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0 Virginie Ségard, TA Le traducteur professionnel : une espèce menacée ou la robotisation du monde

Le traducteur professionnel : une espèce menacée

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Virginie Ségard, TA

Le traducteur

professionnel : une

espèce menacée

ou la robotisation du monde

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Virginie Ségard

Le traducteur

professionnel : une

espèce menacée

ou la robotisation du monde

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Le traducteur professionnel : une espèce menacée, ou la robotisation du monde

© Virginie Ségard, 2009.

Ce livre est protégé par le droit d’auteur. Tous droits réservés.

Auteure : Virginie Ségard, TA

Page 5: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

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Table des matières

Introduction 4

La place de la traduction professionnelle 4

Qu’est ce qu’un traducteur professionnel? 5

L’éthique du traducteur professionnel 6

Le traducteur professionnel face au bricoleur des mots 7

Ce qui distingue le traducteur professionnel 8

Reconnaître la traduction comme une profession à part entière 9

Qu’est ce qu’une traduction professionnelle? 11

Le piège de la technologie 12

Que faire pour protéger le traducteur professionnel? 17

Conclusion 18

Page 6: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

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Introduction

J’aurais très bien pu aussi intituler cet ouvrage « Il faut sauver le traducteur Humain ».

Le traducteur professionnel sait se définir. Il connaît ses valeurs. Malheureusement, il est

aussi conscient des dangers qui menacent son activité. Serait-il une espèce en danger

critique d’extinction comme le loup roux ou le tigre de Sibérie?

Le présent ouvrage n’a aucune intention accusatrice. Il s’agit d’un traité de

sensibilisation. Cet ouvrage, j’ai longtemps cru l’écrire avec l’énergie du désespoir.

Cependant, si j’ai pris la résolution de l’achever, c’est que j’ose encore espérer que la

flamme vacillante de l’espoir continue de briller. Je l’ai écrit pour tenter de redonner un sens

à ma vie dans le monde actuel frappé par ce qui semble être une perte irrémédiable de tout

civisme et de toute humanité. Les gens pressés m’indisposent et me rendent mal à l’aise.

Les gens qui ne sont plus – l’ont-ils jamais été? – capables de suspendre un instant la

course effrénée de leur vie pour humer le suave parfum d’une fleur au printemps, admirer un

ciel étoilé par une nuit de pleine lune ou écouter le doux chant d’un oiseau au lever du jour,

ces gens-là me font peur ou plutôt, ils me font pitié.

Ce traité s’adresse non seulement au traducteur professionnel, mais plus encore et

surtout au public qui le menace. Il vise à sensibiliser à la nature même de la traduction

professionnelle les personnes extérieures à cet univers. Il s’adresse également aux

personnes qui travaillent dans le domaine de la traduction sans toutefois manifester de

sensibilité à l’égard de ce qu’est réellement une traduction, la transformant de ce fait en un

simple produit de consommation et tenant un discours fade entièrement axé sur le

rendement et l’argent. La traduction devient alors un instrument de profit dans un milieu

insensible et manipulateur où le traducteur professionnel fait des pieds et des mains pour

sauver sa peau.

La place de la traduction professionnelle

La traduction est pratiquement aussi ancienne que la parole et l’écriture et s'est imposée

à toutes les époques comme moyen de communication entre des peuples de langues et de

cultures différentes. Néanmoins, ce n’est qu’au cours du XXe siècle, sous l’effet de la

multiplication des échanges et de l’accélération des communications, que la traduction s’est

réellement établie en tant que profession.

Page 7: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

5

Le premier pays consommateur de traductions au monde est le Canada, suivi par la

Suisse et la Belgique. Le point commun à ces pays est d’avoir au moins deux communautés

linguistiques : francophone et anglophone pour le Canada, wallonne et flamande pour la

Belgique, et quatre communautés pour la Suisse : germanophone, francophone, italienne et

romanche. La traduction est donc le moyen par excellence de jeter un pont entre les

habitants de ces pays. Toutefois, il existe aussi des communautés linguistiques plus

homogènes qui éprouvent le besoin de communiquer avec d’autres communautés

linguistiques vivant dans des pays étrangers, afin d’établir des relations commerciales

diplomatiques au niveau des affaires extérieures, ou d’échanger des connaissances

techniques et scientifiques. La traduction joue là encore un rôle de premier plan, et les pays

qui font une grande consommation de traductions sont les sept grands pays industrialisés

formant le G7, à savoir les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, le Canada,

l’Allemagne et le Japon. Les langues les plus demandées sont les langues européennes,

l’anglais venant largement en tête, suivi indifféremment par le français, l’allemand,

l’espagnol, l’italien et le néerlandais, et, plus rarement d’autres langues telles que le russe,

l’arabe et le japonais. C’est dire le rôle essentiel que joue le traducteur professionnel

soucieux de la qualité et du moindre détail.

Qu’est ce qu’un traducteur professionnel?

Le traducteur professionnel est à la fois un artisan des mots et un amoureux du langage.

Il sait communiquer élégamment, choisir les mots justes afin de véhiculer l’idée de départ

dans le plus grand respect de l’auteur tout en tenant compte des particularités culturelles et

sociolinguistiques propres à la langue cible. Le traducteur professionnel doit aussi pouvoir

faire preuve d’un esprit critique très développé et posséder d’excellentes capacités d’analyse

et de synthèse, ainsi que des qualités rédactionnelles et stylistiques, et un goût prononcé

pour la recherche.

Pour rester fidèle à ses valeurs, le traducteur professionnel a le devoir d’observer

scrupuleusement un code de déontologie rigoureux et l’entière liberté d’accepter le travail

qu’on lui propose ou de refuser tout projet allant à l’encontre de son éthique. Il a donc non

seulement des devoirs, mais aussi des droits qu’il doit savoir exercer.

