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N° 1152 du 29 novembre au 5 décembre 2012 courrierinternational.com France : 3,50 € Afrique CFA 2 600 FCFA Algérie 450 DA Allemagne 4 € Autriche 4 € Canada 5,95 $ CAN DOM 4,20 € Espagne 4 € E-U 5,95 $ US G-B 3,50 £ Grèce 4 € Irlande 4 € Italie 4 € Japon 700 ¥ Maroc 30 DH Norvège 50 NOK Pays-Bas 4 € Portugal cont. 4 € Suisse 5,90 CH Tunisie 4,50 DTU TOM 700 CFP FRANCE LA DROITE LA PLUS SOTTE DU MONDE MOYEN ORIENT — L’AXE CONTRE L’IRAN ET LA SYRIE LIVRE — ASSAF GAVRON, PRIX COURRIER INTERNATIONAL 3:HIKNLI=XUXZUV:?b@b@p@m@a; M 03183 - 1152 - F: 3,50 E Uruguay Le vrai président normal Pepe Mujica a fait de son pays un laboratoire politique qui séduit la presse sud-américaine

Le vrai président normal - CI 1152 du 29 nov au 5 déc 2012

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Page 1: Le vrai président normal - CI 1152 du 29 nov au 5 déc 2012

N° 1152 du 29 novembre au 5 décembre 2012courrierinternational.comFrance : 3,50 €

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Pepe Mujica a fait de son pays

un laboratoire politiquequi séduit la presse

sud-américaine

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URUGUAY LE VRAI

PRÉSIDENTNORMAL

42. Courrier international — no 1152 du 29 novembre au 5 décembre 2012

à la une↓ Dans un meeting, pendant la campagne, en septembre2009, un mois avant l’élection présidentielle.Photo Leo Barizzoni

L’élection, en 2009, de José Mujica,deuxième président de gauchede l’histoire de l’Uruguay, ce petitpays souvent en avance sur sontemps, aurait pu passer quasiinaperçue. Ce n’est pas le premierdirigeant de la région à ne pasappartenir au sérail politique. Et lapresse tant latino-américaine qu’in-ternationale l’a longtemps ignoré.Mais ce vieux guérillero rescapédes cachots de la dictature a unevraie particularité : il semble insen-sible aux sirènes du pouvoir, cultive

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d’Amérique du Sud, le moins corrompu (selonl’ONG Transparency International) et le plus sûr.Malgré tout, la criminalité progresse et constituela principale préoccupation des Uruguayens. Cetteannée, 211 assassinats ont été commis. Ces chiffrespeuvent paraître risibles, car chaque jour il y a pra-tiquement le même nombre de personnes tuées auBrésil ; mais c’est beaucoup plus que les 183 comp-tabilisés en 2011. La violence conjugale est égale-ment un motif d’inquiétude : 9 325 cas ont été relevésen 2011, et ce nombre se monte déjà à 12 004 pourl’année en cours. Mujica a tenté de nous donnerune explication en évoquant la perte des valeursfamiliales, tout en précisant qu’un psychiatre seraitplus compétent pour analyser le sujet. “Etre prési-dent ne signifie pas que l’on a la science infuse.”

S’excuser de sa franchise. Pepe Mujica necompte pas ses mots, parle cru, fait des fautes degrammaire ou encore utilise des expressions queles jeunes générations ne comprennent pas. Il estcourant qu’il fasse appel à des métaphores pay-sannes pour expliquer sa façon de gouverner. Unjour, il a tout de même dû s’excuser de sa fran-chise. Dans un recueil d’entretiens intitulé Pepe.Colóquios [Pepe. Conversations], lancé en pleinecampagne présidentielle, il affirmait que les Kirchner[Néstor et Cristina Kirchner, tour à tour présidentsde l’Argentine] étaient des “péronistes délinquants”,que l’ancien président Carlos Menem était “unmafieux et un voleur” et les Argentins “des hysté-riques, des fous et des paranoïaques”. → 44

Longtemps appelé la “Suisse de l’Amériquelatine”, en raison de saprospérité, ce petit pays a été plusieurs fois un laboratoire social et politique.

1825— Indépendance de l’Uruguay.1907— Abolition de la peinede mort.1913— Premier pays du continent à adopter le divorce sur requête de l’épouse.1927— Les femmesacquièrent le droit de vote.1965— Naissance formelledu Mouvement de libérationnationale - Tupamaros, dont fait partie José Mujica.1973— Début de la dictaturemilitaire, avec le soutien du président éludémocratiquement deux ans

auparavant, Juan MaríaBordaberry.1985— Après douze ans derégime militaire, Julio MaríaSanguinetti (du traditionnelparti Colorado, de centredroit) arrive au pouvoir. Il yrestera jusqu’en 1990 et denouveau entre 1995 et 2000.2000— Le président JorgeBatlle (parti Colorado) créela Commission pour la paix,qui va entreprendre desenquêtes sur les disparuspendant la dictature.2002— A la suite de la criseargentine de Décembre 2001,le système économiqueuruguayen s’effondre. Les salaires chutent et lechômage augmente.2004— Tabaré Vázquez,oncologue et candidat d’une coalition de gauche,devient le premier présidentsocialiste de l’Uruguay.

