (Black 1962, Goodman 1968, Ricœur 1975, Kleiber 1984).Pragmatiques : elle incite à construire des interprétations pertinentes (Sperber etWilson 1986/89, Moeschler 1996) ; elle impose une “ expérienceidiosyncrasique ” (Détrie 2001).10 Cf. Prandi (1999, 190) : “ Lakoff et Turner (1989 : 2) écrivent : "La

63

Page 4: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003elle donc partielle ? Tout dépend comment on conçoit le rapport entre sens etréférence, sémantique et pragmatique, linguistique et cognitivisme.

Sans doute la métaphore est-elle un phénomène complexe. Sa révélationpasse par des approches diverses, et même contradictoires. C’est probablementparce qu’elle redistribue les dimensions extralinguistiques – de la parole –d’une manière “ étrange ”, “ énigmatique ”, comme dit Aristote (Rhét., III,2 ; Poét., 1458a). On pourrait dire que la métaphore, de par sa "manifestationlinguistique", altère trois dimensions extralinguistiques : la dimensionréférentielle, appelant une chose par un nom qui ne lui revient pas ; ladimension cognitive, appliquant un concept à un objet hors de sondomaine d’application ; et la dimension énonciative, imposant àl’interlocuteur une interprétation échappant à la langue commune.

Est-il donc nécessaire de séparer lesdites dimensions, d’en privilégierune ? La dialectique de la recherche semble prêcher pour un partage du travaildisciplinaire. Et puis progresser, c’est certes contredire les conceptualisationsprécédentes ou voisines pour les corriger. Aussi la conception prédicativecherche-t-elle à corriger la rhétorique de la substitution, la conceptionréférentielle à rectifier la théorie prédicative, la pragmatique à réparer lasémantique. Or toutes ces petites dialectiques partagent un motif commun :on cherche à recontextualiser ce que le devancier avait décontextualisé. Ons’attache à l’extralinguistique afin de surpasser l’immanentisme sémantique.Car, la métaphore portant une contradiction, comment croire que son senspuisse se cacher en elle ?

La critique de l’immanentisme que les approches extralinguistiquessupposent demande toutefois à être nuancée et élargie. D’une part lasémantique linguistique n’est pas condamnée à être immanentiste. D’autrepart, les conceptions référentielles, cognitivistes ou pragmatiques ont connud’autres formes d’objectivation du sens11. Est-il donc vraiment nécessaire dedétacher l’extralinguistique du linguistique pour combattre l’immanentisme ?Certes, les facettes de la métaphore ne se sont dévoilées que pas à pas, dansune dialectique interdisciplinaire, comme celle que Paul Ricœur a parcouruemagistralement. Mais chaque pas projette aussi son ombre.

Revenons donc au passé ! Plaidons à nouveau pour un point de vueancien : rhétorique et herméneutique. Parcourons, avec Ricœur et d’autres, les

métaphore réside dans la pensée, non pas dans les mots". […] Mais si celaimplique que le cycle de la métaphore s’épuise dans le domaine des concepts, sansl’intervention d’un pouvoir [linguistique] de mise en forme autonome, il y a de quoidiscuter ”.11 Cf. François Rastier (1994b)

64

Page 5: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

étapes habituelles, à savoir “ le mot, la phrase, puis le discours ”12, maispour en inverser la direction : d’abord le texte, ensuite ses composants.Étudions la métaphore avant tout dans son milieu naturel. Ni le mot, ni laphrase ne constituent un cadre suffisant. Pour être originale, vivante,percutante, la métaphore a besoin d’une manifestation linguistique capable dematérialiser et d’intégrer ses dimensions. Seul le texte peut, tout à la fois,l’inscrire dans son contexte, créer la tension contradictoire, restructurer nosconcepts, déterminer le mode de référence et orienter l’interprétation.

Telles seront nos hypothèses. Dans un premier temps, je voudrais endonner une preuve a contrario. Il s’agit de prêter attention aux aporiesqu’engendre précisément la séparation entre la dimension linguistiquesémantique et la dimension référentielle pragmatique. Je reviendrai auxorigines de ce divorce : au partage de l’héritage aristotélicien et à sa divisionen taxinomie rhétorique et analyse prédicativo-logique (I). J’étudierai ensuite lepartage correspondant entre sémantique et pragmatique (II). Finalement, jevoudrais montrer que l’orientation textuelle permet, sinon de résoudre, dumoins d’élucider les apories engendrées par ces divorces (III).

1. LA DOUBLE QUESTION D’ARISTOTE

Revenons aux origines : la vaste réflexion sur la métaphore qu’Aristotenous lègue s’engage dans deux directions. Dans la première, descendante,Aristote poursuit l’analyse, en parties, de l’expression linguistique, de lalexis. C’est par cette voie qu’il parvient à la définition d’une partie centrale :le mot, notamment le mot métaphorique. Dans la seconde direction,ascendante, Aristote cherche à déterminer la fonction du mot métaphorique, cetingrédient de la lexis qu’il célèbre : quel rôle la métaphore peut-elle jouer dansles différentes pratiques discursives ? Pour s’en être tenue uniquement à l’unedes deux directions, la rhétorique s’est scindée. Il s’agit dès lors de réhabiliterla seconde direction. En effet, Aristote donne une unique définition du motmétaphorique, tout en décrivant en détail ses fonctions distinctes. Comme lerésume Ricœur : “ Poésie et éloquence dessinent deux univers de discoursdistincts. Or la métaphore a un pied dans chaque domaine ” (1975 : 18).

12 La métaphore vive de Ricœur trace un “ mouvement qui porte de la rhétorique à lasémantique et de celle-ci à l’herméneutique ” - mouvement proprement dialectique,qui “ ne vise pas réfuter l’une par l’autre ” (1975, 12, 63). Il “ suit [celui] desunités linguistiques correspondantes : le mot, la phrase, puis le discours ” (ibid.,7).

65

Page 6: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-20031.1. La question structurelle : l’“ epiphora ”

du nomLes réponses à cette double interrogation se lisent, sous forme

condensée, dans deux chapitres successifs de la Poétique (elles seront repriseset détaillées dans la Rhétorique, rédigée plus tardivement). À la premièrequestion, structurelle, Aristote répond dans le chapitre 21 (1457b 6-9) :“ metaphora de estin onomatos allotriou epiphora ”13 :

La métaphore est le transport [epiphora] à une chose d’un nom [onomato] quien désigne une autre [allotrion], transport ou du genre à l’espèce, ou de l’espèceau genre, ou de l’espèce à l’espèce ou d’après le rapport d’analogie [analogon].

Quatre traits de cette définition étaient en jeu tout au long de l’histoire dela rhétorique, de la poétique et de la philosophie (cf. Ricœur, 1975, 19-34).D’abord, Aristote privilégie comme unité linguistique le nom (onomato), i.e.mot “ doté de signification ”. Ensuite, il donne au terme metaphora un sensgénérique, comprenant non seulement la métaphore (selon l’analogie), maisaussi la synecdoque et la métonymie (transport du genre à l’espèce, etc.).Metaphora signifie donc trope. Troisièmement, ses différentes formes sedistinguent selon le parcours conceptuel du transport lexical (“ du genre àl’espèce, etc. ”). Finalement, la métaphore exprime un rapport référentiel,altéré : le nom apporté est “ étranger ” (allotrion) à la chose.

Or la tradition rhétorique se scinde en deux selon l’importance accordée àcette définition. Le premier parti pris adopte la totalité du projetaristotélicien : domestiquer la pratique rhétorique sans sacrifier sa forceparticulière ; l’intégrer dans la philosophie ; la réhabiliter, contre Platon, surla place publique, à côté de la science. Comme art intégral de la négociation,la rhétorique comprend l’argumentation, la psychologie des interlocuteurs etl’“ élocution ” (lexis). Le metapherein prend place dans ce vaste ensemble,jaugé selon les multiples paramètres de la situation oratoire. En revanche, lesecond parti pris, probablement dominant, réduit le projet aristotélicien à laseule élocution. La rhétorique n’est plus que stylistique : l’art du bene dicerechez Cicéron, du bene scribere chez Quintilian, finalement l’art du seul tropechez Fontanier14. Isolée de son contexte pragmatique, l’elocutio se transformeen pur décor, la métaphore en fioriture. Cette rhétorique, appelée “ restreinte ”par Gérard Genette (1970), n’est plus une arme sur le forum ; c’est une

13 Mot à mot : “ la métaphore est le transport (epiphora) d’un nom (onomato)étranger (allotrion) ”. Je cite la trad. de J. Hardy, Belles Lettres, 1932.14 Cicéron, par ailleurs fidèle à Aristote, marque déjà le changement, l’intérêtgrandissant pour le style : “ L’éloquence est tout entière […] dans l’élocution.[…] Les autres qualités de l’orateur ne sont pas sa propriété exclusive : mais lasouveraineté de la parole n’appartient qu’à lui ”. L’Orateur, XIX, trad. J. M. Nisard,Paris, 1859.

66

Page 7: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

botanique des figures.En détachant la métaphore de son contexte linguistique (lexis), de sa

vertu argumentative (aretè) et de sa situation communicative (politique,juridique, panégyrique, etc.), cette rhétorique finit par persifler lefonctionnement de la métaphore. La situant sur l’axe paradigmatique, onsuppose qu’il existe toujours un mot littéral, un “ double virtuel ”, apte à laremplacer15. Aristote lui-même semble préfigurer cette idée de la substitution,avec l’interprétation qu’il donne de la métaphore d’Homère : “ l’homme etl’animal étant tous deux pleins de courage, il nomme par métaphore, Achilleun lion ” (Rhét., III, 4, 1). Ici, courageux se substitue, sans perte apparente, àlion. Autrement dit, lion acquiert une double signification, propre (‘grandfauve’) et figuré (‘courageux’), le figuré l'emportant sur le propre.

C’est à ces réductions, condensées dans le “ modèle de la substitution ”(cf. Ricœur 1975, 63-66), que l’on a attribué le “ déclin ” de la rhétorique au19ème siècle. A partir de la deuxième moitié du 20ème siècle, on peut constaterune renaissance de l’intérêt pour la métaphore – très différente d’ailleurs decelle qu’ont connue l’humanisme ou le baroque. La philosophie analytique dulangage prend conscience de la disparition de la rhétorique et cherche àl’expliquer : “ le déclin de la rhétorique résulte d’une erreur initiale qui affectela théorie même des tropes, indépendamment de la place accordée à latropologie dans le champ rhétorique ” (Ricœur, 1975, 64). Il importe dès lorsde redéfinir le “ fonctionnement sémantique ” des tropes – et cela non auniveau du mot, mais au niveau de la phrase (ibid.). Désormais, on soulignel’aspect syntagmatique, prédicatif et référentiel. Toute dénominationmétaphorique implique une prédication, une “ prédication impertinente ”précise Ricœur (1975, 194). Achille, ce lion implique Achille est un lion. Parconséquent, on ne peut substituer, sur l’axe paradigmatique, un mot à l’autre(courageux à lion) sans perdre, sur l’axe syntagmatique, l’effet provoqué par laphrase, par la confrontation entre le thème (Achille) et le foyer (lion) :l’“ interaction ” comme dit Black (1954).

Qui plus est, la prédication impertinente et l’interaction provoquée ontune raison référentielle. Suivant Goodman (1968) et Reddy (1969), Kleiber(1993, 1999) détermine la contradiction métaphorique en fonction d’uneopération de “ catégorisation indue ” (1999, 116-124). Cela se lit,rétrospectivement, dans la définition d’Aristote : l’epiphora est l’applicationd’un nom (lion) à un référent occasionnel (Achille) qui n’appartient pas à lacatégorie du nom (classe des lions). N’est-ce pas affirmer que la dimensionlinguistique (prédication) et extralinguistique (référence) sont entrelacées ?Selon l’image de Goodman (1968, 69) : “ la métaphore, c’est une idylle entreun prédicat qui a un passé et un objet qui cède, tout en protestant. ”.