Page 8: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

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L’éthique du traducteur professionnel

Le traducteur professionnel est avant tout une personne qui a un profond respect d’elle-

même. Il a, par conséquent, un profond respect à l’égard de ce qu’il fait, de son travail. C’est

ainsi que son travail peut être respecté et qu’il peut prétendre lui-même à des marques de

respect de la part des gens qu’il côtoie – ses clients, ses collègues, le milieu de la traduction

professionnelle, etc.

Le traducteur professionnel n’acceptera jamais de traduire dans une langue autre que sa

langue maternelle, car il est conscient de ses limites et recherche une qualité et une

exactitude exemplaires. Il peut traduire dans plusieurs combinaisons de langues, mais

toujours dans le même sens. Il transpose des textes écrits d’une langue de départ (source)

dans une langue d’arrivée (cible), la langue source étant sa langue de travail et la langue

cible, sa langue maternelle. Ce n’est qu’en traduisant vers sa langue maternelle, celle dont il

connaît toutes les ficelles parce qu’il est amoureux de sa langue, parce qu’il aime son métier

et qu’il le respecte, celle qu’il se doit de dominer sous tous les angles et dont il a le devoir de

se faire un ambassadeur, que le traducteur pourra reproduire les tournures idiomatiques et le

ton du texte. Je ne crois pas au bilinguisme parfait. Il y a toujours une langue dominante.

Quoiqu’il ait grandi dans un foyer bilingue, un traducteur reste conscient du fait que l’une des

deux langues est sa langue dominante quand bien même il domine l’autre langue. De plus, à

moins d’être un génie, il se limitera généralement à deux ou trois combinaisons de langues.

Le traducteur professionnel s’abstiendra d’entreprendre un travail dans un domaine de

spécialisation sortant du cadre de ses compétences. Il pourrait bien sûr répéter comme un

perroquet ce qu’il lit sur Internet ou dans des ouvrages spécialisés. Erreur fatale. Personne

ne peut prétendre parler intelligiblement et précisément d’un sujet qui ne l’intéresse pas.

Personnellement, je n’accepte jamais de traduire des textes techniques. Je les laisse aux

traducteurs professionnels techniques. Mon cerveau n’est pas formé pour ce genre de

textes. À chacun sa spécialité. Le traducteur professionnel ne cherchera jamais à voler le

travail d’un autre. Il a ses domaines de prédilection qu’il ne cesse d’enrichir au fil de ses

lectures et de ses recherches. En outre, le traducteur n’acceptera jamais de traduire un texte

qui constitue lui-même la traduction de l’original rédigé dans une autre langue étrangère, à

moins que l’auteur ne l’y autorise expressément, ce qui fut le cas lorsque j’ai traduit un site

Web danois en français à partir de la version anglaise. Il est alors impératif de faire preuve

d’une extrême vigilance et de remanier au besoin les phrases erronées sur le plan

grammatical et syntaxique. Enfin, le traducteur se défendra d’apporter au texte toute

modification ou déformation de quelque nature que ce soit.

Le traducteur professionnel n’acceptera jamais de traduire plus de 1 500 à 2 000 mots

par jour, car il sait que traduire ne rime pas avec produire. Le rendement normal d’un

Page 9: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

7

traducteur professionnel digne de ce nom ayant au moins cinq années d’expérience est de

250 mots l’heure. Sachant qu’un traducteur est un être humain et qu’il a des besoins naturels

et sachant aussi qu’une journée de travail de plus de huit heures conduit doucement à la

dépression et à la folie… vous savez autant que moi faire ce simple calcul. Il est

humainement impossible et professionnellement immoral de traduire quotidiennement plus

de 2 000 mots nouveaux – c’est-à-dire sans répétition. Si le traducteur professionnel fort d’au

moins cinq années d’expérience traduit tout au plus 250 mots l’heure, est-il nécessaire de

préciser que le traducteur débutant en traduira moins? Ce traducteur débutant doit

nécessairement se faire encadrer pendant les cinq premières années de sa carrière. Dans le

cas contraire, qui peut me dire comment il progressera? L’étudiant frais émoulu de

l’université, diplôme de traduction en poche, fonce tout droit dans le mur s’il croit pouvoir se

mettre à son compte et traduire immédiatement en indépendant. Non seulement il fait une

énorme erreur, mais il entache la profession et menace l’univers de la traduction

professionnelle.

Le traducteur professionnel face au bricoleur des mots

Le traducteur professionnel n’est malheureusement pas à l’abri d’écervelés qui croient

que l’on peut s’improviser traducteur du jour au lendemain. Le jour se lève, je me réveille.

Tiens, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de mon cuir aujourd’hui? Et si je faisais de la

traduction pour arrondir ma fin de mois? Voilà une plaisanterie qui peut faire très mal. Le

traducteur professionnel est malheureusement victime d’une espèce sans scrupules que

j’appellerai le « bricoleur des mots », celui-là même qui ôte le pain de la bouche du

professionnel en offrant des services de pacotille à des tarifs dérisoires. C’est ainsi que j’ai

vu une offre me passer sous le nez en proposant un tarif de 20 £ pour une page de

traduction de 109 mots, ce qui me paraissait tout à fait raisonnable étant donné qu’un

traducteur professionnel a conscience de ce qu’il vaut et propose toujours un tarif minimum.

