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Des approches de recherche

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Des approches de recherche

avec la participation de : C BARRÉ-DE MINIAC, F. CROS et J. RUIZ ;

G. CHAUVEAU et E. ROGOVAS-CHAUVEAU ; B. CHEVALIER et M. COLIN ; A. CHERVEL ; J. GADEAU ;

M. HARDY et F. PLATONE ; A. LAZAR ; P. MULLER ; G. PASTIAUX-THIRIAT ; M. RÉMOND ;

H. ROMIAN ; B. VECK ; A. VÉRIN "

Institut National de Recherche Pédagogique

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Réalisation graphique, Composition P.A.O. : Nicole Pellieux Lagny-sur-Mame - Fax : 60.07.71.75

© INRP, 1993 ISBN: 2-7342-0354-6

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SOMMAIRE

Avant-propos 5

Les textes officiels régissant l'enseignement du français dans l'enseignement primaire au XIXe siècle 7

André CHERVEL [L'enseignement du français à l'école primaire. Textes officiels concernant Y enseignement primaire de la Révolution à nos jours. Tome I (1791-1879)]

Maîtrise de la langue et cohérence pédagogique : Apprentissages de la lecture/écriture au cycle 2 43

Hélène ROMIAN [Repères. Recherches en didactique du français langue maternelle « Problématique des cycles et recherche »]

Interactions en groupes et construction des savoirs : le cas de la langue écrite en grande section de maternelle 67

Marianne HARDY Françoise PLATONE

[Repères. Recherches en didactique du français langue maternelle « Problématique des cycles et recherche »]

Les processus interactifs dans le savoir-lire de base 81 Gérard CHAUVEAU

Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU [Revue Française de Pédagogie, n° 90]

Évaluer à l'école primaire 97 Josette GADEAU

[Maîtrise de la langue et cycles à l'école primaire]

L'exploration des stratégies de lecture 115 Martine RÉMOND

[Evaluer leur savoir lire]

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LECTURE I ÉCRITURE

Comment aider l'élève dans la recherche d'informations ? Textes issus de pratiques de formation 147

Brigitte CHEVALIER Michelle COLIN

[Exploiter l'information au CDI : une activité transdisciplinaire]

Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège 175

Anne VÉRIN [ASTER, recherches en didactique des sciences expérimentales, n° 14]

L'univers scolaire de l'écriture au collège 197 Christine BARRÉ-De MINIAC

Françoise CROS Jacqueline RUIZ

[Les collégiens et l'écriture. Des attentes familiales aux exigences scolaires]

Tentatives d'approches des écrits professionnels 207 Anne LAZAR

[Démarches pour des modules de seconde et terminale professionnelles. Langages, français, disciplines technologiques]

Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat 223 Bernard VECK

[Enseignement du français dans le second cycle. Texte,, thème, problématique. Morceaux choisis, composition française, listes d'oral]

Lire et relire avec l'ordinateur 253 Pierre MULLER

Recherches en didactique des textes et documents 269 Georgette PASTIAUX-THIRIAT

[Recherches en didactique des textes et documents. Belgique - France -Québec - Suisse, 1970-1984]

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AVANT-PROPOS

Lecture I écriture constitue un des thèmes privilégiés dans les recherches de l'Institut National de Recherche Pédagogique. Les rencontres organisées à la fin de janvier 1993 sont l'occasion de rassembler et de confronter les travaux conduits dans le domaine. Pour compléter les présentations directes lors de la manifestation - posters, interventions dans les colloques -, il a paru intéressant, au niveau de l'INRP, de prolonger par un livre.

Le parti choisi a consisté à reprendre des publications, sous forme d'extraits significatifs, de la longueur d'un article de revue ou d'un chapitre d'ouvrage.

L'ouvrage fournit des apports de recherche, en essayant de rendre compte • de la diversité des champs qui ont fait l'objet de travaux à l'INRP : français, mais aussi sciences expérimentales, histoire d'une discipline scolaire, utilisation des technologies nouvelles ; • des approches et des méthodes, de la didactique à la psychologie cognitive ; • des modes de communication, depuis les textes publiés dans des revues à caractère scientifique jusqu'aux ouvrages conçus pour les formateurs et les enseignants.

Ainsi conçu, le livre ne saurait prétendre à l'exhaustivité.

Comme un ouvrage - Apprendre à lire et à écrire. Dix ans de recherches sur la lecture et la production de textes dans la Revue Française de Pédagogie - avait été réalisé en 1989 sur le principe d'une sélection de textes, le caractère récent des contributions a été privilégié dans la nouvelle publication : la quasi totalité d'entre elles est postérieure à 1990, plus de la moitié a été publiée en 1992.

Après une première contribution à caractère historique portant sur l'enseignement du français au XIXe siècle, l'organisation de l'ouvrage suit le cursus scolaire, de la grande section de maternelle à l'école primaire

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LECTURE I ÉCRITURE

- quatre textes -, du collège - quatre contributions - au lycée professionnel et au lycée d'enseignement général - deux apports. Une présentation des recherches en didactique des textes et documents, exploitant les ressources d'une base de données, clôt le livre.

Au fil de l'ouvrage, le lecteur peut opérer mises en relation, comparai­sons, confrontations.

Cet éventail de travaux menés à l'INRP vise à favoriser les contacts entre les spécialistes de la lecture / écriture et les chercheurs de l'institut ; il se veut aussi utile aux formateurs comme aux praticiens ; il invite à d'autres lectures.

Par les contributions rassemblées Lecture I écriture. Des approches de recherche; fournit des éléments pour « l'apprentissage continu de la lecture et de l'écriture de la maternelle à l'université ».

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LES TEXTES OFFICIELS REGISSANT L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE AU XIXe SIÈCLE

Extrait de L'enseignement du français à l'école primaire.

Textes officiels concernant l'enseignement primaire de la Révolution à nos jours.

Tome 1(1791-1879) INRP/Economica -1992

Présentation

Cette contribution à l'histoire d'une discipline scolaire constitue l'intro­duction d'un recueil de textes allant de la Révolution française à la période qui précède immédiatement les lois scolaires de Jules Ferry. Les textes offi­ciels - arrêtés et circulaires, mais aussi rapports d'inspection, comptes ren­dus de stage pédagogique, procès-ver baux de commissions, projets de loi.., - sont une source indispensable pour connaître les systèmes d'ensei­gnement, fournissant le point de vue des décideurs et l'orientation mise en œuvre, ainsi qu'un éclairage de premier ordre sur les pratiques pédago­giques.

Une bibliographie recensant les travaux du Service d'Histoire de l'Édu­cation de l'INRP complète cette présentation.

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LECTURE I ÉCRITURE

L'histoire de la législation et de la réglementation scolaires a longtemps été considérée comme la voie royale pour la connaissance des systèmes édu­catifs du passé. Face à l'histoire des théories pédagogiques relevant de l'his­toire des idées ou de celle de la philosophie, elle semblait donner largement l'accès aux disciplines scolaires des siècles passés. La consultation de la Ratio jésuite ou du Bulletin universitaire était censée fournir sur l'enseigne­ment réel des jésuites ou de la Monarchie de Juillet toutes les informations souhaitables. Les quelques renseignements supplémentaires qu'on pouvait glaner çà et là sur les pratiques des maîtres et sur le travail des élèves n'intervenaient qu'à titre d'illustrations dont il n'était d'ailleurs pas indis­pensable de faire état. Et s'ils avaient le malheur de ne pas confirmer la lettre du texte officiel, c'était celui-ci qui primait, et ceux-là qui faisaient figure d'exceptions, ou d'aberrations.

n serait sans doute hasardeux d'affirmer que cette conception de l'his­toire des contenus de l'enseignement est aujourd'hui totalement abandon­née. Aussi bien ne cédera-t-elle la place à une histoire des disciplines sco­laires objectivement fondée que lorsque celle-ci aura été pleinement constituée. Nous n'en sommes pas là. Et quels que soient les progrès actuels dans cette direction, le recours aux textes officiels et aux réglementations de toute espèce restera encore longtemps, malgré les risques inhérents, une référence indispensable pour l'historien soucieux de connaître les réalités pédagogiques du passé.

n est donc nécessaire de rappeler, en introduction à un recueil de textes officiels, que ceux-ci ne sauraient, en principe, porter témoignage au-delà de leur stricte compétence. Ces documents n'attestent pas autre chose que la volonté des pouvoirs publics, ou des supérieurs d'une congrégation. Conclure du règlement à la réalité en présumant celle-ci conforme à celui-là, c'est prendre les proclamations pour les faits, et s'exposer à voir ceux-ci se venger tôt ou tard.

En revanche, la richesse considérable et la commodité d'accès de cette documentation en fait une source incomparable pour la connaissance des systèmes d'enseignement. Elle nous livre essentiellement deux choses. D'abord le point de vue des décideurs, l'orientation pédagogique qu'ils sou­haitent voir mise en œuvre, la politique éducative qu'ils engagent ou qu'ils poursuivent. Et en deuxième lieu, à condition de ne pas se laisser entraîner à des extrapolations abusives, un éclairage de premier ordre sur les pratiques concrètes de leur temps.

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Les textes officiels régissant l'enseignement du français au XIXe siècle

LE POUVOIR SUR L'ÉCOLE

C'est avec la Révolution française, on le sait, que l'État prétend mettre la main sur l'ensemble du système éducatif. L'Empire, puis la Restauration, s'inscrivent dans la même tradition, qui, pour être récente, n'en est pas moins devenue une constante de l'État français moderne, quel que soit le principe politique dont il s'inspire. Certes, l'Église catholique est parvenue à préserver jusqu'à nos jours un système d'enseignement relativement indé­pendant, et la lutte qu'elle mène sur ce plan depuis la Révolution a marqué à maintes reprises la vie politique française. De fait, ni au XIXe siècle, ni en cette fin du XXe siècle, l'État n'aura le contrôle formel de la totalité du sys­tème éducatif.

Et pourtant une évolution considérable a lieu, sur ce plan, au cours de l'époque moderne. Elle va dans le sens d'un renforcement du pouvoir de l'Etat Aussi longtemps que l'unique fonction de l'école était de former et d'instruire la jeunesse, il était inévitable que l'existence de deux ou de plu­sieurs réseaux éducatifs concurrents se traduisît par des conflits portant sur les grandes finalités de l'éducation, qu'elle soit publique ou privée. Tout change, au cours du XIXe siècle, avec les responsabilités nouvelles que la société confie à l'école : non seulement instruire, voire éduquer, mais sélec­tionner, examiner, certifier, décerner des diplômes, des grades, des titres.

Rien n'illustre mieux ce phénomène que la montée en puissance du bac­calauréat au cours du XIXe siècle. Supplantant le vieux Concours général, où les palmes remportées restent purement honorifiques, c'est lui qui va ouvrir seul, désormais, la voie aux emplois ou aux études supérieures. Et il en ira de même pour la licence, le brevet ou le certificat d'études, chacun dans son domaine. Or, les examens et les concours sont et resteront dans le domaine public. Jamais l'État ne se dessaisira de cette prérogative : plutôt que de laisser les examens lui échapper, il préférera accueillir largement prêtres et congréganistes dans son système scolaire. Le monopole pourra être aboli, l'enseignement privé, catholique ou non, pourra recevoir en 1850 le qualificatif valorisant d'enseignement « libre », des facultés catholiques pourront s'élever à partir de 1875 : jamais l'Église, ou l'enseignement privé en général, ne décernera aucun titre d'utilisation publique (1). Il lui faudra envoyer, au terme de leurs études, ses élèves ou ses étudiants dans les locaux de l'État pour que des fonctionnaires de l'État leur accordent, ou leur refusent, les diplômes auxquels on les a préparés.

1. La loi sur la liberté de l'enseignement supérieur du 12 juillet 1875 prévoyait cependant la constitution de « jurys spéciaux » associant les professeurs des facultés de l'Etat et les pro­fesseurs des universités libres, pour la collation des grades aux étudiants de ces universités. La loi du 18 mars 1880 supprime cette clause, et stipule que « les examens et épreuves pra­tiques qui déterminent la collation des grades ne peuvent être subis que devant les facultés de l'Etat. ».

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Par le biais des examens, ceux du primaire comme ceux du secondaire ou du supérieur, l'État s'est donc arrogé le droit d'orienter à sa guise les conte­nus de l'enseignement privé. Quel que soit, au XIXe siècle, le poids de l'enseignement congréganiste libre (1), il perd peu à peu une partie de ce qui faisait pour sa clientèle son originalité propre, et se voit contraint de s'ali­gner sur les enseignements, sur les programmes et sur les méthodes de l'enseignement public. Qu'il le fasse en renâclant, peu importe. Programme du bac oblige : il lui faudra, par exemple, publier, commenter à l'usage de ses élèves, et faire étudier, voire apprendre par cœur, le Tartuffe, les Provinciales, et bien d'autres œuvres longtemps vouées aux gémonies. C'est assez dire que les textes officiels émanant du ministère de l'Instruction publique, même s'ils n'ont pas eu de répercussion immédiate sur les com­portements, les méthodes ou les pratiques des établissements privés, n'ont pas manqué, à la longue, d'en infléchir le cours, et de ramener à la règle commune un enseignement « libre » dont la liberté essentielle aura en grande partie consisté à retarder des évolutions inéluctables.

Mais l'étroite collaboration qui unit, à certaines époques, l'État et l'Église pour ce qui concerne l'instruction publique nous pose ici un pro­blème particulier. On sait que la Révolution et l'Empire se sont beaucoup plus souciés de l'enseignement secondaire et supérieur que de l'instruction primaire. L'histoire de l'organisation par l'État d'un enseignement primaire public ne remonte pas au-delà de la Restauration. Ambroise Rendu, qui diri­gera l'enseignement primaire de 1820 à 1850, fait remarquer (2) qu'aucun texte officiel n'était sorti sur l'instruction primaire entre 1808 et 1816 : et l'on constatera en effet le quasi-silence de notre documentation pour cette période. Est-ce à dire que Napoléon se désintéressait totalement de l'école élémentaire ? Nullement, bien sûr. Mais il s'en remettait sur ce point aux Frères des écoles chrétiennes, qui sont, à l'exclusion de toute autre congré­gation, nommément cités dans le décret de fondation de l'Université du 17 mars 1808.

n nous faudrait donc, en bonne logique, rajouter à nos textes officiels proprement dits les consignes pédagogiques que les Frères trouvent dans les règlements de leur congrégation, et en particulier dans la Conduite des écoles chrétiennes de Jean-Baptiste de la Salle, dont les rééditions ne sont pas rares sous l'Empire, et pour cause. Et de fait, l'ouvrage abonde en indi­cations précises sur la lecture, sur la lecture du latin, sur l'écriture, sur l'enseignement de l'orthographe. Il ne fait guère de doute que la Conduite

1. On sait qu'il y a aussi jusqu'en 1882, et même plus tard, un enseignement congréga­niste public.

2. Essai sur Vinstruction publique et particulièrement sur l'instruction primaire, Paris, t. H, 1819, p. 381.

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Les textes officiels régissant l'enseignement du français au XIXe siècle

n'ait joué alors, et jusque vers la fin de la Restauration, le rôle de rnanuel pédagogique officieux, au même titre que le Traité des études de Rollin pour les études classiques. Qu'il suffise ici d'y renvoyer.

Deux pouvoirs régissent traditionnellement l'instruction publique : le législatif et l'exécutif. Si on laisse de côté les années révolutionnaires, notre période est ponctuée par quelques grands textes de nature législative, qui déterminent pour des durées plus ou moins longues toute la réglementation de l'instruction primaire. À ces lois scolaires ou universitaires (1808, 1833, 1850, 1867), il convient d'ajouter ici d'une part la loi sur le travail des enfants (19 mai 1874) (1), et d'autre part les lois militaires sur le recrute­ment qui, à deux reprises au cours de notre période (10 mars 1818, 27 juillet 1872), jouent un rôle non négligeable sur l'évolution de l'école et de l'ensei­gnement primaire du français.

L'autorité gouvernementale qui a en charge l'instruction primaire, c'est d'abord le ministère de l'Intérieur, et ce, dès le Directoire, avec, en particu­lier, François de Neufchâteau. Le pouvoir des préfets sur le maître d'école, encore renforcé par la loi Falloux, reste considérable jusqu'à la fin du XIXe siècle. Après la création de l'Université impériale en 1808, après l'interlude de la « Commission de l'instruction publique » présidée par Royer-Collard, l'instruction primaire est placée en 1824 sous la coupe du Ministère des Affaires ecclésiastiques et de l'Instruction publique. L'institu­teur est, à cette époque, soumis à trois autorités officielles, le recteur, le pré­fet et l'évêque. Car l'évêque, grâce à son réseau de desservants, détient un pouvoir considérable sur les maîtres. La loi de 1850 va même reconnaître au curé du village ou de la paroisse un droit de contrôle exorbitant.

Entre ces différentes autorités, la répartition des tâches mettra de longues années à s'établir. L'arrêté du 31 octobre 1854 fixera clairement le partage des responsabilités entre le ministère de l'Intérieur et celui de l'Instruction publique. Aux préfets le contrôle administratif, aux recteurs le contrôle pédagogique. Mais les conflits qui opposent le recteur et l'évêque ne trouve­ront pas de solution dans le cadre de la loi Falloux. En particulier, les ins­pecteurs d'académie auront beau déplorer l'usage de la langue locale dans les classes pour l'enseignement du catéchisme, et en imputer, à juste titre, la responsabilité au curé, ils ne pourront venir à bout de cette résistance et imposer l'usage généralisé de la langue française avant les lois laïques de Jules Ferry. Au total, il ne fait guère de doute que l'enseignement de la langue française dans l'école primaire du XIXe siècle ne subisse les contre­coups de cette dépendance multiple.

1. La loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants dans les manufactures, usines et ateliers, interdit le travail des enfants au-dessous de 8 ans, limite à huit heures par jour la durée du travail des enfants entre 8 et 12 ans, et exige que tout enfant admis dans ces établis­sements reçoive également l'enseignement dans une école.

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Mais au niveau national, même après 1824, le pouvoir administratif sur l'école n'est pas tout entier confié au ministre, n est une autre instance qui joue un rôle considérable dans la définition de la politique scolaire offi­cielle : c'est le Conseil supérieur de l'Instruction publique, qualifié de « royal » ou d'« impérial » (1), selon les époques, dont la compétence s'exerce essentiellement en matière de pédagogie, de programmes et de choix des manuels. Ses décisions doivent évidemment être approuvées par le ministre (2).

Le ministère de l'Instruction publique n'a pas eu le monopole de l'ins­truction primaire publique ; et il n'en a sans doute même pas eu la primeur. Plusieurs autres départements ministériels ont eu à connaître, au cours du XIXe siècle, et encore au XXe, de problèmes d'instruction élémentaire. À la fin du XIXe siècle, le ministère de l'Agriculture a ses « colonies et orpheli­nats agricoles ». Au ministère du Commerce, le Service de l'enseignement gère, outre des écoles plus importantes, des « écoles d'apprentissage ». Du ministère de l'Intérieur dépendent plusieurs services d'instruction primaire, depuis les écoles de jeunes aveugles (3), de la direction de l'administration départementale, jusqu'aux établissements d'éducation correctionnelle (4) en passant par les services d'enseignement de l'administration pénitentiaire. La marine a son école de mousses à Brest, et même son cours normal des insti­tuteurs élémentaires de la flotte (5). L'armée, qui voit également arriver dans ses rangs des conscrits analphabètes, s'attache à leur apprendre le rudiment, et l'on a pu estimer (6) à deux millions le nombre des jeunes gens qui y auraient appris la lecture et l'écriture en un demi-siècle. Le règlement du 30 juillet 1886 fixe le programme d'enseignement primaire dans les écoles d'enfants de troupe. L'enseignement primaire en Algérie dépend également du ministère de la Guerre. Quant au ministère des Colonies, il est chargé d'appliquer le décret du 26 septembre 1890 qui étend à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion les grandes lois scolaires de 1881, de 1882 et de 1887. On n'a procédé, pour ce recueil, à aucune investigation extérieure au

1. On retiendra les abréviations CRIP et CSIP pour cette institution dans l'indication des sources des textes officiels.

2. Lorsqu'on signale dans ce catalogue qu'un texte émane du Conseil de l'Instruction publique, on négligera donc de faire état de l'approbation ministérielle.

3. Pour les sourds-muets, c'est une circulaire du ministre de l'Intérieur aux préfets du 3 septembre 1884 qui fixe les modalités de leur instruction primaire.

4. C'est le règlement général du 10 avril 1869, « pour les colonies et maisons péniten­tiaires affectées à l'éducation correctionnelle des jeunes détenus » qui fixe les conditions de l'enseignement dans ces établissements (chapitre XII, Instruction primaire).

5. Voir règlements du 5 mars 1868, du 25 mai 1870, du 21 février 1873, et l'arrêté du 31 janvier 1874 fixant un programme des études détaillé. Le principe de la tenue d'une école à bord des bâtiments de la marine militaire, pour l'enseignement de la lecture, de l'écriture et du calcul, date du 16 pluviôse an IL

6. François Furet et Jacques Ozouf, Lire et écrire, Valphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Minuit, 1977, L 1, p. 297.

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Les textes officiels régissant l'enseignement du français au XIXe siècle

ministère de l'Instruction publique, lequel, au demeurant, est parfois associé, pour certaines décisions, à tel ou tel autre ministère. Sont cependant présen­tés ici les textes officiels du ministère de la Guerre concernant l'enseigne­ment français en Algérie, textes qui ont été publiés dans le Bulletin adminis­tratif du ministère de l'Instruction publique.

Le pouvoir qui s'exerce sur les professeurs et surtout sur les instituteurs n'est pas seulement le pouvoir central. À l'échelon académique, tous les enseignants dépendent du recteur. En l'absence de toute consigne nationale, tel recteur de l'Empire s'estime fondé à donner à ses instituteurs des indica­tions précises pour l'apprentissage de la lecture. Mais, avec les développe­ments de l'instruction primaire, le recteur délègue à l'inspecteur d'académie puis aux inspecteurs primaires, institués en 1835, une part croissante de res­ponsabilité. La loi de 1850 crée, avec les conseils départementaux de l'ins­truction primaire, une instance supplémentaire de contrôle et de proposition. Mais à l'échelon local, l'école primaire du XIXe siècle fait encore l'objet de la sollicitude des notables. Si les parents d'élèves n'interviennent pas, à l'époque, en groupes organisés, le maire, le curé, le juge de paix, les per­sonnes instruites s'intéressent de près à l'instruction primaire. Ce sont eux que l'on retrouve dans les comités locaux, ou dans les comités d'arrondisse­ment, à Paris dans le « comité central » ; ce sont eux qui deviennent ces délégués cantonaux auxquels la loi reconnaît un droit de contrôle étroit sur l'école publique. Autant de pouvoirs qui s'exercent sur le maître, non seule­ment dans le cadre de la réglementation nationale, mais également dans tous les domaines qui connaissent un vide juridique, et où l'initiative locale exer­cée par les fonctionnaires d'autorité ou par les notables est à même de peser sur les pratiques pédagogiques, voire, dans certains cas, de prendre de vitesse, et même de préparer, les grandes décisions nationales.

Autre particularité du XIXe siècle, les sociétés d'encouragement à l'ins­truction primaire. D'inspiration philanthropique, religieuse, ou républicaine et laïque, elles jouent un rôle important dans la création des écoles, et dans l'orientation de leur enseignement et de leurs méthodes. La plus célèbre est la Ligue de l'enseignement, fondée par Jean Macé. La Société pour l'ensei­gnement élémentaire, créée dès la Restauration par de Gérando, Lasteyrie et Laborde, contribue, par exemple, à répandre le mode mutuel d'enseigne­ment. À Lyon, la Société d'instruction primaire créée en 1828 fonde des écoles gratuites fréquentées par des milliers d'élèves ; elle inquiète, en 1855, l'abbé Noirot, recteur de l'académie, car elle se comporte comme un « petit gouvernement qui est un obstacle à l'action rectorale ». Mais, après sep­tembre 1870, ce sont des associations beaucoup plus laïques qui l'empor­tent, s'appuyant sur une municipalité républicaine, et les maîtres s'abstien­nent de donner l'instruction religieuse prévue par la loi Falloux : ils seront sanctionnés, et plusieurs d'entre eux révoqués. C'est dire que l'école fran­çaise du XIXe siècle est soumise à des pressions multiples, et que l'autorité

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LECTURE I ÉCRITURE

de l'État n'y règne pas sans partage. Ainsi, il est de notoriété publique, à l'époque, que les écoles communales tenues par des religieuses, c'est-à-dire la majorité des écoles de filles, sont beaucoup plus soumises aux vœux de l'évêque qu'aux ordres de l'inspecteur d'académie, lequel ne peut que constater cet état de fait.

À ne pas négliger non plus le pouvoir des municipalités. Il s'exerce, bien sûr, sur toutes les écoles primaires, qui lui doivent leur qualificatif usuel d'« école communale ». Mais c'est dans les grandes villes qu'elles jouent, et qu'elles peuvent jouer, le rôle le plus important. La réserve délibérée dans laquelle se tient l'État, jusqu'en 1880, à propos de l'enseignement secon­daire des filles crée un vide que les institutions religieuses ou privées ne suf­fisent pas à combler. La municipalité de Paris, en particulier, met en place dès la Restauration un enseignement pour les jeunes filles candidates aux titres de maîtresse de pension et d'institution. Prescrits par une circulaire du ministre de l'Intérieur aux préfets datant du 19 juin 1820 (1), ces examens passent ensuite sous le contrôle du ministre de l'Instruction publique (2). Les « cours de l'Hôtel de Ville » bénéficieront d'un enseignement moderne et efficace et obtiendront un vif succès.

LES TEXTES OFFICIELS

La notion de « texte officiel » recouvre généralement les textes, impri­més ou non, qui, émanant des Instances supérieures de la hiérarchie, ont un caractère prescriptif. On lui donnera ici un sens plus large. L'objectif de cet ouvrage est de présenter, à travers la documentation écrite aujourd'hui dis­ponible, la politique pédagogique officielle d'enseignement de la langue nationale pour l'instruction primaire. Or cette politique ne se manifeste pas seulement à travers les arrêtés ou les circulaires. Les rapports d'inspection ou d'examen, les comptes rendus de stage pédagogique ou d'exposition sco­laire, les procès-verbaux des commissions préparant les nouvelles réglemen­tations, les projets de loi et les différentes étapes qu'ils traversent dans les travaux des commissions, apportent un éclairage de tout premier ordre sur les volontés politico-éducatives des sphères dirigeantes ou des hauts fonc­tionnaires de l'instruction publique. Et, à la différence des textes purement prescriptifs, ces mêmes documents fournissent également une information directe sur les réalités pédagogiques de l'époque. On a donc retenu tous les types de textes dans lesquels cette volonté pouvait se manifester.

1. Cf. l'arrêté du préfet de la Seine du 1er décembre 1821. 2. Arrêté du 7 mars 1837.

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Les textes officiels régissant l'enseignement du français au XIXe siècle

Les consignes officielles apparaissent d'abord dans les textes réglemen­taires qui sont normalement communiqués aux échelons inférieurs de la hié­rarchie en suivant la voie « hiérarchique ». Mais nombre d'arrêtés et de cir­culaires n'ont d'autres destinataires que les recteurs d'académie, à charge pour ces fonctionnaires d'interpréter le texte, et de prendre des décisions en conséquence. Dans certains cas, il leur est même expressément signalé qu'ils doivent conserver le texte officiel par devers eux, et n'en donner sous aucun prétexte communication à leurs subalternes : il s'agit des circulaires « confidentielles » ou « très confidentielles », qui n'ont pas été publiées au bulletin officiel de l'époque, et qu'il faut aujourd'hui retrouver aux Archives nationales. Victor Duruy fait un usage régulier de cette procédure pour pou­voir contourner la loi de 1850, qui reste la charte pédagogique du régime, et agir en sous main contre elle.

Mais le ministre n'est pas tenu au respect de la voie hiérarchique. La pra­tique du contact direct entre le Grand-Maître et les échelons inférieurs de la hiérarchie n'est pas fréquente. Elle ne se justifie en effet que dans les cas exceptionnels où les échelons intermédiaires, tenus au courant par ailleurs, ne sont pas administrativement concernés par l'initiative ministérielle. Elle permet au ministre de s'adresser directement, dans des circonstances parti­culières, aux personnels de la base en faisant appel à leur sentiment patrio­tique et pour mieux faire ressortir le caractère d'intérêt général de la tâche qui leur est demandée. Ainsi, la lettre personnelle que Guizot adresse, quelques jours après le vote de la loi du 28 juin 1833, à tous les instituteurs de France a-t-elle une valeur hautement symbolique. En 1852 encore, Fortoul envoie directement une circulaire aux inspecteurs primaires pour les inciter à faire recueillir la littérature orale populaire qui survit dans les vil­lages de leur circonscription : c'est dire qu'il sollicite plus leur bonne volonté que leur conscience professionnelle.

Il est encore des textes officiels émanant du ministère qui jouent un rôle important dans l'élaboration et le contrôle des disciplines enseignées sans passer par aucune instance hiérarchique, et qui sont voués à rester totale­ment inconnus non seulement du public, mais même des autorités acadé­miques. Il s'agit des consignes que le ministre adresse à ses inspecteurs généraux avant leur départ en mission. Ces textes, qu'ils soient manuscrits ou imprimés, n'ont jamais été publiés. Les Archives nationales en conser­vent un certain nombre, mais dispersés dans les cartons les plus divers (1).

La définition d'une politique pédagogique par le ministère s'opère en général par le biais des institutions. La majeure partie des textes ici publiés instaurent ou modifient des institutions scolaires, des programmes ou des

1. La recherche, en vue de leur publication, des ordres de mission donnés par le ministre de l'Instruction publique à ses inspecteurs généraux est en cours, sous la direction de Guy Capiat.

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examens. Par exemple, la loi du 28 juin 1833 crée les « écoles primaires élé­mentaires», et met à leur programme les « éléments de la langue française ». Qu'on n'attende pas du même texte qu'il nous dise également comment les instituteurs doivent enseigner ces « éléments », ni même ce que signifie cette expression, aujourd'hui désuète. C'est, en principe, le rôle des arrêtés ministériels, et surtout des circulaires d'application que d'entrer dans ces spécifications. On n'en trouvera pas pour la loi Guizot. Il faudra en effet attendre 1857 pour voir paraître la première circulaire ministérielle propre­ment « pédagogique ».

Est-ce à dire que le ministère se désintéresse des méthodes d'enseigne­ment, et qu'il ne pèse sur les grandes orientations de l'instruction publique qu'à travers les institutions et les programmes ? L'étude de l'école primaire du XIXe siècle, et en particulier de la première moitié du siècle, montre qu'il n'en est rien. Les modalités de l'enseignement du français sont, en effet, à cette époque, étroitement dépendantes de la situation matérielle concrète des écoles, du « mode d'enseignement », de l'insuffisante formation des maîtres, ou encore de l'absentéisme saisonnier des élèves. C'est en s'attachant à résoudre ces problèmes que l'administration cherche à créer les conditions d'une amélioration des pratiques disciplinaires. À quoi bon donner des conseils sur l'enseignement de l'orthographe à des maîtres qui ne la connais­sent pas, comme c'est encore largement le cas pour l'école primaire rurale de 1830 ? Est-il raisonnable de tenter d'améliorer les méthodes d'enseigne­ment de la lecture dans des classes où les élèves ne disposent pas des mêmes livres, et où règne le mode « individuel » d'enseignement ?

Il est une autre caractéristique de l'école française du temps qui interdit l'élaboration et la diffusion de consignes pédagogiques trop précises à l'échelle nationale : c'est la grande diversité qui règne entre les établisse­ments d'instruction primaire d'un bout à l'autre du territoire. On sait qu'il y a la France bien scolarisée au nord de la ligne Saint-Malo Genève, et la France retardataire du sud. Il y a l'école rurale encore toute empreinte des usages du XVIIIe siècle, il y a la petite école de hameau et il y a l'école urbaine, l'école parisienne surtout, qui, déjà, met en place des méthodes modernes. Il y a l'école à un seul maître, largement majoritaire dans le pays ; mais il y a aussi la grosse école où trois, quatre ou cinq maîtres ont pu se répartir la masse des élèves en fonction de leur niveau. Il y a l'école mutuelle et l'école simultanée, l'école catholique et l'école protestante (1), l'école de fabrique et la pension primaire. La France dispose d'un réseau scolaire, elle n'a pas encore un « système scolaire » ; et l'on en a bien conscience, en haut lieu.

L'arriération de l'école rurale de la première moitié du siècle oppose donc à toute tentative de renouvellement des inerties séculaires qu'il

1. Toutes les écoles, publiques ou privées, sont affiliées à une religion.

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Les textes officiels régissant l'enseignement du français au XIXe siècle

convient d'abord de bousculer. Au centre des débats pédagogiques, le pro­blème du mode d'enseignement. Le mode « individuel », qui, en 1830, est encore très généralement pratiqué dans les campagnes, a traditionnellement permis d'enseigner la lecture ânonnante, mais il est inopérant pour l'ensei­gnement de l'orthographe et de la grammaire. En introduisant dans le pro­gramme les « éléments de la langue française », la loi Guizot place ici toute une profession devant une contrainte inéluctable : transformer rapidement ses méthodes pour répondre aux nouvelles exigences. Et, dès 1850, il semble que la grande majorité des écoles soient passées, avec plus ou moins de succès, au mode dit « simultané », celui où le maître s'adresse à tous les élèves à la fois, du moins dans les divisions supérieures, car on continuera longtemps à utiliser des « moniteurs » pour encadrer les petits.

La réflexion pédagogique et la modernisation des méthodes d'enseigne­ment sont désormais encouragées par le ministère. En 1831, pour la pre­mière fois, semble-t-il, on s'aperçoit en haut lieu du retard qu'a pris la France en matière de pédagogie et de didactique de la langue maternelle. On fait d'abord appel à des traducteurs pour mettre à la disposition des ensei­gnants la réflexion qui s'est développée depuis bien des années en Allemagne, en Hollande ou en Angleterre. À la fin de la Monarchie de Juillet, l'œuvre du Père Girard, le célèbre pédagogue de Fribourg, apporte une réflexion pédagogique, des principes clairs et une expérience, qui vont désormais inspirer tous les partisans de la rénovation de l'enseignement du français, en particulier dans les sphères officielles.

Simultanément, et sans aller jusqu'à donner des directives concrètes, le ministère met une tribune officieuse à la disposition des spécialistes. C'est d'abord le Manuel général de l'instruction primaire, que Guizot lance en novembre 1832, dès son arrivée au ministère, et qu'il confie à l'inspecteur général Matter. « Je veillerai, écrit le ministre dans sa lettre du 4 juillet 1833, à ce que le Manuel général répande partout, avec les actes officiels qui vous intéressent, la connaissance des méthodes sûres, des tentatives heureuses, les notions pratiques que réclament les écoles. » Outre la partie officielle, la revue publie, dans une « partie non officielle », de nombreux articles tou­chant à la didactique des disciplines. Même chose, sous le Second Empire, avec le Bulletin de V Instruction primaire (1), organe officiel comportant lui aussi une « partie non officielle », animé par des disciples du Père Girard. Il n'a pas paru inutile de présenter ici, sous le titre « méthodes d'ensei­gnement », un choix, très limité au demeurant, de ces articles. Bien qu'ils ne soient pas à proprement parler « officiels », bien qu'ils soient signés de

1. « Auxiliaire utile des vues de l'administration », dit de ce périodique une circulaire ministérielle du 10 janvier 1855. Le Bulletin de V instruction primaire est publié de 1854 à 1857.

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noms de grammairiens ou de lexicographes parfois célèbres, ils n'en expri­ment pas moins incontestablement les vues du ministère, ou plus exactement des inspecteurs généraux qui animent ces publications.

Il faut souligner ici le rôle décisif que, dès la première moitié du XIXe siècle, l'inspection générale joue dans la définition et surtout dans la diffusion d'une doctrine pédagogique officielle pour l'enseignement du fran­çais. Ce n'est pas le lieu de recenser et d'analyser les sources de la réflexion et du renouveau en matière d'enseignement primaire de la langue nationale au XIXe siècle, ni de comparer, par exemple, les rôles et les mérites respec­tifs de l'abbé Gauthier, de Chapsal, de Jacotot, du Père Girard ou de Pierre Larousse. Aussi bien une telle étude n'aurait de valeur que si elle était égale­ment en mesure de faire sa juste place à l'ensemble des initiatives sponta­nées qui apparaissent simultanément à l'intérieur des murs de l'école, et dont font état bien des rapports d'inspection. Il se trouve, et ce n'est pas un hasard, que dans le système scolaire français tel qu'il se constitue au cours du XIXe siècle, les pédagogues fervents, les novateurs convaincus ont fré­quemment passé de leur école à l'inspection primaire ou à l'école normale (1), que les plus efficaces des inspecteurs primaires ont souvent été nommés à Paris ; et que les meilleurs inspecteurs primaires de la ville de Paris ont terminé leur carrière dans l'inspection générale. Une autre filière, qui passe souvent par l'inspection académique, fait aussi converger vers l'inspection générale de l'instruction primaire des professeurs de l'enseignement secon­daire dévoués à la cause de l'instruction populaire, tels Emile Anthoine, Ferdinand Buisson (2), Irénée Carré, Louis Gandon, Octave Gréard ou Joseph Villemereux. À prendre les choses globalement, et pour l'ensemble du XIXe siècle, l'administration de l'instruction primaire n'a nullement joué le rôle d'un frein dans l'évolution pédagogique. Bien au contraire, c'est elle qui, en règle générale, attire les éléments les plus favorables au renouvelle­ment des méthodes et des objectifs, qui les place aux postes de responsabi­lité, qui les pousse à écrire et à publier. Il se constitue, à partir du ministère Guizot, une couche de hauts fonctionnaires qui ont en charge l'instruction primaire, et qui vont définir une politique pédagogique officielle, en particu­lier pour l'enseignement de la langue maternelle. Il est notable que les ins­pecteurs primaires en sont expressément exclus (3) et que le seuil implicite pour l'accès à cette caste commence aux inspecteurs d'académie.

1. Cf., p. ex., Férard, Mémoires d'un vieux maître d'école, Paris, 1894. 2. Agrégé de philosophie, mais qui n'a pas enseigné dans un Lycée. 3. C'est une circulaire du 8 décembre 1838, signée Salvandy, qui met les choses au

point : « Je remarque chez MM. les inspecteurs de l'instruction primaire une disposition à publier des rapports, des livres, des traités, des journaux destinés, soit à rendre compte de la situation du service dans les départements où il exercent leurs fonctions, soit à propager leurs vues sur les améliorations qui peuvent y être introduites. Cette disposition, quelque honorable que soit son mobile, ne peut être approuvée par l'autorité supérieure. Les inspecteurs de l'ins­truction primaire doivent au service important dont ils sont les agents les plus utiles tout leur

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Paraissent donc en librairie, au cours de notre période, un certain nombre d'ouvrages revêtus d'un sceau quasiment officiel, us sont signés soit d'ins­pecteurs généraux, soit de membres du cabinet, soit de hauts fonctionnaires qui expriment les vues du sommet de la hiérarchie, exceptionnellement même du ministre. Ces ouvrages étant accessibles en bibliothèque, il n'a pas été jugé utile d'en proposer ici des extraits. Les titres sont donnés dans une brève bibliographie à la fin du volume.

Autres textes d'une nature voisine : les rapports des présidents de jurys. Leur publication dans un périodique officiel du ministère n'est évidemment pas, quand elle a lieu, un événement fortuit. Il s'agit de diriger la préparation des candidats aux sessions suivantes, en leur signalant les conduites à suivre et les défauts à éviter. On a retenu ici le très riche rapport de Lamotte sur les brevets élémentaire et supérieur dans le département de la Seine (1839).

Entre 1865 et 1880, tous les départements français (1) se dotent d'un bul­letin départemental de l'instruction primaire, publié sous la responsabilité de l'inspecteur d'académie, et adressé gratuitement à tous les instituteurs. On dispose désormais (2) d'abondantes sources imprimées pour l'étude et pour l'analyse de la politique pédagogique menée à l'échelon local. Il n'était évi­demment pas question de reproduire ici les textes « officiels » qui ont régi une partie souvent importante de l'activité pédagogique dans chacun des départements français. On s'est donc contenté, par exemple pour la régle­mentation départementale des concours cantonaux et des certificats d'études, d'un échantillonnage succinct.

Pour les périodes précédant la création du bulletin départemental, il arrive que les Archives nationales aient conservé la quasi-totalité de la docu­mentation départementale. C'est le cas pour les règlements départementaux des écoles élaborés en 1852 et 1853 par les inspecteurs d'académie (3) et les conseils départementaux. Il a donc été possible de les consulter, et l'on pré­sente ici une synthèse de ces différents règlements.

Outre la voie de l'imprimé, la hiérarchie scolaire a très tôt tenté d'amé­liorer la pratique pédagogique des maîtres en les regroupant dans des stages

temps. Eux-mêmes se plaignent en général, avec raison, de ne pouvoir suffire à leur tâche. C'est dans les rapports hebdomadaires ou spéciaux qu'ils adressent à l'autorité que doivent être fidèlement déposées et leurs observations de détails et leurs vues de progrès. ».

1. Quelques départements de l'Est et du Nord avaient montré l'exemple dès les années 50.

2. Dans la limite de la conservation des collections. Voir sur ce point La Presse d'éduca­tion et d'enseignement, XVIIIe siècle -1940, répertoire analytique, établi sous la direction de Pierre Caspard (Paris, INRP, éd. du CNRS, t. I, 1981). En 1870, 48 départements possèdent un bulletin départemental. En 1889, tous les départements en ont un, à l'exception de celui d'Oran (Cf. A. Beurier, « La presse pédagogique et les bulletins départementaux », Recueil de monographies pédagogiques, Paris, 1889, t. 3, pp. 187-232).

3. Nommés « recteurs » de 1850 à 1854.

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de durée plus ou moins longue, les « retraites » ou les « conférence? » péda­gogiques. L'initiative de ces réunions semble avoir été prise par le recteur de l'académie de Besançon, immédiatement relayé, en 1829, par le ministre Vatimesnil. L'histoire de cette institution (1), qui a joué un rôle considérable dans la modernisation des méthodes et des contenus d'enseignement, est encore mal connue (2). On donne ici, à titre d'exemple, des extraits du règlement concernant les conférences d'instituteurs dans le canton de Gerbevillertel qu'il est approuvé le 14 juillet 1835 parle Conseil royal.

Longtemps, les « conférences » d'instituteurs ne sont pas autre chose que des stages de formation. Ces recyclages, comme on dirait aujourd'hui, ont donné lieu à plusieurs types de publications : l'ordre du jour des séances, le programme, les exposés des inspecteurs primaires, les rapports de stage. On en trouve la trace soit dans de petites brochures imprimées, soit, plus tard, dans le bulletin départemental. Il arrive parfois que l'inspecteur d'académie estime que le travail a été suffisamment fructueux pour qu'il soit utile d'en faire bénéficier les absents, et qu'il publie, à leur intention, les conférences ou les discussions.

À partir de la fin du Second Empire, l'école primaire française, restée si longtemps discrète au fond de ses villages, est invitée à participer aux grandes expositions nationales. La pédagogie du français fait l'objet d'un intérêt particulier des organisateurs lors de l'exposition de 1867, où Marie Pape-Carpantier prône la méthode des salles d'asile devant une assemblée d'instituteurs réunis à la Sorbonne ; mais surtout à l'exposition de 1878, avec les conférences largement diffusées de Michel Bréal et de Bonaventure Berger. Simultanément, on assiste, çà et là, à l'apparition d'une formule décentralisée, celle de l'« exposition scolaire » organisée à l'échelle du département. Le Cher et la Sarthe ouvrent la voie dès 1867, imités, l'année suivante, par un tiers des départements français (3). On donne ici l'exemple de l'exposition ouverte en 1877 à Besançon, où l'évolution des méthodes dans l'enseignement du français est nettement mise en évidence dans le compte rendu publié au bulletin départemental. Enfin, les deux expositions internationales de Vienne et de Philadelphie, en 1873 et 1876, sont l'occa­sion pour Ferdinand Buisson de faire connaître en France les méthodes étrangères d'apprentissage de la langue nationale.

Il est enfin toute une série de textes qui, sans avoir pour vocation immé­diate de donner ou de faire appliquer des consignes concernant la pédagogie

1. C'est le règlement du 10 février 1837 qui, avec un certain retard, donne une couverture administrative à cette pratique.

2. Cf. R. Aubert, « Les conférences pédagogiques », Recueil de monographies pédago­giques, Paris, 1889, t. 3, pp. 571-626.

3. Cf. Charles Defodon, « Les expositions scolaires départementales », Recueil de mono­graphies pédagogiques, Paris, 1889, t. 3, pp. 663-690.

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du français, n'en peuvent pas moins être considérés comme des textes offi­ciels : il s'agit des rapports d'inspection. Qu'ils soient rédigés par l'inspec­teur primaire de l'arrondissement ou par l'inspecteur général de passage, ils expriment jusque dans les plus infimes détails de la pratique pédagogique, et c'est là leur intérêt tout particulier, les vues de la hiérarchie touchant à la didactique de la discipline. On y retrouve l'écho de ces conseils oraux que l'inspecteur a prodigués dans les classes, et il n'est pas rare que l'auteur du rapport fasse état des représentations qu'il a adressées aux instituteurs.

Les inspecteurs généraux de l'instruction primaire ne semblent pas avoir visité assidûment les écoles primaires élémentaires avant le ministère Duruy. Leurs rapports d'inspection, destinés au ministre, ou au directeur de l'ensei­gnement primaire, visent non seulement à l'éclairer sur la situation pédago­gique de l'école française, mais à justifier et à préparer de nouvelles mesures réglementaires. À ce titre, leur rôle est particulièrement important aux époques qui connaissent des bouleversements pédagogiques, comme c'est le cas autour de 1880 : et Jules Ferry décidera la publication des rapports d'ins­pection générale de ces années charnières.

Créés en 1835, dans le sillage de la loi Guizot, les inspecteurs primaires ont, entre autres, mission de visiter chaque année toutes les écoles de leur ressort, ce qui ne sera matériellement possible que lorsqu'on aura multiplié le nombre des circonscriptions. Dès l'année suivante, outre le travail de sta­tistique qui restera longtemps l'une de leurs principales attributions, ils sont chargés par leurs recteurs d'établir des rapports synthétiques sur les caracté­ristiques et le niveau de l'enseignement dans les écoles. Dès lors, ce sont eux qui, par leur expérience et par leur connaissance du terrain, font remon­ter l'information dans la hiérarchie. À partir du Second Empire, leurs rap­ports sont destinés à l'inspecteur d'académie, et vont trouver leur couronne­ment dans le rapport annuel que ce dernier prononce devant le Conseil départemental de l'Instruction publique.

Terminons cette présentation des textes « officiels» par l'évocation des manuels. On sait que le Conseil royal de l'Instruction publique s'est réservé un droit de regard absolu sur tous les ouvrages entrant dans les établisse­ments d'enseignement, du primaire au supérieur. Il publie donc périodique­ment une liste des livres autorisés. Parmi les innombrables décisions qu'il a été amené à prendre, on n'en a reproduit ici que trois ou quatre, à titre d'exemples (1). Mais il y a également des ouvrages qui, de par leur signa­ture, leur origine ou leur utilisation, ont été présentés aux enseignants comme de véritables manuels officiels de français. C'est le cas quand un ministre rédige une méthode de lecture et en informe avec insistance ses

1. Cette réglementation doit en effet faire l'objet d'une monographie détaillée de la part d'Alain Choppin, responsable de la banque de données Emmanuelle au Service d'histoire de l'éducation.

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subordonnés ; quand deux hauts fonctionnaires proches du ministre'écrivent une grammaire française qui est envoyée aux frais de l'État à des dizaines, peut-être même à des centaines de milliers d'exemplaires, dans les écoles ; ou encore quand une commission est constituée par arrêté, sous la prési­dence d'un recteur, pour rédiger un manuel de morceaux choisis à l'inten­tion des écoles normales. On trouvera les titres de ces manuels dans la bibliographie, et les textes officiels qui ont présidé à leur genèse ou à leur carrière à leur place chronologique dans le cours de l'ouvrage. Sont égale­ment regroupés dans cette brève liste tous les titres d'ouvrages pouvant se prévaloir du même sceau officiel ou quasi officiel, et abordant d'une façon ou d'une autre les problèmes de l'enseignement du français.

L'ENSEIGNEMENT « PRIMAIRE »

Les notions de « primaire », « secondaire » et « supérieur » appliquées à l'enseignement ne datent, à proprement parler, dans le sens que nous leur donnons aujourd'hui, que du ministère Guizot. C'est en 1834, en effet, que s'impose, pour plus d'un siècle, au ministère de l'Instruction publique, une nouvelle organisation des bureaux qui distingue « Instruction supérieure » (deuxième bureau), « Instruction secondaire » (troisième bureau) et « Ins­truction primaire » (quatrième bureau), et qui répand dans l'usage général cette nouvelle terminologie. Le processus sociopolitique qui est à l'origine de ce schéma ternaire remonte à la fin du Directoire, mais n'est véritable­ment engagé qu'avec le décret de fondation de l'Université de 1808. Il ne serait pas nécessaire de l'évoquer ici si précisément l'enseignement du latin et, secondairement, celui du français n'étaient au centre de l'événement.

Les principes politiques qui, au début du XIXe siècle, président à la reconstitution d'un système d'enseignement totalement détruit par la Révolution sont au nombre de deux. Le premier, c'est que l'instruction est un pouvoir, et que ce pouvoir doit relever des prérogatives de l'État. L'Université, impériale, puis royale, sera, parle monopole qu'elle exerce, la manifestation la plus évidente de cette politique. Le deuxième principe, qui trouve son expression première dans le décret de 1808, c'est que le système d'enseignement officiel (il n'y en a en principe pas d'autre) a pour fonction de contribuer à la consolidation de la structure de classe de la société. Il doit donc y avoir deux types d'enseignement totalement distincts, opposant aussi bien des établissements que des programmes ou des maîtres, l'un pour le peuple, l'autre pour la classe moyenne : et la barrière qui les sépare doit être inscrite dans les termes de la loi, et sanctionnée par des dispositions draco­niennes.

Dans les années qui suivent la constitution de l'Université s'opère un tra­vail considérable de ségrégation à l'intérieur du système scolaire. Les textes

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réglementaires définissent avec précision ce qu'on appelle l'instruction pri­maire, et lui fixent des bornes qu'elle n'aura sous aucun prétexte le droit de franchir. Les limites du programme du primaire se déplaceront sensiblement avec Guizot, mais ne bougeront plus ensuite jusqu'à Victor Duruy, qui intro­duit l'histoire et la géographie (1), et surtout jusqu'à Jules Ferry. Tout éta­blissement qui offre un enseignement plus étendu est désormais réputé éta­blissement « secondaire », et, à ce titre, il est soumis à un double impôt, la « rétribution universitaire » qui pèse sur les élèves et le « droit de diplôme » pour les maîtres. Cette fiscalité nouvelle, établie par Napoléon, sera recon­duite par ses successeurs, jusqu'à son abolition en 1844.

On imagine aisément les difficultés rencontrées par l'Université pour faire recouvrer ces impôts, dans une situation où le monopole de l'État s'exerce en grande partie à travers l'initiative privée. Ce sera longtemps l'une des tâches essentielles des inspecteurs généraux et des inspecteurs d'académie en tournée dans les pensions, les institutions ou les collèges communaux que de veiller à l'application de la loi, d'enquêter sur les fraudes et de traîner les contrevenants devant la justice. Les établissements intermédiaires, à cheval sur les deux ordres d'enseignement, qui avaient été si nombreux sous l'Ancien Régime, s'efforceront de ruser avec la loi pour échapper à cette nouvelle fiscalité. L'Université doit donc se donner une règle claire pour décider dans tous les cas de figure si un établissement est primaire ou s'il tombe sous le coup de la loi, et de l'impôt. Dans la réalité, et dès 1810, c'est le latin qui servira de discriminant unique : l'impôt sur le latin jouera un rôle déterminant dans la constitution de l'enseignement secondaire français. La classe de sixième, que la réglementation napoléo­nienne n'avait pas encore totalement intégrée au cursus universitaire (2), ris­quait d'échapper à l'impôt : on se hâte de la définir comme une classe de l'enseignement universitaire, et, dès le statut de 1814, elle y est admise comme une classe à part entière.

Il en restera, par contraste, une conception restrictive, et dévalorisante, du « primaire », un type d'enseignement forcément inférieur, puisqu'il est défini négativement. Le secondaire, à l'inverse, ne se voit nullement inter­dire l'instruction élémentaire, et, dès le Premier Empire, des classes « élé­mentaires » viennent ouvrir le cours d'études dans de nombreux lycées et collèges. Et la tradition restera vivace jusqu'à Jules Ferry, du rappel à l'ordre adressé aux instituteurs, voire aux directeurs d'école normale, qui seraient tentés d'étendre leur enseignement au-delà des limites fixées par la loi. On en trouvera de nombreux témoignages dans les textes ici présentés, telle cette circulaire de Rouland du 7 juillet 1862 qui rappelle aux recteurs que « la langue française, dès qu'il ne s'agit pas uniquement des éléments », relève de l'enseignement secondaire.

1. Elles étaient déjà, depuis Guizot, au programme des écoles primaires supérieures. 2. Cf. A. Chervel, Les Auteurs français, latins et grecs au programme de l'enseignement

secondaire de 1800 à nos jours, Paris, INRP, Publications de la Sorbonne, 1986, p. 30.

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Les textes qui réglementent la distinction entre le primaire et Ce qu'on n'appelle pas encore le secondaire datent, pour la plupart, des années 1810-1815. Bien qu'ils visent essentiellement les établissements que l'Université veut soumettre à l'impôt, on les présente dans ce premier volume, car ils s'avèrent indispensables pour comprendre la continuité de la politique péda­gogique de l'instruction primaire au XIXe siècle.

Au demeurant, pendant la majeure partie du XIXe siècle, la notion d'ins­truction « primaire » n'implique nullement que l'on s'adresse à des enfants. Elle est en relation avec une catégorie de citoyens, à savoir les classes popu­laires, lesquelles n'ont nul besoin de la formation humaniste « secondaire » qui est dispensée dans les lycées et les collèges. Bien sûr, ce sont essentielle­ment des enfants ou des adolescents qu'on trouve sur les bancs des écoles. Mais, en premier lieu, ils y côtoient souvent des jeunes gens, ou des jeunes filles sensiblement plus âgés : des élèves de vingt ans ou plus ne sont pas rares dans les écoles du temps. Et en deuxième lieu, l'école de jour, destinée aux enfants, n'est pas, en principe, la seule tâche de l'instituteur. Il est de son devoir d'organiser dans son établissement des « cours d'adultes », les­quels ont lieu le soir, qui relèvent également de l'instruction primaire.

Entre l'instruction primaire et l'enseignement classique « secondaire » tels que les décrets et les arrêtés de l'Université s'attachent à les définir, l'écart est si grand que des établissements d'un type intermédiaire ne tardent pas à voir le jour, et ce dès les premières années de la Restauration. Il s'agit en effet de répondre aux besoins d'une petite bourgeoisie commerçante ou industrielle qui, dans de nombreuses villes du royaume, réclame un ensei­gnement sans latin, mais ouvert aux sciences, à la comptabilité, aux langues étrangères. Le français y joue un rôle important : il faut savoir écrire sans fautes, bien connaître sa grammaire, être capable de rédiger couramment, et pas seulement des lettres d'affaires, avoir aussi quelques lumières sur la lit­térature nationale. On donne ici en exemple le programme des études à l'ins­titution commerciale de Limoges, tel qu'il est présenté, en 1820, par un prospectus (1). L'approbation du recteur de l'académie témoigne des com­promis que l'administration est amenée à passer.

C'est pour assurer une assise légale à ces établissements que la loi Guizot fonde l'« enseignement primaire supérieur » et impose la création d'une école primaire supérieure à toutes les communes de plus de 6 000 habitants. Mais il faudra attendre la fin du siècle pour que les écoles primaires supé­rieures fassent vraiment partie du paysage éducatif français. Non que la loi Guizot ait été un échec sur ce plan, comme on l'a peut-être un peu trop dit. De fait en 1845, Salvandy pouvait faire état de l'existence d'écoles de ce

1. Voir aussi le « cours de Français commercial » établi dans le collège de Laval en 1832, et annoncé dans le Journal officiel de l'instruction publique (11 novembre 1832).

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type dans 325 communes (1). Mais dans la réalité, il semble s'être créé fort peu d'école supérieures indépendantes. Ce sont les petits collèges commu­naux, à l'existence souvent précaire, qui trouvent un ballon d'oxygène ines­péré dans les termes de la loi Guizot. Car il leur est possible désormais, par­fois sans engager de nouveaux maîtres, d'offrir, dans la petite ville où ils sont implantés et où ils vivotent péniblement, une filière purement moderne, qu'on appelle souvent « les classes de français », et que les textes officiels baptiseront « école primaire supérieure annexée au collège ».

Un épisode curieux se déroule en 1848. Dans un élan d'enthousiasme démocratique pour la promotion intellectuelle des couches populaires, le nouveau ministère de l'Instruction publique lance, à Paris d'abord, puis dans toute la France, une grande opération de « lectures publiques ». Au pro­gramme, les plus grands écrivains du panthéon littéraire français, mais aussi des auteurs plus récents qui n'ont pas tous été, depuis lors, consacrés par la tradition. On fait appel pour cela à la bonne volonté des professeurs de l'« Université », c'est-à-dire essentiellement de l'enseignement secondaire. Mais l'inspiration populiste de cette campagne nous amène à en produire les textes dans ce recueil consacré à l'instruction primaire.

L'enseignement « spécial » créé par Victor Duruy en 1866 est, lui aussi, à mi-chemin entre le primaire et le secondaire. Un premier enseignement spé­cial, comportant un programme de latin, avait vu le jour sous Salvandy, en 1847. Il ne semble pas avoir survécu à la loi Falloux. Duruy fait le choix d'un enseignement totalement moderne, « français » comme on dit alors, et qui est appelé tantôt « professionnel », tantôt « spécial », tantôt encore « secondaire spécial ». Malgré le débouché qu'il offre à certains élèves de l'enseignement primaire, malgré la pratique fréquente chez certains inspec­teurs d'académie de publier dans le bulletin départemental de l'instruction primaire les textes officiels le concernant, malgré le mépris dans lequel il est longtemps tenu par les membres de l'Université, c'est pourtant bien à l'enseignement secondaire qu'il convient de le rattacher, et on renvoie à un volume ultérieur les textes officiels qui le régissent.

L'opposition entre primaire et secondaire ne concerne que l'enseigne­ment des garçons. Comme, traditionnellement, les filles ne font pas de latin, la notion d'enseignement secondaire est pour elles sans objet. Pourtant, dès la Restauration, le problème de la diversification de l'enseignement féminin est posé à l'administration de l'instruction publique. Soucieux de relever le niveau de l'enseignement primaire, Royer-Collard oblige, en 1816, les insti­tuteurs à se munir de brevets ; et une décision analogue est prise, en 1819,

1. Rapport au roi sur la situation de l'enseignement primaire en 1843, Paris, Imprimerie royale, 148 p.

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pour les institutrices. On s'aperçoit alors que toute une partie de l'enseigne­ment féminin, celle qui est donnée dans ces nombreuses pensions et institu­tions où la bourgeoisie envoie ses filles, se situe largement au-dessus du niveau élémentaire. Le rattachement de ces établissements à l'Université est exclu, et pour plusieurs raisons, dont la principale est que l'État ne tient pas à disputer à l'Eglise l'éducation des filles. On admet donc couramment, mal­gré quelques contestations, qu'il n'y a pas d'enseignement « secondaire » pour les filles. Reste que, dès 1819, la réglementation va opposer deux degrés dans l'enseignement « primaire » féminin, et deux titres pour les can­didates à cet enseignement : le brevet pour les institutrices, et le diplôme pour les maîtresses de pension.

L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

Si les limites de l'enseignement primaire ont été tracées par l'histoire, et ont pu parfois donner matière à hésitation, ou à controverse, la notion d'« enseignement du français » pose des problèmes du même ordre, que ce soit dans le primaire ou dans le secondaire. Est-ce enseigner le français que de lire en classe une fable de La Fontaine après deux heures consacrées à la traduction d'une fable de Phèdre ou d'Ésope ? Est-ce enseigner le français que de faire réciter un texte littéraire qui n'a été au préalable l'objet d'aucune explication ? Est-ce enseigner le français que de réclamer aux élèves le résumé du cours, ce qu'on appelait, dans les collèges du XIXe siècle, la « rédaction » du cours ? La version latine, qui oblige à écrire dans sa propre langue, est-elle un exercice de français ? On renverra sinon la solution, du moins l'analyse, de ces problèmes au volume de textes officiels qui sera consacré à l'enseignement secondaire. Ils mettent cependant en évi­dence la difficulté de fixer des bornes solides à la notion d'« enseignement du français ».

Dans l'instruction primaire, la question primordiale qui se pose ici est la suivante : est-ce que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture fait partie de l'enseignement du français ? La complexité du problème tient au fait que cet apprentissage a profondément évolué au cours de l'histoire de l'ensei­gnement. À l'époque ancienne où l'on apprenait à lire en latin, et où l'ensei­gnement de l'écriture se bornait à faire recopier quelques « exemples » de deux ou trois lignes, dont l'enfant ne comprenait même pas le sens, l'acqui­sition de ces « savoir-faire » n'entraînait nullement une meilleure connais­sance de la langue française. Il n'en allait d'ailleurs pas autrement à l'époque, un peu plus tardive, où l'on apprenait à lire en français à des enfants patoisants sans leur expliquer ce qu'ils lisaient, où les premières lec­tures de l'enfant se faisaient sur le manuel de doctrine chrétienne de Lhomond, qui leur restait totalement incompréhensible, et où l'on dictait

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aux élèves des textes dont la difficulté excédait largement les possibilités de leur âge. Il semble donc qu'il faille attendre la grande réforme pédagogique du XIXe siècle, qui culmine avec les années 1880, pour que l'on puisse considérer que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture soit intimement lié à l'enseignement du français.