2008— Le Parlementuruguayen approuve l’union légale entre deux personnes après un minimum de cinq ans de vie commune (similaireau pacs en France), y compris pour les couplesde même sexe. (Aujourd’hui,un projet de légalisation du mariage homosexuel est en débat.)2009— L’adoption d’enfantspar des coupleshomosexuels est autorisée.2009— José “Pepe” Mujicaest élu président en octobre.2012— Le projet dedépénalisation de l’avortement est voté en octobre. L’IVG devientlégale, pendant les douzepremières semaines de grossesse, même pour les femmes étrangères ayant un an de résidence.

Chronologie

—Piauí (extraits) São Paulo

e personnage de Pepe Mujica figurerait aussibien dans une histoire de gauchos [gardiensde troupeaux de la pampa argentine] quedans un roman sur la lutte armée. Militantdes Tupamaros, la principale guérilla urbainedu pays, il fut atteint de six balles et empri-

sonné pendant quinze ans, dont onze à l’isole-ment total, où il alla jusqu’à boire sa propre urinepour ne pas mourir de soif. A 59 ans, il participeà sa première élection, qu’il gagne comme toutesles suivantes : du Sénat jusqu’à la présidence, il ya deux ans et demi.

Les jeunes du continent ont découvert Mujicaen juin dernier, lorsqu’il a annoncé que l’Uruguaypourrait légaliser le commerce de la marijuana.L’autre image qui circule sur les réseaux sociauxest celle d’un homme politique plutôt sympa, décritdans un reportage du quotidien espagnol El Mundocomme “le président le plus pauvre du monde”. Unarticle de la revue britannique Monocle prétendqu’il est “le meilleur président du monde” et “le hérosméconnu de l’Amérique latine”. Mujica habite dansune ferme du nom de La Puebla, aux environs deMontevideo, avec une seule chambre et une toi-ture en zinc. Il reverse 90 % de son indemnité pré-sidentielle d’un montant de 260  259  pesos[10 200 euros]. Son seul bien est une Coccinellebleue de 1987. Sur le site de la présidence, sa pro-fession officielle est celle d’exploitant agricole.L’Uruguay est le deuxième pays le plus petit

“Le héros méconnu de l’Amérique latine”Ancien guérillero, sorti de quinze ans de détention presque fou, José “Pepe”Mujica est atypique : à 77 ans, il vit dans une ferme… et fait un tabac sur lesréseaux sociaux. Il défend de grandes idées pour son tout petit pays.

L

Courrier international — no 1152 du 29 novembre au 5 décembre 2012 À LA UNE. 43

son quotidien d’“homme normal”,en refusant tout protocole et 90 %de son salaire présidentiel. Il conti-nue à dire ce qu’il pense – au granddam de ceux qui souhaiteraientun président avec plus de pres-tance… Et n’a pas peur de lancerdes pavés dans la mare, telle lalégalisation totale du cannabisdans une région où la lutte contrele trafic de drogue est une ques-tion prioritaire. Un président normal,un vrai, en somme ?

—Service Amériques

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44. À LA UNE Courrier international — no 1152 du 29 novembre au 5 décembre 2012

A une autre époque, Mujica se préoccupait encoremoins de son apparence. Lorsqu’il était député etsénateur, il se rendait au Congrès avec des bottesen caoutchouc tachées de terre. Mujica travaillaitdans ses champs au petit matin et partait ensuiteles ongles sales, en Vespa ou au volant de saCoccinelle. Son style négligé, indifférent au pro-tocole, a peu à peu attiré l’attention des journa-listes et rendu furieuse l’opposition, tandis queMujica gagnait en importance. Lors de la cam-pagne pour l’élection présidentielle, son rival, LuisLacalle, a qualifié sa maison de “taudis”.

Mujica. Il affirme que le président manque d’au-torité, est incapable de tenir ses promesses bienqu’il ait la majorité au Parlement et il lui reprocheses décisions clientélistes. “Il y a 100 000 personnesqui gagnent un salaire sans travailler. On leur donnede l’argent sans aucune contrepartie et peu importe siles enfants vont à l’école ou non.” En réalité, ce pro-gramme social exige que les familles maintiennentleurs enfants à l’école : 412 000 enfants et adoles-cents bénéficient ainsi de l’Asignación Familiar,l’équivalent de la Bolsa Familia au Brésil, créée sousla présidence de Tabaré Vázquez. Pour Lacalle, l’an-cien président “est une personne plus sérieuse, unesorte de social-démocrate français. Mujica est un hommeplus radical. Il a inventé Pepe, un personnage folklo-rique plus important que sa personne.” “Il dépasse lesbornes quand, par exemple, il se rend à un sommet poli-tique avec de vieilles chaussures”, ajoute-t-il. Quelquessemaines auparavant, en effet, le président s’étaitrendu au Brésil pour rencontrer Hugo Chávez,Cristina Kirchner et Dilma Rousseff. Ce sommetofficialisait l’entrée du Venezuela dans le Mercosur.Le lendemain, le quotidien brésilien O Globo publiaità la une un cliché de la rencontre, soulignant enlégende un moment de décontraction des troischefs d’Etat [soi-disant] étonnés par l’état des chaus-sures de José Mujica. Avant de partir, il avait dit àsa femme, la sénatrice Lucía Topolansky : “Je vaisdevoir bien me comporter aujourd’hui avec ces deuxdames [Mmes Kirchner et Rousseff].”