D’autant plus raisonnable qu’il s’agissait d’un message d’Erin Brokovitch à des travailleurs

ayant été exposés à l’amiante et souffrant, trente ans plus tard, de mésothéliome et de

cancer du poumon. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais personnellement, je ne

plaisante pas avec la traduction et encore moins avec des textes de ce genre. Un autre

hurluberlu s’est prostitué en acceptant de faire la traduction pour 5 £, certainement par-

dessus la jambe, exactement comme une prostituée en fin de compte… Eh oui, traduire à de

tels tarifs, c’est se prostituer. Quand on en vient à confondre traduction et prostitution, on

change de métier et on laisse les professionnels faire leur travail en paix. Quand la vie de

personnes est en jeu et qu’une erreur de traduction peut la mettre en danger, on laisse faire

Page 10: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

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les connaisseurs. L’amateur n’a rien à faire ici. La traduction est une affaire de

professionnels. Un point c’est tout. Iriez-vous opérer un malade si vous n’y connaissiez rien

à la médecine et que vous ne possédiez aucune expérience, ni aucun diplôme dans la

discipline? Iriez-vous construire une maison si vous n’aviez aucune notion de maçonnerie?

Pourquoi donc ne pas respecter de la même façon le métier du traducteur?

Ce qui distingue le traducteur professionnel

Le bricoleur des mots est celui qui croit qu’il suffit de connaître une langue pour être en

mesure de traduire. Il se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude. La traduction requiert un réel

savoir-faire linguistique et langagier. Outre la maîtrise de la langue, le traducteur doit être

capable de faire face à d’autres considérations, telles que les règles de typographie – qui

diffèrent d’une langue à l’autre –, une orthographe et un style irréprochables, de la

cohérence, de la rigueur, une faculté d’adaptation et une information spécialisée. À travers la

traduction transparaissent à la fois les qualités linguistiques du traducteur et sa personnalité.

Ainsi, aux antipodes du bricoleur des mots, le traducteur professionnel est un artisan des

mots, un créateur, un sculpteur. À l’instar du joaillier, il taille, cisèle et polit. Comme le joaillier

sélectionne les meilleures pierres et les outils les plus appropriés, le traducteur professionnel

façonne sa traduction comme un bijou d’art. Dès lors qu’il connaît les moindres rouages des

processus et stratégies de traduction et de transfert, qu’il est conscient des pièges et des

erreurs de traduction et qu’il a appris à les discerner et à les contourner, il peut travailler de

façon autonome et se concentrer sur l’aspect artistique de la traduction. Maintenant qu’il

manie ses outils avec brio, il peut composer une œuvre d’art. Parvenir à ce stade demande

plusieurs années d’expérience. Ce n’est qu’une fois que tous les mécanismes sont dominés

que la traduction passe dans le domaine de l’art. Comme le musicien sensible au rythme

exécute sa pièce sans fausse note, le traducteur professionnel perçoit la musicalité du texte

et cherche à articuler ce dernier de manière à le rendre fluide et original. Il cherche à créer

une harmonie entre le fond et la forme en vue d’atteindre l’accord parfait. Cependant,

comme tout musicien professionnel, il n’est pas à l’abri d’une fausse note. Du moment qu’il

préserve le rythme, la fausse note peut se fondre dans l’œuvre et passer presque inaperçue.

Bien qu’étant curieux de nature, le traducteur professionnel ne peut pas tout connaître. C’est

d’ailleurs pour cette raison qu’il a tendance à se spécialiser. Tout dépend du savoir-faire.

Comme une pâtissière peut confectionner un succulent gâteau avec les ingrédients et les

ustensiles les plus simples, le traducteur n’a pas besoin des outils les plus perfectionnés et

de logiciels hautement sophistiqués pour donner naissance à une traduction de grande

qualité. S’il n’a pas l’esprit prédisposé à traduire et qu’il n’a pas la sensibilité d’un artiste, il

Page 11: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

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aura beau avoir à sa portée tous les outils de traduction du monde, cela ne fera pas de lui un

traducteur professionnel. Avant d’en arriver là, le traducteur débutant doit être bien encadré

pour bénéficier d’un apprentissage sérieux et approfondi, et être sensibilisé à toutes les

facettes de la traduction. Le traducteur professionnel est assez humble et modeste pour

vingt fois sur le métier remettre son ouvrage. Il a la sagesse de se remettre sans cesse en

question pour continuer d’apprendre et s’améliorer à l’infini, car comme Socrate, il sait qu’il

ne sait rien. Voilà ce qui le distingue du voleur, du bricoleur des mots. Je n’ai d’ailleurs

jamais prétendu les comparer, pour la bonne et simple raison qu’ils sont incomparables.

Rien ne les unit. Ils n’ont aucune affinité. Des années-lumière les séparent. L’un a la

sensibilité du naturaliste. L’autre a une pierre à la place du cœur, il transcrit des textes

machinalement, tel un robot désarticulé. Le traducteur professionnel sait percevoir les

nuances. Il a l’oreille musicale. Une personne insensible à la musique classique ne sera

jamais un traducteur professionnel. La musique et les langues font partie du même univers.

La musique et la traduction sont toutes deux à la fois une science et un art. On parle

d’ailleurs de musicologie, étude de la musique, et de traductologie, étude de la traduction.

Comme on enseigne la théorie, l’esthétique et l’histoire de la musique, on peut enseigner la

théorie et les règles de la traduction. L’application de ces théories et de ces règles

transforme la science en art. Je dirai donc que la traduction est une science créative. Le

traducteur professionnel possède un don pour l’écriture. Il ne se contente pas de transcrire, il

écrit. Sa traduction devient une œuvre à part entière, elle n’est pas le simple reflet du texte

de départ. Elle ne doit pas s’effacer dans l’ombre de l’œuvre originale. Notons que la

traduction technique doit être considérée à part. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai

jamais accepté de faire de la traduction technique, car dans le domaine technique, la

traduction perd tout son côté artistique et créatif. C’est quand il faut traduire du texte et non

plus des listes de pièces de machines ou d’ingrédients que la traduction prend tout son sens

et devient une activité d’une inépuisable richesse qu’il faut préserver avec passion et

protéger de ses féroces ennemis.