Il serait cependant paradoxal de considérer l'acquisition de la lecture comme celle d'un savoir-faire totalement indépendant de la langue dans laquelle on apprend. La connaissance de l'alphabet latin, celui dans lequel se lit et s'écrit le français, ne permet pas de « lire » (même entendu au sens le plus limité de « déchiffrer », d'« ânonner », de « verbaliser ») toutes les langues qui l'utilisent comme support de leur écriture. Elle ne permet à l'enfant de lire que la langue dans laquelle on lui livre ce premier apprentis­sage. Et l'on sait qu'il lui faudra plus tard un autre apprentissage initial s'il veut pouvoir lire les autres langues utilisant cet alphabet. Le son qui s'écrit ch en français ne s'écrit ch qu'en français (1). Toutes les langues voisines qui le possèdent l'écrivent d'une autre manière, en utilisant différentes com­binaisons des lettres c, h, i, j , s, z, ou encore des signes diacritiques, si tant est qu'elles n'utilisent pas un autre alphabet. Dans l'école primaire fran­çaise, apprendre à lire a toujours signifié apprendre à lire l'écriture du fran­çais, même lorsqu'on apprenait à lire en latin, puisqu'on prononçait alors le latin comme le français.

De même on ne saurait enseigner l'écriture sans présenter à l'enfant les premiers éléments de l'orthographe. Apprendre à écrire le français, c'est en effet non seulement s'initier à un « code phonographique » déterminé, mais également commencer à pénétrer dans les arcanes du système « idéogra­phique » français, cet ensemble de règles qui régit les doubles consonnes, les lettres muettes, les lettres « grecques » et les s de pluriel.

n n'est donc pas aisé d'apporter une réponse totalement fondée au pro­blème soulevé ci-dessus et il y aurait quelque parti pris à choisir a priori l'une ou l'autre de ces deux solutions. On s'en remettra sur ce point à la tra­dition qui a cours dans l'histoire de l'enseignement français. Jamais, semble-t-il, ni dans les déclarations d'intention des maîtres d'école de l'Ancien Régime ni dans les programmes d'études officiels du XIXe siècle, la lecture et l'écriture n'ont été assimilées au « français ». Bien au contraire, lorsque, pour la première fois, les « éléments de la langue française » (2) ont

1. Et en portugais, où il s'écrit également avec un s, un x, ou un z. 2. Dans la bibliographie scolaire, l'expression est utilisée depuis 1780 comme titre de

manuel de grammaire (Fauleau, 1781 ; Le Lannoy, 1788 ; Caminade, 1799) en alternance avec « éléments de la grammaire française » (Rivard, 1760 ; Lhomond, 1780), et avec le même sens. On la trouve déjà dans le projet de décret de Talleyrand en 1791. Dans le rapport préalable, Talleyrand a utilisé l'expression équivalente « principes de la langue française ».

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été introduits dans les programmes, c'est-à-dire dans le cadre de ta loi de 1833, ils désignent non pas la lecture et l'écriture, qui disposent de leur rubrique propre, mais l'orthographe et la grammaire scolaire, lesquelles suc­cèdent, dans la scolarité de l'enfant, aux deux premiers apprentissages.

Si la tradition pédagogique française n'a pas intégré le lire-écrire au « français », si elle a constamment établi une distinction nette entre ces apprentissages fondamentaux et l'enseignement de la langue nationale, y compris après la révolution pédagogique de 1880, ce n'est évidemment pas un hasard. Quoi qu'on puisse penser des caractères « nationaux » de l'écri­ture française, jamais les instituteurs n'ont pu se résoudre à réduire la langue à son écriture. Pour reprendre le terme de Ferdinand de Saussure, l'ensei­gnement d'une langue ne saurait se borner à son « signifiant », qu'il soit phonique ou graphique. Il met forcément en jeu les significations, ne serait-ce qu'au niveau élémentaire de l'orthographe et de la grammaire scolaire. Lire oralement, sans la comprendre, une page d'un livre, recopier sans réflexion quelques lignes d'un modèle, tels sont, en lecture et en écriture, les objectifs, et parfois les résultats, de l'enseignement primaire traditionnel, celui qui a cours tout au long de l'Ancien Régime, et encore dans une bonne partie des écoles rurales de la première moitié du XIXe siècle. Cela ne relève pas vraiment de l'enseignement du français, n en va, bien sûr, tout autre­ment de la pratique de la « lecture à haute voix » qui, à l'appel de Legouvé, se répand dans les écoles et les collèges à la fin des années 70. On a donc écarté de ce recueil ceux des textes concernant l'apprentissage de la lecture et de l'écriture où cet apprentissage n'était pas explicitement ou substantiel­lement associé avec un enseignement de la langue.

Reste que l'enseignement du français dans les classes est constamment lié, au XIXe siècle, à des préoccupations d'une autre nature. Par exemple la morale et la religion, qui constituent la première discipline de l'instruction primaire aussi bien dans la loi Guizot que dans la loi Falloux. Toute la litté­rature pédagogique du temps, en accord avec les textes officiels, souligne la nécessité de faire du français l'un des véhicules privilégiés pour l'éducation morale et religieuse.

Il en ira de même de l'enseignement de l'agriculture en 1867. C'est dans des textes officiels que tire son origine cette tendance bien connue de l'enseignement primaire français à privilégier la vie de la campagne de pré­férence aux activités citadines, aussi bien dans les dictées que dans les mor­ceaux choisis destinés à la lecture. La même année 1867, Duruy met au pro­gramme des écoles l'histoire et la géographie. Étape importante dans l'histoire de l'enseignement du français : car, dans une partie du primaire, va se répandre une pratique déjà bien établie dans l'enseignement secondaire, celle de la « rédaction d'histoire ». Dans les lycées, on rédigeait le cours d'histoire ; à la communale, on va raconter par écrit ce que le maître vient d'exposer. C'est par l'histoire, semble-t-il, l'histoire de France ou l'histoire sainte, que la rédaction pénètre à l'école primaire.

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Il n'a donc pas été toujours possible de tracer une ligne de démarcation nette entre l'enseignement du français et celui des autres disciplines. Cette brève revue à laquelle on vient de procéder a balayé la quasi-totalité du pro­gramme obligatoire de l'école primaire. S'y ajoutent seulement, depuis Guizot, le calcul et le système légal des poids et mesures, dont la pénétration dans les provinces est d'ailleurs l'un des témoignages les plus nets du triomphe du français sur les patois. Est-ce à dire que, sous le titre d'« ensei­gnement du français », il nous fallait ici aborder l'ensemble des disciplines enseignées ? Évidemment non, et l'on s'est attaché au contraire à ne retenir que les textes ou les portions de textes qui visaient explicitement, d'une façon ou d'une autre, à l'enseignement de la langue nationale. Mais, de fait, l'importance majeure et le rôle central de cet enseignement dans l'école du XIXe siècle nous ont amenés à mainte reprise à présenter des textes qui offrent de véritables tableaux de l'enseignement primaire (1).

PROBLÈMES POSÉS PAR L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS DE 1789 À 1880

Retracer, fût-ce par le biais des textes officiels, l'histoire de l'enseigne­ment du français à l'école primaire, c'est choisir un point de vue tout à fait privilégié pour observer l'histoire de l'école française. Certes, le français n'a pas toujours été au programme. Mais à partir de la Révolution, le processus est bien engagé qui va peu à peu amener l'école primaire à placer la langue française au centre de ses préoccupations. C'est donc, d'une certaine façon, à la naissance de l'école moderne que nous fait assister cette sélection de textes officiels.

Enseigner le français, c'est d'abord prendre position contre le patois à l'école. Jamais l'école traditionnelle d'Ancien Régime ne s'était fixé un pareil objectif. On y apprenait à lire, c'est-à-dire à déchiffrer, en français et en latin, voire en breton, en flamand ou en basque ; et on y parlait le patois ou la langue locale comme partout dans le village. La situation sera encore la même dans la première moitié du XIXe siècle. La décision prise par la Convention de confier à l'école le soin de diffuser la langue nationale est donc une innovation considérable. Il importe peu, ici, que, faute d'une poli­tique efficace d'instruction primaire, elle n'ait pas été suivie d'effet : sa fonction symbolique prime.

1. Dans les programmes d'enseignement ou d'examen, un problème différent se posait. Fallait-il, sous prétexte qu'il ne s'agissait pas de français, écarter les rares mentions, souvent brèves, portant sur les autres disciplines ? Dans la plupart des cas, plutôt que de laisser des trous correspondant aux articles extérieurs à notre sujet, et présenter un programme en den­telle, on a préféré donner le texte intégral.

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LECTURE I ÉCRITURE

À l'inverse, il est hautement significatif que, entre la Révolution et Jules Ferry, si le français entre bien dans les programmes, aucune loi, aucun décret, aucun arrêté (1), ne stipulera l'obligation de parler français dans les écoles. Seul, l'arrêté du 17 août 1851 proposant aux Conseils départemen­taux un « règlement modèle » semble en recommander fortement la pra­tique. Mais il contient un autre article directement contradictoire, qui fixe que « les leçons d'instruction religieuse seront réglées sur les indications du curé de la paroisse ». Et comme les prêtres exigent souvent l'utilisation de la langue locale, ou donnent leurs explications en patois, les règlements sco­laires départementaux ne se montreront pas tous très exigeants sur ce point.

Dans sa tâche historique de diffusion de la langue nationale, l'école pri­maire française va trouver devant elle une multiplicité de circonstances locales qui ne favorisent pas l'éclosion de textes applicables sur l'ensemble du territoire. Il y a l'Algérie, où renseignement français, ou plutôt franco-arabe, est réglementé par arrêté du ministère de la Guerre en 1850. Il y a l'Alsace et la Lorraine, où l'école primaire a longtemps mêlé l'enseignement en français et en allemand. Soutenus par Victor Duruy, quelques préfets énergiques vont tenter, sous le Second Empire, de généraliser le français ; on donne ici l'exemple de la Moselle (2). Il y a la Corse, le pays basque ; il y a deux arrondissements du département du Nord, où l'Église se montre intran­sigeante sur l'emploi de la langue flamande. Il y a la Bretagne où la situation est quasiment désespérée, et où prévaut une pédagogie lente et inefficace à base de versions et de thèmes (3).

Et puis il y a, dans la majeure partie du territoire national, toutes les variétés de « patois », occitan, picard ou morvandiau (4). Il faut, semble-t-il, attendre 1838 pour que la hiérarchie prenne conscience d'un phénomène important : que les enfants patoisants, soumis à une pédagogie adéquate, peuvent réussir à lire parfaitement des textes français, sans en comprendre un traître mot. On a pu retrouver aux Archives nationales une lettre person­nelle adressée au ministre par un propriétaire terrien du Gers, qui a déclen­ché la circulaire de 1838. Mais il faudra bien d'autres circulaires pour que soit résolu le problème soulevé cette année-là. C'est Victor Duruy qui cher­chera à l'affronter dans toute son ampleur, un peu plus tard. La grande

1. À l'échelle nationale du moins. Certains comités locaux, appuyés par les préfets, anti­cipent, un demi-siècle à l'avance, sur les mesures de francisation obligatoire de Jules Ferry. Cf. les décisions du comité de Cahors, en 1835, vivement dénoncées par Charles Nodier (Journal général de l'Instruction publique, 1835, p. 223).

2. Nous remercions Gérard Bodé, chercheur au Service d'histoire de l'éducation, qui nous a communiqué ce texte découvert aux Archives départementales.

3. Voir, en 1831, les hésitations de la ligne pédagogique officielle à travers une corres­pondance entre le ministre et les préfets des départements bretons.

4. Dans leur réponse à l'enquête Duruy de 1864, les préfets donnent une liste complète des noms de ces patois.

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enquête statistique sur l'instruction primaire qu'il lance le 28 mai lSó^com-porte toute une section réservée à la situation des patois dans les villages et les écoles.

En décrétant l'abolition des patois, et en confiant aux écoles la réalisation de cette tâche, la Révolution mettait donc en chantier un programme large­ment séculaire. Aussi bien, c'est l'ensemble des textes de la période révolu­tionnaire qui revêtent ce même caractère volontariste et programmatique. Reste que les deux problèmes majeurs de l'enseignement du français, les manuels scolaires et la formation des maîtres, ont été bien vus dès cette époque. Rappelons également ici certaines « décisions » prémonitoires, comme la création de cette école normale de l'an III qui, avant de devenir, par un détournement de vocation, l'ancêtre de l'École normale supérieure, avait eu pour premier objectif de former des formateurs de maîtres, lesquels devaient retourner ensuite dans leurs départements animer, à partir de la science acquise à Paris, des « écoles normales secondes » : n'était-ce pas annoncer Fontenay et Saint-Cloud, plutôt que la rue d'Ulm ?

À partir de la Restauration, nos textes nous font assister à la lente mise en place de l'école moderne. C'est par la qualification des maîtres qu'on prend d'abord le problème. Dans un premier temps, on exige d'eux qu'ils se munissent d'un brevet. La grosse majorité des maîtres se retrouvent alors détenteurs d'un « brevet du troisième degré » qui atteste surtout leur igno­rance totale de l'orthographe française. La suppression de ce titre constituera l'un des objectifs des pouvoirs publics.

Et l'on s'avise, dans un deuxième temps, que, si l'on veut améliorer le niveau des maîtres, il faut songer à leur formation. C'est la période de créa­tion des « classes normales », et surtout des écoles normales. Moins connue, mais sans doute aussi importante, du moins pour l'immédiat, a été la poli­tique de recyclage des maîtres dans des cours d'été, entre 1833 et 1840. Des milliers d'instituteurs ont appris pendant cette période l'orthographe et la grammaire, lesquelles venaient d'être portées au programme. Structure souple, courroie de transmission rapide et efficace, la conférence pédago­gique jouera à nouveau un rôle important, au cours des années 1870, dans la rénovation de l'enseignement du français.

Avec la formation des maîtres, le problème du livre scolaire est au centre des préoccupations de tous ceux qui, au XIXe siècle, s'intéressent à l'ins­truction primaire et à l'enseignement du français. Dans la pratique tradition­nelle des classes, l'enfant apporte avec lui à l'école son livre de lecture. C'est souvent le seul ouvrage présent dans la maison familiale, en général un livre d'édification religieuse, un manuel de doctrine chrétienne, ou un Télémaque. Mais il faut tenir compte aussi de l'extrême dénuement de cer­taines familles dans une partie de la France rurale : faute de livre, l'enfant ne pourra même pas apprendre à lire ; et cette situation est signalée par des ins­pecteurs d'académie jusque sous le Second Empire.

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Face à la multiplicité des livres, le maître n'a d'autre choix quele mode individuel. Modifier autoritairement le mode d'enseignement implique qu'on expédie en masse des manuels à travers toute la France, en particulier à l'intention des plus démunis : ce dont on s'avise dès 1830. Encore faut-il que ces ouvrages soient bien adaptés à leur destination. La France manque douloureusement de bons livres scolaires, et, de la Révolution à la Monarchie de Juillet, on compte au moins trois concours officiels pour la rédaction de manuels de lecture. Tous, le dernier surtout, semblent ainsi pré­parer le petit roman qui sera, en 1877, le triomphe de l'édition scolaire, Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno.

Enfin, il convient de remédier à la pénurie de livres qui sévit dans les campagnes françaises. Domaine délicat, où l'on souhaite à la fois promou­voir l'éducation populaire et éloigner les masses des mauvaises lectures. Dès 1832, les écoles normales sont pourvues de bibliothèques dont le catalogue est fixé par un arrêté du Conseil royal de 1836. C'est seulement en 1862 que l'obligation de tenir une bibliothèque scolaire est faite aux instituteurs. Est­elle vraiment destinée aux élèves ? L'arrêté de création et la circulaire qui le suit autorisent quelque scepticisme sur ce point. Ce sont les familles qu'on vise, en leur offrant non des ouvrages « de pure imagination », contre les­quels l'instituteur est mis en garde, mais de bons livres, pour favoriser la lecture à haute voix à la veillée.

Entre 1830 et 1860, les nouveaux programmes officiels, le contrôle plus étroit des écoles par l'inspection primaire, l'amélioration substantielle de la formation des maîtres et du matériel pédagogique, et surtout la demande d'éducation qui émane de toute la société française, viennent donc à bout du mode individuel d'enseignement. Le triomphe du mode simultané place alors les maîtres face au problème de l'« organisation pédagogique », c'est-à-dire du classement des élèves en plusieurs divisions, et du programme attribué à chacune. Ni la loi Falloux, ni le règlement modèle de 1851 ne prennent position sur la question.

Il revient à quelques inspecteurs d'académie d'avoir, les premiers, tracé les voies de l'organisation pédagogique, et d'avoir réparti sur les différentes divisions l'ensemble du programme de l'instruction primaire. Le premier est Villemereux (1), qui, en 1855, donne un emploi du temps aux instituteurs du Loiret. Il fait immédiatement quelques adeptes, comme Percin, inspecteur d'académie de la Meurthe. Mais c'est surtout avec la réglementation pari­sienne mise en place en 1868 par Octave Gréard que s'ouvre le chapitre de l'organisation pédagogique des écoles. Jules Simon s'efforcera de générali­ser ces mesures à l'ensemble du pays.

1. Il sera nommé inspecteur général en 1858.

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La transformation pédagogique de l'école française est nette dès le milieu du siècle. La circulaire du 20 août 1857 en est un premier témoi­gnage. À travers les défauts mêmes qu'elle dénonce, on entrevoit une école qui s'est déjà profondément modifiée. Trop de grammaire dans les classes, trop de subtilités dans l'enseignement de l'orthographe, trop d'exercices sté­riles de conjugaison, dit la circulaire. C'est vrai, mais c'est aussi la preuve que le maître souvent ignare de 1830 a vécu, que l'instituteur sait mainte­nant l'orthographe et la grammaire, que le mode individuel d'enseignement est en voie d'extinction, et que l'élève apprend systématiquement les mots et les formes de la langue nationale. Au demeurant, les critiques parfaitement justifiées de cette circulaire n'auront que peu d'effet. Duruy est obligé d'en reprendre les termes en 1866, mais c'est seulement avec Jules Ferry que la rénovation pédagogique engagera le fer contre la tendance des maîtres à se réfugier dans l'orthographe et la grammaire au détriment d'un enseignement du français plus formateur et plus complet.

Autre signe d'une évolution rapide de l'école : ces concours des écoles, puis ces certificats d'études, qui se multiplient ici et là à l'initiative des ins­pecteurs primaires ou des inspecteurs d'académie. Leur apparition est signa­lée dès le début des années 1860 (1). La ville de Lille, par exemple, fait concourir ses écoles dès 1862, mais devra y renoncer quelques années plus tard devant le déchaînement des polémiques et des animosités que cette ini­tiative a déclenchées entre écoles laïques et écoles congréganistes. C'est une circulaire de Duruy qui lance les concours à travers la France entière. Le mouvement repartira de plus belle après la Guerre de 1870-1871. Entre temps, le concours cantonal s'est vu concurrencer par l'examen du certificat d'études. Le département des Vosges met en place en 1866 la première for­mule sérieuse de l'examen, avec une commission « cantonale », et non plus locale, et une double série d'épreuves, écrites et orales (2). Les départements se dotent désormais de règlements minutieux, parfois imités du règlement parisien de 1869. On donne dans l'ouvrage, à titre d'exemple, une dizaine de ces règlements départementaux.

Entre le certificat d'études et le concours des écoles, le ministère hésite longtemps. Il a d'abord critiqué les concours sans les interdire, puis, avec Duruy surtout, il les a encouragés. Après 1870, il observe, favorise le certifi­cat d'études aux dépens du concours, et donne mission au Comité consulta­tif des inspecteurs généraux (3) de préparer un arrêté sur les certificats

1. Sans parler de quelques initiatives isolées dès la première moitié du siècle. Cf. le règle­ment du certificat d'études de Seine-et-Oise en 1836.

2. Cf. Guillaume Jost, « Le certificat d'études primaires élémentaires », Recueil de mono­graphies pédagogiques, 1889, t. 3, pp. 445-506.

3. Dans l'une de ses premières réunions, le 28 avril 1873, le comité consultatif prend position contre les concours cantonaux, accusés d'exciter les passions locales et d'inciter les instituteurs à négliger la masse des élèves au profit d'une petite élite.

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d'études, qui sortira en 1880. Exemple typique d'un texte officiernational qui aura été lentement préparé par des initiatives locales.

La progression pédagogique de l'école française à laquelle nous font assister ces textes ne s'est pas déroulée d'une façon homogène sur l'ensemble du territoire national. Si les départements de l'Est sont souvent à la pointe du progrès pédagogique, c'est en général Paris qui a servi de modèle pour le pays, et une partie des textes ici regroupés ne portent que sur l'enseignement primaire dans la capitale. Certes, la première école normale française a été fondée à Strasbourg, sous l'Empire : mais l'établissement d'une école normale primaire à Paris en 1831 est un événement de portée nationale. Même remarque pour l'école primaire supérieure de Paris, fondée en 1836, bien qu'elle ne soit peut-être pas la première du genre. Et les réformes d'Octave Gréard, souvent copiées dans les provinces, vont contri­buer efficacement à la rénovation de l'école française. Nommé directeur de l'enseignement primaire à Paris en 1866, il met en place une réglementation des écoles, une « organisation pédagogique » et un certificat d'études dont s'inspireront au cours des années suivantes une bonne partie des départe­ments, avant que les réformes de Jules Ferry ne les généralisent sur l'ensemble du territoire national.

Mais l'instruction primaire ne se limite pas à l'école primaire élémen­taire. À partir de la Monarchie de Juillet, on assiste à plusieurs innovations importantes : la création des salles d'asile (1), celle des écoles primaires supérieures, celle des écoles normales ; et la pratique des classes d'adultes se répand peu à peu dans tout le pays. Toutes ces institutions posent le pro­blème de l'adaptation de l'enseignement du français à des élèves soit plus jeunes soit, surtout, plus âgés que ceux de l'école communale. Simultanément, une loi réglemente pour la première fois l'instruction pri­maire, lui fixe un cadre, des règles, des statuts, un programme. Tout un réseau d'examens et de concours commence à se mettre en place. C'est donc à un édifice déjà complexe que s'attaquera la loi Falloux lorsqu'elle réorga­nise l'école primaire française. Suivra une cascade de textes officiels dont la finalité est, dans un premier temps, d'adapter à ses exigences les différentes institutions de l'instruction primaire. Dans un deuxième temps, avec Rouland, avec Duruy surtout, il faut revenir à une vision plus sereine des

1. Pour les salles d'asile, on consultera le recueil mis au point par Jean-Noël Luc : La Petite enfance à l'école, XIXe-XXe siècles. Textes officiels relatifs aux salles d'asile, aux écoles maternelles, aux classes et sections enfantines (1829-1981), Paris, INRP et Económica, 1982. Les textes officiels qui concernent l'enseignement du français dans les salles d'asile et à l'école normale des salles d'asile sont signalés, dans le présent ouvrage, à leur place chronologique, mais on renvoie chaque fois le lecteur à l'ouvrage de J. N. Luc pour les textes eux-mêmes.

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choses, et reprendre pièce par pièce une construction qui, de par sa finalité étroite de préservation de l'ordre social, s'est montrée inadaptée aux exi­gences d'une instruction publique moderne.

UN ENSEIGNEMENT « PRIMAIRE » DU FRANÇAIS

L'histoire de l'instruction publique en France à l'époque moderne est tra­versée, on l'a vu, par un problème majeur, celui de la division entre deux types d'enseignement, le primaire et le secondaire. La volonté dichotomique qui inspire les fondateurs de l'Université se marque d'abord dans les conte­nus d'enseignement. Au primaire, lire, écrire, compter ; au secondaire, tout ce qui est au-dessus, particulièrement le latin, mais également le français, les textes littéraires, la poésie, le théâtre classique, la composition française. Aucun chevauchement entre les deux ordres d'enseignement, au départ. Le primaire reçoit des enfants sans aucune formation intellectuelle, tandis que les lycées et les collèges voient entrer dans leurs classes, même dans les classes dites élémentaires, des enfants qui ont déjà appris à lire et à écrire, et qui peuvent donc commencer le latin dès la huitième, voire la neuvième.

Les choses vont changer peu à peu à partir de la loi Guizot. Avec le fran­çais, l'arithmétique, l'histoire, la géographie, le primaire reçoit en dotation, obligatoire ou facultative, de nouvelles disciplines qui ont déjà dans le secondaire leur place, leurs traditions, leurs méthodes. Dans cette dualité, il y a l'amorce de la disparition de tout le système universitaire fondé sur une stricte répartition des enseignements. L'opposition entre primaire et secon­daire a-t-elle encore un sens à partir du moment où un certain nombre de disciplines leur sont devenues communes ?

Par exemple, demander aux régents des collèges communaux, ou aux professeurs des collèges royaux, d'assurer les cours de l'école supérieure logée dans les mêmes bâtiments, c'était évidemment renoncer, pour les élèves de ces filières, à un enseignement du français spécifiquement « pri­maire ». Car leurs maîtres, s'ils changeaient de casquette en cours de jour­née, n'allaient pas pour autant bouleverser leur enseignement. Et lorsqu'en 1842 le ministre lance une vaste enquête sur la liste des textes qu'on récite dans les établissements secondaires, certains recteurs n'hésitent pas à lui envoyer en même temps le programme des récitations des écoles primaires supérieures annexées aux collèges. Ainsi les élèves de l'école supérieure annexée au collège royal de Caen apprennent par cœur presque autant de prose et de poésie classique que leurs camarades de l'enseignement clas­sique (1).

1. Cf. A. N. F177507.

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LECTURE I ECRITURE

La loi Guizot contenait donc en germe la destruction de l'édifice univer­sitaire napoléonien. Dès 1838, Salvandy a tenté de faire machine arrière, et a invité les recteurs à « faire cesser cette confusion partout où elle s'est intro­duite contrairement aux vues du législateur et à la nature des choses » et à « préparer dès aujourd'hui une séparation complète entre les deux espèces d'enseignement » (1). n ne parviendra pas à convaincre ses recteurs, unani­mement hostiles à ces mesures, et c'est seulement avec la loi Falloux que va triompher, pour quelques dizaines d'années encore, la stricte doctrine uni­versitaire.

Les défenseurs de l'Université ont donc, dès le début, parfaitement conscience du danger, et multiplient les précautions, les mises en garde et les interdictions d'enseigner ceci ou cela. Ainsi s'explique d'abord la curieuse formule « éléments de la langue française » qui, du décret de Talleyrand jusqu'à la loi Falloux, et même jusqu'à certains projets de loi déposés par les républicains en 1877, semble vouloir délibérément limiter les primaires à une connaissance élémentaire, et donc incomplète, de la langue nationale. Même les futurs instituteurs ne sont pas mieux lotis sur ce plan que leurs élèves. Le premier programme des écoles normales, du 14 décembre 1832, leur accorde en tout et pour tout « la grammaire fran­çaise » ; et les programmes suivants, tant le règlement du brevet de 1833 que le programme des écoles normales de 1851, ne font état que des « éléments de la langue française ». La commission extraparlementaire de 1849 qui, dans une atmosphère de panique, prépare la loi Falloux, tente même d'écar­ter du « premier degré » de l'instruction primaire toute mention de la langue française. Elle ne sera pas suivie par l'Assemblée nationale.

Plus frappante encore sans doute est la rupture consommée entre l'ensei­gnement secondaire ou supérieur et les institutions de formation des maîtres de l'enseignement primaire. Le contraste est net, sur ce point, entre les idées généreuses agitées dans certains textes d'époque révolutionnaire, qui souhai­taient associer les professeurs des écoles centrales à l'instruction des futurs instituteurs, et les pratiques de stricte ségrégation qui prévalent au moins jusqu'aux débuts de la Troisième République. Après la Guerre de 1870, il ne sera plus possible de maintenir l'enseignement primaire dans ce splendide isolement qui l'a coupé jusque-là de la réflexion scientifique ou univer­sitaire ; et l'on fera appel à des professeurs des lycées ou des collèges pour renouveler l'enseignement des écoles normales.

On s'attache donc, pendant quelques dizaines d'années, à mettre au point un programme spécifiquement primaire d'enseignement de la langue fran­çaise, programme dont l'esprit va marquer chacune des mesures prises pen­dant cette période. Toute la didactique du français est fondée sur la

1. Circulaire confidentielle du 17 septembre 1838, A. N. F178854

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Les textes officiels régissant l'enseignement du français au XIXe siècle

mémoire. L'élève apprend et récite des « leçons », c'est-à-dire qu'il mémo­rise des pages de grammaire, des conjugaisons verbales, des listes de mots. La caractéristique essentielle de cet enseignement, c'est, à l'écrit, un intérêt exclusif pour l'orthographe du français, et pour son corollaire, la grammaire d'accompagnement, la fameuse grammaire scolaire. À l'oral, la lecture, dont l'élève a acquis la maîtrise, peut être poussée, pour les élèves les plus avan­cés, jusqu'à la lecture intelligente, c'est-à-dire expressive. Ce qui revient à dire que, mise à part la lecture, l'enseignement primaire de la langue mater­nelle se déroule en totalité par écrit. L'école française en gardera longtemps des marques profondes.

Doit d'abord rester en dehors des préoccupations des maîtres tout ce qui pourrait rappeler de près ou de loin l'enseignement littéraire dispensé dans les lycées et collèges. L'idée de faire pénétrer dans les écoles de « beaux » textes n'apparaît qu'exceptionnellement avant 1870, ou n'est évoquée que pour être fermement combattue. Si les écoles normales reçoivent en 1851 un programme de textes empruntés à la grande tradition littéraire, c'est unique­ment dans le cadre des exercices de « lecture » à haute voix que ces auteurs devront être exploités.

En particulier, la poésie n'est pas de mise dans les écoles, et l'on donne dans l'ouvrage un texte significatif de Bernard Jullien, datant de 1843, qui ramène à des pratiques de diction et de prononciation toute utilisation sco­laire de la poésie. La récitation, au sens moderne du mot, la récitation de textes d'auteurs, est également absente des programmes de l'école primaire. Sans y être prohibée, d'ailleurs. De fait, le programme des écoles normales de 1851 impose aux élèves-maîtres trois heures de récitation hebdomadaire, et l'on est fondé à penser que certains maîtres ont pu se sentir autorisés à pratiquer avec les élèves les plus avancés cet exercice auquel les avait accoutumés l'école normale : mais les témoignages sont rares.

Reste également en dehors de ce programme limité l'explication des textes. Certes, Salvandy et quelques-uns de ses successeurs demanderont aux instituteurs de s'assurer que les élèves patoisants comprennent les textes qu'ils lisent, c'est-à-dire, concrètement, de leur traduire en patois ou en langue locale les mots ou les phrases sur lesquelles ils butent. Mais il n'est pas question d'encourager la lecture expliquée, dont on aurait plutôt ten­dance à se méfier. Que risquerait d'inventer un instituteur, ignorant des tech­niques de l'explication des textes, et, qui plus est, s'adressant parfois à de grands élèves ? Plus d'un texte officiel témoigne de cette hantise, y compris, sous la Seconde République, les arrêtés établissant des lectures publiques populaires. Et dans les années où le Second Empire est en délicatesse avec le Saint-Siège, Duruy n'hésitera pas à exploiter ce sentiment profondément ancré dans la hiérarchie locale pour empêcher les congréganistes d'utiliser à des fins politiques les lectures faites pendant la classe.

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LECTURE I ÉCRITURE

Enfin, l'enseignement primaire du français évite avec soin tout ce qui s'apparente à des exercices de composition, ou plutôt tout ce qui, dans ces exercices, relève de l'« invention », qui est, comme on sait, la première par­tie de la rhétorique. L'instruction primaire n'a pas à développer l'imagina­tion des élèves : c'est là un leitmotiv de la pédagogie officielle jusqu'en 1880. Non que tout exercice de production écrite soit déconseillé. Mais par­tout où les conditions seront favorables pour que les élèves s'y livrent, l'imi­tation stricte de certains modèles sera la règle. Bien entendu, il ne s'agit pas de modèles littéraires comme dans les lycées et collèges. D'une part, on fait rédiger aux élèves des lettres d'affaires, des quittances, des demandes d'emçloi. Mais certains, les disciples du Père Girard en particulier, vont plus loin. A condition de ne pas sortir du cadre étroit des réalités quotidiennes, on prône l'exercice de la description, de la narration, de la lettre. Beaucoup d'instituteurs ont appris, pendant leur séjour à l'école normale, les principes du résumé de lecture, de la rédaction du cours, voire de l'« analyse » de texte. Certains les pratiqueront avec leurs élèves les plus avancés, ou dans les écoles supérieures : et l'on en retrouve la trace dans quelques textes.

Quoi qu'il en soit, l'introduction dans les pratiques et dans les pro­grammes des « éléments de la langue française » devait produire le premier grand bouleversement disciplinaire de l'école primaire. Entre l'école qui se contente du lire-écrire et celle qui va jusqu'à l'orthographe et à la gram­maire d'accompagnement, la distance est considérable. Car, dans la seconde, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture est forcément entraîné dans une dynamique nouvelle. On n'enseigne pas à lire et à écrire de la même façon à des enfants qui s'en tiendront à ces apprentissages premiers et à des enfants qui vont ensuite apprendre l'orthographe. Les méthodes pédagogiques du lire-écrire se transforment au cours du XIXe siècle : elles intègrent plus ou moins clandestinement toute une propédeutique de l'orthographe, qui n'avait évidemment pas sa place dans les méthodes anciennes.

Dater avec précision ce phénomène complexe dans l'histoire des disci­plines scolaires demanderait de plus longs développements. Si l'on consi­dère la présence de l'orthographe dans les programmes comme un discrimi­nant entre deux types d'écoles, il faut bien admettre que la loi Guizot n'est dans ce processus qu'une date parmi d'autres : la date à laquelle les pouvoirs publics ont pris position entre deux conceptions de l'enseignement primaire. Dans la réalité, il existait déjà, et depuis longtemps, des écoles primaires qui enseignaient l'orthographe : dès l'Ancien Régime, les Ursulines et les Frères des écoles chrétiennes avaient donné l'exemple. Et inversement, il a fallu des années, peut-être des décennies pour que la loi Guizot soit, sur ce point, appliquée par la totalité des écoles primaires françaises.

Dans les programmes officiels, les « éléments de la langue française » céderont la place, en 1882, à « la langue et la littérature française ». Ce sera la deuxième révolution pédagogique de l'école primaire au cours du siècle.

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Les textes officiels régissant renseignement du français au XIXe siècle

À l'orthographe s'ajouteront alors dans les objectifs officiels de l'école la lecture expliquée, le compte rendu de lecture, la récitation, la poésie, la rédaction. À nouveau, l'ensemble de la didactique du français sera touché par cette addition : l'enseignement de l'orthographe, de la grammaire, et l'apprentissage du lire-écrire subiront les contrecoups de cette innovation décisive.

Cette évolution est préparée, dans les sphères officielles, à partir des der­nières années du ministère de Victor Duruy. L'inspection générale se conver­tit peu à peu à la rénovation pédagogique, et favorise souvent l'innovation. Mais la loi Falloux reste en vigueur dans sa totalité, et c'est dans des règle­ments départementaux qu'on voit apparaître et se multiplier, des consignes nouvelles qui imposent, par exemple, l'exercice de la rédaction, lequel n'a pas encore, en principe, droit de cité dans les écoles. Les conférences péda­gogiques et les expositions scolaires vont accélérer un mouvement désor­mais d'autant plus irrésistible qu'il s'appuie sur l'exemple de nombreux pays étrangers, et sur une presse pédagogique abondante. Appelées par un ministre énergique, quelques personnalités eminentes, au premier rang des­quelles il faut citer Félix Pécaut, définissent alors un nouvel enseignement du français à l'usage de l'instruction primaire. S'il est encore différent de celui qui a cours dans les lycées et collèges, il s'en rapproche du moins très substantiellement, et la fusion des programmes n'est plus désormais qu'une question de décennies.

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LECTURE / ÉCRITURE

BIBLIOGRAPHIE

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MAITRISE DE LA LANGUE ET COHÉRENCE PÉDAGOGIQUE,

DIDACTIQUE

Apprentissages de la lecture/écriture au cycle 2

Hélène ROMIAN

Extrait de Repères.

Recherches en didactique du français langue maternelle « Problématique des cycles et recherche »

rr 5 1992

Présentation

L'article terni à montrer la complexité de la notion de cohérence à partir de recherches INRP sur les apprentissages de la lecture/écriture en SG-CP-CE1 menées entre 1970 et 1930, qui sont l'une des sources de la probléma­tique des cycles. Cette cohérence tient à la conception - évolutive - de la maîtrise de la langue qui structure les contenus, la démarche d'enseigne­ment/apprentissage. La problématique des années 70, d'abord pédagogique, vise essentiellement une démarche d'appropriation active du code de la langue écrite. Celle des années 75-80 se didactise : impliquant une concep­tualisation/description des contenus, elle met l'accent sur les usages sociaux, individuels de l'écrit, en relation avec l'oral et l'image, usages qu'il s'agit à la fois de pratiquer et d'observer.

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LECTURE I ÉCRITURE

La mise en cohérence des apprentissages est l'un des deux principes de la problématique des cycles dans Les cycles à l'école primaire (désormais CEP, 1991) : continuité et cohérence des apprentissages (p. 12). Dans la mesure où nos recherches des années 1970-1980 en amont et en aval du Plan de Rénovation (désormais PR, 1971) sont l'une des sources probables de cette problématique, il a paru intéressant de remonter précisément à ces sources. Ont-elles un intérêt purement historique ? Quel peut être l'apport potentiel de la problématique du « cycle des apprentissages premiers de la lecture/écriture » (Section des Grands - Cours Préparatoire - Cours Élémentaire lre Année) telle que nous l'avons mise en œuvre et conceptuali­sée, à la réflexion sur la problématique de CEP (1991) ? Notre propos sera limité au problème - complexe - de la cohérence pédagogique, didactique, s'agissant de renseignement/apprentissage de la langue écrite au cycle 2.

Notons cependant d'entrée de jeu que CEP (1991) envisage la cohérence essentiellement du point de vue de l'organisation pédagogique de l'école : le projet d'école, le conseil des maîtres du cycle, les instruments d'évaluation, le livret scolaire (pp. 18-20). En ce qui concerne le « cycle 2 » dit des « apprentissages fondamentaux », sa cohérence tient au fait qu'il assure une « fonction essentielle » de « structuration des apprentissages fondamentaux et instrumentaux » privilégiant « lecture, production d'écrits et calcul » (p. 27). Notre point de vue est différent, compte tenu de l'objet des recherches évoquées. Nous voudrions traiter ici d'un principe de cohérence, décisif selon nous à l'école primaire : la conception de la maîtrise de la langue qui structure les contenus, la démarche d'enseignement/apprentis­sage en Français, mais « traverse » sans doute aussi toutes les activités sco­laires, comme le souligne CEP.

Ceci dit, la problématique de nos recherches a évolué entre 1970 et 1980, d'une centration pédagogique à une centration didactique, évolution signifi­cative de la manière dont s'est constitué le champ didactique en Français, du moins en ce qui concerne l'école primaire. Mais la double perspective a tou­jours, en fait, été présente, et c'est toujours le cas, comme en témoignent les articles de Maurice Mas, Gilbert Ducancel & Suzanne Djebbour, Éveline Charmeux, André Séguy dans ce même numéro, qui portent eux, sur nos recherches des années 1980.

1. UNE PROBLÉMATIQUE PÉDAGOGIQUE D'APPROPRIATION ACTIVE DU CODE DE LA LANGUE ÉCRITE (années 1970)

Les apprentissages premiers de la lecture/écriture en SG, CP, CEI se situent, dans PR (1971) en rupture avec les conceptions et les pratiques de l'époque qui ciblent essentiellement des méthodes de lecture basées sur le

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Maîtrise de la langue et cohérence pédagogique, didactique

déchifrrage. Pratiquement rien sur la production d'écrits. Hors du manuel et d'une progression linéaire pré-établie, point de salut. On présuppose qu'il faut savoir lire à Pâques, voire à Noël l'année du CP, faute de quoi on est en retard. Les recherches expérimentales en milieu scolaire de ces années-là se situent implicitement dans ce cadre et ne peuvent guère fonder qu'une psy­chologie appliquée dans le cadre d'un manuel de plus (Inizan, 1963). La problématique PR, elle, cible la maîtrise de la langue écrite dans sa double dimension (lire/écrire) en tant qu'ensemble cohérent de capacités pluri­dimensionnelles à construire dans la durée, et à inscrire dans l'ensemble des activités de Français.

1.1. Principes de cohérence pédagogique des activités de Français

D'entrée de jeu, PR pose comme première l'exigence de cohérence des activités de Français en réaction contre les Instructions Officielles de 1923, 1938, à la fois obsolètes et divergentes, et contre le morcellement tradition­nel des leçons/exercices de lecture, écriture, récitation, vocabulaire, gram­maire, orthographe, elocution, rédaction (sic). La mise en cohérence de la démarche, des contenus d'enseignement/apprentissage posée comme une nécessité d'ordre social (réduire l'échec scolaire imputable à une insuffi­sante maîtrise de la langue) est opérée par référence conjointe à l'expérience des maîtres, des formateurs, et à des principes théoriques dérivés de courants forts de la linguistique, de la psychologie. Démarche et contenus se structu­rent à partir de plusieurs notions-clés qui, aujourd'hui encore, dans leur prin­cipe, seraient de nature à donner un contenu efficient à l'objectif de maîtrise de la langue affiché par CEP (1991), moyennant bien sûr une actualisation théorique.

La notion centrale, organisatrice de la démarche, est celle d'activités, de situations de communication fonctionnelles, à la jonction du modèle des fonctions du langage de Jakobson (1963), de la linguistique « fonction­nelle » de Martinet (1968), et du courant fonctionnaliste en psychologie. Cette notion marque un changement du centre de gravité de l'enseignement du Français par rapport à une centration exclusive sur les écrits et non sur l'activité qui permet de les lire ou de les produire. Nous citerons à ce propos Pierre Oléron (1966) dans un numéro du Bulletin de Psychologie particuliè­rement éclairant, « Aspects du langage » : « Ce qui intéresse le psychologue, écrit P. Oléron (1966, pp. 434-435), ce n'est pas le produit, (à la différence du linguiste) et surtout un produit détaché de l'activité, mais l'activité elle-même ». Il souligne l'intérêt d'études sur « les fonctions remplies par les activités verbales (...) (en tant) qu'elles concernent le comportement d'un organisme appréhendé dans son ensemble et dans le cadre concret de ses actions et interactions avec autrui ». D'où l'importance de la communica­tion, où « parole pour soi » et « parole pour l'autre » sont indissociables, où

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le langage est conçu comme pluriel, selon des dimensions sociales, cogni-tives et comme mode d'action. Il faudra des années pour que nous tirions toutes les conséquences de cette position : l'un des problèmes constitutifs de la didactique du Français est sans doute qu'elle s'intéresse à la fois au pro­duit et à l'activité et que toute activité, tout objet langagier réfèrent à des pratiques sociales données. C'est le développement de la socio et de la psy­cholinguistique qui permettra, dans la décennie suivante, de commencer à « traiter » didactiquement cette complexité.

Une autre notion-clé organisatrice de la démarche PR (« libération de la parole/structuration de la langue ») est l'opposition paroleAangue (Saussure, 1949) à laquelle fait écho l'opposition performance/compétence (Chomsky, 1969). Nous en retenons une conception duelle de la maîtrise de la langue, ciblant à la fois la diversité des réalisations de la parole dans des situations concrètes de communication et le système qui rend compte de la structure du matériau linguistique par lequel la langue signifie. Dans un cas, les cri­tères de maîtrise sont dans l'ordre de l'acceptabilité, de l'adaptation à la fonction dominante de la situation ; dans l'autre, ils sont dans l'ordre de la connaissance, de la grammaticalité des énoncés. Dans un cas, les enfants ont à intégrer des normes qui admettent des espaces de liberté ; dans l'autre, ils ont à intégrer la norme linguistique qui est la condition de l'exercice de cette liberté : « Si toute langue est à la fois contrainte et liberté, la liberté de lan­gage de l'enfant est d'autant plus grande qu'il domine mieux la langue qui en est le moyen » (PR, p. 12).

La conception générale de l'apprentissage, résolument constructiviste, réfère à une « construction continue et dynamique de structures d'ensemble, construction liée étroitement à l'activité créatrice de l'enfant, et fondée sur des intérêts, des besoins profonds, individuels ou collectifs » (PR, p. 3). C'est pourquoi les points d'ancrage des apprentissages ne sont pas des textes d'auteur ou des textes de manuels, modèles inaccessibles du bon usage, mais l'activité langagière socialisée/personnalisée des enfants (Piaget, 1969 ; Wallon, 1941) et ses produits sur lesquels portera l'observation des fonction­nements réels de la langue. La construction des savoir-faire, des savoirs, procède donc d'une démarche ternaire qui articule des approches globales dans et par le faire (des connaissances en actes, dit Gérard Vergnaud), des investigations analytiques et des synthèses progressives (Galifret-Granjeon, 1966, pp. 466-474). Cette construction s'opère selon deux principes : un principe d'analyse qui implique des opérations de segmentation, différencia­tion/analogie, classement/catégorisation (Jakobson, 1963 ; Martinet, 1968) ; un principe de « manipulations syntaxiques » dérivé de Chomsky (1969).

C'est la mise en relation de ces notions qui fonde la démarche, les conte­nus d'enseignement/apprentissage définis par PR (1971) à la fois sur des situations de communication fonctionnelles diversifiées et sur des situations d'analyse des structures et des fonctionnements de la langue. On postule que

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Maîtrise de la langue et cohérence pédagogique, didactique

l'articulation de ces deux types de situations devrait donner du sens à l'ana­lyse de la langue, celle-ci accroissant en retour, par transfert, les compé­tences communicatives (postulat affiché également par CEP, 1991, p. 47). Cette articulation, problématique, est conçue dans la durée d'une construc­tion progressive, cohérente d'apprentissages interactifs. D'où l'idée d'un cycle des apprentissages premiers de la lecture/écriture, rendant possible l'appropriation par déjeunes enfants d'activités et d'objets langagiers com­plexes.

1.2. La « découverte progressive du code de la langue écrite sur 3 ans de la SG de l'école maternelle au CE1 » (PR, 1971, p. 18)

Inscrite dans le cadre d'ensemble qui vient d'être évoqué, la démarche pédagogique d'appropriation de la langue écrite répond à des caractéris­tiques spécifiques dont le point d'ancrage est un modèle de compétence qui renvoie à des travaux de psychologie sur la perception, la compréhension du langage et l'intelligence de la langue et un modèle d'apprentissage qui inclut l'affectif, le perceptif et le symbolique dans une dynamique interactive.

Nous nous référerons pour traiter ce point à des documents non publiés, communs aux équipes INRP d'école maternelle et élémentaire des années 1970 convaincues de la nécessité de « réduire le cloisonnement artificiel entre la S.G. et le C.P. » (Romian & Laurent-Delchet, 1970), dans la mesure où ils explicitent les sources théoriques de PR (1971). L'idée première du cycle est là. Le rôle décisif de l'échec en lecture au CP dans les processus d'échec scolaire étant connu (Chiland, 1970), ces équipes postulent qu'un cycle de 3 ans englobant le CP devrait permettre de réduire l'échec. On constate en effet que le fait de fixer une date imperative pour la fin des apprentissages perturbe les élèves, dont beaucoup n'atteignent à une maî­trise suffisante de la lecture/écriture qu'en fin de CEI (PR, 1971, p. 25, exclu dans la version officielle de PR, « Recherches Pédagogiques », 1971).

Par ailleurs, l'accès à la lecture/écriture représente pour l'enfant une véri­table mutation dans la mesure où il s'approprie un « nouvel objet rela­tionnel » (Mucchielli, 1970) grâce auquel il entre dans de nouveaux modes de communication, de structuration, un nouveau rapport au langage et au monde qui l'entoure. Cette mutation implique à la fois un changement quali­tatif des savoirs et une prise en compte des acquis. Ainsi J. Beaudichon (1970), faisant le point sur les données concernant l'activité perceptive, explicite ce concept comme une « restructuration de l'acquis face à de nou­veaux stimuli où l'expérience du sujet joue un rôle tout aussi important que celui des caractéristiques de l'objet à percevoir ». D'où l'incitation forte de PR (1971) à prendre appui, tout au long du cycle, sur les systèmes de réfé-

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rence dont disposent les enfants et les méthodes d'enseignement dîi maître de la classe précédente pour renforcer les acquis et les faire progresser. Cette idée sera posée par CEP (1991) comme principe pédagogique général. Notons ici une fois pour toutes l'influence déterminante des travaux sur la perception dont les principes sont transposés non seulement à la lecture mais aussi à la production d'écrits : c'est discutable et historiquement daté.

Au plan de la démarche, des contenus d'enseignement/apprentissage, PR (1971) est organisé selon trois notions en relation d'interaction : vouloir/ pouvoir/savoir lire/écrire (Galifret-Granjeon, 1966, p. 466). Cette option épistémologique, qui inclut l'affectif, le perceptif et le symbolique dans l'unité dynamique d'un processus de socialisation/personnalisation où le langage joue un rôle déterminant, paraît particulièrement heuristique dans la mesure où elle situe les problèmes hors de la polémique stérilisante sur les méthodes de lecture. On est là en rupture par rapport à la théorie pédago­gique dominante dans les années 1970, qui réfère à un montage de méca­nismes d'associations Signe-Son-Sens.

La notion de vouloir lire/écrire se rattache à celle d'activités fonction­nelles de communication, orales, écrites, et gestuelles, graphiques, en rela­tion avec la fonction symbolique (Wallon, 1942 ; Piaget, 1945 & 1966). Lire/produire des messages en classe devrait répondre à une « motivation », c'est-à-dire à des besoins d'ordre cognitif ou affectif où le désir, le plaisir ont leur place. D'où l'importance donnée au choix des textes à lire/produire, dont la littérature enfantine, qui n'a pas encore droit de cité à l'école dans ces années-là, parce que seuls les auteurs institués (par les manuels...) en sont jugés dignes.

La notion de pouvoir lire/écrire, qui s'inscrit contre le courant des années 1970 selon lequel la motivation suffirait à tout, tend à souligner la com­plexité pluri-dimensionnelle des capacités d'ordre linguistique, psycholo­gique mises en jeu par la lecture/écriture, l'inégal développement de ces capacités à un moment donné et la maturation nécessaire d'apprentissages longs qu'on ne peut réduire à 3 ou 6 mois de CP sans nuire à leur solidité. La justification majeure du cycle se trouve là. D'où la mise en garde contre des apprentissages systématiques trop précoces ou trop rapides.

Mais ce n'est pas là une position attentiste. PR (1971) pose en principe la nécessaire gestion pédagogique de l'hétérogénéité des itinéraires d'appren­tissage des enfants (thème important dans CEP, 1991). Deux principes gui­dent cette gestion : le suivi individuel des enfants, si possible avec la contri­bution d'un psychologue, ou du médecin le cas échéant, en vue d'une intervention pédagogique adaptée aux difficultés de chacun ; une organisa­tion « stimulante » du travail de la classe, en groupes mobiles, hétérogènes, diversifiés selon des tâches finalisées qui donnent sens aux apprentissages qu'elles appellent, en tablant au maximum sur la médiation des groupes de

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pairs dans ces apprentissages ( Piaget, 1969 ; Chiland, 1970). En somme une pédagogie basée sur une interaction socialisation/ individualisation des apprentissages. PR (1971) exclut donc explicitement le redoublement et l'organisation de la classe en groupes de niveaux stables établis sur la base de tests prédictifs ou de bilans ponctuels, contestables dans leur principe même, d'un point de vue psychologique. Comme d'autres, nos équipes ont tenté cette formule et constaté les effets pervers d'attentes négatives sur les comportements des enfants. Exclus dans la version officielle de PR, ces principes se retrouvent dans CEP (1991), encore que l'accent y soit mis sur­tout sur l'individualisation.

Les aspects du pouvoir lire/écrire mis en évidence par PR (1971) sont respectivement : « l'entraînement psycho-moteur », « l'exercice de la fonc­tion symbolique », « l'exercice de la langue parlée ». Ce modèle de compé­tence renvoie aux travaux de psychologie sur la perception visuelle et l'éla­boration de rapports spatiaux, la perception auditive et l'élaboration de rapports temporels, la compréhension du langage et l'intelligence de la langue (Galifret-Granjeon, 1966, p. 469). Il permet d'intégrer les apports de travaux ponctuels, cloisonnés dans un cadre théorique qui met en évidence un processus diversifié mais cohérent de construction des savoirs. Ainsi, s'agissant de perception, Bresson (1958, pp. 156-184 et 186-202), Bruner (1958, pp. 1-44) montrent que celle-ci relève d'une stratégie d'exploration qui procède par prélèvement(s) d'indices puis inférence(s) d'une hypothèse de signification, vérification(s). « Percevoir, c'est apporter une signification à, plutôt que tirer une connaissance de » (PR, 1971, d'après Galifret-Granjeon, 1966, p. 470). C'est opérer des inferences à caractère probabiliste (Bresson, 1958) en fonction d'un modèle perceptif qui permet d'associer les indices prélevés à des catégories données au moindre coût (Bruner, 1958 ; Piaget, 1961). Plus le modèle intégré par le sujet est opérant, plus le prélève­ment d'indices est rapide, économique. C'est pourquoi la perception de l'écrit est liée à l'intelligence de la langue en général, et celle de la combina-toire oral/écrit en particulier. L'activité de production d'écrits est définie en miroir par rapport à cette conception de la lecture. Faut-il préciser que ces idées, dans les années 1970, n'avaient pas encore pénétré le monde de l'école et que les recherches sur la production d'écrits sont, pour l'essentiel, à venir ?

n importe qu'il s'agisse bien d'intelligence de la langue, et non de caté­gories pré-établies inculquées par le manuel, le maître. Les catégories d'ana­lyse de la langue ne peuvent faire sens pour les enfants que s'ils les ont construites eux-mêmes, avec l'aide du maître. Ce principe (PR, 1971) ren­voie à la fois à la psychologie (Wallon, 1942 ; Beaudichon, 1970) et à la phonologie (Jakobson, 1963 ; Martinet, 1968) : de la pratique expériencielle globale, indifférenciée de la langue à la discrimination de ses composantes, par identification/différenciation (« c'est pareil, pas pareil que..., je le vois à... »), repérage de « paires » (haut/bas...), d'oppositions pertinentes pour la

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communication [kar]/[gar], puis classement (« on peut mettre ça avec ça. ») et catégorisation progressive (consonnes sourdes/sonores...), jusqu'à consti­tution de modèles d'intelligibilité (ex : le système phonologique, la combi-natoire oral/écrit...) qui sont à construire par les apprentissages.

Le savoir lire/écrire relève de l'ensemble des principes explicités ci-dessus. Faire pour comprendre et comprendre pour savoir faire, selon un principe piagétien. L'essentiel, selon PR (1971), (sous entendu, hors des querelles de méthode), c'est que le maître s'attache à « favoriser une relation dynamique entre les trois pôles de l'apprentissage » : la recherche (ou la construction) active de la signification qui est première, la « découverte » (on dirait aujourd'hui la construction) de la combinatoire oral/écrit par ana­lyse/synthèse, l'utilisation fonctionnelle de cette combinatoire (terme exclu de la version officielle de PR, de même que les exigences de formation des maîtres en linguistique et psychologie hors desquelles le cycle ne peut faire sens pour eux).

Dans PR, comme on a pu le constater, les principes organisateurs de renseignement/apprentissage de la lecture/écriture sont dominés par une problématique pédagogique où s'inscrivent les contenus. Il s'agit avant tout de mettre en œuvre dans des classes des processus de changement suscep­tibles d'induire une rupture significative avec 1'inculcation du déchiffrage selon la progression pré-établie du manuel utilisé par le maître et de faire entrer les élèves dans un processus cohérent d'apprentissage où ils auront à pratiquer/observer la langue écrite. Cette démarche a pour corollaire didac­tique des contenus d'enseignement de l'activité de lecture/écriture, référés à des notions-clés construites au carrefour de la psychologie et de la linguis­tique, notamment la notion pluri-dimensionnelle de « fonctions » ou l'oppo­sition « signification »/« combinatoire ». Le caractère toujours heuristique des positions adoptées, quant à leur principe, tient probablement à ces carac­téristiques par lesquelles les recherches échappent relativement aux dérives de la linguistique appliquée, dominantes dans ces années-là. Les limites sont celles-mêmes de l'état des connaissances et des pratiques de « recherche pédagogique » encore très tâtonnantes. À l'évidence, les referents théoriques de cette conception de la cohérence pédagogique sont historiquement datés.

2. OÙ LA PROBLÉMATIQUE SE DIDACTISE : LectureS/ÉcritureS (années 1975-80)

Cinq ans après, les recherches innovantes des années 70 autour de PR (1971) ont donné lieu d'une part à une évaluation qui montre entre autres l'importance de la cohérence des objectifs, des pratiques d'enseignement comme facteur de meilleure réussite des élèves (Romian & coll., 1983), et

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d'autre part à des recherches focalisées sur des aspects jugés particulière­ment problématiques : l'oral (Brunner, Kerloc'h & Fabre, 1985), l'approche poétique de la langue (Sublet & coll., 1982), les fonctions de l'écrit dans les activités d'éveil scientifique (Ducancel dir., 1980), l'analyse de la langue, activité d'éveil scientifique (Nique dir., 1979), et les « apprentissages « pre­miers » de la lecture/écriture en S.G. - C.P - CE. 1 qui sont ici notre propos. La conception de la maîtrise de la langue se complexifie et le travail didac­tique sur les contenus d'enseignement devient premier, en relation avec une problématique pédagogique formulée en termes de démarche d'éveil à la langue. Dans ces années 1975-80, il est à noter que le terme « pédagogie » seul en usage (« didactique » n'apparaîtra que dans les années 1980) peut recouvrir en fait une problématique didactique en émergence. Le cas échéant, nous l'indiquerons entre parenthèses.

Nous ferons ici trois remarques liminaires. Les recherches évoquées constituent une unité cohérente au sens fonctionnel du terme, et s'interpéné­trent. On notera également que certaines publications sont nettement posté­rieures aux recherches : des financements irréguliers, puis l'arrêt des recherches pendant deux ans auront eu pour effet de les freiner puis de les bloquer, tout comme les publications qu'elles ont produites. Enfin, et les exemples de classe cités en témoignent, aucune équipe n'ayant pu réaliser le cycle en raison de cloisonnements institutionnels redhibitoires, la recherche se focalise sur la cohérence didactique, pédagogique sans pouvoir réelle­ment travailler la continuité des apprentissages dans le cadre du cycle.

2.1. Vers une différenciation (didactique) des pédagogies de la lecture/écriture au C.P.

Les recherches des années 1975-80 sont centrées respectivement sur l'approfondissement de certaines pistes innovantes ouvertes par PR (1971) et sur la description des pratiques des maîtres dont on cherche à étudier la variation. Leur dénominateur commun est le concept de variables dites pédagogiques (didactiques). Nous entendons par là des principes dont la mise en œuvre en classe a des effets différenciateurs sur les comportements langagiers et métalinguistiques des élèves, en relation avec ceux de leurs maîtres. Compte tenu de nos recherches antérieures, nous posons que ces variables ne sont pas à chercher dans des caractéristiques ponctuelles, de surface, des situations d'enseignement, mais dans les concepts, les principes organisateurs des contenus, de la démarche d'enseignement/apprentissage qui permettent de comprendre la logique des activités et situations de classe, leur signification pédagogique (didactique).

L'enjeu de la question est, bien entendu, scientifique. Mais il est aussi social. En effet, l'étude de la conjoncture scientifique montre le rôle de

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l'échec en lecture dans les processus d'échec scolaire (Chiland, 1971 ; Zazzo, 1978) sans fournir pour autant de réponses pédagogiques suffisantes au problème posé. Significativement, la revue de questions d'E. Malmsquist (1973) n'évoque les facteurs pédagogiques que d'une manière globale. Des psychologues s'intéressent cependant aux facteurs pédagogiques de la réus­site en lecture, récusant la pathologisation des problèmes, mais leur perspec­tive reste psycho-pédagogique (Diatkine, 1972, p. 47 ; Inizan, 1972, pp. 103-114). Par ailleurs les évaluations de diverses méthodes de lecture donnent des résultats peu concluants ou contradictoires. Nous posons que ces résultats pourraient s'expliquer par le fait qu'il s'agit de variantes d'un même style pédagogique (didactique) ou de styles effectivement différents non identifiés en l'absence d'une conceptualisation des contenus d'ensei­gnement. Ce qui est sûr, c'est que la variable pédagogique : « pédagogie rénovée ou non », dans ces recherches sur la lecture reste indéterminée et ne renvoie qu'à une appréciation globale subjective. Notre analyse de ces années 1975 sera confirmée plus tard par une revue de questions concernant les recherches américaines (Gagné, 1985).

C'est pourquoi, dans le cadre de l'évaluation évoquée plus haut, nous avons défini neuf variables dites pédagogiques (didactiques). Selon nos observations, les plus difïérenciatrices des pratiques des maîtres et des per­formances des élèves (à nos épreuves) sont d'une part, les referents théo­riques des objectifs, des pratiques de classe : référence à des fondements lin­guistiques des activités de classe/à la norme, d'autre part la nature (didactique) des activités de communication orale, écrite : activités diversi­fiées selon des fonctions du langage données/focalisées sur la fonction réfé-rentielle du langage. Ces variables renvoient nettement à des conceptions opposées de la maîtrise de la langue et partant, de la cohérence didactique.

Cette notion de cohérence est au cœur des recherches des années 1975-80 sur les apprentissages de la lecture/écriture au C. P. Elle implique des choix quant aux contenus, à la démarche d'enseignement/apprentissage, choix rationalisés par rapport à des variables explicitées, dans le cadre d'un « schéma théorique » (didactique) (Romian, 1978, pp. 126-172) dont l'éla­boration procède à la fois d'une focalisation de la recherche-innovation glo­bale entreprise autour de PR et d'une recherche descriptive.

2.2. Mise en œuvre dans des classes et théorisation du « style PR » : LectureS/ÉcritureS en S.G. - C.P. - C.E.1

Ce titre, prémédité (Romian & coll., 1982), de l'un des ouvrages collec­tifs qui présentent la synthèse théorisée des essais d'innovation réalisés dans des classes dans les années 1975-80, est représentatif d'une conception de la

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maîtrise de la langue écrite qui met l'accent sur la pluralité de ses compo­santes et des activités qui la mettent en jeu. C'est par là-même, dans le droit fil de PR (1971), prendre position contre toute réduction de cette maîtrise à l'une des composantes (la combinatoire hier ou la conscience dite phonolo­gique aujourd'hui).

