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µChristian FLORES

LE V O L E U R D ' H U I L E

L'Espagne dans l'Oranie Française (1830-1962)

Collection FRANÇAIS D'AILLEURS

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PREFACE

Je ne sais si la culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié, mais l'étude de Christian Flores illustre à merveille la rémanence de l'Espagne et de l'espagnol - la langue, les usages, les jeux, le folklore - en Oranie. Et cela non seulement durant les quelque cent cinquante ans sous l'autorité de la France, mais avant, bien avant, et aussi après, bien après.

Ouahran aura beau oublier qu'elle fut Oran, ou Orán sous l'écri- ture de Charles-Quint, un souffle ibérique s'élèvera toujours de ses pierres, de son tuf, de son port juste en face Alicante, presque à portée de voix. Et ses habitants, pris entre le susto et la rabia, continueront à croquer des tramousses ou à se régaler de sardines à la scabetche, qu'ils achèteront peut-être encore chez le moutchou du coin. Dans cette épicerie peuplée d'odeurs ou s'entassaient les sacs de piments qui faisaient éternuer, et où l 'on servait l'huile au litre à partir de gros carafons crissant en surface de ces insectes "voleurs" si parfaitement évoqués dans cet ouvrage.

Je me souviens de notre première rencontre : Christian Flores n'était pas un étudiant comme les autres. Ce n'était pas un Poitevin venu rencontrer un Breton pour lui proposer un sujet de thèse qui aurait été l'étude de la diérèse dans la poésie de Góngora ou de la paragoge chez Garsilaso. Non. Car un même feu brillait dans notre double regard croisé. Un feu d'Espagne et d'exil. Un feu de canoun et de braise ancienne, probablement enfouie sous le sable de Reli-

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zane - une des rares cités algériennes à n'avoir pas changé de nom - la ville de l'auteur, ici son laboratoire.

Christian Flores voulait parler de lui, des siens, de ses racines et son travail de thèse, soutenue à l'Université de Rennes-2 avec la mention Très Bien à l'unanimité, il l'a moins écrit avec sa tête, qui est solide et bonne, Dieu bénisse, qu'avec son cœur et ses tripes. Oui, il s'agit là d'une étude, d'une évocation, d'un recensement culturel sur bien des points inédit et qui remet tout en place. Mais s'il est vrai qu'il se nourrit d'érudition et de science, ici exhaustive, il est aussi évident qu'il a surgi d'un feu du cœur.

On ne peut lire ce Voleur d'huile sans se brûler les doigts, sans en être réchauffé, car le sujet en est un bout de notre mémoire, de notre territoire englouti, mais jamais aboli. Justement, c'est cela la culture. La nôtre.

Albert Bensoussan Professeur à l'Université de Rennes-2

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AVERTISSEMENT

Le "voleur d'huile", insecte de couleur ambrée, est partout dans le Maghreb. Il s'infiltre dans les récipients d'huile pour s'y gaver et sa présence, révélée par le crissement de ses pattes sur les parois de terre des jarres n'étonne pas plus que la voix du Muezzin qui parvient du minaret.

Il y a entre le Maghrébin et lui une complicité qui date, une rela- tion étroite, une coexistence ancestrale et néanmoins peu convivia- le.

Par analogie, cet insecte rappelle la présence de l'Espagne dans le nord de l'Afrique.

Du fait d'un voisinage suivi, l'Espagnol n'a eu de cesse, à tra- vers les siècles, d'assouvir sa soif commerciale, militaire ou expan- sionniste de l'autre côté du détroit, dans cet Eldorado des Oueds Secos.

Puis, pendant la période française, il a été considéré comme le "voleur d'huile" du Maghreb, celui qui sait habituer le Maure à sa présence, qui débarque en colonie serrée et humble, celui qui s'ap- proprie ou désire faire sienne l'huile coloniale...

Même si l'Espagnol est bien plus qu'un consommateur, même si son action africaine s'est révélée être le support indispensable de l'entreprise d'expansion française, il n'a été jugé administrative- ment que comme une ombre au prestige de l'empire français.