15 Pour une présentation critique de la thèse substitutive, cf. Prandi (1992, ch. III).

67

Page 8: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-20031.2. La question discursive : l’“ aretè ” de la

lexisSi la philosophie analytique réhabilite le fonctionnement prédicativo-

référentiel de la métaphore en réinterprétant la définition structurelled’Aristote, elle ne s’intéresse pas pour autant au sort de la rhétorique dans sonintégralité16. On ne revient guère à la seconde question d’Aristote : quelle estla fonction de la métaphore dans la lexis ? Le chapitre 22 de la Poétique(1458a 18-31) avait pourtant esquissé une première réponse :

L'expression [lexis] la plus claire est celle qui recourt aux noms courants[kurion], mais elle est banale [...]. Au contraire, l'expression est imposante etsort de l'ordinaire lorsqu'elle emploie des noms inhabituels [xenikon] [...].Mais si un poète compose exclusivement avec ce genre de noms, le résultat seraénigme ou charabia [...]. Ce qu'il faut, donc, c'est un mélange [kekrasthai] desdeux.

Aristote s’intéresse ici à la “ vertu ” (aretè) de la lexis. Elle naît d’unarrangement entre deux traits contradictoires : être original et êtrecompréhensible. Cette qualité dépend d’un mélange heureux entre lesingrédients de la lexis : mot courant et mot métaphorique. La métaphore estpour Aristote l’ingrédient le plus important, car c’est elle qui “ nous donneune connaissance ” (Rhét., 1410b 13). Encore faut-il savoir la doser(kekrasthai) : en mettre trop, c’est rendre la lexis inintelligible ; en mettretrop peu, c’est la rendre banale. Ainsi Aristote étudie en détail la posologie dela métaphore, en vue de l’effet recherché : être “ instructif ” et“ savoureux ”17.

Une chose est remarquable ici : Aristote tient minutieusement comptedes différences entre les discours. D’une importance décisive pour le discoursrhétorique de même que pour le discours poétique, la métaphore n’y vise pasles mêmes effets (Rhét., 1405a). Dans le deux cas, elle est censée rendre plusnoble l’expression, provoquer la curiosité, surprendre l’auditeur (Rhét., III, 10et 11). Mais si le poème dramatique cherche à engendrer une katharsis, lediscours oratoire cherche l’effet persuasif, le pithanon . Si le poète a une plusgrande liberté, le rhéteur met la métaphore au service de l’argumentation : elledoit “ convenir ” au sujet traité et correspondre à l’univers et aux attentes del’auditoire (Rhét., III, 1), selon une psychologie de l’orateur (èthos) et del’auditeur (pathos) qu’Aristote développe dans le livre II de la Rhétorique.

Or, en se souciant ainsi de l’aretè de la lexis, Aristote prend en compte

16 C’est la philosophie du langage ordinaire, la pragmatique, qui recueillira,partiellement, cet héritage rhétorique.17 Cf. Rhét., III, 2, 1404b. Le “ mot étranger ” comme assaisonnement de lalexis : cette métaphore culinaire se lit chez Aristote lui-même, cf. Poétique (6,1449b 25).

68

Page 9: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

rien moins que la dimension textuelle, discursive et communicative de lamétaphore. Communicative, car le jeu entre clarté et originalité correspond àla double tâche du locuteur : trouver l’expression la plus percutante de saperception des choses et, en même temps, amener son interlocuteur à un lieudiscursif où cette perception peut être partagée18. Discursive, car la pratiquecommunicative dépend des pratiques sociales impliquant des discours et desgenres différents. Textuelle, car la qualité de l’expression et la tâcheénonciative ne peuvent se réaliser qu’à un niveau linguistique supérieur aumot ou à l’énoncé isolé : l’aretè est la vertu de la lexis, et non celle de lamétaphore isolée19. Celle-ci doit entrer dans une composition pour développerses effets. L’isoler, c’est produire une “ énigme ”, comme dit le passagecité20. Le lieu linguistique de la métaphore est le poème dramatique (poiema)ou le discours oratoire (logoi) – œuvres intégrales, entières et empiriques de lalexis. C’est l’objet fondamental de la rhétorique, mais aussi del’herméneutique et de la linguistique. Aujourd’hui, nous l’appelons “ texte ”.

1.3. Un schéma méthodologique : sémantiquede la signification vs pragmatique du sensOn observe ainsi des correspondances étonnantes. Si la tradition

rhétorique a partagé l’héritage d’Aristote en deux, ce partage s’est prolongédans d’autres séparations : entre rhétorique et philosophie analytique ; et puisentre sémantique et pragmatique. Partons pour l’instant d’un simple schémaméthodologique afin de situer ces divisions dans le cadre d’une théorie du senslangagier : opposons, provisoirement, signification et sens21. La sémantiquese propose d’étudier la valeur des unités décontextualisées (mot, phrase) : leursignification systématique en langue. La pragmatique, elle, étudie la valeur desunités contextualisées (énoncé, texte) : leur sens occasionnel, en fonctiond’un contexte de communication précis22. Si l’interprétation systématiqueadopte le principe prédicativo-logique de “ compositionnalité ”,l’interprétation contextuelle adopte le principe rhétorico-herméneutique selonlequel “ le global détermine le local ”.

18 Sur un développement de cette thèse, cf. Détrie (2001).19 L’énoncé-proposition (logos), la partie la plus complexe de la lexis, est, commele mot, un composant de la lexis qui, donc, les englobe ; cf. Poét. (20, 1456b 20).20 Certes, Aristote ne s’interdit pas d’isoler la métaphore, afin de définir saspécificité au palier du mot. Mais il ne perd jamais de vue ses fonctionsdiscursives.21 Théorie du sens langagier veut dire ici "sémantique" au sens large et général,comprenant à la fois la sémantique de la signification et la pragmatique du sens.22 Cf. Ducrot (1987) sur ces distinctions. Du point de vue d’une sémantique destextes, nous les mettrons en doute, cf. infra, III, et Rastier (1999).

69

Page 10: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003Sémantique Pragmatique

Uni t é mot, phrase énoncé, texteO b j e c t i f signification systématique sens occasionnelMéthode dé-contextualisation re-contextualisationSphère en langue (système) en contexte (texte, entour)Pr inc ipe compositionnalité le global détermine le local

Comment concevoir le rapport entre ces deux modes d’interprétation ?Cette question partage les conceptions. Le paysage s’étend entre deuxfrontières : l’attitude immanentiste cherche à atténuer, à neutraliser, même àescamoter l’incidence du contexte ; l’attitude contextualiste, elle, considère lasignification hors contexte comme un artefact.

2. SÉMANTIQUE ET PRAGMATIQUE DE LAMÉTAPHORE

Dans la lignée d’Aristote, on peut distinguer deux phases principales duprocessus métaphorique, mises en avant par maintes études contemporaines.En premier lieu, comme structure linguistique, la métaphore met en œuvre,hors contexte, la signification littérale des mots pour articuler la contradictionqui la caractérise. En second lieu, comme processus interprétatif, la métaphoreinterpelle ses contextes pour résoudre son incohérence dans un sens figuré23.On peut dès lors proposer, à la suite de Prandi (1992), un partage du travaildisciplinaire : la sémantique décrirait l’articulation de la contradictionmétaphorique ; la pragmatique expliciterait les conditions textuelles,référentielles et situationnelles de l’interprétation24. Cette complémentaritédisciplinaire peut-elle articuler les deux questions aristotéliciennes, de lastructure (epiphora) et de la fonction (lexis) ?

23 Prandi (1992, 135) distingue strictement “ entre la structure sémantique d’untrope – la mise en forme [linguistique] du conflit conceptuel […] – et la valeur demessage que le trope acquiert une fois qu’il est interprété dans un contexte donné ”.Kleiber (1999), opposant également ces deux phases, soutient cependant que latension métaphorique s’établit de manière référentielle, et non conceptuelle. SiRastier (1987, 135) conçoit ces deux phases, il n’admet plus le partage entresémantique et pragmatique. Nous y reviendrons (cf. infra III.1).24 Prandi (1992) n’emploie pas le terme de pragmatique. Sa Grammairephilosophique des tropes a néanmoins une structure diptyque. Le premier voletprésente une sémantique, prédicative et décontextualisée, de la contradictionmétaphorique. Le deuxième volet introduit la notion de “ champ interprétatif ”,concevant ainsi une pragmatique contextuelle de l’interprétation métaphorique (cf.ibid., interlude)

70

Page 11: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

2.1. L’immanentisme en sémantiqueMême si toute sémantique componentielle n’est pas immanentiste, les

hypothèses qui la sous-tendent peuvent induire une “ objectivationintrinsèque ” du sens (Rastier, 1994b) – objectivation qui rendincompréhensible la créativité de la communication et, a fortiori, celle de lamétaphore.

2.1.1. Sémantique more syntactico : l’“ anomaliesémantique ”

La sémantique générative de Chomsky, Katz et Fodor, en illustreprobablement le cas extrême :

(1) Colorless green ideas sleep furiously.Paradigmatique pour l’évolution de la linguistique, cet exemple cache

une double face : bien formé mais "asémantique", il illustre à merveillel’autonomie de la syntaxe ; mais, du même coup, il dénie l’importance de lasémantique. N’incombe désormais à la sémantique que l’explication desphénomènes "privatifs" du sens, notamment l’“ l’anomalie sémantique ” de laphrase (1). Elle est conçue à l’image leibnizienne d’une combinatoire –tentative que déjà Borges critique. En bon philosophe analytique, on rêvenéanmoins d’une sémantique more syntactico. S’appuyant sur lacompositionnalité, on définit dormir comme l’"action" d’un être animé,imposant au sujet le trait [+animé], incolore et vert comme attributs d’unnom [+concret], et l'on constate l’incompatibilité du sujet idée, défini par [–animé] et [–concret], avec son prédicat et ses attributs. Bref, la machinesémantique interdirait à Chomsky même de formuler son exemple fétiche.

La conception générative s’interdit ainsi de reconnaître à la métaphore unsens positif. Pourtant, la métaphore illustre, comme l’a reconnu Aristote, unepossibilité extrême, voire paradoxale, de la signifiance, d’autant plus originalequ’elle est contradictoire. C’est précisément l’incompatibilité entre homme[+humain] et roseau [+végétal] qui fait tout le charme de la métaphorepascalienne.

Bien avant la pragmatique de la pertinence, le psycholinguiste HansHörmann a insisté, dans la lignée de Karl Bühler et sa psychologie gestaltistedu langage, sur l’“ interprétabilité ” de la métaphore, démontrant la myopiede la sémantique générative (1972 ; 1976, ch. VII)25. L’erreur fondamentale

25 La psychologie gestaltiste du langage, de Bühler (1934) à Hörmann (1976),formulant le principe de la “ pertinence ” bien avant la pragmatique de Sperber etWilson (1986/89), enracine l’acte langagier dans la pratique. Cette pragmatiquegestaltiste est restée dans l’ombre depuis 1933.

71

Page 12: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003consiste à assujettir la sémantique à une logique a priori. En réalité,l’évaluation d’une métaphore s’opèrent a posteriori : une fois formulée, lamétaphore est jugée en contexte. Suivant Bühler et Hörmann, le “ vouloirdire ” (Meinen) et le “ vouloir comprendre ” (Verstehen) s’acheminent dansun contexte de pratique sociale, engagés dans une dynamique ouverte.Communiquer, c’est s’acheminer vers un sens, entre les demandeslinguistiques et les offres du contexte. Si, pour le générativisme,l’interprétation est algorithmique, l’interprétation contextuelle suit le principe“ téléologique ” que Hörmann (1976, 187) appelle, “ constance du sens ” :le désir de donner, en situation, un sens à toute expression, si énigmatiquesoit-elle. La pragmatique cognitive parle aujourd’hui de “ présomption depertinence ” (Moeschler, 1996), la sémantique textuelle de “ présomptiond’isotopie ” (Rastier 1987, 82). Aussi Hörmann peut-il imaginer un contextequi rend la phrase même de Chomsky intelligible : “ des idées incolores etvertes dorment furieusement ”26.

