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Tous droits réservés - Les Echos 2010 18/2/2010 P.15 IDÉES L’ÉCONOMIE IMMATÉRIELLE Industries et marchés d’expériences par Olivier Bomsel Gallimard, coll. NRF Essais, 290 pages, 18,90 euros. Nous sommes plongés dans l’économie im- matérielle, mais nous avons du mal à la comprendre et à la réguler, parce que nous sommes imprégnés des modes de pensée de l’économie matérielle : tel est le point de départ de cet ouvrage très riche, mais d’une lecture ardue. La mutation qu’il décrit n’a pas commencé avec l’avènement du numé- rique : toutes les innovations qui ont créé des réseaux entre les hommes – la langue, l’écriture, la monnaie, le droit – ont produit des avantages collectifs (des « externalités positives »). Par exemple, la lettre de change s’est propagée en Europe au XIV siècle parce qu’elle rendait moins coûteuse la « logisti- que des paiements ». Le droit de propriété lui-même n’est pas une donnée « natu- relle », mais une construction intellectuelle qui s‘est modulée et raffinée pour accompa- gner les mutations économiques. L’immatériel envahit la consommation L’économie des mots s’est donc progressive- ment insérée dans celle des choses. Ronald Coase, en 1937, mettait en évidence les coûts de transaction – de discussion, de comparaison des offres – liés au fonctionne- ment marché : si les entreprises existent, c’est parce qu’il serait trop coû- teux, pour une multitude d’agents isolés, de négocier sa participation à chaque tâche particulière. La division du tra- vail, dont Adam Smith a illustré l’efficacité, impli- que des fonc- tions de coordination dont l’importance n’a cessé de croître. L’histoire de l’économie pourrait se lire comme celle des « mises en réseaux », sous des formes variées : à l’épo- que moderne, c’est par exemple l’essor des télécommunications, ou encore le dévelop- pement des normes et des standards, qui permettent de rationaliser la production et facilitent la concurrence. Enfin, le numéri- que, qui dématérialise l’écriture elle-même, élargit le réseau aux dimensions de la pla- nète et bouleverse les modes d’accès à di- vers types de biens, nous fait entrer dans une nouvelle économie, d’autant plus diffi- cile à déchiffrer qu’elle se modifie sans cesse. L’immatériel envahit aussi la consom- mation : elle est de plus en plus chargée de symboles, mais aussi de plus en plus per- sonnalisée, ce qui explique la hausse des dépenses « informationnelles » (marke- ting, production sélective, publicité…). L’auteur, professeur d’économie indus- trielle à Mines Paris Tech, distingue trois types de biens. Ceux pour lesquels le con- sommateur cherche à se renseigner, avant l’achat, sur leur rapport qualité-prix : ce sont les « biens de recherche » (par exem- ple, l’électroménager). Ceux pour lesquels cette recherche paraît difficile, ou trop coû- teuse en temps, et qu’il est plus commode d’acheter pour les tester : ce sont les « biens d’expérience » (produits d’entre- tien, produits alimentaires courants, etc.). Enfin, les « biens signifiants » sont ceux qu’on achète pour leur sens ou leur valeur symbolique (biens culturels, mode…). Chacune de ces trois catégories – aux fron- tières mouvantes – a son propre modèle de distribution et de promotion : dans l’uni- vers des « biens de recherche », l’impor- tant étant la proximité et la confiance, ce sont les enseignes que l’on met en avant (Darty, la FNAC, Ikéa…) ; dans celui des « biens d’expérience », où la fidélisation du consommateur est un enjeu prioritaire, on insiste sur les marques de produit ; enfin, la promotion des « biens signifiants » s’ap- puie souvent sur le label des entreprises, qu’il s’agisse d’édition, de parfums ou de mode. Cette exploration de l’« économie des mots », même si elle est rendue diffi- cile par des formulations inutilement abs- traites, reste passionnante et, à coup sûr, novatrice. GÉRARD MOATTI La valeur des réseaux et des symboles Un livre qui demande un effort au lecteur, mais qui ouvre des perspectives passionnantes allant bien au-delà des questions posées aux économistes par le développement du numérique. LIVRES

L'économie immatérielle Olivier Bomsel

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Economiser l'immatérielle Olivier Bomsel traite de biens d'expérience, d'économie des réseaux

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Page 1: L'économie immatérielle Olivier Bomsel

Tous droits réservés ­ Les Echos 2010

18/2/2010P.15IDÉES

L’ÉCONOMIE IMMATÉRIELLEIndustries et marchés d’expériencespar Olivier BomselGallimard, coll. NRF Essais, 290 pages,18,90 euros.