Lucía, son grand amour. Mais il s’est tout demême contenté de prendre des bottines marronen cuir usées. Dans l’avion, il avait indiqué à sesassesseurs : “Ce ne sont pas les meilleures chaussurespour un sommet, mais je suis à l’aise dedans.” Ceuxqui étaient avec lui au palais présidentiel de Brasílian’ont pas entendu de commentaires à ce sujet,mais, au moment de la photo officielle, il y avaitun papier au sol spécifiant à quel endroit devait semettre chacun des chefs d’Etat. Et tous regardaientpar terre, d’où la photo d’O Globo. Dilma, Cristinaet Chávez n’ont peut-être rien vu, mais l’opposi-tion uruguayenne s’en est aperçue et n’a pas aimé.

Historiquement, l’Uruguay a toujours eula sensation d’être pris en étau entre deux géants :le Brésil et l’Argentine. D’un siècle à l’autre, le paysest passé du statut de région objet de dispute fron-talière entre les empires portugais et espagnol àcelui d’Etat-tampon. “C’est un morceau de cotonentre deux cristaux”, notait dans la première moitiédu XIXe siècle John Ponsonby, un ministre bri-tannique envoyé en mission diplomatique dansl’estuaire du Río de la Plata. Le pays a une popu-lation réduite (plus de 3 millions d’habitants depuisdix ans) et âgée : les plus de 60 ans représentent19 % de la population (11 % au Brésil). A cela s’ajoutela forte émigration des jeunes en quête de travailà l’extérieur.

Les vieilles chaussures. Par ailleurs, le per-sonnel politique de l’Uruguay se renouvelle peu.Les principales figures de l’opposition sont d’an-ciens présidents ou des héritiers de familles quise relayaient au pouvoir avant l’arrivée à la prési-dence du Frente Amplio, en 2005. Jusqu’en 1971,le pays connaissait le bipartisme : il y avait le partiColorado et le parti Blanco (Partido Nacional),tous deux composés de groupes d’orientation cen-triste et de droite. Les colorados sont historique-ment liés à l’élite commerciale urbaine, et les blancosaux grands propriétaires terriens. Fondés en 1836,ces deux partis figurent parmi les mouvementspolitiques les plus anciens de la planète. Le FrenteAmplio est donc apparu en 1971. Il représente toutl’éventail de la gauche, des communistes aux sociaux-démocrates. Tabaré Vázquez, le prédécesseur deMujica, est devenu en 2005 le premier présidentissu du Frente Amplio. Cancérologue, il a conti-nué pendant sa présidence à recevoir ses patientsle mardi et il est aujourd’hui plus populaire queMujica. En Uruguay, où le mandat dure cinq anssans possibilité de réélection immédiate, TabaréVázquez est le favori pour la présidentielle de 2014.

L’ancien président Luis Lacalle [dirigeant du Partinational Blanco] est un homme hyperactif, à l’ap-parence aristocratique. Il me reçoit dans son bureauau Sénat et se montre d’emblée critique envers

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●●● L’Uruguay est l’un desrares exemples en Amériquelatine où une guérilla desannées 1970, le Mouvement de libération nationale- Tupamaros (MLN-T), vaincuemilitairement, a pu setransformer en mouvementpolitique et accéder au pouvoir.Né dans les années 1960, le MLN-T – dont le nom vient de Túpac Amaru, héros de la résistance inca à l’envahisseurespagnol – est à cette époqueune guérilla urbaine qui commetdes actions spectaculaires, qui la font connaître bien au-delà des frontières de l’Uruguay.Dès le début des années 1970,sous un gouvernement de plusen plus militarisé, laconfrontation devient sanglanteet l’organisation est quasidémantelée. Sous la dictature(1973-1985), la répressiondevient générale. Neufdirigeants Tupamaros (dont José

Mujica), considérés comme des otages par les militaires, sont torturés et incarcérés dans des conditions inhumaines.En 1985, la chute de la dictatureet le début de la transitiondémocratique permettent la libération des plus de6 000 prisonniers politiques(soit 1 pour 450 habitants…).Les Tupamaros rescapés créentalors le Mouvement departicipation populaire (MPP),qui s’intègre au Frente Amplio(Front large, une sorte d’unionde la gauche) et en devient l’un des piliers. En 2005, avec l’élection du socialisteTabaré Vázquez, premierprésident de gauche élu après la dictature, deux Tupamarosintègrent le gouvernement, dont José Mujíca, nommé alorsministre de l’Agriculture, avant qu’il ne devienne,en 2005, président de laRépublique uruguayenne.

↑ En route pour un déjeuner avec

des entrepreneurs, en octobre 2009.

A ses côtés, sa femme, Lucía.

Photo Leo Barizzoni

Repères

Río de la Plata

URUGUAY

BRÉSIL

ARGENTINE

BuenosAires Montevideo

Salto

Colonia

Paysandú

Canelones Cabo Polonio

Puntadel Este

30°Sud

Río Negro

Río

Urug

uay

200 km

OcéanAtlantique

Paraná

Superficie : 176 065 km2 (1/3 de la France)Population : 3,4 millions d'habitantsEspérance de vie : 75,9 ansTaux d'alphabétisation : 98 %Classement selon l’IDH : 48e sur 187PIB par habitant (en PPA) : 14 667 dollars (France : 35 195) Taux de croissance : 6,4 %Part des secteurs d’activités dans le PIB : agriculture et pêche : 30 % ; industrie et mines : 20 % ; services : 50 % CH

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De la guérilla au gouvernement

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0,783

—El País Montevideo

e Frente Amplio [coalition au pouvoir] vientde présenter un projet de loi qui doit léga-liser la vente de cannabis et permettre auxparticuliers de cultiver pour leur usage per-sonnel jusqu’à six plants de cannabis. Ceprojet de loi comporte plus de trente articles.