Les recherches-innovation des années 1975-80 évoquées plus haut convergent vers la définition d'un « style PR » d'appropriation des activités de lecture/écriture qui se différencie à la fois de l'apprentissage traditionnel de mécanismes associatifs « Signes-Sons-Sens » censés conduire à la lec­ture, et d'un apprentissage rénové de techniques d'écriture, de lecture par tâtonnement expérimental. Il s'agit (Romian, 1981, p. 8) d'objectifs exi­geants qui visent « l'appropriation de l'ensemble des usages sociaux et indi­viduels de la langue écrite en tant que mode de communication, et d'un « éveil » à la langue en tant qu'aspect de l'environnement. C'est dire que l'apprentissage de la lecture se trouve en relation avec l'apprentissage de l'écriture (au sens large, orthographe comprise) et que l'apprentissage de la langue écrite s'enracine d'une part dans le vécu linguistique des enfants - et ce vécu procède essentiellement d'une pratique orale, et secondairement d'une imprégnation visuelle (l'écrit est présent partout dans notre vie) - et d'autre part de leur vécu sémiotique, c'est-à-dire de l'expérience qu'ils ont de divers modes de communication, notamment les albums illustrés, les bandes dessinées, la télévision, l'affiche, etc. ». La conception de la maîtrise de la langue s'est didactisée par rapport à PR (1971), autour des notions d'usages de l'écrit et d'éveil à la langue travaillées par les recherches évo­quées au début de ce point 2.

2.2.1. Le temps et ¡es moyens d'enseigner/apprendre

Le cadrage pédagogique de PR (1971) n'est pas abandonné : on l'actua­lise en fonction des questions vives du moment, on le finalise.

Les objectifs posés supposent deux conditions. La première est « le temps et les moyens de vivre les apprentissages premiers » sur 3 ans, thème des années 70, mais aussi le « droit à l'erreur », le « droit de trouver son plaisir » dans l'apprentissage. E. Charmeux (1985, p. 17) y insiste : « ces trois années permettent non pas d'avancer plus lentement, mais d'aller plus loin, mieux », de manière à ce que chaque enfant « puisse s'approprier la totalité des éléments du savoir lire/écrire ». Le problème n'est pas dans un « rythme » d'apprentissage qui serait propre à chaque enfant - notion contestable (Plaisance, 1977, pp. 17-18) - et pas davantage dans des constats psychologiques nécessairement ponctuels, circonstanciels, sur les­quels il serait dangereux de fonder une organisation de la classe en « niveaux », mais dans des contenus, une démarche d'enseignement qui

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soient susceptibles de stimuler les apprentissages de chaque enfant. << Ce qui importe pour tout enfant, dit E. Charmeux qui évoque ces questions toujours vives encore aujourd'hui, c'est d'arriver bien, non d'arriver vite ». CEP (1991) reprendra l'essentiel de cette position, qui ne fait que concrétiser le discours de PR (1971).

La seconde condition permettant de réaliser des objectifs exigeants touche à la finalisation des apprentissages. Le cycle ne prend tout son sens que s'il procède « d'une « (re)mise en question(s) des problèmes fondamen­taux « dont la querelle des méthodes a occulté la forêt : « quel citoyen, quel homme ? (...) quelle politique de la langue ? (...) quels rôles de (...) l'école ? quelle langue ?(...) quels apprentissages ? » (Romian, 1981, p. 9). C'est dire que la mise en place d'apprentissages cohérents, efficients, dépasse largement des questions de techniques de lecture et renvoie d'abord aux finalités éducatives Elle renvoie non moins à la conceptualisation des contenus d'enseignement qui est sans doute l'apport essentiel des recherches de ces années-là à la didactique de la langue écrite (Romian, 1976, pp. 16-33).

2.2.2. Construction de la notion (didactique) de fonctions langagières de l'écrit

La problématique s'enrichit de la notion pédagogique didactisée de pro­jets diversifiés par lesquels les apprentissages peuvent faire sens pour les enfants. La vie de la classe s'organise sur la base de « projets d'activités » collectives, individuelles, induisant des projets de lectures et de production d'écrits (Agniel, Houdebine & Romian, 1981, pp. 131-154). L'écrit lu/pro­duit se vit comme un vecteur d'échanges à distance, en différé, et un indis­pensable aide-mémoire, un planificateur du travail de la classe et des tâches des groupes, un outil de synthèse irremplaçable, mais aussi l'inducteur des jeux poétiques de « l'album drôle des œufs », ou des « aventures d'une petite bulle rouge », ou des fictions débridées des « histoires d'ogre ». La lecture/écriture a aussi sa place dans le quotidien de l'emploi du temps, de la cantine, de la bibliothèque, des outils de travail, des ateliers, des fiches d'évaluation individuelle... comme dans l'imprévu avec un poème manus­crit de Prévert trouvé par une élève dans le journal local à l'occasion de sa mort.

On a pu rencontrer des écrits différenciés à lire/produire dans des situa­tions fonctionnelles, en relation avec des fonctions identifiables par les élèves de l'écrit, de l'activité de lecture, de production d'écrits (Romian & coll., 1985, voir le double sommaire de l'ouvrage). Ce sont les situations de travail en projet qui permettent de contextualiser l'écrit selon des usages « expressifs, scientifiques ou poétiques », et par là de repérer/construire pour

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le lecteur des indices divers, de formuler/induire des hypothèses de signifi­cation, d'en vérifier l'efficience en fonction des attentes/intentions qui gui­dent l'activité. On a pu ainsi pratiquer par exemple des lectures fonction­nelles différenciées : en lecture approfondie ou rapide, pour soi ou pour d'autres à haute voix. On a pu pratiquer des « écritures » différenciées (on ne parle pas encore de types d'écrits mais...) : prise de notes, légendes de dessins ou de schémas, affiche, album illustré...

Ainsi peut se construire progressivement la notion de fonctions langa­gières de l'écrit, principe central de cohérence didactique du point de vue de la maîtrise de la langue.

Z2.3. Oral/Écrit/lmage

L'inscription de l'apprentissage des usages sociaux et individuels de l'écrit dans l'expérience langagière orale et l'expérience sémiotique des enfants élargit la perspective fonctionnelle aux modalités de la communica­tion sociale où le langage oral, écrit joue un rôle déterminant comme mode de communication et de représentation. Cette conception se situe en rupture affichée avec les conceptions, répandues à l'époque, de « préalables », de « pré-requis ». Elle postule des « apprentissages fondamentaux » différen­ciés, interactifs, de diverses modalités de la fonction symbolique, posée dès les années 70 comme le dénominateur commun des activités de construction des significations. Les recherches des années 75-80 tendent à expliciter les voies didactiques de ces interactions dans une perspective de maîtrise de la langue (Nique, 1985, pp. 105 et suiv.).

Le travail sur l'oral est conçu pour l'oral d'abord mais aussi comme un travail en langue. On ne postule plus un « passage de l'oral à l'écrit » comme dans PR (1971) mais un « transfert » de compétences langagières, métalinguistiques. Ainsi on s'intéresse tout particulièrement aux situations d'oral qui répondent à l'une des propriétés des situations d'écrit : les usages de la langue « à distance » (téléphone...) ou en « différé » (enregistre­ments...) ou qui appellent l'explicitation (jeu du portrait...). La recherche la plus approfondie a porté sur des activités d'objectivation contrastive des fonctionnements de l'oral, de l'écrit selon des principes méthodologiques dérivés de la phonologie (Agniel, Houdebine, 1981, pp. 154-179 et 1985, pp. 152-158). Il s'agit de faire construire une effective conscience phonolo­gique (rien à voir avec ce que recouvre ce terme abusivement dans la plupart des recherches en psychologie de la lecture actuellement). Cela suppose une sensibilisation des enfants aux notions de « chaîne orale »/« chaîne écrite » comme ensembles signifiants d'éléments ordonnés dans une énonciation. Si l'écrit représente un oral potentiel, il n'y a pas de correspondance simple, terme à terme, entre lettres et sons mais des relations élucidables. (Ferreiro,

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1979, p. 76 ; Catach, 1978). Cette elucidation procède d'opérations de seg­mentation/commutation/catégorisation dont PR (1971) avait posé le prin­cipe, et qui s'avèrent faisables. Ainsi les enfants repèrent des « paires mini­males » (type chat/chou), discriminent des « traits pertinents » pour la communication (« pour Ikl ça bouge pas dans la gorge mais pour Igl oui ») et classent des sons ou des lettres « qui vont ensemble ». Ainsi peut s'amor­cer l'idée des contraintes de l'écrit, de la convention orthographique oppo­sée aux variations de l'oral (« alors on n'écrit pas comme on parle ? »).

Ainsi peut se construire progressivement, et il y faut bien 3 ans, la com-binatoire des relations graphèmes/phonèmes à partir des « corpus » consti­tués par la classe, de ses questions, de ses observations. À noter : le métalan-gage de la classe n'a recours à la métalangue que lorsque celle-ci est devenue nécessaire (principe de PR, 1971) : « y'a des lettres en plus », puis « oui comme dans : des poules, des coqs, des lapins, y'a toujours s avec des », et plus tard : « c'est un pluriel, y'a s ». Cet « éveil à la langue » relève donc d'une conception exigeante de sa maîtrise : partant de l'expérience lan­gagière des enfants, qu'il s'agit d'abord d'étendre, de diversifier, de structu­rer, on les fait entrer progressivement dans des processus d'analyse des usages sociaux du langage et des fonctionnements linguistiques. Ainsi la maîtrise en actes de la parole sociale, de la parole propre est posée à la fois comme source et résultante de la maîtrise en connaissance des fonctionne­ments de la langue. On ne peut que constater que cette recherche sur l'arti­culation oral/ écrit est restée sans lendemain alors qu'il s'agit d'un problème didactique important au cycle 2, en particulier.

Quoi qu'il en soit, le travail sur la différenciation et les relations oral/ écrit ne prend tout son sens qu'inscrit dans l'ensemble des modes de com­munication, de représentation. Notons à ce propos que les bases théoriques restent en gros les mêmes que celles de PR (1971) faute d'un modèle inté­grateur qui sera rencontré plus tard : la théorie du langage de Vygotsky. Là encore, les recherches des années 1975-80 tendent à vérifier la faisabilité d'un point très prospectif (sur lequel des recherches en didactique restent aujourd'hui encore nécessaires). « Un des premiers problèmes que l'enfant se pose, concerne la nature symbolique de cet objet (l'écrit) et les diffé­rences entre deux modes de représentation graphique ; le dessin (ou l'image) et l'écriture (ou le texte écrit) » (Ferreiro, 1979, p. 75). Toutes les situations de classe décrites dans nos publications de l'époque (Romian & coll., 1981 ; Romian & coll., 1985), appellent à la fois des échanges oraux, («faut qu'on discute pour se mettre d'accord »...), des représentations graphiques et des écrits de toutes natures (dessins cotés et légendes de la « maison des poules » en chantier, production d'albums illustrés inspirés de livres de litté­rature enfantine...). L'« éveil à l'environnement » fait sa place aux faits lan­gagiers (enseignes de magasin, noms de rues, panneaux de signalisation, affiches...). Une même démarche se retrouve dans toutes ces activités :

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« Agir/ Représenter/ Communiquer », qui impliquent le repérage ou là pro­duction d'indices, leur mise en relation, la vérification de l'efficience de la signification construite par l'activité de lecture ou d'écriture (Ducancel, 1985, pp. 158-172). Comme on peut le voir, la perspective reste psychosé-miotique, les dimensions sémiolinguistiques des faits langagiers ne sont qu'entrevues : une recherche ultérieure permettra de premières explorations (Yziquel, 1989).

La conception (didactique) de la maîtrise de la langue qui structure les contenus d'enseignement, dans ces années 1975-80, esquisse en quelque sorte des directions de recherche prospectives. L'écrit y apparaît comme un « objet culturel complexe apte à remplir des fonctions sociales diverses » en même temps qu'« un objet à connaître avec ses propres lois de composi­tion ». Dès 4 ans, l'enfant peut accéder à cette double perspective constitu­tive du langage (Ferreiro, 1979, p. 74) C'est par là-même se situer bien au-delà de techniques de lecture à inculquer le plus vite possible : on est au cœur du rôle de l'école en matière de politique de la langue, comme agent de différenciation/homogénéisation des usages individuels, sociaux, cultu­rels de la langue orale, écrite (Houdebine, 1979, pp. 106-108). Ce thème sera repris plus tard à partir des concepts de « variation des pratiques langa­gières/code commun aux locuteurs d'une langue » (Romian, Marcellesi & Treignier, 1985). Lieu de pratiques sémiotiques, langagières plurielles, la classe travaille à la fois la construction de la signification de messages com­plexes à lire, écrire, contextualisés dans des pratiques culturelles données, et la construction de savoirs progressivement explicités, décontextualisés sur les fonctionnements de ces messages. Elle ne peut pas ne pas rencontrer la question des relations, à construire, entre compétences langagières orales, écrites, et compétences sémiotiques en général, en tant qu'elle est constitu­tive d'une conception didactique efficiente de la maîtrise de la langue. Reprise dans les années 1980, cette question (que CEP, 1991 ne pose pas) reste largement ouverte.

2.3. Conceptualisation des pratiques d'enseignement/apprentissage de la lecture/écriture au CP

C'est là une dimension constitutive de la didactique. Elle émerge dans nos recherches de ces années 1975-80 comme exigence de conceptualisation d'un champ dont on se propose de décrire les pratiques du point de vue de la cohérence des contenus, des démarches d'enseignement/ apprentissage qui les structurent. On a vu plus haut (2.1.) que cette option méthodologique découle d'une critique de l'état de la question. Le modèle d'analyse construit est significatif d'une voie de « didactisation » de la problématique des apprentissages de la lecture/écriture qui met explicitement l'accent sur la cohérence pédagogique, didactique.

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D'un point de vue méthodologique, ce modèle se situe à contre-courant d'idées reçues selon lesquelles seuls les comportements directement obser­vables présentent un intérêt scientifique. Il procède d'un postulat selon lequel il importe de chercher la clé des comportements observables du côté des représentations sociales (Herzlich, 1972 ; Tajfel, 1972), qui structurent les pratiques des enseignants. On pourra ainsi se donner les moyens de repé­rer et d'interpréter des « constellations » de conduites enseignantes signi­fiantes (Postic, 1977), en d'autres termes leur logique (didactique).

Le modèle d'analyse construit se présente sous la forme d'un descriptif théorique contrastif des « finalités, objectifs, pratiques et outils des pédago­gies de la lecture/écriture au CP » (Romian & coll., 1982) qui explicite les variables posées comme différenciatrices des styles pédagogiques (didac­tiques) au CMl (Romian & coll., 1983) : soit schématiquement au CP, un style I basé sur 1'inculcation du déchiffrage et la référence aux « bons auteurs » ; un style II marqué par Freinet et basé sur la production de textes libres socialisés par la correspondance, le journal et le repérage de « règles de vie » par « tâtonnement expérimental » ; un style III, le style PR, qui rompt avec I et intègre II dans un cycle d'appropriation active de l'ensemble des usages sociaux et des fonctionnements de l'écrit dont les referents théo­riques majeurs sont Jakobson et Martinet, Wallon et Piaget. Ces styles ont beaucoup à voir avec les « modes de travail pédagogique » de Lesne (1977) dont nous n'aurons connaissance que plus tard : un MTP I « de type trans-missif à orientation normative », un MTP II « de type incitatif à orientation personnelle », un MTP III « de type appropriatif, centré sur l'insertion sociale de l'individu (...), point de départ et point d'arrivée de l'appropria­tion cognitive du réel ».

Signalons à ce sujet une évaluation des méthodes de lecture de 117 insti­tutrices menée par l'IRDP de Neuchâtel (Cardinet & Weiss, 1976) qui consi­dère elle aussi les options pédagogiques et les interventions déclarées des enseignants comme des variables à part entière. Cette recherche prend en compte les bases théoriques de la méthode (fondements linguistiques et psy­cho-pédagogiques des objectifs, de la mise en œuvre) et les modes de réali­sation (types d'exercices, moyens d'enseignement, modes d'évaluation). Alors qu'on posait en hypothèse une très grande diversité des styles d'ensei­gnement, on constate que les conceptions, fortement marquées par les manuels ou les méthodes utilisés, se ramènent à deux types selon que leur point de départ est l'écrit ou l'oral.

Notre modèle d'analyse quant à lui, considère quatre ensembles organi­sés de variables relatives aux conceptions que se font les maîtres des conte­nus, de la démarche d'enseignement/apprentissage de la lecture/écriture au CP:

- conceptions des objets d'enseignement : finalités des activités langa­gières de l'école, représentations du langage, de la langue écrite, de la

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Maîtrise de la langue et cohérence pédagogique, didactique

langue, des modes de communication, conceptions de l'apprentissage (méthode, principe, moteur, rythme, évaluation) ;

- conceptions de la « motivation » à apprendre des élèves : nature de l'objet d'apprentissage (outil scolaire, technique de vie, mode de communi­cation), type d'incitation (« goût », « plaisir », « désir » et « besoin »), type de besoins (nécessité scolaire, affective, sociale et affective, scolaire) ;

- conceptions des capacités psychologiques à privilégier : non spéci­fiques (psycho-motrices, intellectuelles, affectives, socialisation/personnali­sation), capacités spécifiques (psycho-motrices, perceptives, langagières et métalinguistiques), capacités sémiotiques (recherche/construction de la signification de messages, utilisation/mise en relation/différenciation des codages) ;

- conceptions du savoir lire/écrire : type d'activité privilégié (montage de « mécanismes » de « déchiffrage », « activité de vie »), type d'opérations (associations signes-sons-sens et synthèse d'éléments, essais tâtonnes, repé­rage et mise en relation d'indices de signification et analyse des fonctionne­ments de l'écrit par segmentation, commutation, catégorisation), pratiques sociales de référence (manuels, ateliers coopératifs, usages culturels des écrits dans la communication sociale).

Concrètement, le descriptif se présente comme une analyse d'objectifs qui, à la différence de ses referents (Bloom & coll., 1969 ; Mager, 1969), répond à des problèmes pédagogiques et didactiques. Il distingue :

- des « objectifs pédagogiques » explicités à partir d'une analyse de contenu des textes-clés (Instructions officielles, 1923-1938 ; Freinet, 1961 ; PR, 1971) du point de vue de l'enseignement des maîtres ;

- des « objectifs didactiques » qui traduisent les précédents en termes de capacités observables (d'après Malmquist, 1963 notamment) du point de vue des apprentissages des élèves (on notera l'acception restrictive du terme « didactique ») ;

- des « indicateurs » Maîtres et Élèves (concept emprunté aux méthodes des sciences sociales) mettant les objectifs en relation avec des discours, des comportements, des faits observables.

Compte tenu de la double finalisation du descriptif comme outil de recherche et outil de formation, nous évoquerons, pour conclure sur ce point dans la perspective des cycles, les résultats de ses essais d'utilisation faits et décrits par les formateurs-chercheurs du Groupe de recherche. Ils ont ren­contré les problèmes de mise en situation, de choix, de stratégie inhérents à la transposition d'un outil de recherche en outil de formation. Ceci étant, que l'outil soit utilisé comme point de départ d'une réflexion, comme matrice méthodologique d'une observation de classes diversifiées ou d'une analyse, par les formés, de leurs conceptions sur tel ou tel point, il s'avère qu'il permet un repérage heuristique des problèmes de cohérence pédago­gique, didactique entre le dire et le faire, entre objectifs, entre pratiques.

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LECTURE I ÉCRITURE

2.4. Esquisses de description des pratiques d'enseignement/apprentissage de la lecture/écriture au C.P.

Nous ne dirons ici des esquisses d'observation de ces années 1975-80 que ce qui intéresse le plus directement notre propos. Les observations de classe (n. p.). confirment l'existence de polarisations selon les styles posés par le modèle d'analyse, ce qui n'exclut pas que celles-ci puissent coexister chez des maîtres, selon un principe d'éclectisme non théorisé qui n'est pas des plus favorables à la cohérence des contenus, de la démarche d'enseigne­ment/apprentissage, n se pourrait que cet éclectisme traduise à la fois une volonté des maîtres à intégrer des pratiques innovantes et leur difficulté à construire une autre cohérence que celle du style I qui marque la plupart des pratiques, faute d'une formation suffisante et de pouvoir travailler en équipe. CEP (1991) insistera sur ce dernier point.

L'étude la plus aboutie concerne l'analyse des préfaces et des aspects phonétiques et phonologiques des 30 manuels les plus vendus en 1974 (Bianco & coll., 1982). Elle confirme l'hypothèse avancée plus haut : si l'habillage des méthodes diffère, les contenus et la démarche d'enseigne­ment/apprentissage relèvent d'un style I. On s'adresse à un enfant abstrait auquel on propose un apprentissage abstrait privilégiant au début la lecture de mots isolés, de « syllabes artificielles » et de « sons » (la confusion entre lettres et sons étant quasi générale). Le découpage en syllabes ne réfère qu'à la graphie, et les sons à une prononciation standard qui ne tient pas compte de la variation des systèmes phonologiques des enfants (Houdebine, 1983). L'étude des relations graphies-phonies est généralement lacunaire ou ambi­guë. On est là aux antipodes des styles II et III évoqués plus haut et de l'esprit de CEP (1991). Resterait à savoir ce que contiennent réellement les manuels récents qui, peu ou prou, renvoient aux cycles, et ce que les maîtres en font...

À distance de nos recherches d'alors, il n'est pas sûr que la conceptuali­sation du champ que nous avions faite n'ait qu'un intérêt historique. À condition d'utiliser le modèle d'analyse pour ce qu'il est. Une trame concep­tuelle à discuter, contester, réviser en la soumettant à l'épreuve des faits et de l'évolution des referents théoriques disponibles. Une matrice méthodolo­gique transposable en situations et contenus de formation pour analyser contradictoirement les faire et les dire. Mais aussi une trame de débats contradictoires sur les conceptions respectives des maîtres et leurs zones de cohérence, de non-cohérence. Il n'est pas sûr non plus que le style III mis en œuvre et conceptualisé soit obsolète et qu'il n'ouvre pas encore des pistes d'innovation... L'articulation oral/écrit/image demeure une question large­ment prospective (Romian & Yziquel, 1988 ; Le Cunff & Romian, 1991). Pour n'être pas posée en tant que telle par rapport à l'appropriation de la lec­ture/écriture dans CEP (1991), elle nous paraît cependant relever typique-

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Maîtrise de la langue et cohérence pédagogique, didactique

ment d'une conception de la maîtrise de la langue qui démarque ce" texte officiel des précédents dans la mesure où il définit cette maîtrise à la fois comme transversale à l'ensemble des disciplines et spécifique.

En somme, quel est l'apport potentiel de ces recherches des années 70-80 à la mise en place des cycles ? Sans doute une mise en perspective des « apprentissages fondamentaux » du cycle 2 qui repose sur une conception théorique de la maîtrise de la langue et un « corpus » de pratiques de classe présentées et décrites qui explicitent et concrétisent cette notion complexe en matière de lecture/écriture. Bien au-delà des compétences évoquées par CEP (1991), c'est vrai, mais dans l'esprit du texte. On peut aussi se deman­der si le principe d'une méthodologie d'analyse contrastive des conceptions et des pratiques des maîtres et des élèves ne serait pas particulièrement heu­ristique pour former les maîtres au travail d'équipe en cycle en leur propo­sant des voies heuristiques d'une mise à distance et d'une mise en cohérence de leurs pratiques.

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LECTURE I ÉCRITURE

ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES (ouvrages, articles cités)

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HOUDEBINE A.M. (1983). Aspects de la langue orale des enfants à l'entrée au CP.INKP.

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OLÉRON P. (1966). « Aspects du langage » dans Bulletin de Psychologie. 247 XIX 8-12.

PIAGET J. (1945). La formation du symbole chez l'enfant. Delachaux & Niestlé.

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PIAGET J. & INHELDER B. ( 1966). La psychologie de l'enfant. Coll. Que sais-je ? PUF.

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ROMIAN H. & coll. (1985). LectureS ¡Écritures en SG, CP, CEI. Coll. INRP. Nathan.

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Maîtrise de la langue et cohérence pédagogique, didactique

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SAUSSURE F. de (1949). Cours de linguistique générale. 4e éd. Payot. SUBLET F. & coll. (1985). Poésie pour tous. Coll. INRR Nathan. TAJFEL H. (1972). « La catégorisation sociale » dans Introduction à la psy­

chologie sociale, op. cit. YZIQUEL M. (1989). « Pratiques langagières et pratiques sémiotiques »

dans Romian H. & coll. Didactique du Français et recherche-action. INRR

WALLON H. (1942). De l'acte à la pensée. Flammarion. ZAZZO B. (1978). Un grand passage : de l'école maternelle à l'école élé­

mentaire. PUF.

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INTERACTIONS EN GROUPES ET CONSTRUCTION DES SAVOIRS :

LE CAS DE LA LANGUE ÉCRITE EN GRANDE SECTION

DE MATERNELLE

Marianne HARDY Françoise PLATONE

Extrait de Repères.

Recherches en didactique du français iangue maternelle « Problématique des cycles et recherche »

rr 5 1992

Présentation

La recherche se déroule en grande section de maternelle dans un quartier socialement défavorisé. L'objectif est de dégager les conditions éducatives les plus favorables à la construction de connaissances sur la langue écrite par tous les enfants. Cette recherche s'inscrit dans le programme du CRESAS qui définit progressivement une « pédagogie interactive ». Mis dans une situation favorisant l'exploration en petits groupes, de très jeunes enfants construisent des savoirs à travers des activités qu'ils se définissent eux-mêmes. Des dynamiques interactives se développent, qui permettent à chacun de travailler à son niveau en profitant des savoirs et des idées exprimées par les autres. En suscitant ainsi le partage des savoirs recelés par les groupes, on assure la continuité éducative car on permet aux enfants de développer eux-mêmes leurs propres démarches d'apprentissage et on favorise l'avancée de tous. On approche ainsi les objectifs fondamentaux de ¡a nouvelle politique pour l'école primaire.

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LECTURE I ECRITURE

Dans la nouvelle organisation de la scolarité primaire par cycles'pédago-giques, la grande section de maternelle joue un rôle charnière. Diaprés les textes, les enfants peuvent y achever les « apprentissages premiers » du cycle 1 ou y commencer les « apprentissages fondamentaux » du cycle 2 : « Ainsi, le passage anticipé à l'école élémentaire n'a plus lieu d'être. Dans la mesure où la grande section de l'école maternelle appartient aussi au cycle des apprentissages fondamentaux, elle a vocation à engager la structu­ration de ces apprentissages dès que l'enfant en est capable. » (1)

L'observation des premières évolutions sur les terrains fait apparaître que l'un des points sensibles pour la mise en œuvre de la nouvelle organisation se situe à ce niveau-là. Les interrogations tournent pour l'essentiel autour de la question suivante : comment organiser la grande section de maternelle ? À quel moment faut-il « faire commencer » l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ?

Dans cet article, nous nous proposons d'alimenter la réflexion sur cette question en nous appuyant sur les résultats actuels de l'une de nos recher­ches qui porte sur la pédagogie de la langue écrite en grande section de maternelle. Nos données actuelles nous portent à penser que les différences que l'on peut observer entre les enfants du point de vue des connaissances acquises sur la langue écrite ne justifient pas l'organisation de la grande sec­tion en classe à « double niveau » et qu'il est plus intéressant, pour l'avan­cée de tous, de faire travailler ensemble tous les enfants. Nous verrons de quelle façon.

1. COMMENT FAVORISER À L'ÉCOLE MATERNELLE L'ACQUISITION DE CONNAISSANCES SUR LA LANGUE ÉCRITE PAR TOUS LES ENFANTS ?

Pour répondre à cette question, en collaboration avec deux enseignants de grande section (2), nous avons fait évoluer les pratiques éducatives pen­dant trois années scolaires à partir de l'observation des effets produits sur les enfants. Actuellement, toujours en collaboration avec les enseignants, nous nous attachons à l'analyse approfondie des données recueillies au cours de ces trois années et à la formalisation de certains faits observés.

L'objectif de la recherche est de dégager et de caractériser les conditions éducatives les plus favorables pour faire progresser ensemble tous les enfants dans l'acquisition de connaissances sur la langue écrite. Ceci afin de

1. Cf. bibliographie (9). 2. Lysiane JOURNET et Daniel SABRE, instituteurs-maîtres formateurs, IUFM de

Créteil.

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Interaction en groupes et construction des savoirs

les conduire tous à la maîtrise des premières règles de transcription" de la langue orale au début de la scolarité obligatoire.

Il s'agit d'une recherche-action (1) qui fait alterner les temps d'action et de réflexion, un réajustement constant des pratiques vers les objectifs pour­suivis s'opérant à partir de l'observation des effets produits sur les enfants.

Le cadre théorique est celui de toutes les recherches pédagogiques du CRESAS. Nous nous appuyons sur une conception constructiviste et inter-actionniste des apprentissages dont l'origine se trouve chez Piaget, Wallon et Vygotsky. Selon cette conception, apprendre c'est construire les savoirs en interaction avec autrui. De nombreuses publications du CRESAS ont déjà présenté des données à l'appui de cette conception, en ce qui concerne notamment les très jeunes enfants observés dans les crèches et les jardins d'enfants (2).

S'agissant de l'apprentissage de la langue écrite, nous nous appuyons particulièrement sur les travaux menés par H. Sinclair dans le champ de la psycholinguistique génétique et par E. Ferreiro, psychologue piagétienne également, qui a montré qu'il existe une psychogenèse de la langue écrite (3).

Des travaux d'E. Ferreiro, nous retenons que dès le plus jeune âge les enfants peuvent acquérir des connaissances sur la langue écrite. Comme dans les autres champs de connaissance, les enfants élaborent des hypo­thèses et construisent des représentations à propos de l'objet de connais­sance. E. Ferreiro a fait apparaître et caractérisé un grand nombre de ces représentations. Elle a tracé leur évolution qui semble se retrouver, dans ses grandes lignes tout au moins, chez tous les enfants.

En fonction de ce cadre théorique, nous faisons trois hypothèses. 1. Les enfants « mûrs » pour maîtriser les règles systématiques de la

transcription de la langue orale ont nécessairement derrière eux plusieurs années de confrontation personnelle, de réflexion, de travail sur la langue écrite, ils ont construit des connaissances à ce sujet même si leur travail est resté invisible pour les adultes. Pour certains enfants, ce travail maturant se fait dès le plus jeune âge par les échanges avec le milieu familial qui, très tôt, et de façon plus ou moins volontariste, éveille l'intérêt des enfants pour la langue écrite. L'école n'a plus qu'à recueillir les fruits du travail « fait maison » en le complétant. Mais pour les autres, c'est l'école elle-même qui peut être l'agent privilégié - sinon exclusif- de cet éveil, le milieu privilé­gié pour la recherche des enfants sur la nature et le fonctionnement de la langue écrite.

1. Cf. bibliographie (8). 2. Cf. bibliographie (1), (11) et (12) notamment. 3. Cf. bibliographie (6) et (7).

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LECTURE I ECRITURE

2. L'école maternelle peut favoriser cette recherche pour tous les enfants à condition d'ajuster l'action éducative à la manifestation des démarches propres aux enfants. Ce que déjà en son temps Piaget réclamait : « ...l'école (...) ignore tout le parti qu'elle pourrait tirer du développement spontané des élèves et devrait le renforcer par des procédés adéquats... » (1). A partir du moment bien entendu où l'on a su créer un milieu riche et stimulant qui éveille l'intérêt des enfants pour les objets de connaissance à travailler.

3. Tous les enfants, quelles que soient leurs caractéristiques individuelles ou leurs appartenances socio-culturelles peuvent s'interroger et construire des connaissances sur la langue écrite dès le plus jeune âge. L'école choisie pour la recherche se situe dans une zone d'éducation prioritaire de la ban­lieue parisienne : 90 % des enfants appartiennent à des familles de tra­vailleurs manuels peu ou pas qualifiés ou de petits employés.

Dans cet article, nous ne ferons qu'évoquer tout ce qui est fait par les enseignants avec lesquels nous travaillons pour placer les enfants au contact quotidien de la langue écrite sous ses différentes formes et dans ses diffé­rentes fonctions : pratiques de Bibliothèque Centre Documentaire, corres­pondance scolaire, utilisation d'écrits fonctionnels dans la vie de la classe... car tout ceci se pratique à l'heure actuelle dans la plupart des écoles mater­nelles et n'est pas spécifique de notre recherche.

Nous nous centrerons en revanche sur l'une des situations de travail spé­cifiques que nous proposons aux enfants. Dans cette situation les enfants tra­vaillent en petits groupes interactifs, l'objectif étant tout particulièrement de favoriser la réflexion et l'expérimentation des enfants sur la langue écrite.

Nous nous attacherons à caractériser les dynamiques interactives qui se développent dans cette situation et à montrer en quoi, selon nous, elles favo­risent la réflexion des enfants et la construction de connaissances sur la langue écrite. Nous commenterons ensuite le fait que ces petits groupes sont hétérogènes du point de vue des niveaux de connaissance atteints par les enfants. Nous présenterons enfin quelques caractéristiques du rôle joué par les éducateurs dans ces petits groupes interactifs.

1. Cf. bibliographie (15).

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Interaction en groupes et construction des savoirs

2. INTERACTIONS SOCIALES ET CONSTRUCTION DES SAVOIRS

2.1. Présentation de la situation : l'atelier privilégié d'écrit

Tous les matins après l'accueil, les enfants sont répartis par petits groupes en ateliers, selon une pratique courante dans les écoles maternelles. L'un de ces ateliers porte sur la langue écrite, c'est « V atelier privilégié d'écrit ». Cette situation incite les enfants à explorer la langue écrite et à réfléchir à son sujet en interaction les uns avec les autres et avec les adultes.

Le matériel peut consister en matériaux déjà écrits - livres, affiches ayant trait à la vie de la classe, lettres de correspondants... - dans ce cas les enfants sont conduits à « interpréter » l'écrit, selon le terme d'E. Ferreiro ; ou ce peut être du matériel pour écrire, crayons et feuilles. Dans ce cas les enfants sont conduits à produire eux-mêmes de l'écrit, sans autre finalité que la production elle-même et la réflexion sur cette production.

L'atelier d'écrit est dit « atelier privilégié » parce que l'enseignant s'y tient de bout en bout dans une attitude « d'observateur participant ». Car c'est dans cette situation, tout particulièrement, que les adultes apprennent à reconnaître et interpréter les démarches des enfants, à identifier les savoirs déjà acquis et les problèmes qui se posent. À partir de ces éléments, les édu­cateurs réajustent en permanence leur mode d'intervention dans les groupes de travail et, plus largement, l'ensemble de leur pédagogie.

L'atelier réunit chaque jour quatre enfants. Les enfants s'y inscrivent librement à condition toutefois que chacun y passe à tour de rôle.

Les séances sont filmées à la vidéo. Elles durent environ 45 minutes. Les films sont analysés à l'aide d'une méthode « séquentielle » mise au point au CRESAS.

Nous nous attacherons d'abord à mettre en évidence les démarches et réalisations des enfants et certaines caractéristiques de la dynamique entre enfants, laissant entre parenthèses dans un premier temps le mode d'inter­vention de l'instituteur qui fera l'objet d'un point spécifique. Nous nous appuierons sur l'analyse de quelques extraits d'une séance de l'atelier parti­culièrement illustratifs des caractéristiques que nous voulons mettre en évi­dence.

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LECTURE I ÉCRITURE

2.2. Démarche reflexive et manifestation de savoirs

L'atelier réunit ce matin-là quatre enfants de grande section : Céline (5 ans, 7 mois), Audrey (6 ans, 1 mois), Awa (5 ans, 3 mois) et Tony (5 ans, 9 mois).

Au démarrage de la séance, l'instituteur énonce la consigne élaborée pour cet atelier : « essayez d'écrire, ce que vous voulez écrire, comme vous pouvez l'écrire... »

Quelques secondes après le début de la séance, Awa fait à haute voix le projet d'écrire : « maison brûlée » qu'elle transcrira ainsi : ERLUD-LAP. Cette production se réalise en deux temps. Premier temps : Awa écrit d'un jet une première série de lettres ERLUD pour transcrire « maison ». Elle s'interrompt un instant pour réagir sur un propos de son voisin puis, deuxième temps, elle annonce : «j'écris le reste maison brûlée... brûlé de maison », elle trace un trait d'union et une deuxième série de lettres : LAP. Enfin, à l'intention du maître, elle dit, en soulignant le premier segment : «j'ai écrit maison... » et, en soulignant le deuxième segment, «.. . brûlée ».

Les différentes annonces et lectures d'Awa alertent ses trois partenaires qui vont chacun s'engager dans l'activité initiée par Awa : Audrey se pro­pose d'écrire « maison cassée » ; Tony, les mots proposés par Awa ; Céline, « bonhomme cassé ».

Dans cette dynamique, Awa poursuit l'activité qu'elle a initiée et qui s'est propagée. Elle transcrira deux autres significations en forme de varia­tions sur le modèle de sa première production : « chien brûlé » qui sera transcrit : HOKY-bOI, et « bonhomme cassé » qui sera transcrit : HUDi-LPI.

En prenant appui sur la terminologie d'E. Ferreiro pour caractériser les acquis et représentations des jeunes enfants dans le domaine de la langue écrite, on peut dire qu'Awa, à travers cette activité, nous a montré qu'elle a déjà acquis beaucoup de connaissances sur notre système d'écriture : l'écri­ture sert à transcrire des significations ; dans des formes graphiques non figuratives car écrire ce n'est pas dessiner ; les formes graphiques de l'écri­ture sont des éléments discrets, les lettres ; on inscrit ces lettres sur le papier selon une orientation conventionnelle gauche-droite, haut-bas ; les lettres s'organisent en séries ; plusieurs unités significatives se transcrivent par plu­sieurs séries de lettres séparées les unes des autres ; chaque série a une lon­gueur non aléatoire ; chaque série se compose de lettres pas toutes iden­tiques entre elles (variété intra-figurale) ; deux significations différentes se transcrivent par des séries différenciées (variété inter-figurale).

Nous arrêterons là cette enumeration pour nous intéresser au fait original qui nous a fait choisir cet exemple : Awa, dans cette production, a cherché à transcrire une signification composée, « maison brûlée », qui contient un

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Interaction en groupes et construction des savoirs

sujet : « maison » et un attribut : « brûlée ». Awa s'est attachée à transcrire chacune des parties de cette signification, mais aussi, et c'est cela qui'nous a frappées, le lien qui les unit, la relation sujet-attribut, c'est-à-dire une rela­tion syntaxique. Ce faisant elle réfléchit sur la langue d'une façon qui lui sera très utile lorsque plus tard, à l'école élémentaire et en application des programmes scolaires, elle devra s'initier à la grammaire. Elle a cherché un moyen graphique de représenter cette relation et a choisi le trait d'union.

Si nous pensions qu'apprendre c'est passer brusquement du faux au juste, nous relèverions que cette solution est fausse par rapport aux véri­tables conventions de la langue écrite et nous serions insatisfaits des propo­sitions d'Awa. Mais en fait à nos yeux ce type de proposition dénote l'intense travail de réflexion qui permet aux enfants, en procédant par déductions ou en tentant d'établir des liens entre ce qu'ils savent déjà et ce qu'ils s'engagent à connaître, de faire quantité d'acquisitions sur l'écrit dès leurs premières années.

L'extrait que nous venons de présenter montre aussi l'un des procédés très fréquemment utilisé par les enfants dans ces situations d'exploration et de réflexion sur la langue écrite. Il s'agit d'une méthode d'exercice varia-tionniste où ils font preuve d'une ténacité qui nous surprend toujours : cent fois sur le métier ils remettent l'ouvrage, travaillant et retravaillant le pro­blème qu'ils se sont posé et introduisant certaines variations dans leurs acti­vités. Ici par exemple, nous avons dit qu'Awa, après sa première réalisation, va opérer, à la suite d'Audrey, des variations sur le thème qu'elle a initié en écrivant à sa façon « chien brûlé » puis « bonhomme cassé ».

2.3. Propagation et développement des idées dans le groupe d'enfants : dynamiques interactives et confrontation des points de vue

L'activité proposée par Awa correspond à l'évidence à une préoccupation commune à tous les enfants puisque, nous l'avons déjà dit, cette activité va se propager dans le groupe. Chacun va travailler à sa façon en utilisant ses connaissances propres et à son niveau de compétence. Pour illustrer ce point, nous décrirons ici deux actions suscitées par l'activité d'Awa. L'une est le fait d 'Audrey, l'autre de Céline.

L'action d'Audrey montre comment un enfant, en se greffant sur l'acti­vité d'un autre, peut apporter un élément nouveau. Audrey a formé le projet d'écrire : « maison cassée », reprenant à son compte la problématique sujet-attribut apportée par Awa. Audrey écrira : EBîRI-KC. Cette production est réalisée en deux temps. Pour la transcription de « maison », Audrey procède comme Awa : une série de cinq lettres sans rapport avec la forme sonore du

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LECTURE I ÉCRITURE

mot. Puis elle prend bien soin de tracer le symbole proposé par Awa pour marquer la relation : un trait d'union. À ce point de sa réalisation, Audrey s'accorde un temps de réflexion assez long et transcrit le prédicat « cassée » avec les deux lettres K et C. Elle se redresse et annonce : « j'ai fini le cassé », puis elle « lit » à l'intention du maître : « maison cassée ».

Dans la première partie de sa réalisation, Audrey travaille sur l'idée apportée par Awa, la transcription de la relation sujet-attribut. Elle ne fait à ce moment-là aucune tentative de transcription phonétique du mot « mai­son ». Dans la deuxième partie, Audrey montre pourtant qu'elle sait qu'il existe une correspondance entre les formes graphiques et les sons de la langue. Et elle teste une hypothèse sur la façon de la réaliser : faire corres­pondre aux sons des syllabes les lettres de l'alphabet. Nous rencontrons fré­quemment cette hypothèse chez les enfants. Elle est logique puisque les appellations des lettres - à l'exception d'Y et W - correspondent de fait à des syllabes de la langue.

L'action de Céline, qui survient plus tard dans la séance, montre com­ment un enfant peut intégrer les apports d'autrui. Céline s'est d'abord mon­trée réticente à l'idée « d'essayer d'écrire » des mots qu'elle ne sait pas écrire. Mais peu à peu elle cherche à s'insérer dans l'activité déjà partagée par ses trois partenaires : elle finit par annoncer son intention d'écrire « bon­homme de neige » et tente de réaliser son projet. Mais elle ne trace qu'une seule série de lettres. Awa, qui suit l'action de Céline, attire l'attention de celle-ci sur le fait qu'un mot composé s'écrit en deux parties : « Tas écrit bonhomme seulement » dit-elle. Puis, indiquant du geste qu'il faudrait écrire deux séries distinctes, elle explique : « tu écris : bonhomme..., de neige ». Par la suite, Céline annonce un nouveau projet : écrire « maison cassée ». Elle trace une série de lettres, s'arrête, articule pour elle-même : « ka » et enchaîne : « j'ai envie de cassée sur ma feuille ! ».

Sur l'ensemble des extraits que nous avons présentés, on voit aussi que la dynamique interactive qui se construit et se développe entre les enfants, et dont nous ne pouvons ici retracer tout le déroulement, provoque la réflexion de chacun. La cheville ouvrière de cette dynamique est le désir de communi­quer des enfants qui éprouvent presque toujours le besoin d'annoncer leurs projets et de montrer leurs réalisations au groupe, tout en s'intéressant aux activités d'autrui. Ce faisant, des interactions se développent qui structurent l'activité et dégagent des problématiques communes ; des savoirs s'objecti­vent, des connaissances se construisent, et tous les enfants progressent.

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Interaction en groupes et construction des savoirs

3. GROUPES DE TRAVAIL HÉTÉROGÈNES ET CONSTRUCTION INTERACTIVE DES SAVOIRS

Dans l'atelier privilégié d'écrit, comme dans les autres ateliers qui ont lieu au même moment, nous avons dit que les groupes d'enfants sont consti­tués sur la base du volontariat : à condition que tous les enfants passent à tour de rôle dans tous les ateliers, les enfants s'inscrivent, chaque jour ou chaque semaine, dans les ateliers de leur choix.

n en résulte que les enfants rassemblés dans l'atelier d'écrit ont presque toujours des « niveaux » de connaissance différents. Dans le cas des classes regroupant les enfants par tranches d'âge, cette hétérogénéité est relative. Un autre cas d'hétérogénéité très différent est celui des regroupements inter­âges. Nous ne l'avons pas étudié dans cette recherche mais il l'est dans d'autres recherches du CRESAS (1).

Quels sont les effets de cette hétérogénéité relative des niveaux de connaissance dans la dynamique du groupe et pour l'avancée de chacun ? Dans l'exemple que nous avons pris, Awa ne manifeste pas le souci de trans­crire les sons de la langue orale ; tandis qu'Audrey s'y essaie. Autrement dit, Awa ne semble pas encore avoir fait l'hypothèse de la « phonétisation de l'écrit » qui, selon E. Ferreiro, marque une étape importante dans la construction de la langue écrite. Notons que dans ce cas le décalage entre les deux enfants s'explique aisément puisqu'Awa est sensiblement plus jeune qu'Audrey (10 mois d'écart entre les deux enfants).

Malgré ces différences, chaque enfant trouve pâture dans la dynamique du groupe. Car chacun fait apparaître l'objet de connaissance sous certains aspects qui sont souvent inattendus pour les autres et qui éveillent leur inté­rêt. Chacun peut se saisir des matériaux générés par l'activité du groupe au niveau où il le peut en fonction de sa propre réflexion, de son propre degré d'avancement. De cette façon, chaque enfant tire profit de la séance en tra­vaillant à son niveau, dans la « zone proximale » de son développement, pour le dire en termes vytgotskiens. C'est ainsi qu'Awa a pu exercer ses connais­sances déjà acquises et développer sa réflexion sur les relations entre les mots. Audrey quant à elle a pu explorer en outre la piste grapho-phonétique.

De cette façon on peut dire que les enfants tirent profit les uns des autres, les moins avancés des plus avancés et aussi l'inverse.

Que les moins avancés tirent profit des plus avancés est aisé à démontrer. C'est pourquoi nous n'y avons pas insisté par le choix des extraits. Mais signalons que, dans la suite de la séance, Awa par exemple va manifester de l'intérêt pour la forme sonore des lettres à partir de l'activité d'Audrey.

1. Cf. bibliographie.

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LECTURE I ÉCRITURE

Dans le même temps, les plus avancés peuvent tirer profit des idées des moins avancés. Ainsi on peut dire qu'Audrey a bénéficié de l'apport d'une enfant plus jeune et moins avancée qu'elle dans la construction de la langue écrite. Car c'est Awa qui apporte le problème de la transcription de la rela­tion sujet-attribut. Ce faisant, elle attire l'attention sur cette relation elle-même, objet de réflexion métalinguistique dont nous avons souligné l'intérêt pour les enfants.

Mais il est une autre conséquence de ce mode de regroupement des enfants et des dynamiques qui s'instaurent entre eux qui nous paraît particu­lièrement intéressante et que nous avons sciemment recherchée : c'est qu'ainsi aucun enfant ne se sent marginalisé, quelles que soient ses caracté­ristiques individuelles, quelle que soit son appartenance sociale. Un signe pour nous de cette intégration de tous dans le groupe est la joie communica­tive qui caractérise ces séances et qui frappe toutes les personnes à qui nous montrons nos films. Ce point est fondamental pour nous qui cherchons à définir une pédagogie anti-sélective favorisant l'avancée de tous les enfants.

Pour conclure sur ce point, nous dirons donc que la pratique des petits groupes interactifs hétérogènes induit le partage des savoirs recelés par le groupe : elle favorise la circulation des savoirs entre les enfants et l'avancée de tous dans la connaissance, sans marginalisation ni étiquetage d'aucune sorte.

4. LE RÔLE DES ADULTES DANS LES GROUPES DE TRAVAIL INTERACTIFS

Pour obtenir des dynamiques interactives dans les groupes d'enfants du type de celle présentée plus haut, il est nécessaire pour les éducateurs de se départir de certaines habitudes d'enseignement et des conceptions qui les sous-tendent. Dans notre recherche-action, nous expérimentons la difficulté de cette démarche mais aussi sa richesse. Nous avons gardé la trace de ce processus de transformation par l'enregistrement au magnétophone des séances de travail entre adultes. L'exploitation de ces données et l'analyse des interventions des adultes dans les séances filmées sont l'un des objets de nos investigations actuelles. Nous allons avancer quelques aspects caracté­ristiques de la pratique des adultes qui émergent actuellement de nos ana­lyses.

À partir des observations qu'ils ont pu faire dans ces conditions, les édu­cateurs ont été amenés à remettre en question leurs conceptions sur un point fondamental : ils ont découvert qu'ils ne savaient pas tout de ce que savaient les enfants ni de la façon dont ceux-ci apprennent et ils ont été surpris par les savoirs et capacités manifestées par tous les enfants quelles que soient leurs caractéristiques individuelles ou leurs appartenances socio-culturelles.

76 1

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Interaction en groupes et construction des savoirs

En acceptant de se laisser surprendre par les enfants, en manifestant leur intérêt pour leurs réalisations, les éducateurs ont favorisé l'expression des idées et soutenu le développement des activités des enfants, us ont appris en même temps à mieux régler leurs propres interventions en fonction des savoirs et questionnements manifestés devant eux par les enfants.

Les idées et représentations des enfants peuvent apparaître comme des erreurs. Au début de la recherche, la tentation était grande pour les ensei­gnants de « corriger », ce qui avait pour effet de tarir le dynamisme des enfants. Mais nous avons appris à reconnaître que ces erreurs sont des constructions provisoires des apprenants, résultant d'une activité d'observa­tion et d'une réflexion logique.

n s'est avéré toutefois que les enfants réclament à certains moments, de façon explicite, l'intervention de l'adulte : pour obtenir une information ou recevoir une confirmation. Les adultes ont alors cherché comment intervenir de façon ajustée par rapport à ces demandes, en prenant soin de ne pas reprendre des attitudes trop directives qui pendant longtemps reviennent bien facilement.

Au total, les adultes ont travaillé à mettre au point une attitude d'obser­vation participante que l'on peut caractériser globalement de la façon sui­vante : ni totalement en retrait, ni directifs, les adultes soutiennent les activi­tés des enfants et renforcent leur mobilisation en témoignant d'un authentique intérêt pour leurs réalisations, en cherchant à comprendre ce qu'ils font. Cette insertion dans les préoccupations des enfants permet, à cer­tains moments, d'intervenir de façon ajustée sans interrompre la dynamique entre les enfants.

CONCLUSION

A partir de données complexes que nous sommes en train de traiter, nous avons voulu donner à voir que les enfants très jeunes, quelles que soient leurs différences, peuvent construire ensemble des connaissances sur la langue écrite.

Ces résultats ont été obtenus parce que les éducateurs se sont donné pour tâche fondamentale de favoriser l'expression et la confrontation des savoirs recelés par les groupes en s'appuyant sur la capacité à raisonner et le besoin de communiquer qui caractérisent les êtres humains.

Nous faisons l'hypothèse qu'en travaillant de cette façon dès l'entrée à l'école maternelle et en poursuivant dans la suite du cursus scolaire, on favorise la construction continue des savoirs par lous les enfants dans tous les domaines de connaissances et notamment dans ceux qui sont inscrits dans les programmes scolaires.

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LECTURE I ÉCRITURE

Fournir ainsi des conditions favorables à la manifestation et au "dévelop­pement des démarches d'apprentissage propres aux enfants tout au long de la scolarité nous paraît être le moyen d'assurer la continuité éducative que réclame et que favorise l'organisation de la scolarité par cycles pédago­giques.

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Interaction en groupes et construction des savoirs

BIBLIOGRAPHIE

(1) BREAUTÉ M., BALLION M., RAYNA S. et STAMBAK M., Au jardin d enfants, des enfants marionnettistes. Une recherche action. Collection CRESAS, 1987, n° 5, Paris, L'Harmattan/INRP, 137 p.

(2) CRESAS, On n'apprend pas tout seul. Interactions sociales et construc­tion des savoirs, Paris, ESF, 1987.

(3) CRESAS, Naissance d'une pédagogie interactive, Paris, ESF Éditeur/INRP, 1991, 173 p.

(4) CRESAS, Les inspecteurs de l'Éducation nationale et la mise en œuvre de la scolarité par cycles à V école primaire, Paris, INRP, 1991,358 p.

(5) CRESAS, Accueillir à la crèche, à l'école. Il ne suffit pas d'ouvrir la porte. Collection CRESAS n° 9, Paris, L'Harmattan/INRP, 1992.

(6) FERREIRO E., « L'écriture avant la lettre » in SINCLAIR H. éd., La production de notations chez le jeune enfant, Paris, PUF, 1988, pp. 16-70.

(7) FERREIRO E., GOMEZ-PALACIO M. et coll., Lire-écrire à l'école. Comment s'y apprennent-ils ? Analyse des perturbations dans les proces­sus d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Texte français établi à partir d'une traduction de VETRDENELLI M., revu par BESSE J.M., de GAULMYN M.M. et GINET D., Lyon, CRDP, 1988,408 p.

(8) HUGON M.A. et SEIBEL C. éds, Recherches impliquées, recherches-action. Le cas de l'éducation., Bruxelles, De Boeck Wesmaèl, 1988,

(9) Ministère de l'Éducation nationale, Les cycles à l'école primaire, Collection « une école pour l'enfant, des outils pour les maîtres », Paris, CNDP/Hachette Écoles, 1991, p. 13.

(10) SINCLAIR H., « Changing Perspectives in Child Language Acquisition » in PUFALL P. and BEILIN H.H. eds, Piaget's theory : prospects and possibilities, Hillsdale, New Jersey, Lawrence Erlbaum, sous presse.

(11) STAMBAK M., BALLION M., BONICAL., MAISONNET R., MUSATTI T., RAYNA S., et VERBA M., Les bébés entre eux, Paris, PUF, 1983.

(12) STAMBAK M., BALLION M., BREAUTÉ M. and RAYNAS., « Pretend play and interaction in young children » in HINDE R.A., PER-RET-CLERMONT A.N. and STEVENSON-HINDE J. Social relation­ships and cognitive development, Oxford, Oxford University Press, 1985.

(13) PIAGET J., Psychologie et pédagogie, Paris, Denoël, édition de 1969,264 p.

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LECTURE I ÉCRITURE

(14) PIAGET J., Où va l'éducation ? Paris, Denoël/Gonthier, collection Médiations, 1973,133 p.

(15) PIAGET J„ « Commentaire sur les remarques critigues de Vygotski » in VYGOTSKI L. S. Pensée et langage, Paris, Editions Sociales, 1985, pp. 387-400.

(16) STAMBAK M. et SINCLAIR H. eds, Les jeux de fiction entre enfants de 3 ans, Paris, PUF, Psychologie d'aujourd'hui, 1990,198 p.

(17) VYGOTSKI L. S., Pensée et langage, Paris, Éditions Sociales, 1985, 419 p.

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LES PROCESSUS INTERACTIFS DANS LE SAVOIR-LIRE DE BASE

Gérard CHAUVEAU Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU

Extrait de Revue Française de Pédagogie

n° 90 - janvier - février - mars 1990 INRP

Présentation

Afin de mieux comprendre les mécanismes de la lecture, nous avons observé les comportements de lecteurs novices au début du cours prépara­toire. L'analyse de quelques exemples montre que le « savoir-lire de base » est une activité cognitive complexe qui mobilise des opérations nombreuses et contrastées. Sa mise en place semble être le produit des interactions entre les expériences de l'enfant dans le domaine de la culture écrite et du déve­loppement de compétences linguistiques spécialisées : conscience des fonc­tions et de la nature de l'activité lexique, conscience des aspects formels du langage oral et écrit. Autrement dit, devenir lecteur ce serait à la fois être un « chercheur de sens » et un « chercheur de code ».

Lire c'est comprendre (des textes écrits). Cette définition « minimale » de la lecture est maintenant largement partagée par les chercheurs. Elle per­met - ce qui n'est pas un mince avantage - de distinguer la recherche du sens, la découverte du contenu (lecture) des activités relevant de l'étude « des lettres et des sons », de la prononciation de syllabes écrites, de la

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LECTURE I ECRITURE

mémorisation de « mots étiquettes » ou de phrases imprimées vues" et répé­tées n fois (para-lecture (1). Cette distinction est primordiale. On ne peut progresser dans la réflexion sur la lecture et son apprentissage tant qu'on amalgame des conduites pourtant bien différentes : 1. connaître les lettres et savoir les assembler ; 2. dire des suites de syllabes ou de mots ; 3. prononcer un texte écrit ; 4. prendre connaissance du contenu d'un message écrit (Petit Larousse, édition 1980). On ne peut atteindre « la réussite en lecture pour tous » tant que les pratiques pédagogiques au CP, les modalités de soutien ou de rééducation restent focalisées sur la para-lecture et non sur la lecture compréhension.

Mais on ne peut se contenter de ces remarques, à la fois nécessaires et insuffisantes. Il faut essayer de répondre à deux séries de questions si l'on veut avancer dans l'étude de l'activité lexique et de son acquisition. Premièrement, existe-t-il des connexions entre les quatre acceptions de lire proposées par le Petit Larousse ? Y a-t-il un lien entre les activités de para-lecture (savoir combiner les lettres, connaître les correspondances gra­phèmes phonèmes par exemple) et la compréhension d'un texte écrit ? Quels sont les processus et les capacités enjeu pour construire le sens d'un énoncé écrit ? Deuxièmement, l'acte de lire chez un débutant est-il de même nature que celui d'un lecteur expérimenté ? (2). Les mécanismes de la lecture sont-ils identiques chez celui qui apprend et chez celui qui lit bien et beaucoup depuis longtemps ? Par exemple, la médiation de l'oral - « oralisation », « sub-vocalisation » - est-elle néfaste ou utile au cours de l'installation du savoir-lire ?

DES THÉORIES DE L'ACTE DE LIRE

Qu'est-ce que lire ? Quels sont les processus enjeu dans l'activité de lec­ture-compréhension ? Les réponses des chercheurs sont encore loin d'être homogènes. Trois principaux courants théoriques en psycholinguistique s'opposent et ne recouvrent pas (tout à fait) les conceptions pédagogiques de la lecture bien connues : appréhension globale versus centration sur la com-binatoire, accès direct au sens versus traduction des formes écrites en formes sonores.

Les modèles théoriques les plus anciens, de bas en haut (bottom up), supposent une démarche linéaire et hiérarchisée du lecteur allant des proces-

1. Comme on dit activité para-scolaire ou centre para-médical. 2. Ce thème sera peu développé ici. Cf. G. Chauveau et E. Rogovas-Chauveau (1987),

L'évolution du savoir-lire chez l'enfant.

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Les processus interactifs dans le savoir-lire de base

sus psychiques primaires (perception puis assemblage des lettres) à de's pro­cessus cognitifs supérieurs (production de sens). Devant un texte écrit, le sujet identifierait d'abord des lettres, les combinerait en syllabes, réunirait les syllabes en mots puis associerait les mots en phrases... L'acte de lire se schématiserait ainsi :

1. Opérations perceptives sur les graphèmes -» 2. Appréhension des unités lexicales -> 3. Opérations syntaxico-cognitives -» 4. Déterminations sémantiques.

Cette conception est parfois simplifiée à l'extrême par des auteurs qui privilégient les seules activités perceptivo-motrices : « La lecture s'appuie principalement sur l'analyse auditive et visuelle » (L. Lurçat, 1976, p. 107).

À partir du milieu des années 1970, une conception inverse a été large­ment diffusée. Selon les modèles de haut en bas (top down) les processus mentaux supérieurs sont déterminants dans l'acte lexique : raisonnement, mobilisation des connaissances, anticipations sémantiques, utilisation du contexte, formulation d'hypothèses (F. Smith, 1980, 1986). La priorité est accordée à ces opérations « de haut niveau », ce que résument les formules. « Lire c'est prévoir » ou « la lecture (est) un jeu de devinette psycholinguis­tique » (K. Goodman, 1976). Quelques auteurs considèrent même que le déchiffrage et les conduites grapho-phonologiques sont « aux antipodes » de l'activité de « vrai lecteur » (J. Foucambert, 1980).

Pour ces « radicaux » du modèle de haut en bas, il n'y aurait que deux constituants de l'acte de lire : l'identification immédiate (reconnaissance) des mots et l'anticipation des formes écrites (J. Foucambert, 1976, p. 48). La prise en compte « des indices grapho-phonétiques » - pourtant signalée par K. Goodman (in F. Smith, 1980) - n'interviendrait plus que comme « béquille » dans quelques rares cas.

D'après le troisième courant, en pleine expansion actuellement, « lire c'est à la fois pouvoir décoder et comprendre un texte écrit » (L. Sprenger-Charolles, 1986). Pour construire la signification d'un message écrit, le lec­teur utiliserait en même temps et en interaction ses « capacités cognitives » (pensée et attention) et le « déchiffrage » (traitement des éléments linguis­tiques écrits, analyse et synthèse des segments graphémiques). Ces deux activités seraient elles-mêmes guidées par sa « pré-compréhension » : ses attentes, ses questions, sa familiarité préalable avec le thème abordé (B. Allard et B. Sundblad, 1982). L'acte de lire serait le produit de processus primaires (mise en correspondance entre graphèmes et phonèmes, déchif­frage partiel d'un mot, reconnaissance immédiate de syllabes ou de mots) et de processus supérieurs (intelligence de la langue, prédictions syntaxico-

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LECTURE I ECRITURE

sémantiques, recours au contexte précédant ou suivant les éléments'à identi­fier). Il se situerait au croisement de mécanismes ascendants Qa perception d'une lettre ou d'un « bloc de lettres », oriente la saisie d'un mot ou d'un groupe de mots) et descendants (une hypothèse générale sur le contenu influence l'identification d'un mot ou d'une lettre). Pour le modèle interac­tif, il y aurait va-et-vient permanent entre des conduites grapho-phoniques de décodage et des opérations conceptuelles et sémanticocontextuelles (voir les présentations de M.J. Adams et BJ. Starr, 1982, L. Sprenger-Charolles, 1986).