2.1.2. Sémantique structurale : métaphore et sélectionsémique

Comme la psychologie du langage et la pragmatique de la pertinence, lasémantique structurale, notamment française, adopte le point de vue plutôtinterprétatif que génératif : on cherche à décrire la valeur significative de lamétaphore après coup, une fois provoqué le “petit scandale sémantique”27. Auxyeux du Groupe µ (1970) et de Le Guern (1973), qui applique l’analysesémique aux tropes, l’incompatibilité des sèmes ne bloque pas la lecture, maisprovoque bien au contraire une interprétation : la “ sélection sémique ”.

Citant un exemple puisé dans le drame Hernani de Victor Hugo, LeGuern (1973, 41), affirme-il : “ quand doña Sol dit à Hernani : "Vous êtesmon lion", peu lui importe que le lion soit un quadrupède carnivore qui habiteen Afrique ”. Le foyer lion n’a pas ici son “ signifié habituel ” (ibid.), maisun signifié sélectif, recomposé selon le thème : le personnage Hernani.

“ Le signifié du mot "lion" est ce qu’il a y de commun aux deuxreprésentations, celle du lion et celle d’Hernani. Ou, plus exactement, ce quiparmi les divers éléments qui constituent la représentation du lion, n’est pasincompatible avec l’idée que l’on peut se faire du personnage d’Hernani […]ou, plus précisément, avec la vision que doña Sol peut avoir d’Hernani ”

26 Citons le contexte imaginé (1972, 328) : “ Quand Noam Chomsky, à l’âge de17 ans, passait ses vacances à la maison, sa mère entra dans sa chambre. Noamdormait déjà, s’agitant et grinçant des dents. Madame Chomsky, d’un regard tendre,dit doucement à son fils : "Well, well, colorless green ideas sleep furiously" ”. 27 Sur “ scandale sémantique ”, cf. Groupe µ (1970). Rastier (1987, 219) justifiela perspective interprétative, critiquée ensuite par Détrie (2001, 106ff.).

72

Page 13: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

(ibid.).Admettons que le signifié de lion, en langue, comporte les sèmes

génériques (cf. infra, note (44)) /animé/, /animal/, /félin/ et les sèmesspécifiques /grand/, /crinière brune/, /démarche majestueuse/, /courageux/.Suivant la tradition inaugurée par Aristote, Le Guern sélectionne comme sèmepertinent partagé de lion et d’Hernani, /courageux/ (ibid., 41). S’agit-il d’uneinterprétation immanentiste ? Le Guern semble en effet attribuer au foyer lionune signification initiale hors contexte ( ibid.).

En quoi la sémantique générative et structurale se distinguent-elles ici ?C’est que, selon la sémantique structurale, la signification globale de la phrasene se calcule pas par combinaison des sèmes impliqués. Elle résulte d’unprocessus de filtrage : la sélection sémique. Là où l’incompatibilité interdit lacombinaison, la sélection sémique rétablit la cohérence. Qu’est-ce qui guide lasélection ? Ce n’est pas le signifié du nom propre Hernani (puisque, a priori,il n’y en a pas). C’est, selon le passage cité, “ l’idée que l’on peut se faire dupersonnage d’Hernani ” ou “ la vision que doña Sol peut avoir d’Hernani ”.L’hésitation qui se lit dans ces formulations est parlante : en faisant appel àdes aspects contextuels, la description de Le Guern quitte ici, sans aucundoute, l’espace défini par l’immanentisme. Le portrait du personnaged’Hernani n’est pas inhérent au nom propre. Il apparaît à l’horizon du texte etde l’univers évoqué : pour nous de même que pour doña Sol, Hernani prendvie dans l’intrigue du drame située au 16ème siècle.

Le Guern conçoit les sèmes du foyer (lion) comme immanents au mot,les sèmes du thème (Hernani) comme provenant du contexte28. Un telcontextualisme implicite et restreint, soulève des difficultés importantes :

(i) Convient-il d’identifier le sens à la signification, le résultat de laréduction sémique au "signifié" même du foyer ? Cela participe de la doctrine,douteuse, du double sens : on attribue à un mot tout à la fois deux valeurs,littérale et figurée, dénotée et connotée, immanente et contextuelle.

(ii) L’appel au contexte s’impose-t-il uniquement lorsque l’expression nepossède pas de contenu inhérent, tel le nom propre (Hernani) et le pronom,déictique ou anaphorique ? En effet, Hernani peut littéralement nommer unlion de cirque.

(iii) Pourquoi limiter l’incidence du contexte au seul comparé ? Lavaleur du comparant lion ne s’actualise-t-elle pas également en contexte ?Pourquoi ne pas étendre le contexte au texte entier et son entour ? En effet,lion reçoit, dans l’ensemble de la pièce d’Hugo, maintes déterminations. Nousdevrons y revenir (cf. infra, III.3.1.)

(iv) La réduction sémique ne rappelle-t-elle pas la substitution lexicale ?

28 Ils sont “ inhérents ” dans le premier cas, “ afférents ” dans le deuxième, selonles termes de François Rastier (1987, ch. III), cf. infra, III.1.3.

73

Page 14: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003Dans les deux cas, l’interprétation est la même, qu'elle soit notée commesubstitut (courageux) ou comme sème (/courageux/). Mais le charme de lamétaphore de doña Sol ne réside-t-il pas dans ce qui discrimine comparant etcomparé, le lion et Hernani (alias Achille) ? Pas d’effets métaphoriques sanstension contradictoire.

2.2. Le contextualisme en pragmatiqueLa pragmatique affirme que la métaphore provoque des “ effets de sens ”

qui excèdent de part en part le linguistique. A la différence de la sémantique,elle reconnaît explicitement que le sens communicatif d’une phrase dépend deson usage dans une situation. De manière conséquente, la pragmatique de lapertinence de Sperber et Wilson (1986/89) parle du sens en termes d’“ effetscontextuels ”. Comment concevoir ces effets ? Comment passer de lasignification littérale au sens dérivé ? Ces questions particularisent lesconceptions pragmatiques. Partons de quelques énoncés, pris littéralement :

(2) a) Tu as déjà bu du maté ici ?b) Tu as déjà vu cette pièce ?c) Tu as déjà vu la nouvelle pièce de Sarah ?d) Un rouge

Selon la pragmatique contextuelle, les phrases (2a) à (2d) sontindéterminables, i.e. on ne peut déterminer leur contenu propositionnel horscontexte, ni évaluer leurs effets communicatifs. Ainsi, les déictiques dans (a)n’ont pas de contenu en langue, la pièce dans (b) n’est pas univoque, (c)ouvre, hors contexte, un horizon de plusieurs interprétations, (d) n’estcompréhensible qu’au comptoir d’un bistro…29. Le contenu littéral des cascités ne se détermine qu’en contexte : deixis, plurivocité, sous-déterminationet le cas de (d), que Bühler appelle “ parole empratique ” (1934, 155sq.)30.

2.2.1. Littéralisme minimaliste : le sens inférentiel dela métaphore selon Searle

Comme nous l’avons rappelé avec Rastier (1994a), si la sémantique peutavoir des tendances contextualistes et n’est pas immanentiste par principe, la

29 Quelle pièce est envisagée dans (b) : de théâtre, de collection, de rechange… ?Dans (c), si le syntagme établit une relation entre une pièce et la personne Sarah,Sarah est-elle l’auteur, le metteur en scène, la productrice ? Une expression comme(d), que Bühler (1934, 155) appelle “ empratique ”, s’interprète en situation sansdifficulté : dans un bistro, par exemple. L’exemple initial de Bühler est : einenSchwarzen (un [petit] noir).30 Sur un plaidoyer pour le contextualisme radical, cf. Récanati (1994 et 2004), oùl’on trouve une discussion minutieuse des différentes formes d’indéterminabilité.

74

Page 15: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

pragmatique n’est pas à l’abri des objectivismes. En fait, l’explicationpragmatique standard de la métaphore combine, suivant le schéma gricéenrepris par Searle, une certaine forme de littéralisme immanentiste à unecertaine forme de contextualisme objectiviste. Searle (1979/82) introduit ladistinction entre “ sens de la phrase ” et “ sens de l’énonciation dulocuteur ”, correspondant à la signification phrastique et au sens énonciatifsuivant notre schéma méthodologique. Cette distinction rend compte de ladifférence entre l’acte de langage direct, littéral, et l’acte de langage indirect,dérivé (ironique ou métaphorique). Le locuteur peut dire autre chose (sensénonciatif) que ne dit la phrase qu’il énonce (signification phrastique)31.

Le littéralisme en pragmatique, attitude dominante en philosophieanalytique, cherche à minimiser l’influence du contexte sur la significationphrastique. L’argument est simple : c’est la règle linguistique, et non pas lecontexte ou l’intention du locuteur, qui restreint l’aspect pertinent du contexte,déterminant le rôle qu’il jouera dans la définition du contenupropositionnel (je réfère au locuteur, ici au lieu de l’énonciation, etc.).Parfaitement spécifiée en langue, la référence au contexte reste donc minimalepour toute expression littérale (cf. la discussion chez Récanati, 1994).

Quant à l’emploi figuré, quel impact contextuel le littéralisme admet-il ? Reprenons les exemples avec lesquels John Searle ouvre son étude connuesur la métaphore (1979/82), deux métaphores non lyriques à dessein :

(3) a) Sally est un glaçon.b) Sam est un cochon.

L’interprétation de Searle demeure gricéenne : elle passe d’abord par uneétape littérale. L’auditeur identifiera Sally à l’objet glaçon, Sam à l’animalcochon. Mais ces propositions littérales, notées “ S est P ”, présentent une“ défectuosité ”, proche de l’“ anomalie ” dont parle le générativisme : Sallyn’est point un objet, Sam point un animal32. L’auditeur en conclut que lelocuteur entend communiquer autre chose, notée “ S est R ”. Or commentpasser du prédicat littéral P au prédicat R envisagé ? La signification une foiscoupée du sens, que sera leur lien ? C’est ici que Searle introduit le “ principefondamental ” de toute métaphore (1979/82, 131) :

“ Le principe fondamental de fonctionnement de toute métaphore est quel’énonciation d’une expression ayant un sens littéral […] peut, selon desmodalités variées qui sont propres à la métaphore, évoquer [call to mind] un

31 Dans l’acte langagier direct, signification phrastique et sens énonciatifs’identifient (il fait chaud ici signifie "littéralement" qu’‘il fait chaud’). L’acteindirect fait diverger signification et sens (avec il faut chaud ici, le locuteur peutsignifier : ‘peux-tu ouvrir la fenêtre’ (injonction polie) ; ou bien ‘la discussiontourne à la dispute’ (métaphore).32 Remarquons que pour établir la signification phrastique, Searle suppose que Samdésigne un être humain, donnée contextuelle qu’il n’explicite point.

75

Page 16: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003autre sens ”.

Parler d’“ évocation ”, n’est-ce pas déplacer la difficulté ? Searlel’admet, en constatant que le terme “ évocation ”, censé expliquer le passagemétaphorique de P à R , est lui-même “ métaphorique ” (ibid., 131, 152).Afin de rendre sinon littéral, du moins opératoire son principe, Searle introduitalors une “ stratégie ” d’interprétation plus concrète : “ Pour trouver lesvaleurs possibles de R quand tu entends "S est P", cherche en quoi S pourraitressembler à P ” (ibid., 154), stratégie qu’il détaille en énumérant huitconventions de la ressemblance33.

Nous voici de nouveau face à l’ancien principe aristotélicien, rappelé parBorges : la métaphore naît de la ressemblance entre les deux objets comparés,dissemblables par ailleurs. Ainsi, comme précise Searle, Sam peut partageravec un cochon les traits “ gras, glouton, sale, dégoûtant ” (ibid., 154). Ensomme, l’interprétation passe par les deux étapes que nous avons déjàmentionnées (cf. supra, II) : (a) reconnaître la défectuosité de la significationlittérale ; (b) imaginer les valeurs possibles pour R, afin d’en sélectionner,selon la ressemblance entre S et P, les valeurs pertinentes34.

