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Essay of motive of love in the roman A la recherche du temps perdu du Marcel Proust
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Le thème de L’amour dans Le roman
« À la recherche du temps perdu »
« … Si notre amour n’est pas seulement d’une Gilberte (ce qui nous fait tant souffrir), ce n’est pas parce qu’il est aussi amour d’une Albertine, mais parce qu’il est une
portion de notre âme, plus durable que les moi divers qui meurent successivement en nous et qui voudraient égoïstement le retenir, et qui doit, quelque mal (quelque mal
d’ailleurs utile) que cela nous fasse, se détacher des êtres pour en restituer la généralité et donner cet amour, la compréhension de cet amour, à tous, à l’esprit
universel… »1p.12
Le début du XXe siècle a porté le genre romanesque à son point de perfection technique.
Proust s’inscrivait lui aussi dans le courant d’intellectualisation de la sensibilité poétique, où
s’illustrèrent Valéry, Giraudoux, Claudel et Gide. Mais Proust fut une monumentale synthèse de
la poésie, traditionnelle par son harmonie de la forme, et moderne par ses motif tirés de
l’oublie mentale, et d’un pur réalisme. Son œuvre apparait comme « la liquidation psychologique
et romanesque de la somme des représentations concrètes que le travail littéraire de ses
prédécesseurs avait accumulées, une prise de conscience exhaustive d’un monde commun à
beaucoup de personnes et tel qu’il pouvait être compris totalement » (R. Fernandez, A la gloire de
Proust, P.198).
La plupart des romans de l’époque, s’ils reprennent le thème romanesque par excellence,
convergent vers la tristesse du « Mal Aimé ». Assez naturellement, Proust s’abandonne à cette
pente et son œuvre porte les marques de la sensibilité commune. Chez lui, en effet, se
retrouvent des éléments issus des grands romans du XIXe siècle, avec cette différence qu’il les
fait subir comme des pressions plus fortes. « Proust durcit l’analyse, appuie le trait, en même
temps qu’il adjoint un certain nombre de trouvailles et de détails originaux, à commencer par les
1 Proust Marcel, Le Temps retrouvé, III, p.897
intermittences du cœur, par lesquelles temps et espace pénètrent plus complètement la matière
romanesque »2
Pour beaucoup de lecteurs-ceux qui ne lisent que les « morceaux choisis » ou les
biographies, Proust fut longtemps un écrivain snob, mondain, le jeune dilettante raffiné, portant
une orchidée à la boutonnière. André Gide, après avoir feuilleté le manuscrit que Proust soumettait
au jugement des hommes de la NRF et avoir rassemblé quelques souvenirs sur son auteur, avait
refusé de publier le livre, anticipant (predviđajući) ce que serait trop souvent le jugement de la
postérité (sud potomstva). « Je m’étais fait de vous une image d’après quelques rencontres dans
« le monde » qui remontent à près de vingt ans », écrivait-il à Proust en 1914. « Pour moi, vous
étiez resté celui qui fréquente chez madame X ou Y, et celui qui écrit dans le Figaro. Je vous
croyais, vous l’avouerai-je, du coté de chez Verdurin ! un snob, un mondain amateur- quelque
chose d’on ne peu plus fâcheux pour notre revue. »3
Parmi ceux qui ne lui ménageaient ses griefs était aussi Jean Paul Sartre, qui lui reprocha,
comme l’un de ses détracteurs les plus acharnés, l’homosexualité et l’origine bourgeois, sous
prétexte que cela ne lui donnait pas le droit et l’artifice de se livrer à une analyse de l’amour
qu’en recourant à « l’atomisme psychologique » et en supposant l’existence humaine invariable
(ce second grief sera répété pour A. Camus). Si Proust a tenté de peindre des sentiments aussi
différents des siens, « c’est donc qu’il croit à l’existence de passion dont le mécanisme ne varie
pas sensiblement quand on modifie les caractères sexuels, la condition sociale, la nation ou
l’époque des individus qui les ressentent. A propos de cette attitude, Sartre a dit suivant :
« Nous ne croyons plus à la psychologie intellectualiste de Proust et la tenons pour néfaste, et
cela pour quatre raisons :
1- Nous n’acceptons pas a priori que l’amour-passion soit une affection constitutive de
l’esprit humain. (il y a comme dit Proust des « veinards »( sreckovic), il y a les êtres qui
« ont du plaisir » que Proust a opposé aux « ceux qui aiment »).
2- Nous ne pouvons admettre qu’une affection humaine soit composée d’éléments moléculaires
qui se juxtaposent sans se modifier les uns avec les autres.
3- Nous refusons de croire que l’amour d’un inverti présente les mêmes caractères que celui
d’un hétérosexuel.
4- Nous nions que l’origine, la classe, le milieu, la nation de l’individu soient de simples
concomitants(pratioci koji papalelno postoje) de sa vie sentimentale. »4
Mais vu que l’attitude de Sartre s’appuie à un système philosophique déterminé :
l’existentialisme d’après guerre, nous ne pouvons pas admettre qu’elle nous perde la route qui
2 Bernard Pluchart-Simon, PROUST, L’Amour comme vérité humaine et romanesque, P. 50 ; Larousse université :
collection- thèmes et textes, 1975 3 Correspondance, t. XIII, p.53
4 J.P.Sartre, Situations II, p. 20 sqq / cité d’après : Ibid.2
est du domaine romanesque et qui est susceptible d’être dissipé, nié, détruit par les jugements
d’une intelligence raisonneuse qui, comme disait Proust dans Le Temps retrouvé fait qu’ «il n’y a
plus rien de fixe, de certain, on peut démontrer tout ce qu’on veut », ou comme dit Voltaire :
» Donnez-moi vingt lignes de n’importe quel auteur, je me charge de le faire pendre ».
Cependant, Proust n’est pas un romancier mondain, il est le romancier d’un monde. On
ne peut toutefois négliger un aspect important de son œuvre, et plus important encore dans
Guermantes que dans les autres volumes : la PEINTURE DES SALONS, DU FAUBOURG
SAINT-GERMAIN, DES « SNOBS », DES « MONDAINS AMATEURS » ; Proust, fut-il snob ? La
réponse varie selon les témoins et n’est pas d’une grande importance. Mais il est sur que le
snobisme prend un grand rôle et la place dans son œuvre.
Avec Le Plaisirs et les jours, paru en 1896, Proust est fort occupé de mondanité, et les
titres de certaines pièces du recueil témoignent même d’une véritable obsession :
« Violante ou la mondanité »,
« Snobs »,
« Personnages de la comédie mondaine »
« Mondanité et mélomanie de Bouvard et Pécuchet »
« Un dîner en ville »
La méthode employée est ici la condamnation sans appel : les personnages du monde
sont médiocres, le snobisme est une « malédiction ». cette attitude est transposée aussi dans La
Recherche du Temps perdu. Toutefois, au-delà du désenchantement des personnages, l’auteur
découvre une authentique poésie : le snob n’a-t-il pas ses chimères qui ont la forme et la
couleur de celle qu’on voit peintes sur les blasons(grbovima) » ? En fréquentant des
aristocrates, il fait revivre l’histoire qui est concentrée dans leurs noms évoquant des batailles,
des aïeux prestigieux. Son « rêve solidarise le présent au passé(Les plaisirs et les jours : « à une
snob », Folio p. 89) ». Et si cette tentative de retrouver le temps perdu à travers des chimères
n’aboutit pas dans Les Plaisirs et les jours on sait la valeur qu’elle prendra dans le dernier volume
de La Recherche.
Les scènes mondaines sont également nombreuses dans Jean Santeuil, où Proust semble
abandonner la poésie du snobisme pour privilégier l’étude des mécanismes de la société (1895-
1899). Les noms de l’aristocratie n’ont qu’un faible pouvoir d’attraction aux yeux du héros, qui
apparait davantage comme un ambitieux, soucieux de fréquenter les meilleurs salons, inquiet de
sa situation social, des égards que lui témoigne telle ou telle duchesse.
Proust décrit le snobisme de l’extérieur, avec un désabusement(razocarenje,bez
zablude) une lucidité de commande, dictés par le désir de ne pas passer soi-même pour snob. Il
fait une étude psychologique sur les différents variétés de l’ambitieux, dans une étude historique
sur la société à la fin du XIXe siècle que dans l’histoire plus modeste de Jean Santeuil (voir Jean
Santeuil, p.426 ; Pléiade), et la formulation de cette vérité lui permettra quelques années plus
tard, de transformer la description objective du snobisme en ressort romanesque : « Le désir
(est) dans le snobisme comme dans l’amour le principe et non l’effet de l’admiration» (Jean
Santeuil, p.428). Quels que soient les salons qu’il décrit, celui d’un bas-bleu ou celui d’une reine
d’élégance, une certaine exigence intellectuelle préside (vlada, predsedava, rukovodi) à la
conversation.