De nombreuses données expérimentales vont dans le sens de la perspective interactive de la lecture. Rappelons en quelques-unes établies à partir de comparaisons entre groupes de bons et groupes de faibles lecteurs (enfants anglophones de 7 à 9 ans). L'enfant lecteur qui est un bon utilisateur du contexte est aussi généralement un bon décodeur de termes inconnus hors contexte (L. Murray et R. Maliphant, 1982). Les bons compreneurs sont aussi les plus performants, dans deux activités lexiques contrastées : le complètement de phrases « à trous » et l'identification de mots isolés (C.A. Perfetti, 1982). S'ils sont les plus aptes à se servir du contexte linguistique, notamment le contexte postérieur (F. Potter, 1982), ils en sont également les moins « prisonniers », les moins dépendants, car les plus capables de traiter dans un texte des mots très peu prédictibles (K. Stanovich, 1981 ; C.A. Perfetti, 1985). Bref, les bons lecteurs sont plus habiles pour utiliser « en même temps », diverses sortes d'informations linguistiques : grapho-phonologiques, syntaxiques, sémantiques.

DES CONDUITES DE LECTEUR AU CP

Toutes les études citées sont fondées sur des méthodes qui mettent en évidence des corrélations entre la performance en lecture-compréhension et d'autres compétences (habiletés) censées jouer un rôle plus ou moins grand dans l'activité de lecture. Une autre approche consiste à observer et analyser les comportements des lecteurs novices. C'est ce que nous avons tenté de faire avec des élèves au cours du premier trimestre du CP. Quelques exemples (1), relevés dans une même classe située dans un quartier popu­laire, nous aideront à saisir les stratégies et les difficultés rencontrées par les lecteurs débutants. Ils nous permettront aussi de repérer les principales opé­rations en jeu dans « l'acte de lire de base », c'est-à-dire dans la recherche autonome du sens d'un récit court et simple associé à une illustration (texte d'une ligne composé d'une dizaine de mots environ).

1. Les cinq enfants appartiennent à des CSP « défavorisées ».

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Les processus interactifs dans le savoir-lire de base

Chaque enfant est seul avec l'expérimentateur qui lui présente uñ petit livre de littérature enfantine (Les deux ours, collection Je lis tout seul, OCDL). Le sujet manipule d'abord le livre et le feuillette à sa guise. Puis il est invité à lire (1) le texte « Les deux petits ours sautent dans la neige » situé sous un dessin.

• Nadia montre du doigt, de gauche à droite, tout l'énoncé et dit « boule », sans doute en faisant allusion aux gros flocons de neige visibles sur l'image.

Les deux petits ours sautent dans la neige _ ^

boule

• Isabelle parcourt avec l'index la phrase écrite en disant « les ours i jouent et i tombent ».

Les deux petits ours sautent dans la neige > .

Les ours i jouent et i tombent

• Samir reconnaît des « petits mots » Ces, la), il essaie d'identifier des syllabes (« sa, c'est comme Samir »), épelle quelques lettres (t, i) et fait des comparaisons (« c'est comme papa », en pointant le début de petit).

Les deux petits ours sautent dans la neige

I / l u ! I t, i sa / 1

les c'est comme papa la • Michel oscille entre « le bricolage des lettres » et « l'invention » d'une

histoire. 1er essai :

Les deux petits ours sautent dans la neige,

I I J / Í I le de pe o sa la

1. Consigne initiale : « Qu'est-ce que c'est écrit ? Regarde bien (... ) À présent tu me dis ce qui est écrit, ce que tu reconnais, ce que tu crois. Montre avec ton doigt ce qui est écrit » et indique les mouvements de l'index.

Page 85: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

Il progresse mot à mot, voire syllabe après syllabe, uniquement préoccupé par la « production de sons ». Exp. Je ne comprends pas. Tu comprends, toi, ce qui est marqué ? Qu'est-ce que ça raconte ?

2e essai :

Les deux petits ours sautent dans la neige >.

l'ours se promène, l'autre il est par terre

• Myriam explore en silence l'énoncé de gauche à droite ; ses yeux font un retour en arrière puis rebalaient l'ensemble. Exp. Alors ? Tu as compris ? Myr. J'ai trouvé les, la... dans (elle pointe ces trois mots)... Myr. pe... tit, petit... ours Exp. De quoi ça parle ? Myr. Des petits ours. Exp. Oui. Essaie de tout lire, de tout comprendre. Myriam parcourt de nouveau toute la phrase visuellement et se fixe sur la fin. Elle dit à mi-voix : « dans la n... , dans la neige ». Puis elle oralise tout doucement : « les petits ours s... , sa... , les petits ours s'amusent dans la neige ». Exp. Qu'est-ce que ça raconte ? C'est écrit quoi ? Myr. regarde l'expérimentateur et déclare, radieuse « Les petits ours i s'amusent dans la neige ».

DES PROCÉDURES DIVERSES

Dans une première approche descriptive et comparative, on constate que seule Myriam parvient à identifier les mots en recourant à des procédés variés : reconnaissance immédiate ou « idéogrammique » (les, la, dans), anticipations (1) (ours), analyse/synthèse (petits), mélange d'hypothèses et de combinatoire grapho-phonique (neige, sautent). Elle est aussi la seule capable de se centrer alternativement sur plusieurs types d'unités linguis­tiques : les micro-unités de seconde articulation (lettres, syllabes), les élé­ments porteurs de sens (les mots) et l'ensemble ou macro-unité significative (groupe syntaxico-sémantique, phrase). Ceci lui permet par exemple de « sauter l'obstacle » (deux) ou de combiner « travail » sur les formes phono-graphiques et « travail » sur le sens.

1. Il faudrait, pour une analyse plus fine, distinguer anticipations locales (« deviner » un mot) et textuelles (hypothèses sur le récit), prédictions (utilisant le seul pré-contexte) et retours en arrière.

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Les processus interactifs dans le savoir-lire de base

Pour nombre de spécialistes, le lecteur débutant utilise « une démarche privilégiée » : soit la lecture idéovisuelle, soit au contraire le passage par le déchiffrage systématique. On entend parfois dire que chaque enfant a sa propre et unique « entrée » : par le sens ou par la combinatoire. De tels points de vue dichotomiques et unidimensionnels ne paraissent guère fon­dés. En réalité, il semble que l'apprenti lecteur efficace emploie, en alter­nance et en synergie, différentes « manières d'être lecteur ». Au cours d'une même séquence ou d'une même tâche, il lit ponctuellement avec telle ou telle « méthode de lecture » : syllabique, idéovisuelle ou mitigée.

LA STRATÉGIE DE LECTURE

L'examen d'une centaine de protocoles de ce genre nous a conduits à voir dans l'acte lexique de base une activité cognitive complexe. On ne peut le réduire à un simple savoir-faire instrumental ou à un montage de mécanismes sensoriels ou psycho-moteurs. On ne peut le limiter à la réalisa­tion quasi-automatique du « désir » de l'enfant ou du « statut » de question­neur d'écrit conquis par l'apprenti lecteur. On ne peut pas enfin en faire une conséquence directe ou immédiate des situations fonctionnelles ou authen­tiques de lecture proposées à l'enfant. Même si ces aspects de l'acquisition de la langue écrite sont importants, ils ne doivent pas conduire - ce qui est malheureusement souvent le cas - à occulter la dimension cognitive et psy­cholinguistique du savoir-lire de base.

Plus précisément, l'acte de lire (voir Myriam) apparaît comme une stra­tégie (1) composée de sept principales opérations intellectuelles :

1. Questionner le contenu : « que se passe-t-il ? Qu'arrive-t-il à X ? Que faitY?»

2. Repérer le support (le média) et le type d'écrit : «c'est un livre d'his­toire », « c'est l'histoire de X ».

3. Explorer une quantité pertinente porteuse de sens : une ligne, une phrase (ce qui est compris entre une majuscule et un point), un groupe nominal...

4. Identifier des formes graphiques : mots, syllabes, lettres. et 5. Anticiper des éléments syntaxiques ou sémantiques : classe de mots,

unités lexicales. 6. Organiser logiquement les éléments identifiés. et 7. Mémoriser les informations sémantiques, la signification du texte

étudié.

1. Stratégie : conduite coordonnant différentes actions en vue d'un but (ici, comprendre la phrase écrite examinée).

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LECTURE I ÉCRITURE

La première grande difficulté pour le lecteur néophyte ou maladroit tient au caractère hétérogène de l'activité de lecture : même pour lire un énoncé « simple et court », il faut mobiliser des procédures psycholinguistiques très diversifiées. Nombre d'erreurs ou d'échecs sont dus à l'absence de certaines opérations chez le candidat lecteur. Quand la première est omise (s'interro­ger sur le contenu de l'écrit à traiter), le sujet se lance dans une entreprise de syllabation ou de « pêche aux mots » dénuée de sens. S'il n'a aucune idée du type d'écrit ou du thème abordé (opération 2), lire se transforme en mis­sion impossible. Au lieu d'être « un explorateur d'écrit », le lecteur médiocre peut rester « un piocheur borné » qui se polarise sur un petit frag­ment d'écrit (mot, syllabe, groupe de lettres) et bute au premier obstacle (opération 3). Certains inventent ou devinent en délaissant le traitement des formes graphiques (opération 4). D'autres, à l'inverse, consacrent leur éner­gie à produire des combinaisons phono-graphiques et ont très peu d'intui­tions ou d'hypothèses sur le sens (opération 5). Ceux qui « savent lire (sic) sans comprendre ce qu'ils lisent » juxtaposent une suite de mots sans établir de liaison logique ou chronologique entre les éléments identifiés (opération 6). Une partie des lecteurs inefficaces « oublient ce qu'ils viennent de lire » car ils n'ont pas « stocké » (enregistré) les informations recueillies (opéra­tion?).

La seconde cause majeure d'insuccès tient à l'aspect dialectique de plu­sieurs opérations : pour lire, il s'agit de combiner des processus cognitifs contrastés, de faire interagir des mécanismes radicalement différents. Dans les opérations 4 et 5, le jeune lecteur doit articuler constamment le repérage de marques écrites ou de correspondances grapho-phoniques (par ex. le p ou le pe) et la découverte du signifié (l'idée de petitesse ou d'infantilité des per­sonnages), n lui faut sans cesse associer le traitement des « signes » linguis­tiques écrits (mots, lettres, syllabes) et les anticipations syntaxico-séman­tiques (ça se passe où ? que font les ours ? ). Il doit en outre « s'appuyer sur de l'écrit segmenté et ordonné pour reconstruire une réalité globale » (A. Bentolila, 1989), aller des micro-unités linguistiques (les, la, pe, ti, n, sa... ) à la situation extra-linguistique (un jeu entre deux oursons) et récipro­quement. Par exemple, il lui faut établir un aller retour entre le décryptage du mot petit et l'élaboration d'images mentales correspondant à la scène ou à l'événement relaté (« il y a deux ours qui sautent dans la neige »).

Une telle stratégie ne va pas de soi pour un apprenti lecteur de six ans. Myriam l'exprime bien au cours d'un entretien qui suit cette séance : « Avant, je croyais qu'il fallait juste trouver les mots. Mais ça suffit pas. Il faut les arranger dans sa tête pour que ça fasse une histoire »(voir aussi G. Chauveau et E. Rogovas-Chauveau, 1989). De nombreux lecteurs malha­biles ont du mal à réaliser ce passage du fragment écrit (les lettres, les mots) au « global cohérent » (la totalité du récit ou de l'assertion). Ou bien, ils

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Les processus interactifs dans le savoir-lire de base

alternent comme Michel déchiffrage borné et devinement sans contrôle, sans réussir à lier les « signes » grapho-phonémiques et le sens (voir aussi N. Van Grunderbeeck et al., 1986).

LE TRAITEMENT DES INFORMATIONS

Si on utilise la perspective du traitement de l'information, on peut décrire l'activité de lecture de base comme la coordination de sept sortes d'infor­mations :

1. Informations culturelles. Myriam sait que certaines espèces d'ours vivent dans les régions polaires.

2. Informations matérielles « médiatiques ». Myriam émet des hypo­thèses générales à partir du support : c'est un livre, cette collection propose généralement des récits.

3. Informations iconographiques. Elle interprète l'image correspondant au texte : c'est des ours qui jouent.

4. Informations visuelles (les indices). Elle repère dans d'autres situa­tions observées la cédille et la boucle descendante de garçon, le ph au milieu de éléphant, le M de Martine, etc.

5. Informations phono-graphiques. Elle établit les relations entre n et /n/, s et /s/, déchiffre petit et déchiffre partiellement sautent.

6. Informations idéographiques. Elle reconnaît immédiatement (« globa­lement ») les, dans, la qui font partie de son vocabulaire visuel (ou « capital mots »).

7. Informations sémantico-syntaxiques. Elle sait que dans la annonce un lieu et un nom féminin, que le terme manquant entre « les petits ours » et « dans la neige » est obligatoirement un verbe.

Les quatre autres enfants cités ne peuvent mobiliser l'ensemble de ces sources d'informations ou/et sont incapables de les associer. Le « vrai lec­teur » de six ans serait donc celui qui peut traiter des informations linguis­tiques et extra-linguistiques de toutes sortes et qui peut jouer avec souplesse de leur complémentarité.

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Page 89: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

ACTE DE LIRE ET SOUS-SAVOIR-FAIRE

Bien que maîtrisant imparfaitement certaines procédures - décodage, anticipations, reconnaissance de formes écrites, traitement alphabétique par­tiel des mots... - Myriam sait « quand même » lire. Le fait d'être un cher­cheur de sens (ou de contenu) lui permettrait de rendre opératoires des savoir-faire qui, pris en soi ou séparément, apparaissent encore bien insuffi­sants.

Ainsi, on aboutit à l'idée que le savoir-lire est une compétence élaborée (stratégique) de (re)construction de sens prenant appui sur une série de com­pétences restreintes (spécifiques) en para-lecture.

1. Compétence verbo-prédictive : savoir compléter ou terminer un énoncé verbal « à trous ».

2. Compétence grammaticale : avoir conscience (ou une connaissance implicite) des structures de la langue parlée ou écrite ; avoir par exemple saisi les concepts de mot et de phrase.

3. Compétence idéographique : constituer et accroître son « capital mots ».

4. Compétence grapho-phonique : avoir compris la relation oral/écrit, acquérir le code de correspondance graphème/phonème, pouvoir faire la synthèse et l'analyse d'un groupe de phonèmes ou de graphèmes.

5. Compétence fonctionnelle : savoir distinguer des supports et des types d'écrits différents ; adapter son comportement de questionneur de contenu en fonction de la nature du texte et de la situation.

6. Compétence culturelle : avoir des connaissances générales sur « le sujet à lire ».

7. Compétence tactique : s'efforcer d'intégrer des informations très diversifiées, connecter des opérations sectorielles.

Bien sûr, on peut dire que certains de ces savoir-faire particuliers sont eux-mêmes dépendants de fonctions ou de capacités plus générales. Il est probable que la compétence verbo-prédictive est étroitement liée au niveau lexical de l'enfant et à son aisance verbale. L'habileté à saisir la combina-toire et la nature alphabétique de l'écriture paraît largement déterminée par le niveau de conscience phonique (ou phonémique) du sujet. La possibilité de coordonner des informations et des activités variées est à rapprocher des capacités de l'enfant à résoudre des situations-problèmes ou à séparer-relier parties et tout d'un objet.

Quoi qu'il en soit, il nous semble d'ores et déjà important de signaler que l'activité de lecture du débutant nécessite l'existence de nombreuses com­pétences à propos de la lecture et l'écriture. Mais il suffit de posséder ces

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Les processus interactifs dans le savoir-lire de base

compétences de façon partielle ou fragile pour que l'acte de lire soit réussi. Par exemple, il est indispensable de maîtriser au moins une partie du code de correspondance phono-graphique. Ce savoir-faire ne suffit certes pas pour comprendre un énoncé inconnu (voir Samir et Michel) mais un « niveau zéro » dans ce secteur rend impossible toute lecture véritable (voir Nadia et Isabelle). L'emploi exhaustif et exclusif des conduites grapho-phoniques, de même que leur méconnaissance par les lecteurs novices constituent des obstacles énormes à la compréhension de textes décrits. Comme Myriam, les « bons lecteurs débutants » que nous avons observés ne pratiquent jamais un déchiffrement systématique et continu. Mais ils n'aban­donnent jamais tout recours à des procédés phonético-graphiques au profit des seuls mécanismes indéovisuels. En fait, ils modulent et diversifient leur usage du décodage : décomposition-recomposition complète d'un mot, ana­lyse partielle, grapillage d'indices grapho-phoniques (souvent au début des mots). Et ils l'emploient toujours de concert avec d'autres procédures : anti­cipations locales (sur un mot), hypothèses sémantiques générales (sur « l'histoire »), reconnaissance immédiate de termes. Bref, ils se servent de la combinatoire « avec intelligence », c'est-à-dire en même temps et au même titre que d'autres « outils » de para-lecture.

Comme d'autres analyses (T. Carr, 1981 ; M. Adams et B. Starr, 1982), nos travaux conduisent à mettre en cause le caractère « unilatéral » ou « uni-factoriel » des théories psycholinguistiques de bas en haut (bottom up) et de haut en bas (top down) de la lecture. La « partialité » est encore plus nette chez les praticiens et les pédagogues qui se réclament de ces deux grandes écoles. Pour les uns, les « traditionnels », pour apprendre à lire, il faut partir des niveaux linguistiques « les plus simples » (les lettres et les sons) pour arriver progressivement au mot puis à la phrase. Pour les autres, les « nova­teurs », tout ce qui relève du déchiffrement et des habiletés grapho-pho­niques est « contraire », « opposé » au comportement de lecteur.

Nos observations indiquent que, vers 6-7 ans, les bons compreneurs sont aussi de bons décodeurs. Ils sont surtout capables de faire interagir les informations de bas niveau et celles de haut niveau. Us ont des comporte­ments plus diversifiés et plus flexibles que ceux des lecteurs moins habiles (L. Sprenger-Charolles, 1986, p. 25). La lecture-compréhension semble bien être le résultat de l'interaction entre des processus ascendants - qui vont des micro-unités linguistiques (lettres, groupes de lettres) vers les macro-unités (phrases) - et des processus descendants - mobiliser ses connaissances, ses capacités de raisonnement et d'inférence pour identifier des fragments écrits.

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LECTURE I ECRITURE

VERS UNE THÉORIE INTERACTIVE DE L'ACQUISITION DE LA LECTURE

Cette conception interactive de l'acte lexique peut être étendue au pro­cessus d'acquisition du savoir-lire. Pour devenir lecteur, il faudrait à la fois être un chercheur de sens et un chercheur de code. L'installation de l'acte de lecture se ferait dans un va-et-vient continu entre le développement d'une capacité à questionner des contenus variés, à « faire du sens avec de l'écrit » (compétence de lecture) et la mise en place progressive de compétence de para-lecture (ou sous-compétences lexiques) : connaître la fonction des mul­tiples supports et types d'écrits, constituer un capital mots, maîtriser les règles de correspondance grapho-phonologiques, traiter des mots ou groupes de lettres (analyse et synthèse), formuler des hypothèses sémantiques, réflé­chir sur le fonctionnement de la langue... Le savoir-lire serait à la fois cause et conséquence de ces divers savoirs et savoir-faire en lecture-écriture.

D'après les points de vue classiques, l'enseignement/ apprentissage de la lecture se déroule selon un schéma linéaire dont le décodage représente l'étape première, voire la pièce maîtresse. L'enfant et l'enseignant devraient « d'abord passer » par la maîtrise totale des correspondances lettres-sons et le déchiffrage systématique avant d'accéder à la pratique de la lecture-com­préhension. Actuellement, cette conception semble reprise par des psycho­linguistes qui font de la conscience phonique la base ou la condition numéro un du savoir-lire (J. Alegria et M. Moráis, 1988).

Des thèses « nouvelles » proposent un modèle linéaire inverse de la construction de savoir-lire. La « quête » et « le projet » de l'apprenti lecteur dans « des situations fonctionnelles » seraient les seuls déterminants des progrès lexiques. Puis - vers 7-8 ans - l'enfant construirait des connais­sances sur l'écrit, opération « indépendante » et « conséquence » de l'acqui­sition de la lecture (J. Foucambert, 1976, p. 38, 80,97).

Ces deux analyses de l'évolution des capacités de lecture ont un point commun : elles recherchent la source ou la matrice d'où découlerait toute une série de comportements et de savoir-faire ; elles occultent ou rejettent les autres « origines » possibles. En accord avec la perspective interactive, nos observations suggèrent, au contraire, que le développement de la conscience phonologique chez l'enfant n'est pas indépendant des aspects culturels et fonctionnels de l'apprentissage du savoir-lire. De même, rien ne nous permet de penser que le perfectionnement de certaines habiletés (mémoriser des formes écrites, formuler des hypothèses sur des textes impri­més) est séparé - encore moins exclusif - d'autres apprentissages instru­mentaux tels que le décodage. Les points de vue linéaires (une cause A -> un effet B, un savoir X -» un savoir Y) et binaires (soit le facteur 1,

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Les processus interactifs dans le savoir-lire de base

soit le facteur 2) ne nous semblent pas pertinents pour rendre compté de la construction de l'activité lexique.

Il faut plutôt l'envisager en termes de « réseau » ou de « maillage ». D'après ce modèle, l'acte de lire « réussi » est l'aboutissement d'interac­tions entre des savoirs ou des savoir-faire sur la lecture et l'écriture, le plus souvent ponctuels et lábiles, et une stratégie de producteur de sens plus ou moins grossière ou approximative. Il y a mise en place conjointe de sous-compétences lexiques (ou instrumentales) et de la capacité à « attribuer » des significations à des messages écrits, grâce à des connexions multiples entre toutes sortes de « mini savoirs » et de techniques embryonnaires. Toutes ces habiletés en lecture-écriture évoluent de pair et se renforcent l'une l'autre.

Pour devenir lecteur, l'enfant n'a pas besoin de maîtriser parfaitement tel outil (par ex. la combinatoire, le stock de mots mémorisés visuellement, la capacité à anticiper, le repérage des supports, etc. ) ; mais il en acquiert plu­sieurs de concert, en même temps qu'il multiplie les occasions et les tenta­tives de questionner (« comprendre ») des écrits. Les conduites de « cher­cheur de sens » deviennent de plus en plus efficaces lorsqu'elles s'appuient sur des connaissances en lecture-écriture de plus en plus diversifiées et solides, connaissances qui sont elles-mêmes en partie le produit des expé­riences d'apprenti-compreneur de l'enfant. Bref, pour apprendre à lire, il faut comprendre la lecture et l'écriture et se doter de divers savoir-faire particuliers tout en multipliant les essais de « lire pour de bon ».

La majorité des conceptions sur le développement du savoir-lire pour­raient être représentées par un fil menant d'une compétence A bien installée à une compétence B entièrement neuve ou par une pelote qu'on déroule peu à peu, de deux ans (voire avant) jusqu'à seize ans (ou plus).

Nous préférons l'image de la fabrication d'une pièce de tissu : les savoirs sur la langue parlée ou écrite et les habiletés spécifiques en consti­tueraient la chaîne tandis que les expériences de « lecture vraie » et les explorations de textes écrits pour « faire du sens » en seraient la trame.

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LECTURE I ECRITURE

CONCLUSION : SAVOIR DE QUOI L'ON PARLE

Nous avons commencé cet article en soulevant la question du sens donné aux mots lire et savoir lire. Trop souvent encore, spécialistes et praticiens réduisent l'acquisition de la lecture au montage de mécanismes ou de savoir-faire en para-lecture : posséder la combinatoire, prononcer une succession de segments écrits, transformer des signes graphiques en formes sonores, mémoriser des mots ou des phrases imprimés... Nous avons signalé que renseignement généralisé de la lecture restait à réaliser.

Nous avons utilisé l'expression savoir-lire de base pour indiquer que l'activité (ou la compétence) d'un lecteur débutant au cours du cycle prépa­ratoire n'était pas semblable à celle d'un enfant d'âge pré-scolaire et qu'elle pouvait être bien différente de celle d'un lecteur confirmé, n y a lire et lire. Tous les comportements visant à « faire du sens » avec de l'écrit sont-ils de même nature ? Mettent-ils en jeu les mêmes processus cognitifs « eau » en montrant « Evian » sur la bouteille, est-ce de la lecture ? Quand il attribue une signification à un écrit (voir Nadia, Isabelle, Michel), peut-on dire que dans tous les cas « il s'agit d'une véritable lecture » ? Quand il associe une forme graphique (par ex. un mot sur une étiquette) et un objet ou un concept est-on en présence d'une activité de lecture-compréhension comme le pen­sent certains ? Pour nous, tous ces comportements d'apprenti-compreneur ne sont que les prémices ou les racines (1) du savoir-lire de base (comprendre de façon autonome un récit court et simple).

Entre ces savoir-faire isolés, rudimentaires, qui apparaissent très tôt chez le jeune enfant, et la stratégie fort complexe utilisée par Myriam, il y a un abîme cognitif et psycholinguistique. C'est ce qui explique que des apprentis-lecteurs mettent plusieurs années pour passer de la première étape à la seconde.

La notion de savoir-lire de base permet aussi deux autres distinctions importantes. Premièrement, un enfant qui comprend une histoire d'une ou deux lignes a encore souvent bien du chemin à parcourir avant d'être capable de lire un énoncé mathématique, une carte routière ou un texte litté­raire d'une page. Deuxièmement, les procédures utilisées par un débutant pour lire un texte donné ne sont pas nécessairement les mêmes que celles d'un lecteur expérimenté.

Repérer et préciser les différents sens du terme savoir-lire (comprendre) devraient devenir une priorité des chercheurs et des professionnels de l'enseignement/ apprentissage de la lecture.

1. Peut-être la préhistoire (L. Vygotski, 1978).

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Les processus interactifs dans le savoir-lire de base

De la même façon, il nous paraît urgent de séparer les divers rôles du déchiffrage et de l'oralisation. Quand Myriam dit à voix basse certaines par­ties du texte, elle pratique une forme de langage pour soi (ou auto-langage) qui lui sert à réguler son activité de lecture : mémoriser les informations, mettre en relation des éléments identifiés, contrôler son « travail mental »... Le lecteur malhabile emploie cet outil intellectuel - ce que Vygotski (1985) nommait langage privé (ou égocentnque) - pour accompagner, étayer sa démarche de compreneur. Ceci n'a rien à voir avec la pratique scolastique de la diction d'un texte mot à mot ou de la syllabation ânonnante.

Quand Myriam s'appuie, entre autres, sur des informations graphopho-niques pour lire-comprendre, cela signifie que le traitement partiel des unités linguistiques de seconde articulation (les phonèmes et les graphèmes) est l'un des moyens « d'attribuer du sens » à un texte écrit. Les comportements de « non lecteur » (ou plutôt de pré-lecteur) observés chez Nadia et Isabelle montrent que la maîtrise du savoir-lire nécessite une prise de conscience de la structure phonétique de la parole et de la nature alphabétique de notre écriture. En d'autres termes, un enfant doit avoir compris le principe du b. a., ba pour être un « vrai lecteur ». Ceci n'a rien à voir avec l'utilisa­tion d'une méthode synthétique de « lecture » par l'enseignant ou d'une activité de « lecteur » de type b. a., ba par l'apprenant. Beaucoup confondent les acquis, les connaissances sur l'objet (la langue parlée ou écrite) avec la démarche, les opérations de saisie du contenu G'acte de lire). Affirmer que l'apprenti lecteur doit avoir conscience du fonctionnement du système écrit ne signifie pas qu'il mobilise principalement des conduites graphophoné-miques pour lire. Dire qu'il doit être alphabétisé pour être lecteur - c'est-à-dire qu'il doit connaître les mécanismes de notre écriture, les aspects for­mels du langage écrit dans ses relations avec l'oral - ne veut pas dire qu'il doit employer une stratégie alphabétique de lecture - c'est-à-dire traiter lettre après lettre un énoncé écrit.

Enfin, une erreur fréquente consiste à confondre les différentes dimen­sions de l'apprentissage de la lecture - culturelle, affective, cognitive, sociale, pédagogique, psycholinguistique, etc. Si on mélange ces multiples aspects, si on les dilue les uns dans les autres, si on ne reconnaît pas nette­ment la nature pluri-dimensionnelle de cette acquisition, on part à la recherche de « son point central » ou de « son élément primordial », recherche qui nous paraît aussi vaine que celle de la pierre philosophale.

n est grand temps de mettre fin au cloisonnement des disciplines et au dialogue de sourds, en particulier entre psycholinguistes et pédagogues. C'est en rapprochant les divers abords de l'activité de lecture, en les faisant interagir, que nous appréhenderons de mieux en mieux « comment les enfants apprennent à lire ».

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Page 95: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

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Page 96: Lecture / écriture

ÉVALUER À L'ÉCOLE PRIMAIRE

Josette GADEÂU

Extrait de H. ROMIAN, E. CHARMEUX, S. DJEBBOUR, J. GADEAU

Maîtrise de la langue et cycles à l'école primaire INRR 1992

Présentation

Hélène ROMIAN

Nous citons ici un chapitre, extrait d'un ouvrage collectif Maîtrise de la langue et cycles. Les auteurs, membres des Équipes de Français-ler Degré de l'INRP, ont voulu par là verser l'expérience concrète de classes en recherche sur le terrain, au dossier de la mise en place des cycles.

Dès 1970, le Plan de Rénovation INRP de l'enseignement du Français à l'école primaire proposait un cycle G.S.-CP-CEJ d'apprentissages de la langue écrite. Depuis des années, des équipes ont travaillé dans cette pers­pective à des recherches successives qui toutes, visaient à prendre en compte l'hétérogénéité des élèves tout en assurant une effective maîtrise de la langue pour tous. C'est le travail de ces équipes d'instituteurs, conceptua­lisé par la recherche qui est mis à la disposition des maîtres. Pas de réponses prêtes-à-consommer, mais des pistes, à essayer, discuter, adapter, transformer, pour en ouvrir d'autres...

Ces pistes sont présentées à partir de questions que se posent les maîtres, recueillies dans une douzaine de départements par nos équipes, et regrou­pées en quatre chapitres.

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LECTURE I ÉCRITURE

- Chapitre 1. les problèmes pédagogiques trouvent aussi des solutions didactiques : la GS. va-t-elle devenir un petit C.P. ? une pédagogie différen­ciée est-elle possible avec 25 élèves ? ...

- Chapitre 2. Des programmes aux compétences : à quel âge doit-on savoir lire ? et la combinatoire ? ...

- Chapitre 3. Le temps et les moyens d'apprendre : comment, concrète­ment, tenir compte des erreurs des élèves ? comment traiter le programme si on part de ce que savent les élèves ?...

- Chapitre 4. Évaluer : va-t-on passer son temps à évaluer ? quels outils pour gérer la continuité des apprentissages, et comment les construire ? ...

C'est dire que les questions d'évaluation des compétences des élèves en lecture!production d'écrits sont à situer dans une conception cohérente des contenus, de la démarche d'ensemble de Venseignement!apprentissage de l'écrit.

Cette évaluation - ses critères et ses procédures, ses outils - n'est pas une fin en soi : elle n'a de signification pour les élèves (et les maîtres) que si elle renvoie à des objectifs d'apprentissage progressivement explicités avec les élèves. Apprendre à communiquer et à représenter le réel, à le concep­tualiser, dans et par l'écrit, selon des projets diversifiés, différenciés mettant en jeu les fonctions, les canaux et les usages de l'écrit, tels qu'ils existent dans les échanges sociaux (hors de l'école et dans l'école), et en relation avec d'autres modes de communication. Apprendre à résoudre les pro­blèmes langagiers qui se posent, dans les pratiques de l'écrit d'une part, et en construisant les savoirs qui permettent de mieux formuler et résoudre les problèmes d'autre part. Apprendre à évaluer la pertinence des lectures faites, des écrits produits, selon des critères qu'on a pu progressivement for­muler, dans le cours même de l'activité langagière, et se donner les moyens de relire, de réécrire de manière à améliorer l'efficience de l'activité, compte tenu du projet qui a induit la lecture!écriture. Construire ainsi pro­gressivement les savoirs sur les processus de lecture!écriture, sur les écrits, sans lesquels il n'est pas de pratique maîtrisée de la langue écrite.

Comme le souligne Josette Gadeau, auteur du chapitre que nous citons, Vévaluation -formative- des écrits, telle que nous l'avons réalisée et conceptualisée, est alors partie intégrante de Vapprentissage dont elle assure la régulation.

Les questions que nous avons recueillies à ce sujet auprès des maîtres témoignent souvent d'une certaine inquiétude : recueil.du « tout-évaluation » existe, et nous l'avons tous rencontré. Un point nous paraît déterminant : évaluer quoi, selon quels critères ?

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Évaluer à l'école primaire

VA-T-ON PASSER SON TEMPS À ÉVALUER ?

Peut-être si l'on s'entend sur les formes de cette évaluation. S'il s'agit en permanence de construire des épreuves de diagnostic, de

contrôler à chaque instant le développement des savoirs en cours d'acquisi­tion, de mesurer les écarts entre élèves pour déterminer des groupes de « niveaux », de « besoins », de « compétences », de mettre en graphiques ou tableaux des résultats cumulés de successions d'exercices, cette évaluation dévorante risque de prendre le pas sur l'apprentissage même.

S'il s'agit pour le maître « d'observer et de comprendre ce qui se passe dans les activités d'apprentissage » (texte sur les cycles), l'apprentissage reste premier dans ses préoccupations et dans la perception que les élèves ont des tâches scolaires. L'évaluation est alors partie intégrante de l'appren­tissage : on parle ici d'évaluation formative.

Prenons l'exemple de la production d'écrits. Des élèves de CM2 rédigent pour le journal de l'école un article dont le

but est d'expliquer en quoi consiste la course d'endurance, à côté d'autres articles racontant la participation de la classe à une rencontre sportive, com­mentant les scores réalisés... Les productions sur la course d'endurance en expliquent bien les principes, annoncent d'emblée l'enjeu du texte : « dans la course d'endurance, il faut... », « la course dendurance est une course où... ». Plusieurs élèves ont néanmoins introduit des éléments qui n'entrent pas dans l'explication : « après la course, on nous a servi du chocolat », « moi, j'ai couru dans la catégorie des 81 ».

Le maître « observe et comprend » : • que les élèves adoptent d'entrée de jeu une stratégie adaptée au type de

texte à produire ; ils ont reconnu dans la consigne d'écriture une distinction déjà amorcée entre des textes « qui racontent » et des textes « qui expli­quent » ;

• que tous ne savent pas s'en tenir à cette stratégie initiale, ce qui les conduit

- à attribuer à un même texte des fonctions hétérogènes et non compa­tibles : expliquer, définir la course d'endurance, c'est traiter de ce qui carac­térise toutes les courses d'endurance et non raconter ce qui se rapporte à celle qu'on a vécue ;

- à mêler de ce fait deux modes dénonciation ; l'un où l'auteur, exté­rieur à son texte, explique, définit, décrit, à la 3e personne, l'autre où, pré­sent dans le texte, il se raconte à la lrc personne ;

- à introduire des informations non pertinentes par rapport à l'enjeu du texte.

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LECTURE I ÉCRITURE

L'objectif du maître est double : • établir ce qui est acquis, et il n'est pas nécessairement besoin, pour

cela, d'un exercice spécifique d'évaluation ; • faire émerger les problèmes dont la perception et la résolution vont

permettre d'apprendre ce qui n'est pas acquis. Dans l'exemple cité, l'identification du problème est aisée : elle passe

par la lecture critique des productions par les camarades. L'apprentissage proprement dit passe, lui, par l'explicitation et la résolution du problème : pourquoi ne convient-il pas d'introduire dans ce texte des éléments narratifs ? Quelles sont les caractéristiques de ce type de texte ? Où peut-on trouver des textes semblables ? Comment sont-ils construits ?

L'évaluation continue que le maître peut faire des acquis des élèves en vue de cerner les apprentissages nécessaires n'est possible et efficace qu'à certaines conditions :

- que les élèves aient à réaliser des tâches circonscrites correspondant à un projet « dont ils connaissent les finalités » (voir chapitre 1), à des tâches d'écriture dont la réalisation fera surgir des problèmes parce qu'elles répon­dent à un enjeu réel (ex : le journal de l'école) ;

- que le maître - l'équipe des maîtres - se donnent des critères d'éva­luation des écrits produits, critères qui permettront de passer d'une percep­tion globale et implicite d'un problème à une localisation précise et explicite de ce qui fait problème. Aider les élèves à prendre de la distance par rapport à leurs textes pour repérer des problèmes et les formuler à leur manière, tels qu'ils les appréhendent, exige d'être soi-même au clair sur la nature de ces problèmes.

Ainsi, à la fin du cycle des apprentissages fondamentaux, un élève « doit pouvoir écrire (...) un court récit » ; quels critères me permettent de repérer cette compétence ? quand pourrai-je estimer que le récit fonctionne bien ?

• quand le rôle de chaque personnage, la relation entre eux, paraîtront bien définis ;

• quand le récit adoptera un « schéma narratif » clair, avec une fin en relation avec le début, une complication de l'histoire puis sa résolution ;

• quand le déroulement chronologique de l'histoire, les changements de lieux, les rapports de causalité entre les faits seront marqués par des mots de liaison qui conviennent ;

• quand aucun élément parasite ou incongru ne viendra perturber le monde créé par le récit ;

• quand l'usage des pronoms personnels de reprise n'introduira aucune ambiguïté...

Le Groupe ENRP « EVA » a conçu un cadre théorique de sériation des critères possibles pour aider à répondre explicitement à de telles questions. On en trouvera une présentation et des utilisations possibles dans plusieurs

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Évaluer à l'école primaire

productions de nos équipes signalées en bibliographie et dans les chapitres 1 et 4 de notre ouvrage.

Dans cette perspective, faut-il tout évaluer ? À coup sûr non, s'il s'agit bien d'organiser l'apprentissage. Comment

apprendre à résoudre en même temps dix problèmes d'écriture ? Il y a certes des problèmes interdépendants : l'objectif est précisément de faire apparaître les relations entre différents aspects (ex : utilisation de l'imparfait et du passé-simple dans le récit, liée à la distinction entre le cadre dans lequel se développent les actions et les actions elles-mêmes, relation des personnages entre eux et mode de désignation de chacun...). Mais l'évaluation formative ne va pas sans des choix, compte tenu des acquis des élèves, et sans une hié­rarchisation des problèmes à résoudre. Elle n'exclut pas non plus, surtout dans le champ de la lecture et de l'écriture, l'activité pour elle-même, pour le plaisir, pour s'exercer, pour affirmer sa compétence à lire et à écrire.

Précisons enfin que l'évaluation formative n'exclut pas les évaluations-bilans, nécessaires périodiquement, pour situer les élèves dans leurs itiné­raires d'apprentissage (évaluation sommative). Mais la perspective reste for­mative : les apprentissages ultérieurs en tiendront compte.

QUELS OUTILS D'ÉVALUATION PEUVENT AIDER LES MAITRES À GÉRER LA CONTINUITÉ DES APPRENTISSAGES DE CHAQUE ENFANT ?

S'il s'agit bien « d'apprentissages » et s'il s'agit de « chaque enfant », on pourrait alors poser la question autrement : quels outils peuvent permettre d'associer les élèves à l'évaluation de leurs acquis ? De tels outils sont centrés en effet, par nature

• sur l'apprentissage : apprendre suppose qu'on distingue entre ce qu'on sait, ce qu'on sait faire et ce qu'on ignore encore, que l'on doit préci­sément apprendre. On apprend d'autant mieux qu'on situe ce qu'il faut apprendre, et qu'on saisit pourquoi il est nécessaire d'apprendre (principe de « clarté cognitive »),

• sur l'élève qui, associé à sa propre évaluation, apprend à se situer lui-même dans son itinéraire d'apprentissage, avec l'aide de ses pairs et du maître.

Un exemple : les élèves à la fin du cycle 3, doivent « pouvoir (...) noter des informations recueillies à l'occasion de lectures ». Prendre des notes, c'est adopter une stratégie d'écriture très particulière qui consiste à jeter sur le papier, de la façon la plus « économique » possible - mais néanmoins lisible - ce dont on aura par la suite besoin pour élaborer un exposé oral, une information écrite...

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LECTURE I ÉCRITURE

Trois critères d'efficacité pour la prise de notes : • la rapidité (prendre le maximum d'informations en un minimum de

temps), • la pertinence (sélection des informations jugées utiles, importantes), • la lisibilité (sans laquelle les notes prises risquent de n'être d'aucune

utilité).

Conduit par le maître, un travail d'analyse comparée des notes « effi­caces » et des notes « inutilisables » peut permettre de dresser une liste d'éléments concrets qui correspondent à ces critères, et qui en « indiquent » la prise en compte, dans une prise de notes réussie

• noter rapidement des informations : présence d'abréviations, de signes mathématiques, absence d'articles...,

• sélectionner les informations : choix lexicaux, absence de paraphrase ou copie...,

• lisibilité : organisation des notes dans la page avec alinéas, tirets, souli­gnements. ..

Le relevé de ces indicateurs peut alors être synthétisé en règles d'écri­ture dont l'ensemble, dûment noté, va constituer un outil d'évaluation pour les prises de notes ultérieures.

Exemple d'outil pour la prise de notes : - Je note seulement les choses importantes ; - J'utilise des abréviations ; - J'utilise des tirets, des accolades, des flèches ; - Je ne fais pas de phrases ; - Je n'écris que des mots dont je comprends le sens ; - etc. Cet outil construit collectivement par et pour tous les élèves est utilisable

individuellement ou en groupes pour contrôler, avec l'aide du maître, l'amé­lioration progressive de la capacité de chacun à prendre des notes. Pour l'évaluation de la production d'écrits, le rôle du groupe est essentiel : il aide à prendre de la distance critique par rapport à ce qui a été écrit, renvoie l'auteur d'une production aux critères définis ensemble. Les références seront donc communes mais les itinéraires ne seront pas identiques. L'usage réitéré de l'outil permettra à chaque élève de constater des progrès et de focaliser son attention sur les difficultés non encore résolues.

Il permettra en outre de faire émerger des problèmes nouveaux exigeant l'addition de compléments à l'outil ou sa transformation. Par exemple, la règle « Je ne fais pas de phrases », expression ambiguë de la nécessité de distinguer « prendre des notes » et « rédiger » peut évoluer en règles plus précises : « Je ne recopie pas de phrases entières », « Je n'utilise pas d ar­ticles, de verbes... ». Il s'agit donc bien là de « gérer la continuité des apprentissages de chaque élève » en inscrivant l'évaluation dans un proces­sus socialisé, continu, progressif et explicite.

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Evaluer à l'école primaire

n n'est donc pas nécessaire d'individualiser les procédures d'évaluation, de démultiplier les batteries d'exercices, les items, pour gérer des parcours individuels, mais l'option de l'évaluation formative impose en revanche :

• des outils construits dans la classe avec les élèves, • dont la construction collective permet un usage individuel et collectif, • servant de référence commune au maître et aux élèves, • susceptibles d'évoluer avec l'évolution des savoirs de la classe.

Doit-on renoncer alors à utiliser des outils construits par d'autres ? Est-on, dans cette perspective, contraint à tout réinventer à chaque fois dans chaque classe ?

n y a peu de chances pour que de jeunes élèves utilisent efficacement des outils d'évaluation à l'élaboration desquels ils n'ont pas participé, particuliè­rement lorsqu'il s'agit d'évaluer des stratégies aussi complexes que celles qui contribuent au savoir-lire ou au savoir-écrire. En revanche, des outils « pré-construits » proposant une analyse des compétences, sont autant de références permettant aux maîtres de cerner les règles d'écriture qu'ils sou­haiteraient voir appréhender par les élèves et les critères qu'ils souhaite­raient leur voir construire. Plus que des outils « fermés » à la manière des batteries de tests (avec quantification des résultats), ce sont des outils-maîtres « ouverts », proposant par exemple des situations d'écriture et des critères d'évaluation de types d'écrits donnés qui sont de nature à fournir des matériaux pour une évaluation formative (1).

COMMENT CONSTRUIRE DES OUTILS POUR HARMONISER L'ÉVALUATION ENTRE LES CLASSES ET ENTRE LES CYCLES ?

Si l'évaluation formative passe par des outils construits dans la classe, ne s'oriente-t-on pas dans un sens opposé aux principes de cohérence et d'har­monisation entre classes qui fondent la gestion des apprentissages par cycles ? En fait deux agents puissants de continuité de classe en classe peu­vent intervenir dans l'évaluation formative :

• les élèves eux-mêmes et leurs outils, • le cadre théorique sur lequel les maîtres prennent appui pour élaborer

des critères d'évaluation (voir chapitre 1 et ci-dessous).

1. Un fichier, produit par le Groupe EVA, a été construit dans cet esprit : Évaluer les écrits à l'école primaire. Des fiches pour faire la classe. INRP, Hachette Éducation 1991.

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LECTURE I ÉCRITURE

1. Les élèves et leurs outils

Quand les maîtres disposent seuls des critères permettant d'apprécier la réussite d'une tâche, le problème se pose pour les élèves de chercher à satis­faire aux attentes de chaque maître en devinant ce que sont ces attentes.

Si, dans chaque classe, les élèves sont associés à l'évaluation de leurs compétences, apprennent à élaborer des critères d'évaluation, à les utiliser, à repérer des réussites et des problèmes dans leurs écrits et ceux de leurs pairs, c'est ce savoir-là qui devient un des agents de continuité et de cohérence. Les élèves peuvent alors exprimer ce qu'ils savent faire et élucider avec le maître ce qu'il leur faut apprendre à faire.

Des élèves de CP ont appris par exemple que lorsqu'on écrit une recette de cuisine, on indique :

• les ingrédients d'abord, avec les quantités, • les actions ensuite.

Ce savoir reste valide lorsqu'au CEI on abordera à nouveau l'écriture de textes prescriptifs (recettes, notices de fabrication, règles de jeux...). Valide mais bien sûr trop sommaire ; d'autres apprentissages sont nécessaires et possibles au CEI : comment organiser clairement la succession des prescrip­tions ? peut-on utiliser dans un même texte « je prends », « on ajoute », « vous mélangez » ? Nouveaux critères de réussite à expliciter : nouvel outil à construire, plus complet, plus efficace, plus « savant » que celui utilisé au CP, mais il n'y a pas, pour autant, rupture de continuité.

Cela suppose évidemment que l'ensemble des maîtres fasse au moins un choix pédagogique commun : celui de l'évaluation formative. Ce choix per­met alors d'aborder une classe nouvelle avec des outils construits dans la classe antérieure, non pour s'enfermer ou limiter l'initiative de chaque maître, mais pour permettre la construction d'outils nouveaux sur des bases connues.

2. Un cadre théorique de référence pour les maîtres

Si, pour un maître de CP, réussir la lecture d'un texte c'est être en mesure d'oraliser « sans accrocher » et que le maître de CEI apprécie la lecture réussie par la capacité à raconter ou commenter ce qui a été lu, il existe un tel décalage entre les critères qu'il n'y a plus, à coup sûr, aucune « har­monie » dans l'évaluation.

Harmoniser l'évaluation entre les classes et les cycles, c'est adopter les même références pour définir des critères d'évaluation, pouvoir décrire un savoir ou un savoir-faire avec les mêmes mots, recouvrant les mêmes repré­sentations. La concertation au sein du Conseil de Cycle permet la construc­tion de ces références communes. Cette construction ne part pas de rien : le

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Évaluer à l'école primaire

simple fait de confronter, au sein de l'équipe, les critères utilisés par chacun des maîtres peut aider l'équipe à avancer. L'harmonisation s'effectue d'au­tant mieux qu'elle s'inscrit dans un processus commun de formation, en recourant à des outils-maîtres ouverts comme ceux qui ont été évoqués plus haut

n convient ici de souligner que dans les domaines d'apprentissage tels que ceux de la lecture ou de la production d'écrits, il n'y a pas de différence de nature entre ce qu'on attend d'un élève de CEI ou d'un élève de CM2 ; il n'y a de différence qu'au niveau des degrés de maîtrise de ces savoir-faire, en sorte que les critères d'évaluation peuvent se référer aux mêmes analyses. Concernant la production d'écrits, par exemple, les compétences à dévelop­per - donc à évaluer - procèdent dans nos classes d'un même cadre théo­rique dont le principe a été présenté dans l'ouvrage (chapitre 1) à propos de l'oral.

Nous reproduisons ci-après la version de ce cadre que le Groupe EVA a construite pour un Fichier-Maîtres « Évaluer les écrits à l'école primaire ». Bien entendu, il ne s'agit pas, pour chaque écrit, de poser toutes les ques­tions possibles : selon les types d'écrits, les types de problèmes rencontrés par les élèves, on a intérêt à travailler plutôt au niveau de telle ou telle « case », sans perdre de vue les autres ; ainsi la « case » pragmatique (en haut à gauche) est souvent décisive pour régler les problèmes morphosyn­taxiques (« case » en bas à droite). Le « but du jeu » est de déglobaliser la notion de savoir écrire, de permettre ainsi aux maîtres de savoir où ils vont, non plus au coup par coup, mais avec une vue d'ensemble des critères d'évaluation des écrits qui sont à construire progressivement, et des compé­tences qui en sont le corollaire.

Comme nous l'avons souligné déjà, ce cadre théorique est transposable à la lecture : questions pour lire (comprendre et utiliser) les écrits. L'évalua­tion d'un écrit n'est-elle pas l'une de ses lectures possibles ?

Pour les maîtres - comme pour les élèves - les itinéraires seront dif­férenciés, mais la « carte » de référence étant la même, la mise en cohé­rence devient possible, sur la durée du cycle, et d'un cycle à l'autre.

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LECTURE I ECRITURE

UNITÉS

Questions pour évaluer les écrits

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e CU X

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Ce tableau figure également dans Évaluer les écrits à l'école primaire, Hachette Éducation/INRP, 1991.

Texte dans son ensemble

- L'auteur tient-il compte de la situation ? (qui parle ou est censé parler ? à qui ? pour quoi faire ?) - A-t-il choisi un type d'écrit adapté ? (lettre, fiche technique, conte...) - L'écrit produit-il l'effet recherché ? (informer, faire rire, convaincre...)

K - L'information est-elle pertinente et cohérente ? - Le choix du type de texte est-il appro­prié ? (narratif, explicatif, descriptif...) - Le vocabulaire dans son ensemble et le registre de langue sont-ils homogènes et adaptés à l'écrit produit ?

- Le mode d'organisation correspond-il au(x) type(s) de texte(s) choisi(s) ? - Compte tenu du type d'écrit et du type de texte, le système des temps est-il perti­nent ? homogène ? (par exemple impar­fait/passé simple pour un récit... ) - Les valeurs des temps verbaux sont-elles maîtrisées ?

- Le support est-il bien choisi ? (cahier, fiche, panneau mural... ) - La typographie est-elle adaptée ? (style et taille des caractères...) - L'organisation de la page est-elle satis­faisante ? (éventuellement, présence de schémas, d'illustrations...)

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EST-CE QU'ON PEUT EVALUER EN MATERNELLE ?

D'une façon générale, l'école maternelle affirme son respect de la per­sonnalité et des savoirs de chaque enfant. Mais du même coup, elle répugne à évaluer, de peur de porter prématurément des jugements qui enfermeraient certains enfants dans des représentations négatives. C'est qu'elle se réfère implicitement au modèle d'évaluation le plus en cours, l'évaluation norma­tive qui, par définition, se donne pour objet de situer les élèves par rapport à une norme (ce qu'on doit savoir faire à tel moment) et classe les élèves en deux catégories, ceux qui satisfont à la norme et les autres.

En même temps qu'elle refuse ce type d'évaluation, l'école maternelle y soumet les enfants qu'elle pressent très en-deçà d'une norme implicite. On sollicite alors des « bilans » auprès du GAPP, lesquels se référant à des bat­teries de tests étalonnés, concluront à des « retards » par rapport à la norme :

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Evaluer à 1 école primaire

Relations entre phrases

- La fonction de guidage du lecteur est-elle assurée ? (utilisation d'organisateurs textuels : d'une part, d'autre part, d'abord, ensuite, enfin...) - La cohérence thématique est-elle satis­faisante ? (progression de l'information, absence d'ambiguïté dans les enchaîne­ments...) 4

- La cohérence sémantique est-elle assu­rée ? (absence de contradiction d'une phrase à l 'autre, substituts nominaux appropriés, explicites...) - L'articulation entre les phrases ou les propositions est-elle marquée efficacement (choix des connecteurs : mais, si, donc, or...) 5

- La cohérence syntaxique est-elle assu­rée ? (utilisation des articles définis, des pronoms de reprise... ) - La cohérence temporelle est-elle assurée ? - La concordance des temps et des modes est-elle respectée ?

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- La segmentation des unités de discours est-elle pertinente ? (organisation en para­graphes, disposition typographique avec décalage, sous-titres...) - La ponctuation délimitant les unités de discours est-elle maîtrisée ? (point, ponc­tuation du dialogue... )

Phrase

- La construction des phrases est-elle variée, adaptée au type d'écrit ? (diversité dans le choix des informations mises en tête de phrase...) - Les marques de renonciation sont-elles interprétables, adaptées ? (système du récit ou du discours, utilisation des démonstra­tifs...) ?

- Le lexique est-il adéquat ? (absence d'imprécisions ou de confusions portant sur les mots) - Les phrases sont-elles sémantiquement acceptables ? (absence de contradictions, d ' incohérences... )

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- La syntaxe de la phrase est-elle gram­maticalement acceptable ? - La morphologie verbale est-elle maîtri­sée ? (absence d'erreurs de conjugaison) - L'orthographe répond-elle aux normes ?

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- La ponctuation de la phrase est-elle maîtrisée ? (virgules, parenthèses...) - Les majuscules sont-elles utilisées conformément à l'usage ? (en début de phrase, pour les noms propres... )

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retard du développement langagier, du développement psychomoteur... Mais le problème de l'évaluation se pose à l'école maternelle, comme à l'école élémentaire, de toute autre manière si, à la notion de « bilans » fai­sant apparaître d'éventuels « retards », se substitue une évaluation formative qui se propose :

• d'observer de façon continue les processus d'apprentissage ; • d'associer, toutes les fois où cela paraît possible, les enfants au bilan de

ce qu'ils savent faire et de ce qu'ils doivent apprendre à faire.

Dans une perspective d'évaluation formative, les situations permettant l'observation des acquis des élèves ne se perçoivent pas en termes « d'épreuves » mais en termes de tâches, dans lesquelles les élèves sont véritablement impliqués et mobilisent volontairement tous leurs savoir-faire et savoirs pour réaliser un projet. Se pose alors la question des critères à

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LECTURE I ÉCRITURE

partir desquels on conduira l'observation, critères d'évaluation qufpermet-tent de comprendre par exemple où en sont les élèves dans leur appropria­tion de l'écrit en général, celle d'un type d'écrit en particulier. Ces critères concernent tout autant leurs stratégies de production que les caractéristiques de l'écrit produit.

Ainsi, des élèves de GS doivent écrire chacun une invitation à l'intention de leur famille pour la projection de diapositives sur la classe verte. Cette tâche d'écriture permet d'observer les différentes stratégies adoptées.

Il est intéressant en effet que le contexte de la classe autorise l'adoption de différentes stratégies qui marquent différents états de maîtrise de l'écrit, et par exemple :

• dictée à l'adulte d'un message très marqué par les formes de l'oral, • dictée à l'adulte d'un message élaboré oralement en respectant les

formes de l'écrit, • dictée à l'adulte d'un modèle écrit du message pour le recopier, • essai d'élaboration écrite autonome du message : - en recourant aux références et outils disponibles dans la classe, - en traçant de mémoire un certain nombre de mots connus, - en se risquant à l'écriture de mots non connus à partir de quelques

lettres dont le correspondant phonique a été repéré...

L'écrit lui-même, quelle que soit la stratégie d'élaboration adoptée, apporte de précieuses informations sur la capacité des élèves à saisir l'enjeu particulier d'un tel message, et par exemple :

• prise en compte du destinataire dans la formulation du message d'invi­tation (« venez » ; «je vous invite » ; « il faut que tu viennes »),

• précision de l'information (date, heure, lieu de la manifestation), • essai d'argumentation pour convaincre de se rendre à l'invitation (« je

serais content que » ; « sur les diapos, tu me verras sur un poney » ; « il y aura aussi des gâteaux »)...

Et l'on retrouve là des références possibles à l'outil précédemment cité. Les critères sont de même nature que ceux qui interviendraient aux cycles 2 et 3. Ce qui change, c'est leur degré d'élaboration, évidemment plus limité.

Comment harmoniser les observations de classe en classe ?

Comme à l'école élémentaire, l'harmonisation est affaire de communauté de références entre les maîtres. Des critères communs permettent à chacun :

• de construire ses propres outils d'observation, adaptés à l'âge de ses élèves, aux activités qu'il leur propose et aux formes d'organisation de son travail ;

• de passer ou prendre les relais en s'inscrivant dans la continuité néces­saire au respect de l'itinéraire d'apprentissage de chaque élève.

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Evaluer à l'école primaire

Ainsi conçue, l'évaluation peut impliquer sur le même mode, avec les mêmes références, les membres du réseau d'aide qu'on ne solliciterait plus alors pour mesurer des écarts de développement et entreprendre des procé­dures de réparation ou de « rattrapage », mais pour observer et agir, dans le contexte d'apprentissage de la classe.

Un élève de maternelle est-il capable, avec l'aide du maître de perce­voir ses réussites et ses erreurs ? Sans doute quand il sait dire : « je me suis trompé là » ; « oui, là, ça va » ; « j'ai oublié » (telle lettre ou tel mot dans un essai d'écriture) ; « je n'arrive pas à faire » ou « ce n'est pas comme ça ». Premières formulations de savoirs, premières reconnaissances de zones d'achoppement : première distance critique sur laquelle peut se fonder une évaluation formative véritable associant l'« apprenant » au constat de ses réussites et de ses erreurs, à la construction de ses itinéraires d'apprentissage.

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LECTURE I ÉCRITURE

BIBLIOGRAPHIE

Pour aller à la rencontre des classes en recherche

Comme nous l'avons souligné d'emblée, on ne peut pas, dans le cadre restreint d'une brochure, donner une idée exacte de la réalité diverse, vivante des classes en recherche, de tous les aspects de leur travail.

Nos lecteurs désireux d'en savoir plus pourront se reporter à des publications faites pour eux, dont l'objectif est, précisément, de montrer les classes des équipes en recherche.

Nous avons sélectionné ici quelques publications, qui s'inscrivent particulière­ment bien dans l'esprit des cycles. Il en existe d'autres...

Hélène ROMIAN

DÉVELOPPER, STRUCTURER LES COMPÉTENCES DE COMMUNICATION

• Francine BEST (1978) - Vers la liberté deparóle. Coll. INRP. Nathan.

Un livre toujours actuel sur les voies et les moyens concrets d'une pédagogie différenciée du langage oral, écrit permettant à chaque enfant, dans le groupe-classe, de s'approprier l'ensemble des usages sociaux de la langue, et d'analyser ses fonc­tionnements.

• Françoise SUBLET, Paulette LASSALAS, Georges JEAN et coll. (1982) -Poésie pour tous. Coll. INRP. Nathan.

Toujours actuel. Cet ouvrage présente un ensemble d'activités diversifiées per­mettant à tous les enfants de vivre, lire, dire, écrire la poésie. Et par là, de com­prendre les voies de la création poétique. Poésie, besoin vital.

• Jean-Pierre KERLOC'H, Claude BRUNNER, Sylvette FABRE (1985) - Et l'oral alors ? Coll. INRP. Nathan.

Suffît-il de communiquer pour apprendre à communiquer ? Des compétences de communication orale diversifiées, permettant de s'adapter à toutes les situations, cela aussi s'apprend.

• Hélène ROMIAN, Claudine GRUWEZ et coll. (1986) - Communiquer ça s'apprend. Coll. Rencontres Pédagogiques. INRP.

Des savoirs de la vie aux savoirs de l'école. Partir de ce que les enfants savent de leur environnement et d'eux-mêmes, de la communication, de l'écrit, de l'ortho­graphe pour les aider à construire des savoirs utiles, utilisables pour progresser. Une

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Évaluer à l'école primaire

évaluation formative des acquis. Des situations fonctionnelles de communication à l'école comme base d'apprentissages structurés. Et inversement.

• Hélène ROMIAN, Monique YZIQUEL (1988) Enseigner le Français à l'ère des médias. Rencontres de la langue, de l'image et du son. Coll. INRP. Nathan.

Oral, écrit, image : des apprentissages conjoints qui mettent en jeu à la fois des compétences sémiotiques communes (de construction de significations) et des com­pétences spécifiques, à différencier. Apprendre à lire / produire / analyser des pho­tos, des affiches, des B.D., des panneaux d'expositions, des plans, des schémas, le code de la mer... Apprendre la communication sociale sous toutes ses formes.

APPRENDRE À LIRE / ÉCRIRE

• Hélène ROMIAN, Evelyne CHARMEUX, Gilbert DUCANCEL et coll. LectureS/ÉcritureS en S.G.-CP-CE1. Coll. INRP. Nathan.

Plus actuel que jamais, cet ouvrage présente des classes travaillant dans l'esprit des cycles : « ce livre fait le point sur dix années d'expérimentation en SG-CP-CE1 : "cycle préparatoire" de 3 ans sans rupture, sans redoublements, pour per­mettre à tous les enfants de s'approprier les bases de la lecture / écriture ».

« L'arbre des méthodes de lecture n'a que trop caché la forêt d'apprentissages complexes. Ceux-ci mettent en jeu non seulement la lecture, mais aussi l'écriture (au sens large). La langue écrite, ses caractéristiques propres, et ses relations avec d'autres modes d'échanges socialisés, d'expression, de "symbolisation" du réel, de poétisation des êtres et des choses de la vie » (citations extraites de la présentation de l'ouvrage).

• Gilbert DUCANCEL et coll. (1988) - Problèmes d'écriture. Coll. Rencontres Pédagogiques. INRP.

Pour apprendre à écrire, apprendre à résoudre des problèmes posés par la pro­duction d'écrits. Qui écrit à qui, pour quoi faire ? Comment gérer l'organisation de textes diversifiés ? Comment mettre en forme orthographique ?

Pourquoi évaluer, quoi et comment ? Et, en définitive, comment enseigner la production d'écrits ?

• Groupe EVA - Josette GADEAU & Colette FINET (1991) - Évaluer les écrits à l'école primaire. Des fiches pour faire la classe. INRP/Hachette Éducation.