Sélectionner les valeurs possibles et pertinentes : la stratégie searliennene rejoint-elle pas la sélection sémique et la substitution lexicale ? Toutdépend selon quel critère on sélectionne et où l’on cherche. L’approchegricéenne, remaniée par Searle, présente l’avantage de ne pas s’enfermer ni aupalier du mot, ni au palier de la phrase. Installée au niveau propositionnel, lathéorie ne semble pas présupposer un "double sens" : cochon ne signifie pas àla fois ‘cochon’ et ‘glouton‘, S est P ne signifie pas à la fois ‘S est P’ et‘S est R’. La phrase S est P ne fait qu’“ évoquer ” la proposition‘S est R’. Visant ainsi le sens énonciatif, Searle outrepasse la significationen langue et ouvre sur un contexte plus large – plus large encore que lecontexte de “ l’interaction ” entre le foyer et le thème, décrit par Black (1954)ou par Le Guern (1973). Il s’agit de chercher un autre prédicat R, selon laressemblance extralinguistique entre les objets comparés S et P. Cetteressemblance n’est en effet pas une affaire de significations linguistiques, maisde connaissances conventionnelles et de conclusions que l’allocutaire en tire –comme le montre les sept critères que Searle précise (cf. note (32)). En unmot, le sens ne se confond plus avec la signification35.

33 S peut ressembler à P selon des traits définitoires, des traits contingents, parpréjugé socialement partagé, par association scalaire, grâce à une proportion,selon une isomorphie et, par métonymie (!), (ibid., 156-160).34 Pour cela, on reconsidère le sujet S (Sam) : lesquelles des valeurs envisagéessont “ vraisemblables ” pour S (ibid., 154) ?35 La double signification et la confusion entre signification phrastique et sensénonciatif sont précisément les cibles de la critique que Searle adresse à larhétorique (de la comparaison) et à la théorie de l’interaction de Black ; cf.

76

Page 17: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

C’est paradoxalement toute la difficulté. Si l’allocutaire doit abandonnerla signification linguistique, s’il doit la couper du sens, à quel fil conducteurpeut-il s’attacher pour atteindre le sens du locuteur ? Qui coupe doit recoudre.De fait, l’allocutaire porte toute la responsabilité de la signifiance. En quête desens, il n’est guidé ni par le texte, ni par la situation concrète. Seuls lesconventions concernant la ressemblance lui servent de repères.

Le geste conventionnaliste de Searle demeure un geste aristotélicien. Le“principe fondamental” de l’interprétation métaphorique n’est finalement riend’autre que le principe de la ressemblance, déjà formulé par Aristote. Avec sessept critères de la ressemblance, Searle ne fait que détailler les quatre parcoursde l’“ epiphora ” (cf. supra, 1.1). Les parcours, au lieu d’être hasardeux,empruntent des sentiers balisés : ‘S est R’ remplace ‘S est P’ selon des“ associations ” prédéfinies. N’est-ce pas rejoindre le théorème de lasubstitution ?36 Ainsi l’interprétation suit-elle les “ associations ” de la doxa,qu'elles soient fondées sur l’ontologie aristotélicienne, sur des"préjugés" culturels ou sur le "savoir" scientifique. Rassuré, on tient denouveau le fil d’Ariane37.

2.2.2. Contextualisme radical : l’ajustement dessignifications et la métaphore "normalisée"

A l’encontre de la pragmatique littéraliste et conventionnaliste, lapragmatique contextualiste suppose que le contenu significatif de touteexpression, littérale ou figurée, n’est pas codifié linguistiquement, mais resteà élaborer en contexte. Issu de la philosophie du langage ordinaire (cf.Récanati, 1994, 2004) le contextualisme accentue la situation entièrementouverte des interlocuteurs : l’allocutaire ne peut se tenir aux seules règleslinguistiques ou pragmatiques, mais doit, au sens plein du terme, interpréterl’expression que le locuteur lui confie comme indice, affirment Sperber etWilson (1986/89). Contre les “ sémantiques intégrées ” (ibid.), Kleiber(1999, 85) réaffirme : “ L’interprétation […] n’est pas acquise par les règles

(1979/82, 131-140).36 Cet héritage rhétorique de Searle apparaît d’ailleurs, plus clairement encore,quand il reprend littéralement Fontanier (1827/30, 79, 87) pour redéfinirmétonymie et synecdoque (1979/82, 159). Sur un plaidoyer pour une distinctionclaire entre métaphore et métonymie, cf. Colette Cortès (1994/95).37 L’analyse des exemples que Searle mène ne peut infirmer ces objections. Laparaphrase Sam est glouton se substitue à Sam est un cochon. De même, Le Guern,aurait pu paraphraser par Hernani est courageux, au lieu sélectionner le sème/courageux/. Ces interprétations, qu'elles soient formulées sous forme lexicale,sémique ou propositionnelle, laissent perplexe : elles sont toutes équivalentes etpeu originales.

77

Page 18: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003du code, mais par inférence ; elle n’est pas donnée, mais calculée,construite ”. Ce contextualisme est radical et non conventionnaliste dans lamesure où l’inférence ne se fonde pas sur des conventions (i.e. la ressemblancechez Searle), mais sur une structuration du contexte global : les interlocuteursinterrogent, autant que possible et nécessaire, le texte, la situation et le savoir“ mutuellement manifeste ”. Ainsi, la communication reste une entreprise àrisque – ce que la métaphore illustre à merveille. Par exemple :

(4) Le distributeur a avalé ma carte de crédit.L’interprétation passe par l’activation contextuelle des scénarios

schématiques évoqués38. Dans cet exemple, que Récanati (2004, §5.5) reprendà d’autres, le mot distributeur évoque le scénario "retirer de l’argent à labanque" grâce au contexte interne (linguistique) établi par carte de crédit.Avaler, en revanche, évoque le schéma d’action d’un être animé, doté d’ungosier et capable d’y faire descendre de la nourriture. Or, la mise en relationsyntaxique de ces mots force l’allocutaire à attribuer l’action évoquée par leprédicat avaler à l’automate évoqué par le sujet distributeur, et d’instancier lecomplément carte de crédit en tant que argument "nourriture" du schéma"avaler". Pourtant, cette tentative d’interprétation se heurte à l’incompatibilitédes actions considérées. L’allocutaire va donc immédiatement “ ajuster le sensdes mots ” à la situation évoquée (cf. Récanati, ibid.). Il tentera une médiationentre deux possibilités extrêmes : concevoir le distributeur comme un animaldoté d’un gosier (lecture littérale) ; considérer qu’avaler désigne aussi l’actiond’un distributeur, i.e. ‘retenir’, (lecture substitutive). Ainsi, l’allocutaire finitpar créer un contenu propositionnel ajusté, intermédiaire, que l’on peutparaphraser par : "le distributeur a saisi, confisqué la carte de crédit dulocuteur". De même les schémas de lion, glaçon ou cochon serontaccommodés de manière à s’appliquer à Hernani, Sally et Sam .

C’est qui est curieux, c’est que le littéralisme et le contextualismeaboutissent, tous deux, à la même interprétation globale de la phrasemétaphorique. Leurs parcours interprétatifs diffèrent néanmoins. Si tous deux

38 Vu que les énoncés ne réfèrent souvent pas directement à la situation hic et nunc,le contextualisme a adopté une attitude cognitiviste et conçoit la significationcomme un potentiel d’évocation, plutôt que comme une situation réelle, unesituation schématique : un "scénario" et ses actants et actions correspondants(Récanati 2004, ch. 2.6). Or, contrairement à l’approche textuelle, la pragmatiquecognitive n’en tire pas les conséquences herméneutiques. Ainsi, le mot pièce peutévoquer le scénario de différentes pratiques relevant de différents discours etgenres : "vendre sa voiture à la casse", "collectionner des napoléons", "rénoverson petit studio", "aller au théâtre". Le contexte interne est donc bien plus que laphrase isolée, le contexte externe bien plus que la situation hic et nunc. Cf. surcette problématique herméneutique qui doit englober la problématique pragmatique,infra, III.1.2 et III.1.3.

78

Page 19: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

partent de la signification linguistique des mots avaler, lion , glaçon, etc., pourle littéralisme, cette signification est positive et pleine, alors que, pour lecontextualisme, elle est potentielle et différentielle. Dès le niveau de laphrase, les deux parcours divergent plus radicalement. Selon le littéralisme, ondétermine d’abord la signification, contradictoire, de la phrase, hors contexte.Seulement ensuite, on cherche à deviner par inférence le sens énonciatif,cohérent. Le contenu figuré est l’inférence secondaire d’un contenu littéralprimaire. Aux yeux du contextualisme, on réconcilie les contenus lexicauximmédiatement : dès le niveau lexical, avaler signifie ‘saisir’, ‘confisquer’. Lalecture primaire de la phrase est par conséquent déjà cohérente, figurée. Il n’y aplus de lecture littérale : ce n’est plus la signification, mais le sens des motsdéjà interprété en contexte qui entre dans le calcul de la proposition entière.Ainsi, la tension métaphorique reste éphémère, elle n’est ressentie qu’un seulinstant, pendant l’ajustement (cf. Récanati, 2004, 5.4-5.6). Rompant avec lelittéralisme gricéen, le contextualisme radical dissipe la contradiction etnormalise la métaphore. Est-ce, comme l’affirme George Kleiber (1993),“ banaliser la métaphore ” ?

3. LE MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHOREVIVE : LE TEXTE ET SON ENTOUR

Nous voici, avec la séparation entre la sémantique immanentiste de lasignification et la pragmatique contextualiste du sens, pris entre deuxextrêmes : ou bien, comme le fait le générativisme, concevoir la métaphorerésolument comme signification contradictoire, pour ne plus lui reconnaître desens ; ou bien, comme le fait le contextualisme radical, concevoirimmédiatement sa pertinence, pour manquer sa contradiction, sa métaphoricitémême.

3.1. Vers une conception textuelle du sens

3.1.1. Les apories de l’opposition entre sémantique etpragmatique et la doctrine du double sens

Certes, entre ces deux extrêmes se placent deux conceptionsintermédiaires, la sémantique de Le Guern et la pragmatique de Searle.Pourtant, même si elles admettent, côte à côte, signification contradictoire etsens pertinent, elles ne peuvent réellement satisfaire – la première étanthybride, la seconde dichotomique. Le Guern mélange immanentisme et

79

Page 20: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003contextualisme, en interprétant le thème (Hernani) en contexte et le foyer(lion) en langue, attribuant une double valeur au foyer, une sorte de polysémiecroisée de signification et de sens (Lion rappelons-le signifie, dansl'interprétation de Le Guern, à la fois ‘lion’ et ‘courageux’). Afin d’éviter unetelle description hybride et asymétrique, Searle coupe résolument lasignification du sens. Déterminer le sens, c’est alors passer par des opérationsextralinguistiques fondées sur l’activité inférentielle de l’allocutaire : il s’agitd’inférer ‘S est R’ à partir d’une ressemblance non linguistique entre ‘S’ et‘P’, fondée sur des conventions. La signification linguistique n’est dès lorsqu’un indice arbitraire d’un contenu à dériver. Elle ne fait que “ rappeler ”(call to mind), par sa “ défectuosité ”, la nécessité de chercher du sens, endehors d’elle. La signification signale le sens, comme la fumée le feu : voilàl’objectivation du sens en question.

En tous les cas, on perd de vue la lexis aristotélicienne, compositiondans laquelle la métaphore entre comme ingrédient pour déployer sa saveur.Du côté de Searle, on ne parvient pas à comprendre la métaphore comme unphénomène linguistique : pourquoi formuler une métaphore si on peutconcevoir et dire son sens en dehors d’elle ? Du côté de Récanati, on ne lit pasla métaphore comme métaphorique.