La mode a passé de vouloir chercher l’œuvre à travers son auteur comme la faisait la
critique beuvienne ou plutôt que de se demander seulement si l’on est en présence d’un
homme dévoré du besoin d’aimer, plutôt que de considérer en Proust un émule(takmac,
suparnik) de la Rochefoucauld, désireux, comme il l’écrivait dès 1894, « de vivre dans un cercle
de femmes et d’hommes magnanimes(velikodusan, plemenit, dobar) et choisis, assez loin de la
bêtise du vice et de la méchanceté » il est vrai qu’on peut remarquer déjà dans Les Plaisirs et les
jours la nature sensible de l’écrivain, qui appelle de ses vœux « le pur, le parfait amour », mais il
n’y est pas encore un vrai romancier ; il le deviendra dans La Recherche, où, après avoir
s’orienté avec les années vers l’impersonnalité, il démontrera une expression dense, plaine des
sens, des pensées, qui se cachent dans ses phrases complexes, qui se prolongent et
s’entrelacent en serpentant juste comme les fils d’une tapisserie, et donnent une trame solide à
sa narration. Il est vrai qu’on peut trouver assez nombrables morceaux qui révèlent la
ressemblance entre Proust et le narrateur, mais ce serait une considération superficielle de les
identifié car, (foot note no.2p ;10 pocetak str.)en peignant les renversements( obaranje, rusenje,
propast, slom, pad, nered, zbrka) de situations ou d’états de ses personnages, Proust respectait
indéniablement certaines lois majeures du genre romanesque. Cela suffisait pour rassurer
certains lecteurs de prime abord déroutés.(Ibid.p.13, la fin du deux.paragrape)
Des déclarations d’intention aux premier tâtonnements des esquisses, du grand
développement du l’œuvre à sa publication, La Recherche s’est construite par étapes. Nous
voyons aujourd’hui le roman se profiler dans une perspective où tout le commente et où tout
l’éclaire : brouillons, manuscrits, dactylographies, placards d’imprimeries, éditions sur chiffons de
Bruges, correspondances, coupures de presse, thèses, actes de colloques, préfaces, notices,
postfaces, variantes, pastiches, scénarios de film en technicolor, dépliants(prospekti)
touristiques de la Normandie et dictionnaire des fournisseurs(dobavljaca, snabdevaca) de
Proust. Mais l’écriture qui s’y est fixé on doit chercher au-delà de la science qui examine le
papier ; il faut refuser l’explication chronologique et considérer simultanément ; comme s’ils
étaient contemporains, le début et la fin de l’œuvre. Le principal, ici, est présent dès le début. Le
travail de Proust est de donner sa meilleure expression possible à une trame narrative, à un
projet romanesque dont l’esprit changera peu entre le moment où il est conçu et celui où il est
réalisé et publié.
Dans son procédé il y a aussi une volonté d’affirmer que tous les êtres, même ceux qui
semblent les plus incultes, les moins sensibles, tendent vers cette réalisation de l’individuel dans
l’absolu que sont l’art et la littérature.
Proust a écrit un œuvre multidimensionnel qui donne à la critique maintes possibilités
de l’analyser. Et c’était justement la raison que beaucoup d’eux très souvent perdaient son fils.
Ce qu’on a dès l’abord bien vu, c’est le rôle joué par le temps, par l’absence, thème que
Proust développait avec un luxe de détails, et qui a son influence sur tous les autres thèmes.
Même la recherche coule dans le temps, tout se déroule dans le temps, mais en revanche à
l’oublie, rien n’est passé, rien ne s’anéantit pour toujours ; le temps porte seulement une
illusion qu’on peut échapper à soi- même. Mais n’est-il pas juste cette fuite la recherche de son
bonheur, la recherche de « moi ». Cette recherche donne une profonde valeur psychologique
à l’œuvre. A l’autre côté, il y a peu de rapports entre la vie intérieure et l’apparence sociale de
l’être, entre l’image qu’ils offrent d’eux-mêmes et leur vie intellectuelle, la plus riche en
péripéties. D’un côté, certains méprisent les cercles mondains et de l’autre côté, ils s’efforcent
d’y être présents, comme par exemple Legrandin, bon exemple pour l’homme à deux visages.
Aussi les bals, les soirées, les dîners chez Mme Verdurin et chez Mme de Villeparisis, comme
ceux chez de Mme duchesse Oriane de Guermantes et ceux de Princesse de Guermantes ne
nous donnent-ils pas une image précieuse de l’état sociale de la France de ce temps-là ? Ne
nous donnent-ils pas aussi les innombrables informations sur l’histoire, sur l’art, sur la
politique (ce qu’évoque un peu Balzac avec sa Comédie Humaine, laquelle est , me semble-t-il,
surpassée un peu par la densité de l’expression poétique de Proust)? Après tous cela il faut se
retourner à la vie intérieure des personnages principaux et faire attention aux leurs troubles
plus profonds et, l’on va vite noter que l’amour ne cesse, à mesure que l’œuvre avance, de
s’enrichir de rapports et de résonances. Même si nous nous demandons sur la fréquence des
certains mots dans La Recherche, comme l’a fait une fois Pauline Newman qui a établis les
tableaux statistiques5 des mots les plus fréquemment employés chez certains écrivains parmi les
quels était aussi Proust, et qui nous a aidé de savoir sans peine que c’est juste le mot amour qui
est le plus fréquent, et non seulement dans La Recherche, mais aussi dans Les Plaisirs et les jours.
Le terme amour a 113,9 occurrences et il est suivi du mot désir (33,3 occurrences), du mot
souvenir (31,5), du mot temps(31,1) et puis des autres mots comme : imagination, mémoire,
femme, mort, connaissance, plaisir.6 Et se n’est pas un biais(okolisanje, obilazan put) pour aborder
le thème de l’amour, car, même Proust nous a montré la route quand il a dit : « Le monde n’est
qu’un reflet de ce qui se passe en amour ».
5 Pauline Newman, Dictionnaire des idées, Mouton, 1968
6 Pour ceux curieux, le tableau de Pauline Newman est donné à la fin de cette dissertation-ci
Comme on a déjà donné l’exemple de Sartre et d’André Gide, l’analyse proustienne
prise en somme total, comme celle de l’amour, fut tour à tour blâmée ou louée, selon les
écoles, les idéologies ou les tempéraments, Certains avouaient une justesse encore peu égalée,
d’autres reconnaissaient la profondeur de l’analyse, mais la jugeaient plus ou moins faussée par
un coefficient particulier à l’individualité de Proust. Il semblait que tous aient été égarés dans sa
recherche de la vérité de La Recherche écrite par Proust. Et la sortie de cette impasse ne sera
trouvée qu’avec les premières tentatives de la critique dite structurale.(p.15,2e paragr ;)
L’AMOUR se nait pour la première fois dans « Combray » quand le narrateur voit la
duchesse de Guermantes à la messe de mariage de la fille de docteur Percepied. Alors son nom
que le narrateur rêvait « s’est coloré et a absorbé les lumières des vitraux ». Ce qui est
indispensable pour comprendre l’amour chez Proust, c’est de faire attention d’où il provient :
ce n’est pas qu’il se naît d’un rencontre vis-à-vis, mais d’une imagination suscitée par les
souvenirs d’enfance ou par les formes, odorats, couleurs, sons, noms ; l’imagination suscite de
l’art aussi.