Cependant, folkloriquement, culturellement et linguistiquement parlant, combien devons-nous à ce "voleur d'huile" ?

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INTRODUCTION

Certains Pieds-Noirs "Belle poiture" font parler d'eux depuis quelques années dans le monde audio-visuel, économique ou politi- que et démontrent ainsi la réussite de leur intégration en métropole.

Des milliers d'autres, malgré le flou de leur origine et l'étrangeté de leur état de Pieds-Noirs, s'accommodent de leur nouvelle vie de Français moyens.

Mais les uns comme les autres, qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Tous sont comme l'orphelin qui éternue et qui est obligé de se

faire à lui-même un souhait. Ils sont des français "made-in-là-bas", des individus "made-in-un-territoire-qui-n'est-plus" : l'Algérie fran- çaise...

Algérie pas si française que cela d'ailleurs, pendant ses 132 ans d'existence !

D'accord, entre 1830 et 1962, le Sirocco souffle vers ce bout de l'Afrique, mais c'est à contre courant, et de l'Europe entière que parviennent des brises portantes et bigarrées.

Oui, dès le début du XIX siècle, débarquent en Algérie tous ceux qui espèrent y trouver un mieux-vivre. Les Français, Espa- gnols, Italiens, Allemands, Suisses, Belges, Maltais... s'attellent à une tâche coloniale commune et transforment la province française en un kaléidoscope de traditions, langues et cultures.

De cette symbiose ethnique de laquelle est issue un curieux pa-

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nachage folklorique qui dura plus d'un siècle, nous essaierons de retirer les éléments d'identité espagnole.

L'histoire ne sera pas abordée, nous parlerons plutôt de social, des attitudes et mentalités, de linguistique.

Nous décrirons le cadre de vie des ressortissants péninsulaires qui, peu à peu, s'intègrent sans jamais perdre tout à fait leur iden- tité première.

Au contraire, ces individus de tout poil, les rouliers des espaces méridionnaux, les politiques en exil, les porte-faix, les dockers, les jardiniers, les cigarières, les prostituées qui ont traversé la Méditer- rannée sur des balancelles, dont les propriétaires auraient pu être des négriers, apportent à l'édifice colonial des poutres maîtresses.

L'aire d'influence espagnole se situe principalement en Oranie pour des raisons de proximité, c'est donc vers cet ex-département français que nous avons jeté un regard attentif, délaissant volontai- rement les autres départements ainsi que les éléments d'identité juive, musulmane, italienne, etc...

Puisse les descendants de "voleurs d'huile" ou "voleurs d'huile" eux-mêmes prendre du plaisir à la lecture de ces pages !

Puissent-ils s'y retrouver !

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"Les effets diroyent plus de la fortune que de moy... Ce ne sont mes gestes que j'escris, c'est moy, c' est mon essence. "

Montaigne

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CHAPITRE PREMIER

COMPOSANTES HISPANIQUES DE LA VIE QUOTIDIENNE EN ORANIE

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DE LA NAISSANCE A LA MORT

La naissance et le baptême

En Oranie comme ailleurs, se manifestent des croyances et prati- ques magico-religieuses relatives à la plupart des circonstances de la vie et en particulier à la naissance des enfants.

Comme partout ailleurs, si une femme enceinte à des "envies" et si elle touche à ce moment là une partie de son corps, l'image de son "envie" sera reproduite sur le corps de son futur enfant.

Pour se préserver du "mauvais oeil" - sort qu'une femme en- vieuse peut jeter - la future maman doit porter autour du poignet un ruban rouge. Cette pratique se poursuit généralement après l'accou- chement et c'est le bébé qui, à son tour, porte au poignet le ruban protecteur (1).

De plus, le port du collier est fortement déconseillé à la future mère tout au long de la grossesse : l'enfant risquerait d'être étranglé par le cordon ombilical...

Soulignons que ces croyances dont l'origine est obscure (2) sont encore très vivaces parmi certains Pieds-Noirs.