L’Etat, par le biais de l’Institut national du can-nabis (INCA), devrait octroyer des autorisationsspéciales à des particuliers et à des associationsde cultivateurs pour leur permettre de produireeux-mêmes cette drogue. L’organisme se char-gera également de la surveillance et de l’évalua-tion des plantations. Le cannabis sera cultivé surdes terrains privés dotés des conditions de sécu-rité nécessaires afin d’éviter les vols et assurer labonne qualité de la drogue qui sera ensuite vendue.La loi n’empêchera cependant pas l’Etat de selancer dans cette production s’il le souhaite.

Les particuliers devront payer une cotisationà l’Etat afin d’obtenir la licence les autorisant àproduire cette plante. Mais seul l’Etat, par le biaisde l’INCA, sera habilité à vendre la marijuana.Les particuliers pourront se procurer jusqu’à 40 gde marijuana par personne et par mois dans lesdispensaires locaux de vente de cannabis, conçussur le modèle californien.

L’objectif est d’offrir au consommateur unéchange personnalisé et de pouvoir l’informerdes dangers de la drogue. Des consultations surle sevrage seront également proposées. Les consom-mateurs auront accès à quatre sortes de canna-bis différents : le cannabis indica (à effet relaxantet aux propriétés pharmaceutiques), le cannabissativa (aux effets énergisants et euphorisants) etdeux autres sortes de cannabis réalisés à partirde mélanges. La drogue ne pourra être commer-cialisée que sous l’appellation cannabis, il n’y aurani marques ni publicités incitant à sa consom-mation. Cette substance sera soumise aux mêmesrestrictions que celles appliquées au tabac.

Récolte maximale. Le projet autorise égale-ment le regroupement de cultivateurs, pour unusage personnel, c’est-à-dire que ceux-ci ne pour-ront pas revendre leurs récoltes à des tiers, et ceafin d’éviter un marché parallèle. Les associa-tions de cultivateurs devront également deman-der une autorisation afin de pouvoir cultiver ducannabis, un permis délivré pour une quantitéde plants bien précise, en fonction du nombrede personnes intégrant l’association. La cultureà domicile sera autorisée ( jusqu’à six plants de

cannabis par personne) pour une récolte maxi-male de 480 g par an, ce qui revient à une consom-mation de 40 g par mois.

Le gouvernement prévoit des sanctions assor-ties de peines de prison pour ceux qui ne res-pectent pas les quantités prévues par la loi, ainsique des inspections à domicile. “Planter plus deplants que la loi ne l’autorise sera un élément à charge”,explique l’un de nos informateurs. Les consom-mateurs, les associations de cultivateurs et lescultivateurs à domicile devront s’enregistrerauprès des services de l’Etat, mais leur identitérestera confidentielle et leurs données person-nelles seront classées “données sensibles”. Ainsi,leur identité ne pourra être divulguée que dansle cadre d’un mandat judiciaire.

Réduction des risques. Par ailleurs, le projetprévoit la création d’un groupe de travail chargéd’évaluer les effets de cette politique de dépéna-lisation. Cette commission aura notamment pourmission d’en étudier l’impact sur la société, maisaussi de s’assurer qu’elle a atteint l’objectif fixépar le gouvernement dans le cadre de son planen quinze mesures pour lutter contre la délin-quance et améliorer la vie en commun.

Dans la déclaration rédigée par les députésNicolás Núñez (Parti socialiste), Julio Bango (Partisocialiste) et Sebastián Sabini (Mouvement de participation populaire, MPP) sous l’égide de laCommission nationale des drogues, la légalisationdu cannabis est présentée comme une politiquecentrée sur “la réduction des risques et des dangers”,à l’instar des autres politiques de lutte contre ladrogue. La Commission nationale de lutte contrela drogue et l’INCA disposeront de toutes les infor-mations sur les plantations : les données concer-nant la production, les ventes, les bénéfices ou lespertes, et ce afin d’assurer la plus grande transpa-rence au projet. Le projet de légalisation du can-nabis rédigé par le Frente Amplio a été présentéle jeudi 15 novembre devant la commission desToxicomanies, à la Chambre des députés.

—Valeria Gil et Pablo Meléndrez

↑ Dessin de DiegoAbelenda,paru dansVoces,Montevideo.

L

L’avortement dépénalisé●●● Les sénateursont adopté en octobredernier un projet de loiqui dépénalisel’avortement pendantles douze premièressemaines de gestation,mais sous conditions.Les femmes quisouhaitent une IVGdevront se soumettre àune procédure lourde :trois rendez-vousmédicaux avantl’intervention et unquatrième juste après,précise le quotidienuruguayen La Diaria.“Une avancée àl’arrière-goût amer”,titre l’hebdomadaireBrecha. Le texte est trop tiède au goût des féministes. Présenté par legouvernement la

semaine dernière enconférence de presse,“le projet devrait entreren vigueur débutdécembre”, après sapromulgation par leprésident José Mujica,ajoute le journal.L’Uruguay devient ainsile quatrième pays de la région à permettrel’interruption volontairede grossesse, après Cuba, la Guyana et Porto Rico. En 2005, un projetcomportant moins de restrictions étaitarrivé sur le bureauprésidentiel pour sa promulgation, mais le prédécesseurde Mujica, TabaréVázquez, oncologue et socialiste, y avait misson veto. Le sujet diviseencore la sociétéuruguayenne.