Le narrateur, lui-même nourrit son amour par son imagination, de laquelle il tire les
traits qui n’existent qu’au-delà de la réalité. Dans Combray, on voit déjà qu’il fait une image dans
son esprit d’une mère idéale, qui doit être la sienne pour lui. Et, vu qu’elle ne l’est( car elle ne
comprend au début le besoin de son fils qu’elle lui donne un baiser avant qu’il se couche, et
même quand il y a des hôtes chez eux, parmi lesquels le plus respecté et le plus fréquent était
Swann, qui, à cause de ce fait était pour le narrateur l’objet de la haine pour un bourreau de sa
rite indispensable pour qu’il se s’endorme), il se précipite dans le désespoir, jusqu’à ce qu’il ne
prenne le courage, juste la nuit où Swann leur rendait visite, de la croiser dans le couloir au
moment où elle et son mari regagnaient leur chambre, pour lui expliquer ses souffrances avec
une hardiesse, ce qui lui apportera un coucher le plus belle de sa vie, car, au lieu de se fâcher et
de le punir, à ce qu’il avait attendu, elle va être persuadée de la part de son mari de rester
dormir toute la nuit dans la chambre de leur fils. Et vu que même le livre François le Champi,
qu’elle lui avait lu cette nuit, était destiné de lui être le cadeau de sa grand-mère pour la fête qui
s’approchait à peine, tout cela le rendra heureux plus qu’on ne le puisse imaginer. Et cette
concession aura son importance : à la fin de l’ouvrage, le narrateur déclarera : « /…/ De cette
soirée datait…le déclin de ma volonté, de ma santé », ce qui, au lieu d’empêcher sa sensibilité de
l’amener aux souffrances perpétuelles, a stimulé son désir de s’accroître jusqu’à ce que
l’imagination ne devienne sa réalité, étant le filtre principal pour tout ce qui l’entoure et l’excite
à la quelconque manière. Et tant que, l’essence de tout, et même de l’être aimé reste caché
dans les ténèbres de son imagination errée, qui, inconsciente d’être seulement la nourrice de
l’amour-propre et de l’égoïsme, déforme les traits réels de celui qu’on aime. Le narrateur de La
Recherche va reconnaître à la fin de son voyage romanesque une vérité indispensable pour
atteindre le but de la recherche : que nous ratons les êtres. C’est ce que Proust a avoué déjà
dans Les Plaisirs et les Jours, où il parle du fait qu’on juge un homme toujours meilleur après sa
mort que pendant sa vie qui nous donnait la possibilité de lui faire tort, et surtout s’il s’agissait
de l’être aimé que, pendant qu’il était notre vie elle-même, nous n’avons pas vu que « /…/
comme ces paysages qu’on découvre seulement des sommets », et, « après l’avoir tenu pour la seule
chose précieuse de ce monde, après l’avoir maudit, après l’avoir méprisé, il nous est impossible de
le juger ». Tandis que cet être (ici femme) vivait « nous savions seulement qu’elle ne nous
rendait pas notre amour, nous comprenons maintenant qu’elle avait pour nous une véritable
amitié. Ce n’est pas le souvenir qui l’embellit, c’est l’amour qui lui faisait tort. /…/ Maintenant
nous comprenons que c’était un don généreux de celle que notre désespoir, notre ironie notre
tyrannie perpétuelles, n’avaient pas découragés. Elle fut toujours douce/…/. Nous, au contraire,
avons parlé d’elle avec tant d’égoïsme injuste et de sévérité. Ne lui devons nous pas beaucoup
d’ailleurs ?/…/. Alors nous songeons avec attendrissement à celle dont le malheur voulut qu’elle fût
plus aimée qu’elle n’aimait. Elle n’est plus « plus que morte pour nous » /…/. La justice veut que
nous redressions l’idée que nous avions d’elle, avec jugement dernier que nous rendons loin d’elle,
avec calme, les yeux en pleurs ». Cela veut dire que nous passons à côté de leur inquiétante
existence et de leur incompréhensible essence. Et ce qui nous « aide »de rester toujours à
côté, se sont les « médiateurs » qui aveuglent notre cœur, nourrissant sans cesse la vision
imaginatif de l’être, pour nous idéale, mais tout à fait différent de ce qu’il est dans la réalité. Ces
médiateurs suscitent les souvenirs qui portent en soi le désir de jadis : les mémoires du
Combray portent en soi l’enfance du narrateur avec toutes ses joies, douleurs et noms à
travers lesquels il va voir, sentir et aimer ; celles d’aubépines devant Tansonville, de la
madeleine, des clochers de Martinville, du bord de Balbec le régleront toute sa vie, car il les
cherchera dans toutes les femmes desquelles il s’aura sentir épris que cette faute le rendrait
très malheureux jusqu’à ce qu’il ne soit pas adulte, quand il remarque : « J’ai souvent voulu
revoir une personne sans discerner que c’était simplement parce qu’elle me rappelait une haie
d’aubépines, et j’ai été induit à croire, à faire croire à un regain(ponovno procvetavanje,
podmladjivanje, ozivljavanje, povracaj) d’affection, par un simple désir de voyage »( Du C de C
Swann, Les NomsI,185). Mais l’adolescent qui n’a pas encore abstrait le plaisir de la possession
de femmes différentes, considérées des lors « comme les instruments interchangeables d’un plaisir
toujours identique », souhait ardemment qu’à son désir d’une femme les charmes de la nature
viennent élargir « ce que celui de la femme aurait eu de trop restreint »(I, 156). Donc, le plaisir
« n’existe même pas, isolé, séparé et formulé dans l’esprit, comme le but qu’on poursuit en
s’approchant d’une femme »(I,157). On comprend l’attitude dubitative du narrateur devant les
promesses de plaisir immédiat des femmes révélées par son ami Bloch, et puis on n’est pas surpris
devant ses réflexions de Rachel au moment où il révèle que la femme idéale, adorée de son ami
Saint-Loup est celle qui vend le plaisir pour vingt francs :
« A cette femme dont toute la vie, toutes les pensées, tout le passé, tous les hommes par qui
elle avait pu être possédée, m’étaient chose si indifférente que, si elle me l’eût conté, je ne l’eusse
écoutée que par politesse et à peine entendue, je sentis que l’inquiétude, le tourment, l’amour de
Saint-Loup s’étaient appliqués jusqu’à faire-de ce qui était pour moi un jouet mécanique-un objet
de souffrances infinies, ayant le prix même de l’existence. Voyant ces deux éléments dissociés
(parce que j’avais connu « Rachel quand du Seigneur » dans une maison de passe), je comprenais
que bien des femmes pour lesquelles des hommes vivent, souffrent, se tuent, peuvent être en elles-
mêmes ou pour d’autres ce que Rachel était pour moi. /…/
Je me rendais compte de tout ce qu’une imagination humain peut mettre derrière un petite
morceau de visage comme était celui de cette femme, si c’est l’imagination qui l’a connue d’abord ;
et, inversement, en quels misérables éléments matériels et dénués de toute valeur pouvait se
décomposer ce qui était le but de tant de rêveries, si, au contraire, cela avait était perçu d’une
manière opposée, par la connaissance le plus triviale./…/sans doute c’était le même mince et étroit
visage que nous voyions Robert et moi. Mais nous étions arrivés à lui par les deux routes opposées
qui ne communiqueraient jamais, et nous n’en verrions jamais la même face.(p.152, Du C de G)
Il semble qu’il fait les énigmes des choses, ou mieux, les énigmes des personnages qu’il
ne connait pas pour de vrai, car, le monde demeurant dans son imagination est différent de
celui qui l’entoure dans le réel ; mais il fait de ce monde aussi sa propre création. Bien qu’il
confronte la vérité, il continue à nourrir ses émotions précédentes. Comme pour madame de
Guermantes, dont l’air physique ne convient pas aux histoires que lui parlait d’elle et de sa
famille Françoise, ce qui a provoqué en lui une admiration profonde devant ce nom
« Guermantes », qu’il en faisait presque des mythes dans sa tête, comme il nous la découvre
dans Le Coté de Guermantes :
« Sans doute, quelle forme se découpait à mes yeux en ce nom de Guermantes, quand ma
nourrice- qui sans doute ignorait, autant que moi-même aujourd’hui, en l’honneur de qui elle avait
été composée- me berçait de cette vieille chanson : « Gloire à la marquise de Guermantes » ou
quand, quelques années plus tard, le vieux maréchal de Guermantes remplissant ma bonne
d’orgueil, s’arrêtait aux Champs-Elysées en disant : « Le bel enfant ! » et sortait d’une
bonbonnière de poche une pastille de chocolat, cela je ne le sait pas. Ces années de ma première
enfance ne sont plus en moi, elles me sont extérieures, je n’en peux rien apprendre que, comme
pour ce qui a eu lieu avant notre naissance, par les récits des autres. Mais plus tard je trouve
successivement dans la durée en moi de ce même nom sept ou huit figures différents ; les premières
étaient les lus belles : peu à peu mon rêve forcé par la réalité d’abandonner une position intenable,
se retranchait à nouveau un peu en deçà jusqu’à ce qu’il fût obligé de reculer encore. Et, en même
temps que madame de Guermantes, changeait sa demeure, issue elle aussi de ce nom que fécondait