La naissance d'un enfant en Algérie donnait lieu à de grandes ré- jouissances, notamment celle du baptême, auxquelles participent la famille au grand complet ainsi que la quasi totalité du village ou du quartier.

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Plus qu'un sacrement religieux, le baptême apparaît en Oranie comme un rite "d'agrégation" qui permet aux participants de res- souder et régénérer des liens affectifs ou professionnels (3). Cha- cun y a sa place et oublier de convier un ami à la fête est un véri- table affront.

En échange, chaque invité se doit d'offrir un présent. Le parrain et la marraine, choisis au sein de la famille (comme pour resserrer un peu cette dernière) s'engagent à suivre l'éducation de l'enfant comme le feraient des parents mais aussi, à "matérialiser" périodi- quement leurs liens privilégiés avec l'enfant (dons d'argent, ca- deaux...).

Les invités ont en outre l'habitude de toucher le front du nou- veau-né avec l'un de leurs doigts après avoir trempé ce dernier dans un verre d'anisette.

L'ECOLE

Dès les premières années de sa vie, l'enfant pénètre dans un uni- vers différent de celui qu'il a connu chez lui. L'enfant d'origine es- pagnole doit affronter tout d'abord un maître d'origine métropoli- taine et par le fait, nanti d'un accent "pointu" peu familier aux oreilles de l'écolier (4).

Puis, nouvel obstacle, l'enseignement lui-même. Même si beau- coup protestent aujourd'hui contre les accusations que l'école fran- çaise en Algérie a dû subir (5) et même si l'enseignement colonial ne correspondait pas vraiment à l'image caricaturale du type "nos ancêtres les Gaulois...", admettons cependant qu'il était mal adapté et somme toute, fait pour des français de France. Plusieurs auteurs en témoignent :

-"J'étais en cinquième et nos maîtres nous avaient enseigné les chants patriotiques : la Marseillaise, le Chant du Départ... que nous entonnions avec foi sans savoir très bien à quoi ils faisaient allusion. Ce que nous pouvions dire, c'est qu'il y avait de la révo- lution la dessous..." (6).

-"Les livres de classe de mon enfance étaient français, faits pour des petits Français vivant en France... Tout m'était incompréhen- sible dans ces bouquins, sauf les croisades où les Français ren- contraient les Arabes..." (7).

-"De toute cette édifiante culture qu'on nous administrait gauloise-

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ment, seul Miguel de Cervantes sur les lèvres du maître Mercadier s'accrochait à mon coeur ; lui qui fut enfermé dans les douves du port, et qu'une grotte hébergea au-dessus du Marabout, ce cime- tière indigène sur la falaise, de sa fuite à l'est de la darse. Pour le reste, nous nous bercions d'Ile de France et de Versailles, c'était l'extase par quarante degré sous Sirocco et, quand Sallet nous abreuvait de proses Grand Siècle, l'envol des sauterelles faisait crépiter les vitres de la classe..." (7).

Malgré l'étrangeté de son enseignement, l'école française colo- niale jouit d'un prestige certain. Ses maîtres sont admirés et res- pectés cars ils sont les "phares" de la métropole. De plus, c'est par l'école et grâce aux maîtres que la réussite sociale arrive. Aussi, les parents n'hésitèrent-ils pas à se sacrifier pour "pousser" leurs en- fants, comme en témoigne Andrée Montero :

-"Dans ce petit village de Rio Salado... on avait de cesse de faire entrer ses enfants à l'école primaire et de les en faire sortir encore plus vite, non pour abréger leurs études, mais pour les voir "arriver" plus jeunes. Dans ce but, rien n'était épargné : cours particuliers, documentations de toutes sortes, cadeaux aux institu- teurs (qui dans le village n'eurent jamais à acheter leur vin). On se privait, mais les enfants devaient aller de l'avant... C'était une compétition sournoise, vigilante, que les femmes commentaient sans avoir l'air d'y toucher au sortir de la messe, les hommes de- vant un verre d'anisette.