« Les élèves ne savent pas écrire ! »

« Ils ne réinvestissent pas ce qu'ils ont appris ! »

Dix années de recherches sur le terrain, d'expérimentation dans une cinquan­taine de classes très diverses, ont permis de construire des réponses concrètes aux problèmes des maîtres, des élèves, et les voies d'une évaluation formative des écrits nécessaires à la régulation des activités d'écriture.

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LECTURE I ÉCRITURE

Le livre se présente sous la forme d'une double série de fiches : des "fiches de didactique qui permettent de cerner les problèmes d'écriture et 42 fiches d'activités qui présentent le travail d'un maître et de ses élèves, et donnent ainsi les moyens de produire des types d'écrits diversifiés.

DES BROCHURES D'ÉQUIPES : RECHERCHE OUVERTE

• Groupe Régional de l'INRP, Jean-Pierre JAFFRÉ (1984) - L'écrit à l'école. Pratiques d'évaluation. Résolution de problèmes orthographiques. CNDP-CDDP Deux-Sèvres.

• Équipe INRP, EN de Melun (1984) - Des situations de communication à l'école pour apprendre à écrire. Cahiers du CDDP de Seine-et-Marne n° 9.

• Équipe INRP, EN d'Arras. Francis et Danielle MARCOIN (1986) - Lectures lentes. EN d'Arras.

• Groupe Régional de l'INRP, Jean-Pierre JAFFRÉ (1987) - L'écrit à l'école 2. Résolution de problèmes orthographiques. CNDP- CDDP des Deux-Sèvres.

• Commission Animation et Recherche Pédagogique Français de la Somme, Gilbert DUCANCEL (1987) - Lire I écrire le journal à l'école. Conseil Dépar­temental de Formation de la Somme, (contribution de 4 équipes INRP à la quasi totalité de la brochure).

• Équipe INRP de la Lozère, Claudine GARCIA-DEBANC (1987) -« Objectif : écrire ». CDDP de la Lozère.

• Équipe INRP, EN de Melun (1986) - L'orthographe à l'école élémentaire, création et utilisation d'outils de référence analogique. Cahiers du CDDP de Seine-et-Marne, n° 12.

• Équipe INRP, Abbeville-Vimeu, Gilbert DUCANCEL, Alain NICAISE (1988) - Apprendre à écrire des textes. Conseil Départemental de Formation. Inspection Académique de la Somme.

• Équipe INRP, EN de Melun, (1988) - Du brouillon au texte définitif. Cahiers du CDDP de Seine-et-Marne, n° 15.

• Équipe INRP, EN d'Ile-et-Vilaine, Gilbert TURCO (1988) - Écrire et réécrire au CE et au CM. EN d'Ile-et-Vilaine, CRDP de Rennes.

• Actes du Séminaire Académique d'Amiens, 1986-1987, Gilbert DUCANCEL (1988) - Recherches pour la lecture et l'écriture. Rectorat de l'Académie d'Amiens, Université de Picardie. CRDP d'Amiens. (4 contributions d'équipes INRP).

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Page 112: Lecture / écriture

Évaluer à l'école primaire

• %uipe INRP de l'École Normale de la Vienne, Paulette LASSALAS (1-990) -Lire I Écrire. Evaluer Des apprentissages aux approfondissements à l'école élémen­taire. EN de la Vienne, CRDP de Poitiers.

• Équipe INRP, EN de Melun (1991) - Des écrits pour faire : produire des textesprescriptifs à l'école. Cahiers du CDDP de Seine-et-Marne, n° 16.

• Équipe INRP, EN de Clermont-Ferrand, Catherine TAUVERON (1991) -Parcours d'orientation dans le livre. Activités de lecture et d'écriture à l'école élé­mentaire. CRDP de Clermont-Ferrand.

1113

Page 113: Lecture / écriture

L'EXPLORATION DES STRATÉGIES DE LECTURE

Martine RËMOND

Adapté de : Évaluer leur savoir lire

INRP, 1986

Présentation

Ce chapitre propose une approche nouvelle de l'évaluation de la lecture. L'auteur a mis au point des Épreuves permettant une observation fine des comportements de lecture, souvent sur des écrits hngs. La démarche adop­tée n'amène pas à des notes chiffrées, mais à des données très fines reflétant les-programmes d'action que l'enfant a mis en œuvre et les difficultés qu'il a rencontré. Ces travaux représentent une contribution originale de l'approche du fonctionnement cognitifet métacognitif du lecteur.

Au cours de la lecture, le sujet doit repérer et traiter les unités qui consti­tuent le texte, et organiser cette information en une représentation mentale hiérarchisée du contenu du texte. S'ajoutent à cela, les objectifs recherchés par le lecteur et qui lui feront adopter des règles d'action, des activités reflexives, formuler ou reformuler le but à atteindre et donc mettre en jeu ses capacités de modélisation et de contrôle de la tâche. Ces opérations mobilisent l'ensemble des connaissances et des savoirs du sujet.

Les demandes d'évaluation de la lecture sont nombreuses et variées ; malheureusement, la gamme des instruments à proposer, reste peu étendue et souvent la validité de ces instruments est empirique (Huteau, 1985).

Page 114: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

Beaucoup d'épreuves d'évaluation ou de diagnostic de la lecture se basent sur les aspects techniques : vitesse de lecture, compréhension testée par diverses techniques, anticipation appréciée par la restitution de mots manquants dans un texte... (Blanchard, 1989). Les résultats aboutissent le plus souvent à des mesures chiffrées permettant de comparer les individus à une population standardisée ; l'information finale permettra de constituer des groupes, de mesurer l'écart entre un sujet donné et la population réfé­rence (les informations de type psychométriques ne sont pas toujours dispo­nibles dans ce type d'épreuves).

Le débat autour du diagnostic de la vitesse de lecture, pose le problème de la flexibilité de la lecture et celui de l'unité de traitement (Resnick, 1981 ; Aubret et Blanchard, 1985 : Ehrlich, 1987). Une des caractéristiques du bon lecteur réside dans sa capacité à moduler sa lecture en fonction des difficul­tés rencontrées. Selon qu'un lecteur aura été lent ou rapide, quelles conclu­sions pourra-t-on tirer : qu'il a été passionné par le texte et l'a lu en détail, qu'il l'a exploré rapidement ? Des travaux récents (Ehrlich et Tardieu, 1991) montrent que les lecteurs lents et les lecteurs rapides traitent les textes de manière différente, mais qu'en revanche, ils obtiennent des performances identiques au niveau de la compréhension. La vitesse de lecture est un indice global qui renvoie à divers processus mis enjeu parle lecteur.

Les travaux sur la compréhension traduisent une motivation fondamen­tale de progression dans la connaissance de la psychologie du langage, mais aussi, une visée « appliquée » : au plan de l'évaluation et de la mise au point d'aides à la compréhension (Blanchard & coll., 1989 ; Rémond, 1993). Les épreuves dites d'évaluation ne mesurent pas toutes le même type de compré­hension (Philippe, 1979). elles utilisent parfois une mesure générale qui mêle le décodage et la compréhension. Elles ne permettent pas de connaître les processus mis en œuvre au cours de la lecture : leur contribution est rela­tive au produit du traitement du texte et n'autorise aucune analyse fine des difficultés de compréhension.

Les liens avec la pédagogie ou avec la psychologie n'apparaissent pas aisés à établir : les éléments apportés par ces évaluations sont des indica­teurs trop limités pour permettre de caractériser et d'analyser les difficultés des enfants. Pour pouvoir envisager des aides pédagogiques pour faire pro­gresser l'élève, il semble indispensable de disposer d'autres aspects de son comportement face au traitement de l'écrit. La quasi-totalité des épreuves est collective et ne place jamais l'enfant face à un véritable support d'écrit : le livre. Peut-on faire l'hypothèse qu'il suffit de savoir lire sur des supports limités pour savoir lire en vraie dimension, et donc qu'il s'agit d'un simple transfert d'apprentissage ?

Avoir une lecture flexible suppose que le sujet peut s'adapter et qu'il applique différentes stratégies. Des travaux sur la perception et l'exploration

116 1

Page 115: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

visuelle ont inspiré notre démarche d'étude des stratégies de lecture (Vurpillot, 1972 ; Rémond, 1973). Nous faisons l'hypothèse que la séquence réalisée par l'enfant quand on lui demande de rechercher des informations dans un livre, permet de déterminer quels éléments l'individu a choisi de mettre en relation et selon quelles anticipations et quel programme d'action, il a ordonné son exploration de l'ouvrage. À partir de la consigne qui lui est donnée ou du but qu'il s'est fixé, le lecteur planifie ce qu'il va faire, ce qui implique conjointement la représentation de la situation et des actions qu'il va accomplir. L'observation des stratégies de lecture nous semble témoigner du programme d'action que l'enfant a mis en œuvre. De manière à éprouver l'idée de stratégie optimale, qui devrait varier en fonction de la tâche et du type de support, nous avons utilisé divers types d'écrit et plusieurs types de questionnement.

L'EXPLORATION DES STRATÉGIES DE LECTURE

Parallèlement à l'évaluation du savoir-lire, nous avons cherché à rendre compte des programmes d'action dont l'enfant dispose, par le biais d'obser­vations des stratégies de lecture.

Ces situations sont l'occasion de faire le point sur l'application du savoir-lire sur des supports variés et donc, sur la manière qu'a chaque enfant d'uti­liser l'écrit. À partir de là, on peut envisager les aides à fournir à chacun pour qu'il devienne utilisateur efficace de tous les écrits.

Stratégies de recherche d'information au CP

Consignes de passation - codage ; épreuve A 9

Le but de cette situation est l'observation des programmes d'action de l'enfant, au travers de stratégies de recherche d'informations sur un sujet donné : les fourmis dans des livres d'enfants, traitant spécifiquement du sujet, partiellement ou pas du tout.

Dans une deuxième phase de la situation, l'enfant doit retrouver un mor­ceau de texte extrait de l'un des ouvrages.

Matériel. - Les 5 livres suivants : 1. Les insectes qui vivent en colonie, Éd. Gamma 2. La fourmi, Éd. Gamma 3. Floc, la reinette, Éd. Hatier

Page 116: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

4. L'élevage des petits animaux, Éd. Gamma 5. Les insectes, Ed. Casterman

- Un local avec une table et deux sièges - 2 fichiers d'observation : grilles Z A 09-2 lre et 2e parties (cf. Annexe 1). - une montre ou un chronomètre - L'extrait du texte : L'élevage des petits animaux (Annexe 2).

Passation.

lre partie. - Disposer les livres en les superposant dans l'ordre de leur numérotation ci-dessus. - L'ordre de présentation des ouvrages est le même pour tous les enfants. -La situation (lre et 2e partie) est individuelle.

- Donner la consigne suivante à l'enfant : « Voici les livres ; tu trouves le plus rapidement possible, tous les livres

qui parlent, qui renseignent sur les fourmis ».

- En cas de besoin, répéter la consigne en cours d'épreuve. - Déclencher le chronomètre dès que l'enfant commence à « regarder » les livres, l'arrêter lorsque le dernier choix est fait.

Le temps limite de choix est de 30 mn ; si au bout de 25 mn, l'enfant n'a pas fini, lui signaler qu'il reste 5 mn.

Si au bout de 30 mn, l'enfant n'a toujours pas fini, arrêter ; on ne tiendra, évidemment, compte pour le codage que des livres choisis.

Sur la fiche d'observation Z A 09-2 (lre partie) indiquer, dans la partie « choix-décision » (dans les cases où sont les numéros des livres) le choix fait, en mettant un + (livre retenu comme parlant des fourmis), un - (livre non retenu).

Pour chaque ouvrage, remplir la grille d'observation en indiquant par une croix le(s) comportement(s) observé(s) jusqu'à ce que le choix soit fait : uti­liser la partie centrale de la grille Z A 09-2 (lre partie).

Les choix étant faits, demander à l'enfant d'argumenter chacun de ses choix, indiquer les arguments dans la grille Z A 09-2 (lre partie) : partie argumentation.

Si des comportements vous semblant « remarquables » apparaissent, les noter dans la partie « remarques ».

Par ailleurs, apprécier comment l'enfant dispose les livres (avec soin, sans soin...).

Page 117: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

2e partie. - Une fois l'argumentation terminée, aborder la seconde partie. - Disposer l'ensemble des livres comme au début de la première partie. - Donner la consigne suivante en donnant le texte figurant sur la feuille Z A 09-2 (3e partie) jointe à cette annexe :

« Dans ces livres, tu retrouves, le plus rapidement possible, dans quel livre et à quel endroit j'ai recopié ce texte ».

Déclencher le chronomètre.

Pour noter les comportements qui apparaissent, utiliser la grille Z A 09-2 (2e partie). Selon les enfants, les 3 phases existeront ou non, utiliser les par­ties utiles ; indiquer le numéro des livres regardés dans la partie supérieure de la feuille ; en cas de reprise de certains livres, l'indiquer dans une nou­velle colonne. Les comportements repérés sont indiqués par des croix. Au besoin, faire argumenter la recherche par l'enfant, lui faire expliquer ce qu'il fait, lorsqu'il a fini.

Stratégies de lecture au CE 2

Description et consignes de passation

n s'agit d'observer, à l'aide de quatre grilles, les programmes d'action de l'enfant au travers de situations de lecture variées nécessitant des implica­tions différentes.

L'ensemble des situations nécessite une passation individuelle. Les situa­tions peuvent ne pas être passées toutes le même jour pour un même enfant.

Matériel.

1. Les 3 livres suivants : - Le chat ne sachant pas chasser - Coll. Folio-Benjamin - Éd. Gal­limard. - Dans l'arbre creux - Coll. Ecoramage - Éd. Études vivantes -Épigones - Les exploits de Quick et FLupke, recueil n° 4 - Éd. Casterman.

2. L'annuaire de téléphone local 3. Un local avec une table et deux chaises 4. Une montre avec trotteuse ou un chronomètre.

Page 118: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

ÉPREUVE R : Aborder un roman

n s'agit de la lecture du livre Le chat ne sachant pas chasser. Déclencher le chronomètre dès la consigne dite et comprise.

Comportements

Cocher la case correspondant au comportement constaté, les comporte­ments sont présentés selon une hiérarchie dans l'adéquation à la situation.

Informations prélevées

Demander à l'enfant de dire ce qu'il a appris au bout de 3 mn et cocher les informations répertoriées sur la grille et énoncées par l'enfant. L'ordre d'énonciation n'a pas d'importance. Interroger ensuite l'enfant sur les infor­mations figurant dans la grille et dont il n'a pas parlé, en s'efforçant d'éviter les questions inductrices. Cocher les réponses exactes. Noter le total des points (score).

ÉPREUVE D : Recherche d'une information dans un livre documentaire

Donner à l'enfant le livre Dans l'arbre creux, ajouter à la consigne figu­rant sur la grille, le fait que l'épreuve est chronométrée et qu'il convient d'aller vite, mais pas trop vite. On notera le temps une fois la réponse don­née, qu'elle soit exacte ou fausse. Au bout de 4 mn, interrompre l'enfant dans ses recherches et noter ce temps de 4 mn qu'on saura être le temps limite.

Comme pour l'épreuve R, les comportements indiqués sont à la fois illustratifs et hiérarchisés. Choisir, à leur lumière, une des six propositions faites.

ÉPREUVE BD : Recherche d'une histoire dans un recueil de bandes dessi­nées

Donner le livre Les exploits de Quick et Flupke.

Comme pour l'épreuve D, ajouter à la consigne écrite le fait que l'épreuve est chronométrée et que l'enfant doit dire quand il a fini et qu'il se croit en mesure de raconter l'histoire « L'art du plongeon ».

On arrêtera tous les enfants au bout de 3 mn. Ce temps sera noté et on saura qu'il s'agit du temps limite.

Informations

Inviter d'abord l'enfant à raconter ce qu'il sait. On cochera alors les informations figurant sur la grille qu'il énonce. On ne procédera pas, comme

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Page 119: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

dans l'épreuve R par une relance par des questions quand l'enfant a fini de raconter lui-même, car l'histoire est simple et le récit doit l'englober entière­ment.

Faire le total et noter le score.

ÉPREUVE A : Recherche d'une information dans un annuaire

Utiliser l'annuaire du département. Choisir une ville d'importance telle que le numéro de téléphone de la mairie demande une investigation corres­pondant aux comportements de la grille.

On ne peut noter les comportements 4 ou 5 ou 6 que si le comportement 3 a été préalablement adopté pour trouver la ville.

On notera le temps, une fois le n° de téléphone trouvé et écrit. Au bout de 5 mn, on arrêtera les enfants n'ayant pas trouvé et on notera 5 mn comme temps mis par l'enfant.

Évaluation des critères d'acquisition de la lecture fonctionnelle

Cet instrument a été élaboré par Jean DUBREUIL et nous a été confié pour le perfectionner. Il nous semble intéressant dans sa démarche et dans son contenu pour des élèves de CM2 et surtout de 6e.

Les épreuves présentées, ici, utilisent des supports plausibles pour des situations de recherche précise, en classe de 6e ou fin CM2. Les supports sont variés, touchent des disciplines diverses.

Leur but est d'évaluer la maîtrise des différents types de lecture et leur adaptation aux situations.

Plusieurs domaines sont donc abordés : - la lecture sélective, - la lecture d'information, - la lecture préalable à une action, - la formulation d'hypothèses dans la lecture.

La passation est individuelle et dure environ 1 heure 30. Elle est précé­dée par la passation du closure FI (présenté dans les épreuves de lecture). Les résultats présentés ici concernent des CM2 (dans six classes).

La passation se fait au travers des épreuves présentées ci-après, de la feuille de passation (Annexe 4) et des différentes annexes citées ou docu­ments suggérés.

I 121

Page 120: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

La lecture sélective

Son but est de repérer une ou des informations dans un ensemble com­plexe : c'est un travail de recherche ou de consultation.

a) Dans une revue automobile : ÉPREUVE LS 1

Dans une centaine de pages, nous avons fait rechercher un renseignement précis, mentionné une seule fois dans la revue et apparaissant dans un enca­dré. Le temps est limité à 4 mn. La consigne est écrite sur un carton que l'on laisse présent pendant l'épreuve.

Consigne « Quelle était la vitesse maximum de la 2 CV en 1948, l'année de son lancement ? ... Tu as bien compris le renseignement demandé ? ... Ce renseignement se trouve dans ce magazine. Nomme-le moi aussi vite que possible ». (Nommer la revue L'Automobile.)

On note : - le temps mis ; - la réponse obtenue ; - la méthode utilisée : au niveau de la sélection de l'article dans la revue

puis du repérage du renseignement dans l'article (éventuellement, on interroge sur la méthode).

Dépouillement de l'épreuve

Temps mis :

Temps

moins de 1 ' entre l ' e t2 ' entre 2'et 3' plus de 3'

% de l'effectif

19,6 17,6 16,7 46,1

79 % des élèves sont parvenus à sélectionner l'article et à trouver la réponse exacte.

Pour l'ensemble des sujets, on a noté leur manière de sélectionner l'article dans la revue, sur 3 comportements :

- consultation du sommaire ; - feuilletage rapide ; - feuilletage en s'attardant.

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Page 121: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

L'analyse de l'ordre d'apparition de ces comportements, leur absence ou présence, donne des éléments sur la façon d'entreprendre la recherche d'information, sur la capacité d'anticipation des enfants observés.

Sélection de l'article dans la revue

Ie action

Consulte le sommaire

Feuillette rapidement

Feuillette en s'attardant

2e action

Feuillette rapidement Feuillette en s'attardant

Feuillette en s'attardant

Feuillette rapidement

8,4 5,6 4,7

28 15,9

33,7 3,7

% de l'effectif

1 18,7%

j 43,9%

1 37,4%

On a aussi noté à l'intérieur de l'article les indices utilisés (la réponse exacte à la question figurait une seule fois dans un encadré).

Repérage du renseignement dans :

- encadré seulement - encadré mais après avoir utilisé

un autre support - autre(s) supports) que l'encadré - rien (sujets non parvenus à l'article)

% de l'effectif

36,5

30,8 29 3,7

21 % des enfants n'ont pas réussi à trouver le renseignement. Pour les autres, on constate que les démarches amenant finalement à la bonne réponse ont été variées.

Seulement 8,4 % des enfants de CM 2 utilisent d'emblée le sommaire de la revue ; environ 10 % l'utilisent après avoir échoué avec d'autres approches.

b) Dans une page de journal : ÉPREUVE LS 2

On a extrait d'un quotidien un article assez long en plusieurs colonnes, illustré avec des légendes (article occupant environ 2/3 de la page).

I 123

Page 122: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

Consigne : « Voilà un article avec des photos sur la Vallée de Chevreuse. Dans cet article, on peut trouver les noms de trois lieux touristiques, c'est-à-dire de trois endroits que les touristes aiment visiter. Peux-tu trouver ces trois noms le plus rapidement possible, sans lire tout l'article ? ».

On note : - le temps utilisé ; - le nombre de bonnes réponses ; - la méthode utilisée : le support de réponse (texte, image, légende)

nécessaire à la sélection des trois informations.

On attendait trois bonnes réponses ; seuls les élèves qui utilisaient l'en­semble du support (textes, images, légendes) pouvaient parvenir : 30 % des enfants réussissent.

L'analyse des « réponses fausses » permet de faire émerger trois classes de mots :

- des noms propres (qui ne sont pas des lieux de visite précis ; par exemple : les Yvelines, l'Orge, l'Île-de-France) ;

- des termes techniques : Conseil général, parc naturel, zone naturelle d'équilibre ;

- des mots (sans doute « non compris ») : Kyrielle, lisière de Paris, flot boisé, églises classées.

c) Dans un dictionnaire : ÉPREUVE LS 3

Le Dictionnaire du Français Contemporain, éd. Larousse, a été utilisé comme ouvrage de référence, permettant ainsi d'avoir un support standard pour comparer les réponses.

Le dictionnaire est à la fois un instrument utile pour la connaissance de la langue mais aussi le lieu de recherche d'informations.

n peut servir de support à deux types de lecture : - lecture sélective : recherche d'un mot et de ses diverses entrées ; - lecture informative et exhaustive : des informations données à pro­

pos du mot et de ses acceptions.

Sur un carton, on a écrit : « le menuisier arrêta son travail pour donner du fil à son rabot ».

Consigne : « Dans un récit, tu trouves cette phrase (on tend le carton à l'enfant). Tu ne comprends pas bien la fin de cette phrase. Que peux-tu faire ? ». (Si de lui-même, l'enfant trouve la solution du dictionnaire, on lui donne la suite de la consigne).

Page 123: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

« Cherche le mot dans ce dictionnaire, aussi vite que possible, dfs-moi combien de sens différents de ce mot le dictionnaire te donne. (Pour les sujets n'ayant pas le "réflexe utilisation du dictionnaire", discuter avec eux des solutions envisageables) puis leur donner la seconde partie de la consigne portant sur la recherche dans le dictionnaire ».

On note : - comment l'enfant procède ; - sa stratégie ; - le nombre d'acceptions trouvées.

Analyse de la stratégie déployée 9 % des enfants trouvent seuls le sens de la phrase. Pour les autres, divers

comportements émergent :

Comportement

- Recours direct au dictionnaire - Recours au dictionnaire puis à une personne - Recours aux documents puis au dictionnaire - Recours à une personne puis aux documents

puis au dictionnaire - Recours à une personne puis au dictionnaire - Recours à une personne puis aux documents - Recours à d'autres personnes

% de l'effectif

59,4 12,1

^

3 > 33,3 %

1 17,2 J 2

' 92,7 %

5,5

LA LECTURE D'INFORMATION C'est une lecture rigoureuse et objective, visant l'essentiel, pour prendre

connaissance du contenu d'un message.

a) Usage du dictionnaire : ÉPREUVE Ll 1 (suite de l'épreuve précédente)

On demande : « Quel est le numéro de la définition du mot fil qui convient à l'expres­sion donner du fil à son rabot ?. Maintenant comment expliques-tu donner du fil à son rabot ? ».

Cette consigne vise à faire prendre connaissance du contenu des cinq entrées du mot fil :

- pour discriminer celle qui a un rapport avec le sens de la phrase, - pour réinjecter ensuite dans la phrase le sens qui l'éclairé.

Page 124: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

Cette tâche correspond à un travail de découverte sur la langue que l'enfant peut faire quant il utilise un dictionnaire pour saisir l'essentiel d'un message.

Dans la recherche du mot dans le dictionnaire, 83 % des élèves ont une utilisation rationnelle du dictionnaire, les autres ont une approche très aléa­toire.

Le nombre exact d'acceptions du mot fil dans le dictionnaire est 5. 53 % des élèves le trouvent et parviennent donc à inventorier et discriminer un mot et ses acceptions dans le dictionnaire.

La seconde partie de la question a amené un certain nombre d'enfant à reconsidérer leur réponse.

Après avoir trouvé le mot fil, il fallait donc extraire l'acception juste du mot pour la phrase à définir et donner du sens à celle-ci.

Résultat

- Acception et sens de la phrase correcte - Acception juste, sens erroné - Acception et sens de la phrase erronés

% de l'effectif

45,2 3,8 51

On constate donc que moins de la moitié des enfants réussissent à se ser­vir du dictionnaire et à réinvestir dans un écrit.

b) Le papier : ÉPREUVE Ll 2

Recherche d'information dans un texte documentaire : informations tech­niques sur l'histoire du papier et du parchemin.

Elle se déroule en deux parties : - une sur la connaissance du sujet avant la lecture de textes informatifs ; - une sur les informations apportées et restituées après lecture des

textes.

l r e partie de l'épreuve : « Tu vas lire un texte, qui t'informe sur la fabrication du papier, pour pouvoir juger si ces huit affirmations (les montrer de loin) sont vraies ou fausses. Mais peut-être connais-tu déjà certaines réponses ? Devant chaque phrase, mets une croix dans la colonne qui convient. OUI : elle est vraie ; NON : elle est fausse. (Donner le questionnaire une première fois.)

Page 125: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

2e partie : « Maintenant, tu vas lire le texte très attentivement mais une seule fois. T\i me dis quand tu as fini dès que tu arrives au bout. (Lecture chronomé­trée : le parchemin - le papier en Occident). Maintenant que tu as lu ce texte, tu pourras sans doute mieux répondre aux questions posées tout à l'heure ? (Deuxième présentation du ques­tionnaire, texte retiré).

On obtient quatre mesures : - le temps de lecture ; - le nombre final de réponses justes ; - le nombre de rectifications opérées ; - le nombre de réponses justes obtenues par rectification.

Le rapport entre ces deux derniers nombres rend bien compte de l'effica­cité de lecture.

Quelle quantité d'informations la lecture du texte a-t-elle apporté ? On élimine les réponses correctes aux deux passations du questionnaire ;

il obtient alors le nombre de réponses inconnues à l'issue de la première pas­sation, le nombre de réponses correctes « acquises » à la seconde passation (sur lesquelles on peut faire l'hypothèse que c'est la lecture d'information qui les a générées).

En faisant le rapport de ces deux nombres :

Nombre de réponses correctes à la 2e passation _ N Nombre de réponses inconnues à la fin de la lre passation D

On obtient le gain d'information fourni par la lecture du texte documen­taire.

Dans le cas présent, on obtient un gain moyen de 50 %. L'incertitude sur les réponses a été réduite de moitié. Le temps utilisé pour la lecture du texte varie de une à plus de 10 minutes.

c) Lecture de graphiques et diagrammes : ÉPREUVE Ll 3

Dans cette épreuve, on fait appel à des systèmes symboliques de repré­sentation. La lecture et l'interprétation de courbes et graphiques sont large­ment utilisées dans les divers types d'écrits : manuels, documentaires, maga­zines,...

On donne la feuille de croquis tirés de textes et documents avec les consignes suivantes :

« - regarde attentivement ce graphique et dis-moi quel est le pays dont la production d'acier brut a augmenté de 1970 à 1975.

Page 126: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

- observe maintenant le diagramme du bas ; parmi les pays cités, quels sont ceux qui font des bénéfices avec le tourisme ? ... Quel est celui qui en fait le plus ? ».

On note les réponses et le temps utilisé pour donner chaque réponse.

Dans la première question, le sujet doit mettre en relation deux séries de données pour 4 pays, l'allure de la courbe ainsi que les chiffres permettant de déterminer quel pays a progressé.

Dans la seconde question, il doit décoder le diagramme, utiliser la légende pour pouvoir répondre aux questions.

Résultats de la recherche d'information sur des graphiques.

Graphique : Pays dont la production d'acier a augmenté entre 1970 et 1975.

Pour obtenir la réponse exacte, il faut savoir lire et mettre en relation les deux axes d'un graphiques, extraire de la consigne les éléments nécessaires à l'analyse du graphique : « augmenté », « 1970-1975 » :

• 46 % des élèves réussissent, • 54 % donnent une réponse fausse.

[...]

Lecture d'horaires de trains : ÉPREUVE LA 2

Cette activité nécessite la mise en relation d'informations multiples.

On donne la consigne « Le samedi 16 février, Mr. Dupont, qui habite Lille doit se rendre à Paris, n doit absolument y être avant 16 heures et il veut prendre un repas dans le train ».

On donne l'horaire SNCF (dépliant SNCF correspondant à la consigne) : « En utilisant cet horaire Lille-Paris de la SNCF, peux-tu indiquer le plus vite possible : • le numéro du train qu'il va prendre ? • son heure de départ de Lille ? • le billet qu'il peut acheter : lre ou 2e classe ? ».

On note pour chaque question, la réussite ou l'absence de réussite, le temps global utilisé, la méthode mise en œuvre pour sélectionner l'informa­tion.

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Page 127: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

Résultats - Sélection du numéro de train : 15,9 % des élèves réussissent - Sélection de l'heure de départ : 21,3 % de réussite - Billet à acheter : 37 % de réussite - Temps utilisé : 50 % des enfants utilisent

8 minutes et plus - Stratégies utilisées : Près de 40 % d'enfants n'entrent pas

dans la situation, ne comprennent pas la tâche à effectuer. Pour d'autres, aucune stratégie domi­nante ne ressort, si ce n'est de se plonger dans la lecture des notes. Manifestement, cette situation est apparue comme diffi­cile, insolite. Beaucoup d'enfants n'avaient jamais pris le train

FORMATION D'HYPOTHÈSES DANS LA LECTURE

Il s'agit de trouver des indices (graphiques, morphologiques, syn­taxiques, sémantiques... ) permettant de tisser un réseau d'informations pour résoudre une tâche.

a) Reconstitution d'un texte : ÉPREUVE LH 1

Onze lignes d'un court article de journal ont été découpées et sont pré­sentées en désordre. Il faut les remettre dans le bon ordre. Pour y parvenir, il faut utiliser les indices typographiques, sémantiques et syntaxiques. Au départ, on place correctement la première ligne.

La consigne est la suivante : « Tu vas lire une coupure de journal. Mais à partir de là (montrer), les lignes du texte ont été mélangées. (Donner les lignes découpées). En manipulant ces petits cartons qui correspondent aux lignes, essaie de reconstituer l'article qui suit le titre ».

On note l'ordre d'accrochage des lignes.

Un barème a été établi en fonction des difficultés posées par chaque accrochage. Le maximum de points (traduisant la réussite) est 10 :

• 42 % des élèves parviennent à ce score.

b) Un closure particulier : ÉPREUVE LH 2

Dans un texte court, il faut trouver le mot effacé en utilisant tous les indices présents dans le texte et qui convergent vers le thème.

Page 128: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

Consigne : « Découvre le nom qui a été effacé dans ce texte. Tu n'as droit qu'à une seule réponse. Dès que tu as trouvé, tu me dis le nom ».

On donne le texte sur U Or de B. CENDRARS.

On note : - le temps utilisé ; - le mot trouvé ; - les raisons du choix.

47 % des élèves trouvent le mot or en utilisant un temps moyen de 2 mn.

c) Logique du récit : ÉPREUVE LH 3

On demande de trouver une fin à une histoire. Le texte est choisi de manière à ce qu'il ne puisse y avoir qu'une seule fin possible. Cette fin peut être trouvée en utilisant ou non la logique du récit et les élément que celui-ci contient

On donne le texte la Chiromancienne de D. BUZZATI et on dit : « Lis cette petite histoire, dis-moi quand tu sera arrivé à la fin. Quelle remarque fais-tu ? ... Et bien, c'est à toi d'imaginer ce que peut dire et faire le bourreau à la fin de cette histoire. Écris-le en deux ou trois lignes sur cette feuille ».

Résultats

- Logique du récit respectée - Logique respectée mais incompatibilité

avec certains points du récit - Logique non respectée ou pas d'idées

62,1 %

10,5 % 27,4 %

d) Histoire imagée : ÉPREUVE LH 4

Cette fois, les hypothèses se formeront au niveau d'un ouvrage. On met le sujet dans une situation comparable à celle du futur lecteur d'un roman. Il a 5 mn pour se faire une idée de l'ouvrage à partir des quelques éléments qu'il a pu recueillir et mettre en relation.

Consigne : « Je vais te donner un livre. Pendant 5 mn, tu vas pouvoir le feuilleter, regarder la couverture, observer les illustrations, commencer à repérer des noms de personnages, parcourir quelques passages ici ou là... Tu me diras ensuite ce que tu imagines de l'histoire racontée dans ce livre ».

130 |

Page 129: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

Le livre utilisé ici est L'Or de Biaise Cendrars, Collection 1 000 Soleils Gallimard.

On analyse le corpus de chaque enfant en le ventilant dans les cinq caté­gories prévues et en accordant les points prévus à l'usage de chacune d'elles, on obtient un score sur 10 ; c'est le score d'imagination.

Scores regroupés

0 1-3 4 - 6 7 - 9

% de l'effectif

28 50,5 11,2 10,3

Les comportements observés sont à analyser finement éventuellement, on peut théoriser sur les stratégies à employer dans de telles situations, tra­vailler sur la structure des ouvrages.

Nous avons notamment mis en relation les scores au Closure F 1 (décrit au chapitre 1), et les résultats aux épreuves dont nous venons de rendre compte.

Comme dans les autres évaluations que nous avons conduites, nous retrouvons la corrélation habituelle entre la réussite au closure et l'apparte­nance aux C.S.P. (catégories socio-professionnelles).

L'épreuve de closure córrele bien avec : - l'épreuve horaire des trains ; - l'épreuve de l'alphabet quadratique ; - la reconstitution de texte ; - le score de l'histoire imagée.

RÉSULTATS DES ÉPREUVES DE STRATÉGIES DE LECTURE

Les stratégies de lecture au CP

Deux situations liées composent l'évaluation des stratégies au CP. Les ouvrages utilisés sont de nature documentaire avec texte et images.

Dans une première partie, les enfants doivent rechercher parmi des livres traitant de sujets divers ceux qui parlent des fourmis. On note comment l'enfant procède pour faire son choix et on lui demande d'augmenter son choix de manière à affiner les critères.

Page 130: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

Pour chacun des 5 ouvrages, on obtient des informations sur : • le choix fait; • le temps de choix ; • la façon de choisir et d'argumenter.

Dans une seconde partie, les enfants doivent chercher une information précise dans un des livres utilisés précédemment Comment se servent-ils de la première tâche pour anticiper la seconde ? L'enfant est-il capable d'expli­quer la stratégie qu'il compte déployer ? Dans la recherche elle-même de l'information, comment pratique-t-il, quelle stratégie a-t-il réellement ?

Résultats, sur 1 015 enfants

lre partie

Le choix fait sur les 5 livres.

On a cumulé les réponses portant sur les choix et établit un score de réus­site au classement des livres.

Score

Effectif en %

0-25

1,1

26-50

15,80

51-75

20,40

76-100

62,70

La durée :

C'est le temps moyen pour donner une bonne réponse pendant l'épreuve de classement de livres ; le temps est exprimé en dixièmes de minute. La durée maximale accordée était de 30 mn (pour les 5 livres).

Moyenne : 12,5 Médiane : 7,7 Écart-type : 21,2

On note une grande variabilité dans le temps nécessaire à l'épreuve. Beaucoup d'enfants réussissent à classer 4 et même 5 livres. Ce qui nous semble intéressant dans cette situation, c'est d'analyser individuellement la stratégie de chaque enfant et de voir quelle aide apporter à l'enfant pour qu'il acquière une stratégie optimum dans des tâches similaires.

L'utilisation de l'illustration :

Un score a été calculé en fonction de l'utilisation pertinente ou non, de l'information contenue dans l'illustration pour donner des réponses au clas­sement des livres. Ce score varie de -22 à + 35 (utilisation de la moins à la plus pertinente).

1 3 2 |

Page 131: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

Moyenne : 13 Médiane : 13,6 Écart-type : 10,9

Score

Effectif en %

-22+2

17,6

+3 + 8

16

9-16

31

17-30

33,5

31-35

1,9

L'utilisation du texte

Un score a été établi en fonction de l'utilisation pertinente ou non de l'information contenue dans le texte pour donner des réponses au classement des livres. Ce score varie de - 40 à + 28 (utilisation de la moins à la plus pertinente).

Moyenne : -4,5 Médiane : - 6

Score

Effectif en %

- 4 0 - 1 8

14

- 1 7 - 1 0

18,2

- 9 - 1

23,2

0 - 6

28,1

7 - 2 8

16,5

2e partie de la tâche Le « support livres » étant le même que dans la première partie de la

tâche, nous avons observé les réinvestissements éventuels faits par les enfants et les bases des anticipations.

La valeur de « l'écrit » pour rechercher la page extraite : 29 % des enfants ne lisent pas l'extrait ; 43 % en font une lecture partielle ; 28 % en font une lecture totale.

L'anticipation de la recherche : 40 % des enfants n'anticipent pas ; 40 % anticipent en expliquant sur quel élément ils vont baser leur

recherche (le thème ou le mot ou l'illustration) ; 20 % anticipent en faisant mention de l'intégration de plusieurs éléments

à leur recherche (deux ou trois des éléments nommés).

Page 132: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

La recherche elle-même de l'extrait de texte :

Si de nombreux enfants verbalisent ce qu'ils peuvent utiliser comme base de recherche de l'extrait de texte, on constate un nombre de comportements extrêmement varié au niveau de la réalisation de la recherche. Peu d'enfants éliminent systématiquement le livre ne traitant absolument pas du sujet. Ici encore, le temps nécessaire à la réalisation de la tâche est important, les stra­tégies sont peu économiques ; les programmes d'actions des enfants sem­blent frustres.

La multiplication de ce type d'activité, en classe, en B.C.D. constitue une base certaine à la recherche d'information dans des ouvrages diversifiés et ceci pendant des situations d'utilisation fonctionnelle de l'écrit.

À partir de l'ensemble de cette situation, un score composite a été calculé en fonction des comportements : lecture, anticipation, temps mis et réponse fournie. Ce score varie de - 2 + 46 (de la moins bonne efficacité rencontrée à la meilleure).

Moyenne : 17,6 Médiane : 18 Écart-type : 13

Score

Effectif en %

- 2 +3

25,4

5 - 1 3

14,5

14 -21

24,6

22 -30

22,6

31 -46

12,9

Les stratégies de lecture au CE2, sur 600 enfants

Nous avons diversifié les tâches et les écrits supports. Les indicateurs retenus portent sur :

- l'observation du comportement face à une consigne ; - le traitement de l'information (informations prélevées, temps de

réponse,... ) ; - la prise de conscience de la stratégie.

ÉPREUVE R : le roman

Ce roman comportait un résumé, mais ni table des matières, ni décou­page en chapitres.

Les enfants avaient 3 mn pour prendre connaissance de l'ouvrage.

Page 133: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

Les informations à restituer portent sur des points facilement repérâbles : titre, illustrations (de couverture, intérieures), éléments du résumé, illustra­tions à interpréter avec le texte (il existe une forte redondance texte-images).

Peu d'enfants savent explorer un livre « roman illustré » court (35 pages) en peu de temps et en tirer suffisamment d'informations : près de 60 % d'entre eux entreprennent une lecture intégrale et ne peuvent donc prélever des informations sur l'ensemble du livre.

Comportements observés

1) fait une lecture intégrale à partir de la première page

2) feuillette et regarde les illustrations, lit en désordre

3) feuillette, regarde les illustrations, parcourt l'écrit correspondant

4) lit le titre, lit le résumé, feuillette, regarde les illustrations, lit en parcourant l'écrit correspondant aux illustrations

% Effectif

58,7

18,6

19,2

3,5

Les informations prélevées : au maximum 15

• 50 % des enfants ont prélevé au maximum 10 informations, • 90 % des enfants ont prélevé au maximum 6 informations.

L'analyse des données montre que la quantité d'informations prélevée est bien liée à la stratégie de prise de connaissance du livre (environ 22 % des enfants - 19,2 % + 3,5 % - ont une bonne stratégie de prise d'informations préalables, un survol efficace du livre).

Les enfants ayant obtenu un score élevé ont réussi les autres tâches.

Page 134: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

ÉPREUVE D : le documentaire

Comportements observés

- lit le livre en lecture intégrale - feuillette au hasard - feuillette, lit les titres de chapitre et s'arrête quand

il a trouvé le chapitre - recherche l'illustration qui correspond à la question - consulte la table des matières, lit la page corres­

pondant à « nid », échoue, revient à la table des matières ou tourne la page

- consulte la table des matières et ouvre le livre à la page « les œufs éclosent »

% Effectif

33,8 6,2

34,4 19,5

2,6

3,3

64 % des enfants trouvent l'information et donnent une réponse juste. Peu d'entre eux ont une stratégie efficace ; ils accèdent à l'information en consommant beaucoup plus de temps que ceux qui ont une bonne planifica­tion de leur action. Ceux qui ont les comportements les plus frustrés, ne trouvent pas la réponse dans le temps maximum alloué.

Des enfants qui ont une stratégie élaborée dans les documentaires, savent l'appliquer aux autres supports (roman, B.D., annuaire).

ÉPREUVE B.D. : la bande dessinée

Comportements observés

- fait une lecture page par page - feuillette au hasard - lit les titres depuis le début - lit les titres après avoir constaté l'absence de table

des matières

% Effectif

14,3 8,6

74,5

2,6

Comme pour les autres épreuves, les plus rapides ont le comportement de recherche le plus évolué et le meilleur score.

Cette tâche montre une grande hétérogénéité des comportements d'enfants au niveau de l'efficacité.

C'est avec l'épreuve documentaire que l'épreuve B. D. córrele le mieux.

Page 135: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

ÉPREUVE A : l'Annuaire

Comportements observés

- fait une lecture intégrale de l'annuaire - feuillette au hasard - feuillette en utilisant l'ordre alphabétique - quand il a trouvé la ville, lit tout ou lit au hasard

sans souci d'utiliser l'ordre alphabétique - quand il a trouvé la ville, cherche les noms

commençant par M - quand il a trouvé M, cherche les mots commençant

par Ma

% Effectif

9,8 12,6

9,8

16

25,5

26,3 67,8 % des enfants accèdent aux pages de la ville, mais selon la stratégie

mise en œuvre, seulement 46,9 % trouvent l'information recherchée. Quand la stratégie est dominée, le temps utilisé est faible, l'épreuve réus­

sie. Les lecteurs ayant des stratégies efficaces dans une tâche de lecture, sur un support particulier, l'ont aussi dans les autres situations de lecture.

CONCLUSION

Forrest-Pressley et Waller ont souligné que les composantes de la lecture ne se limitent pas à l'activité de décodage et à la compréhension, mais qu'elles incluent l'adoption de stratégies adaptées aux buts de lecture, des connaissances à propos de ces stratégies et enfin, la capacité de les contrôler (1984). Les travaux relatés dans ce chapitre illustrent une partie de cette définition et font appel à un concept en pleine expansion depuis quelques années : celui de la métacognition et du contrôle métacognitif. Dans la litté­rature, les auteurs s'accordent sur les composantes du contrôle métacognitif de la compréhension : la planification avant ou au début de la lecture, l'éva­luation de la compréhension et la régulation (Ehrlich, 1991). Même si nous n'employons pas ce vocabulaire, il est clair que les situations proposées ici, se situent dans cette perspective. En effet, le choix des deux phases de l'observation des stratégies de lecture au CP, a pour but de voir comment un enfant utilise la première tâche pour anticiper la seconde ; il s'agit là de pla­nification, de choix éventuel d'une stratégie optimale quand l'enfant décide de ne travailler que sur les livres qu'il a isolé dans la première partie de la tâche. Les justifications demandées aux enfants les obligent à évaluer leur réponse et parfois, ils sont conduits à apporter un révision de leur réponse (ou régulation de l'action qu'ils viennent de mener). L'évaluation des straté­gies de lecture apparaît prometteuse, mais elle nécessite un travail très fin des compétences en lecture et une approche du fonctionnement cognitif et métacognitif de la lecture : c'est dans cette approche que se situent nos tra­vaux actuels (Rémond, sous presse).

I 137

Page 136: Lecture / écriture

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1.

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2.

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3.

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5.

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6.

tout

le li

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avec

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ère

d'ar

rêt

7.

tout

le li

vre

sans

crit

ère

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rêt

LIT

1.

le ti

tre

2.

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3.

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4.

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5.

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6.

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1

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2

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3 4

5 1

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2 3

4 5

I 1

Page 137: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

Nom de l'enfant Grille ZA 09 2 LECTURE Ag

Temps utilisé :

Nombre de livres regardés : 2e partie

Recherche du texte 2

— . _^ N° du livre regardé Comportements " —^«__Choix

1. L'enfant lit le texte à retrouver

1. Non 2. Oui, lecture intégrale 3. Oui, lecture partielle

II. L'enfant explique sa stratégie, anticipe

1. Non

Base de la Stratégie = si oui - Recherche des livres qui parlent

2. Le thème de la « fourmi » - Recherche des pages parlant de la « fourmi »

- Recherche du mot « tiens » 3. Le mot - Recherche terme à terme des mots

de l'extrait - Recherche du mot « fourmi »

4. L'illustration - Recherche des dessins de « fourmi » « fourmilière » ou illustrant la phrase

III. L'enfant recherche l'extrait du texte

Support de la recherche 1. Dessins relatifs à la « fourmi » 2. Dessins relatifs à la « fourmilière »

L'illustration 3. Dessins susceptibles d'illustrer la phrase 4. Feuillette au hasard

1. Table des matière, index 2. Titres (livres, chapitres) - Lecture partielle du livre 3. Au hasard 4. Des pages parlant de la fourmi

La lecture 5. Du début des pages et/ou phrases 6. Avec correspondance terme à terme - Lecture intégrale du livre

» 7. Avec correspondance terme à 3 terme continuelle § 8. Avec correspondance du début < des phrases (de la fin) iu 9. Pas de correspondance marquée

Page 138: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

Annexe II

LECTURE

- Tiens le nid de fourmis humide - Verse des gouttes de miel sur le nid - Regarde les fourmis venir le manger - Donne leur aussi du sucre.

1 4 0 |

Page 139: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

CE2

Annexe III ÉPREUVE R

RECHERCHE DE LA STRATÉGIE DE L'ENFANT QUI TENTE DE SE FAIRE UNE IDÉE D'UN ROMAN

Le chat ne sachant pas chasser Coll. Folio Benjamin - Éd. Gallimard

NOM : Prénom :

CONSIGNE « Je vais te laisser 3 mn pour te faire une idée de ce roman. Ensuite, je te poserai quelques questions sur l'histoire que contient ce roman. »

COMPORTEMENTS

• fait une lecture intégral e à partir de la première page

• feuillette et regarde les illustrations, lit en désordre

• feuillette, regarde les illustrations, parcourt l'écrit correspondant

• lit le titre, lit le résumé, feuillette, regarde les illustrations, lit en parcourant l'écrit correspondant aux illustrations

INFORMATIONS PRÉLEVÉES

• titre « Le chat ne sachant pas chass< ïr»

• les personnages (souris, souris blanche, chat, meunier) 1/2 point par personnage

• lieu : moulin

• dans le moulin il y a beaucoup de souris

• le meunier est grincheux

• il achète un chat

• le chat ne chasse pas

• les souris ont un chef, une souris blanche

• le chat s'entraîne à recevoir les félicitations de son maître

• le meunier est en colère après son chat

• le meunier décide de noyer son chat

• les souris délivrent le chat

• le meunier croit jeter son chat dans la rivière

• le chat vit avec les souris dans le grenier

TOTAL

Explication de la stratégie

• ne sait pas dire

• expose une stratégie qu'il n'a pas utilisée

• dit ce qu'il a fait

1

2

3

4

1

2

/15

1

2

3

Page 140: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

EPREUVE A RECHERCHE D'UNE INFORMATION DANS UN ANNUAIRE

NOM : Prénom :

CONSIGNE

• •

« Dans cet annuaire, cherche le n° de téléphone de la mairie de et écris-le sur cette feuille »

COMPORTEMENTS

• fait une lecture intégre île de l'annuaire

• feuillette au hasard

• feuillette en utilisant l'ordre alphabétique

• quand il a trouvé la ville, lit tout ou lit au hasard sans souci d'utiliser l'ordre alphabétique

• quand il a trouvé la ville, cherche les noms commençant parM

• quand il a trouvé M cherche les mots commençant par Ma

TEMPS

RÉUSSITE

1

2

3

4

5

6

(temps limite : 5 mn)

OUI

\ NON

Explication de la stratégie

• ne sait pas

Peux-tu dire comment tu as fait pour trouver ce numéro ?

• expose une stratégie qu'il n'a pas utilisée

• dit ce qu'il a fait

1

2

3

142

Page 141: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

ÉPREUVE BD RECHERCHE D'UNE HISTOIRE À L'INTÉRIEUR

D'UN RECUEIL DE BANDES DESSINÉES

NOM : Prénom :

CONSIGNE « Dans ce recueil, recherche l'histoire "l'art du plongeon" et regarde-la pour pouvoir la raconter »

COMPORTEMENTS

• fait une lecture page par page

• feuillette au hasard

• lit les titres depuis le début

• lit les titres après avoir constaté l'absence de table des matières

TEMPS

1

2

3

4

(temps limite : 3 mn)

INFORMATIONS

• c'est l'histoire d'un garçon qui va à la pi seine

• il veut apprendre à plonger

• il lit un livre qui explique comment on plonge

• il se prépare, il se douche

• il relit le livre

• il plonge

• la piscine est vide

• il va se blesser

1

1

1

1

1

1

1

1

TOTAL :

Explication de la stratégie

• ne sait pas

Comment as-tu fait pour trouver cette histoire ?

• expose une stratégie qu'il n'a pas utilisée

1

2

-

/8

Page 142: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

CE2

EPREUVE D RECHERCHE D'UNE INFORMATION DANS UN LIVRE DOCUMENTAIRE

NOM : Prénom :

CONSIGNE « Recherche au bout de combien de jours les œufs de l'étourneau vont éclore »

COMPORTEMENTS

• lit le livre en lecture in tégrale

• feuillette au hasard

• feuillette, lit les titres de chapitre et s'arrête quand il a trouvé le chapitre

• recherche l'illustration qui correspond à la question

• consulte la table des matières, lit la page correspondant à « nid », échoue, revient à la table des matières ou tourne la page

• consulte la table des matières et ouvre le livre à la page « les œufs éclosent »

TEMPS

RÉUSSITE

(temps limite : 4 mn

exacte

s" fausse

ou inexistante

EXPLICATION DE LA STRATÉGIE

• ne sait pas

1

2

3

4

5

6

)

Comment as-tu fait pour trouver

ce renseignement ?

• Expose une stratégie qu'il n'a pas utilisée

• dit ce qu'il a fait

1

2

3

Page 143: Lecture / écriture

L'exploration des stratégies de lecture

Annexe IV

Évaluation des critères d'acquisition de la lecture fonctionnelle :

FEUILLE DE PASSATION DES ÉPREUVES

- École:

- Classe: Effectif:

- Nom, prénom :

- Sexe (masculin, cocher 1 - féminin, cocher 2)

- Date de naissance :

- Nationalité Chef famille (français, cocher 1 - étranger, cocher 2)

- C.S.P. Chef famille (1, 2, 3 ou 4) voir annexe 4

CLOSURE - épreuve F 1 - nombre de réussites

ÉPREUVES LECTURE FONCTIONNELLE

Page 144: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

BIBLIOGRAPHIE

AUBRET J. & BLANCHARD S. (1985), Lire vite et/ou comprendre, L'Orientation Scolaire et Professionnelle, 14,4, 273-292.

BLANCHARD S. et al, (1989), Outils et processus de bilan Pour la défini­tion d'un projet de formation personnelle. Issy-les Moulineaux, EAR

EHRLICH M. F. (1987). La lecture, processus fondamentaux, Apports et limites de l'analyse du mouvement des yeux. Dijon. Colloque SFR

EHRLICH M. F. (1991), Métacognition and reading comprehension : theo­retical and methodological problems, in M. Carretero. M. Rope. R.J. Simons & J.L. Pozo (Eds.), Learning and Instruction Research in an International context, Oxford, Pergammon. 3, 35 1-363.

EHRLICH M.F. & TARDIEU H. (1991). Slow and fast readers in text com­prehension. European Journal of Psychology of Education, 6, 337-349.

FORREST-PRESSLEY D.L. & WALLER T.G., (1984), Cognition, métaco­gnition and reading. New-York : Spring-Verlag.

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PHILIPPE C. (1979), Amélioration de la capacité en lecture, ce qui peut être mesuré, Revue Française de Pédagogie, 47, 29-46.

RÉMOND M. (1973), Les programmes d'action des enfants sourds dans une tâche d'exploration perceptive. Mémoire de troisième cycle, non publié, Université de Paris V.

RÉMOND M. (1993), Pourquoi certains enfants ne comprennent-ils pas ce qu'ils lisent ?, in Chauveau G., Rémond M. & Rogovas-Chauveau E., (Eds), L'enfant apprenti-lecteur. L'entrée dans le système écrit, INRP, L'Harmattan.

RESNICK L. (1981), Instructional psychology, reading, Annual Review of Psychology, 32, 661-674.

VURPDLLOT E. (1972), Le monde visuel du jeune enfant, Paris, PUF.

1 4 6 |

Page 145: Lecture / écriture

COMMENT AIDER L'ÉLÈVE DANS LA RECHERCHE

D'INFORMATIONS ? Textes issus de pratiques de formation

Brigitte CHEVALIER Michelle COLIN

Extrait de : Exploiter l'information au CDI : une activité transdisciplinaire

INRP, coll. « Rencontres pédagogiques » n° 29 -1989 (1re éd.), 1990 (2* éd.)

Présentation

« Ils ne savent pas lire ! » Combien de fois a-t-on pu entendre cette remarque excédée, résignée, de fa part des enseignants ? Quelle réalité der­rière cette déclaration sans appel ? Un sondage préalable à la recherche sur l'exploitation de sources variées d'information a été effectué auprès de professeurs, de documentalistes et de formateurs. Il est apparu, en règle générale, que des problèmes de méthode, plus que de lecture proprement dite, étaient évoqués s'agissant d'élèves de 6e souvent confrontés, dans le cadre scolaire mais aussi en dehors, à des ressources documentaires mul­tiples et hétérogènes.

Bien sûr, des élèves « lisent mal » en 6e, il suffit,pour s'en convaincre, de voir, dans les collèges, le nombre d'ateliers, d'heures de soutien et autres journées, consacrés à la lecture. Les actions-lecture, largement orchestrées par les médias, se sont multipliées pour inciter les élèves à mieux lire, à aimer lire. Dans cet ouvrage, il est question a" une forme particulière de la

Page 146: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

lecture, intitulée « lecture-recherche », où l'élève, à partir de documents divers, doit être capable de repérer, trier, mettre en relation désinformations pour construire ses savoirs. Telle est l'activité essentielle mais ô combien complexe, qui lui est demandé de mettre en œuvre, en classe et au CDI.

Il est connu, sinon toujours reconnu actuellement, qu'il n'existe pas une seule mais plusieurs lectures, qui dépendent à la fois du texte et de ce que l'on attend de lui. Ces lectures, différentes, sont désignées par de nom­breuses terminologies : lecture écrémage, survol, sélective, repérage... Ces appellations utilisées au départ pour des adultes, sont perçues comme des « super-lectures » pour de « super-lecteurs » ou, en d'autres termes, des lec­tures peaufinées pour des lecteurs confirmés. En examinant de plus'près les activités auxquelles sont confrontés les collégiens, on s'aperçoit qu'il est possible de classer ces différentes lectures en deux grands types (selon la consigne préalabe qui induit, en effet, la conduite de la lecture) : la lecture intégrale et la lecture-recherche.

La lecture-recherche est donc celle que les collégiens doivent mettre en œuvre au CDI lorsqu'ils ont à réaliser une production exigeant le recours à des sources diversifiées d'informations, ou encore en classe, quand ils doi­vent accéder à des contenus disciplinaires par le truchement de l'écrit.

Pour aider les collégiens à améliorer la lecture-recherche, des profes­seurs et documentalistes ont mis au point des méthodes, des stratégies per­mettant, notamment, de localiser rapidement l'information, de reconnaître et d'utiliser divers documents et ce, dans toutes les disciplines réunies au CDI pour un travail commun mené dans cinq collèges.

Pour préciser le cadre théorique, la lecture-recherche a été étudiée à partir des conduites d'exploration (au sens « d'opération cognitive consis­tant à extraite d'une situation, un élément, un contenu, une information déterminée », D'Hainaut et al. 1980) qui constituent bien l'essentiel des activités de ce type de lecture et qui tient une place importante dans les conduites complexes d'apprentissage. Les élèves n'utilisent pas ces démar­ches exploratoires, soit qu'ils ne les possèdent pas, soit qu'ils ne les connaissent pas. Or, ces auteurs montrent que les capacités opératoires des élèves peuvent être accrues, si on leur en fait découvrir l'existence et qu'on les aide à les mettre en œuvre.

La recherche s'est également inspirée des travaux de Liliane et Jean-François Vezin (1975 à 1986) qui ont montré que la transmission des connaissances ne se faisait pas par simple communication d'une succession de données, aussi claire et précise fut-elle, mais que cette transmission se faisait également par la communication de la manière dont les données devaient être apprises. Ces deux auteurs démontrent, à travers une série d'ouvrages, que des « modalités de guidage » de Vapprentissage existent « dans la manière de présenter les connaissances ». C'est ainsi qu'ils souli-

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gnent l'importance des éléments-clés (pouvant, entre autre, être mis en valeur par la typographie des textes) qui a été plus particulièrement au centre des préoccupations des enseignants associés à la recherche.

PRÉAMBULE À LA RECHERCHE D'INFORMATIONS

La recherche d'informations débouche souvent sur une production de la part de l'élève. L'existence de cette production est particulièrement impor­tante dans la mesure où tout le processus de recherche est alors animé par l'anticipation du moment de la communication. La perspective de l'échange est une source de motivation et valorise le travail de l'élève.

Or, quel que soit le mode de restitution envisagé, on constate un certain nombre de convergences, de prérequis, qui se situent en amont de la recherche d'informations : il s'agit de cerner le sujet, de mobiliser ses connaissances, de savoir questionner, de se représenter la tâche à accomplir.

Cerner le sujet

Bien souvent les enfants ont une idée très vague du sujet à traiter : le soleil, la publicité, la moto, l'énergie, le Brésil, la faim dans le monde...

Il est donc essentiel de faire prendre conscience à l'élève, qu'un même thème de recherche appartient à plusieurs ensembles et qu'il peut être abordé sous des angles différents. Pour reprendre le thème de la moto, on pourra l'étudier par le biais de la mécanique, du sport, de la réglementation routière, de la pollution par le bruit, des accidents... Entre ces différentes approches il faut choisir, sinon tout est bon à prendre et pourquoi ne pas recopier, voire photocopier ?

Mobiliser ses connaissances

Avant tout recours aux documents, l'expérience a aussi montré qu'il était indispensable de prévoir un temps au cours duquel les élèves mobilisent leurs connaissances sur le sujet, fassent en quelque sorte l'état des lieux.

En effet, faire prendre conscience à l'enfant qu'il sait déjà quelque chose sur le sujet, est un point très important, dans la mesure où les rôles n'appa­raissent plus aussi tranchés entre, d'une part, l'auteur du document censé détenir la connaissance, et d'autre part l'élève considéré comme un récep­teur passif.

En réalité, les élèves possèdent toujours un certain nombre de connais­sances sur les sujets qu'ils vont étudier mais ces connaissances sont généra-

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lement parcellaires, inorganisées. L'enseignant peut, après avoir recensé les éléments épars, procéder à un travail de regroupement, de classement.

Par ailleurs, en conduisant à mobiliser les acquis, on touche au processus même de l'apprentissage dans la mesure où, pour intégrer de nouveaux savoirs et non seulement être capable de les restituer dans un bref délai, l'élève doit les comparer entre eux, les relier à ce qu'il sait déjà, donc établir des analogies, dégager des contrastes. Ces capacités d'association sont indis­pensables pour pouvoir judicieusement utiliser des contenus dans des situa­tions nouvelles selon un schéma : connaissances dispersées -» connaissances structurées —> connaissances intégrées —> connaissances appliquées selon les besoins et les circons­tances.

Il arrive, certes, que les connaissances avancées par les enfants se révè­lent, non seulement très approximatives, mais fausses. Raison de plus pour les faire surgir, sinon il se produit un véritable conflit entre les représenta­tions de l'enfant et ce qui lui est présenté, conflit qui, non mis à jour, empê­chera l'intégration de nouveaux savoirs.

La nécessité de faire émerger les représentations se fait particulièrement ressentir si l'on pense au vocabulaire utilisé dans les différentes disciplines. Contrairement à une opinion répandue, ce ne sont pas les mots nouveaux, même très techniques qui posent le plus de problèmes mais les termes poly­sémiques (milieu, racine, centre, ensemble...). Il est difficile, pour un élève de 6e, de comprendre qu'un mot employé dans l'acception d'une discipline puisse revêtir une autre signification dans une autre discipline ou dans l'usage courant.

L'analyse des réponses erronées, effectuée à l'occasion de questionnaires relatifs à une recherche d'informations, en 6e et 5e, a également mis en lumière l'importance de faire surgir ce que les enfants savent ou croient savoir, en particulier lors de l'abord d'une nouvelle notion, d'un nouveau sujet. Prendre appui sur les acquis antérieurs, bâtir peut-être même une pro­gression sur ces acquis pour les élargir, les diversifier et construire de nou­velles connaissances, présente, en outre, un avantage : celui de prendre en compte la dimension affective des apprentissages, on part du familier, de l'apprivoisé et non d'un univers totalement étranger au sujet.