Un accord tacite, entre sémantique et pragmatique, est frappant ici : pourLe Guern, Searle et Récanati, la métaphore est une étape provisoire, qu’ils’agit de dépasser pour en reconstruire le sens39. En fin d’analyse, les troisconceptions demeurent dans le cadre d’une problématique ancienne : celle dudouble sens, héritage commun de la rhétorique, de l’exégèse chrétienne et del’herméneutique40. Citons la formulation tardive, laïcisée et limpide queFontanier (1827/30, 114) en donne avec sa définition de l’allégorie :

“ Elle consiste dans une proposition à double sens, à sens littéral et à sensspirituel tout ensemble, par laquelle on présente une pensée sous l’image d’uneautre pensée, propre à la rendre plus sensible et plus frappante que si elle étaitprésentée directement et sans aucune espèce de voile ”.

Trois suppositions fondent cette définition : (i) une unité peut avoir toutà la fois deux sens ; (ii) le premier “ voile ” le second ; (iii) le second sensest le principal. Comprendre une figure, c’est alors suspendre le sens littéralafin d’apercevoir le sens spirituel (figuré) – c’est dévoiler la figure. Or cetteopération allégorique est à l’œuvre dans les trois conceptions discutées : lasélection sémique destitue la signification du foyer (‘lion’) ; l’inférenceconventionnelle révoque l’indice ‘S est P’ ; l’ajustement contextuel dissoutla contradiction métaphorique – à chaque fois l’opération s’accomplit en faveur

39 Cf. Fontanier (1827/30, 66) : “ les figures des mots ” sont pris “ dans unesignification qu'on leur prête pour le moment, et qui n'est que de pur emprunt ”.40 Sur une critique de cette "doctrine du double sens", cf. Rastier (1987, 168ff).

80

Page 21: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

du sens principal à découvrir. En fin de compte, la métaphore n’est pas unestructure dynamique, mais un résultat ponctuel, isolé : paraphrase lexicale oupropositionnelle. L’argument de Searle est révélateur ici : “ dire qu’uneparaphrase de métaphore est médiocre, c’est dire aussi que la métaphore est unemédiocre paraphrase de sa paraphrase ” (1979/82, 129)41.

3.1.2. Contre le positivisme atomiste en pragma-sémantique

L’orientation prédicativo-logique a reproché à la tradition rhétoriqued’avoir, en se concentrant sur le mot (onomato), réduit la métaphore à unesubstitution (cf. supra, I.1.). Nous constatons à présent qu’il ne suffit paspour autant de se situer au niveau de la phrase pour résoudre les difficultéssoulevées par le modèle de la substitution et du double sens : Searle nesubstitue plus les mots, mais les propositions. Pourquoi les difficultéspersistent-elles ? C’est que l’on considère l’unité linguistique, le mot ou laphrase, comme un signe isolé. Le signe devient signal, atome, dans un face àface avec les interlocuteurs et les objets du monde. “ Or le signe isolé n’estpas observé empiriquement ”, remarque avec laconisme Rastier (1999, III.2).

Dans cette situation, il me semble souhaitable de revenir au point dedépart ancien : retrouvons l’objet empirique et intégral de la théorie du sens,littéral ou figuré. C’est le texte et son entour, que nous avons déjà entrevuchez Aristote considérant l’aretè de la lexis.

(a) Un palier de description n’est pas un objet de rechercheIl s’agit d’un changement épistémologique essentiel : il faudrait inverser

la direction de la dialectique de recherche adoptée communément (même parPaul Ricœur, cf. supra, la note (11) du prologue et la critique dans Oskui,2000b). Considérer, de manière tacite ou même explicite, le mot comme unitépremière, pour ensuite composer la phrase et, éventuellement, le texte, c’estconduire aux apories discutées. Il convient donc, au lieu d’adopter la logique dela compositionnalité suivant Frege, de concevoir d’emblée le texte commeobjet fondamental. Avec Rastier (1999, III.5), nous plaidons ainsi pour une“ refondation herméneutique de la sémantique ” : c’est le global qui déterminele local. Nous considérons dès lors le mot et la phrase (et la période, etc.)comme autant de segments de texte, ou de paliers de description – sans lesériger, isolés de leur texte, en unités positives et constitutives. C’estl’interaction des signes au sein d’un texte qui, d’une part, détermine la valeur

41 L’argument searlien de la symétrie entre métaphore et paraphrase suppose unethéorie vériconditionnelle du sens, cf. (1979/82, 128) – ce qui scinde le sens endénotation et connotation (ibid.), tout en affirmant la primauté du sens dénotatif :voilà une variante, connue, de la doctrine du double sens.

81

Page 22: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003de ses composants lexicaux, phrastiques, etc. et qui, d’autre part, crée lerapport aux pôles extrinsèques du texte : à l’univers de discours, à la situationpratique et aux interlocuteurs.

(b) Contextualité : dépasser l’opposition immanentisme - objectivismeLe signe, lexical ou propositionnel, isolé du texte, seul dans un face à

face avec les instances extralinguistiques : voilà l’origine de la confrontationentre sémantique et pragmatique, immanentisme et objectivisme. Il convientdonc d’inverser la hiérarchie entre signification et sens. C’est révoquer notreschéma méthodologique de départ (cf. supra, I.3.). L’objectif primaire de lasémantique des textes n’est pas la signification, artefact de théorie, mais lesens. Le sens est la valeur différentielle observable uniquement en fonction desquatre sphères de définition : une langue particulière (“ dialecte ”), unepratique discursive spécifique (“ sociolecte ”), un usage idiosyncrasique(“ idiolecte ”) et finalement le texte concret (cf. Rastier, 1987, 39sq.). Lavaleur différentielle minimale est le “ sème ”. Le sème ne représente pas unatome de signification, mais une relation sémantique entre au moins deuxunités qui s’inter-définissent, en langue, en discours et dans le texte. Lasémantique structurale conçue de la sorte n’est pas immanentiste ou“ intégrée ”, comme le prétend Kleiber critiquant tout “ traitementsémantique de l’interprétation métaphorique ” (1999, 83-85). L’analysesémique des textes n’est ni immanentiste ni objectiviste42. Elle est à la foiscontextualiste, pragmatique et herméneutique43.

(c) Primauté des exemples attestés : contre les artefacts théoriquesPlaider pour le texte, c’est plaider pour l’acte de parole singulier. Si le

sens se dessine de manière différentielle, il convient de respecter l’intégralitédu dessin que le locuteur fait à l’allocutaire. La caricature tronquée ne fait plus

42 Elle n’est pas immanentiste, car même le sème “ inhérent ”, i.e. défini enlangue, dépend de ce "contexte" virtuel qu’est le champ lexical d’une langueparticulière. Elle n’est pas objectiviste, car le sème n’est pas directement la qualitéd’un référent réel, ni la partie d’un concept cognitif universel, cf. Rastier(1987, 20-25).43 Il s’agit de s’installer en amont de la dichotomie entre sémantique etpragmatique, engendrée par la dialectique atomiste qui va du mot à la phrase.L’ambiguïté du terme ‘sémantique’ contribue à brouiller les problématiques. La“ sémantique interprétative ” de Rastier (1987) englobe les problématiquesrhétoriques, pragmatiques et herméneutiques, mais redéfinies au sein d’uneconception différentielle du sens textuel. Si Kleiber (1999, 90) critique lasémantique interprétative comme un “ modèle structural vitaminé ”, il entend"sémantique" au sens restreint (d’une sémantique de la signification, cf.supra, I.3). Il méconnaît ainsi la dimension pragmatique contextualiste de lasémantique interprétative et il ignore sa dimension herméneutique qui englobenécessairement la pragmatique (cf. aussi note (37)).

82

Page 23: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

rire. Autrement dit, produire (poiein), c’est produire un tout unique, commeremarque Aristote dans la Métaphysique (A 981 a 15).

Nous ne pouvons donc partager l’optimisme du positivisme logique etatomiste adopté en pragma-sémantique – formulé explicitement par Searle(1979/82, 153) : “ toutes les métaphores n’ont pas la simplicité desexemples que nous allons commenter ; néanmoins, le modèle forgé pourrendre compte des cas simples devrait se montrer capable d’une applicationplus générale ”. Or les exemples de Searle et d’autres sont “ simples ” entrois sens : non attestés, ils sont des artefacts de théoricien ; isolés de touttexte, ils sont réduits à la forme S es t P ; et ils sont coupés de leur situationpratique, de leurs discours et genre. Une sémantique des textes ne peutadmettre a priori aucune de ces simplifications. Aussi, dans les exemples(3a/b) concernant Sally et Sam , on est obligé de sous-entendre un "contextezéro", c’est-à-dire une situation type et le discours et le genre correspondants(cf. infra, III.3.1).

3.1.3. Sémantique des textes : l’analyse sémiquecontextuelle

Par “ sémantique ” nous entendons donc désormais la conceptiondifférentielle du sens des textes. Rappelons-en les principes élaborés parRastier (1987, 1989, 1996), en vue d’une définition textuelle de la métaphore.

(a) Le sème n’est pas une valeur donnée, mais constituée. En langue, ils’établit par l’interdéfinition des unités au sein d’une classe sémantique ; encontexte (texte, situation), il est actualisé (ou virtualisé) dans une opérationinterprétative suggérée par un interprétant (variable du contexte linguistique ousémiotique).

(b) Les classes ou paradigmes sémantiques sont structurées et stabiliséesà travers les pratiques sociales. Loin d’être universelle, la structure du lexiqueparticipe des cultures et de l’histoire44. Les classes se situent sur trois niveaux,micro-, méso- et macrogénériques : le taxème (e.g. //couvert//, //animal//), ledomaine (//alimentation//, //cirque//) et la dimension (//concret// vs

44 Cf. Rastier (1987, 111ff.). Les discours remanient les classes codifiées enlangue. Le taxème, classe minimale, reflète une situation de choix dans unepratique : ‘lion’, ‘caniche’ et ‘colombe’ peuvent former un taxème //animal// dansle domaine //cirque//. La coprésence de //couvert 1// (fourchette, etc.) et de//couvert 2// (baguettes) dans certains restaurants (//alimentation//), témoigne etde la différence et de l’échange culturels. Mêmes les dimensions en dépendent.Ainsi, les métaphores équivalentes de deux langues-cultures ne se fondent pastoujours sur l’incompatibilité des mêmes dimensions, e.g. “ calcul mental ”(/manuel/ vs /intellectuel/) en français contre “ calcul-cœur ” (/manuel/ vs/émotionnel/) en chinois, cf. Oskui (2004, 210-212).

83

Page 24: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003//abstrait//). Le sème générique marque l’appartenance à une de ces classes. Lesème spécifique distingue un signifié des autres signifiés de leur taxème45.

(c) Le vouloir-dire tend à être singulier, le texte à être créatif. Pour enrendre compte, il convient de distinguer entre l’inhérence et l’afférence. Lesème inhérent d’un signifié “ s’hérite ” de la langue, par défaut. Le sèmeafférent est actualisé suite à une instruction contextuelle (liée à un interprétantdu texte, de la situation ou de l’entour). L’afférence que j’appelle socialeprovient d’un discours (sociolecte), par “ inférence ” socialement normée(cristallisée dans les topoi, les proverbes, les locutions, etc.). L’afférencetextuelle provient, par “ propagation de sèmes ”, des classes sémantiquessingulières, construites dans un texte donné. Ainsi le locuteur peut-il, par lacomposition textuelle (lexis), rejouer les ‘signifiés’46.

(d) Dans le texte, les unités sont en interaction. Leurs sèmess’actualisent ou se virtualisent à travers des parcours interprétatifs. Les sèmesactualisés dans un texte, inhérents ou afférents, constituent des isotopies : desrécurrences d’un même sème actualisé dans différents signifiés47. La distinctionentre inhérent et afférent neutralise celle entre littéral et figuré, directe etdérivé, dénoté et connoté, etc. En effet, tout sens est con/textuel.