Construire des logements●●● Deux ans se sontécoulés avant que lesautorités puissent enfinparler de “Ensemble”,une promesse de campagne et unprogramme proposépersonnellement par leprésident de l’Uruguayen 2010, visant àaméliorer les conditionsde logement de ceuxqui vivent dans laprécarité, en particulierles mères célibatairesavec trois ou quatreenfants à charge. “JoséMujica avait demandéque les annonces nesoient faites que quandil y aurait des résultatsà présenter”, expliquele journal uruguayen La República.Le projet a été conçupour apporter une première solution aux quelque20 000 familles mallogées. Avec un budgetannuel de 105 millionsde pesos uruguayens(soit un peu plus de 4 millions d’euros),l’objectif est que leprogramme soit financépar des donateursprivés, qui reçoivent

en contrepartie desbénéfices fiscaux. Le premier de la liste ?Le président del’Uruguay, qui fait dontous les mois de 70 %de son salaire. Pour le moment,1 500 “solutions de logement” sontprojetées ou en cours.Le programme reposeaussi sur l’aide des volontaires (400 actuellement)dans la constructiondes maisons.Le ministère du Développementsocial attribue aussi des aides économiquesaux enfants de 14, 16 ou 18 ans issus defamilles aux très faiblesressources (ellesdoivent percevoir moinsde 3 300 pesos – soit130 euros – parpersonne et par moispour y avoir droit) : 700 pesos (soit 27,60 euros) par mois pour ceux qui vont au collège et 1 100 pesos (43 euros)pour les lycéens,d’après El Diario.En contrepartie, les jeunes doivent finirleurs études.

L’objectif est de lutter contre la délinquance et d’améliorerl’information sur les effets nocifs de la drogue. Un projet unique au monde.

Deux avancées majeures

Zoom

C’est l’indice dedéveloppe menthumain (IDH) de l’Uruguay,supérieur aux moyennes régionale et mondiale,selon le PNUD.

L’ÉTAT VA VENDRE LECANNABIS

Courrier international — no 1152 du 29 novembre au 5 décembre 2012 URUGUAY. 45

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46. À LA UNE Courrier international — no 1152 du 29 novembre au 5 décembre 2012

Le président est obnubilé par les gens qui seretrouvent sans toit. Il a vendu des bâtiments publics,dont une résidence officielle à Punta del Este [célèbrestation balnéaire du sud-est du pays], pour construiredes logements sociaux et il a même proposé d’ou-vrir le palais présidentiel aux sans-abri si les placesvenaient à manquer l’hiver dans les centres d’hé-bergement. De surcroît, il reverse la majorité deson indemnité présidentielle pour alimenter le planlogement du gouvernement dénommé “Ensemble”.Sympathisant du Parti national et commentateurpolitique de la radio El Espectador, Graziano Pascalea été, en 2007, le premier journaliste à affirmer quePepe Mujica pourrait être le candidat du FrenteAmplio. “Mujica, c’est ce vieil oncle un peu fou que l’ona tous dans nos familles. L’élire président a été une foliecollective. Son personnage public ne s’accorde pas avecla vie normale de l’Uruguayen.”

José Alberto Mujica Cordano est le premierenfant né du mariage de Demetrio Mujica et LucyCordano. Son père est mort jeune et sa dernièresœur est née avec des moyens intellectuels limi-tés. C’est lui qui a toujours aidé sa mère, en plan-tant par exemple des Callas [l’arum des fleuristes]

“Je l’ai invité à prendre un café, mais il a refusé”,souligne, amusée, Lucía Topolansky. Elle vit avecMujica depuis 1985, mais ils ne se sont mariésqu’en 2005, discrètement, chez eux. Lucía a 68 anset semble être en parfait accord avec son mari :pas seulement politiquement, mais aussi parcequ’elle a les mêmes cheveux blancs et courts, desvêtements simples, pas de boucles d’oreilles nid’ongles vernis. Elle nous reçoit dans son bureaudu Sénat, les murs sont décorés de photos deMujica, du Che et de Carlos Gardel.

Jamais de cravate. Le roman politique de cesdeux-là débute par le militantisme au sein duMouvement de libération nationale–Tupamaros(MLN-T), quand ils voulaient en finir avec le capi-talisme, et il a atteint son apogée lorsqu’elle l’a faitprêter serment comme président, en tant que lasénatrice la mieux élue en 2009. Lucía et Mujicaont eu d’autres conjoints durant leur période declandestinité ; le sien a été tué. Mujica, lui, connais-sait déjà la sœur jumelle de Lucía, mais il ne ren-contra celle-ci pour la première fois que trois moisavant son emprisonnement. C’était en 1971. Tousdeux s’évadèrent de prison – lui lors d’une évasionentrée au Livre des records de par le nombre d’éva-dés (111), elle en empruntant les égouts avec 37 autresfemmes –, mais ils furent repris peu après. C’estseulement en 1985, avec la loi d’amnistie, qu’ils sesont retrouvés. Ils ont vécu un temps chez la mèrede Mujica, à quelques minutes de la ferme qu’ilsont achetée par la suite.