Questionner

Les écrits, comme tout document, ne répondent que si on les interroge. Alistóte soulignait déjà l'importance du questionnement : « Savoir poser les questions est déjà savoir à moitié ». Le questionnement, étape primordiale, l'est encore plus lorsque l'élève à partir de ses lectures, doit élaborer une

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production personnelle. Il est amené dans cette optique, à non seulement dégager les idées importantes en elles mêmes (ce qui serait le casr d'un résumé) mais celles qui le sont par rapport au but de son travail. Sélec­tionner les idées importantes par rapport à un projet, c'est ce que l'élève élude généralement, en grande partie parce qu'il n'a pas défini clairement ses objectifs. Cela se traduit dans la pratique par des « recopiages » de pas­sages entiers, même truffés de mots techniques ou scientifiques, que l'élève serait bien incapable d'expliciter.

H est vrai que recopier apparaît la solution la plus facile, la plus sécuri­sante : une façon pour l'élève de rentrer dans l'écriture, c'est vrai aussi qu'en l'absence de travail sur les éléments-clés, sur la reformulation, éh l'absence de documents adaptés, l'élève n'a pas toujours les moyens de pro­céder autrement

Parmi les élèves observés au CDI, ceux qui avaient une forte propension à la recopie n'avaient pas une idée très claire de ce qu'ils attendaient, ils choisissaient alors de préférence des informations de type encyclopédique et relevaient tout ce qui avait un rapport plus ou moins lointain avec le sujet et non les seuls éléments significatifs.

n ne peut y avoir recherche d'informations que si le lecteur a énoncé ses attentes : « Qu'est-ce-que je veux savoir ? », « Qu'est-ce-que ce texte va m'apporter ? », « Quels renseignements ? », « Pourquoi ? », etc. Alerté par ces questions, l'élève peut alors entrer dans le texte, plus motivé, mieux concentré, l'esprit en éveil. Il cherche des réponses et pour cela, il sélec­tionne toute et rien que l'information pertinente. Le questionnement contri­bue (il représente même le seul moyen) à passer de l'attitude passive du « copieur » à l'attitude active du « chercheur ». L'élève est prêt à filtrer l'information, à ne retenir que ce qui présente de l'importance pour son pro­jet et est moins enclin à recopier.

Les élèves ont généralement tendance à faire peu de cas de leurs propres écrits.

Quand à l'issue de tout travail de recherche, d'exploitation et de reformu­lation, ils doivent écrire l'ultime version d'un texte, approuvée par l'ensei­gnant (pour un livre-jeu ou pour un panneau-affiche par exemple), les élèves retournent au document d'origine pour recopier la phrase ou le passage qui leur a permis de trouver l'information, délaissant soudain ce qu'ils avaient écrit. De plus, si plusieurs documents sont consultés, et c'est souvent le cas, ils ont préférentiellement recours au manuel scolaire qui semble représenter pour eux le seul modèle valide. Créer une situation nouvelle au CDI ou en classe, ne suffit donc pas toujours pour modifier les comportements des élèves, peu confrontés au cours de leur scolarité antérieure (surtout dans les pédagogies traditionnelles) à d'autres sources d'information que celles du cours ou du manuel scolaire.

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Pour que les démarches « mobilisation des connaissances », et « ques­tionnement » se révèlent efficaces et soient intégrées par l'élève, c*est-à-dire que celui-ci y fasse appel dans d'autres occasions, en l'absence de l'ensei­gnant qui les a sollicitées, il est indispensable qu'elles soient renouvelées au début de chaque séquence consacrée à la recherche d'informations et de fixer des objectifs méthodologiques transdisciplinaires afín que les élèves ne se laissent pas enfermer dans un questionnement axé uniquement sur la discipline du professeur instigateur de la recherche, pensant par là répondre aux attentes de l'enseignant

Citons à titre d'exemple le cas de ces élèves venus au CDI, accompagnés de leur professeur d'histoire-géographie, dans le but de préparer un dossier sur la vie quotidienne en Angleterre ou en Allemagne (selon la langue étu­diée). Avant la consultation des fichiers, les élèves devaient, par petits groupes de 3 ou 4 préparer un questionnement. Ils n'ont pu, sans l'interven­tion des adultes, démarrer un questionnement : rien ne leur venait à l'esprit et c'est seulement en les aiguillant sur leur propre expérience (qu'est-ce-qu'ils aimeraient savoir s'ils partaient dans ces pays maintenant) que les questions ont fusé, concernant la façon de se vêtir par rapport au climat, l'alimentation, le décalage horaire, les habitudes de travail des gens... Cependant au moment de rassembler les questions en grand groupe, une « censure » s'est opérée et les seules questions retenues concernaient le nom des villes principales, celui des fleuves, des reliefs... c'est-à-dire tout ce qui paraissait séant, aux élèves, de demander en présence d'un professeur d'his­toire-géographie.

Cette anecdote n'est pas rare ; essayer de répondre aux attentes de l'adulte qu'ils ont en face d'eux, semble être le souci constant des élèves (même s'ils n'en donnent pas toujours l'impression...). C'est sans doute ce qui explique, en partie, la difficulté qu'ils ont à réinvestir les acquis métho­dologiques d'une activité dans une autre. Les disciplines, au collège, étant compartimentées, les élèves n'établissent pas les liens entre elles et restent prisonniers des habitudes de travail acquises dans chacune d'elles.

Se construire une représentation de la tâche à accomplir

Avant que d'entamer une recherche dans des documents, deux questions sont incontournables : « qu'est-ce-que je cherche ? » et « dans quel but ? » La pertinence des choix ne peut être évaluée, en effet, que par rapport à un objectif préalable.

Un élève désire, par exemple, consulter des documents sur la construc­tion des igloos. Que veut-il faire ? Quel mode de restitution envisagé : réali­ser un panneau-affiche, préparer un exposé, construire une maquette, dessi-

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ner un igloo, rassembler des éléments descriptifs à insérer dans une rédac­tion, répondre à des questions ponctuelles ? ... C'est donc le mode de~resti­tution qui détermine largement la sélection des documents et la manière de les exploiter. On ne procédera pas de la même façon selon que l'on prépare l'une ou l'autre des productions.

Depuis la création des CDI jusqu'à une date récente, le flou régnait sou­vent (encore ?) sur le produit attendu des élèves à l'issue de la recherche d'informations. Tout se ramenait généralement à un dossier, à un exposé. On avait l'impression que le travail était plus donné pour satisfaire à un besoin de modernité qu'à la prise de conscience de son intérêt pédagogique. Le fait que cette activité n'était généralement pas évaluée est très significatif de cet état d'esprit. L'apparition du travail autonome, l'action des documentalistes et la diffusion du module consacré à l'utilisation des ressources documen­taires ont contribué à faire évoluer les mentalités mais pas toujours, pas par­tout...

Or, un des points essentiels est d'amener les élèves à se construire une représentation de la tâche à accomplir. Pour cela, il est indispensable que l'objet de la recherche, le mode de présentation, non seulement soit connu dès le début du travail. Il est primordial que les élèves aient vu un panneau-affiche, un dossier, une exposition... et qu'on les aide à dégager de cet exa­men des critères de réussite (voir exemple du panneau-affiche), critères qui serviront à l'élaboration d'un instrument d'évaluation. On peut partir d'un modèle, réalisé par une autre classe, que l'on reconstruit, ou, à défaut, d'un modèle trouvé chez un éditeur, par exemple un album documentaire.

C'est grâce à cette connaissance de type de production que les élèves peuvent anticiper les tâches, avoir une représentation du produit fini. Sans cette représentation, les élèves ne savent pas où ils vont et n'ont plus qu'à effectuer ce qui les compromet le moins et leur paraît, à juste titre, plus facile : recopier. Une fiche méthodologique peut être établie en commun, trace sécurisante qui donne des points de repères et évite l'angoisse devant l'ampleur de la tâche qu'on ne sait comment mener. Loin d'empêcher la créativité, cette fiche permet au contraire à l'élève de donner libre cours à son imagination car il dispose de jalons et ne craint plus de s'égarer.

L'observation des groupes d'élèves au CDI montre la nécessité de préci­ser ce que l'on attend à l'issue de la recherche. Combien de fois s'est-il trouvé que les élèves finissent par faire une rédaction, production écrite la plus fréquente pour eux, alors que le sujet ne s'y prêtait pas, faute d'avoir eu dès le départ une idée précise de la production à fournir. Ici aussi on peut bâtir un instrument d'évaluation, à partir de critères dégagés avec les élèves. Les règles du jeu sont ainsi données suppriment l'implicite qui crée tant de problèmes aux élèves.

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Cet instrument peut comprendre divers aspects, par exemple : - des aspects techniques (présence et proportion des textes erdes illus­

trations, mise en page, mise en valeur de certains éléments par encadre­ments, surlignements, couleurs, numérotation...) ;

- des aspects organisationnels (introduction, conclusion, type de plan ou pour un panneau ou une exposition : rapport texte-image, occupation de l'espace, sens de lecture...) ;

- des aspects touchant à la démarche.

Cet instrument d'évaluation peut revêtir diverses formes : grille, ques­tionnaire... On pourra articuler le niveau d'exigence en fonction de la classe, en fonction des élèves. Le nombre de techniques à maîtriser est par­fois trop grand pour que l'élève puisse les utiliser de façon autonome dès la 6e. On peut, dans un premier temps, guider de très près le choix du sujet, le choix des documents. L'autonomie, au fur et à mesure de l'acquisition de méthodes de travail ira grandissante.

Ainsi, dans la recherche d'informations, ce qui se passe en amont de la recherche est aussi important que ce qui se passe au cours de la lecture-recherche elle-même. Si l'on veut éviter les découragements, voire les aban­dons, si l'on veut que le travail de recherche soit réellement formateur, un temps de mise de mise sur orbite est nécessaire avant tout recours aux docu­ments. Or ce temps pendant lequel les élèves n'écrivent pas, n'engrangent pas de connaissances, est généralement mal vécu par les adultes qui le res­sentent comme un temps mort, comme une séquence « pour rien ».

La mise en place du travail, la ou les séances de lancement peuvent déboucher sur une feuille de route qui précise le projet, établit une sorte de contrat entre le professeur et les élèves. Cette feuille de route est particuliè­rement précieuse pour le documentaliste en particulier, qui pourra mieux guider les enfants. Cette feuille pourra mentionner les divers éléments inter­venant dans la détermination d'un objectif de recherche.

LA SÉLECTION DE L'INFORMATION Guide pour une progression

n existe dans la saisie d'informations toute une gradation dont nous ne sommes pas toujours conscients en tant qu'adultes. De nombreux facteurs interviennent pour faciliter ou compliquer la tâche de l'élève « chercheur ». Ces facteurs peuvent se situer au niveau de la formulation de la question, de la présentation de l'information dans le document, du type de réponse à fournir.

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Les particularités du questionnement (d'après l'analyse des résultats à une épreuve de lecture-sélection passée en 6e)

La première condition pour pouvoir répondre à une question est qu'elle ne présente pas de difficulté particulière d'ordre syntaxique ou sémantique. En effet, plus la question comporte de termes inusités, plus il est difficile d'en dégager le sens et, par suite, d'y apporter une réponse.

Lisibilité de la question

La formulation de la question - longueur et structure - est aussi détermi­nante. Des tournures familières à l'adulte peuvent se révéler sources d'embûches pour le lecteur peu confirmé. Ainsi, lorsque des termes inci­dents (compléments de temps, de lieu...) viennent s'interposer entre le terme interrogatif et le groupe sujet-verbe (ou vice-versa), les résultats des élèves chutent. Il en va de même lorsque le mot interrogatif ne se situe pas en début de question : il est moins bien repéré alors que, placé en tête, il donne la clé et aiguille la recherche.

Nombre d'éléments à prendre en compte

Il semble que plus le nombre d'éléments à gérer augmente, plus la tâche se complique. Les enfants ont souvent tendance à se focaliser sur un mot, sur une expression et abandonnent le reste de la question. Cette hâte entraîne souvent des réponses incomplètes, voire erronées comme le montrent les exemples suivants :

- « Quelles étapes distingue-t-on dans l'évolution de l'écriture égyp­tienne ? »

19 élèves sur 23 ont cité les étapes de la fabrication du papyrus. Ils ont entamé leur recherche à partir du mot « étapes » sans lire la question jusqu'au bout.

Dans les épreuves d'évaluation de la lecture-recherche à l'entrée en 6e, 3 questions étaient très proches :

- « Tu fais une promenade à la tombée de la nuit. Qui vois-tu sortir ? Souligne la bonne réponse ». 3 éléments à prendre en compte (soulignés) : on obtient 91 % de répon­ses exactes.

- « Tu traverses les bois dans la journée. Qui vois-tu chasser ? Souligne la bonne réponse ».

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4 éléments à prendre en compte : 76 % de réponses exactes. *

- « Tu pars tôt le matin pour une excursion et tu rentres le soir. Qui croises-tu sur ton chemin à l'aller et au retour ? Souligne la bonne réponse ». 5 éléments à prendre en compte : 69 % de réponses exactes.

Les mauvais aiguillages dus à une précipitation intempestive sont fré­quents, à plus forte raison chez des élèves qui consacrent un minimum de temps à la lecture, s'emparent du premier indice venu et qui, de-ce fait, cumulent les erreurs. Dans ce cas, il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une difficulté à traiter l'information, mais d'une difficulté inhérente au style d'apprentissage de l'élève « impulsif ». Il est donc essentiel d'amener ces d'enfants (et ils sont nombreux !) à marquer un temps de pause avant d'agir et de les conduire à adopter des stratégies efficientes.

Dans le cas d'une question double avec subdivisions bien marquées [a, b, 1. 2... ] il n'existe aucun problème particulier mais si les deux parties de la question ne sont pas clairement spécifiées, les réponses sont souvent partielles : les élèves ne répondant qu'à un seul point.

Exemple - « Dans quel pays pensez-vous que le livre « Le Soutra du Diamant » a été imprimé. Pourquoi ? » Il faut répondre ici à 2 questions, 10 élèves sur 24 ne répondent qu'à la première.

Tout ceci souligne la nécessité d'engager un travail spécifique sur la lecture et l'analyse des questions. La démarche pourrait être la suivante :

- isoler le terme interrogatif ; - dégager les éléments-clés de la question en procédant à un découpage

logique ou si l'on préfère en sériant de façon pertinente des groupes de mots (car contrairement à d'autres énoncés, on ne peut évacuer que peu ou pas de mots, d'une question) ;

- localiser l'information dans le document ; - comparer cette information aux éléments-clés de la question afin de

s'assurer de son exactitude, donc de vérifier les choix réalisés. La procédure de vérification, généralement délaissée par les élèves, est ici essentielle et conduit très rapidement à une amélioration des résultats (dans toutes les dis­ciplines).

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Particularités de l'information dans le document

Lisibilité du document Comme pour le questionnement, le vocabulaire et la syntaxe du texte de

la réponse jouent évidemment un rôle essentiel. Une proportion appréciable de mots usuels, de phrases dont la structure est familière, pas trop longues, jalonnées de mots-outils, sont des éléments qui facilitent la compréhension.

Situation, longueur et mise en valeur typographique de la réponse

La situation et la longueur de l'information sont des facteurs importants. La réponse qui se trouve dans une phrase isolée ou située en début de para­graphe est bien repérée. Il en est de même lorsque la réponse ou une partie de la réponse est mise en relief par la typographie : caractères gras, souli­gnements... ou si le titre du paragraphe est révélateur (ce dernier facteur n'intervenant que si les élèves ont été sensibilisés au rôle du titre).

Si l'information à extraire se trouve à l'intérieur d'un paragraphe ou si le nombre de phrases à analyser augmente, le repérage devient moins aisé.

Modalités d'extraction des réponses Nous abordons là un point essentiel.

1. Prélèvement extractif

La réponse est explicitement donnée (par le texte, les graphiques, l'image...) : les indices sont clairs. C'est la cas le plus facile. Les élèves de 6e obtiennent, pour la plupart, de bons résultats à ce type de réponse.

Exemple - Question : « Que mange la musaraigne ? » Texte de la réponse : « Elle mange des insectes... » 93 % de réponses exactes sur les 5 classes de 6e.

Il existe cependant déjà à ce stade, une gradation selon que le texte reprend le ou les terme(s) de la question ou utilise un terme voisin.

2. Prélèvement inférentiel

La réponse n'est pas explicitement donnée par le document. Le lecteur doit, selon le cas, pour la trouver, interpréter, déduire, mettre en relation deux ou plusieurs informations. Ce prélèvement inférentiel nécessite tou­jours une élaboration, plus ou moins complexe selon la gradation suivante :

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- Prélèvement avec interprétation

Le lecteur doit associer les données de son expérience antérieure (savoirs scolaires et extra-scolaires) et les données du texte, en d'autres termes relier ce qu'il sait déjà à ce qu'il découvre, n faut, pour ce faire, que se produise un échange entre information visuelle et non visuelle. Cet échange entre le texte et le sujet est déterminant. Le processus de lecture met, en effet, néces­sairement en jeu un double traitement dit de « bas en haut » qui va de la per­ception des signes par le lecteur à leur interprétation et à leur identification ; un traitement dit de « haut en bas » qui, à partir du lecteur, de ses connais­sances antérieures et des* informations apportées par la partie déjà lue du texte, permet de projeter des hypothèses sur ce qui suit, d'attendre certains mots plutôt que d'autres. Or, il arrive que des enfants soient tellement acca­parés par les indices graphémiques qu'ils en oublient d'exploiter le contexte, de faire appel à ce qu'ils savent. Prisonniers d'une seule stratégie, la straté­gie ascendante, ces lecteurs passent leur temps à décoder tout ce qu'ils voient et parviennent péniblement à la compréhension.

Dans le domaine de la lecture-recherche, ces élèves sont en difficultés dès qu'il s'agit de prélever des réponses de type inférentiel.

Exemple - Question : « Que mange le mulot ? » (épreuve de lecture recherche de 6e) Texte de la réponse : « Le mulot sort à la tombée de la nuit pour cher­cher des graines. » 79 % de réponses exactes sont enregistrées, alors que pour la question en tout point semblable (« Que mange la musaraigne ? »), la fréquence de réussite est de 93 %. On ne peut expliquer l'écart que par la diffé­rence dans la manière dont l'information est présentée : dans un cas, elle est donnée en clair, dans l'autre (« le mulot »), une première inter­prétation est nécessaire.

- Mise en relation des informations à l'intérieur du texte

Mise en relation de 2 éléments

On observe une progression dans la difficulté selon qu'il s'agit, pour extraire l'information, d'opérer une liaison entre :

- 2 éléments rapprochés (par exemple, situés dans un même para­graphe) ;

- 2 éléments éparpillés dans plusieurs paragraphes, voire dans le texte entier ;

- 2 éléments fournis par 2 ou plusieurs documents de même nature ; - 2 éléments fournis par 2 documents (ou plus) de nature différente : un

texte et un graphique ou une carte, un schéma, un dessin...

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Comment aider l'élève dans la recherche d informations ?

Mise en relation de plusieurs éléments La gradation est la même que dans la mise en relation de 2 éléments. À

cette gradation s'ajoute le nombre de données à gérer.

Exemple - Question : « Qui ne mange pas de céréales ? » La réponse était à déduire de la lecture des 3 petits textes en procédant par élimination. Cette question, qui est à mettre en parallèle avec- « Que mange la musaraigne ? » obtient 65 % de réponses exactes. Le pour­centage de réussite varie donc de 65 % à 93 % et l'explication de cette différence réside dans la présentation et la répartition de l'information dans les textes.

Les résultats obtenus parles enfants, tant aux épreuves d'évaluation qu'à divers exercices effectués dans le cadre de la classe ou au CDI, montrent que le problème ne se situe pas au niveau du déchiffrage, de la lecture litté­rale mais au niveau de la mise en relation d'éléments, n apparaît que le tra­vail principal à mener consiste à exercer le raisonnement déductif et par inference. Certains enfants ont pris l'habitude de lire mécaniquement sans mobiliser leur intelligence, sans aller au-devant du sens qui non seulement est rarement donné a priori mais est une construction. Ces lecteurs peuvent extraire une information si elle apparaît telle quelle dans le texte mais se trouvent désemparés dès que ce n'est plus le cas. Il s'agit donc de les ache­miner vers des réponses qui nécessitent un traitement de l'information et non un simple prélèvement.

Ce travail de mise en relation est d'autant plus important qu'on touche là au processus même de l'apprentissage. Pour les lecteurs qui pratiquent une lecture fragmentée, séquentielle, le texte n'est en effet qu'une suite de phrases juxtaposées, une addition de textes courts, sans véritable liens. Si ce mode de faire subsiste, les enfants risquent de rencontrer des difficultés pour construire leurs connaissances. J.F. VEZIN (1984) souligne que l'activité d'étude n'est pas seulement une activité interprétative de chaque énoncé mis en relation avec ceux qui lui sont proches, mais que cette activité suppose aussi l'interprétation de chaque énoncé, en fonction de l'ensemble, interpré­tation qui se modifie, au fur et à mesure des relations nouvelles. Dans un « apprentissage en profondeur », le sujet ne peut se limiter à enregistrer chaque donnée isolément mais la saisir dans un réseau plus vaste.

Aboutissement de la lecture-sélection

n existe un large éventail dans la gradation de la difficulté selon le type de réponse attendue.

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Réponse à choisir dans un ensemble (questionnaire à choix multiple)

Plusieurs possibilités sont proposées aux élèves qui doivent, selon le cas, cocher, entourer, souligner... la réponse exacte.

Dans ce type de questionnement, le rendement est généralement positif lorsqu'il s'agit de procéder à l'extraction d'une seule information (à plus forte raison si elle est explicitement mentionnée). Dès qu'il faut prélever deux ou trois informations successives, on obtient beaucoup de-réponses partielles. De nombreux élèves s'arrêtent dès qu'ils pensent « tenir »-la solu­tion sans vérifier son intégralité en allant plus avant dans le texte.

De manière générale, tant pour un texte que pour tout autre document, les enfants ont tendance à ne fournir qu'une seule réponse. Le schéma tradition­nel : une question = une réponse semble profondément ancré et provient de réflexes acquis au cours de la scolarité.

Exemples - Question : « Que mange la musaraigne ? » Un choix de réponses ne suivant pas l'ordre du texte est proposé, les élèves ont à cocher toutes les bonnes réponses possibles.

Réponse dans le texte : « Elle mange des insectes, des araignées, des vers vivant comme elle sur le sol ; c'est aussi une mangeuse de cadavres d'animaux ». Les résultats obtenus sont les suivants : - « insectes » (1er terme) : 97 % de réussite ; - « araignées » (2e terme) : 96 % de réussite ; - « vers » (3e terme) : 88,5 % de réussite ; - « cadavres d'animaux »> (4e terme) : 88 % de réussite.

- Question : « Que mange le mulot ? » On enregistre 81 % de réussite pour la réponse figurant en première position dans le texte contre 62 % pour le dernier terme. Consigne : « Le jeu consiste à souligner le nom de l'animal qui habite chaque abri. Fais bien attention, un même abri peut convenir pour plu­sieurs animaux ».

< les mulots les campagnols les musaraignes

La première réponse exacte : « les campagnols » est fournie par 79 % des élèves, la deuxième : « les musaraignes » n'est plus donnée que par 59%.

Force est de constater des abandons en cours de route... Une exception cependant lorsque la consigne insiste fortement sur la multiplicité des réponses à donner et que les propositions sont nombreuses.

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Comment aider l'élève dans la recherche d'informations ?

Exemple

Consigne : « Le campagnol, le mulot... se reconnaissent à certains détails : la forme du museau, la queue... Trouve les détails qui sont don­nés dans le texte en mettant une croix dans les cases correspondant aux bonnes réponses ». Suit une liste étoffée de propositions. Dans ce cas, non seulement les élèves ont coché plusieurs réponses mais on trouve même des ajouts. La signification de ces ajouts est cependant différente selon les élèves comme nous avons pu le consta­ter en procédant par recoupement : - certains « bons » élèves semblent chercher un surcroît d'information dans les dessins de la page suivante (ou font appel à leurs connais­sances ?). Ils essayent, en tout état de cause, de mettre toutes les chances de leur côté ; - pour d'autres, exercés à confronter deux sources d'information, les ajouts sont la conséquence d'une habitude de travail ; - d'autres, enfin, semblent cocher au hasard. Il s'agit souvent de lec­teurs en difficulté qui pratiquent la stratégie du loto. Des causes différentes engendrent ici les mêmes effets.

Réponse à transcrire (mot ou phrase simple)

Aucune proposition de réponse n'est indiquée : l'élève doit répondre par un mot, un membre de phrase, une phrase simple ne nécessitant pas d'élabo­ration. Le travail consiste à extraire du texte le passage correspondant à la réponse et à le transcrire.

On note que, contrairement à ce que l'on pourrait estimer, il est plus ardu pour les enfants de répondre par un mot que par une phrase. Dans le premier cas, en effet, il faut procéder à un tri et éliminer ce qui n'est pas expressé­ment demandé. Les élèves qui ne possèdent pas la capacité (qu'ont certains) de percevoir une structure (dans un dessin ou dans un texte), semblent éprouver des difficultés à être concis dans leurs réponses. Ils « noient » généralement l'information à fournir dans des éléments inutiles.

Lorsque plusieurs informations sont à dégager, la tendance à s'arrêter dès que la première information est dégagée apparaît ici encore plus marquée que dans le cas de réponses proposées.

Exemple Question : « Quelles sont les techniques mises au point par Gutem-berg ? » Seuls 5 élèves sur 24 ont extrait la totalité de la réponse qui nécessitait le relevé de 3 informations. 18 élèves n'en ont relevé que 2.

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LECTURE I ÉCRITURE

Réponse à construire

La réponse à construire, en prenant en compte plusieurs éléments répartis dans un ou plusieurs paragraphe(s), voire plusieurs documents, est, de loin, l'opération la plus délicate en 6e. Dans ce type de réponse, qui peut aller d'une phrase élaborée (plus complexe que dans le cas précédent) au résumé, au dossier etc., l'élève doit reformuler l'information, sinon passer d'un type de support à un autre, par exemple du graphique, de l'image au texte ou vice versa.

Exemples -Question : « Tu dis qu'il y a des mulots dans ton jardin. Pourtant tu ne les a pas vus. Comment sais-tu qu'ils sont dans ton jar­din ? » La réponse est à bâtir en établissant un rapport de causalité. 52 % des élèves fournissent des réponses exactes. Question : « Pourquoi, à la fin du Moyen-Âge, les livres restaient-ils rares et chers ? »

La réponse est à élaborer à partir des éléments situés dans un para­graphe ; 5 élèves sur 24 seulement y parviennent en 6e.

Si la lecture des différents types de supports : textes, illustrations diverses nécessite un apprentissage spécifique, on retrouve la même grada­tion dans la prise et la réutilisation de l'information. Après un bref rappel des supports exploités, le tableau ci-après récapitule une progression pos­sible.

Avoir présents à l'esprit les éléments qui contribuent à graduer la lecture-recherche permet de moduler le niveau d'exigence aux possibilités des élèves et de prévoir des séquences pédagogiques ménageant une progression dans la saisie et l'utilisation de l'information. Il est notamment important de préciser exactement ce que l'on entend par « dossier », « exposé »... en 6e, en 5e car, dans le cas contraire, les élèves ont une représentation très vague de la tâche à accomplir et se dirigent vers ce qui leur semble le plus facile et le moins compromettant : recopier les documents au lieu de les exploiter dans un but précis.

En tout état de cause, on s'aperçoit que les constats du type « cet élève lit mal », voire « cet élève ne sait pas lire » sont à examiner de plus près. Il s'agit bien souvent d'un problème de méthodes dans l'approche des textes et/ou de représentations erronées sur la lecture, sur ce qui est attendu à l'issue de la lecture.

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Comment aider l'élève dans la recherche d'informations ?

SUPPORTS

Textes (différents types)

périphériques (titres, sous-titres, numérota­tion, mise en page, notes, renvois...)

illustrations (cartes, graphiques, schémas, croquis, dessins, photographies)

+ périphériques (légendes, titres)

EXTRACTION DE L'INFORMATION (1)

Extraction simple

une information des informations successives des informations dispersées dans un seul document des informations dispersées dans 2 ou plusieurs

documents de même nature des informations dispersées dans 2 ou plusieurs

documents de nature différente

Prélèvement avec interprétation

une information 2 ou plusieurs informations

Prélèvement avec mise en relation de

2 informations rapprochées puis dispersées dans un seul document

2 informations dans 2 ou plusieurs documents de même nature

2 informations dans 2 ou plusieurs documents de nature différente

plusieurs informations rapprochées puis dispersées dans un seul document

plusieurs informations dans 2 ou plusieurs documents de même nature

plusieurs informations dans 2 ou plusieurs documents de nature différente

1. On peut donc jouer sur : - la présentation des informations, - la situation des informations, - le nombre d'informations à trouver, - le nombre de documents à utiliser, - la nature des documents à utiliser.

Page 162: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

UTILISATION DE L'INFORMATION

P R O G R E S S I O N

1 Cocher, surligner, souligner une ou plusieurs réponses fournies

2 Relever une phrase un ou des mots

3 Reformuler

phrase(s) simple(s) phrase(s) élaborée(s) un paragraphe un titre

passer d'un type de support à un autre (du graphique au dessin 4 Transcoder < ^ et vice versa) (du dessin à la description et vice versa)

passer d'un type de texte à un autre <pass< et vie pass

dossier _ , . . . . S panneau-affiche SÉaborer ^ T ^ ^ j | | us t ré

exposé

A L'ISSUE DE LA RECHERCHE D'INFORMATIONS : QUELLE PRODUCTION ?

Il existe de multiples modes de restitution de la lecture, de multiples sup­ports de création : le panneau-affiche, l'album documentaire, le résumé (écrit ou oral), le compte rendu, le dossier, le dessin et le dessin animé, la bande dessinée, l'exposé, le livre-jeu, le lexique illustré, le montage de pho­tographies, de diapositives, le roman-photo, la lettre...

L'existence d'une restitution à la classe est particulièrement importante dans la mesure où tout le processus de lecture est alors animé par l'anticipa­tion du moment de la communication. La perspective de l'échange est une source de motivation et valorise le travail de l'élève. On sait, de plus, qu'à moyen ou long terme, les élèves se souviennent mieux du contenu des pro­ductions qu'ils ont réalisées par eux-mêmes que du contenu du cours tradi­tionnel.

Toutes ces restitutions nécessitent la mise en place de séquences de lan­cement d'activités ainsi que leur programmation. Les enseignants s'accor­dent sur deux points essentiels : les activités doivent être réparties dans le temps et répétées.

Page 163: Lecture / écriture

Comment aider l'élève dans la recherche d'informations ?

La répartition de l'activité dans le temps

En premier lieu, il est nécessaire de mettre en place des activités qui ne soient pas trop dispersées. Si la production s'étale sur un temps trop long, les élèves perdent le fil de la tâche et la motivation chute. Ainsi, une docu­mentaliste qui a aidé à l'élaboration d'un livre-jeu en 6e, relate, dans un compte rendu, que malgré l'intérêt manifesté par les élèves au départ, ce tra­vail a difficilement été mené à terme, en grande partie à cause de la réalisa­tion (14 séances de 50 minutes réparties sur plus d'un trimestre) qui a trans­formé peu à peu l'enthousiasme de départ, en lassitude. Elle souligne que la tâche était trop complexe pour deux raisons majeures : la première étant la difficulté, pour les élèves, d'établir un lien permanent entre fiction et docu­mentation et la deuxième étant le manque de souplesse de l'horaire imparti qui a empêché la continuité nécessaire à cette tâche nécessitant l'utilisation de nombreux documents. Elle explique...

... « les deux premières phases, consacrées respectivement à l'approche du « produit » livre-jeu puis à la recherche documentaire proprement dite se sont déroulées sans problème majeur. Les premières difficultés surgissent dès la troisième phase, lors de l'élaboration du projet d'écriture et ensuite lors de la rédaction, en petits groupes d'élèves, de séquences narratives : les épisodes imaginés se sont singulièrement appauvris, les élèves se limitant souvent à imiter un roman lu en classe, sur un sujet voisin. Des difficultés sérieuses ont été rencontrées notamment au niveau du vocabulaire, au niveau des descriptions (devenues des enumerations d'éléments « couleur locale » cités pêle-mêle), au niveau de l'enchaînement logique des para­graphes, au nombre de 26 et dont certains constituaient deux chemins pos­sibles vers la case réussite... »

La répétition de l'activité

En second lieu, il apparaît indispensable que les activité débouchant sur une production soient répétées plusieurs fois au cours de l'année. « Un de nos défauts, c'est peut-être de varier trop les activités et de ne pas se centrer assez sur ce problème de la mise en place des structures » constatait un pro­fesseur. Ce n'est, en effet, qu'en réitérant le même type d'activité qu'on pourra donner aux élèves le temps d'acquérir des méthodes qui les rendent autonomes et le temps d'acquérir des connaissances. Faire en continuité une action par rapport à la lecture-recherche, choisir une production, renouveler la formule à plusieurs reprises en modifiant l'approche pédagogique, les projets dans lesquels s'insèrent les productions, est le moyen de mieux repé­rer les démarches, les modifications à opérer, les améliorations à apporter, d'étudier les évolutions. Pour cela, il faut que les modes de restitution choi­sis ne soient pas trop coûteux en temps.

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LECTURE I ÉCRITURE

Étude de quelques modes de restitution : l'exposé, le panneau-affiche, le texte narratif, l'exposition

L'exposé

Descriptif de l'activité

Contenu

Le sujet de l'exposé sera très limité et bien délimité, le thème pouvant être choisi par les élèves ou proposé par le professeur ou le documentaliste. Ce pourrait être, surtout au début, la proposition d'approfondir un point 3ans un ensemble ayant déjà été abordé.

Forme

L'exposé peut être fait par un ou deux élèves, au milieu du second tri­mestre. Un support (texte, image, diapositive, maquette...) doit accompa­gner l'exposé (non comme illustration d'un propos mais comme objet des propos tenus. Le temps de parole est fixé.

Démarche générale de l'activité

L'exposé oral est l'aboutissement d'un travail de recherche et d'organisa­tion de l'information ; c'est pourquoi il importe d'expliciter les grandes étapes de la démarche qui y conduisent, d'autant plus que la grille d'évalua­tion formative en tient compte.

- Le choix de la question, du thème de l'exposé, peut être libre ou pro­posé par l'enseignant en tout cas le libellé du sujet doit inclure les mots-clés.

- La formulation des questions, ce dont on veut parler doit se faire avec l'aide du professeur ou du documentaliste.

- La documentation peut, dans un premier temps, être fournie par l'enseignant. La démarche d'exposé cherchant à faire travailler l'élève sur le traitement de l'information, on peut considérer que le fait de fournir les documents facilite, au départ, la centration de l'activité sur ce traitement.

- Le choix du support d'exposition est fait par l'élève, aidé ou non de l'adulte.

Repérage des difficultés

Dès le début il y a lieu de s'assurer que l'élève a clairement compris le sujet qu'il va traiter (afin d'éviter le hors-sujet). Pendant la phase de prise de notes, on peut vérifier si l'élève s'est vraiment approprié l'information en lui demandant de la reformuler, livre fermé, dans son propre langage.

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Page 165: Lecture / écriture

Comment aider l'élève dans la recherche d'informations ?

Guide pour une évaluation

L'évaluation peut porter, d'une part, sur le contenu du message (ce qui est dit) et, d'autre part, sur la qualité de la retransmission orale (comment le message est dit). Ces deux points peuvent prendre en compte un certain nombre de critères (mentionnés ci-après).

Le message - Le contenu informatif est-il suffisamment approfondi ? - L'exposé répond-il aux questions formulées au départ de la recherche ? - L'exposé est-il organisé ? - Le support a-t-il réellement été utilisé pendant la passation (quelle est

la qualité de cette utilisation) ? - Le support (si celui-ci n'a pas été proposé par l'enseignant) est-il bien

choisi ? - Une bibliographie (même si l'élève a été guidé dans le choix des docu­

ments) a-t-elle été fournie ? - L'exposé a-t-il intéressé les autres élèves ?

La qualité de la retransmission

- Le langage est-il correct ? - La voix est-elle audible ? - L'exposé s'est-il déroulé avec régularité, sans incident ? - L'exposant a-t-il regardé les autres élèves ? Une des règles du jeu dans

la restitution orale étant que les autres élèves puissent s'approprier les acquis de celui ou de ceux qui l'ont préparée, on peut demander aux auteurs de l'exposé de prévoir un exercice ou un questionnaire à soumettre à la classe; Le taux de réussite à ce travail serait un bon indicateur des connaissances transmises.

- Le partage des tâches et la coordination entre différents membres du groupe seraient également pris en compte dans le cas d'un travail d'équipe.

Le niveau d'exigence

Cet aspect est particulièrement important. On rencontre en effet encore, dans de nombreux collèges, des enfants de 6e chargés, sans autre précision, de faire un exposé sur tel ou tel thème. Le résultat est évidemment déce­vant : l'élève lit d'une voix monocorde le texte entièrement rédigé qu'il a sous les yeux, les autres membres de la classe écoutent d'une oreille dis­traite... ; la déception est grande pour l'exposant qui a souvent passé des heures à préparer son intervention qui, de plus, ne sera pas toujours prise en compte dans les résultats scolaires...

Il faut donc être clair quant au niveau d'exigence : qu'attend-on des élèves en matière d'exposé en 6e, en 5e ?

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Page 166: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

Le panneau-affiche

Le texte qui suit est le compte-rendu du travail d'un groupe d'ensei­gnants, au cours d'un stage.

Le panneau-affiche dont la fonction sociale est primordiale, constitue, à lui seul, une véritable synthèse qui fait appel à deux dimensions : artistique et cognitive, ce qui augmente le niveau d'exigence pour la réalisation et en fait une production relativement ambitieuse pour des élèves de 6e; En tout cas une progression est à respecter si on veut que les élèves (souvent très demandeurs de ce type de produit) puissent « s'en tirer » honorablement. Les enseignants ont donc proposé la progression suivante. "-

En début d'année, sensibiliser les élèves à l'aspect esthétique en leur présentant le panneau comme un beau document : on choisira un panneau bien fait, sans contenu écrit.

Peu à peu on les orientera sur le contenu, en choisissant des panneaux présentant des connaissances un peu plus construites, mais en gardant tou­jours présent à l'esprit que le panneau doit être, avant tout, beau.

Durant cette période, les panneaux montrés aux élèves sont l'objet de l'apprentissage. C'est en quelque sorte la production (d'autres élèves, d'autres adultes) qui sert à l'apprentissage.

C'est à ce moment-là que l'on peut également donner aux élèves les cri­tères d'un « beau panneau » (graphisme, gestion de l'espace, illustrations/ texte) résumés dans le tableau ci-dessous.

Aspect matériel

Support (matériau, taille)...

Mise en page, harmonie, typographie, couleur

Lisibilité (texte - image)

Organisationnel

Rapport texte-illustration (surface - pertinence)

Notion de plan dans l'occupation de l'espace

Sens de lecture

Démarches

Questionnement à partir d'un panneau fini

Tâtonnements par ébauches

Des compétences requises : - se représenter le produit fini, - cerner le sujet, - sélectionner les documents*, - sélectionner dans les documents, - reformuler, - mettre en relation texte-image.

En 6e il est préférable de sélectionner les documents et de les fournir aux élèves.

Page 167: Lecture / écriture

Comment aider l'élève dans la recherche d'informations ?

UN EXEMPLE D'ÉVALUATION DE PANNEAU-AFFICHE DANS LE CADRE DE L'ACQUISITION D'UNE NOTION EN BIOLOGIE

La consigne donnée aux élèves est la suivante : « Par la réalisation d'un panneau-affiche, montrez la relation existant entre le bec de l'oiseau et son régime alimentaire. » (Cette activité peut se dérouler à la suite de la décou­verte des régimes alimentaires des vertébrés et la mise en évidence d'une relation régimes - organes spécialisés chez les mammifères).

Qualités esthétiques 1. Forme du panneau 2. Mise en page - grandeur du document 3. Soin - découpage 4. Soin - titre et écriture

Qualités rédactionnelles 1. Hors document - hors sujet 2. Pertinence du titre (mot-clé) 3. Eléments-clés descriptifs 4. Eléments-clés objectifs 5. Relation bec/prise d'aliments

Le professeur qui a mené l'activité souligne que les résultats ont surpris une classe enthousiaste au départ : certains « très bons élèves » ont obtenu des résultats médiocres à l'ensemble des critères retenus pour l'évaluation du panneau. En revanche, des élèves « très moyens » ont été valorisés par la suite à cette réalisation.

Le texte narratif

Un mode de production, peu coûteux en temps et très profitable pour amener les élèves à distinguer les éléments essentiels, consiste à leur fournir une ou plusieurs photographies et à leur demander de repérer puis de réutili­ser les éléments-clés de ces documents dans un texte narratif.

Dans l'exemple qui suit, les élèves devaient raconter ce qui se passe dans la phase finale de la chasse du léopard grâce à la prise d'informations dans 4 photographies accompagnées de leur légende.

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LECTURE I ÉCRITURE

Travail préparatoire

a) Tableau servant à l'observation des photographies

Les élèves le complètent individuellement en classe, en observant les photographies.

Photos

1

2

3

4

Cadre

Ééments descriptifs

Léopard

Éléments narratifs actions

Ééments descriptifs

Baboin

Ééments narratifs actions

Ééments descriptifs

b) Utilisation de la légende

Noms des personnages/animaux Qualités

c) Aide apportée par le professeur avant la rédaction

- Le professeur insiste sur la distinction qui doit être faite entre élé­ments descriptifs et éléments narratifs, il y a donc non seulement repé­rage, mais aussi tri.

- Le professeur rappelle que ces éléments vont être réemployés dans une narration, et non dans une description. Il faudra donc mettre l'accent sur les éléments narratifs.

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Page 169: Lecture / écriture

Comment aider l'élève dans la recherche d'informations ?

GRILLE D'ÉVALUATION

FORME

1 - J'ai introduit mon récit

2 - J'ai au moins écrit une phrase concernant chaque photographie

3 - J'ai rédigé des phrases correctes

4 - J'ai évité les répétitions

5 - J'ai ponctué le texte

6 - J'ai écrit une phrase de conclusion

CONTENU

1 - J'ai employé l'expression chasse à l'affût

2 - J'ai réutilisé les éléments narratifs

photo 1 photo 3 photo 2 photo 4

3 - J'ai réutilisé les éléments descriptifs - concernant le décor nombre lesquels ? - concernant le léopard nombre lesquels ? - concernant le babouin nombre lesquels ?

4 - J'ai réutilisé les éléments fournis par la légende - concernant le léopard lesquels ? - concernant le babouin lesquels ?

Une exposition

Le travail de recherche peut aussi déboucher sur une exposition ouverte à un public plus large que le public scolaire. C'est ce qui a été réalisé dans un des collèges associé à la recherche, avec une classe de 5e.

L'exposition dont le thème était « la faim dans le monde » a fait l'objet de 3 grilles d'évaluation.

- Une grille d'évaluation, concernant l'ensemble de l'exposition et sou­mise aux élèves participants, à une autre classe de 5e et aux visiteurs de l'exposition.

- Une grille d'évaluation soumise aux seuls élèves participants qui doi­vent donner leur avis sur chaque panneau. Les enseignants soulignent que ce travail s'est déroulé dans le plus grand sérieux.

- Une grille d'auto-évaluation, où chacun est amené à réfléchir à son attitude et à son travail au sein du groupe.

Page 170: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

BIBLIOGRAPHIE

Quelques titres... à l'usage des enseignants

Ouvrages

BARRE, M. L'aventure documentaire, une alternative aux manuels sco­laires, Casterman, collection E3,1983.

BAYARD-PIERLOT J., BIRGLIN MJ. Le CDI au cœur du projet pédago­gique, Paris, Hachette Éducation, 1991 (collection Pédagogies pour demain).

CHEVALIER, B. Méthodologie d'utilisation d'un CDI, Paris, Hachette, 1981 (collection Pédagogies pour notre temps).

COLIN, M. ; CROS, F. Le Tutorat : une relation d'aide pédagogique et édu­cative, Paris, INRP, 1984 (collection Collèges, Collèges).

DE SINGLY, F. Lire à 12 ans. Paris, Nathan, Observatoire France Loisirs de la lecture, 1989.

DOWNING, J. ; FIJALKOW, J. Lire et raisonner, Toulouse, Privât, 1984. FAURIE, A. La pédagogie de la documentation dans le contexte de l'audio­

visuel et des mass-média, Paris, Éditions du Centurion, 1980 (collection Paidoguides).

GINSBURGER-VOGEL, Y. Apprentissages scientifiques au collège et pra­tiques documentaires. Paris, INRP, 1987.

LINDSAY, N. ; NORMAN, D. Traitement de l'information et comportement humain. Montréal, Paris, Éditions Études Vivantes, 1980.

PYNTE, J. Lire... Identifier, Comprendre. Lille, Presses Universitaires, 1983.

TOURNIER, M. ; NAVARRO, M. Les professeurs et le manuel scolaire. Paris, INRP, 1985 (collection Rapports de recherches).

VEZIN, J.F. Déterminants de la concision. Paris, CNRS, 1980. (Monogra­phies françaises de psychologie ; 78.)

VEZIN, J.F. Complémentarité du verbal et du non verbal dans l'acquisition de connaissances. Paris, CNRS, 1980. (Monographies françaises de psy­chologie ; 50.)

VEZIN L. Compréhension d'énoncés et acquisition de connaissances. Paris, CNRS, 1979. (Monographies françaises de psychologie ; 46.)

VEZIN, L. Communication des connaissances et activités de V élève. "Vln-cennes, Presses Universitaires, 1986.

WEISS, J. À la recherche d'une pédagogie de la lecture. Berne, Peter Lang, 1980. (collection Exploration.)

ZAKHARTCHOUK, J.M. Lecture d'énoncés et de consignes, Amiens, CRDP, 1990.

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Page 171: Lecture / écriture

Comment aider l'élève dans la recherche d'informations ?

Articles de périodiques

DUHAMEL, B. Des loups et des lecteurs ou : quand une équipe d'ensei­gnants essaie d'observer les compétences en lecture des élèves au CM2 et en 6e. Pratiques, AA, décembre 1984, pp. 70-82.

ÉTÉVÉ, C. ; HASSENFORDER, J. ; LAMBERT, O. Rôle du collège dans le développement des lectures de l'enfant à l'adolescent. Inter-CDI, novembre-décembre 1987. Les lectures de loisir de l'enfance à l'adolescence (lrc partie), Inter-CDI, septembre-octobre 1990.2e partie, Inter-CDI, novembre-décembre 1990.

ÉTÉVÉ C, LAMBERT-CHESNOT, O. Les collégiens et leurs lectures"; L'école des lettres, Le roman, n° 11,1988-1989.

LE BOUFFANT, M. Utiliser les textes documentaires. Le français aujourd'hui, pp. 89-99.

MASSERON, C. ; DUHAMEL, B. ; GARCIA, C. ; LACLAIRE, A. Lire à l'école : Analyses et propositions. Pratiques, 35, octobre 1982, pp. 29-70.

VAN GRUDERBEECK, N. ; FLEURY, M. ; LAPLANTE, L. Évaluation des stratégies d'identification de mots d'un lecteur débutant ou en difficulté. Revue Française de Pédagogie, 74, janvier, février, mars 1986, pp. 23-28.

VEZIN, J.F. Ordre de présentation et identification des énoncés-clés par des enfants de 10-12 ans. Année psychologique, 1975, pp. 375-388.

VEZIN, J.F. ordre de présentation des énoncés d'un texte et apprentissage. Année psychologique, 1977, pp. 205-224.

VEZIN, J.F. Modalités de guidage de l'activité d'étude et schéma cognitif. Journal de psychologie, 2-3 1981, pp. 273-296.

VEZIN, J.F. Apprentissage de textes et vue d'ensemble. Enfance, 1, 1984, pp. 83-100.

VEZIN, J.F. Apport informationnel des schémas dans l'apprentissage. Le travail humain, 1,1984, pp. 61-74.

VEZIN, L. Indices contextuels et identification des éléments-clés d'un texte. Bulletin de psychologie, 334 XXXI, 1977-78.

ZAKHARTCHOUK, J.M. La lecture continue. Cahiers pédagogiques -numéro spécial Lectures, janvier 1989 ; pp. 32-34.

Deux numéros spéciaux des Cahiers pédagogiques ; - Lectures, janvier 1989 ; - Aide au travail personnel, octobre 1989.

I 173

Page 172: Lecture / écriture

RAISONNEMENT ET ÉCRITURE . À PROPOS D'ACTIVITÉS

EXPÉRIMENTALES AU COLLÈGE •

Anne VÉRIN

Extrait de : ASTER,

recherches en didactique des sciences expérimentales n° 14-1992,

« Raisonner en sciences »

Présentation

La maîtrise du raisonnement scientifique est attendue des élèves mais fait-elle l'objet d'un apprentissage spécifique en classe ? Une recherche a tenté d'explorer les possibilités de travail sur la production de textes comme une entrée possible pour f apprentissage des opérations intellectuelles dont ils sont le support. L'analyse de quelques séquences d'enseignement de la physique et de la biologie au collège développées dans ce cadre, montre que celles qui sont centrées sur la production de comptes rendus développent la formalisation d'étapes d'un raisonnement expositif où la théorie est utilisée pour expliquer un phénomène expérimental. Celles qui s'appuient sur la produe-tion de textes accompagnant la formulation d'hypothèses et la réali­sation d'expériences ouvrent des possibilités de mise en œuvre de raisonne­ments heuristiques. La question de I* êpistémologie scolaire sous-jacente aux choix pédagogiques des enseignants est posée à l'occasion de ces exemples.

Page 173: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

des activités de classe...

ou l'apprentissage du raisonnement en sciences...

est abordé à travers la production d'écrits

Il est très largement admis que l'apprentissage dû raison­nement, en relation avec la construction et l'utilisation de connaissances scientifiques fait partie intégrante de la formation scientifique. Cet apprentissage est rarement pris de front. Le travail sur la rédaction de textes autour d'activités expérimen­tales peut être le support d'un tel apprentissage. Quelles possibilités offrent cette entrée particulière, quelles en sont les limites, quels sont les aspects du rai­sonnement qu'elle permet d'enseigner ? Une analyse des caractéristiques de quelques activités de classe construites dans cette perspective permet de préciser les apprentissages mis en jeu selon les tâches intellectuelles proposées aux élèves, les types de texte demandés et les modalités de travail de ces textes. Elle apporte un éclai­rage sur ces questions et ouvre une réflexion sur le cadre épistémique sous-jacent aux choix pédagogiques.

LA REDACTION D'UN COMPTE RENDU D'EXPÉRIENCE EST UNE TÂCHE COMPLEXE

le compte rendu d'expérience

reconstruit le raisonnement argumentatif à la façon de l'article scientifique

Le compte rendu d'expérience, accompagné de dessins et de schémas, est un texte typique de la tradition scolaire, dans l'enseignement des sciences expérimentales (1). La tâche que l'on propose habituellement aux élèves n'est pas simple. On y relève une divergence entre des objectifs concurrentiels, divergence qui, d'ordinaire, reste essentiellement gérée par les élèves de façon "pri­vée ». - D'une part, le compte rendu doit décrire la suite des opérations conduites, il doit fournir les données recueil­lies sur les phénomènes provoqués et indiquer les conclusions qui en sont tirées. De ce point de vue, il rejoint la superstructure des articles de revues scienti­fiques, dans lesquels on reconnaît une introduction (pré­sentant le problème et la méthodologie), l'énoncé de

1. On peut noter, surtout au collège, une tendance à la moindre fréquence de cet exercice profit de l'interprétation de résultats expérimentaux donnés sur papier, concommitante

avec une diminution des activités de manipulation. au

Page 174: Lecture / écriture

Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

expose les connaissances acquises à la façon du manuel scolaire

c'est la phase de structuration logique de la démarche scientifique qui est privilégiée

résultats, et une discussion. Dans lesquels, surtout, on distingue une partie « récit » (méthodologie et résultats) utilisant un mode dénonciation objectif (absence de « je », tournures passives...), et une partie « commentaire » (introduction et discussion) à caractère plus personnel (énonciation subjective laissant place à l'auteur) (1). - D'autre part, et simultanément, le compte rendu doit répondre à des exigences d'exposition du savoir scienti­fique des programmes, sous une forme codifiée (2). On s'attend à y retrouver, sous la plume de l'élève, la rela­tion de faits scientifiques déjà connus, que l'expérimen­tation est l'occasion de « redécouvrir ». Il rappelle donc, d'une certaine façon, les textes que contiennent les manuels, lesquels décrivent des expériences et en indui­sent des lois, ou présentent ces expériences comme preu­ves de la valeur de ces lois. Il s'agit donc d'un genre composite qui doit rendre compte des étapes d'une démarche expérimentale, reconstruite logiquement d'une façon telle qu'elle per­mette l'exposition d'un savoir socialisé déjà disponible. Il est demandé aux élèves de combiner discours argu-mentatif et discours expositif dans un raisonnement logique rigoureux qui établit des rapports entre la pensée et la réalité (3). La rédaction d'un compte rendu répond ainsi à deux fonctions dans l'apprentissage : une fonction d'appro­priation et de consolidation des acquis (correspondant au deuxième objectif décrit plus haut) et une fonction d'appropriation d'un des aspects de la démarche expéri­mentale, la reconstruction a posteriori à des fins de com­munication du raisonnement effectué en relation avec l'expérimentation (premier objectif).

1. Liliane SPRENGER-CHAROLLES. « La compréhension du langage », in : Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation scientifiques, Actes des 6èmes Journées Internationales sur l'Education Scientifique, Chamonix, 1984. Paris : Univ. Paris VII, Didactique des disciplines. 1984.

2. Le schéma OHERIC (Observation, Hypothèse, Expérimentation, Résultats, Interpré­tation, Conclusion), hâtivement attribué à Claude Bernard, est encore souvent utilisé dans la tradition scolaire pour définir la forme d'exposition attendue.

3. Plusieurs articles caractérisent l'épreuve de biologie sur documents au baccalauréat comme la forme extrême de ce type de texte, où par une pseudo-argumentation rhétorique les théories sont inférées des données expérimentales, par exemple :

Gabriel GOHAU, « À propos des épreuves sur documents ». Bulletin de l'APBG, 3, 1972.

Babacar GUEYE, « L'épreuve écrite de biologie au baccalauréat fait-elle appel au rai­sonnement en sciences expérimentales ? ». ASTER, 8, 1989.

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LECTURE I ÉCRITURE

C'est toujours l'esprit logique - « le deuxième esprit scientifique » défini par Gabriel Gohau (1) - qui est pri­vilégié dans cet exercice, qu'il soit articulé ou non, selon les cas, avec des activités relevant du « premier esprit scientifique », heuristique.

deux dispositifs

centrés sur la mise en forme du raisonnement

LE DEVELOPPEMENT DU RAISONNEMENT EN RELATION AVEC DES ACTIVITÉS D'APPRENTISSAGE DE L'ÉCRITURE DE COMPTES RENDUS

Je me propose d'analyser d'abord deux dispositifs didac­tiques construits dans le but explicite de favoriser des apprentissages méthodologiques à l'occasion de la rédac­tion de comptes rendus (2).

Les enseignants ont conçu ces dispositifs en choisissant de mettre l'accent sur des activités de raisonnement et de mise en forme du raisonnement, le compte rendu construit se rapprochant plutôt de l'article scientifique que du modèle scolaire habituel. Les activités mises en place conduisaient les élèves à expliciter certains aspects de la superstructure et des règles formelles propres à un compte rendu scientifique et initiaient chez eux une réflexion de type métacognitif portant en particulier sur les raisonnements mis en œuvre à chaque étape.

Les tâches dans lesquelles les élèves sont successivement engagés déterminent la mise en œuvre d'un raisonne­ment que je tenterai de caractériser dans chaque cas.

J'analyserai ensuite ce que le travail sur le texte apporte à l'apprentissage de compétences de raisonnement.

1. GOHAU Gabriel. « Deux esprits scientifiques ». Cahiers pédagogiques, 141,1976. 2. Je reprends ici, en me centrant plus spécifiquement sur les composantes de l'apprentis­

sage qui ont trait au raisonnement, des séquences décrites dans : Jean-Pierre ASTOLFI, Brigitte PETERFALVI, Anne VÉRIN, Compétences méthodologiques en sciences expé­rimentales. Paris : INRP. 1991, chapitre 2 : « Apprendre à écrire des textes variés, fonction-nellement insérés dans la formation scientifique ».

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Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

réalisation des manipulations indiquées pour provoquer un phénomène simple

mais inexplicable

sans le recours au modèle particulaire de la matière

le phénomène n'est pas construit par les élèves

c'est un fait observé

Un cachet d'aspirine... et le bouchon saute (« expliquer » = « décrire » ou « interpréter »)

L'expérience suivante est proposée à une classe de Troisième, en début d'année. On met un quart de cachet d'aspirine effervescente dans un pilulier contenant de l'eau. On ferme celui-ci et l'on observe rapidement que le bouchon saute.

Les manipulations à effectuer sont des plus simples, le phénomène observé également ; et ceci est délibéré. Ce que souhaite l'enseignant, c'est focaliser le travail des élèves sur ce qui peut faire ici difficulté : l'interprétation du phénomène et sa rédaction par les élèves ; et il a pré­féré pour cela une réalisation expérimentale qui ne pose pas problème par ailleurs.

n est annoncé d'emblée aux élèves que l'interprétation du phénomène demandera de mettre en jeu le modèle particulaire de la matière. Une formulation en a été construite avec les élèves dans les cours précédents, en relation avec les paramètres caractéristiques d'un gaz : pression, volume, température, nombre de particules.

Je caractériserai deux tâches, qui ne sont pas nécessaire­ment successives pour les élèves mais qui me semblent distinctes : la tâche d'élaboration de l'explication et la tâche de mise en forme du raisonnement explicatif en respectant des normes.

Le phénomène considéré est, pour l'enseignant, un fait expérimental construit de façon deductive en rapport avec le modèle ; l'effet est prévu. Pour l'élève, il a le sta­tut d'une observation surprenante. En effet, l'effet est inattendu (le bouchon saute) et paraît sans commune mesure avec ce qui l'a provoqué (mettre un comprimé dans de l'eau ne provoque rien de particulier dans l'expérience de tous les jours). Il motive la recherche d'une explication rationnelle.

On est là devant une situation transposant au cadre sco­laire l'activité du scientifique qui cherche à éprouver les modèles physiques dont il dispose pour voir s'ils peuvent rendre compte de façon satisfaisante de nouvelles classes de phénomènes (ce que Kuhn appelle la science cou­rante). Les élèves auront bien cette référence en tête au

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LECTURE I ÉCRITURE

leur activité intellectuelle : élaborer une explication

par un raisonnement déductif à partir du modèle connu

moment de la rédaction du compte rendu puisqu'ils cher­cheront à préciser le but de l'expérience - nous~y revien­drons. Mais dans le contexte d'apprentissage scolaire, le phénomène est donné à l'élève déjà construit, l'élève n'a pas d'hypothèse à faire, ni de découpage de la réalité pour en retenir les éléments significatifs, ni de raisonne­ment argumentatif. On lui demande de produire une explication. L'explication n'étant pas disponible immé­diatement, c'est une démarche seconde, nécessitant l'uti­lisation deductive du modèle, qui donne la clé.

Le travail intellectuel de l'élève, pour l'élaboration de cette explication, comporte alors trois opérations succes­sives : - dans un premier temps, repérer une suite d'événe­ments observés au niveau macroscopique ; - puis sélectionner les éléments du modèle qui corres­pondent aux éléments de la réalité ; - enfin les utiliser pour nommer ces éléments et pour supposer les mécanismes non visibles qui expliquent le passage de l'état initial visible à l'état d'arrivée visible.

L'interprétation attendue est la suivante : 1. les bulles sont l'indice de la formation d'un gaz ; 2. ce gaz est produit par la réaction chimique de l'aspi­rine avec l'eau ; 3. le nombre de particules de gaz augmente, et donc éga­lement le nombre de chocs sur les parois du pilulier et le bouchon ; 4. en conséquence, la pression augmente à l'intérieur du pilulier, et le bouchon saute.

Au moment de la rédaction individuelle du compte rendu, les élèves réinvestissent le travail de définition d'une grille d'évaluation commencé au cours de la séquence précédente (1) : on constate la reprise de cer­taines rubriques ou même l'utilisation par certains de la grille comme d'un plan-type organisant le compte rendu.

1. La grille était présentée aux élèves comme un outil à construire et à perfectionner pro­gressivement. Elle a joué un rôle de support pour des activités de réflexion métacognitive sur la tâche de rédaction d'un compte rendu scientifique. Ce travail a été relaté dans : Anne GOUBE. « Ecrire en sciences au Collège : une aide méthodologique », in : Les aides didac­tiques pour la culture et la formation scientifiques et techniques, Actes des llèmes Journées Internationales sur l'Education Scientifique, Chamonix, 1989. Paris : Univ. Paris VII, Didactique des disciplines. 1989.

180 1

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Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

l'utilisation d'une grille d'évaluation au moment de la rédaction

facilite la mise en forme du raisonnement

et sa reconstruction sous la forme argumentative attendue

Certaines des rubriques de la grille précisaient dès exi­gences formelles : « mettre un titre », «faire des paragraphes séparés », ou encore : « donner la liste du matériel utilisé », «faire un ou des schémas (...) ». D'autres nous intéressent plus particulièrement ici car elles font référence à différents aspects du raisonnement : « expliquer le but de l'expérience : ce qu'on cherche », « expliquer ce qu'on fait, les consignes, les étapes », -« mettre les remarques sur ce qui se passe (observations) », «faire une conclusion ».

Ainsi la première de ces rubriques (« expliquer le but de l'expérience : ce qu'on cherche ») place l'expérience dans un raisonnement argumentatif. On a vu que les consignes permettant de réaliser l'expérience étaient données aux élèves, qu'ils n'ont pas eu à faire de conjec­tures à ce moment-là : il s'agit donc d'une reconstruction par les élèves du point de vue de l'enseignant ou du point de vue d'un chercheur fictif qui aurait imaginé cette expérience.