(e) Tout texte est produit dans une situation pratique relevant d’unepratique sociale, d’un discours et d’un genre. C’est sa condition pragma-herméneutique48. Le discours et le genre codéterminent ses contenus sémiquesà travers les parcours interprétatifs normés. Ce sont toutefois les instructionstextuelles qui ont le dernier mot. Cette préexcellence du texte correspond ànotre principe herméneutique et à la singularité du “ vouloir-dire ”.

(f) Le rapport des unités aux pôles extrinsèques, surtout le rapportréférentiel, naît des isotopies génériques d’un texte, notamment du domaine

45 Le sème (micro)-générique /couvert/ définit ‘couteau’, ‘cuillère’ et ‘fourchette’dans le taxème //couvert//. Le sème spécifique /pour couper/ distingue ‘couteau’ desautres couverts ; le sème /pour un numéro dangereux/ distingue ‘lion’ d'autresanimaux de cirque.46 J’appellerai ‘signifié’ (entre guillemets simples) le contenu sémique occasionnelet variable d’un mot (morphème ou lexie), déterminé contextuellement dans lessphères de définition mentionnées (sans distinguer sémème, sémie etc., cf. Rastier1987).47 Dans Le lion du cirque boit du lait, ‘lion’ et ‘boire’ actualisent réciproquement lesème macrogénérique /animal/, inhérent à ‘lion’ et afférent à ‘boire’ ; ‘boire’ et‘lait’ actualisent le sème mésogénérique /alimentation/, inhérent. Récurrents dansles signifiés en question, ces sèmes constituent deux isotopies, /animal/ et/alimentation/ – pourvu que notre ‘lion’ soit un animal et non pas Zampano dansLa strada de Felini. Le fait que le ‘lion’ boive du lait peut virtualiser ses sèmes/carnivore/ et /dangereux/.48 Contrairement à la supposition de la pragmatique restreinte, la situation decommunication ne se réduit donc pas au simple hic et nunc, cf. note (37) et (42).

84

Page 25: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

actualisé. Ni le signifiant ni le signifié, isolés, ne possèdent par eux-mêmesune référence. Se référer au monde, c’est dessiner une image mentale à partirdes isotopies d’un texte. Aussi le référent surgit-il comme une figurecirconscrite textuellement sur le fond d’un domaine d’expérience (cf. Rastier1987, 112 et 1989, II.5). Le sens, textuel, détermine la référence.

3.2. La métaphore comme poly-isotopie – oupourquoi Tesauro “ sème les métaphores ”Partons donc du fait linguistique que toute métaphore attestée s’inscrit

dans un texte particulier produit dans une situation pratique. Dans Ilcannocchiale aristotelico (La lunette d’Aristote), Emanuele Tesauro cherche àdéfinir l’“ argutezza ”, l’art de s’exprimer avec ingéniosité et subtilité. Peuaprès 1650, période des plaidoyers baroques et des condamnations françaises etanglaises, il accorde à la métaphore une importance sans précédent – ce quil’oblige, à un moment donné, à bien mesurer ses limites :

(5) “ Egli è ver nondimeno che il troppo è troppo. Perché così nellemetaphore come nelle altre voci pellegrine hassi a guardar la santalegge de decoro [...]. Ma in generale cotanto ti so dir io, che tu debbiconsiderar la natura del terreno dove tu semini le metafore. [...]. Se ilsuggetto è nobile e magnifico, nobile convien che sia obiettorappresentato nella metafora. Come […] Ovidio chiamò il quarto cielo"regiam Solis", et Seneca "templa aetheris" il ciel supremo ”49.

Le segment “ Tu debbi considerar... ” (“ Tu dois considérer la nature duterrain où tu sèmes les métaphores ”), que je souligne, active selon lapragmatique cognitive le schéma métaphorique "appliquer des métaphores à unsujet, c’est semer du grain sur un terrain". Or, du point de vue textuel, noussommes a présent en mesure de rendre compte de la structuration textuelledans le Cannochiale de ce schéma métaphorique – dont le schéma n’est dureste qu’une signification abstraite, virtuelle.

3.2.1. Actualiser les sèmes génériques : l’allotopie

Actualisation réciproques des isotopies. – L’extrait du Cannocchialeétablit deux isotopies mésogénériques, relevant de deux pratiques et domainesdifférents : l’isotopie /écriture/, manifestée par les signifiés ‘métaphore’,

49 Trad. Yves Hersant (2001, 113) : “ Il est vrai, toutefois, que l’excès reste unexcès. Qu’il s’agisse de métaphores ou d’autres termes insolites, il te faut respecterla sainte loi de la convenance […]. C’est qu’en règle générale tu dois considérer lanature du terrain où tu sèmes les métaphores. […]. Si le sujet est noble etmagnifique, il convient que soit noble l’objet métaphoriquement représenté. Ainsi[…] Ovide a appelé le quatrième ciel "le palais du soleil" et Sénèque a donné le nomde "temples de l’éther" au ciel le plus éloigné. ”. Je souligne.

85

Page 26: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003‘terme’, ‘loi’, ‘sujet’ d’une part, l’isotopie /botanique/, manifestée par ‘semer’et ‘terrain’ d’autre part. Notons bien que les signifiés sont des contenusactualisés et déterminés en contexte, suivant le sociolecte et le texte (cf.supra, III.1.2.b). Ainsi, les mots terme, loi ou sujet manifestent l’isotopie/écriture/ dans la mesure où cette isotopie est actualisée tout au long duCannocchiale : Tesauro y développe, accentuant Aristote, une poétique etrhétorique50. Quant à l’isotopie /botanique/, elle est actualisée mutuellementpar ‘semer’, ‘terrain’ et ‘métaphore’. Dans ‘semer’, l’isotopie /agriculture/s’actualise par présomption, qui se confirme dans ‘terrain’, et qui se précise en/botanique/ par ce sème afférent à ‘métaphore’ (cf. le topos “ les tropes sontles fleurs de la rhétorique ”). Le mot terrain, à son tour, ne s’actualise comme‘terrain à cultiver’ sur l’isotopie /botanique/ que par les interprétants ‘semer’et ‘métaphore’.

Identification de la relation métaphorique. – Les isotopies /écriture/ et/botanique/ sont en relation métaphorique. C’est dire qu’elles apparaissent dansun contexte qui nous invite ou oblige même à connecter leurs signifiésrespectifs, malgré leurs incompatibilités. Le segment Tu dois considérer…incite à former une structure sémantique intégrée. Si l’on attribue aux motsles sèmes casuels qui sont actualisés par leur articulation syntaxique, ilapparaît que les contenus ne sont pas compatibles ou solidaires (≠), et nes’intègrent pas dans une structure cohérente (cf. Rastier 1989 pour lanotation) :

“ Semer l e s métaphores ”

[convenance] ≠ ←(final) (locatif)→[terrain]↑ ↑

[Tu = |poète, orateur|] ≠←(ergatif)←[SEMER]←(accusatif)←≠ [métaphore]

Aussi les contenus manifestant les deux isotopie sont-ils “ allotopes ”.Suivant Rastier (1987, 187), nous appelons la connexion qui s’établira entreeux métaphorique. Cette description ressemble à la description par schémasque propose Récanati : les arguments fournis par le texte ne s’intègrent passans tension dans le schéma de “semer” (ou d’“avaler”, cf. l’exemple (4)).Notons néanmoins que la description cognitivo-pragmatique, isolant la phrasemétaphorique, masquent les conditions textuelles et herméneutiques del’interprétation, que nous allons développer maintenant plus en détail.

Lexicalisation et réécriture. – Tous les signifiés allotopes en connexionmétaphorique ne sont pas nécessairement lexicalisés dans le texte. Ainsi, dans

50 Selon cette thématique globale, loi se lit ‘loi poétique ou rhétorique’ et non ‘loide la jungle’, contenu possible dans un texte sur l’exploitation des forêtsamazoniennes.

86

Page 27: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

(A) (cf. le tableau infra), il manque au signifié ‘métaphore’ sur l’isotopie/écriture/ le signifié homologue ‘grain’ sur l’isotopie /botanique/ ; à ‘semer’dans (B) il manque l’homologue ‘écrire’. Seuls la paire ‘sujet’ et ‘terrain’ dans(C) est complètement lexicalisée. Or on peut selon Rastier “ réécrire ” leshomologues non lexicalisés, mais à condition de noter leur statut différent :‘lexicalisé’ vs |’réécrit’| (1987, 181). Avec la réécriture, on obtient lastructuration textuelle d’une connexion métaphorique :

I s o t o p i e (A) (B) (C) (D)/écriture/ ‘métaphore’ |‘écrire’| ‘sujet’ ‘convenance’↓ ↑ b ↓ ↑ b ↓/botanique/ |‘grain’| ‘semer’ ‘terrain’ |‘loi biologique’|

‘S’ : signifié actualisé lexicalisé |’S’| : signifié actualisépar réécriture↔ : connexion équative mais allotope → : réécriture établissant

l’allotopie

3 . 2 . 2 . “ Tertium comparationis ” : Identifier lessèmes spécifiques communs

La mise en relation des isotopies incompatibles, par un jeud’actualisation textuelle, correspond à la première étape de l’interprétationmétaphorique postulée par Prandi, Kleiber et Searle (cf. supra, II. et note 22).Cette mise en relation allotopique entre les signifiés par leurs sèmes (macro-ou méso-)génériques incite à déterminer les sèmes spécifiques, communs auxhomologues, qui pourrons expliciter leur mise en relation contradictoire.L’actualisation de ces sèmes communs correspond à la deuxième étape conçuepar Prandi, Kleiber et Searle. Or, à nos yeux, ce sont les sèmes génériques etles sèmes spécifiques des homologues qui établissent ensemble etsimultanément la connexion métaphorique51. Si l’allotopie, générique, crée lacontradiction métaphorique, les sèmes spécifiques expliquent et maintiennentles isotopies incompatibles en relation : c’est la tension métaphorique quicrée la dynamique du sens.

Une différence décisive entre les conceptions se joue ici. Car, pour laconception textuelle, le sème commun, que la tradition appelle tertiumcomparationis, n’est pas nécessairement inhérent au signifié du foyer (comme

51 “ Nous appellerons métaphorique toute connexion entre sémèmes [signifiésd’un morphème, D.O.] (ou groupe de sémèmes) lexicalisés telle qu’il y ait uneincompatibilité entre au moins un des traits de leur classème [sèmes génériques] etune identité entre au moins un des traits de leur sémantème [sèmes spécifiques] ”(Rastier 1987, 187).

87

Page 28: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003le suppose Le Guern), ni inféré de façon simplement "extralinguistique" ou"conventionnelle" (comme l’affirme Searle). Le sème commun est établi parles différents parcours que l’interprétation d’un texte implique.

Ces parcours interprétatifs dépendent du texte. Plus il est élaboré, plusles parcours sont complexes, ce qui se traduit par la construction des afférencestextuelles (sèmes afférents, propre à un texte particulier, et qui peuvent seregrouper en “ molécules sémiques ” (cf. Rastier 1989)). Si, en revanche, lamétaphore est peu élaborée, peu intégrée dans le texte, le parcours interprétatifconsiste à actualiser les afférences socialement normées (comme /courageux/dans ‘lion’ dans son emploi métaphorique conventionnel). Quant à l’extrait(5), tout dépend de la conception de l’Argutezza, l’écriture subtile etingénieuse, que Tesauro élabore dans le Cannocchiale. Une fois de plus, lescomposants s’interdéfinissent : le sens de la métaphore semer des métaphoresdépend de la conception de l’argutezza développée dans le Cannocchiale, touten participant à sa définition.

Sans entrer dans les détails de l’interprétation, retenons-en quelquesaspects importants.

(i) Dans ‘semer’ et ‘grain’, s’actualisent deux sortes de sèmes. D’unepart, par le contexte /botanique/, le sème /fécondité/, afférence socialementnormé (cf. le topos biblique “ semer du bon grain ”). D’autre part, l’afférencetextuelle /maîtrise/ : car, dans le Cannocchiale, l’argutezza est, avec lamétaphore comme suprême, un art qu’il s’agit d’apprendre et de maîtriser à laperfection.