Les voisins racontent que pendant longtempsla maison était en adobe avec un toit de paille. Laferme est située dans le quartier Paso de la Arena,à la sortie ouest de Montevideo, où prospèrent lapetite industrie, l’agriculture et l’élevage de pou-lets. Ironiquement, la maison de Mujica est situéesur le chemin Colorado, derrière des arbres impo-sants qui la cachent aux regards extérieurs. Deuxpoliciers, pas plus, la surveillaient le matin de notrevenue, en août dernier. Mujica a refusé de s’ins-taller dans la résidence officielle de la présidence,le palais Suárez y Reyes à Montevideo. Mais laferme et lui ont dû quelque peu changer. Le pré-sident se rase désormais et il est obligé de porterun blazer, mais jamais de cravate ! Dans sa maison,des caméras de surveillance ont été installées. MaisLucía et Mujica ne vivent pas seuls. Trois autresfamilles sont installées sur le domaine, géré sousforme de coopérative. Deux d’entre elles sont devieilles connaissances politiques et la troisième aconnu un temps des difficultés financières. Le tes-tament du couple stipule que ces familles pour-ront continuer à vivre là après leur mort tant quecela leur sera nécessaire, puis le terrain sera des-tiné à une école agricole qu’ils sont en train demonter. Lucía et Mujica vivent chez eux unique-ment avec leur chienne Manuela, handicapée d’unepatte après avoir été écrasée par Mujica au volantd’un tracteur. “Il y a eu des compagnons qui ont eudes enfants. Moi, j’ai toujours fait le choix de la libertéet je n’en ai pas eu à cette époque, confesse la séna-trice. Mais il y a toujours des enfants dans la maison.”

Negro Nievas, un infirmier et tourneur méca-nique à la retraite âgé de 73 ans, est l’un des voi-sins de Mujica. Il nous montre des photos d’unbarbecue en famille faites un week-end avec lecouple présidentiel. Nievas possède une Ford Falconbleue de 1975. Ils se sont connus lorsqu’il avait7 ans. Ils étaient voisins et fréquentaient la mêmeécole. Quand je l’interroge sur leur enfance, ilraconte que la mère de Mujica avait une boutique,près de l’école, où elle vendait du matériel scolaireet des fleurs. Il se met à pleurer. A plusieurs reprises,il est ému lorsqu’il parle de son ami.

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En juin dernier, lors de la conférencesur le développement durable desNations unies Rio + 20, le président de l’Uruguay a fait un discours qui a été repris des centaines de milliersde fois sur les réseaux sociaux. Extraits.“Nous ne pouvons pas continuer,indéfiniment, à être gouverné par lesmarchés ; nous devons gouverner lesmarchés. […]Les anciens penseurs Epicure,Sénèque ou même les Aymarasdisaient : ‘Celui qui est pauvre n’estpas celui qui possède peu, mais celuiqui a besoin de beaucoup et qui désiretoujours en avoir plus.’ […]Je viens d’un petit pays très riche enressources naturelles. Dans mon pays,

il y a 3 millions d’habitants. Un peuplus de 3 millions. Mais il y a aussi13 millions de vaches, les meilleuresdu monde. Près de 8 à 10 millions de moutons parmi les plus succulents.Mon pays exporte de la nourriture, des produits laitiers, de la viande.C’est une grande plaine où près de 80 % du territoire est exploitable.Mes compatriotes se sont battus pourobtenir la journée de travail de huitheures. Aujourd’hui, ils travaillent sixheures. Mais celui qui travaille sixheures doit cumuler deux boulots ;donc il travaille encore plus qu’avant.Pourquoi ? Parce qu’il accumule lescrédits à rembourser : la moto, lavoiture… toujours plus de crédits.

Et, quand il a fini de payer, c’est un vieillard perclus de rhumatismes,comme moi, et la vie est passée. Je vous pose la question. Est-ce quec’est cela la vie ? Nous touchons ici aucœur du problème. Le développementne doit pas être opposé au bonheur, il doit favoriser le bonheur deshommes, il doit favoriser l’amour, les relations humaines, permettre de s’occuper de ses enfants, d’avoirdes amis, d’avoir le nécessaire. Parce que c’est précisément la chose la plus précieuse. Et, dans notre combat pourl’environnement, n’oublions pas que l’élément essentiel, c’est le bonheur des hommes. Merci.

à Rincón del Cerro, où se trouve aujourd’hui saferme. Lucy bénéficiait également de l’aide finan-cière de son père, un immigré italien qui possé-dait une propriété de cinq hectares. Au lycée, JoséAlberto s’oriente vers le droit avant de s’engagerpolitiquement à gauche. Dans une biographie écritepar un journaliste, il décrit ces années-là : “J’étaisà moitié anarchiste. Le militantisme étudiant m’a enquelque sorte politisé. Je suis toujours anarchiste, pasmal libertaire, c’est incontestable.”