Le traducteur professionnel est un esprit voyageur, naturellement curieux de tout. Sa

sphère de connaissances est sans limite. Il est ouvert à tous les domaines du savoir. Il est

avide de découverte. Son goût pour les voyages et les cultures est sans borne. Il a la plume

créative et voue un intérêt particulier pour les arts. Un traducteur sans créativité est comme

une plante sans eau : il ne fleurit pas.

Page 12: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

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Reconnaître la traduction comme une profession à part entière

La traduction est une activité professionnelle comme toutes les autres, attestée par des

diplômes et certificats. On ne demandera pas à un étudiant en chirurgie, pour sa première

intervention, de procéder à une opération à cœur ouvert. Son apprentissage est progressif. Il

acquiert son expérience par palier, en commençant par des interventions relativement

faciles. Pour cela, il a besoin d’un encadrement et d’un suivi étroits. Il en va de même pour le

traducteur. Il ne peut pas immédiatement voler de ses propres ailes. Il doit accepter

d’apprendre et profiter de l’expérience de ses aînés. Il doit consentir à faire ses preuves sur

des textes relativement faciles pour passer à des écrits d’une difficulté moyenne et enfin

s’attaquer, après plusieurs années d’expérience, à des textes plus ardus. Seulement, la

traduction est encore bien loin d’être reconnue comme une profession à part entière. On

peut distinguer deux types d’agences de traduction et de clients. Il y a ceux qui vous

reconnaissent comme un être humain et vous respectent en tant que tel. Ceux-là vous

offrent des tarifs décents et fixent des délais raisonnables. Ils se font malheureusement de

plus en plus rares. Et puis il y a la catégorie des vampires, ceux qui veulent profiter de votre

savoir et de vos compétences pour une bouchée de pain. Ils vous prennent pour une boîte

de sardines sur laquelle on appose une étiquette de prix et que l’on expose sur les étagères

du supermarché pour la vendre à un consommateur qui la cuisinera à sa sauce préférée. Or,

le traducteur professionnel sait ce qu’il vaut et ne veut pas se laisser tondre la laine sur le

dos par des minables qui croient qu’il suffit de dictionnaires pour pouvoir traduire.

La catégorie des traducteurs professionnels et le domaine de la traduction en général

doivent être protégés. Le traducteur professionnel a un besoin urgent de reconnaissance et

de respect. Pour cela, il lui faut une structure bien définie dont l’accès sera strictement

interdit aux imposteurs et aux charlatans de la traduction. Bien qu’il existe des registres et

des répertoires de traducteurs, on trouve malheureusement aussi des sites spécialisés dans

le domaine de la traduction ou plutôt de l’idée plus que déformée que la majorité des gens se

font de la traduction, une usine à faire des mots insipides pour en tirer un maximum de profit.

Sur ces sites, n’importe qui peut s’inscrire gratuitement. Personne ne pourra vérifier si la

personne est véritablement titulaire des diplômes qu’elle soumet. Rien ne dit que c’est elle

qui subit les tests de sélection qu’elle reçoit dans le cadre du processus de sélection des

candidats. Résultat : la personne est embauchée, et c’est la catastrophe.

La traduction professionnelle doit faire l’objet d’une légifération. Le traducteur

professionnel doit être protégé par une législation, et son activité doit s’inscrire dans un

cadre légal, à l’abri de toute imposture.

Page 13: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

11

Qu’est ce qu’une traduction professionnelle?

Quand on lit une traduction professionnelle, on n’est pas en mesure de dire qu’il s’agit

bel et bien d’une traduction. Il m’arrive souvent de commencer à lire un livre et de m’arrêter

subitement pour revenir à la page de couverture et m’apercevoir que mon intuition ne m’a

pas trompée. J’avais bien deviné qu’il s’agissait de la traduction française maladroite d’un

ouvrage écrit par un auteur étranger. Le texte est truffé d’anglicismes. Le temps des verbes

est mal choisi. Le style laisse à désirer. Bref, l’ensemble est bancal et très peu idiomatique. Il

sent le bricolage à plein nez. L’auteur a fait traduire son livre pour trois fois rien à un

marchand de pacotille, ce dont il ne se rend pas compte puisqu’il n’est pas à même d’évaluer

la qualité d’une langue qu’il ne maîtrise pas. Ce qu’il ne sait pas non plus c’est que, ce

faisant, il perd de sa crédibilité. L’ouvrage original a beau être irréprochable, la traduction est

loin de l’être. Or, ce que le lecteur va juger n’est pas l’œuvre originale, mais celle qu’il a sous

les yeux et entre les mains, à savoir la traduction.

Une traduction est toujours perfectible, mais elle ne pourra prétendre approcher la perfection

que si elle est effectuée par une personne qui a formé et sensibilisé son esprit aux mots, à

l’écriture, à la musicalité de la langue. Même si le traducteur professionnel s’efforce de

rendre le texte original le plus fidèlement possible, il sait qu’une traduction est toujours

perfectible et que la perfection est inatteignable. Avis à tous ceux qui se croient parfaits :

redescendez de votre petit nuage – la perfection n’est pas de ce monde. Il suffit de regarder

autour de soi pour s’en convaincre. En revanche, la traduction doit être ainsi faite que le

lecteur ne sera pas en mesure de la flairer. Il la lira en pensant lire une œuvre originale.