d’année en année telle ou telle parole entendue qui modifiait mes rêveries ; cette demeure les
reflétait dans ses pierres même devenues réfléchissante comme la surface d’un nuage ou d’un
lac. »7Les noms ont pour le narrateur une grande importance au sens d’être la source d’une
évocation des sentiments qui, quelque fois semblent perdus dans le passé, mais d’autre part,
tout ce qui est, pour le narrateur, lié aux eux, surgit dans sa mémoire évoqué par un nom, ce
7 Le Coté de Guermantes, p.6, Folio Classique, édition Gallimard, 1988
qui est bien visible dans la troisième partie de Du Coté de chez Swann, qui est lui-même titré
Noms. Et c’est justement le livre où on trouve la preuve pour la thèse que le narrateur n’aime
que l’image intellectuelle qu’il soigne en soi d’une personne. Le même vaut pour les objets et les
places, dont la valeur n’est pas en question, car, ils sont la source d’une mémoire pleine des
souvenirs inondées par les émotions, jusqu’alors, crues oubliées. Il ne faut pas oublier la petite
madeleine trempée dans la tisane, les aubépines, les coupoles, mais, quant aux noms, il dit :
« … A l’âge où les Noms, nous offrant l’image de l’inconnaissable que nous avons versé en
eux, dans le mémé moment où ils désignent aussi pour nous un lieu réel, nous forcent par là à
identifier l’un à l’autre au point que nous partons chercher dans une cité une âme qu’elle ne peut
contenir mais que nous n’avons plus le pouvoir d’expulser de son nom, ce n’est pas seulement aux
villes et aux fleuves, qu’ils donnent une individualité, comme le font les peintures allégoriques, ce
n’est pas seulement l’univers physique qu’ils diaprent de différences, qu’ils peuplent du
merveilleux, c’est aussi l’univers social :alors chaque château, chaque hôtel ou palais fameux a sa
dame ou sa fée comme les forets leur génies et leurs divinité les eaux. Parfois, cachée au fond de
son nom, la fée se transforme au gré de la vie de notre imagination qui la nourrit ; c’est ainsi que
Mme de Guermantes existait en moi, après n’avoir été pendant des années que le reflet d’un verre
de lanterne magique et d’un vitrail d’église, commençait à éteindre ses couleurs, quand des rêves
tout autres l’imprégnèrent de l’écumeuse humidité des torrents… »8, mais à la suite, n’explique-t-
il que le nom et la personnage réel ne sont pas identiques : « Cependant, la fée dépérit si nous
nous approchons de la personne réelle à la quelle correspond son nom, car, cette personne, le nom
alors commence à la refléter et elle ne contient rien de la fée; la fée peut renaitre si nous nous
éloignons de la personne, mais, si nous restons auprès d’elle, la fée meurt définitivement et avec elle
le nom,/…/. Alors le Nom, sous les repeint successives duquel nous pourrions finir par retrouver à
l’origine le beau portrait d’une étrangère que nous n’aurons jamais connue, n’est plus que la
simple carte photographique d’identité à laquelle nous nous reportons, pour savoir si nous
connaissons, si nous devons ou non saluer une personne qui passe/…/. »9
Et c’est donc dans l’enfance qu’il convient de rechercher la naissance, non seulement de
l’amour du héros pour Mme de Guermantes, mais de tout Le Coté de Guermantes. Car l’amour,
s’il est incapable d’introduire le héros dans les salons du faubourg Saint-Germain où il pourra
rencontrer la duchesse, pour n’avoir plus à l’attendre dans la rue pour la rencontrer et saluer,
s’il est même un obstacle à cette ambition, lui donne le désir de pénétrer dans ce monde où les
êtres ont des noms si merveilleux. Voilà de quoi se nourrit le snobisme de Proust. De poésie.
De rêve. De souvenir. Non d’ambition ou de vanités sociales. Mais cet amour restera inassouvis
en dépit des efforts du narrateur de trouver les manières pour attirer l’attention du duchesse
sur soi, même en cherchant l’aide de son ami Saint-Loup, lui-même le Guermantes, qui devait le
mentionner à sa tente ce que lui devait procurer la possibilité d’être invité dans sa maison, et
8 Ibid., p.4-5
9 Ibid. p.5
même en se présentent comme affectionné par les tableaux d’Elstir qu’étaient possédés par
cette madame, et en allant chez Mme de Villeparisis où il rencontre Mme de Guermantes qui,
malheureusement reste froide et s’en va sans le même saluer. Mais le jour où il aura été invité
chez elle, et où il aura éprouvé sa grande politesse pour lui, il comprendra que ses passions
pour elle ne vivent plus. Alors, il sera celui à qui n’importe plus de se trouver du côté de cette
femme et, en même temps, il sera celui qui est profondément respecté par sa famille. Et c’est
alors qu’il va commencer de découvrir la vrai Mme de Guermantes, son vrai caractère.
Le même est avec Gilberte et Albertine qui lui sont intéressantes tandis qu’elles sont les
noms seuls. Il les imagine comme il le veut. Il leur donne les traits qu’elles ne possèdent pas.
/Ses relations avec Albertine subissent diverses fluctuations :( kolebanje, nestalnost,
promenljivost)la méfiance, les premières inquiétudes au sujet des goûts et des mœurs de la
jeune fille font naître les premiers frissons d’un amour latente. Sentant qu’Albertine lui échappe
parfois, il joue la comédie de l’amour pour Andrée, et Albertine en restant près de lui, lui fait
ressentir un doux bonheur, après quoi, dit-il, il n’aurait jamais dû la revoir. La jalousie, les
craintes sont cependant encore trop faibles pour que l’amour prenne le caractère exigeant qu’il
aura plus tard/(Pages Choisis, E. Carassus, Librairie Hachette,1958)quand, après avoir cru qu’il
avait atteint l’indifférence à l’égard d’Albertine( comme celle provoquée en lui par Balbec et ses
environs qui , autrefois, avait pour lui une valeur poétique qu’exaltait son imagination) et s’avait
apprêté à rompre, il prouva une jalousie déchirante, lui-même provoquée par une douleur
profonde (qui est) provenue de quelques propos d’Albertine, et quand il se décide(s’est décidé)
à repartir pour Paris et demander à Albertine de consentir à vivre chez lui, croyant qu’en la
gardant toujours à ses côtés il apaiserait la cruauté de cette jalousie. Cependant, faisant « la
prisonnière » d’elle, il la fait « la fugitive » ; lorsqu’il comptait obtenir la calme grâce à la
présence d’Albertine chez lui, le narrateur ignorait les diverses formes que prendrait la jalousie
pour le faire souffrir, cette jalousie qui, d’ailleurs, entretient l’amour. Même prisonnière,
Albertine ne peut lui être complètement connue, transparente : l’imagination s’exalte dans le
trouble sur les actes réels ou simplement possibles, passés ou futurs d’Albertine, sur toute la
marge de ce qu’il ignore d’elle, sur ce qu’il peur en savoir ou se rappeler. Cette jalousie
détermine aussi une série de mensonges réciproques qui achèvent de le torturer. A travers des
instants d’apaisement, des crises subites, le narrateur fait ainsi un nouveau et plus profond
apprentissage de l’amour-cette torture réciproque. Les moments de calme il connait quand
Albertine s’endort et qu’il la contemple immobile et livrée au sommeil :
« Son « moi »ne s’échappait pas à tous moments, comme quand nous causions, par les issues
de la pensée inavouée et du regard. Elle avait rappelé à soi tout ce qui d’elle était au-dehors, elle s’était
réfugiée, enclose, résumée, dans son corps. En la tenant sous mon regard, dans mes mains, j’avais cette
impression de la posséder toute entière que je n’avais pas quand elle était réveillée. Sa vie m’était
soumise, exhalait vers moi son léger souffle ». (La Prisonnière, La regarder dormir, p. )
/La vie avec Albertine continue dans une atmosphère de mensonge : moments de
confiance apaisante, et douloureux moments de doute alternent. Craignant qu’Albertine ne
veuille partir, le narrateur a feint de vouloir lui-même la rupture, sentant bien que par-là il
l’éviterait. Ce n’était que la retarder. Un matin Françoise lui annonce le départ de la jeune fille.
La souffrance révèle au jeune homme la force de l’amour et celle de l’habitude. Il n’a plus le
même courage, la même volonté qu’à l’époque où il a pu décider de ne plus revoir Gilberte. Par
diverses manœuvres il essaie de faire revenir Albertine ; et passe par des états d’âme
contradictoires et complémentaires. Ses efforts sont demeurés vains quand il apprend la mort
d’Albertine, victime d’un accident de cheval. Cette mort même, contrairement à ce qu’il avait
pu croire, ne ramène pas le calme en lui. Une jalousie rétrospective le torture, puis le désespoir
d’une séparation définitive. Il se livre à des enquête sur la conduite passée de la jeune fille, et les
images d’une Albertine trompeuse et vicieuse luttent en lui contre celles des instants de
bonheur passée avec elle. L’oubli, l’indifférence viendront cependant par étapes, le moi qui
Albertine va mourir.