Nous sommes plongés dans l’économie im-matérielle, mais nous avons du mal à lacomprendre et à la réguler, parce que noussommes imprégnés des modes de penséede l’économie matérielle : tel est le point dedépart de cet ouvrage très riche, mais d’unelecture ardue. La mutation qu’il décrit n’apas commencé avec l’avènement du numé-rique : toutes les innovations qui ont créédes réseaux entre les hommes – la langue,l’écriture, la monnaie, le droit – ont produitdes avantages collectifs (des « externalitéspositives »). Par exemple, la lettre de changes’est propagée en Europe au XIV siècle parcequ’elle rendait moins coûteuse la « logisti-que des paiements ». Le droit de propriétélui-même n’est pas une donnée « natu-relle », mais une construction intellectuellequi s‘est modulée et raffinée pour accompa-gner les mutations économiques.

L’immatériel envahit la consommationL’économie des mots s’est donc progressive-ment insérée dans celle des choses. RonaldCoase, en 1937, mettait en évidence lescoûts de transaction – de discussion, decomparaison des offres – liés au fonctionne-ment marché : si les entreprises existent,

c’est parce qu’ilserait trop coû-teux, pour unem u l t i t u d ed’agents isolés,de négocier saparticipation àchaque tâcheparticulière. Ladivision du tra-vail, dont AdamSmith a illustrél’efficacité, impli-que des fonc-

tions de coordination dont l’importance n’acessé de croître. L’histoire de l’économiepourrait se lire comme celle des « mises enréseaux », sous des formes variées : à l’épo-que moderne, c’est par exemple l’essor destélécommunications, ou encore le dévelop-pement des normes et des standards, quipermettent de rationaliser la production etfacilitent la concurrence. Enfin, le numéri-que, qui dématérialise l’écriture elle-même,élargit le réseau aux dimensions de la pla-nète et bouleverse les modes d’accès à di-vers types de biens, nous fait entrer dansune nouvelle économie, d’autant plus diffi-cile à déchiffrer qu’elle se modifie sans cesse.

L’immatériel envahit aussi la consom-mation : elle est de plus en plus chargée desymboles, mais aussi de plus en plus per-sonnalisée, ce qui explique la hausse desdépenses « informationnelles » (marke-

ting, production sélective, publicité…).L’auteur, professeur d’économie indus-trielle à Mines Paris Tech, distingue troistypes de biens. Ceux pour lesquels le con-sommateur cherche à se renseigner, avantl’achat, sur leur rapport qualité-prix : cesont les « biens de recherche » (par exem-ple, l’électroménager). Ceux pour lesquelscette recherche paraît difficile, ou trop coû-teuse en temps, et qu’il est plus commoded’acheter pour les tester : ce sont les« biens d’expérience » (produits d’entre-tien, produits alimentaires courants, etc.).Enfin, les « biens signifiants » sont ceuxqu’on achète pour leur sens ou leur valeursymbolique (biens culturels, mode…).Chacune de ces trois catégories – aux fron-tières mouvantes – a son propre modèle dedistribution et de promotion : dans l’uni-vers des « biens de recherche », l’impor-tant étant la proximité et la confiance, cesont les enseignes que l’on met en avant(Darty, la FNAC, Ikéa…) ; dans celui des« biens d’expérience », où la fidélisation duconsommateur est un enjeu prioritaire, oninsiste sur les marques de produit ; enfin,la promotion des « biens signifiants » s’ap-puie souvent sur le label des entreprises,qu’il s’agisse d’édition, de parfums ou demode. Cette exploration de l’« économiedes mots », même si elle est rendue diffi-cile par des formulations inutilement abs-traites, reste passionnante et, à coup sûr,novatrice. GÉRARDMOATTI

La valeur des réseaux et des symbolesUn livre qui demande un effort au lecteur, mais qui ouvre des perspectives passionnantesallant bien au-delà des questions posées aux économistes par le développement du numérique.

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