C’est que le traducteur aura rendu le contenu du texte de départ et le style de l’auteur dans

la plus grande objectivité. Même si étymologiquement toute traduction est une trahison (se

reporter à l’adage italien « traduttore traditore » qui signifie « le traducteur est un traitre »), le

traducteur professionnel fera en sorte qu’elle le soit le moins possible. Une bonne traduction

se doit d’être idiomatique et exemplaire sur le plan grammatical. Le traducteur professionnel

doit employer une terminologie très précise et posséder un bon bagage de connaissances

professionnelles dans la spécialité propre au texte source. Afin de produire une excellente

traduction, le traducteur professionnel doit maîtriser parfaitement les deux langues en jeu

dans sa combinaison de travail.

De plus, le choix et la position des mots sont d’une importance capitale. Pour cette

raison, je suis convaincue que le traducteur professionnel doit être un locuteur natif de la

langue dans laquelle il traduit, autant pour des questions d’idiotismes que par souci de

précision et d’exactitude. Les dictionnaires et les manuels de grammaire ne suffisent pas –

loin s’en faut – à élaborer une bonne traduction. En se fiant exclusivement à ces ouvrages,

on propose une traduction littérale qui ne se soucie guère des dissemblances entre la langue

Page 14: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

12

source et la langue cible sur le plan de la sémantique, des règles grammaticales, du choix

des formes grammaticales et de l’agencement des éléments linguistiques. Le traducteur

professionnel doit également connaître la culture des deux pays et y être très sensible. Il doit

avoir de vastes connaissances socioculturelles pour être en mesure de bien comprendre et

interpréter le texte original. Il doit en effet tenir compte des particularités culturelles du pays

associé à la langue cible. Qui plus est, le traducteur professionnel doit s’efforcer de

conserver le ton du texte et ne pas perdre de vue le public visé par le texte cible – sa

traduction – afin de rédiger dans le style approprié. Une bonne traduction exige par ailleurs

une analyse approfondie et une recherche poussée. C’est pourquoi la traduction reste le

produit d’un travail artisanal et de l’intelligence humaine. Il va de soi qu’aucun outil de

traduction ne peut permettre d’obtenir un résultat précis et correct. Les traducteurs

professionnels peuvent dormir sur leurs deux oreilles : ils ne sont pas près de disparaître et

de se voir remplacer par des logiciels et des programmes de traduction. En est-on si sûr?

Sans filet de protection ni bouée de sauvetage, le traducteur professionnel est voué à

disparaître, dévoré par les requins et les rapaces imperturbables.

Le piège de la technologie

Je pense personnellement que la technologie joue un rôle important dans le domaine de

la traduction en général. J’entends bien sûr un certain type de technologie. Les outils de

« traduction » que l’on trouve dans une section spéciale de moteurs de recherche tels que

Google (Outils linguistiques), Yahoo (Babel Fish), Reverso, SYSTRANet, etc. sont quant à

eux bien loin de remplacer la traduction humaine. Ces outils sont très limités en ce sens

qu’ils négligent de nombreux aspects du texte source et une grande quantité de facteurs

qu’un cerveau humain normalement constitué et formé à la traduction professionnelle peut

traiter et prendre en compte dans le processus complexe de la traduction, à savoir le style, le

domaine de spécialisation, la terminologie, les différences culturelles, le contexte, etc. Le

tableau ci-dessous présente un exemple de traduction automatique :

TEXTE ORIGINAL « TRADUCTION » DE

GOOGLE EN 2002

« TRADUCTION » DE

GOOGLE EN 2009

MA TRADUCTION

Chess is a game,

played by two players.

One player plays with

Les échecs sont un jeu,

joué par deux joueurs.

Un joueur joue avec les

Chess est un jeu joué

par deux joueurs. Un

joueur joue avec les

Le jeu d’échecs se joue

à deux. L’un des

joueurs joue avec les

Page 15: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

13

the white pieces, and

the other player plays

with the black pieces.

Each player has sixteen

pieces in the beginning

of the game: one king,

one queen, two rooks,

two bishops, two

knights, and eight

pawns.

morceaux blancs, et

l'autre joueur joue avec

les morceaux noirs.

Chaque joueur a des

morceaux de seize

dans le commencement

du jeu: un roi, une

reine, deux freux, deux

évêques, deux

chevaliers, et huit

gages.

pièces blanches, et

l'autre joueur joue avec

les pièces noires.

Chaque joueur a seize

pièces au début du jeu:

un roi, une reine, deux

tours, deux évêques,

deux cavaliers, et huit

pions.

pièces blanches, l’autre,

avec les pièces noires.

Au début de la partie,

chaque joueur dispose

de seize pièces : un roi,

une reine, deux tours,

deux fous, deux

cavaliers et huit pions.

Rook Freux Rook La tour

The rook moves in a

straight line, horizontally

or vertically. The rook

may not jump over

other pieces, that is: all

squares between the

square where the rook

starts its move and

where the rook ends its

move must be empty.

(As for all pieces, when

the square where the

rook ends his move

contains a piece of the

opponent, then this

piece is taken. The

square where the rook

ends his move may not

contain a piece of the

player owning this

rook.)

Le freux se déplace une

ligne droite,

horizontalement ou

verticalement. Le freux

peut ne pas sauter par-

dessus d'autres

morceaux, celui est:

toutes les places entre

la place où le freux

commence son

mouvement et où le

freux finit son

mouvement doivent être

vides. (quant à tous les

morceaux, quand la

place où le freux finit

son mouvement

contient un morceau de

l'adversaire, alors ce

morceau est pris. La

place où le freux finit

son mouvement peut ne

pas contenir un

morceau du joueur

possédant ce freux.)