Cependant Gilberte est devenue Mlle de Forcheville, par le mariage d’Odette avec M. de
Forcheville. Elle est maintenant reçue chez la duchesse de Guermantes qui, tant que Swann
vivait, n’aurait pas consenti à la recevoir( ce qui était pourtant le plus vif désir de Swann). Un
voyage de Marcel à Venise lui permet de revoir Mme de Villeparisis et Norpois ; à son retour il
apprend le mariage de Gilberte avec Robert de Saint-Loup. Par ce mariage, le coté de
Guermantes et le coté de chez Swann se sont unis d’une façon imprévue./( pages choisis, p.72)
Et le jour où Albertine apparaisse de nouveau dans sa vie, il se souvient des premiers
moments passés avec elle à Balbec, mais il note qu’il n’éprouve plus les mêmes sentiments pour
elle :
« Certes, je n’aimais nullement Albertine : fille de la brume de dehors, elle pouvait seulement
contenter le désir imaginatif que le temps nouveau avait éveillé en moi et qui était intermédiaire entre
les désirs que peuvent satisfaire d’une part les arts de la cuisine et ceux de la sculpture
monumentale/…/ Or, ce plaisir qui en accomplissant mon désir m’eût délivré de cette rêverie, et que
j’eusse toute aussi volontiers cherché en n’importe quelle autre jolie femme/…/ ».
Et il la verra différente de celle qu’il là a connu, de celle qu’il a imaginée ; il commencera
à apprendre qu’il n’avait pas connu tous les visages d’Albertine, qu’elle lui toujours échappe, elle
est de ces « êtres de fuite » qui inspirent l’amour, et il va raisonner que son imagination d’une
personne est une toute autre chose de ce qu’il voit dans la réalité quand il rencontre cette
personne, et que cette personne est une perpétuelle énigme à résoudre. Avec une sorte
d’effarement, le narrateur découvre que les yeux d’Albertine appartiennent « à la famille de
ceux qui (même chez un être médiocre) semblent faits de plusieurs morceaux à cause de tous les lieux
où l’être veut se trouver ».
Et d’insister longuement sur la sorte de fascination qu’exercent ces êtres :
« Pour comprendre les émotions qu’ils donnent et que d’autres êtres, même plus beaux, ne
donnent pas, il faut calculer qu’ils sont non pas immobiles mais en mouvement, et ajouter à leur
personne un signe correspondant à ce qu’en physique est le signe qui signifie vitesse. »(III, 92)10 et
s’ils sont préférés aux « femmes les plus belles », c’est que leur prix réside essentiellement dans
la peur de les perdre, « l’inquiétude de les voir fuir », notre anxiété leur ajoutant « une qualité qui
passe la beauté même » (III, 93)11
Ainsi à l’image de la jeune fille en fleur, fabriquée par le désir et l’imagination, succède
celle d’un être mouvant, plein d’étrangeté et de turpitude. L’Albertine, bonne et bien élevée, se
révèle « innombrable ». N’était-ce pas ce qu’avait pressenti l’instinct du narrateur, avant qu’il ne
cédât à « un misérable optimisme », et ce qu’il l’avait tant captivé les premiers jours à Balbec. La
déception éprouvée, la conscience grandissante de la duplicité dans la croissance de l’amour et
le malaise qui en résulte mènent au seuil de la désespérance :
« Comment a-t-on le courage de souhaiter vivre, comment peut-on faire un mouvement
pour se préserver de la mort, dans un monde où l’amour n’est provoqué que par le mensonge et
consiste seulement dans notre besoin de voir nos souffrances apaisées par l’être qui nous a fait
souffrir ? »( III, 94)12
Et aussi longtemps qu’il l’aimera, il ne parviendra plus à saisir son « essence » que le
secret de ses pensées et de ses actes. Le narrateur ne possédera jamais qu’un « double ».
Toujours entre elle et lui se dressera « un infranchissable silence ». C’est là où se cache la nature
sécrète de la naissance de l’amour.
L’amour du narrateur pour chaque femme qu’il aimait, était provoqué par ses rêveries :
qu’il croyait toujours que chacune parmi eux est quelque chose insaisissable, impénétrable et
loin pour lui. Se promenant avec ses parents à Combray et passant du côté de chez Swann à
côté sa maison, il vu Gilberte pour la premier fois, et Il la contemple se jouer au jardin, mais ne
faisant pas l’attention à lui. Et un regarde qu’elle lui jette enfin, le marque pour le futur ; car il lui
semblait pleine de dépit, ce qui lui donne la preuve qu’elle est inaccessible pour lui. Et il va rêver
d’elle en la faisant quelque chose spéciale, cette fille de Swann, ce Swann, qui les fréquentait
sans sa femme caractérisée comme non-convenable d’être accueillie dans une maison des
hommes honnêtes (maison de la famille du narrateur chez sa tante Léonie), vu qu’elle était
connue comme une coquette. Cette distance provoquera, juste comme avec Mme de
Guermantes, bien des idées fausses sur la Gilberte. Il restera stupéfait devant cette découverte,
la découverte qu’elle n’a pas l’air physique qui convient à son nom, quand il l’aura vue au
Champs-Elysées et qu’il aura fait sa connaissance. Elle n’était autant belle qu’il l’avait imaginée,
10
Cité d’après :Bernard Pluchart-Simon, PROUST, l’Amour comme vérité humaine et romanesque, P. 89 Larousse université : collection- thèmes et textes, 1975 11
Ibid., p.90 12
Ibid., P. 90
ou mieux, qu’il avait voulu qu’elle le soit. Il liera l’amitié avec elle, mais toujours espérant qu’elle
lui deviendra plus qu’une camarade, et il sera déçu après avoir connu qu’elle n’a pas las mêmes
vœux :
« Tout le temps que j’étais loin de Gilberte, j’avais besoin de la voir, parce que,
cherchant sans cesse à me représenter son image, je finissais par ne plus y réussir, et par ne plus
savoir exactement à quoi correspondait mon amour. Puis, elle ne m’avait encore jamais dit qu’elle
m’aimait. Bien au contraire, elle avait souvent prétendu qu’elle avait des amis qu’elle me préférait,
que j’étais un bon camarade avec qui elle jouait volontiers quoique trop distrait, pas assez au jeu ;
enfin elle m’avait donné souvent des marques apparentes de froideur qui aurait pu ébranler ma
croyance que j’étais pour elle un être différent des autres, si cette croyance avait pris sa source dans
un amour que Gilberte aurait eu pour moi, et non pas, comme cela était, dans l’amour que j’avais
pour elle, ce qui la rendait autrement résistante, puisque cela la faisait dépendre de la manière
même dont j’étais obligé, par une nécessité intérieure, de penser à Gilberte. Mais les sentiments que
je ressentais pour elle, moi-même, je ne les lui avais pas encore déclarés. /…/le plus pressé était que
nous nous vissions Gilberte et moi, et que nous puissions nous faire l’aveu réciproque de notre
amour, qui jusque-là n’aurait pour ainsi dire pas commencé. Sans doute les diverses raisons qui
me rendaient si impatient de la voir auraient été moins impérieuse pour un homme mûr plus tard,
il arrive que devenus habiles dans la culture de nos plaisirs, nous nous contentons de celui que
nous avons à penser à une femme comme je pensais à Gilberte, sans être inquiets de savoir si cette
image correspond à la réalité, et aussi de celui de l’aimer sans avoir besoin d’être certains qu’elle
nous aime ; ou encore que nous renoncions au plaisir de lui avouer notre inclination pour elle,
afin d’entretenir plus vivace l’inclination qu’elle a pour nous, imitant ces jardiniers japonais qui
pour obtenir une plus belle fleur, en sacrifient plusieurs autres. Mais à l’époque où j’aimais
Gilberte, je croyais que l’amour exister réellement en dehors de nous ; que, en permettant tout au
plus que nous écartions les obstacles, il offrait ses bonheurs dans un ordre auquel on n’était pas
libre de rien changer ; il me semblait que si j’avais, de mon chef, substitué à la douceur de l’aveu la
simulation de l’indifférence, je ne me serais pas seulement privé d’une des joies dont j’avais le plus
rêvé mais que je me serais fabriqué à ma guise un amour factice et sans valeur, sans
communication avec le vrai, dont j’aurais renoncé à suivre les chemins mystérieux et
préexistants.13 Mais un jour, le narrateur décide de s’éloigner de Gilberte, d’exercer une
séparation prolongée avec elle, ce qui rendra son indifférence possible, et, à l’autre côté
l’indifférence de Gilberte pour lui impossible. Il prend cette décision après avoir devenu
conscient qu’il a plusieurs « moi » en soi, comme qu’il y a aussi plusieurs Gilbertes (celle qu’il
imaginait avant de la rencontrer de nouveau, celle qu’il a connu et avec laquelle il jouait- qui
ne coïncidait pas guère avec celle de son imagination et qu’il aimait, et celle qu’il imaginait
que l’aimerait peut-être un jour), et que seulement un de ces « moi » aime une de ces Gilbertes,
comme il le constate lui-même : « C’était à un long et cruel suicide du moi qui en moi-même