Le MLN-T apparaît en 1965. Lorsqu’il rejoint legroupe, Mujica est lié à l’Union populaire, une orga-nisation de gauche créée par des dissidents du partiBlanco. Lorsqu’on a demandé à Mujica s’il avaitdéjà tué quelqu’un, il a répondu qu’il visait mal.Quand le coup d’Etat se produit, la guérilla est déjàdésarticulée et ses principaux leaders, dont Mujica,sont emprisonnés comme “otages” du gouverne-ment afin d’être exécutés en cas de nouvellesattaques du MLN-T. “Nous avons été le produit sociald’une époque”, souligne Lucía Topolansky. AnahitAharonian, une militante uruguayenne emprison-née avec Lucía, a toujours l’âme tupamara. “Etretupamaro, cela signifie que l’on continue à lutter pour

Verbatim

“Le pauvre, c’est celui qui a besoin de beaucoup”

↓ Dans son bureauprésidentiel.Photo Miguel Rojo/AFP

UNE PRESSE RICHELa presse a longtempspeu parlé du présidenturuguayen. Lemagazine brésilienPiauí! a été l’un desrares à faire sonportrait approfondidébut octobre. Berceaud’intellectuelscomme le poète MarioBenedetti, l’écrivainEduardo Galeano ou le dessinateurHermenegildo Sábat,l’Uruguay compte une presse riche et pluraliste :l’hebdomadaire Brecha et le quotidien La República à gauche,l’historique El País (lequotidien le plus lu dupays, qui date de 1918),La Diaria, le dernier-nédes quotidiens, de très bonne factureet plutôt proche du gouvernement, le quotidien de l’OpusDei El Observador ouencore l’hebdomadaireBúsqueda,très à droite.

ARCHIVEScourrierinternational.com

“Le bling-bling débarque à Montevideo” : face à la consommation qui augmente, portrait dunouvel Uruguayen publiédans l’hebdomadaireBrecha (paru dans CIn° 1113, du 1er mars 2012.

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Courrier international — no 1152 du 29 novembre au 5 décembre 2012 URUGUAY. 47

UNE TERRED’ACCUEIL Pour fuir l’instabilité ou la crise, les uns viennentd’Argentine et les autres d’Espagne, en quête de travail et d’une meilleure qualité de vie.

la justice sociale. Le changement, ce n’est pas de donnerquelques pièces aux gens. Je ne veux pas d’un bon capi-talisme, il est impossible de l’humaniser.” Elle est agro-nome et nous reçoit chez elle, loin du centre deMontevideo. Elle fait partie des gens déçus par laprésidence de Mujica. Elle regrette également quesa femme refuse de parler du passé. “Avec Lucía,on n’a jamais travaillé sur la mémoire. Elle disait tou-jours : ne me prenez pas la tête avec ça.” Le présidenta même défendu la simple détention à domicile,du fait de leur grand âge, pour les quelques mili-taires emprisonnés en raison des crimes commispendant la dictature.

La sénatrice Constanza Moreira affirme qu’il afallu convaincre Mujica de se porter candidat. Ilpensait qu’il était trop vieux pour cela. Pendant lacampagne, Lucía était à la fois secrétaire et atta-chée de presse. Il disait aux journalistes que, s’iln’était pas élu, il ne serait plus sénateur et se consa-crerait à la culture des blettes. Mujica a fait cam-pagne en promettant un gouvernement plus prochede celui de Lula, son ami et son modèle politique,que de celui de Chávez. Mais il maintient de bonnesrelations avec son homologue vénézuélien.

Comme les partis sont plus importants que lespersonnalités en Uruguay, Tabaré Vázquez est ànouveau un choix logique pour le Frente Amplioen vue de l’élection présidentielle de 2014, car ilest le candidat le plus consensuel pour la coalitionau pouvoir. Daniele Astori, le vice-président actuel[battu aux primaires par Mujica en 2009, ministrede l’Economie de Vázquez], pourrait être une alter-native. Il est en partie responsable de la politiqueéconomique à succès du pays. Les salaires ont pro-gressé de 36,6 % en sept ans, grâce notamment àune croissance économique moyenne de 6,4 %. Letaux de chômage, 5,3 %, est au plus bas ; 13,7 % desUruguayens vivent sous le seuil de pauvreté, soitune baisse de cinq points en un an. L’analphabétismea quasiment disparu en Uruguay et tous les enfantssont scolarisés. Aucun des pays du Mercosur n’ades indicateurs sociaux aussi bons. Les enquêtesd’opinion les plus récentes montrent que 39 % desUruguayens approuvent le gouvernement du FrenteAmplio et que 49 % apprécient Mujica. Au débutde son mandat, il avait 20 % de plus d’opinionsfavorables. Les bisbilles avec l’Argentine, la vio-lence, l’impression que le président parle plus qu’ilne fait et la faillite de Pluna, l’unique compagnieaérienne uruguayenne, explique en partie cettechute dans les sondages.

—El ObservadorMontevideo

e plus en plus d’Ar -gentins, privés de pers-pectives dans leur pays,regardent l’Uruguaycomme l’espoir d’avoirune nouvelle vie et de

trouver de travail. Leurs deman -des d’emploi se sont multipliéesces derniers mois, en raison d’unepart du contrôle des changesimposé par le gouvernementargentin [pour limiter la fuitedes dollars] et, d’autre part, del’incertitude politique et sociale[un an après la réélection deCristina Kirchner, le mécon-tentement ne fait que croître].

Recherche ingénieurs. Leprofil de l’Argentin qui décidede s’installer dans le pays voisinest celui d’un professionnel ins-truit, au CV intéressant. Il n’ya pas de place pour tous, étantdonné la petite taille du marchéuruguayen, mais la tendanceest très nette. Dans le domainede l’ingénierie et des techno-logies de l’information, l’in-sertion professionnelle estrapide. Pour les comptables etles commerciaux, cela va moinsvite, mais ils parviennent engénéral à leur objectif.