La tour se déplace en

ligne droite,

horizontalement ou

verticalement. Le tour

mai de ne pas sauter

par dessus les autres

pièces, à savoir: toutes

les places entre la place

où la tour commence

son déménagement et

où le tour se termine

son déménagement doit

être vide. (Comme pour

toutes les pièces,

lorsque le tour de la

place où se termine son

déménagement contient

une pièce de

l'adversaire, puis cette

pièce est prise. La

place où le tour se

termine son

déménagement mai pas

une pièce du joueur

possédant ce tour.

La tour se déplace en

ligne droite,

horizontalement ou

verticalement. Elle ne

peut pas sauter par-

dessus d’autres pièces,

c’est-à-dire que toutes

les cases situées entre

la case d’où part la tour

pour réaliser son coup

et celle où elle termine

son coup doivent être

vides. (Comme pour

toutes les pièces,

lorsque la case sur

laquelle la tour termine

son coup contient une

pièce de l’adversaire,

cette pièce est alors

prise. La case sur

laquelle la tour termine

son coup ne doit

contenir aucune pièce

du joueur à qui

appartient cette tour.)

Page 16: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

14

Cette traduction de Google est intéressante à examiner, et nous allons en faire une

étude de cas. Prenons par exemple le terme piece. En 2002, le « traducteur » de Google

traduisait ce terme par morceau, comme s’il s’agissait d’un morceau de sucre, alors que le

terme exact ici est pièce. On parle bien en effet d’une pièce de jeu d’échecs, et non d’un

morceau de jeu d’échecs, ce qui prête d’ailleurs à sourire. Le « traducteur » de Google est

tout simplement inapte à reconnaître le contexte du texte qu’il « traduit », ce que seul le

traducteur humain est en mesure de faire. Il est incapable d’introduire des nuances et de les

saisir. Seul le cerveau humain est doué pour cet exercice. Il convient de noter que ce

« traducteur » produit de fréquents non-sens. Citons notamment la traduction de sixteen

pieces par des morceaux de seize, ce qui est dénué de toute signification. Il faut bien sûr

traduire ici par seize pièces. Par ailleurs, il est incapable de s’exprimer dans un style correct.

Plus loin, on peut lire que in the beginning of the game est traduit par dans le

commencement du jeu, que l’on traduirait en bon français par au début de la partie. Le

« traducteur » de Google ne se soucie guère davantage des répétitions, alors que – par

souci de légèreté – la langue française a tendance à les éviter. Même s’il s’agit d’un texte

plutôt technique, cela n’empêche pas un minimum de recherche stylistique et de correction

du français.

Si l’on considère à présent le deuxième extrait, la traduction de rook par freux fait à

nouveau abstraction du contexte des échecs. L’une des traductions possibles de rook est en

effet freux, mais cette traduction serait adaptée dans un contexte ornithologique et non dans

le contexte actuel où le mot rook ne peut être traduit que par tour, l’une des pièces du jeu

d’échecs. Il en va de même, dans le premier extrait, pour bishop qui, dans le contexte

religieux serait en effet traduit à juste titre par évêque. Or, dans le contexte des échecs, ce

terme prête à sourire, car il est déplacé et ne figure pas dans le vocabulaire du joueur. Ici, le

terme bishop est à traduire exclusivement par fou. Les termes knight et pawn sont eux aussi

improprement traduits par chevalier et gage qui pourraient parfaitement convenir dans un

contexte différent mais qui, ici, doivent être traduits respectivement par cavalier et pion. Bref,

le Français qui compte apprendre à jouer aux échecs n’a pas fini de s’arracher les

cheveux… et je n’ai relevé ici qu’un extrait, mais toute la traduction du site sur les échecs est

à l’avenant.

Il suffit d’observer attentivement le tableau ci-dessus pour s’apercevoir que la traduction

automatique n’a fait aucun progrès en l’espace de sept ans. On pourrait même parler de

régression. On observera notamment un énorme manque de cohérence entre les deux

paragraphes. En 2009, le « traducteur » de Google ne sait plus traduire le mot chess en

français. Le deuxième paragraphe est entièrement décousu, déstructuré. Le reste se passe

de commentaires. Je vous laisse admirer le grand art!

Page 17: Le traducteur professionnel : une espèce menacée

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Notons que le niveau des autres outils de traduction (Babel Fish, SYSTRANet et

Reverso) est comparable.

Pour résumer, cette traduction automatique est totalement inexploitable. Elle est donc

bien loin de remplacer le traducteur humain qui n’a pas à voir en elle de quelconque menace

et a encore bien de l’avenir. Cela va sans dire que si je m’étais servie de Google pour

traduire en français ce mode d’emploi anglais d’un jeu d’échecs électronique, le résultat

aurait été un véritable galimatias, et cette traduction aurait été par ailleurs très préjudiciable à

la bonne image de marque de l’entreprise qui m’a demandé de faire cette traduction, pour

laquelle je me suis servie exclusivement de mon cerveau, de mon expérience dans le

domaine et d’ouvrages de référence spécialisés et fiables.

On aura donc compris que la traduction automatique ne peut en aucun cas faire

concurrence au traducteur humain qui peut se rassurer. Ce sera une véritable révolution le

jour où l’ordinateur pourra penser comme un être humain et sera capable de percevoir toutes

les nuances entre les mots et de reconnaître le contexte à traduire. Cela est-il d’ailleurs

envisageable et souhaitable?