- La meua chiqita a tengut deu en "calcul". Juan esta fuerte en "orthographe".

Langage curieux dont les termes intellectuels étaient toujours prononcés en français, le reste dit dans la langue habituelle... (9).

Le moment de l'enfance est le plus privilégié de la vie de l'Ora- nais. Certes, les plus défavorisés ont rapidement quitté l'école faute d'argent et se mettent au travail dès l'âge de huit ou neuf ans ; tous ou presque tous ont, en plus des activités scolaires, un rôle domes- tique à tenir à l'image de Domingo qui vend des pâtés d'anchois (10) ou de tous les enfants qui, au moment de la cueillette "cassent

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les olives", une brique posée dans le creux de la main (11). Cepen- dant, malgré ces tâches domestiques auxquelles doivent se plier les enfants oranais, leur univers est avant tout ludique et nous nous rendons compte, lors de l'examen de leurs jeux, combien l'Espagne y est présente.

En Oranie, l'enfant règne en maître sur la voie publique grâce au "carrito" qu'il a construit avec quelques planches et trois roues et qu'il dirige avec ses pieds. Les descentes sont spectaculaires et les sensations ressenties également.

Mais le sport roi, c'est le football.

"Nous jouions partout. Dans la rue, le jeudi, avant et après la classe, dès le lever jusqu'à la fin du jour. Seule la nuit nous arrê- tait parce que, sournoisement, elle nous volait nos ballons." (12).

D'ailleurs, les ballons n'étaient bien souvent que des boules de chiffon ou de papier.

Le football est une affaire de garçon. La dimension "virile" de cette activité sportive obligent même ceux qui n'y prennent aucun goût à le pratiquer.

"Les mères... quand elles avaient un garçon qui jouait pas au foot, elles s'inquiétaient. Des idées elles leur venaient sûr si c'était vraiment un garçon... Le foot donc, c'était vraiment un sport natio- nal, celui qui rassemblait toutes les races et toutes les religions..." (13).

Tous les jeux, ou presque, ont le même protocole destiné à dési- gner celui qui va jouer le premier : le verdugo (esp. Bourreau). Les joueurs lancent en l'air une espadrille qui tombe pile ou face et remplace avantageusement une pièce de monnaie (14).

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La TOUPIE est un jeu connu dans le monde entier mais qui prend, ici, une saveur toute particulière en raison de la nomencla- ture utilisée. La toupie est soit fabriquée au moyen d'une canette de fil à coudre et d'un clou, soit achetée dans le commerce. Dans ce dernier cas, pour sacrifier à la tradition, il faut couper le rabico (petite queue en espa.) qui la surmonte et l'équilibre. Si le lanceur de toupie ne le fait pas, ses camarades la jettent aussitôt sur les toits car la toupie espagnole (c'est comme cela qu'était désignée la toupie que l'on fabriquait de ses mains) n'avait pas de rabico. De plus, pour être un bon joueur de toupie, il faut la lancer violem- ment à terre, au risque de la casser, sinon on joue "à la fille". En- fin, si la toupie tombe le clou en l'air, elle "fait gancho" (gancho : esp. clou, crochet), si elle s'affale elle "fait chouffa" (nous reparle- rons de l'étymologie de ce mot) et si elle se renverse, elle "fait car- roucha" (Valenc. morceau de bois : carruxta). Elle fait aussi "cam- pana" quand elle reste accrochée par le clou à la ficelle.

Les PIGNOLS (ou jeux de noyaux). Le jeu de pignols est sans doute celui qui vient directement à l'esprit lorsque sont évoqués les jeux oranais. En fait, de quoi s'agit-il? D'un simple jeu de billes à ceci près que les billes sont remplacées par des noyaux d'abricots. Notons également que l'appellation pignols (mot catalan "Pinyols") est situé dans une aire géographique limitée. Oran, Sidi-Bel-Abès, Relizane (zone où l'espagnol prédomine). Ailleurs, ce jeu est plus connu sous le nom de jeu de noyaux.