13
M. Proust, Du Côté de chez Swann, Les Noms, p.
aimait Gilberte que je m’acharnait avec continuité, avec la claire voyance non seulement de ce que
je faisait dans le présent, mais de ce qui en résulterait pour l’avenir ; je savais non pas seulement
que dans un certain temps je n’aimerais plus Gilberte, mais encore qu’elle-même le regretterait, et
que les tentatives qu’elle ferait alors pour me voir, seraient aussi vaines que celles d’aujourd’hui,
non plus parce que je l’aimerais trop, mais parce que j’aimerais certainement une autre femme que
je resterais à désirer, à attendre , pendant des heures dont je n’oserais pas distraire une parcelle
pour Gilberte qui ne me serait plus rien. Et sans doute en ce moment même, où (puisque j’étais
résolu à ne plus la voir, à moins d’une demande formelle d’explications, d’une complète
déclaration d’amour de sa part, lesquelles n’avaient plus aucune chance de venir) j’avais déjà
perdu Gilberte, et l’aimais davantage, je sentais tout ce qu’elle était pour moi, mieux que l’année
précédente, quand passant tous mes après-midis avec elle, selon que je voulais, je croyais que rien
ne menaçait notre amitié, sans doute en ce moment l’idée que j’éprouverais un jour les mêmes
sentiments pour une autre m’étaient odieuse, car cette idée m’enlevait, outre Gilberte, mon amour et
ma souffrance. Mon amour, ma souffrance, où en pleurant j’essayais de saisir justement ce
qu’était Gilberte, et desquels il me fallait reconnaitre qu’ils ne lui appartenaient pas spécialement
et seraient, tôt ou tard, le lot de telle ou telle femme. »14
Songeant du diner avec Mme de Stermaria, le narrateur apprend qu’on peut s’éprendre
de n’importe quelle femme, si le cas le veut :
« À l’égard de Mme de Stermaria, c’était bien plus et il me suffisait maintenant, pour
l’aimer de la revoir afin que fussent renouvelées ces impressions si vives mais trop brèves et que la
mémoire n’aurait pas sans cela la force de maintenir dans l’absence. Les circonstances en
décidèrent autrement, je ne la revis pas. Ce ne fut pas elle que j’aimai, mais c’aurait pu être elle.
Et une des choses qui me rendirent peut-être le plus cruel le grand amour que j’allais bientôt avoir,
ce fut, en me rappelant cette soirée, de me dire qu’il aurait pu, si de très simples circonstances
avaient été modifiées, se porter ailleurs, sur Mme de Stermaria ; appliqué à celle qui me l’inspira
si peu après, il n’était donc pas- comme j’aurais pourtant eu si envie, si besoin de le croire -
absolument nécessaire et prédestiné »15
. La même pensée est dite par Mme de Guermantes une fois à propos l’amour de Saint-
loup pour Melle Rachel. :
« Je sais que n’importe qui peut aimer n’importe quoi »16
14
M. Proust, Du Côté de chez Swann, Les Noms, p. 15
M. Proust, Le Côté de Guermantes, P. 381 16
Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, p. 218 ; Gallimard, Paris, 1988
Cette thèse de l’amour qui se naît d’une attraction vers ce qui fera le plus souffrir,
tant présente dans son œuvre, n’est que provenu du psychanalyse de Freud qui était son
contemporain, d’après qui la passion est appauvrissement et déperdition de notre être en
faveur de l’autre ; et pour que la passion se développe nous devons former avec l’être aimé
« une constellation psychologique intéressante »
Les autres amours, comme celui de Swann et celui de Saint-Loup reposent aussi
sur les aberrations. Tous les deux hommes, sont épris des femmes qui ne les aiment pas ; mais
ce n’est pas le plus frappant fait. Ce qui est épouvantable, c’est que leurs passés étaient connus
à tous sauf à leurs amants. Pour les autres, leurs corps avaient son prix marchand, et c’est la
même chose pour Swann et pour saint-Loup, sauf qu’ils ne le voient pas, ou, ils ne veulent le
voir, vu qu’ils sont amoureux. Tous les deux hommes sont très respectés dans la haute société,
tous les deux éduqués et tous les deux aveugles devant la vérité douloureuse qui montrera
leurs amantes dans un éclair assez sombre pour coïncider avec leurs amours purs.
Swann est tout à fait conscient qu’Odette ne possède pas les charmes qui l’attirent
vraiment. Elle est trop pale, trop maigre, elle a les yeux trop grands ; elle lui ressemble aux
femmes peintes sur les œuvres d’art qu’il apprécie, mais il ne se passion pas physiquement pour
ce type de femmes. Son apparence le fait contempler des silhouettes et des visages représentés
dans les tableaux qu’il aime. Mais, il sera épris par cette femme. Elle deviendra son obsession, et
cela premièrement dans ses pensées. Juste comme le narrateur, il fera son amour naître de son
imagination, en dépit qu’il était parfois conscient qu’il se dégagera des liens enchanteurs et
maléfiques(zlokoban, podao) qui l’enserrent. Il va fréquenter les Verdurins seulement pour y
voir Odette, il va cesser d’écrire son œuvre sur Vermeer, il va s’éloigner de son monde
aristocrate, il va refuser les invitations de ses amis et, tout ce pour se dédier à Odette, mais
non physiquement comme spirituellement, car elle le laissera seul pendant les mois ( quand elle
va croiser avec les Verdurins et qui au contraire, ne montre pas pour lui au moins le respect
nécessaire, et même si elle ne l’aime pas. « Swann s’est attaché à Odette, mais la qualités dont il
la pare ne sont que le reflet de son amour inquiet. Tandis qu’en lui le besoin d’Odette se fait
plus fort, il sent que sa maitresse lui échappe, qu’il demeure, dans la vie de la jeune femme,
toute une marge d’inconnu où il n’a point accès. Par les souffrances et la jalousie, un amour plus
profond s’empare de Swann. » (pages choisis, p27) Et il le vit, mais en dépit de cela il reste avec
elle. Il soigne ses illusions, il nourrit son amour par sa jalousie. Et c’est juste qu’il apprend qu’il
est amoureux, quand il sent pour la première fois la jalousie à cause d’elle. C’est le moment où
il comprend qu’elle lui échappe, qu’elle peut dire les mêmes mots qu’elle disait à lui, à un
autrui. Et, malheureusement, il restera attrapé à cette piège jusqu’à la fin, même quand il aura
commencé à sentir que l’amour en lui s’atténue, que n’en reste en lui que les souvenirs
« d’arranger les orchidées » comme les souvenirs des beaux moments passé avec elle qui seront
provoqués chaque fois qu’il entend la petite sonate de Vinteuil. Mais, après bien des séparations
avec son aimée, Swann sentira l’amour s’affaiblissant et disparaissant en lui, et quand plus tard il
l’épousera, ce ne sera pas par amour, mais par faiblesse et par peur de Swann de subir un autre
échec dans sa vie, ce qui va si loin qu’il s’efforce de retenir son amour qui s’efface de son âme :
« Jadis ayant souvent pensé avec terreur qu’un jour il cesserait d’être épris d’ Odette, il s’était
promis d’être vigilant, et dès qu’il sentirait que son amour commencerait à le quitter, de s’accrocher
à lui, de le retenir. Mais voici qu’à l’affaiblissement de son amour correspondait simultanément
un affaiblissement du désir de rester amoureux. Car on ne peut pas changer, c'est-à-dire devenir
une autre personne, tout en continuant à obéir aux sentiments de celle qu’on n’est plus. Parfois le
nom aperçu dans un journal, d’un des hommes qu’il supposait avoir pu être d’en apercevoir encore
furtivement et de loin les beautés, cette jalousie lui procurait plutôt une excitation agréable comme
au morne Parisien qui quitte Venise pour retrouver la France les amants d’Odette, lui redonnait
de la jalousie. Mais elle était bien légère et comme elle lui prouvait qu’il n’était pas encore
complètement sorti de ce temps où il avait tant souffert- mais aussi où il avait connu une manière
de sentir si voluptueuse-, et que les hasards de la route lui permettraient peut-être d’en apercevoir
encore furtivement et de loin les beautés, cette jalousie lui procurait plutôt une excitation agréable
comme au morne Parisien qui quitte Venise pour retrouver la France/…/ Mais le plus souvent le
temps si particulier de sa vie d’où il sortait, quand il faisait effort sinon pour y rester, du moins
pour en avoir une vision claire, pendant qu’il le pouvait encore, il s’apercevait qu’il ne le pouvait
déjà plus ; il aurait voulu apercevoir comme un paysage qui allait disparaitre cet amour qu’il
venait de quitter; mais il est si difficile d’être double et de se donner le spectacle véridique d’un
sentiment qu’on a cessé à posséder, que bientôt l’obscurité se faisant dans son cerveau, il ne voyait
plus rien, renonçait à regarder, retirait son lorgnon, en essuyant les verres ; et il se disait qu’il
valait mieux se reposer un peu, qu’il serait encore temps tout à l’heure, et se rencognait avec
l’incuriosité, dans l’engourdissement, du voyageur ensommeillé qui rabat son chapeau sur ses yeux
pour dormir dans le wagon qu’il sent l’entrainer de plus en plus vite, loin du pays, où il a si
longtemps vécu, et qu’il s’était promis de ne pas laisser fuir sans lui donner un dernier adieu.