Toutefois, certains clients n’ayant pas le moindre scrupule font traduire leur texte par un

traducteur automatique pour ensuite avoir le culot de s’adresser à des traducteurs

professionnels auxquels ils demandent sans vergogne de se charger de la révision. C’est

ainsi que j’ai perdu un emploi de traductrice en osant soulever le caractère scandaleux d’une

telle pratique. Réfléchissez une seconde. Ne percevez-vous pas dans cette pratique

honteuse la disparition assurée du traducteur professionnel? Ne comprenez-vous pas que le

client, par appât incontrôlé du gain, recourt aux services du traducteur professionnel pour

obtenir un résultat irréprochable à un prix dérisoire? Le client, lui, est-il conscient que le

traducteur doit passer dix fois plus de temps à tenter de recoller les pots cassés? Sait-il qu’il

méprise le traducteur professionnel, qu’il dénigre son travail et sa raison d’être? Comprend-il

qu’il est l’assassin de la traduction professionnelle et de ce qui la rend si palpitante, son côté

créatif, sa touche personnelle et unique? Non, le client moyen est une sangsue. Tout ce qui

l’intéresse, c’est de faire le plus de profit possible en réduisant le traducteur à l’esclavage.

N’est-il pas indécent à l’outrance de faire traduire à moins de 2 cents le mot? Le gagne-pain

du traducteur, c’est le mot. Celui du photographe, c’est la photographie. Où peut-on obtenir

un développement de qualité professionnelle pour 2 cents la photo? Tout comme il est

scandaleux de voler les heures de réflexion et de création d’un artiste en téléchargeant

gratuitement de la musique et des films sur Internet, il est honteux de dédaigner à ce point la

noble occupation du traducteur, la beauté de l’écriture, la créativité qui règne dans l’activité

de traduire en professionnel.

Certaines personnes n’ayant aucune formation en traduction s’aventurent à traduire

elles-mêmes et foncent tout droit dans le ravin pour n’avoir pas eu recours aux services d’un

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traducteur professionnel. L’ingénieur, le technicien ou le spécialiste d’un certain domaine

peuvent-ils décemment traduire un texte traitant de leur domaine de spécialisation?

Disposent-ils de la formation très spécifique d’un traducteur? À ces questions, je répondrai

résolument non, car nul ne peut s’improviser traducteur, qui est un métier exigeant des

compétences précises et une concentration maximale. À l’inverse, le traducteur peut

acquérir une formation technique ou spécialisée dans certains domaines, en se documentant

de façon très régulière sur les sujets en question. L’idéal est que le traducteur détienne un

diplôme dans une autre discipline que la traduction. En général, c’est par la pratique et

l’expérience de la traduction dans certains secteurs particuliers auxquels il va de préférence

se limiter que le traducteur pourra acquérir le vocabulaire spécialisé et technique. Le

traducteur peut œuvrer dans plusieurs domaines de spécialisation apparentés et fournir un

travail professionnel de qualité. En revanche, il est loin d’être sûr qu’un technicien,

connaissant quand bien même son domaine sur le bout des ongles, puisse fournir une

traduction de qualité, et ce, pour les raisons susmentionnées.

Seul le client sensibilisé à ces réalités sera prêt à offrir des tarifs et des délais

acceptables, à tout simplement reconnaître le traducteur professionnel à sa juste valeur et à

respecter sa dignité. Cette catégorie de clients, qui se raréfie malheureusement à une

vitesse foudroyante, comprend l’activité du traducteur professionnel et lui fournit, en

accompagnement du texte à traduire, une brochure explicative, des schémas, des

annotations ou d’autres documents destinés à aider le traducteur dans ses recherches

terminologiques et à l’éclairer sur certains termes techniques.

Nous avons parlé du danger que représente la technologie. Il existe toutefois des

programmes de traduction assistée par ordinateur (TAO) tels que Trados, Déjà Vu,

Wordfast, etc. qui peuvent s’avérer très utiles pour le traducteur professionnel. Ils permettent

au traducteur de récupérer les phrases en langue cible qu’il a déjà traduites et qui sont

stockées dans une mémoire de traduction. Les dictionnaires en ligne comme Termium, Le

grand dictionnaire terminologique, Eurodicautom – la banque de données lexicographique

multilingue de la Commission européenne – et d’autres dictionnaires électroniques généraux

et spécialisés sont également des outils d’une grande utilité pour le traducteur professionnel.

Internet est aussi très utile aux fins de recherche terminologique. Tous ces outils sont mis à

la disposition du traducteur professionnel qui est seul responsable d’évaluer les résultats et

de questionner leur pertinence dans le contexte à traduire, car ces outils ne sont

malheureusement pas fiables à 100 p. cent et ne peuvent pas servir de référence sûre au

traducteur professionnel. Comme leur nom l’indique, ce ne sont que des outils. Par

conséquent, la technologie appuie le traducteur. Le cerveau humain est bien trop complexe

pour être reproduit dans une machine. Les logiciels, les outils et les machines ne sont que

des compléments utiles dans le cadre du processus de traduction. En tant que traductrice

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professionnelle qui se respecte, j’utilise donc ces outils avec beaucoup de discernement. Le

rôle du traducteur commence là où s’arrête celui de la technologie. J’entends par là que la

technologie est limitée et que le cerveau humain comble les lacunes et compense les

imperfections des divers programmes dont il dispose. La traduction s’inscrit dans le domaine

de la création dont seul le cerveau humain est capable.

Que faire pour protéger le traducteur professionnel?