L'élève qui écrit : «But : Si on laisse T (température) fixe ainsi que V (volume) et qu'on augmente N (nombre de particules) ; on cherche à savoir ce qui se passe pour P (pression du gaz), on cherche à savoir si notre modèle permet d'expli­quer ce qui se passe.» propose un raisonnement argumentatif, où les caractéris­tiques de l'expérience sont déduites du modèle de façon à contrôler deux paramètres, à en faire varier un troi­sième. Même s'il est laissé en suspens, si l'effet prédic-tible à partir du modèle n'est pas formulé, en bref, même si ce raisonnement est incomplet, je retiens ici l'idée que l'élève tente de reconstituer le point de vue de celui qui a construit l'expérience. Le dernier membre de phrase change de registre et revient à l'explication du point de vue de l'élève.

Les rubriques suivantes définissent une exigence de défi­nition d'un protocole d'expérience précis : description organisée de la suite des actions réalisées, consignation des résultats observés ; puis une exigence de rédaction d'une conclusion.

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LECTURE I ECRITURE

mais la maîtrise de la forme n'est pas encore acquise

l'utilisation de la même grille par la classe

facilite une analyse distanciée des textes

qui, ici, conduit à une réflexion métacognitive

sur les opérations en jeu dans le raisonnement à propos d'expériences

Pour un certain nombre de textes d'élèves, ces rubriques sont utilisées comme un plan-type. Le compte rendu adopte alors le schéma suivant, proche de la superstruc­ture des articles scientifiques : - but de l'expérience (le problème), - protocole (la méthodologie, les résultats), - conclusion. Cependant si l'on examine précisément les textes, on constate que ces différents aspects sont mélangés à l'intérieur même des paragraphes. Le travail proposé aux élèves sur ces textes s'organise de la façon suivante. Le professeur en sélectionne trois, les photocopie et les distribue à tous, en demandant à la classe de les lire et de les analyser de façon comparative. La grille d'évaluation des comptes rendus scientifiques est utilisée dans cette tâche d'analyse comparative : il s'agit de la mettre à l'épreuve et de la modifier chaque fois qu'elle n'apparaît pas suffisamment précise, uni­voque ou complète. Mais simultanément, à l'occasion de cette activité de définition de critères, c'est une explicita-tion des savoirs et des opérations mentales en jeu dans la rédaction des comptes rendus analysés que l'enseignant veut favoriser. Ce dispositif est repris plusieurs fois au cours de l'année. Mais chaque fois, selon les caractéristiques des produc­tions des élèves, le professeur privilégie une centration particulière qui lui paraît propre à faire réaliser aux élèves un progrès significatif. Ici le professeur, ayant noté que le mot expliquer est uti­lisé plusieurs fois par les élèves, tantôt avec le sens de décrire, tantôt avec celui & interpréter, choisit de centrer la réflexion sur le raisonnement à propos d'une expé­rience scientifique, en partant d'une réflexion sur les opérations mentales désignées par ce terme. Après un long débat sur le sens de ces différents mots, après recherche dans le dictionnaire, le terme « expli­quer » est éliminé. Il est remplacé soit par « donner le but », quand il s'agit d'une explication qui cherche à finaliser l'expérience (la question théorique pour laquelle l'expérience a été conçue), soit par « décrire » quand l'explication précise la façon dont l'expérience est conduite (le protocole d'expérience), soit par « interpré­ter » quand l'explication rend compte, avec des outils

182

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Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

conceptuels théoriques, du phénomène observé. Ces dis­tinctions seront reprises et affinées par la suite. Une dis­cussion s'engage sur ce que peut être le but d'une expé­rience : répondre à une question, comprendre, explorer.

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Un des textes d'élèves analysés par la classe

Page 181: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

Ainsi dans ce débat, chacun, par sa participation ou son écoute, cherche à s'approprier les objectifsT à com­prendre, preuves à l'appui, le sens des rubriques de la grille, conçues comme différents moments du raisonne­ment, et à préciser les différentes opérations intellec­tuelles auxquelles elles renvoient. Ce travail d'explica­tion passionne les élèves et le professeur note une amélioration de la qualité des comptes rendus beaucoup plus rapide que les années précédentes. [...]

LE DEVELOPPEMENT DU RAISONNEMENT EN RELATION AVEC LA PRODUCTION D'ÉCRITS ACCOMPAGNANT L'EXPÉRIENCE OU L'OBSERVATION

deux dispositifs où les écrits sont des outils pour une démarche heuristique

Les séquences précédentes portaient sur la phase de rédaction d'un compte rendu. Or, il est possible de déve­lopper aussi des compétences autour du raisonnement expérimental, en s'aidant d'écrits qui accompagnent la mise au point, la réalisation ou l'interprétation d'une expérience ou d'une observation, sans prendre nécessai­rement une « bonne forme », si ce n'est dans la phase terminale du travail.

l'idée d'expérience, rudimentaire au départ

Le lapin repère sa nourriture (mise au point d'un plan expérimental)

Deux caractéristiques font l'originalité de cette séquence : les élèves sont engagés dans l'invention d'un dispositif expérimental pour répondre à un problème, et le travail réalisé autour de la production d'écrits a pour fonction d'accompagner la démarche heuristique dans laquelle les élèves précisent le problème, définissent des variables, prévoient des dispositifs permettant d'agir sur ces variables (1). Elle s'adresse à des élèves de Sixième qui n'ont pratiquement jamais bénéficié jusque-là d'activités de type scientifique. C'est dire que l'on part d'une méconnaissance presque complète de ce qu'est une expé­rience.

1. Martine SZTERENBARG. « Sur les traces du lapin blanc ». Cahiers Pédagogiques, 278,1989, et : « Elaborer l'idée d'expérience » Aster, 12, 1991.

Page 182: Lecture / écriture

Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

est enrichie par un film

puis par les activités d'invention d'un dispositif expérimental

Les élèves ont assisté, dans une précédente séquence, à la projection d'un film qui relatait des expérienceTsur le mode de repérage sensoriel chez les Chauves-souris.

Ce film suit une logique expositive et argumentative où des hypothèses sont présentées, des expériences sont construites pour infirmer ou confirmer les hypothèses, les résultats des expériences permettent de valider des connaissances. Le modèle de l'activité scientifique du naturaliste proposé ainsi, malgré ses limites, enrichit le modèle dont disposent les élèves qui, on le voit à la lec­ture de la majorité de leurs premières productions, est celui de la monographie - sous la forme d'une collection de renseignements descriptifs et non problématisés fai­sant le tour des différents aspects de la vie d'un animal.

Le raisonnement s'inscrit sur le plan conceptuel dans une redéfinition du concept de milieu. La question ne peut se poser que si l'on admet de « penser le milieu à partir de l'animal comme son environnement, où les possibilités ne sont oiîertes que si l'animal peut les utiliser ("milieu agi") » et non comme un milieu identique pour tous « qui impose ses conditions aux vivants (milieu "subi") » (1). Le cas de la Chauve-souris est intéressant parce que ses possibilités sensorielles sont tellement différentes de celles de l'homme que la décentration en est facilitée.

Le principe en est repris ici, avec la mise en place d'un plan d'expériences « pour savoir avec quel(s) organe(s) des sens le Lapin repère sa nourriture ».

Cependant la théorisation qui préside au choix des variables est faible. La proximité de l'animal choisi avec l'homme permet aux élèves de se contenter d'identifier implicitement le milieu du Lapin et ses possibilités sen­sorielles avec ceux de l'homme pour choisir les variables « vue » et « odorat ». La variable « ouïe » retenue égale­ment pourrait ouvrir une remise en question concep­tuelle, mais elle est peu vraisemblable étant donné le régime alimentaire du Lapin.

C'est sur le raisonnement hypothético-déductif que l'accent est mis, et particulièrement sur l'aspect prédictif

1. Brigitte PETERFALVI, Guy RUMELHARD, Anne VÉRIN. « Relations alimentaire ». Aster,3,1987, page 141.

Page 183: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

le raisonnement hypothético-déductif

est soutenu par un outil graphique prévisionnel

quatre productions sont analysées collectivement

de la réalité qui est le propre des hypothèses : la première tâche des élèves consistera à formuler des questions en des termes tels qu'ils pourront orienter la construction d'un dispositif expérimental et qu'ils inclueront une pré­vision des résultats attendus.

L'idée est la suivante : c'est qu'avant de lancer les élèves dans l'expérimentation proprement dite, il est utile qu'ils planifient aussi précisément que possible le déroulement de leurs actions expérimentales en rapport avec ce qu'ils se proposent de montrer ; même si en cours de réalisa­tion, ils découvrent d'autres aspects des choses qui amè­neront à infléchir ce plan.

Pour aider à la genèse de ce raisonnement anticipatoire, avec émission d'hypothèses, le professeur propose aux élèves de préparer (individuellement ou en groupes), un « outil graphique » ou « document » qui permettra de prévoir la marche à suivre, et de noter les résultats.

L'emploi d'un tel « outil graphique » est un exemple, d'un type particulier, d'utilisation fonctionnelle d'un écrit. Celui-ci se distingue par ses propriétés synop­tiques, puisqu'il donne à voir d'un seul coup d'oeil le processus expérimental projeté. La signification des dif­férents moments de la démarche peut plus facilement être mise en relation avec l'ensemble, permettant ainsi une visualisation globale porteuse de signification. D'autant que ce document anticipatoire devra guider par la suite la démarche elle-même.

Mais, pour anticiper, il est nécessaire d'avoir une cer­taine expérience de la chose, et c'est justement ce qui fait défaut aux élèves dont il est question. C'est pourquoi, les premiers « outils » produits sont très éloignés de ce qu'on pourrait appeler un plan expérimental, les élèves produisant plutôt en majorité des monographies sur le lapin ou sur son alimentation !

C'est alors que survient un moment-clé de cette stratégie didactique : les documents imparfaits (disons même mauvais et hors sujet, qui manifestent une incompréhen­sion de l'idée de plan expérimental), loin d'être écartés, sont pris comme points d'ancrage pour l'élaboration ultérieure. Le professeur reproduit sur transparents quatre des documents d'élèves, qu'il a sélectionnés comme représentatifs des productions de la classe, et il

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Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

amorce d'une réflexion métacognitive

en particulier sur la notion de variable

les propose à l'examen critique collectif. Dès cette pre­mière projection, les écarts sont repérés entre ce qui a été produit et la fonction que le document était censé rem­plir. En même temps est esquissée une première prise de conscience des opérations intellectuelles en jeu dans la mise au point d'un plan d'expérience : choisir des variables pertinentes par rapport au problème, définir l'action que l'on exercera sur elles, prévoir l'effet en fonction d'un cadre interprétatif. Rabbah : Malgré les dessins, elle n'a pas bien expliqué

ce qui était demandé. Elle n'apas fait d'expérience. Vous avez demandé comment il repérait sa nourriture, le document donne d'autres ren­seignements. Dans l'expérience, on ne sait pas s'il voit, s'il sent ou s'il entend ! Ce n'est pas le travail demandé. On ne sait pas si elle veut parler de l'ouïe, de la vue ... des expériences que vous avez demandées.

Fabrice Alain:

Mourat

Linda

reécritures Le professeur propose alors une réécriture du document anticipatoire, et cette deuxième version sera également soumise à la discussion collective.

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Un exemple de la première version

du document anticipatoire

Page 185: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

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Un exemple de la deuxième version

du document anticipatoire

et nouvelles analyses critiques

pour aider à une meilleure maîtrise du raisonnement

On ira ainsi jusqu'à trois versions successives, intégrant progressivement les critiques de plus en plus affinées (les dernières critiques portent sur la correction de la chaîne logique dans l'expérimentation et sur le statut de l'hypo­thèse, des résultats et de la conclusion).

Il est à noter que sans la médiation de l'écrit, ces échanges entre élèves n'auraient pas eu un caractère si interactif et intense. L'écrit évolutif a donc un rôle clé dans l'élaboration, puisqu'il a été à la fois le support de la réflexion prévoyant l'action, et le support des échanges relatifs à cette prévision. C'est à l'occasion des analyses collectives de textes que l'enseignant a fait réfléchir les élèves au statut des hypothèses et des expé­riences dans la construction des connaissances.

À ce moment du processus, l'enseignant a substitué aux instruments que les élèves avaient élaborés (et qu'il faut reconnaître encore bien imparfaits pour certains d'entre eux), un tableau qu'il a lui-même construit, et dont il a jugé l'emploi plus efficace pour organiser la réalité du travail expérimental.

n est intéressant de clarifier ce que les élèves ont appris dans ces conditions. On peut, en particulier, faire l'hypo­thèse suivante : c'est que le respect de ces phases assez longues d'élaboration, de discussion, et de réécriture,

Page 186: Lecture / écriture

Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

telles qu'elles ont été décrites, a modifié le statut du tableau introduit par l'enseignant, pour guider la conduite de l'expérimentation. Celui-ci aurait été perçu bien différemment par les élèves, s'il avait été proposé d'emblée comme une fiche-guide, comme un protocole canonique à respecter. Survenant après les phases d'éla­boration individuelles et collectives, il a pu être perçu par les élèves de façon comparative avec l'état des produc­tions auxquelles ils étaient parvenus, et une valeur d'outil, permettant d'examiner la cohérence entre hypo­thèses, conditions expérimentales et conclusions, a pu lui être attribuée.

Cette situation a été reprise avec une centration diffé­rente de l'enseignant et dans des conditions différentes qui ont permis l'utilisation effective des documents des élèves au moment de l'expérimentation. La mise à l'épreuve de ces documents a fait apparaître des insuffi­sances fonctionnelles. Les élèves ont été conduits à réaménager les conditions expérimentales, par exemple à introduire une dimension statistique. La prise de conscience par la mise en pratique a constitué une source de nouveaux progrès dans les compétences en cours de construction.

LE PROJET DE FORMATION DE COMPÉTENCES DE RAISONNEMENT

Nous sommes en présence de séquences limitées dans le temps ; nous n'avons pas d'éléments d'information sur l'organisation à long terme d'un apprentissage, articulant des séquences de types différents. Ce que nous caractéri­sons ici, ce sont bien, précisons-le, les options épistémo-logiques mises en jeu dans ces séquences particulières, plutôt que les conceptions épistémologiques des ensei­gnants qui les ont conduites.

Les deux premiers dispositifs conduisent les élèves à faire fonctionner une théorie. Les deux derniers introdui­sent une démarche de pensée exploratoire. On peut remarquer que ce sont des séquences d'enseignement de la physique qui mettent l'accent sur le raisonnement

la mise en forme finale est proposée par l'enseignant

ou résulte d'une mise à l'épreuve pratique des outils des élèves

1189

Page 187: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

déductif à partir de modèles formalisés et des séquences d'enseignement de la biologie qui mettent l'accent sur la construction d'hypothèses faisant une place à l'induction et ouvrant la possibilité d'erreurs et de doutes, avec un faible degré de théorisation. On peut se demander, si cette tendance était confirmée, dans quelle mesure elle serait liée aux caractéristiques des disciplines et dans quelle mesure elle serait significative d'une tradition sco­laire à ce niveau d'enseignement, le collège.

Mise en forme textuelle et méthode expérimentale

n apparaît de façon centrale dans l'exemple sur le cachet d'aspirine, mais également dans le suivant, que les élèves sont conduits à exprimer leur activité manipulatoire et deductive dans une « bonne forme », que le professeur s'efforce de ne pas imposer de façon normée, mais dont il se propose au contraire de leur faire saisir la significa­tion et l'efficacité.

Ces séquences centrées sur la rédaction de comptes ren­dus développent la formalisation d'étapes dans le raison­nement.

Dans la première séquence, l'expérience est insérée dans une argumentation reconstruite a posteriori. Des étapes sont définies qui jalonnent le raisonnement, non pas nécessairement comme un plan linéaire, mais comme un ensemble de raisonnements nécessaires : exposé du but de l'expérience, description du protocole, explication modélisée du phénomène, réponse à la question scien­tifique. La grille construite avec les élèves résume ce que doit comporter un compte rendu d'expérience, et joue le rôle de réfèrent pour guider la rédaction.

Dans la deuxième séquence, l'accent est mis sur l'articu­lation précise entre l'explication théorique et les événe­ments successifs du phénomène.

L'importance accordée à cette bonne forme tient proba­blement à plusieurs raisons convergentes, dont l'une à caractère rhétorique - centrée sur la communicabilité des messages écrits -, et une autre de type épistémologique -relative à l'acquisition d'une méthode expérimentale.

la mise en forme du texte de compte rendu

est dictée par des règles de rigueur et de cohérence de la chaîne deductive

1 9 0 |

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Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

il n'y a pas de méthode ou de norme équivalente pour le raisonnement heuristique

sinon la vigilance critique et le doute

Ce sont alors des règles de rigueur logique et de "cohé­rence qui garantissent la qualité du raisonnement"déduc-tif, et qui définissent des étapes identifiées pour ce rai­sonnement.

D'où l'insistance souvent mise pour que soient méticu-leusement distingués résultats, interprétation et conclu­sion, comme une phase de réorganisation suivant une logique linéaire du raisonnement.

D'autres exemples, plus centrés sur la fonctionnalité d'écrits intermédiaires que sur les normes d'un produit achevé, ne travaillent pas cette « bonne forme » de façon prioritaire, mais celle-ci conclut néanmoins le travail. Cependant l'accent est mis essentiellement sur la phase heuristique du raisonnement (1), qui n'apparaît pas dans les séquences précédentes. Il est plus difficile de définir une méthode et des normes pour un tel raisonnement. L'introduction du doute méthodique peut être considéré cependant comme une façon de favoriser la fécondité de ces raisonnements et c'est ce qui est développé à travers les demandes d'écriture d'explications multiples alterna­tives. La mise en forme finale prend alors un autre sens pour les élèves.

une exigence de précision du protocole expérimental

Rigueur dans la description de l'expérience

Le souci de mise en forme rigoureuse porte par ailleurs sur la précision du protocole expérimental.

René Thom (1), qui questionne l'illusion de garantir l'intérêt de la recherche scientifique par le biais de la définition de procédures canoniques, situe l'apport de la « méthode expérimentale », non du côté de l'heuristique (« je ne pense pas qu'il y ait une heuristique - un art de

1. Éliane ORLANDI, in : « Conceptions des enseignants sur la démarche expérimentale », Aster, 13, 1991, caractérise deux épistémologies différentes à partir de la façon dont les enseignants qu'elle a interviewés conçoivent les démarches pédagogiques pour une même séquence expérimentale sur la digestion d'un aliment par la salive : la science comme un modèle de rigueur, de méthode, ou la science comme une démarche de tâtonnement, d'errance.

1. René THOM, « La méthode expérimentale : un mythe des épistémologues (et des savants ?) », in : Jean HAMBURGER (dir.). La philosophie des sciences aujourd" hui. Paris : Gauthier-Villars, 1986, page 18, et, dans la discussion, page 57.

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LECTURE I ECRITURE

que des dispositifs de mise à l'épreuve

et d'analyse comparative des textes

vont apprendre à maîtriser

trouver - expérimentale qui soit en rien plus 'aisée ou plus facile que l'heuristique théorique ») maisdu côté d'un ensemble de règles déontologiques : « 1. Usage correct des instruments, évaluation objective des causes d'erreur et des bornes globales de l'erreur, honnêteté de la pratique, et fidélité des résultats. 2. Scrupuleuse précision et exactitude des protocoles de préparation et d'expérimentation (afin de permettre la reproduction de l'expérience). »

Ces aspects sont mis en avant dans les trois premiers exemples. C'est la séquence avec la seringue qui va le plus loin dans l'exploitation pédagogique de la mise à l'épreuve fonctionnelle du texte, avec retour des utilisa­teurs vers les auteurs. Mais dans les trois cas les textes sont écrits par les élèves pour être utilisés soit par d'autres élèves, soit par eux-mêmes.

Différents procédés de travail des textes, en particulier la comparaison de plusieurs textes et la réécriture, permet­tent de mettre en évidence les imprécisions, les ambiguï­tés, les implicites. Ce qui est recherché, c'est une prise de conscience des conditions d'écriture du protocole qui rendent possible la reproductibilité de l'expérience décrite.

La centration diffère néanmoins : dans les deux premiers cas, où c'est une expérience déjà réalisée qui est décrite, on cherche à améliorer la communicabilité. Dans la séquence sur le lapin, le protocole anticipe l'expérience à réaliser et les élèves réfléchissent aux conditions de défi­nition de ce protocole permettant la faisabilité de l'expé­rience et le contrôle des variables choisies.

Décrire et expliquer, les rapports entre théorie et expérience

la distinction entre textes descriptifs et explicatifs

La distinction entre les textes descriptifs et les textes explicatifs occupe une place importante dans les disposi­tifs que nous venons d'analyser.

Une telle centration est caractéristique de l'enseignement des sciences expérimentales, où le statut du réel apparaît singulier. Alors que le travail sur la langue, ou de type mathématique, s'effectue principalement sur le signe

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Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

renvoie à la relation entre théorie et expérience

les choix d'enseignement déterminent des épistémoiogies scolaires différentes

ici, la théorie est au point de départ,

(logique interne des propositions et de la chaîne deduc­tive qu'on peut en tirer, rapports entre signifiant ersigni-fié), le raisonnement expérimental porte aussi - et peut-être d'abord - sur les rapports entre réfèrent et signe.

Il faut bien dire que la complexité de la relation entre théorie et expérience (1) à laquelle elle renvoie n'est pas toujours perçue, et que domine encore aujourd'hui, dans l'enseignement scientifique, une « philosophie spontanée » empreinte de positivisme : on observerait avec préci­sion les faits expérimentaux, on les interpréterait avec rigueur grâce à la mise en jeu d'un raisonnement expéri­mental, on en conclurait telle loi, notion ou théorie.

Comme Samuel Johsua le souligne à propos de l'ensei­gnement de la physique, la situation didactique introduit une contrainte particulière : elle « exige un « début » et une «fin», qui n'existent nullement en physique savante, et selon le type de coupure que l'on choisit, on crée une épistémologie scolaire très particulière. Si, par exemple, on décide de « partir de l'expérience », on devra présen­ter certaines des caractéristiques de cette dernière comme des données indépendantes (au moins fictive­ment) de la théorie que l'on développera à son propos. Des contraintes, de nature didactique, peuvent ainsi venir renforcer des options de nature clairement idéolo­giques » (2).

Les séquences présentées ici opèrent un autre choix et placent la théorie au point de départ de l'activité.

Dans les deux premières, la théorie a été construite préalablement. L'expérience est proposée comme un nouveau champ d'application pour faire fonctionner cette théorie. C'est un raisonnement déductif qui permet de construire l'explication du phénomène provoqué (qui n'a

1. Il faut citer ici les analyses rigoureuses de Gabriel GOHAU, et particulièrement : - « Faut-il raisonner logiquement ? » (actualité de la redécouverte), in : « Enseigner la

biologie », Cahiers pédagogiques, 214.1983. - « Pour un poppérisme relatif », in : Biologie-Géologie (Bulletin de l'APBG), 1.1984. - « Plaidoyer pour un inductivisme modéré », in : Biologie-Géologie (Bulletin de

l'APBG), 4.1985. 2. Samuel JOHSUA. « Le rapport à l'expérimental dans la physique de l'enseignement

du secondaire » in « Expérimenter, modéliser », Aster, 8, 1989, page 34.

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LECTURE I ECRITURE

le raisonnement hypothético-déductif privilégié,

l'option est constructiviste

avec des caractéristiques positivistes

pas par ailleurs le statut d'expérience dans le deuxième cas, j 'y reviendrai). ~~

Dans les dernières séquences, la construction de l'hypo­thèse, avec son caractère anticipatoire, est centrale. Le degré de théorisation est faible, on l'a vu, mais l'accent est cependant nettement mis sur l'aspect de construction intellectuelle d'explications plausibles, et sur le rôle argumentatif conféré à l'exploration du réel.

De ce point de vue, elles se démarquent d'une option strictement inductiviste.

On relève cependant des caractéristiques que l'on peut qualifier de positivistes. Ainsi dans les deux premiers cas, la théorie fonctionne, elle permet de rendre compte de façon satisfaisante de phénomènes nouveaux. Mais son champ de validité n'est pas envisagé, elle n'a pas le statut de vérité provisoire. L'expérience en définitive a surtout pour fonction de permettre aux élèves de s'appro­prier le modèle. Dans les derniers exemples, il n'y a pas à proprement parler de conflit cognitif, la construction du savoir se présente comme un processus linéaire, sans ruptures et sans remodelages. L'expérience ou l'observa­tion jouent un rôle de confirmation qui n'est pas ques­tionné.

Modification du cadre épîstémique des élèves

L'insistance mise dans ces dispositifs sur la distinction entre ce qui relève de la description de faits expérimen­taux ou de faits d'observation et ce qui relève de la théo­rie a pour objectif de répondre à l'obstacle d'adhésion à ce que l'on voit. Pour les élèves, spontanément, l'expli­cation qu'ils donnent d'un phénomène est inscrite dans le phénomène lui-même, ils ont tendance à mêler synçréti-quement les deux. Comme le dit Jacques Désautels (1) : « Les explications fournies par les jeunes enfants sont tributaires du cadre épistémique d'origine sensualiste

1. Jacques DÉSAUTELS. « Développement conceptuel et obstacle épistémologique », in : BEDNARZ Nadine, GARNIER Catherine (dir.). Construction des savoirs. Obstacles et conflits. Ottawa : Cirade / Agence d'Arc. 1989.

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Raisonnement et écriture à propos d'activités expérimentales au collège

dépasser la confusion synchrétique entre l'explication et l'observation

le raisonnement scientifique articule les deux sans les confondre

la construction de connaissances métacognitives participe à cet apprentissage

qui oriente leurs productions intellectuelles. Cetui-ci, sans doute largement inconscient, comporte des pré­misses de la nature suivante : - La réalité est extérieure et indépendante de la connaissance que Von peut élaborer à son sujet, ce qui consacre en définitive la dichotomie sujet-objet. - Les sens permettent aux êtres humains d'avoir un accès direct et immédiat à la réalité. - Uexplication d'un phénomène consiste ni plus ni moins à en produire une description fidèle. - Les situations particulières nécessitent des explica? tions particulières. - Les phénomènes dits naturels sont souvent intention­nels, - etc. »

Par delà les différences soulignées précédemment, les sé­quences analysées ont pour point commun d'initier les élèves à un autre « jeu de connaissance », pour reprendre l'expression de Désautels, qui articule, sans les confondre, construction théorique et recours à la réalité. Ainsi dans l'expérience avec la seringue, une des tâches des élèves est de faire le tri entre la description précise du déroulement des événements successifs et l'explica­tion qu'ils en donnent. Ce tri permet de mettre en ques­tion l'explication donnée et d'élaborer une nouvelle explication. La séquence sur la Vipère (1) conduit les élèves à un traitement des informations qui implique un choix parmi plusieurs explications possibles.

Ces séquences engagent les élèves dans une analyse reflexive de leurs démarches. Les connaissances métaco­gnitives que l'on veut ainsi construire font bouger le cadre épistémique des élèves, tout en restant tributaire d'une épistémologie construed'viste mais qui reste teintée de positivisme.

Les activités de production de textes jouent un rôle déci­sif de facilitation de la distanciation nécessaire pour cette analyse reflexive.

1. Non reprise dans ces extraits de l'article.

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LECTURE I ECRITURE

Le petit nombre de dispositifs analysés, leur caractère atypique par la centration sur l'apprentissage de~ compé­tences méthodologiques, la variété des contenus et des niveaux de classe, tous ces éléments rendent une généra­lisation impossible. L'apport d'une analyse de ce type réside dans le mode de questionnement qu'elle permet de préciser. Il est ici réalisé a posteriori, mais pourrait être repris au moment de la conception de dispositifs. Celle-ci gagnerait à expliciter l'épistémologie de référence qui organise les activités dans lesquelles les élèves sont engagés, et les raisonnements qu'ils apprennent à conduire.

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L'UNIVERS SCOLAIRE DE L'ÉCRITURE AU COLLÈGE

Christine BARRÉ-De MINIAC Françoise CROS Jacqueline RUIZ

Extrait de : Les collégiens et l'écriture.

Des attentes familiales aux exigences scolaires à paraître en 1993, INRP/ESF Éditeur

Présentation

Quels sont les enjeux de l'écriture scolaire ? À quoi, à qui sert ce qui s'écrit à l'école ? Ecrire en musique, est-ce la même chose qu'écrire en mathématiques ou en français ? Comment comprendre les écrits scolaires s'ils ne sont pas référés aux écrits sociaux et au rapport que les élèves et leur famille entretiennent avec l'écriture ?

Le rapport de l'enfant et du jeune à l'écriture, tel qu'il se constitue à l'école, mais aussi dans son milieu familial, grâce à ses pratiques effectives ou à celles observées, est l'objet central de ce livre. La recherche qui y est présentée s'inscrit dans une perspective ethnologique et repose sur des observations de pratiques scolaires et des témoignages recueillis auprès des acteurs concernés : professeurs, parents et élèves.

Ces données proviennent du collège de Sarres-Sur-Seine et du collège Sénèque, deux noms fictifs pour deux terrains d'étude bien réels, situés tous deux en région parisienne. Sarres-Sur-Seine est situé dans une banlieue cos­mopolite, riche de ses habitudes et de ses croyances. Le collège Sénèque, bien assis dans un quartier du centre de Paris, recrute principalement des enfants d'intellectuels, d'enseignants aux hauts niveaux de la hiérarchie, et de professions libérales. Le contraste est utilisé comme une loupe, un miroir

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LECTURE I ECRITURE

grossissant, permettant déclairer la question du rôle de ïécole'et de la famille dans la construction par V enfant de son rapport à cette activité fon­damentale pour la réussite scolaire qüest l'écriture.

L'extrait présenté ici est tiré du Chapitre 5, intitulé « L'univers scolaire de l'écriture ». Les observations de classe analysées dans ce chapitre ont permis aux chercheurs de « planter le décor ».

En nous immergeant dans les classes, nous sommes bien au cœur de ce qui nous intéresse et nous pose question, à savoir les acteurs écrivant, entre­tenant avec l'écriture des liens complexes qui déterminent leur appropriation de l'écrit et l'usage qu'ils en font.

Cela observé, étudié, analysé nous permettra peut-être d'approcher la signification, les représentations qu'ils se donnent de leur activité d'écriture.

En effet ce qui nous intéresse, c'est le sens que les individus attribuent à leurs pratiques, aux enjeux qu'elles représentent pour eux, à ce fameux rap­port à l'écriture. Car l'école est bien un lieu où l'individu acquiert l'outil écriture qui fera de lui un citoyen, un individu socialement intégré ; l'écri­ture étant pour nous une pratique, une manière de se comporter, obéissant à des arbitraires et des conventions normées par la société dans laquelle nous évoluons. C'est dans cette optique que nous avons décidé de nous immerger dans la vie d'une classe afin d'y mener une étude de type ethnologique. Cette façon de travailler impliquait la mise en place d'un outil utilisable par les trois chercheurs que nous étions et apte à prendre en compte non seule­ment les deux ensembles à observer : l'ensemble professeurs et l'ensemble élèves mais encore toutes les observations précises, celles qui relèvent de « r infiniment petit et du quotidien » (1). D'où cette grille sur les outils et les supports ; sur l'appropriation de l'espace par les uns et les autres, sur le temps pris, et attribué ou nécessaire pour telle ou telle tâche ; sur les pos­tures des individus en présence ; sur les types d'écrits effectués par les uns et les autres.

Précisons bien que cette grille a constitué une base commune et mini­male aux trois observateurs. En aucun cas elle n'a été restrictive. Au contraire un maximum de détails, directement ou indirectement liés à notre objet ont été consignés : des règles servant à souligner aux règles servant de baguette de chef d'orchestre, du cahier de correspondance remis au profes­seur à celui dissimulé sous soi pour tenter d'échapper au « mot aux parents », de l'écrit au tableau aux écrits furtifs, des postures attendues aux postures insolites, aux vêtements portés par les élèves, etc.

1. LAPLANTTNE, F. (1987). L'anthropologie, p. 151.

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L'univers scolaire de l'écriture au collège

Quatre murs délimitent un espace bien clos, plus ou moins grand, plus ou moins bien éclairé, c'est une salle. Un tableau noir ou vert bien fixé sûr l'un des murs. Devant, une estrade, un bureau. C'est un espace institutionnel, une salle de classe. L'adulte se tient du côté bureau, toujours à une portée de craie du tableau. L'espace destiné aux élèves s'élargit en contrebas ména­geant des espaces de circulation. Le décor est planté. Là ou ailleurs les élèves et les professeurs sont dans un face à face inévitable, l'adulte domi­nant inexorablement les chères têtes enfantines.

ACTE I : LA MISE EN PLACE

Les élèves, plus ou moins en mouvement prennent place. À un signal donné en 6e, en toute autonomie en 3e, les tables se couvrent de ce que les enseignants nomment le matériel et que nous chercheurs, nous désignerons par les termes génériques d'outils d'écriture et de supports. Sur les tables donc s'étalent crayons, gommes, stylos à plume, stylos bille, règles, cahiers, classeurs de grand ou petit format. Ces instruments qui, tenus en main par les enfants, laisseront des traces bleues ou rouges, souligneront, encadreront, délimiteront des figures sur des surfaces quadrillées ou non à petits ou à grands carreaux aptes à tout conserver, sont pour nous les outils et les sup­ports de l'écriture.

Outils et supports, selon l'établissement, selon les niveaux envisagés sont soumis soit au choix des utilisateurs, soit aux exigences des professeurs. En 6e, et plus spécialement à Sarres-Sur-Seine, l'adulte impose le stylo à plume qui permet une calligraphie sans bavures, bannit l'emploi du stylo bille rouge, domaine réservé du professeur en correction, interdit l'usage du crayon de papier qui serait selon certains la marque d'un écrit non achevé, en train de se construire. Par contre les professeurs de sciences, de physique le réclament, c'est l'outil par excellence des tracés, des croquis, des constructions géométriques. En 3e l'élève est laissé relativement libre de jouer avec les couleurs, de mettre en valeur ses notes par des encadrements, des séparations susceptibles de l'aider dans l'appropriation des savoirs. Chez les plus petits, c'est l'enseignant qui impose sa vision des choses. « Soulignez de deux traits bleus » ; « tirez vos traits à la règle plate » ; « encadrez ce paragraphe en rouge » ; « non, pas de texte écrit en vert, c'est une couleur fatigante ». La même exigence, les mêmes impératifs se retrou­vent frappant l'emploi des supports.

Dans le collège de Sarres-Sur-Seine, chaque professeur définit le type de support correspondant à sa discipline et souvent dans les moindres détails. L'un veut un cahier grand format, petits carreaux, avec spirales, celui-ci n'admet que des feuilles de copie doubles pour les contrôles. Presque tous interviennent dans la présentation des écrits, la mise en page, l'utilisation de

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LECTURE I ECRITURE

l'espace. Tout est pensé d'avance par le professeur, codifié une fois pour toutes. Outils, supports sont des éléments que l'élève faisant son "entrée au collège devra apprendre non à manier mais à utiliser en tenant compte du professeur, de la discipline traitée, du type d'écrit auquel il est soumis. Cela demande apprentissage, dextérité et souplesse d'esprit

Dans ces cas, l'élève doit, toujours, très rapidement écrire son résumé sans oublier de souligner le titre en rouge, sans omettre de commencer à trois carreaux de la marge, de reporter tous les mots nouveaux dans son car­net répertoire, d'effectuer ses exercices à l'encre bleue et de corriger à l'encre noire.

En résumé, peu d'initiative personnelle, pas d'autonomie dans l'organisation matérielle. Et l'écrit dans tout cela, ne semble-t-il pas être relégué à l'arrière plan ?

Au collège Sénèque, outils, supports ne font guère problème. En ce domaine les élèves ont toute liberté d'organisation. Très rapidement, même dès la 6e, le jeune a une vision globale de l'utilisation possible des outils comme de celle des supports. Un agenda à la place d'un cahier de texte, école et vie sociale se confondent préparant déjà à la maîtrise du temps. Un seul classeur pour plusieurs disciplines augure d'une organisation matérielle réfléchie. Là le contenant ne prend pas le pas sur le contenu.

ACTE II : LE COURS PROPREMENT DIT

Outils et supports en évidence sur la table, à portée de main des élèves, le cours proprement dit commence.

Quel que soit le professeur, quelle que soit la nature du cours, quelle que soit la matière traitée il y aura à écrire. Quel que soit l'élève considéré, il écrira. Plus à Sarres-Sur-Seine qu'au collège Sénèque cependant.

Au tableau, l'enseignant transcrit à la craie ce qu'il a démontré, expli­qué ; scrupuleusement il a mis en forme ce que l'élève écrira, ce dont il gar­dera trace. Que copient-ils ainsi ces élèves ? Un résumé, un schéma, un cro­quis, des mots nouveaux et leur signification, des énoncés de mathématiques et leurs solutions, la correction d'une phrase bancale extraite d'un devoir. S'ils ne copient pas, ils écrivent sous la dictée ce qu'il faut retenir de la leçon en cours ; ils complètent une carte muette, un schéma. Tout ce travail écrit s'effectue sous haute surveillance. L'enseignant est toujours là, prêt à éviter une erreur, à remettre l'étourdi dans le droit chemin, tout ce petit monde doit avancer d'un même pas, au même rythme. Le professeur y veille, il quitte estrade, bureau et tableau, circule dans les rangs, entre les tables, veillant à ce que l'écrit produit s'inscrive dans les normes. Calligraphie claire, bonne présentation, orthographe correcte, syntaxe accep­table. En principe, il ne devrait pas en être autrement, car du premier mot au

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L'univers scolaire de l'écriture au collège

dernier, l'élève a été guidé, soutenu, accompagné. Sauf pendant les contrôles, les écrits sont ponctués des recommandations verbales. « Appliquez-vous à l'écriture, pensez aux lettres majuscules en début de phrase ; attention ! Paragraphe, alors, alinéa ». L'élève n'est confronté qu'à des écrits finis, il n'a que très rarement l'occasion d'observer le travail que nécessite tout texte rédigé. Dans la classe, face à l'adulte, l'élève est rarement en véritable situation de production écrite. Comment savoir alors à quelles difficultés d'écriture il se heurte pour traduire correctement sa pen­sée, pour exprimer clairement un sentiment, ou, tout simplement, pour pro­duire un écrit conforme aux normes exigées par l'institution ? Comment et quand l'élève peut-il prendre conscience que l'écriture se travaille, qu'elle se façonne comme un artisan façonne l'objet qu'il produit ? Que l'écriture doit être objet de réécriture ?

Si nous avons observé les élèves absorbés par des activités de copie, par des tâches systématiques et peu diversifiées de grammaire, de vocabulaire, de conjugaison et de dictées, jamais nous ne les avons vus se plonger dans des écrits de longue haleine. Ces types de travaux sont dans la plupart des cas à effectuer à la maison. Les enseignants ne voient que rarement les élèves en prise avec les difficultés complexes que pose la mise en écriture. Comment l'élève arrive-t-il à régler ces problèmes ? Quel moment du temps scolaire est dévolu à l'apprentissage systématique des savoirs à mettre en œuvre pour maîtriser la langue écrite et utiliser celle-ci pour mettre en œuvre les savoirs acquis dans toutes les disciplines ?

ACTE III : L'ÉCRITURE À LA RECHERCHE D'UN AUTEUR

« Écrire, cela ne s'apprendrait-il que par symbiose », au contact des textes, tout faits, bien « léchés », à enregistrer et non à construire ?

Alors que l'écriture sous-tend toutes les disciplines, alors qu'elle consti­tue F arrière-plan et l'aboutissement de toute séquence scolaire, il est para­doxal que le jeune en apprentissage ne voit jamais ou très rarement l'adulte institutionnel se livrer à un véritable acte d'écriture, c'est-à-dire à un travail sur sa propre expression. La plupart du temps l'enseignant écrit à la verticale face à un tableau. S'il écrit à l'horizontale, c'est toujours dans des situations liées à la gestion du temps et du travail scolaires plus qu'à la transmission des savoirs proprement dite : mise à jour du cahier de texte de la classe, cor­rection de copies, écrits aux parents, notes administratives.

Quand il passe à l'écriture du savoir il n'est pas en position de « tra­vailleur de l'écriture », mais dans celle de transmetteur d'un modèle, qui s'inscrit dans la tradition scolaire.

À ce niveau l'élève n'est pas véritablement en situation de producteur du savoir. L'écriture lui sert plutôt à enregistrer celui-ci.

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LECTURE I ÉCRITURE

Étape ou but en soi ? La réponse à cette question et les perspectives ne sont sans doute pas les mêmes dans nos deux lieux d'observation. ~~

n reste qu'à Sarres-Sur-Seine comme au collège Sénèque, il n'a été ques­tion, pendant nos « voyages » que d'écriture à l'usage du savoir. Cela vou­drait-il dire que les autres usages sont considérés comme ne pouvant pas être réalisés pendant le temps scolaire, par manque de temps ou pour des raisons pédagogiques ? Ou sont-ils considérés comme pouvant être acquis à l'exté­rieur, au sein de la famille par exemple ? Quels rapports entretiennent-ils alors avec les usages scolaires ? Sont-ils jugés mineurs ou tout simplement considérés comme ne nécessitant aucun apprentissage, comme s'ils allaient de soi ? Sur ce point précisément les entretiens de professeurs pourront apporter des informations utiles.

MISE EN SCÈNE SCOLAIRE

Cette mise en scène de l'écriture durant le temps scolaire, outre les apprentissages proprement dits qu'elle accompagne et permet, constitue un ensemble de conditions matérielles et physiques à partir desquelles l'élève se construit une image de ce qu'est l'écriture, de ses usages et ses conditions d'utilisation. Là encore la référence à l'anthropologie suggère l'importance de la prise en compte des aspects matériels des situations d'apprentissage pour l'étude des modes d'appropriation des savoirs, incluant les représenta­tions de ceux-ci. « Le rapport entre réel et représentations n'est pas simple, mais éminemment complexe, les représentations se constituent en système et tirent leur sens de leur inclusion nécessaire dans un contexte qui les déter­mine. Les représentations sont ainsi un moyen de réintroduire le social, l'activité du sujet, l'histoire, dans le laboratoire ».

Images, représentations, autant d'éléments constitutifs du sens de l'écri­ture et de ses usages pour les élèves et que l'école, implicitement, par les situations concrètes qu'elle met en œuvre contribue à générer.

À partir des principaux indicateurs de notre grille d'observation - outils, supports, consignes et nature des tâches - est-il possible de dégager quelques pistes relatives aux contours de ces représentations que les situa­tions scolaires observées tendraient à dessiner ? Les trois « actes » retenus dans la description des usages observés font apparaître des différences entre les deux établissements. Celles-ci se confirment-elles si l'on regarde les choses à la loupe de chacun de nos indicateurs ?

Les outils

Dans les deux établissements l'outil dominant est le stylo, à encre ou à bille. Mais sur cette base commune une différenciation subtile apparaît. Au collège Sénèque ce stylo - le plus souvent à encre - est en général un beau

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L'univers scolaire de l'écriture au collège

stylo, de marque, choisi et par là personnalisé. Il appartient personnelle­ment à l'élève. Cette appartenance tranche fortement avec le caractère stan­dard et interchangeable des outils utilisés par les élèves de Sarres-Sur-Seine. Un incident survenu en 6e dans cet établissement illustre bien l'opposition entre les deux établissements sur ce point précis. Un professeur, ayant trouvé un stylo par terre dans un couloir, demande à l'ensemble de la classe à qui appartient ce stylo. Après un temps de silence, quelques élèves dési­gnent l'un de leur camarade : « Mais c 'est le tien ! »

Dans la même optique traduisant l'interchangeabilité des instruments d'écriture, on observe que les prêts d'outils sont nombreux à Sarres-Sur-Seine, dans une perspective fonctionnelle certes, mais aussi ludique et fai­sant partie des relations sociales, us sont beaucoup moins fréquents au col­lège Sénèque, où l'on est au contraire frappé par l'appropriation des outils par les élèves. Une marque, par exemple, de personnalisation d'un outil a été observée en 3e où plusieurs élèves ont confectionné une fiche récapitulative de formules de mathématiques dont le format était ajusté à celui du cou­vercle de leur trousse.

Les supports

Une des observations la plus marquante est l'extrême codification des supports et de leur mode d'emploi au collège de Sarres-Sur-Seine, alors qu'au collège Sénèque il s'agit d'une importante liberté - croissant d'ail­leurs de la 6e à la 3e -, ce qui va de pair avec une diversité beaucoup plus importante d'un élève à l'autre. L'exemple le plus frappant pour l'observa­teur extérieur est le cahier de texte qui devient, au collège Sénèque, en 3e, l'agenda personnel pour la quasi-totalité des élèves (pour beaucoup déjà en 6e). Aux devoirs et travaux à rendre s'ajoutent des courbes et tableaux des résultats scolaires, mais aussi les anniversaires, les fêtes familiales etc.

Les consignes

« Écrivez, marquez » sont les consignes les plus utilisées pour indiquer le moment où les élèves doivent écrire, aussi bien en 6e qu'en 3e, à Sarres-Sur-Seine qu'au collège Sénèque. Mais à Sarres-Sur-Seine, outre qu'elles sont plus nombreuses, elles sont aussi plus variées : « Rajoutez, mettez là, notez, copiez, recopiez, je dicte... ». Plus fréquentes sont aussi les consignes rela­tives au « où et comment écrire » : « On prend une nouvelle feuille, Madame ? Non, vous écrivez derrière », « Soulignez les grands titres », « En sautant une ligne »...

L'importance accordée à ces précisions semble indiquer que le professeur entend que tout le monde écrive la même chose en même temps et selon la

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LECTURE I ECRITURE

même présentation. Plus caractéristique encore, parce qu'observées seule­ment à Sarres-Sur-Seine sont les consignes de « non écriture »~r « Vous écoutez, vous écrirez ensuite », « Vous n'écrivez pas sinon vous n'écoutez pas », « Je vous demande cinq minutes de travail individuel silencieux et sans écrire ».

Nature des tâches écrites

Au terme des observations, quatre types de tâches écrites dominantes ont pu être distinguées : la prise du cours (dictée, copie, ou prise de notes), les contrôles et interrogations, les exercices faits en classe et la correction (des contrôles, des préparations à la maison etc.). Les deux derniers types d'écrits se distinguent des deux premiers en ce qu'ils constituent un travail prenant place dans la progression, travail qui n'est pas remis (sauf rare exception) au professeur en vue d'une notation.

En 6e, la prise du cours domine, sous la forme de copie et/ou dictée. L'importance du temps pris par cette activité de copie/dictée varie selon les disciplines dans les deux établissements (elle est plus fréquente en mathé­matiques par exemple qu'en langue vivante) mais, globalement, elle occupe beaucoup plus de temps à Sarres-Sur-Seine qu'au collège Sénèque où le tra­vail oral, en 6e, est souvent privilégié.

Dans les deux classes de 3e, la prise du cours occupe la part la plus importante du temps d'écriture, le reste étant plutôt réservé à des exercices collectifs ou de groupes à Sarres-Sur-Seine, aux corrigés de travaux indivi­duels préparés à la maison au collège Sénèque.

Outils personnels et personnalisés, supports choisis librement et objets d'appropriation individuels, consignes souples, tâches individuelles d'un côté, au collège Sénèque. Outils partagés, supports identiques pour tout le monde, très étroitement codifiés, consignes strictes visant à uniformiser les lieux, les moments, la présentation de l'écriture, tâches collectives de l'autre, au collège de Sarres-Sur-Seine.

Tout se passe comme si l'écriture pratiquée en classe était conçue selon deux modèles. Celui d'une pratique individuelle, laissant à l'élève une large marge de manœuvre et d'initiative au collège Sénèque. Celui d'une pratique uniformisée, se déroulant selon des rites réglés par l'enseignant qui s'assure par des consignes explicites, précises et souvent renouvelées que tous les élèves entrent bien dans la gestuelle de l'écriture.

Que ces différences de pratiques soient liées aux différences de popula­tions scolaires et, plus précisément, à l'image que les enseignants de chaque établissement se font des capacités de leurs élèves, c'est une hypothèse vrai­semblable. L'idée qu'ils se font aussi de l'environnement familial et culturel de leurs élèves, du rapport à l'écrit caractéristique des familles, joue proba­blement aussi un rôle dans la façon dont les enseignants ajustent leurs pratiques.

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L'univers scolaire de l'écriture au collège

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LAHIRE, B. (1988). Socialisation, formes sociales et pratiques sémio-tiques : le procès de scripturation comme lecture du procès de socialisa­tion. In : Institut de Recherche et d'Études Sociologiques et Ethno­logiques (Éd.). Analyse des modes de socialisation : confrontations et perspectives. Table ronde des 4-5 février 1988. Lyon : Université Lumière II.

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LECTURE I ECRITURE

LAPLANTINE, F. (1987). L'anthropologie. Paris : Seghers, Coll: « Clefs pour». ~

VERMES, G. (1990). Problématique de l'entrée dans l'écrit des enfants des minorités sociolinguistiques. Éducation et Pédagogies, 8, 56-64.

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TENTATIVES D'APPROCHES DES ÉCRITS PROFESSIONNELS

Anne LAZAR

Extrait de Démarches pour des modules de seconde

et terminale professionnelles. Langages, français, disciplines technologiques.

INRR 1992

Présentation

Élèves et professeurs sont quotidiennement appelés â résoudre des pro­blèmes langagiers et â surmonter des difficultés linguistiques. Le professeur isolé dans sa classe et dans sa discipline est voué au repérage des mêmes erreurs, à la répétition des mêmes corrections face à des élèves en difficulté scolaire qui ont pris l'habitude de renoncer. Trouver de nouvelles pratiques d'approche des faits de langue, tel était l'objectifprioritaire des expérimen­tations présentées dans cet ouvrage.

L'équipe de recherche sur les langages professionnels et technologiques, qui comprend des professeurs de Lycée Professionnel, dégage les principes d'un travail conduit en disciplines associées et pouvant s'inscrire dans la dynamique des modules. Elle propose aux professeurs des démarches pour prendre en compte les écrits professionnels et fournit des pistes pédago­giques.

• L'extrait présenté ici traduit des perspectives sociolinguistiques, mais aussi psychologiques. Proposant des situations nouvelles par rapport à la scolarité antérieure déjeunes, l'auteur tente de répondre à leurs échecs et â leurs- manques, notamment en les dotant d'outils de réflexion sur la langue. Les apprentissages continués et renouvelés (langages, français...) sont nour­ris par les pratiques sociales de référence des milieux professionnels.

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LECTURE I ÉCRITURE

POURQUOI ÉTUDIER LES LANGAGES DANS LES FORMATIONS PROFESSIONNELLES ?

On peut se demander quelle pertinence il y a à considérer ces connais­sances langagières comme un angle d'attaque intéressant au cours de l'apprentissage des métiers et des professions. Ce n'est pas par une exigence gratuite ou par une focalisation fantaisiste que l'intérêt a été soulevé : mais par rapport aux mutations culturelles qui s'opèrent dans cette dernière décennie, et par les exigences de formation générale dans les formations professionnelles des employés.

Dans ces formations, co-existent des enseignements techniques et'xles enseignements généraux. Les enseignants et les jeunes en formation consi­dèrent les contenus des enseignements techniques (comptabilité, économie, techniques bancaires...) avec beaucoup d'intérêt et d'espoir souvent au regard des échecs antérieurs qu'ils ont connus.

• Le projet pédagogique de formation aux langages Passer d'une attitude naïve à une attitude de questionnement, contredit

les habitudes professionnelles de répétition, ou de savoir-faire par cœur, en conviant les formés à établir des relations, à questionner les événements, et à trouver des expériences sur leurs modes de lecture.

Dans les temps de formation, le travail sur la syntaxe et sur la sémantique s'entrecroisent. Le travail de la syntaxe est lié au travail sur le sens, lui-même étroitement proche d'une réflexion sur l'ensemble des textes.

La conscientisation que les enseignants opèrent en travaillant sur les lan­gages professionnels entraîne une modification de leurs pratiques d'ensei­gnement, du fait qu'ils ont modifié leurs pratiques de lecture, de compréhen­sion, voire même les représentations qu'ils ont des formés.

Au-delà des enrichissements lexicaux, syntaxiques et sémantiques, les compétences générales et culturelles ont été mises au cœur d'un travail por­tant sur les compétences techniques.

L'acquisition de capacités intellectuelles de base, de capacités méthodo­logiques et de capacités langagières, représente l'amorce d'un changement d'attitudes vis-à-vis des connaissances techniques et professionnelles.

• Les nouvelles compétences imposent des formations nouvelles Un nouveau modèle autour d'une requalification du travail remplace le

modèle taylorien, et dans ce contexte, les nouvelles formations s'orientent vers l'acquisition de nouvelles attitudes et de nouveaux comportements, notamment l'aptitude à communiquer et à travailler en équipe.

L'enseignement de la langue maternelle (tant en formation générale ini­tiale que professionnelle) s'oriente vers les spécialisations, (telle la connais-

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Tentatives d approches des écrits professionnels

sanee des domaines technologiques), veut être utilisable, et veut prendre en compte les réalités techniques et professionnelles. Des choix d'enseigne­ment s'imposent. Comment les professeurs de technologie se représentent le discours technique ? Quelle image ont-ils de leur propre discipline et du dis­cours qui lui est lié ?

QUELLE DEMANDE PROFESSIONNELLE CONVIENT-IL DE PRENDRE EN COMPTE ? ET COMMENT ?

Le français, matière indispensable, est perçu comme matière essentielle au recrutement des établissements de formation (y compris les GRETA) des métiers de bureautique appliquée et d'informatique - et la formule réservée est celle de « Bon niveau de français exigé ».

La demande professionnelle est massive, unanime autour des perfor­mances de l'écrit. « Savoir écrire, savoir les bases de l'orthographe et de la grammaire » - et maîtriser l'écrit, c'est savoir prendre des notes, retrans­crire, comprendre, enregistrer.

Les écrits professionnels, les écrits sociaux, sont de plus en plus diversi­fiés et demandent une appréhension conforme tantôt à leur logique de construction, tantôt à leur logique d'utilisation. S'il existe une terminologie qui leur est propre, elle s'exerce sur une rhétorique et une grammaire ayant leurs règles et leurs impératifs (ellipses, condensation, ponctuation...), modelant la langue d'une manière propre.

La prise en compte des langages techniques, appelés aussi discours spé­cifiques, langues spécialisées, français fonctionnels, registres spécifiques... dans ces perspectives de formation ne consiste pas à les réduire à une termi­nologie, mais à ouvrir à la totalité des aspects linguistiques des langues de spécialité, étant entendu que communiquer sur un sujet technique, c'est se servir de toutes les composantes grammaticales, sémantiques et stylis­tiques de la langue de spécialité en question.

Cette langue de spécialité partage bon nombre d'éléments et de structures linguistiques avec la langue commune. Mais, seuls les mots techniques et leur mise en scène permettent de dire, donc de penser de manière rigou­reuse, les choses difficiles, et selon Bourdieu (1) « le langage est aussi un outil qui a son mode d'emploi et qui ne fonctionnera pas si l'on n'acquiert pas son mode d'emploi ».

Pour les enseignants, ces langages considérés le plus souvent comme uti­litaires, fonctionnels, sont minorés par rapport à la langue noble ; le lan­gage tertiaire est diffusé dans la société tout entière par la presse et les

1. Bourdieu (P.), Questions de sociologie, Éditions de Minuit.

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LECTURE I ÉCRITURE

médias. Ils ont une fonction commune de transmission d'un maximum d'informations, sans volonté esthétique, littéraire, et une exigence mini­male de connaissance de base liée au domaine.

us présentent un caractère abstrait - signes extra-linguistiques (chif­fres, symboles, formules, schémas, graphiques, courbes, tableaux...) - et une organisation formelle des données.

Pour les professeurs de français comme pour la plupart des professeurs de S.T.E. (Sciences et Techniques économiques), la langue de spécialité n'a

-pas d'existence propre. Elle serait affaire de dictionnaires et de lexiques simplement. Les langues professionnelles sont souvent ramenées à une série de lexiques.

Les enseignants de lettres opèrent des conversions en s'intéressant à la langue économique et technique.

Les professeurs de technologie font acquérir non pas seulement une terminologie, mais une compétence communicative, en vue de besoins spécifiques.

[...]

PRÉSENTATION D'UNE DÉMARCHE POUR UN MODULE DE FORMATION PROFESSIONNELLE : POURQUOI PAS LE MÉTALANGAGE ?

Contexte

La démarche présentée ci-dessous a été menée en première année de BEP tertiaire rénové avec une classe de 30 élèves. La constitution de l'équipe (un professeur de Français - un professeur de secrétariat - un pro­fesseur de comptabilité) nous permet de couvrir toutes les disciplines de l'enseignement professionnel : Comptabilité - Organisation et Suivi d'Activités - Administration Commerciale - Administration du Personnel -Communication - Droit de l'entreprise - Droit du travail - Économie.

Dans le cadre de la recherche sur les langages professionnels du secteur tertiaire des affaires, nos tâtonnements des années précédentes nous ont conduites aux constats suivants : lorsqu'ils arrivent en lre année de BEP, les élèves

1. confondent les classes de mots, ce qui occasionne des erreurs de lec­ture (cet aspect est apparu dès le premier cours d'Administration Com­merciale lorsque, le professeur ayant demandé aux élèves quels documents circulent entre l'entreprise et ses clients, il s'est aperçu que beaucoup citaient des actions, donc des verbes, au lieu de documents, donc des noms) ;

2 1 0 |

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Tentatives d'approches des écrits professionnels

2. ils n'emploient pas les termes génériques qui permettent le classe­ment en catégories (synonyme, antonyme, mot polysémique, etc.)~alors qu'ils connaissent ces rubriques de manière passive ;

3. ils sont peu attentifs au contexte et donc aux différentes acceptions d'un mot (par exemple, la méconnaissance du verbe « comprendre » au sens d'« inclure » a induit une erreur pour la moitié d'une classe dans l'établisse­ment d'un bilan de comptabilité).

À cela s'ajoutent les difficultés liées à l'apprentissage de nouvelles "disci­plines :

• confrontation avec des sens spécialisés et nouveaux de termes courants et connus;

• nécessité de se représenter le réel pour comprendre des énoncés du domaine professionnel où le nom de certaines opérations peut changer sui­vant le point de vue (exemple : vente/achat).

Origine du travail

Analyse théorique Nous avons, dans un premier temps, procédé à un travail de relevé et

d'analyse des termes étudiés au fur et à mesure des chapitres dans les diffé­rentes spécialités. Cette analyse théorique a abouti à une grille d'observation s'appuyant sur certains aspect de l'analyse linguistique que nous avons sélectionnés en fonction des applications pédagogiques qui pouvaient être utiles aux élèves. En effet, la proposition de travail de départ comprenait deux axes :

- analyse linguistique des termes du domaine tertiaire des affaires, - applications pédagogiques. La première question qui se posait avant d'entreprendre toute démarche

était la suivante : Qu'est-ce qu'une analyse linguistique ? Elle peut se mener selon plu­

sieurs critères : étymologiques, sémantiques, lexicométriques et syntaxiques.

Se posait alors une deuxième question : Quels objectifs pédagogiques fallait-il retenir ? - l'élaboration d'un lexique de référence, - une aide à l'analyse, - une aide à la compréhension, - une aide à la mémorisation, - un travail pour faciliter le réemploi ? Dès le début du travail, nous avons été amenées à rejeter certaines

démarches car elles nous paraissaient peu probantes. Le recours à l'étymolo-gie, par exemple, utilisée et utile dans la terminologie médicale comme pour

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LECTURE I ECRITURE

les sections F8, est peu pertinente dans la terminologie du secteur tertiaire qui a recours davantage à des expressions imagées qui perdent peu à peu leur sens premier (par exemple : flux monétaire, flux tendu, etc.). Par contre, le vocabulaire du secteur tertiaire se sert beaucoup du vocabulaire courant, soit dans des termes composés, soit dans d'autres acceptions.

Nous avons donc retenu les rubriques suivantes : • composition du mot (comprenant la description et la dérivation,

c'ëst-à-dire Forigine supposée de sa composition) ; • analyse sémantique - traits pertinents, - un synonyme lorsque cela est possible, - mention d'autres mots qui s'y rattachent (corrélats ou champ lexical) ; • une analyse de ses constructions syntaxiques possibles sur l'axe

syntagmatique.

Voici quelques exemples d'expressions analysées d'après leur emploi dans des phrases relevées dans les cours de droit et organisation (voir phrases à la suite du tableau).

^ v . Expressions

R u b r i q u e s ^ ^ retenues ^ * .

COMPOSITION : * description

* dérivation

SÉMANTIQUE : •Trait pertinents

* Synonyme(s) :

* Corrélats : (champ lexical)

CONSTRUCTIONS SYNTAXIQUES

Mise en demeure

Nom + en + Nom

nominalisation (mettre en demeure)

-animé + abstrait + individuel

injonction sommation

avertissement rappel, relance

sujet actif ou passif, cod(*)

Personnalité juridique

Nom + Adjectif

relation de détermination

-animé + abstrait + individuel - dénombrable

capacité juridique aptitude juridique

personne physique personne morale

sujet, cod(*), complément du nom

Patrimoine immobilier

Nom + Adjectif

relation de détermination

-animé + collectif

propriété fonds

biens dettes-créances

cod(*) ou sujet passif

cod = complément d'objet direct.

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Tentatives d'approches des écrits professionnels

Phrases d'après lesquelles les expressions ont été analysées dans le tableau ci-dessus : ~~

Vous devez apporter la preuve que votre mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception est restée vaine.

La mise en demeure Í s e f a i t e n P r inciPe Par a c t e ¿'huissier l a été faite par acte d'huissier

Les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est mis en demeure de remplir son obligation.

La personnalité juridique des personnes physiques commence dès leur naissance.

Les sociétés n'acquièrent la personnalité juridique qu'à compter de leur immatriculation.

La loi subordonne l'existence de la personnalité juridique à l'accom­plissement de certaines formalités.

Ce groupe gère un patrimoine immobilier estimé à 4 Milliards de Francs.

Son patrimoine immobilier est affecté pour moitié en bureaux et pour moitié en résidences loisirs.

Analyse des erreurs

Parallèlement, nous avons observé les termes qui pouvaient poser pro­blème aux élèves, soit à travers leurs productions écrites dans les matières d'enseignement professionnel, soit par questionnement individuel sur les termes nouveaux apparus dans les leçons. Le professeur de droit, par exemple, donnait régulièrement au début d'un nouveau dossier la liste des termes clé qui allaient apparaître dans les documents et demandait aux élèves :

- avant le cours, de dire pour chacun s'il leur était connu ou inconnu, - après le cours, si le terme était compris ou incompris.