Même, comme ce voyageur s’il se réveille seulement en France, quand Swann ramassa par hasard
près de lui la preuve que Forcheville avait été amant d’Odette, il s’aperçut qu’il n’en ressentait
aucune douleur, que l’amour était loin maintenant et regretta de n’avoir pas était averti du moment
om il le quittait pour toujours. Et de même qu’avant d’embrasser Odette pour la premier fois il
avait recherché à imprimer dans sa mémoire le visage qu’elle avait eu si longtemps pour lui et
qu’allait transformer le souvenir de ce baiser, de même il eût voulu, en pensée au moins, avoir pu
faire ses adieux, pendant qu’elle existait encore, à cette Odette lui inspirant de l’amour, de la
jalousie, à cette Odette lui causant des souffrances et que maintenant il ne reverrait jamais. »17 Il
en souffrira toute sa vie et mourra malheureux, tandis que sa femme dira au narrateur après sa
mort : « Je l’aimais follement/…/exactement le genre d’homme que j’aimais », atteignant ainsi le
comble de la confusion et de la dérision. Mais cela ne l’empêchera pas de convoler avec
Forcheville plus tard.
17
M. Proust, Un Amour de Swann (Du Côté de chez Swann), p.
Cependant, Saint-Loup réussira à se sauver de Rachel, mais de l’autre part, cela n’a pas
lui emporter le vrai bonheur et la paix spirituelle. Néanmoins, il mourra comme un homme
brave et honnête, qui gardera le luxe de son nom.
Ovde nastaviti sa pricom o nastojanju naratora da stupi u vezu s vojvotkinjom preko svog
prijatelja Sen Lua koji je njen rodjak, cija je ona tetka, o trazenju njene slike od Lui prilikom
posete njemu u garnizonu u Balbeku,od kog saznajemo njeno ime orijana, kao i da nije
prepametna po Luovim recima. Takodje pricati o luovoj ljubavi i ulozi cutanja, tisine, str. 112
srp. Prevod : « On dit que le silence était une force ; dans un tout autre sens il en est une terrible à la
disposition de ceux qui sont aimés. Elle accroit l’anxiété de qui attend ; rien n’invite tant à s’approcher
d’un être que ce qui en sépare et quelle plus infranchissable barrière que le silence. On a dit aussi que
le silence était un supplice, et capable de rendre fou celui qui y était astreint dans les prisons. Mais quel
supplice-plus grand que de garder le silence- de l’endurer de ce qu’on aime. Robert se disait : « Que
fait-elle donc pour qu’elle se taise ainsi ? Sans doute, elle me trompe avec d’autres ? Il se disait
encore : « Qu’ai-je donc fait pour qu’elle se taise ainsi ? Elle me hait peut-être, et pour toujours. » Et il
s’accusait. Ainsi le silence le rendait fou, en effet, par la jalousie et par le remords. D’ailleurs, plus cruel
que celui des prisons, ce silence-là est prison lui-même. » Dès lors, il commencera à attendre sa
lettre qui ne venait pas, et il se rendra presque malade en pensant de tous les douleurs de
rupture, ce qui le faisait souffrir d’avance. Et on voit que de cette incertitude ce nait l’amour, ce
qui est la preuve qu’il n’existe qu’en les douleurs, qu’il n’en est séparé point et, que l’amour
heureux n’est guère possible. Et tous ces âmes qui aiment en vaine celui qui ne les aime, sont
pleins d’un esprit intellectuel incliné vers l’art et, c’est juste cette lien souple comme la preuve
de leur sensibilité, qui donne aux leurs amours « romanesque » et « romantique » un trait
platonique. Car on n’aime pour de vrai une personne charnelle que quand elle est ailleurs ; car,
c’est alors que nous la trouvons en nous, elle vit en nous tant qu’elle devient notre obsession.
Le Coté de Guermantes s’oppose au Coté de chez Swann comme deux mondes distincts,
parallèles. Pourtant, si les univers décrits semblent inconciliables, certains personnages leur
permettent de communiquer : Charles Swann, Mme de Villeparisis, le narrateur lui-même.
Swann évoquait le monde bourgeois de la province ; Guermantes observe l’aristocratie
parisienne à travers le regard d’un jeune bourgeois. Pourtant, l’aristocratie est liée à la terre et
a gardé dans son parler, dans ses manières, certains tours de l’ancien temps. Plus tard, ces deux
monde se relieront plus étroitement par les mariages de Gilberte et Saint-Loup et Mme
Verdurin et Prince de Guermantes. Et c’est bien là un des motifs principaux de cette
persistance de l’illusion dont est victime le narrateur qui, voyant détruite l’image qu’il se faisait,
dans son enfance, de la duchesse de Guermantes, n’a de cesse qu’il l’est reconstruite, un peu
moins fidèle à son rêve, mais toujours attirante, jusqu’à ce que le temps ait fait son œuvre.
(p.63)Nous avons évoqué plus haut l’existence d’une forme de tragique dépendant du
destin infantile de l’homme ; elle se manifeste constamment dans les agissements des
personnages amoureux. La dernière image que l’on emporte du personnage tenu pour le plus
achevé de la Recherche, M. de Charlus est celle d’un enfant vieilli. A l’exception des figures
magnanimes(velikodusan, dobar) et comme intemporelles de la grand-mère et de la mère, les
personnages présentent, pour la plupart, des ressemblances avec les bouffons(lakrdijas,
komicar) pitoyables : la pitrerie chez Charlus, en particulier à l’occasion de son duel fictif,
platitude peureuse de Saniette, ridicules que se donnent Swann ou le narrateur en aimant se qui
nous montre que l’individu est tributaire de ses faiblesses et de son angoisse. Et la difficulté
d’être qu’il éprouve, qui est aussi une difficulté à aimer, à réussir une vie amoureuse, semble
d’autant plus douloureuse qu’elle s’appuie sur la connaissance de ses infirmités. Chaque
personnage répète ses échecs et cette répétition assure en elle-même une continuité de la
tragédie. Dans leurs relations amoureuses, les personnages proustiens sone les victimes d’une
minute d’angoisse, indéfiniment prolongé, dont ils ignorent l’origine ensevelie au plus profond
de leur enfance (comme le narrateur l’explique abondamment pour son propre cas). La
faiblesse de leur caractère fera le reste. Prototypes de ces êtres intellectuels et sensibles qui
doutent trop d’eux-mêmes pour croire qu’on puisse les aimer vraiment, ils ne peuvent
renouveler leur façon d’aimer. Tel est le cas de Swann, comme on l’a déjà montré.
N’éprouvent-ils pas « les mêmes espoirs, les mêmes angoisses » ? N’inventent-ils pas les mêmes
romans ? Ne prononcent-ils pas « les mêmes paroles » ? bien qu’ils avancent en âge et en
expérience, ils répètent les mêmes erreurs, prisonniers d’une enfance qui n’en finit pas de
mourir ? Vulnérables à l’excès, ils vivent dans le besoin d’être aimés, sur lequel le narrateur
ironise en inversant l’accuse qu’ils sont grands nerveux qui « croient à la vertu de leur idole ».
Ils se signalent aussi par une sorte de paresse congénitale (naslenoj, urodjenoj), qui les pousse à
faire machine arrière par « peur de souffrir dans la minute qui vient ». Si Swann désire, sans se
l’avouer la mort, c’est moins pour « échapper à l’acuité de ses souffrances qu’à la monotonie de son
effort ». Cette paresse peut aussi être à la source d’une entière méprise sur la nature de la
personne et se traduire par la lâcheté sentimentale. La cause de la plupart des malheureux des
personnages semble, en effet, résider dans « l’entre-deux de sentiments » que nous mettons sur le
visage d’un être : ainsi nous le ratons complètement, et nous nous créons notre propre
souffrance ; l’Albertine réel que le narrateur finit par découvrir après tant d’incarnations
diverses, ressemble à la fille orgiaque( qui tient de l’orgie, évoque l’orgie-terevenka, orgije,
bahanalije) surgie et devinée, le premier jour, sur la digue de Balbec »
« Si l’on est sûr de l’amour d’une femme, on examine si elle est plus ou moins belle ; si l’on
doute de son cœur, on n’a pas le temps de songer à sa figure. »(Stendhal, De l’Amour, I, XVII) ou il
met en relief l’effet de la crainte de celui qui aime, qui redouble la cristallisation.