(ii) Cet art est, pour Tesauro, un art des plus subtils et virtuoses : ils’agit d’accroître "maîtrise" et "fertilité" à l’extrême. Cela pourvoit leshomologues (A), ‘métaphore’ et |‘grain’| (/composant/), et (B), |’écrire’| et‘semer’ (/application/), du trait /intensif/.

(iii) Cette productivité extrême des métaphores, selon l’argutezza deTesauro, doit toutefois être limitée par la “ loi de la convenance ” selonAristote. Cela oblige, pour ainsi dire, à passer à une culture "extensive" quiprend en compte la nature du "champ d’application" : le ‘sujet’ ou le ‘terrain’.De la sorte s’actualise, dans les homologues (C) et (D) le trait /limitation/.

(iv) La métaphore de “ semer ” marque donc une transition entre deuxintervalles du temps textuel : (ti) où Tesauro célèbre la métaphore ingénieuseet (tj) où il s’apprête à prendre en considération la “ loi ” aristotélicienne de laconvenance qui limite l’excès possible de l’argutezza. La phrase qui introduitcette nouvelle thématique partielle à (tj) marque clairement cette transition :“ il est vrai, toutefois, que l’excès reste un excès ” (cf. (5)) :

Isotopie (A) (B) (C) (D)/écriture/ ‘métaphore’ |‘écrire’| ‘sujet’ ‘convenance’

88

Page 29: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

/botanique/ |‘grain’| ‘semer’ ‘terrain’ |‘loi biologique’|

Tertia compa- /composant/ /application/ /champ d’appl./ /règle/-rationis : /maîtrise/ /maîtrise/ /équilibre/ /régularité/

/fécondité/ /fécondité/ /limitation/ /limitation/[ /intensif/ ] [ /intensif/ ]

[ /s/ ] : virtualisation d’un trait /s/

Le passage de (ti) à (tj) se traduit par le fait que l’actualisation à (tj) dutrait /limitation/ virtualise le trait /intensif/ (actualisé avant). Le trait/intensif/ n’est toutefois que virtualisé, et non neutralisé, dans la mesure où ilétait actualisé avant (tj) dans ‘écrire’ et ‘métaphore’, et où il sera réactualiséaprès. Le thème métaphorique “ semer les métaphores selon le terrain ”n’exprime donc pas ici la seule fécondité ou la seule maîtrise. Il exprimel’équilibre maîtrisé qu’il s’agit de trouver entre la fécondité de la métaphore etla nécessité de sa limitation. La métaphore contribue ainsi à la structurationtextuelle de l’intervalle entre (ti) et (tj), tout en puisant son sens dans le texte.

3.3. ConclusionsNous avons pu remarquer, ici et là, des similarités entre la conception

textuelle et les autres conceptions. Leurs différences sont-ellesfondamentales ? Avant de répondre au niveau théorique (3.2), réétudionsd’abord les exemples de Searle et de Le Guern (3.1) pour souligner une fois deplus l’importance de la réalité empirique et textuelle des exemples.

3.3.1. Bilan empirique : cochons, lions et autressinges

Dépeindre les caractères humains en les comparant aux animaux : c’estun plaisir curieux, inscrit dans toutes les langues. Les rapprochements ne sontpourtant guère fondés sur les connaissances éthologiques, n’ont pas le mêmesens dans toutes les langues et ne suggèrent pas les mêmes afférences sociales.Un singe n’est pas toujours le même personnage.

Maintes conceptions admettent, il est vrai, la variabilité du sens desmétaphores animales (cf. e.g. Searle 1979/82). Mais pourquoi n’admet-on pas,outre la variabilité culturelle et conventionnelle, également la variabilitétextuelle du sens ? Nous soutenons que seule une sémantique linguistiquedifférentielle peut tenir compte à la fois des variations culturelles, discursiveset textuelles (selon le dia-, socio- et idiolecte).

Quant à Sam , qui, suivant Searle, est un cochon, ce n’est à l’évidencepas une prise de parole réelle, mais un exemple du théoricien – ni manifesté

89

Page 30: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003textuellement, ni référé à une situation et à une pratique sociale précise. Parconséquent, la question de son interprétation ne se pose pas vraiment. Si nousacceptons néanmoins d’en préciser, suivant Searle, les conditionsd’interprétation hors contexte, il ne faudrait pas oublier que touteinterprétation implique l’actualisation de sèmes, inhérents ou afférents.

(i) Afin d’identifier la métaphore, la considération des seuls sèmesinhérents du comparant cochon, défini dans son taxème en langue, ne permetpas de déterminer, hors contexte, lequel de ces sèmes il convient d’actualiser(c’est pourquoi Searle de même que Le Guern sont conduits à impliquer lecontexte des comparés Sam et Hernani). On ne peut donc actualiser le sème/humain/ dans ‘Sam’ que si l’on suppose un contexte minimal précisant queSam désigne un être humain (ce que fait Searle tacitement). L’interprétationdébute nécessairement par ce premier parcours. S’actualise du coup, pardisjonction, le sème /animal/ dans ‘lion’. Seulement ensuite, la disparateallotopique entre ‘Sam’ et ‘lion’ apparaît comme interprétant, suggérantd’établir entre eux une connexion métaphorique tout en impliquant un tertiumcomparationis. Même en contexte minimal, si habituel qu’elle paraisse, lacontradiction de la métaphore n’est donc pas donnée, mais s’établit à traversdes parcours qui précisent ses conditions d’interprétation. Contrairement àSearle, à Prandi et à d’autres, nous ne pouvons admettre, du point de vuetextuel, que la contradiction métaphorique soit littérale, prédicative,intralinguistique au sens d’un positivisme immanentiste52. La métaphore,conventionnelle ou non, n’est pas une donnée positive, mais un faitherméneutique. L’identifier, c’est déjà interpréter ses composants textuels.

(ii) Quant au tertium comparationis, Searle ne précise rien, sur lecontexte interne (texte) ou externe (situation), qui pourrait nous suggérer dessèmes spécifiques autres que conventionnels. Hors contexte, nous ne pouvonsnous référer qu’aux afférences sociales (souvent inscrites dans les dictionnairessous la rubrique “ figuré ”). Pourtant, même les sèmes conventionnels,relevant de différents domaines pratiques, ne sont pas actualisables horscontexte. Décontextualisée, même la métaphore conventionnelle peut resterambiguë. Les afférences sociales de cochon relèvent de divers domaines ://alimentation//, //hygiène//, //sexualité//, etc. Seul dans un domainedéterminé, l’interprétation devient possible (tout en demeurantconventionnelle, bien sûr). Par exemple, seul à table (=> /alimentation/),‘Sam’ se voit attribuer le sème spécifique /glouton/ ou /mange salement/ ou

52 Il est vrai qu’en démontrant la dépendance du sens littéral des “ hypothèsesd’arrière-plan ”, Searle semble concevoir la contradiction métaphorique commecontextuelle (1979/82, 124-127). Ces hypothèses d’arrière-plan concernenttoutefois les données, positives et universelles, de notre environnement physique– ce qui renforce, paradoxalement, l’immanentisme de la signification littérale etl’objectivation impliquée dans la notion conventionnelle du sens énonciatif.

90

Page 31: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

les deux à la fois : /goinfre/. L’afférence sociale, notée dans le dictionnairecomme “ figuré ”, s’actualise donc uniquement en présence de l’interprétantqu’est le caractère disparate des isotopies /animal/ et /humain/, mais sur lefond d’un domaine pratique donné. Hors ce contexte minimal, nous nepouvons constater qu’une ambiguïté, créée par l’artefact qu’est l’exemple d’unthéoricien. Bref, la régularité conventionnelle que Searle constate pourl’interprétation métaphorique provient de la conventionalité de ses exemplesqu’il qualifie de “ simples ” (cf. supra, III.1.2.c).

L’exemple de Le Guern, en revanche, est attesté : c’est doña Sol quis’adresse à Hernani dans une situation précise, définie par l’intrigue de la piècede Victor Hugo. De caractère textuel, cet exemple met en doute lagénéralisation conventionnaliste de Searle. Pourquoi, en ce cas, se fixerd’emblée sur l’afférence sociale de ‘lion’ : /courageux/ ? Pourquoi ne pasconsidérer, outre cette afférence conventionnelle, les sèmes qui sonttextuellement actualisés ? En effet, à la fois lion et, naturellement, Hernanireçoivent maintes déterminations dans la pièce d’Hugo. Esquissons-enquelques traits, sans pouvoir entrer dans les détails :

(i) Le signifié ‘lion’ n’est pas seulement actualisé dans la seulemétaphore de doña Sol, de manière ponctuelle et isolée. L’isotopie /animal/traverse la pièce d’Hugo. Elle est spécifiée, textuellement, en /bête de proie/,comprenant outre ‘lion’ les signifiés ‘chien de chasse’, ‘aigle’ et ‘tigre’. Lesens de lion est donc différentiel et textuel. Il dépend, outre de son taxème dedéfinition //bête de proie// déterminé textuellement, des moments de l’intrigue,et des univers constitués par les différents personnages, actants.

(ii) Hernani est un lion d’abord pour ses ennemis : noble de naissance,mais rebelle solitaire, il vit en dehors de la société, retiré dans les montagnesde la Catalogne, “ chef de bandits infidèles ”. (cf. e.g. p. 553, p. 577, p.590). Cela constitue, en interaction avec les sèmes actualisés de ‘lion’, lamolécule sémique suivante : /solitaire/, /montagnard/, /sauvage/, /exilé/,/puissant/.

(iii) Pour lui-même, Hernani est, inconsciemment, sans le dire, un lion,une bête de proie du fait que, “l’œil fixé sur [sa] trace”, il poursuit DonCarlos, l’assassin de son père, “lentement” et silencieusement (comme unfauve), mais “plus assidu” que les “chiens de palais” (p. 567sq.). Don Carlos,lui, apparaît ainsi, soit comme “l'aigle impérial” qu’Hernani voudrait “écraserdans l’œuf” (p. 581), soit comme “un tigre” (et non pas comme “le lion deCastille”) parce que haï d’Hernani et de doña Sol (p. 612).

(iv) Or, dans la quatrième scène de l’acte III (p. 601), doña Sol, dans uneferveur romantique, se jette dans les bras d’Hernani, en s’écriant :

(6) “ Vous êtes mon lion superbe et généreux ! ”.Cette métaphore célèbre se laisse interpréter dans plusieurs directions :

a) doña Sol est attirée par la force physique et morale d’Hernani ; b) elle

91

Page 32: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003accepte de vivre avec lui, tout en assumant sa condition solitaire,montagnarde, bohémienne et rebelle ; c) elle reconnaît la noblesse d’Hernani,malgré sa condition de marginal; d) elle espère que la générosité de son cœurpourra surmonter la haine et le désir de vengeance (cf. l’ensemble de leurdialogue dans cette scène). La forme textuelle de la métaphore (6), biendistincte de la forme propositionnelle standard Hernani est un lion, est la tracede la structuration textuelle de ces dimensions : énonciatives (“ vous ”,“ mon ”), situant la métaphore dans l’univers de doña Sol (en contraste aveccette "même" métaphore dans les autres univers cités) ; temporelles, lamétaphore marquant un moment décisif dans la pièce ; prédicatives (“ superbeet généreux ”), actualisant des nouveaux traits spécifiques et annonçant lavirtualisation possible d’autres traits actualisés avant (/vengeance/,/dangereux/, /chasseur/).