Qu’est-ce qui attire lesArgentins en Uruguay ? La proxi-mité géographique est un

facteur déterminant, ainsi queles affinités culturelles. Ils sontaussi épris de valeurs qui ten-dent à se perdre en Argentine.“Ici, on recherche la stabilité sociale,politique et économique, la possi-bilité d’élever ses enfants dans unclimat plus tranquille”, affirmeGeraldine Delfino, directrice desressources humaines chezPricewaterhouse Coopers. “Ilsne viennent pas pour gagner plus”,concède Federico Kuzel, consul-tant en ressources humaineschez KPMG. “Ils recherchent plutôtune meilleure qualité de vie. Entre2006 et 2007, on voyait venir deuxtypes d’Argentins. Il y avait le yuppie,qui arrivait avec une image idéa-lisée de l’Uruguay, se voyant déjàtravailler sur son ordinateur depuisCabo Polonio [station balnéaireuruguayenne, récemment encored’accès difficile et sans électricité],et puis il y avait l’Argentin de plusde 45 ans, qui est encore sur lesrangs aujourd’hui.”

Parmi les candidats à l’immi-gration attirés par l’Uruguay, ontrouve également des Européens,– des Espagnols notamment quicherchent un refuge face à lagrave crise financière où estplongé le Vieux Continent. Mêmesi le marché paraît diversifié,toutes les professions ne sontpas logées à la même enseigne.Pour Geraldine Delfino, “onmanque avant tout d’ingénieurs”.

—Pedro Dutour

Mujica aime philosopher et c’est un passionnéd’anthropologie et de botanique. Il a pour habi-tude de parler à la nation de la nature humaine etde “la fragilité de notre écorce civilisatrice”. “Les gensdoivent avoir à l’esprit qu’être vivant est un miracle.Nous sommes venus du silence minéral et nous retour-nerons dans le silence minéral”, a-t-il affirmé récem-ment. Mujica explique qu’il a choisi d’être pauvrepour être riche et il évoque toujours comme uneprison le fait de payer à crédit des biens matériels.Lors de la récente conférence du groupe Rio + 20[en juin 2012], il a également expliqué que “les vieuxpenseurs – Epicure, Sénèque et même les Aymaras –définissaient le pauvre non pas comme celui qui a peu,mais comme celui qui a une infinité de besoins et désiretoujours plus que ce qu’il a”.

Psychose délirante. Parmi les neuf anciensdirigeants tupamaros qui étaient considérés comme“otages” pendant la dictature, on prétend que deuxsont sortis de prison affaiblis mentalement : HenryEngler et Pepe Mujica. Engler, à qui on diagnosti-qua une psychose délirante, présenta en 2002 àStockholm, lors de la conférence mondiale surAlzheimer, le travail le plus important sur cettemaladie depuis sa découverte. Aujourd’hui âgé de65 ans et directeur du Centre uruguayen d’image-rie moléculaire à Montevideo, Engler nous a confiépour quelle raison Mujica et lui étaient arrivés aussiloin, après être presque devenus fous. “Dans la luttepour se surpasser soi-même, on laisse de côté les pen-sées de haine et de rancœur, et la solidarité se trans-forme en une forme de satisfaction permanente. Onpeut également survivre à travers la haine, mais on netrouve pas le bonheur de cette façon-là. Aujourd’hui,nous sommes fous, mais fous de nombreux rêves.”

Fin décembre 2011, Mujica a visité un hôpital psy-chiatrique. Il a évoqué l’époque de sa folie avec lesmédecins et les patients. Et il leur a expliqué que,dans son cachot, il entendait des bruits et étaitdevenu fou. Il était suivi par une psychiatre, on luidonnait de nombreux médicaments, qu’il jetaitensuite. “Mais cette femme m’a beaucoup aidé en obte-nant que je puisse lire et écrire. Cela faisait des annéesque je n’avais rien lu ni écrit”, déclara-t-il. Mujica pré-cisa ensuite qu’il avait demandé des ouvrages dechimie afin de les copier et de pouvoir organiser sapensée. De sorte qu’il récupéra la raison et put, à sasortie de prison, retourner à la politique et accéderà la présidence. “Et me voilà ici, encore plus fou qu’avant.”

—Carol Pires

D

Substitution d’immigrés●●● Son emplacement entre deux voisins de tailleconsidérable, le Brésil et l’Argentine, a fait de l’Uruguay un pays d’arrivée de migrants. A partir des années 1960, et surtout avec le début de la dictature militaire, en 1973, la tendance s’est inversée, et le nombre d’émigrés s’estaccru. Le retour à la démocratie, en 1985, n’a pas vraimentchangé les choses. D’après l’hebdomadaire uruguayenBrecha, le recensement de 2011 révèle que le “stock”d’immigrés est le même qu’en 1996 : seulement 3 % de la population est étrangère, contre 17 % en 1908. En revanche, “il est en train de se produire une substitutiond’immigrés : ces Européens qui sont arrivés dans la première moitié du XXe siècle commencent à disparaître,et les nouveaux migrants proviennent de l’Argentine (35 %)et du Brésil (17 %), mais aussi de l’Espagne (16 %) et de l’Italie (7 %)”, précise le journal.

↓ Mars 2012. En déplacement dans la banlieue de Montevideo où un corps vient d’être retrouvé, peut-être celui d’un disparu de la dictature militaire (1973-1985). Photo Reuters