Le personnage de M. de Charlus nous conduit au centre du problème d’un amour
inverti qui, rappelons- le, était le principal motif pour le débat de Sartre. Mais même si les
différents témoignages sur la vie de Proust « homosexuel », donnent le droit aux certains de lui
renoncer sa compétence de donner une peinture juste de l’amour, les autres y voient « un
moraliste de parti pris », comme Ramon Fernandez qui a su ne pas séparer l’expression des
sentiments analysés de la vision proustienne du temps et de l’espace, en même temps qu’il
donne du rôle de l’inversion dans le roman l’explication la plus plausible( L’amour comme vérité
humain et roman.p. 166) : « il semble que Proust ait été conduit, dans sa peinture de l’amour
contre-nature, moins peut-être par le désir de peindre et d’analyser des mœurs peu souvent
déclarées dans les romans que par la puissance démonstrative de ces mœurs en ce qui concerne la
psychologie de l’amour. En effet, l’amour inverti accentue de lui-même le caractère imaginatif ou
imaginaire de celui qui aime, le caractère interchangeable et pour ainsi dire anonyme de l’être
aimé, tandis que, par les désordres qu’il engendre dans la sensibilité, il porte au maximum les
effets déconcertants ou désunissants de la passion. » (p.75-76)18 ou Henri Bonnet, qui insiste
sur le fait que, loin de se réduire à l’inversion, l’amour proustienne englobe toutes les formes
d’amour, en particulier maternel et filial, mais il ne peut constituer une fin à l’existence ; c’est
un état trop instable. Au terme de son enquête Bonnet arrive à cette conclusion :
« Aller plus loin qu’un Benjamin Constant et surtout qu’un Beyle pouvait paraitre, du
reste, impossible. C’est pourtant ce qu’a fait Proust. On peut même dire que sur bien des points, il
renouvelle la question/…/. Avec Proust, l’amour devient un phénomène psychologique au même
titre qu’un autre, et se trouve étudié ainsi sous des formes très diverses depuis sa formation jusqu’à
sa fin. Il a pourtant demandé comme tout le monde à ce sentiment des joies illimitées, l’absolu
qu’il semble nous promettre. Mais ayant conduit l’expérience sans tricher, à plusieurs reprises, et
celle-ci l’ayant déçu, il a renoncé aux cristallisations auxquelles, en dépit de tout, restent fidèles les
amants déçus ; il a cherché les causes de ses échecs et les a trouvées dans le mécanisme et les
principes de cette passion. Sur ce chapitre comme sur les autres, Proust a sacrifié ses illusions au
désir plus élevé de connaitre la vérité(I, p.139). A la différence de Stendhal, selon Bonnet, pur
hédoniste pour qui seul comptent les passions « où les désirs violents ont les plus grandes
jouissances » ( De l’Amour, I, 12), Proust ne peut se résoudre à séparer le bonheur de la
vérité :
« Si douces que soient les satisfactions de l’amour, il ne peut oublier leur caractère
trompeur, et l’impossibilité à laquelle se heurte cette passion ressort de l’investigation proustienne
avec l’évidence d’un syllogisme. L’amour et le désir de ce que nous n’avons pas, et même de ce qui
nous échappe. Vouloir aimer, c’est vouloir posséder. Contradiction, puisque l’on ne désire que ce
que l’on ne possède pas. La possession, si elle était réalisable, serait la mort du désir et de l’amour.
(I, p.183) »
Marcel Proust a mené coup sur coup les trois expériences du monde, de l’amour et de
l’amitié, dont l’échec s’explique par le même principe, qui rend compte également des erreurs
de la perception. La psychologie prépare le point de vue de l’artiste, qui nous fera voir »le
monde en nous-mêmes ».
18
Ramon Fernandez, a la gloire de Proust,( p. 75-76), Nouvelle Revue Critique, 1943- cité d’après : Bernard Pluchart-Simon, PROUST, l’Amour comme vérité humaine et romanesque,P. 165
LA SOLITUDE
« La méthode proustienne de décrire l’amour est essentiellement analytique.
L’amoureux proustien n’est pas beaucoup passionné, violent, il réfléchi et, à cause de cela il ne
prouve jamais un stable sentiment de la haine qui, si même suscite quelquefois, ne dure que
brièvement, comme le note une fois le narrateur pour Albertine : « Il n’y eu qu’un moment que
j’eusse pour elle une espèce de haine qui ne fit qu’aviver mon besoin de la retenir ». L’auteur
aussi jamais ne concentre ni ne stylise la passion ; il se place après la tourmente, dans le
mouvement de retour qui suit l’emportement.
D’autre part, on peut noter que ce sont toujours les hommes qui « aiment », comme
que Proust partage l’opinion de C.G.Jung, qui dit dans son œuvre « L’âme et la vie » :
L’amour chez la femme n’est pas sentimentale-il ne l’est que chez l’homme-, il est une volonté
de vivre terriblement dépourvue de sentimentalité »(p.151) La femme est le plus important
participant de la nature qui lui est consubstantielle, elle est la nature seule et pour ça, elle est la
reine dans l’univers proustien, « fugitive parce que reine » - parfois compatissante et se
sacrifiant de bon cœur lorsque les circonstances le commandent, comme Odette ou Albertine.
Aussi est-elle exemptée en grande partie de « pêché originel » qui pousse l’homme à vouloir
connaitre la totalité de son être à travers la partie féminine de son âme.(l’amour comme vérité
humaine…p.28)
Pour Germaine Brée (Du Temps perdu au Temps retrouvé, Les belles lettres, 1950, P.
153-173), le personnage proustien semblerait n’aimer que lorsqu’il le veut et n’aboutirait qu’à
un sentiment frelaté, proche de la souffrance : l’amour est pour lui « luxe ou plaisir, un
divertissement plus ou moins dispendieux qui n’engage pas tout l’être/…/. L’amoureux proustien
donne plutôt l’impression d’être un somnambule de l’amour, se promenant dans une
fantasmagorie, le portefeuille à la main… »19 (L’amour comme vérité...p. 21)
Car l’amour décrit par Proust est toujours d’une certaine façon, un « malentendu », entretenu
par les exigences des sens et illusions du cœur (comme pour Apollinaire, « l’amour est maudit
pour ce qu’il peut donner »). Un malentendu que les deux acteurs du drame assument en
souffrant lucidement, prisonniers qu’ils sont de désirs qu’ils ne peuvent lire que beaucoup plus
tard, après la tourmente de la passion.
« En effet, si l’amour est le point de contact privilégié avec les autres et la vie elle-même, il
peut mener à une perversion progressive mais inéluctable du sens de la beauté et du bonheur.
L’âme, en devient, comme celle de Swann, « toute empoisonnée ». Telle est son ambiguïté, sa
19
Cité d’après :Bernard Pluchart-Simon, PROUST, l’Amour comme vérité humaine et romanesque,P.21
dualité : il accapare l’être pour le meilleur et pour le pire, en même temps qu’il le soustrait à la
saveur du monde. »
Tableau de fréquences établi par
Pauline Newman
Marcel Proust André Malraux Simone de Beauvoir No mot fréquence mot fréquence mot fréquence
1 amour 113.9 homme 92.0 femme 128.2
2 désir 33.3 vie 58.0 vie 54.4
3 souvenir 31.5 mort 41.1 Etats-Unis 52.4
4 temps 31.1 amour 23.7 homme 48.3
5 imagination 29.5 révolution 22.2 amour 43.8
6 mémoire 29.2 femme 22.1 Chine 37.3
7 femme 27.7 monde 21.0 Amérique 30.9
8 mort 27.3 art 20.1 Américain 30.1
9 connaissance 25.9 action 18.5 mort 28.8
10 plaisir 24.8 Europe 17.5 mariage 25.0
11 changement 23.5 Européen 17.3 liberté 24.2
12 esprit 23.1 mourir 15.6 monde 20.2
13 rêve 22.5 Chinois 15.3 bonheur 18.8
14 réalité 21.0 meurtre 14.6 avenir 16.6
15 habitude 20.9 guerre 14.3 vérité 15.1
16 vérité 20.9 connaissance 14.1 guerre 13.7
17 jalousie 20.8 souffrance 14.0 existence 13.4
18 art 19.6 communiste 13.7 enfant 13.1
19 écrivain 19.4 force 13.4 jeune fille 10.7
20
pensée 18.5 Chine 12.9 écrire 10.6