3.3.2. Bilan théorique

Toutes les conceptions discutées reconnaissent, d’une manière ou d’uneautre, deux étapes de l’interprétation d’une métaphore : a) constat d’un conflitentre les éléments mis en relation ; b) recherche d’un autre sens commesolution du conflit initial. La majorité des conceptions vont cependantdédoubler le sens global en signification systématique et sens contextuel, pourdélaisser la signification contradictoire en faveur du sens métaphorique, i.e. lesubstitut lexical ou la paraphrase propositionnelle. La première étape est doncconsidérée comme provisoire, elle doit être dépassée. Le sens sera coupé de lasignification et l’allocutaire obligé de “ construire ” l’interprétation selon songré. On se retrouve devant le dilemme entre déterminisme linguistique etliberté cognitive absolue.

Les conceptions entièrement contextualistes, telle la sémantiquetextuelle de Rastier et la pragmatique cognitive de Sperber et Wilson et deRécanati, évitent la scission entre sens et signification. Mais la pragmatiquecognitive escamote, à sa manière, la première étape du processusmétaphorique, ne reconnaissant guère la tension métaphorique. La conceptiontextuelle est donc la seule à réussir deux choses en même temps : ne passcinder l’objet de la sémantique (en signification et sens, acte de parole directeet indirecte, dénotation et connotation, etc.), et maintenir, néanmoins, latension métaphorique. La métaphore apparaît comme une forme de connexiontextuelle, comme une poly-isotopie. On cesse de découper les fils que tisse letexte. On admet que le sens soit un tissu.

Résumons les caractéristiques de la conception textuelle :(i) Le conflit métaphorique ne s’établit plus entre mots isolés, mais

entre isotopies, impliquant tous les mots qui manifestent les isotopiesincompatibles. Les isotopies incompatibles impliquent non seulement les

92

Page 33: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

mots lexicalisés sur l’axe syntagmatique, mais aussi les mots réécrits surl’axe paradigmatique. L’opposition entre substitution et interaction n’a doncplus lieu d’être. La notion de poly-isotopie prend d’ailleurs en considération lefait qu’un texte puisse établir des connexions métaphoriques entre plus de deuxisotopies.

(ii) La tension allotope entre les isotopies doit être maintenue et le seradans la structure textuelle, pour participer à l’actualisation des sèmesspécifiques qui expliquent le conflit métaphorique. Une fois les sèmesspécifiques déterminés, ils établissent à leur tour la connexion métaphorique etrenforcent la contradiction ou la tension métaphorique ; car les sèmesspécifiques ne peuvent remplacer les sèmes génériques, chaque type de sèmeassurant une fonction différente.

(iii) Ainsi la conception textuelle n’opère pas de dédoublement de sensqui privilégierait la signification contre le sens, la contradiction contre lacohérence. Tout au contraire, elle maintient une duplicité sémantique, i.e. unepoly-isotopie qui complexifie la structure textuelle et les parcoursinterprétatifs suggérés par elle. Tension et résolution coexistent et enrichissentla dynamique interprétative et le sens textuel.

(iv) Il s'ensuit que la solution de l’énigme métaphorique n’est pasnécessairement prévisible. Moins la structure textuelle et métaphorique sontélaborées, plus les sèmes spécifiques s’infèrent suivant les afférencessocialement normées, par des topoi, comme dans Achille est un lion, où,depuis Aristote, ‘Achille’ et ‘lion’ se voient attribuer le sème /courageux/. Ladistinction entre afférence sociale et afférence textuelle permet de rendrecompte de la différence entre métaphore habituelle et métaphore vive, sansobjectiver ni immanentiser cette différence. C’est pourquoi il convient dedonner une place empirique aux variabilités discursives et historiques desmétaphores. Donner une place à la parole rhétorique, poétique, juridique etc.,c’est admettre l’expérience idiosyncrasique des interlocuteurs. C’est au fond laraison pour laquelle Aristote défend le trope contre l’idéalisme réaliste desplatoniciens.

Le theôrein métaphorique, la vision ouverte par la métaphore est doncbien une perception, mais une “ perception sémantique ” (cf. Rastier, 2002,VIII). C’est bien un voir, mais à travers le voile des mots qui donnent à voir(cf. Oskui 2000a). L’“ intuición ” dont parle Borges passe par le texte.

ÉPILOGUE

Si vous voyez les dents d’un lion,ne pensez pas qu’il est en train de sourire.

93

Page 34: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003Al-Mutanabbî

Revenons, à la fin de notre parcours, aux toutes premières origines :avant le concept aristotélicien de la métaphore, il y avait les métaphoresd’Homère. N’ayons pas peur du texte homérique. Ayons le courage de regarderen face le lion, dans la merveilleuse traduction de Frédéric Mugler (Iliade, XX,vers 161sq.). :

“ En premier s’avança Enée, hostile, secouantSon casque énorme et lourd. Par-devant sa poitrineIl tenait son vaillant écu et brandissait sa lance.Le fils de Pélée, à son tour, bondit à sa rencontre.Tel un lion cruel, que tous les hommes du paysBrûlent de mettre à mort ; tout d’abord, il va, dédaigneux ;Mais qu’un gars belliqueux vienne à le toucher de sa lance,Soudain il se ramasse, gueule ouverte, écume aux dents,Et son âme vaillante gronde au fond de sa poitrine ;De la queue il se bat sans fin les hanches et les flancs,Tandis qu’il s’excite au combat et, l’œil étincelant,Fonce droit devant lui, décidé à tuer un homme,Ou à périr lui-même alors dans les premières lignes :Tel, poussé par sa fugue et son cœur audacieux,Achille courut au devant du magnanime Enée. ”

BIBLIOGRAPHIE

Aristote (1973), La rhétorique, Paris, Les Belles-Lettres.Aristote (1980), La poétique, trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris, Seuil.Black, M. (1954), “ Metaphor ”, Proceedings of the Aristotelian Society 55.

Réimpr. in Black (1962).Black, M. (1962), Models and Metaphors, Ithaca, Cornwell UP.Borges, J. L. (1936), Historia de la eternidad, Biblioteca Borges, Madrid, Alianza

Editorial, 1997.Bühler, K. (1934), Sprachtheorie, Stuttgart, Fischer.Charbonnel et Kleiber (1999), La métaphore entre philosophie et rhétorique,

Paris, PUF.Cortès, Colette (1994/95), “ Effets sur le lexique des mécanismes de la métonymie

et de la métaphore ”, in Théories et pratiques du lexique, édité par C. Cortès,Cahiers du C.I.E.L., Université de Paris 7 – Denis Diderot.

Détrie, Catherine (2001), Du sens dans le processus métaphorique, Paris,Champion.

Ducrot, O. (1987), “ Interprétation en sémantique linguistique : un point de départimaginaire ”, Confrontation 17, pp. 119-130. Réimprimé in Ducrot, Dire etne pas dire, 1991, Paris, Hermann, pp. 307-323.

94

Page 35: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Colette CORTÈS - Entre métacatégorisation allotopique et interdiscours

Fontanier, P. (1827/30), Les figures du discours, éd. G. Genette, Paris, Flammarion(Champs), 1977.

Genette, G. (1970), “ La rhétorique restreinte ”, Communications 16, Paris,Seuil.

Goodman, N. (1968), Languages of Art, an Approach to a Theory of Symbols,Indianapolis, Bobbs-Merril Co.

Groupe µ, (1970), Rhétorique générale, Paris, Larousse.Hersant, Y. (2001), La métaphore baroque. D’Aristote à Tesauro. Extraits du

Cannocchiale aristotelico, Paris, Seuil.Homère, L’Iliade, trad. du grec p. Frédéric Mugler, Actes Sud, Babel, 1995.Hörmann, H. (1972), “ Semantische Anomalie, Metapher und Witz ”, Folia ling.

5, pp. 310-330.Hörmann, H. (1976), Meinen und Verstehen, Frankfurt, Suhrkamp, édition de

poche, 1978.Hugo, V. (1829), Hernani, in V. Hugo, Théâtre I , Paris, Laffont, 1985, pp. 537-

669.Katz, J.J., et Fodor, J.A. (1963), “ The Structure of a Semantic Theory ”,

Language 39, pp. 170-210.Kleiber, G. (1993), “ Faut-il banaliser la métaphore ? ”, Verbum n° 1-2-3, PU de

Nancy, pp. 197-210.Kleiber, G. (1984), “ Pour une pragmatique de la métaphore : la métaphore, un acte

de dénomination prédicative indirecte ”, in Kleiber (éd.), Recherches enpragma-sémantique, Paris, Klincksieck, pp. 123-163.

Kleiber, G. (1999), “ Une métaphore qui ronronne n’est pas toujours un chatheureux ”, in Charbonnel et Kleiber (éds.), pp. 83-133.

Klinkenberg, J.-M. (1999), “ Métaphore et cognition ”, in Charbonnel etKleiber (éds.).

Lakoff, G., et Johnson, M. (1980), Metaphors We Live By, Chicago, trad. Lesmétaphores dans la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1985.

Lakoff, G. et Turner, M. (1989), More than Cool Reason : A Field Guide to PeoticMetaphor, University of Chicago Press.

Le Guern, M. (1973), Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris,Larousse.

Moeschler, J. (1996), “ Pragmatique de la métaphore ”, in Moeschler, Théoriepragmatique et pragmatique conversationnelle, Paris, Armand Colin, pp. 73-90.

Oskui, D. (2000a), “ Der Stoff, aus dem Metaphern sind ”, in R. Zimmermann(Hg.), Bildersprache verstehen, München, Fink, 2000, pp. 91-116.

Oskui, D. (2000b), “ Wider den Metaphernzwang. Merleau-Ponty und diesprachliche Produktivität bei Chomsky, Bühler und Ricœur ”, in R. Giuliani,Merleau-Ponty und die Kulturwissenschaften, München, Fink, 99-141.

Oskui, D. (2004), “ La métaphore selon la traduction - la vivacité de la métaphorelexicalisée et ses traductions ”, in A.-M. Laurian, dictionnaires bilingues etinterculturalité, Peter Lang.

Prandi, M. (1992), Grammaire philosophique des tropes. Mise en formelinguistique et interprétation discursive des conflits conceptuels, Paris,Minuit.

Prandi, M. (1999), “ Grammaire philosophique de la métaphore ”, in Charbonnelet Kleiber (éds.), pp. 184-206.

95

Page 36: LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU ... · LE TEXTE COMME MILIEU NATUREL DE LA MÉTAPHORE – OU POURQUOI UN LION N’EST PAS TOUJOURS COURAGEUX. Daniel OSKUI C.I.E.L

Cahier du CIEL 2000-2003Rastier, F. (1987), Sémantique interprétative, Paris, PUF.Rastier, F. (1989), Sens et Textualité, Paris, Hachette.Rastier, F. (1994a), “ Sur l’immanentisme en sémantique ”, Cahiers de

Linguistique Française n°15, pp. 325-335.Rastier, F. (1994b), “ Tropes et sémantique linguistique ”, Langue française n°

101, Paris, Larousse, pp. 80-101.Rastier, F. (1996), “ Pour une sémantique des textes — Questions

d’épistémologie ”, in Rastier, F. éd. Textes et sens, Paris, Didier, pp. 9-38.Rastier, F. (1999), “ Dalla significazione al senso : per una semiotica senza

ontologia ”, in P. Basso et L. Corrain, Eloquio del senso, Milan, Costa &Nolan, pp. 213-240. Trad. fr. sur le site www.revue-texto.net.

Rastier, F. (2002), Sémantique et recherches cognitives, 2e édition corrigée etaugmentée, Paris, PUF, 1991.

Récanati, F. (2004), Literal Meaning, Cambridge University Press.Richards, Ivor Armstrong (1936) : The Philosophy of Rhetoric, Oxford, Oxford

University Press.Ricœur, P. (1975), La métaphore vive, Paris, Seuil.Searle, J. (1979), Expression and Meaning, trad. Sens et expression, Paris,

Minuit, 1982.Sperber, D. et Wilson, D. (1986), Relevance, Oxford, Blackwell, trad. La

pertinence, Paris, Seuil, 1989.Tamba-Mecz, I. (1981), Le sens figuré. Vers une théorie de l’énonciation

figurative, Paris, PUF.

96