Sur les sites consacrés à la traduction que j’ai mentionnés plus haut, on peut lire des

messages d’une absurdité sans borne et des déclarations aussi farfelues les unes que les

autres. Avant de lire l’exemple qui suit – qui n’est hélas qu’un exemple parmi tant d’autres –

soyez certain d’être bien assis au fond de votre chaise et accrochez votre ceinture. Un

hurluberlu prétend pouvoir traduire 7 500 mots en huit heures. De deux choses l’une : soit il

s’agit d’un extraterrestre dont le cerveau est équipé d’une puce ultrapuissante, soit cette

personne traduit des textes comme elle irait sortir les poubelles sur le trottoir. Bref, j’aimerais

voir le produit fini… sans aucun doute une bouillie indigeste! Cerise sur le gâteau, la majorité

des clients ne savent pas distinguer ces brouillons nauséabonds d’une traduction

professionnelle de qualité supérieure.

C’est ainsi que les traducteurs professionnels font malheureusement partie des victimes

d’un monde tristement dirigé par l’argent et le rendement, d’un monde qui part à la dérive. Je

suis de ceux qui ne se résignent pas à devenir l’esclave d’un tel monde en jouant le jeu

d’entreprises qui cherchent inlassablement à obtenir les tarifs les plus bas tout en exigeant

une qualité irréprochable dans des délais dignes de la science-fiction. La traduction

s’automatise. Le traducteur professionnel est déshumanisé. Il est en train de mourir. Il est

grand temps de venir à sa rescousse, de lui redonner sa dignité et de rendre à la traduction

ses lettres de noblesse.

Réduire la traduction à un outil de profit, prolétariser les traducteurs et l’univers de la

traduction, c’est briser l’harmonie du silence de la nature. Ce que je veux dire, c’est que le

traducteur professionnel sait trouver le mot juste et prend le temps de le faire. Il jubile à l’idée

de trouver l’accord parfait. C’est la mélodie du bonheur. Il est en harmonie avec lui-même et

lutte pour éviter que ses détracteurs ne viennent rompre cette précieuse harmonie. Que celui

qui ne sait pas s’exprimer se taise. Prolétariser le traducteur revient inévitablement à

anéantir la créativité naturelle et essentielle de l’artisan qu’il doit être. C’est transformer la

traduction en un produit bourré d’additifs et de colorants artificiels. J’ai souvent entendu le

proverbe : « chasser le naturel, il revient au galop ». J’aimerais tant chasser l’artificiel créé

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par la ribambelle d’outils de traduction pour que revienne au galop la traduction naturelle,

empreinte de créativité et d’authenticité, de la personnalité et du style unique de son auteur,

le traducteur professionnel.

Nous faisons des campagnes pour protéger les espèces animales en voie d’extinction.

Le traducteur professionnel est une espèce humaine menacée de disparition. Pourquoi donc

ne pas le protéger lui aussi? Cet ouvrage invite tous les traducteurs professionnels qui se

respectent à sensibiliser leur entourage et exhorte les pirates de la traduction à cesser leur

carnage.

Tout est une question de sensibilisation aux vraies valeurs de la traduction. Il s’agit de lui

redonner tout son sens. De retourner aux racines. De freiner la course insensée à l’argent,

au rendement, à la productivité. Il est urgent de prendre conscience des risques de cette

façon d’agir qui pousse les gens à bout, les conduisant à commettre l’irréparable, les menant

tout droit à la dépression et au suicide. Il s’agit de retrouver des comportements humains si

l’on veut éviter une robotisation internationale. Le monde est en train de perdre sa poésie.

Sauvons-la! La traduction fait partie du domaine des lettres et des arts. Luttons pour qu’elle

ne bascule pas dans celui de la robotique.

Conclusion

Si ce projet de sauver le traducteur professionnel et le monde de la traduction

professionnelle au sens large semble déraisonnable, il paraît que les vrais progrès sont

l’œuvre d’hommes et de femmes déraisonnables. Tous les espoirs sont donc permis. Le

temps presse. Il faut sauver le traducteur Humain. À bon entendeur, salut!

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Virginie Ségard est née à Boulogne-sur-Mer, en France, en 1978. Après avoir vécu et

travaillé en Europe et au Moyen-Orient, elle est arrivée à Moncton, au Nouveau-Brunswick,

en septembre 2005, pour y remplir les fonctions de traductrice-réviseure et chargée de

projets. Elle a obtenu la résidence permanente canadienne en septembre 2006 et a présenté

une demande de citoyenneté canadienne en avril dernier.

Virginie est determinée à partager ses compétences et talents linguistiques, et à agir au

sein de sa communauté. Elle est membre de la CTINB, la Corporation des traducteurs,

traductrices, terminologies et interprètes du Nouveau-Brunswick, depuis septembre 2007 et

a obtenu le double agrément (sur dossier et à l’examen) en juin 2009. Elle défend corps et

âme l’authenticité chez les gens et dans leurs actions. Elle définit la traduction comme une

science créative.

Virginie travaille actuellement comme pigiste, mais souhaite décrocher un poste

permanent à temps plein. Elle a vécu et travaillé sur trois continents. Par ailleurs, elle

s’intéresse beaucoup à la psychologie et à la nutrition, car pour elle, la santé mentale et une

alimentation saine sont essentielles au bien-être général.

Virginie est titulaire d’un DESS (Diplôme d’études supérieures spécialisées) en langues,

traduction et technologies, d’un DEA (Diplôme d’études approfondies) en langues et cultures

en contact, d’une maîtrise en langues modernes et de plusieurs certificats dans différentes

disciplines. Elle possède également une expérience en enseignement des langues et a

fondé son institut de langues au Moyen-Orient en 2004. La traduction et l’enseignement sont

pour elle très complémentaires. Ses riches expériences de vie parfois très douloureuses ont

fait d’elle une femme très résistante ayant l’esprit ouvert, une grande faculté d’adaptation et

une bonne capacité d’écoute. Elle souhaite donner un vrai sens à sa vie en partageant les

valeurs qui lui tiennent à cœur.