Comme avec des billes, le jeu consiste à frapper un gros noyau à l'aide d'un plus petit. Dès qu'un joueur adroit a réussi son coup, il empoche tous les noyaux restés au sol.

Cependant, le jeu a de nombreuses variantes : - on peut lancer un noyau et faire sortir un autre noyau placé dans un cercle tracé sur le sol.

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- on peut renverser un petit tas de noyaux appelé "mère". - ou alors, "jouer au canal" (esp. canal : tuyau d'écoulement d'eau), le jeu consistant à lancer des pignols dans le tuyau.

Le fin du fin est bien sûr de transformer des pignols en sifflets après avoir perçé deux trous.

Le CERF-VOLANT est un autre jeu vieux comme le monde que les petits Oranais affectionnent tout particulièrement. D'une fabri- cation simple, il offre pourtant la possibilité de rivaliser d'adresse et d'audace et son utilisation est délicate.

La principale qualité que doit avoir un cerf-volant est un bon équilibre. Pour cela, il convient de le flanquer d'une queue impor- tante. On dira d'un cerf-volant mal lesté qu'il a la "cumba", et il n'y a pas de reproche plus sévère. Aussi doit-on savoir placer les "étirants" (esp. tirantes : ficelles qui relient le cerf-volant à la cor- de) et ajuster leur tension pour que l'engin soit parfaitement équili- bré.

Une fois le cerf-volant lancé, le jeu le plus spectaculaire est sans doute celui du "corta-hilo" (coupe-fil en espa.) : mauvais tour qu'un gamin mal intentionné joue à un camarade en coupant la corde qui dirige le cerf-volant et en criant très fort "corta-hilo".

Moins violent, le jeu du "télégramme" qui n'a pas de dénomina- tion espagnole : un joueur glisse un bout de papier autour de la fi- celle et celui-ci, poussé par la force du vent, entreprend un mouve- ment vertical jusqu'à l'armature de l'engin.

Nous trouvons ci-après les différentes formes que peut revêtir le cerf-volant oranais ainsi que ses diverses appellations.

Le barrilet (Esp. Barril : tonneau)

Le bacalao (espa. morue)

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La luna (espa. lune)

La toupie munie d'une corne pour

percuter et percer l'adversaire en plein vol.

Parmi les nombreux jeux qui occupent les longues et chaudes soirées algériennes, nous trouvons : le "arroz que quema" (jeu de mouchoirs), le "tricotin" (où l'on utilise des bouts de roseaux - ca- nutos), le "misto" (espa. oiseau chanteur) qui n'est qu'un simple jeu de cache-cache comme le "capitule" ou le "raulicas" (appella- tions bel-abbèsiennes) ; le "tieso" (espa. le raide) où un gamin se tenant le plus raide possible se laisse choir dans les bras de ses ca- marades qui forment cercle autour de lui sans qu'aucun ne ploie sous son poids ; le "sfolet" (ou pitchac) où une pièce trouée entou- rée d'un papier en panache fait office de cerf-volant que les enfants frappent non pas avec une raquette, mais avec le pied. (15). Le jeu des "chapes" (espa. chapa : feuille de métal) qui consiste à envoyer en l'air des couvercles de boîtes d'allumettes (l'un des joueurs gar- dant ceux qui représentent le côté "face" et l'autre ceux côté "pile") ne semble être connu sous ce nom que dans les quartiers populaires d'Alger. A Oran, les enfants l'appellent le jeu de "cartettes" et em- ploient la dénomination "chapes" pour désigner un divertissement quelque peu analogue qui consistait à lancer cinq pions (des ron- delles de carreaux de fabrication artifisanale) et à les ratrraper sur le dos de la main. Citons encore le jeu du "canette vinga" qui consiste à lancer un fuseau de bois (canete) dans un cercle qu'un adversaire défend tout en incitant son camarade à jouer en criant : "vinga !" (qu'il vienne !) ou encore "vinga la fava !" (que vienne la fava ! : la fève).