Voici les observations qui sont ressorties de ce travail :

• les termes proposés en début de BEP sont difficiles à assimiler pour les élèves, non pas parce qu'il sont nouveaux (les élèves connaissent déjà un grand nombre d'expressions), mais souvent connus dans un sens détourné par l'emploi dans le langage courant (exemple : investir, inflation ; voir à ce sujet. D'une manière ou d'une autre, Rencontres pédagogiques n° 18, INRP,p. 114) ;

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LECTURE I ÉCRITURE

• le mot simple pose le plus de problèmes parce qu'il est polysémique (exemple : un bien - les biens ont un sens différent en droit et en écono­mie) ;

• les termes composés sont monosémiques mais parfois difficiles à cer­ner : certains termes sont déjà figés (matières premières), d'autres sont en cours de fixation (faut-il dans les expressions suivantes considérer qu'il s'agit de termes composés différents ou d'un nom auquel sont adjoints plu­sieurs adjectifs : biens réservés, biens corporels, biens propres... ?) ;-

• certains termes résultent de la nominalisation de groupes verbaux (exemple : « allouer une indemnité » devient « une indemnité allouée ») et sont parfois subtils car réversibles : « la production de bien », par exemple correspond à l'action de « produire des biens » alors que « les biens de pro­duction » sont le résultat de cette action, mais il faut aussi des « biens de production » pour produire ;

• certains termes ne se comprennent bien qu'en présence de leur anto­nyme (ainsi créance et dette, débit et crédit).

Démarche pédagogique

Objectifs

• En partant des connaissances des élèves en terminologie lexicale et syntaxique, de leur manière d'analyser les mots, favoriser l'acquisition d'un « métalangage lexical » ou « langage opératoire » permettant de parler du vocabulaire à l'occasion de la lecture d'un texte et aussi d'expliquer une expression pour éclairer le sens des textes. Nous faisons ici l'hypothèse que le passage par le métalangage est un moyen pour les élèves de gagner du temps vers une meilleure maîtrise de la lecture et de l'écriture (voir à ce sujet l'article de J.E. Gombert dans REPÈRES n° 3/1991, « Le rôle des capacités métalingiústiques dans l'acquisition de la langue écrite ») (1).

• Faire prendre conscience aux élèves d'un certain nombre de constantes concernant le vocabulaire :

- le mot hors contexte peut être ambigu car, en fonction de la classe de mot, du nombre, le mot simple est polysémique ; - le mot composé est monosémique et spécifique ; - le mot prend son sens par rapport à son environnement (contexte, synonyme, antonyme, place dans le phrase).

1. J.E. Gombert distingue les compétences métasyntaxiques, métatextuelles, métalexi-cales, métasémantiques. Nous nous attachons ici aux compétences métalexicales.

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Tentatives d'approches des écrits professionnels

• Favoriser la prise de conscience de l'importance du vocabulaire dans la compréhension du texte technique. —

• Introduire des principes d'analyse des termes aussi bien professionnels que courants, qui serviront tout au long de la scolarité à mieux maîtriser le sens des textes à travers l'explication de termes.

Tous ces objectifs sont indissociables.

Séquence de départ : analyse des connaissances préalables des élèves

Ce travail commence par une séquence commune Français - Adminis­tration Commerciale en début de première année BEP puis est réutilisé régu­lièrement et enrichi dans les cours de Français - Droit - Administration Commerciale.

• Modalités

Nous avons choisi dix termes volontairement sans mot actualisateur ni contexte ; ceux-ci sont tirés des premiers cours d'Économie et d'Admi­nistration commerciale et, pour certains, autour du même mot de base, ceci afin que l'on puisse les comparer. Ce sont : « bien, biens, bien importé, ser­vice, services, prestataire de services, capital, capital technique, matières premières, produit fini ». La classe est divisée en dix groupe de trois élèves, chaque groupe reçoit un terme au hasard avec une fiche à compléter dont le titre est volontairement vague : « Travail autour du mot », ceci afin de ne pas aiguiller d'emblée les élèves sur une terminologie précise et mieux cer­ner leur représentations (terminologie employée, mode de raisonnement).

Ce travail comporte les consignes suivantes : - présenter le mot : classe de mot (nom, adjectif, adverbe, verbe),

domaine de référence (courant, spécialisé) ; - le réutiliser dans la phrase ; - en expliquer le sens ; - donner éventuellement des observations particulières (difficultés ren­

contrées, sens retenu, etc.).

Chaque groupe travaille seul puis on met en commun les observations.

Voici quelques exemples de fiches-élèves (sont signalés par des flèches les points correspondants aux observations qui seront analysées plus loin).

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LECTURE I ECRITURE

TRAVAIL DE RÉFLEXION AUTOUR DU TERME : Bien

1 - Présentez le terme : * classe de mot : nom. commun * domaine de référence : l'économie, de l'euUepàiie

2 - Utilisez-le dans une phrase Ce ttaoail eét oien.

3 - Expliquez-en le sens : lin lieu edt un produit faotiqué atdce à un ttauail, on peutle tùucnet et le. coniommet.

4 - Observations éventuelles : Ce mot peutégalementaaoit le. ienl d'un adjectif

( dalle de. mot !)

TRAVAIL DE RÉFLEXION AUTOUR DU TERME : lien, impotté

1 - Présentez le terme : _ -̂ tetme luntajcique. * classe de mot : atoupe nominal •*

* domaine de référence : cela faitpattit du teailtte coûtant

) coûtant 2 - Utilisez-le dans une phrase : J (contexte.) £e produitallemandque. noué, avionl économique, commando & Lien été intpotté danl leí détail fixél. (adoetíe)^^ ^ ^ " \ fa paidéj

3 - Expliquez-en le sens : Cela tappelle le oocaLulaitoe que. Von utilile doné. le. cadte d'une, enttep/iHe, JLe. nom « Lien » eit un objet faitiqué mail, doné, ion contexte, il veut dine que. lofait dette imponte a été une téullite •parfaite, £.emot« impotté » implique la notion do faite tamenet danl ion paul un pfioduitétnanaet.

4 - Observations éventuelles : Celtdut à analuiet cat ce mot ie campóle de deux, naml.

(nom. + p. palié. !)

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Tentatives d'approches des écrits professionnels

TRAVAIL DE RÉFLEXION AUTOUR DU TERME : Lend

1 - Présentez le terme : * classe de mot : nom, commun, (madculiu-pluàiel)

* domaine de référence : langage- éoutenu de la nie, coulante.

2 - Utilisez-le dans une phrase : J ',e*"rMO*# **•* V

a pAoduu.

OU ¿end

3 - Expliquez-en le sens : Sied, ¿¿end dontded oLjetd faLbiauéd à paàti* de. matièned ptemièted.

4 - Observations éventuelles : Ce mot peut avail pludieuàd ¿ianiticationd.

TRAVAIL DE RÉFLEXION AUTOUR DU TERME : capitalteoUniaue

1 - Présentez le terme : * classe de mot : nom commun. — anoupe. nominal

* domaine de référence : économie. "***-. (tetune ¿untaziaue)

2 - Utilisez-le dans une phrase : Cette machine, appartient au capital techniaue

3 - Expliquez-en le sens : -Z?e capital technique, negtoupe touted led machined, led locaux., led aulild, tout ce qui éeàtpluiieu/id foil à l'euttep/Uie,

4 - Observations éventuelles :

• Constats : exploitation des fiches-élèves par les enseignants Comme le montrent les fiches ci-joint, les élèves

- maîtrisent mal les classes de mot : ils confondent nom et adjectif, « bien importé », par exemple, est compris comme nom composé mais ana­lysé et employé comme adverbe + adjectif ;

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LECTURE I ECRITURE

- ne connaissent pas la notion lexicale de « nom composé » (ils emploient « groupe nominal » qui est une notion syntaxique) ; ~~

- ont bien perçu la polysémie mais font des confusions (par exemple, ils indiquent pour un mot comme domaine de référence, domaine courant et l'emploient dans une phrase du domaine économique) ;

- ils n'expliquent pas le sens mais donnent une définition.

• Bilan

Ce travail a été bien perçu par les élèves qui ont pu dégager eux-mêmes les conclusions correspondant aux objectifs annoncés mais, les termes géné­riques appartenant au langage opératoire lexical ont dû être introduits par le professeur car les élèves les connaissaient uniquement de façon « passive ».

Suite du travail : Acquisition d'un « langage opératoire » lexical

H s'agit de transformer la connaissance passive de ces termes opératoires en vocabulaire « actif » ; en effet, expliquer une expression dans un texte suppose :

- de repérer, en préalable au sens, la classe de mot, - d'employer un langage « opératoire lexical » pour éviter la paraphrase, - de comprendre le contexte dans lequel l'expression est employée et

éventuellement de repérer les écarts au niveau des sèmes entre l'emploi cou­rant et l'utilisation par l'auteur (par exemple, un nom avec trait - humain associé à un verbe avec trait + humain donne une personnification).

Ce travail se fait à travers une série de TD en Français visant à faire prendre conscience du « langage opératoire » suivant : polysémie, classe de mots, homophone, paronyme, synonyme, antonyme, sigle, sens propre, sens figuré, concret, abstrait, paradoxe. Ce type de travail appartenant habituelle­ment au cours de français, il n'est pas nécessaire de donner tous les exemples de séquences, n est cependant important de signaler que le profes­seur de français a recours, dans ce cas, à des mots du domaine professionnel au même titre que du vocabulaire courant, ceci pour aider les élèves à faire le « lien » entre les différentes disciplines, d'autant plus que les collègues de STE utiliseront aussi ces notions.

La difficulté consiste, comme nous l'avons vu plus haut, non pas à faire comprendre ces notions aux élèves, mais bien à les amener à employer ces termes. Pour ce faire, nous utilisons des textes humoristiques qui permettent de faire « verbaliser » en expliquant les procédés humoristiques comme dans le document ci-dessous : les « coquilles » relevées par le Canard enchaîné reposent sur la confusion entre des paronymes comme « comptabilité » et « compatibilité ».

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Tentatives d'approches des écrits professionnels

PARONYMES

I. Soulignez et expliquez les « coquilles »

À sec pour les versements

Dans « l'Est républicain » (17/10), à propos des événements du Heysel : « Le problème de la sanction pénale

des inculpés risque d'ailleurs de rapidement s'effacer, sinon de

disparaître tout à fait, derrière celui de l'indemnisation des victimes

et de leurs familles, car la plupart sont insolubles. «

Le manque de liquidités rend toujours insolvable.

Conjoints ou comptes joints.?

Petite annonce dans « La Dépêche du Midi ».(18/10):

« Hautes-Pyrénées, M., retraité, 60 ans, recherche compagne pour union si comptabilité. » Tous nos vœux pour que la

comptabilité soit prise en compte et ne figure pas dans ses

« Créances en souffrance ».

Le Canard enchaîné

Les élèves travaillent ensuite sur des termes relevés par le professeur de spécialité et dont l'emploi leur pose problème.

Ce sont : différent-différend ; près-prêt(s) ; recouvrir-recouvrer ; allocu­tion-allocation ; effraction-infraction ; conjoncture-conjecture ; acompte-escompte.

Le professeur de spécialité les fait réemployer dans les phrases sui­vantes :

1. Le client a versé un acompte-escompte au fournisseur en règlement d'une partie de la facture.

2. Voici le différent-différend qui oppose ces deux personnes.

3. Le client a demandé un près-prêtis) à sa banque pour acheter une voiture.

4. Le créancier a dû avoir recours à la justice pour recouvrir-recouvrer la somme.

5. Le PDG a prononcé une allocution-allocation devant le Conseil d'Administration.

6. Stationner sur les passages protégés constitue une effraction-infraction au code de la route.

Le travail d'analyse peut se poursuivre sur un texte plus complexe regroupant plusieurs procédés simultanément. Ainsi, le célèbre texte de R. DEVOS « Le possédé du percepteur » (Matière à rire, R. Devos, O. Orban, Paris 1991, p. 225), joue-t-il autour de la polysémie (revenir et revenu fiscal), des sigles (TVA), des homophones (dû au sens obligation et au sens somme à payer), sens propre et figuré (richesse matérielle ou

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LECTURE I ÉCRITURE

morale), de la confrontation entre le rationnel Oa fiscalité) et l'irrationnel (la sorcellerie) exprimés dans le titre. ~~

Voici un exemple d'un travail d'analyse de termes mené lors d'un cours de Droit sur les conditions de validité du contrat : les élèves travaillent sur les documents ci-dessous :

COMPLÉMENT : LA RÉSERVE DE PROPRIÉTÉ Document n° 4 : Articles 1583 du Code civil

La vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni te prix payé. »

Document n° 5 : La réserve de propriété

L'entreprise désireuse de se protéger contre le risque de non-paiement du prix de ses ventes de marchandises peut uti­lement se réserver la propriété des marchandises tant qu'elles n'ont pas été intégralement payées. Une stipulation qui, sous certaines conditions, peut continuer à jouer même après la mise en situation de redressement ou de liquidation judiciaire de l'acheteur. Pour cela, il faut que la réserve de propriété ait été convenue dans un écrit établi au plus tard au moment de la livraison.

L'Entreprise n° 17, Novembre 1986.

Les informations de M * Dubarreau

1. Les effets des contrats entre les parties

Selon l'article 1134 du Code civil : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Il en résulte que :

- le contrat a force de loi pour les parties contractantes. - le respect du contrat s'impose au juge : celui-ci ne peut modifier le contrat.

2. Les effets à l'égard des tiers

En principe, les contractants ne peuvent engager qu'eux-mêmes. Un contrat ne peut donc produire d'effets vis-à-vis de tiers, c'est-à-dire de personnes qui n'ont pas été parties au contrat.

Toutefois, il existe des exceptions, comme, par exemple, la stipulation pour autrui. Il y a stipulation pour autrui quand une des parties au contrat (le stipulant) charge l'autre partie (le promettant) de faire ou de donner quelque chose au profit d'un tiers désigné dans le contrat (le bénéficiaire). C'est le cas de Passurance-vie.

in Le droit et l'entreprise, Le Fiblec, Le Bolloch, Guittard, Paris, Éd. Bertrand Lacoste.

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Tentatives d'approches des écrits professionnels

Le professeur leur demande pour chacune des expressions suivantes : parties contractantes - contrat bilatéral - réserve de propriété ~~

de compléter un tableau leur demandant une classe de mot, domaine de réfé­rence, réemploi dans une phrase qui ne soit pas une définition, explication (ou un synonyme) et, éventuellement, antonyme, champ lexical, autres domaines d'emploi.

On voit que, pour « parties contractantes », par exemple, les élèves peu­vent s'appuyer sur le texte pour trouver le champ lexical (stipulant, promet­tant, tiers, bénéficiaire).

Résultats

Le premier résultat positif pour les professeurs est l'intérêt de discuter sur les mots et de les soumettre au regard du non spécialiste ; les professeurs de STE ont notamment pris conscience que certains termes pouvaient gêner la compréhension des élèves à travers les questions posées par les collègues de français (ils pensaient au départ que certaines notions étaient difficiles à comprendre) ; en français, un temps est consacré plus régulièrement à la réflexion sur le vocabulaire et au réemploi de ce « langage opératoire » indispensable dans toutes les disciplines. Les professeurs de spécialité ont appris à utiliser ce langage opératoire et les professeurs de français se sont familiarisés avec les termes professionnels.

Les élèves, eux, ont pris conscience de la nécessité d'approfondir la lec­ture des textes et ils ont acquis plus d'aisance dans le repérage de certains procédés lexicaux ainsi que dans leur explication. Mais, les élèves ont du mal à soumettre les problèmes qu'ils rencontrent : c'est une part d'activité qui reste difficile à obtenir d'eux.

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i F^ I ï ^ T F ^ D?ORÂI

DE L'ÉPREUVE DE FRANÇAIS DU BACCALAURÉAT

Bernard VECK

Extrait de : Enseignement du français dans le second cycle.

Texte. -, thème, problématique. Morceaux choisis, composition française, listes d'oral

INRR 1992

Présentation

L'ouvrage présente les résultats de la troisième recherche de l'équipe «français lycée ». Celle-ci s'est située, comme les précédentes - dont les acquis ont été publiés dans Production de sens. Lire/écrire en classe de seconde [MRP, 1988] et dans Trois savoirs pour une discipline. Histoire lit­téraire, rhétorique, argumentation [MRP, 1990], dans la perspective d'une description de la discipline scolaire «français » au lycée et de son fonction­nement. Avec Texte:, thème, problématique est explorée une famille de notions qui traversent les pratiques et l'organisation scolaire, et qui contri­buent, plus souterrainement sans doute, mais non moins fondamentalement, à les structurer et à leur donner du sens.

La recherche trouve son origine dans l'observation d'un certain nombre de symptômes : des termes nouveaux ont cours dans les discours et les écrits définissant la discipline, celui de « problématique », nom ou adjectif, relayé par « question » eî « problème ». Cet ensemble de notions est au cœur des Textes officiels relatifs aux épreuves du baccalauréat et à leur préparation en classe.

S'agissant des « groupements de textes » que les candidats doivent pré­senter â l'oral de l'épreuve anticipée : «L'intérêt des groupements de textes

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selon une cohérence thématique ou problématique est qu'ils permettent de rassembler et de mettre en relation des textes (...) » ; et en ce qui'concerne V œuvre intégrale, les Instructions précisent que son étude doit «susciter des recherches thématiques ou problématiques (...) [Supplément au B.O. du 9 juin 1988]. D'après ces citations, « problème » ou « question » s'ouvrent au-delà de la « question de cours », le texte ne saurait être sollicité comme fragment isolé, mais relève d'un ensemble plus vaste (œuvre intégrale ou groupement) obéissant à une structuration spécifique qui dépasse une sup­posée évidence littérale. La lecture requise ne peut plus se contenter d'un survol linéaire, mais devient exercice de la pensée dans un volume complexe de relations et de significations à construire et à interpréter. C'est ce-que semble indiquer la nécessité d'élaborer des questions et des problèmes énoncée dans les Instructions.

Le français au lycée, et très précisément la littérature, se présente donc désormais comme matière « problématisable ». C'est cette orientation nou­velle, porteuse de conséquences décisives pour V enseignement, que nous nous sommes proposé d'interroger. Que signifie donc problématiser, au plan scolaire et disciplinaire ?

Trois objets permettent de saisir ce qu'il en est de l'élaboration d'une problématique qui fait des textes des objets scolaires disciplinairement iden­tifiés, donnant lieu à un questionnement et à une évaluation.

Nous avons tout d'abord observé comment des élèves de classe de seconde découpent et questionnent des extraits dans une œuvre plus ou moins longue : l'épreuve a permis d'approcher les représentations qu'ont les élèves de la discipline, et, corollairement, les exigences de celle-ci concernant la constitution de ses objets et leur mode d'approche.

L'analyse des annotations magistrales dans des copies de composition française situe l'importance et la place accordées à la « problématique » (explicitement requise par les Instructions) dans les performances d élèves par rapport à l'ensemble des contraintes de l'exercice, du point de vue de l'évaluation disciplinaire.

L'étude des listes d'oral destinées à l'épreuve anticipée de français du baccalauréat - reprise ci-après - dégage quelques grandes tendances qui gouvernent le choix et l'apprêt des textes en vue d'une lecture disciplinaire­ment communicable et évaluable. Là encore, nous nous sommes efforcés de dégager les règles qui régissent la transformation d'un large corpus en objets justiciables d'un questionnement particulier, surdéterminé par les nécessités de l'examen final.

L'extrait reproduit ci-après, reprend cette troisième partie de l'ouvrage, à l'exception des analyses détaillées des groupements de textes de différents siècles.

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

Les listes de textes présentées par les candidats à l'oral de l'épreuve de français du baccalauréat ont constitué pour notre recherche un objet d^bser-vation privilégié.

Rappelons d'abord brièvement en quoi consistent formellement ces objets. H s'agit de documents écrits, élaborés à la fin de l'année en classe de première, et qui présentent de façon ordonnée, rationnelle, et cohérente, les travaux réalisés au cours de l'année. Les travaux présentés peuvent porter sur des textes groupés autour d'un centre d'intérêt (thème, ou problème, nous allons en reparler un peu plus loin) ou sur des œuvres intégrales. Dans les deux cas, les listes contiennent les références précises (plus ou moins) des passages ou des extraits étudiés, et la liste des « questions d'ensemble >> envisagées au cours de l'étude.

Pendant l'épreuve orale de français du baccalauréat, les candidats sont interrogés sur l'un de ces textes assorti d'une question. Celle-ci ne reprend pas, normalement, le libellé de celles qui figurent sur la liste, mais s'appuie néanmoins sur l'une des « questions d'ensemble » présentées par le candi­dat. Chaque liste est signée par le professeur qui a conduit le travail de l'année. Sa responsabilité se trouve donc engagée. À travers la liste, chaque professeur de première montre ce qui a été fait et comment cela a été fait au cours de l'année scolaire.

En adoptant un point de vue plus général, on peut considérer que ces listes constituent un moyen d'accès à la représentation de la discipline qui a cours du côté des professeurs. Elles ne sont, en effet, qu'un miroir du travail qui a été mené. Elles ne sont pas le travail lui-même, mais ce que chaque professeur consent à en dire, une mise en forme dans le sens de la plus grande cohérence, de la formulation la plus brillante, ou simplement d'une « moyenne » de la discipline dont on suppose, par exemple, qu'elle préserve toutes les chances du candidat qui rencontre avec le correcteur un autre pro­fesseur. Les listes témoignent de cette sorte de négociation que mène chaque professeur en conciliant la latitude de ses choix et la nécessité de permettre l'évaluation du travail des élèves le jour de l'examen. En d'autres termes, elles doivent présenter des travaux légitimes, en ce qui concerne le choix des textes, ou les objets d'enseignement plus généraux auxquels leur lecture fait référence. Nous pourrons donc observer comment se constitue cette légi­timité. Elle peut relever de la transposition didactique. C'est ce que montre Chevallard {La transposition didactique). Le savoir scolaire s'appuie sur des contenus élaborés dans le domaine savant. Elle peut relever aussi d'une norme qui fonctionne à l'intérieur de la discipline. Ce deuxième effet peut d'ailleurs se conjuguer avec le précédent.

On s'aperçoit, par exemple, que si la discipline permet l'originalité, il existe aussi un fonds limité de textes fortement récurrents, une sorte de cor­pus minimum ou de dénominateur commun où figurent notamment Dom

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Juan, Les fleurs du mal et Candide... Il n'existe pas véritablement de pro­gramme de lecture qui bornerait les études littéraires de la classe" de pre­mière. La liste des textes qui figure dans les Instructions officielles a valeur indicative, ou incitative. Elle n'est en aucun cas contraignante. Pourtant, le premier phénomène que livre l'étude quantitative de notre corpus est préci­sément la constitution, de fait, d'une sorte de programme officieux, vers lequel les listes de textes convergent dans des proportions qu'il convient d'examiner de façon détaillée, et que structurent des objets de densité et de statut variables : l'œuvre G'auteur), le genre ou le siècle, etc. Ce programme est significativement plus étroit que l'éventail d'exemples proposés par les Instructions. Les listes constituent donc un lieu d'observation des diverses opérations de sélection et de choix dans le continuum des textes et des « problèmes littéraires » possibles qui caractérisent le savoir enseigné dans la discipline.

On voit qu'un certain nombre de paramètres peuvent peser sur l'élabora­tion de ces listes. C'est par là précisément qu'elles nous intéressent.

Le point de départ de notre recherche est, en effet, lié à une innovation introduite par les Instructions officielles de 1983, qui indiquent que l'étude des textes doit être menée à partir de groupements à « cohérence probléma­tique ou thématique ». La formule est d'ailleurs déjà une réponse à la ques­tion que nous nous posons. Le français est, ou doit être, une discipline pro-blématisable (ou, plus exactement, il est conçu comme tel depuis 1983). Antérieurement, en effet, les listes d'oral pour l'épreuve de français présen­taient des textes sans hen nécessaire les uns avec les autres, selon le seul ordre chronologique. Notre interrogation est donc double. Nous avons sou­haité examiner de quelle cohérence (« thématique » et (ou) « pro­blématique ») la discipline était susceptible, et, dans les faits, dans la réalité du fonctionnement de la discipline en classe, quelle(s) cohérence(s), est (sont) mise(s) en œuvre, (et éventuellement comment). La délimitation des objets d'enseignement à un niveau qui n'est pas (ou plus seulement) celui du texte isolé, constitue à n'en pas douter un « problème d'enseignement ». De quel type est la cohérence qui peut être établie ? Quelles peuvent être la nature, et la spécificité, des problèmes que l'on se pose en français ? On peut supposer que la notion de « cohérence problématique », dès lors qu'elle doit être une qualité requise du groupement, un critère, permet du même coup de distinguer des groupements cohérents d'autres qui ne le sont pas, ou même des problématiques pertinentes, d'autres qui ne relèvent pas de la dis­cipline. C'est bien en effet ainsi que les choses fonctionnent dans les Instructions. Un groupement intitulé simplement « la guerre » semble ne pas pouvoir constituer un objet disciplinairement acceptable et les Instructions proposent des exemples de spécification de la notion qui la constituent en problème pertinent sur le plan littéraire (ou au moins disciplinaire) :

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

« On évite les groupements de textes autour de thèmes ou de problèmes d'une généralité indéfinie. On peut en préciser le libellé en jouant, par exemple, sur l'extension de la notion ("la guerre : héros et anti-héros"), sur la perspective historique ("témoignages sur la guerre de 1914-1918") ou littéraire ("la guerre : de l'ironie à l'humour noir") » (1).

L'objet constitué par les listes d'oral pour l'épreuve de français du bacca­lauréat devrait donc nous permettre, par un biais différent de ceux qué. nous avions suivis lors des recherches précédentes (2), de tracer les contours de la discipline, d'observer, chaque fois que cela est possible, et à des niveaux différents, le geste inaugural qui délimite le champ de la pertinence discipli­naire.

Un des aspects déterminants de ce problème est le parallèle établi dans les Textes officiels entre le « problématique » et le « thématique ». Dans l'un et l'autre cas il semble en effet que l'on ait affaire à deux niveaux de cohérence tout à fait différents. Si l'on entend par cohérence thématique celle que l'on introduit en mettant en évidence dans le corpus un ensemble de textes qui traiteraient du même « sujet » (sans préjuger de l'extension de ce sujet, ou de sa nature), on voit alors que la notion de problème, à nous en tenir pour l'instant à une analyse très grossière, relève d'un certain niveau d'organisation, ou de conceptualisation de la discipline, et semble pouvoir se distinguer nettement du problème, au sens aristotélicien, par exemple. Celui-ci repose en effet sur l'énoncé d'une proposition (3), c'est-à-dire sur l'énoncé d'une propriété à propos d'un sujet donné. C'est une proposition soumise à l'assentiment du lecteur ou de l'auditeur. En outre, cette proposi­tion doit avoir une forme interrogative. Le problème est une question. Mais il n'est pas seulement un sujet d'enquête. Le problème laisse le choix entre l'affirmation et la négation de la même proposition (4). Autrement dit, le problème se distingue de la simple interrogation ou du sujet d'enquête en ce qu'il « ne demande pas seulement une réponse mais une démonstration pour chacune des parties de la contradiction » (5). On voit donc que les notions de thème et de problème envisagées sous cet angle sont dans un rapport presque contradictoire. Le thème précéderait le problème dans l'ordre de l'élaboration conceptuelle, ou encore le thème pourrait être un problème mal posé, ou qui n'est pas encore posé, ou que l'on ne peut pas poser. Ceci nous ramène à nos premières remarques. Il n'est pas certain qu'en français on

1. Instructions officielles, 1988, p 30. 2. Cf. B. Veck et al. Production de sens, lire/écrire en classe de seconde, Paris, INRP,

1988 etTrois savoirs pour une discipline, Paris, INRP, 1990. 3. Aristote, Topiques, 14,101 b 34-35. 4. M. Gourinat Guide de la dissertation et du commentaire composé en philosophie,

Paris, Hachette, 1976, p. 16. 5. Alexandre, Commentaire aux Topiques, 256 a 16-17.

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s'occupe de problèmes, ou que l'ensemble de la discipline soit prôblémati-sable. L'un des objectifs de la recherche est d'évaluer la part respective de ces deux modèles d'organisation (thématique vs problématique) du corpus des textes littéraires dans la classe.

Enfin, on peut se demander comment est établie la cohérence fondatrice du groupement. Selon les Instructions officielles, encore une fois, elle ne doit pas être établie a priori :

« Quel que soit le principe de regroupement, ce sont les textes qu'il - s'agit détudier et de confronter. On ne saurait donc les réduire à la fonction de documents illustrant un exposé théorique ni se borner à une pure et simple juxtaposition. » (1)

L'articulation entre la lecture d'un texte et celle de plusieurs textes, dans le mouvement même de la construction d'un groupement, apparaît comme décisive pour la discipline, n est difficilement imaginable que ce travail ne soit pas, pour l'essentiel, le fait du professeur. Dès lors, il peut être intéres­sant d'observer dans quelle mesure les groupements effectivement élaborés par les professeurs sont fixés comme des objets d'enseignement stables, des contenus qui pourraient être identifiés à un siècle, un mouvement, un auteur, etc.

Les listes de textes pour l'oral du baccalauréat présentent les groupe­ments étudiés dans une classe sous une forme observable. Ils sont pourvus d'un titre, généralement accompagnés de « questions d'ensemble », parfois d'indications sur la méthode de lecture qui a été pratiquée, et donnent donc à lire, sous une forme en quelque sorte apprêtée pour l'évaluation, la représen­tation des cohérences possibles, c'est-à-dire des problèmes et/ou des thèmes, qui organisent la discipline.

Nous avons pu constituer un corpus de 585 listes d'oral (2), recueillies au cours de quatre sessions (1987, 1988, 1989, 1990) et réparties sur un assez grand nombre d'établissements et de régions. Les conditions concrètes de la constitution du corpus (la nécessité d'anonymiser les listes, et de faire dispa­raître toute trace concernant leur origine) a rendu impossible la constitution d'un échantillonnage qui aurait tenu compte de paramètres sociologiques, culturels, ou géographiques. Tel n'est pas de toute façon notre propos, ou plus exactement notre objet. Ces listes nous intéressent en tant que reflet d'un certain état du savoir dans la discipline, et non pas en tant que reflet de ce qu'il est possible d'enseigner dans tel ou tel environnement, ou avec tel ou tel public.

1. Instructions officielles, op. cit. 2. Ce corpus fournit 1 233 œuvres intégrales et 1 654 groupements organisant 7 297

extraits.

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

Cet objet, d'abord retenu (et construit) parce qu'il paraissait pouvoir répondre aux objectifs de recherche tels que nous les avons décrits jusque-là, une fois les listes collectées, nous a paru intéressant à plusieurs titres. Le corpus réunit des listes assez nombreuses, et de provenances assez diverses pour offrir une image, une sorte d'instantané, de la discipline, n donne une idée des auteurs qui sont le plus souvent étudiés, des œuvres de ces auteurs qui sont le plus souvent choisies, et, dans les œuvres, des passages sur les­quels on s'arrête en classe. Autrement dit, il donne à observer le travail de sélection et d'élaboration des objets - les thèmes et les problèmes aussi.bien que les textes - auquel se livre la discipline, et au terme duquel un texte est, littéralement, ce que l'on peut appeler un classique.

L'importance du corpus a rendu nécessaire un traitement informatique des données. Les listes ont été dans un premier temps dépouillées et analy­sées de façon à constituer principalement deux fichiers. Un fichier pour les groupements de textes, et un fichier pour les œuvres intégrales.

1. Le fichier « groupements »

Chaque fiche présente d'abord le matériau, à savoir le titre et éventuelle­ment le sous-titre du groupement, la liste des auteurs et des œuvres, et les questions d'ensemble. Sous-titres et questions d'ensemble figurent d'ailleurs dans la même rubrique : nous avons considéré qu'il y avait là en gros le même type de justification de la cohérence du groupement.

Nous avons en outre tenté d'intégrer dans la fiche un jeu de critères qui prépare le traitement des données.

On trouve ainsi, dans les fiches « GROUPEMENTS », une rubrique tempora­lité 1 et un rubrique temporalité 2. Dans le premier cas, trois réponses pos­sibles :

• synchronie : si dans le titre la formulation établit clairement que les textes choisis sont contemporains l'un de l'autre, et que c'est en quelque sorte leur contemporanéité qui fonde le groupement. C'est le cas lorsque l'on a affaire à un groupement qui propose de s'attacher à tel ou tel aspect d'un mouvement littéraire. Nous avons retenu, comme opérateurs de syn­chronie, les références au découpage séculaire, les noms de mouvement lit­téraire, et les noms d'auteur ou d'œuvres ;

• diachronie : si l'on trouve dans le titre la mention explicite d'une suc-cessivité (cf. « la fuite du temps de Ronsard à Apollinaire ») ;

• aucune : si le titre ne contient aucune indication de cet ordre. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, il est toujours possible d'observer si les textes sont dans un rapport synchronique ou diachronique. Cet élément d'analyse est saisi dans la rubrique temporalité 2. Nous sommes parfaitement conscients du caractère nécessairement schématique de cette décision. Mais

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nous avons considéré que c'était là précisément le symptôme du caractère extrêmement problématique de l'élément temporel comme opérateur de cohésion dans un groupement. L'un des problèmes soulevés par l'examen des listes d'oral est celui du fonctionnement du découpage séculaire dans le corpus, ou plus généralement de toutes les opérations de découpages intro­duites dans le corpus pour y faire apparaître des objets homogènes, qui deviennent des objets d'enseignement.

Nous avons également fait figurer deux autres rubriques intégrant des éléments d'analyse, des principes de cohérence utilisés dans les groupe­ments. -. -_

La cohérence d'un groupement peut être formelle et/ou de contenu. Dans les deux cas, on note sur la fiche, dans la rubrique correspondante, l'absence ou la présence d'un critère formel ou de contenu dans les formulations qui délimitent, ou définissent, le groupement. Si l'on a pu mettre en évidence la présence d'un critère formel, deux sous-rubriques permettent de l'analyser partiellement. Dans une rubrique « détermination 1 » on indique à quel domaine du savoir théorique ce critère peut être rattaché, et, dans une rubrique « détermination 2 », en quoi il consiste explicitement. Enfin, dans le cas où le principe de cohérence du groupement repose sur le contenu, on indique dans une sous-rubrique « détermination 3 » les éléments du libellé qui définissent le contenu commun aux différents textes du groupement.

Certaines de ces rubriques n'ont pas été véritablement exploitées au cours du traitement. L'information contenue dans les rubriques analytiques a paru dans la plupart des cas trop peu fiable parce que trop dépendante de l'appréciation des personnes qui se sont livrées au travail de saisie pour pou­voir être exploitable de façon systématique. Nous n'y faisons référence que ponctuellement au cours de tel ou tel chapitre. Il est apparu, en effet, que ce que l'on peut appeler une notion formelle, dans la discipline, reçoit difficile­ment une définition simple. Les notions à caractère formel que l'on utilise en français ne sont pas toutes de même niveau et du même type. Nous en verrons un peu plus loin des exemples à travers l'étude des notions de « genre », ou de « roman ». Les difficultés que nous avons rencontrées à ce niveau dépassent donc le cadre de simples remarques méthodologiques et engagent le fonctionnement de la discipline. Force est de constater que la question du statut des notions formelles dans la discipline reste pendante au terme de cette recherche. Elle constitue un objet que nous avons vu progres­sivement émerger au cours de notre travail et que nous nous proposons d'aborder de façon plus directe à travers la mise en place d'un observatoire annuel des listes d'oral du baccalauréat.

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2. Le fichier « œuvres intégrales »

Chaque fiche contient la liste des passages qui ont fait l'objet d'une explication en classe et celle des questions d'ensemble qui ont été abordées au cours du travail sur l'œuvre en question, telles qu'elles sont formulées sur la liste.

L'énormité du corpus (1 233 occurrences d'« œuvres intégrales »), la richesse et la diversité de l'information nous ont amenés à opérer des choix. Nous avons tenu à couvrir l'ensemble du découpage séculaire. On trouvera donc des études portant sur chacun des siècles de l'histoire littéraire, dju XVIe au XXe siècle. Cependant, tous n'ont pas été traités de façon identique. Le XIXe siècle est essentiellement saisi à travers des notions génériques, le roman et la poésie. Alors que c'est plutôt l'entrée « auteur » qui est apparue comme pertinente pour les XVIe et XVIIe siècles. Le XVIIie, quant à lui, présente un mode d'organisation spécifique, plus thématique. La discipline paraît en effet organisée par des notions (genre, siècle, auteur, « thème » ou « problème ») de statuts différents, et qui surtout ne se répartissent pas de façon homogène sur l'ensemble du corpus pour constituer des objets d'enseignement.

Ce panorama séculaire des modes de cohérence est précédé d'une ana­lyse des notions qui, au niveau le plus général, découpent et organisent le corpus : les notions de genre et de siècle, et leurs modes de relation spéci­fiques.

LES MODES DE COHÉRENCE DISCIPLINAIRE

La notion de thème

Nous faisons, à la suite de Chevallard (1), l'hypothèse que les notions de « thème » et de « problème » prennent sens dans l'enseignement si on les analyse à d'autres niveaux de savoir, notamment en tentant de constituer leur généalogie : où, dans quel ensemble conceptuel et procédural, ces notions ont-elles cours ailleurs qu'à l'école ?

1. Y. Chevallard, La transposition didactique, op. cit.

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n apparaît tout d'abord que si le concept de « problématique » est com­mun à un vaste ensemble de champs scientifiques, celui de « thématique », même s'il a cours ailleurs, a une identité forte dans la discipline littéraire, où il appartient à une zone précise des savoirs de référence. C'est lui que nous avons choisi d'examiner.

Notre analyse portera sur le concept dans les savoirs de référence et dans le savoir à enseigner (Instructions officielles et manuels) : c'est entre ces deux espaces que Chevallard situe la transposition didactique stricto-sensu.

Savoirs de référence

Ce qui, dans les Instructions officielles, apparaît sous forme d'adjectif (« thématique »), renvoie au substantif « thème », qui peut prendre le sens de « ce dont on parle », auquel on préférera, dans le cadre de cette étude, une définition empruntée à Smekens (1) : le thème est « un élément textuel gui se répète à travers un texte ou un ensemble de textes ». À partir de là, selon la place et le rôle accordés au phénomène en question, deux directions se dessinent, qui révèlent deux approches différentes des textes :

1. le thème peut être compris comme externe au texte, déterminant un contenu qui le traite explicitement, provenant d'un genre, de l'« esprit » ou de la sensibilité d'une époque, voire d'un lieu commun hérité des topoï de la rhétorique ancienne ;

2. une autre orientation fait du thème la manifestation, interne au texte comme un trait de style latent (il appartient alors, en termes hjelmsleviens, à la forme du contenu), d'une sensibilité, d'un imaginaire individuels : il relève en ce cas d'une esthétique romantique et post-romantique de l'œuvre d'art.

La première orientation peut trouver une origine emblématique dans l'analyse que fait Lessing des théâtres de Voltaire et de Shakespeare (2), comparés par exemple à partir du traitement qu'ils présentent du thème de la passion. Elle initie, historiquement, les études relevant de la littérature com­parée. La seconde orientation trouverait un illustre point de départ dans l'analyse proustienne de la thématique des lieux élevés dans l'œuvre de Stendhal (3), et se réalise pleinement dans un certain nombre de travaux ras­semblés sous le nom de « nouvelle critique » à partir des années cinquante

1. in Méthodes du texte, Delcroix et Hallyn dir., Bruxelles, Duculot, 1987. 2. G. E. Lessing : Hamburgische Dramaturgie, in Werke, Zurich, Stauffâcher, 1965, T.

IV,pp.64-70et81:82. 3. M. Proust : À la recherche de temps perdu, Paris, Gallimard, 1954, T. lu, p. 377.4.

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du XXe siècle (1). Mais c'est sans doute sur le plan méthodologique que les deux voies que nous venons d'évoquer schématiquement entraînent les conséquences les plus importantes : dans le premier cas, la thématologie rapporte des ensembles textuels à un thème déterminé avant l'analyse. Dans le second, la thématique pose les thèmes comme éléments à découvrir dans les textes au terme de l'analyse.

Le thème, dans les études savantes (universitaires), possède donc .deux acceptions nettement différenciées conceptuellement et procéduralement. Comment les Instructions officielles se situent-elles par rapporta ce clivage ?

Instructions officielles

Nous avons travaillé sur un corpus comprenant les Instructions de 1983, relatives à l'organisation du Baccalauréat, celles de 1987 (classe de seconde), celles de 1988 (classe de première) (2). Un souci explicite de cohérence anime les trois ensembles. Celle-ci doit caractériser aussi bien la formation des maîtres que l'enseignement et les contenus (qu'il s'agisse des textes, des œuvres, ou des groupements de textes).

Ainsi, les Instructions de première (1988) précisent-elles : « L'intérêt des groupements de textes selon une cohérence thématique ou problématique est qu'ils permettent de rassembler et de mettre en relation des textes et d'éviter l'étude defragments isolés » (3).

Ici, le groupement de textes réalise le principe de cohérence requis par un nouvel état de la discipline, et tend à remplacer une cohérence antérieure, organisée à partir de l'histoire littéraire : l'axe chronologique qu'elle propo­sait permettait en effet de relier les textes entre eux (fût-ce des « fragments

1. Sous ce titre général, on peut retenir les travaux suivants : - G. Poulet : Études sur le temps humain, Paris, Pion, 1950-1968. - J.-P. Richard : Poésie et profondeur, Paris, Éditions du Seuil, 1955 ; L'univers imagi­

naire de Mallarmé, Paris, Éditions du Seuil, 1961 ; Onze études sur la poésie moderne, Paris, Éditions du Seuil, 1964 ; Paysage de Chateaubriand, Paris, Éditions du Seuil, 1967 ; Proust et le monde sensible, Paris, Editions du Seuil, 1974.

- J. Rousset : La littérature de l'âge baroque en France, Circé et le paon, Paris, Corti, 1953 ; Forme et signification, essais sur les structures littéraires de Corneille à Claudel, Paris, Corti, 1962 ; L'intérieur et l'extérieur, essai sur le théâtre et la poésie au XVIIe siècle, Paris, Corti, 1968 ; Leurs yeux se rencontrèrent, la scène de première vue dans le roman, Paris, Corti, 1984. Ces diverses approches thématiques trouvent un précurseur en G. Bachelard.

2. Les Instructions de seconde, première et terminale sont rassemblées dans une brochure (n° 001F6057), Paris, CNDP, 1988. les Instructions définissant l'épreuve anticipée de fran­çais du baccalauréat ont été publiées au Bulletin officiel n° 27 du 7 juillet 1983.

3. Op. cit., p. 29.

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isolés »), en termes de causes et de conséquences, de sources'et d'in­fluences, de pré - et de post -, l'axe biographique, pour sa part, rapportant chaque texte à un auteur, lui-même inscrit dans le temps des écoles, des genres et de l'histoire.

Avec l'émergence de nouveaux modes de lecture Oectures immanentes), des travaux de la nouvelle critique, de nouvelles revendications des associa­tions de spécialistes Q'Association Française des Enseignants de Français, notamment, qui a milité tout au long des années soixante-dix pour l'étude d'oeuvres intégrales) (1) se creuse un écart entre un enseignement de la dis­cipline structuré par l'histoire littéraire et, d'une part, un nouvel état des savoirs fondés désormais (pour ce qu'ils ont de plus actif) sur la linguistique et les disciplines qui en dérivent, d'autre part une demande, formulée par les spécialistes, de promotion de l'œuvre organique comme objet d'enseigne­ment, opposée à l'étude de « fragments isolés ».

La nouvelle orientation des études littéraires que l'on peut percevoir à la lecture des récentes Instructions officielles est à situer dans ce contexte comme une réponse tenant compte à la fois du renouvellement des savoirs de référence et de la demande d'authenticité pédagogique.

Mais l'étude d'œuvres intégrales ne va pas sans soulever des difficultés : sur le plan didactique, les finalités patrimoniales de la discipline (donner aux élèves une idée suffisante des grands auteurs, des grandes œuvres de la litté­rature française) se heurtent au problème quantitatif : faut-il étudier intégra­lement par exemple La légende des siècles ou VEncyclopédie pour initier les élèves à ces œuvres ? Deux réponses s'offrent scolairement à la question : renoncer, ou recourir aux « extraits ».

D'autre part, d'un point de vue chronogénétique, l'étude de l'œuvre inté­grale risque de provoquer un piétinement qui remet en cause le moteur même de l'avancée du savoir, qui s'effectuait par le passage d'un texte à l'autre, et d'un siècle à l'autre, du XVIe au XXe, selon une progression chro­nologique.

Enfin, se pose le problème de l'évaluation (notamment à l'examen) des compétences de l'élève relatives à une œuvre intégrale en tant que telle, et, corollairement, la question des outils à transmettre pour maîtriser l'analyse d'une œuvre intégrale.

En réponse à ces difficultés, les Instructions maintiennent, à côté de l'étude préconisée d'œuvres intégrales, celle des extraits sous forme de groupements, et mettent en place une cohérence valable dans les deux cas.

1. On se reportera sur ce point à la collection de la revue de l'AFEF, Le français aujourd'hui.

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

L'histoire littéraire est bien conservée comme un cadre dans les pro­grammes d'oeuvres « conseillées », organisés par siècles et par auteursrMais les principes de la « lecture méthodique » remettent en cause la relation mécaniste œuvre-auteur, et l'histoire est d'autre part présentée comme devant être lue dans les manifestations textuelles : on passe d'une histoire comme principe externe d'organisation et d'explication à une histoire ins­crite dans les textes mêmes (qu'il s'agisse des codes culturels d'une époque ou des particularités stylistiques de l'œuvre) (1).

- Face à une histoire qui change de statut dans l'enseignement de la littéra­ture, et qui ne prétend plus jouer le rôle d'axe organisateur dominant, le principe de cohérence est assuré par la notion de thème.

* Au niveau du texte, est recommandée l'étude de l'« organisation des formes, de leur dynamisme », selon des principes de convergence et de divergence, ce qui se rapproche de la constitution des « motifs » par les études thématiques ; la lecture se définit aussi comme « exploration (...) de ce que ne dit pas, en clair, le texte » (2), ce qui revient, au moins pour partie, à la recherche des significations latentes telle que la pratiquent encore les études thématiques (par exemple celles de J.-P. Richard) (3).

* Au niveau de l'œuvre (intégrale), sont préconisées les « recherches thé­matiques ou problématiques », ce que les Instructions précisent par les « aspects techniques de la création » qui renvoient ainsi, par exemple, à la narratologie (celle, particulièrement, promue par G. Genette), et par l'« uni­vers imaginaire » (relevant de la terminologie de J.-P. Richard), concept explicité en « motifs, mythes, archétypes » (4). Deux approches coexistent ici, dans le savoir à enseigner, qui ont été souvent en contradiction au niveau savant (cf. G. Genette reprochant aux études thématiques, à travers J.-P. Richard, de laisser échapper les structures de l'œuvre et le travail d'écriture, la « poéticité » (5) de l'œuvre).

1. Instructions officielles, op. cit., p.16 : « C'est surtout dans le tissu du texte que l'on trouve les marques et les signes de l'histoire. En interrogeant la représentation et l'interpré­tation explicites ou implicites que l'écrivain donne de la réalité historique et sociale, l'on peut mettre en évidence une signification de l'œuvre, dont l'écrivain lui-même pouvait ne pas avoir conscience. »

2. Instructions, op. cit., p. 18. 3. Cf. le titre de sa thèse : L'univers imaginaire de Mallarmé. 4. Instructions, op. cit., p. 30. 5. G. Genette : « Bonheur de Mallarmé ? », in Figures, Paris, Éditions du Seuil, 1966, pp.

91-100, et notamment p. 93 : « (...) cette lecture si précieuse et si enrichissante n'est pas sans provoquer en même temps une sorte de déception dont on donnerait une idée brutale et sans doute excessive en disant que dans ce tableau de l'imagination mallarméenne quelque chose se dérobe ou manque à apparaître, qui est la poésie, ou plus précisément le travail poétique de Mallarmé (...) ».

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LECTURE I ÉCRITURE

L'œuvre, enfin, est à étudier dans sa spécificité et dans sa relation avec d'autres œuvres, françaises ou étrangères (1) : si des relations stylistiques peuvent être établies entre œuvres de langue française, seules des relations thématiques, situées au plan du signifié, peuvent permettre la mise en rela­tion entre œuvres françaises et œuvres étrangères, même traduites.

* Au niveau des groupements de textes, la cohérence thématique n'est pas citée comme principe fédérateur, puisque les Instructions énumèrent à ce titre « une modalité d'écriture ; les lois d'un genre ; l'évolution d'un auteur ; les rapports entre littérature, arts, civilisation » (2) ; c'est par le biais d'une mise en garde que se révèle l'importance prise de fait par l'orga­nisation thématique des groupements de textes.

Les Instructions de seconde (1987) indiquent : « le professeur s'attache à les (les textes) rassembler et à les mettre en relation dans des groupements à cohérence thématique ou problématique qui ne sont ni factices ni arbi­traires » (nous soulignons) (3). Les Instructions de première (1988) repren­nent un motif analogue : « On évite les groupements de textes autour de thèmes ou de problèmes d'une généralité indéfinie (nous soulignons), et donnent des exemples de spécifications possibles à propos du thème, que nous avons évoqué supra, de la guerre (4).

n est révélateur que l'exemple soit donné à partir d'un thème, non d'un problème. Les Instructions mettent l'accent sur le danger que peut faire cou­rir une thématologie comprise comme principe fédérateur de textes autour des lieux communs les plus rebattus. L'usage scolaire de la notion de thème demande une étude approfondie, mais la possibilité de cet usage même ne va pas sans soulever des questions didactiques importantes.

La difficulté concerne les places respectives du maître et de l'élève par rapport au savoir. On peut la préciser à partir des nuances qui apparaissent dans les Instructions : celles de seconde, citées supra, précisent que c'est « le professeur (qui) s'attache à rassembler (...) » ; dans ce cas, le thème est pré­déterminé par l'enseignant, selon la perspective des études thématolo-giques ; le rôle de l'élève consistera à vérifier la présence du thème dans les textes proposés, qu'il situera par rapport à celui-ci, et la méthode de lecture utilisée n'interrogera pas la façon dont le thème se constitue.

Quant aux Instructions de première, elles énoncent clairement : « // va de soi qu'une signification n'est pas donnée ni à donner d'avance, qu'une interprétation se cherche et se construit dans le contact permanent avec le

1. Instructions, op. cit., pp. 30-31. 2. Ibid., p. 30. 3. Ibid., p. 17. 4. Ibid., p. 30.

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Les listes d oral de l'épreuve de français du baccalauréat

texte (...) » (1) ; les thèmes font partie des « significations », mais Ici, la perspective est plutôt celle des études thématiques et débouche sûr une méthode grâce à laquelle l'élève est amené à découvrir et à construire les thèmes dont la signification ne sera révélée qu'au terme de l'analyse. Une nouvelle mise en garde précise encore cette seconde orientation : « quel que soit le principe de regroupement, ce sont des textes qu'il s'agit d'étudier et de confronter. On ne saurait donc les réduire à la fonction de documents illustrant un exposé théorique » (2). Le retour aux textes, à leur analyse, ne peut se contenter d'un regroupement sous un titre thématique décidé avant la lecture. Dans ce dernier cas, que le thème soit un topos étiquetant l'éternité de la nature humaine, ou une « idée générale » réduisant la littérature à une sorte de pensée en images, la discipline court le risque d'apparaître comme philosophie au rabais ou comme résurgence d'une rhétorique éculée.

Avec la nécessité d'une cohérence se fait jour celle d'un choix entre les deux acceptions de la notion de thème, dont l'enjeu ne relève pas seulement de la terminologie : il y va du statut de la discipline et de la relation au savoir qui s'établit par elle ; l'enseignement n'est pas le même, selon qu'il choisit une pente ou l'autre induite par le sens donné à « thème », selon qu'il amène les élèves à vérifier ou à construire. L'importance de la notion pour le travail en classe se confirme avec l'analyse des manuels scolaires, dans les­quels elle a provoqué les remises à jour les plus significatives.

Un manuel

Les manuels, tout en appartenant au même espace (savoir à enseigner) que les Instructions, s'en distinguent et entretiennent avec elles un rapport d'interprétation. Ils développent les consignes officielles, non pas au sens où ces dernières demanderaient à être clarifiées, mais au sens où dans les manuels elles prennent corps dans un texte qui sera pour un temps le texte du savoir. La discipline, constituée à l'état de projet dans les Instructions, est ici organisée dans un système de notions qui fixent (provisoirement) son contenu épistémologique. La notion de thème, par exemple, est proposée dans les Instructions comme outil possible pour le travail sur les textes, mais ce sont les manuels qui vont construire la notion (en actes) et lui donner un contenu pédagogiquement opératoire.

Le manuel que nous avons choisi d'observer est celui qui traite des XVIe

et XVIIe siècles publié aux éditions Magnard par C. Biet, J.-P. Brighelli et J.-L. Rispail (3). Ce manuel est apparu, dès sa publication, comme un

1. Ibid., p. 31. 2. Ibid, p. 30. 3. Biet, C. ; Brighelli, J.-P. ; Rispail, J.-L. : XVIe, XVIIe siècles, Paris, Magnard, 1987.

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LECTURE I ÉCRITURE

manuel thématique ; il a été notamment le premier à répondre aux nouvelles exigences concernant les épreuves du baccalauréat, qui recommandaient que les textes ne soient plus étudiés à l'état de fragments isolés (les morceaux choisis du « Lagarde et Michard », par exemple), mais dans des groupe­ments « à cohérence thématique ou problématique ». La nouveauté du manuel, outre qu'il tente de répondre aux prescriptions officielles, réside en ce qu'il fait des notions de thème et de problématique littéraire des facteurs organisant de façon nouvelle les objets d'enseignement.

Dans un état antérieur de la discipline, les textes apparaissaient, dans les manuels, rangés selon l'ordre chronologique, et accompagnés d'un paratexte critique constitué par la biographie des auteurs et des notices sur leurs œuvres et les grands mouvements littéraires. La lecture d'un texte était alors conçue en relation avec la vie de l'auteur et avec l'histoire littéraire. Avec le « Magnard » changent la méthode de lecture, ses enjeux et ses objectifs. Le texte doit désormais être lu à travers le(s) thème(s) qui le caractérise(nt), et qu'il partage avec un groupe variable d'autres textes.

Mais la nouvelle organisation du savoir ne chasse pas tout à fait l'an­cienne ; il en subsiste des traces, caractéristiques du « renouvellement cumu­latif » dont notre discipline offre maint exemple.

Les chapitres du manuel que nous étudions sont organisés autour d'un texte-noyau, en regard duquel sont disposés d'autres textes susceptibles d'éclairer le premier et de favoriser son interprétation. Un texte donné est donc toujours inséré dans un groupe de textes, en relation avec lesquels il doit être lu.

Qu'est devenu le rapport du texte à son auteur ? La notice biographique a disparu : l'opération consistant à donner un texte à lire dans un contexte d'extraits contemporains ou non et d'articles critiques qui « dialoguent » avec lui, s'est accompagnée d'une décontextualisation biographique. Il n'en subsiste qu'une trace écrite minimale, nom de l'auteur et titre de l'œuvre, qui figurent sur la bande titre du chapitre.

La mise en perspective historique des textes n'a pas tout à fait disparu, us sont désormais rangés par ordre alphabétique d'auteurs à l'intérieur de grands blocs qui découpent par exemple la partie XVIe siècle du manuel en trois périodes : des guerres d'Italie à l'avènement de François 1er ; le règne de François 1er ; de l'avènement d'Henri II à la mort d'Henri IV. L'histoire littéraire a perdu le caractère de linéarité régulière qui faisait coïncider mira­culeusement le découpage du corpus littéraire et la périodisation séculaire. Il existe en effet une identité scolaire de la littérature du XVIe siècle, du XVIIe, etc., que chaque volume des collections de manuels d'une génération antérieure s'attachait à restituer, et qui était présupposée par chacun des volumes. Le « Magnard », en revanche, nous donne à lire en un seul volume la littérature des XVIe et XVIIe siècles jusqu'en 1661, date de la prise du

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

pouvoir par Louis XIV ; la période ainsi définie est constituée en un bloc historique signifiant sur le plan littéraire. Le découpage du corpus n'Sst pas un geste sans conséquence, et, d'un système à l'autre, définit des objets dif­férents.

La dimension historique, dans le « Magnard », est plus discrète que chez ses prédécesseurs : elle n'est plus Taxe qui gouverne la lecture. Moins linéaire, moins régulière, elle est aussi à certains égards plus autonome. Les blocs signifiants sur le plan de la discipline, les moments charnières, ne sont pas ceux (en tout cas pas tous ceux) de l'histoire tout court. Ainsi, à la borne historique constituée par la prise du pouvoir par Louis XIV en 1661, s'ajoute celle qui va faire sens sur le plan littéraire Oa première n'étant juste­ment que l'arrière-plan de la seconde) : la naissance du mythe de Dom Juan « considéré comme le testament d une certaine noblesse frondeuse, éprise de panache et d'indépendance, que Louis XIV va soumettre à la raison d'Etat. » (1).

Dans la structure du manuel, la notion de thème apparaît à plusieurs niveaux.

* Elle peut fonder ou justifier le rapprochement de textes différents dans un même chapitre (écrits par des auteurs à des époques ou dans des langues différentes). Le thème tend par là à devenir à la fois le fondement de la méthode de lecture qui devient du coup comparative (cf. à l'université la lit­térature comparée) et l'unité minimale du savoir disciplinaire (« Aujour­d'hui, nous allons étudier le thème de la femme dans Les fleurs du mal de Baudelaire... ») contre le morceau choisi dans l'état antérieur de la disci­pline.

* Elle peut introduire le questionnement ; un groupement de textes autour des « Stances du sommeil » de Desportes est introduit par le titre « écriture/ insomnie ». Le thème est alors un peu plus que le lieu de la com­paraison des textes entre eux, il est aussi celui de leur problématisation.

* L'aspect essentiel du dispositif se situe dans l'index thématique, qui regroupe, à la fin du volume, thèmes, genres et mouvements. Il établit des connexions différentes et surtout plus nombreuses que celles qui sont propo­sées dans les chapitres. Nous avons tenté d'établir schématiquement le trajet de lecture possible à partir d'une entrée de l'index ; l'actualisation dans les pratiques de classe d'un tel schéma est sans doute fort improbable, mais il n'en reste pas moins que ce parcours, tout théorique qu'il soit, renseigne sur la visée disciplinaire du manuel.

l .Op. cit., p. 4.

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LECTURE I ÉCRITURE

L'entrée « éducation » renvoie à un certain nombre de textes dispersés dans des chapitres eux-mêmes constitutifs d'unités thématiques. ~

1. Montaigne : a) Essais, III, 6 (« Des coches ») —» récits de voyages b) Essais, I, 23 (« En ce monde des Indes nouvelles... ») —» récits de

voyages c) « Au lecteur » d) Essais, III, 9 (« De la vanité ») —» parler de soi e) Essais, 1,25 (« À la mode de quoi nous sommes instruits... ») ï) Essais, 1,26 (« De l'institution des enfants »).

2. Rabelais : Gargantua, chap. LVII (« Comment était réglée la vie des Thélémites ») -> le rêve utopique

3. Thomas More : L Utopie, livre 2nd -» /e rêve utopique

4. Charles Sorel : Histoire comique de Francion, livre 4e (« Figurez-vous de voir entrer Fran-cion en classe... sans vous en reprendre. »)

5. Jules Vallès : LInsurgé, chap. I.

À quoi s'ajoutent deux sous-thèmes : éducation de la femme et éducation paysanne, lesquels à leur tour regroupent des textes éventuellement saisis à travers d'autres thèmes ou sous-thèmes, par exemple femme-auteur, femme menacée, femme précieuse et féministe... Le système de relations arbores­centes que nous amorçons ici se poursuit bien au-delà ; chaque texte à n'importe quel niveau du groupement thématique peut être appelé par d'autres thèmes figurant dans l'index. Un parcours exhaustif des réseaux qui se tissent de cette façon est à peu près impossible. Corollairement, il est vir­tuellement possible de mettre en contact à quelque degré tous les textes du corpus. Ce type d'organisation ne répond pas seulement à un souci de com­modité pédagogique, permettant par exemple au professeur de varier les groupements thématiques qu'il propose chaque année à l'étude. Le manuel, considéré sous cet angle, affirme une image du monde littéraire qui rejoint en gros celle de la bibliothèque borgésienne. Mais, sur le plan notionnel, qui nous intéresse d'abord ici, tout se passe comme si l'instrument de ces rela­tions s'annulait progressivement au fur et à mesure que le réseau gagne en étendue. Que reste-t-il du thème en tant que lieu de comparaison et outil d'analyse, lorsqu'il nous a fait voyager de Y éducation (Montaigne, Rabelais...) au Leviathan (Kant, Locke, Tocqueville...) via éducation pay­sanne et guerre, et une dizaine d'auteurs répartis du XIVe au XIXe siècle ? La notion s'effondre sur elle-même à mesure qu'elle se déploie et s'annule dans l'excès de sa puissance.

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

Les ambiguïtés du « thème » dans le savoir de référence, les diverses interprétations qu'autorise la notion dans le savoir à enseigner, cette richesse qui peut s'avérer fragilité, se retrouvent dans les pratiques d'enseignement, îles effets de la transposition peuvent s'observer très précisément dans la situation où le savoir scolaire s'apprête en vue de l'évaluation.

La notion de thème, introduite à la place (ou à côté) de notions plus anciennes dans le système d'enseignement, tend à occuper une place diffé­rente et à remplir d'autres fonctions que celles qui étaient les siennes dans son lieu d'origine, compte tenu des contraintes spécifiques qu'elle rencontre en pénétrant dans l'univers didactique : ici, l'histoire littéraire, qui consti­tuait en quelque sorte l'épine dorsale de renseignement de la littérature, transmet sa fonction de cohérence à l'organisation thématique quand celle-ci la remplace ; le thème devient ainsi une notion pratique qui change de sens en franchissant le seuil de l'école ; d'outil épistémologique, le thème devient prioritairement moyen de regroupement et court le risque de ne pas suppor­ter une telle conversion, de voler en éclats et de s'annuler pour devenir, en perdant sens, un objet passe-partout.

Pour autant, l'organisation disciplinaire ne se limite pas à une alternative macrostructurelle ; thématique et histoire littéraire peuvent se combiner, et des notions comme celles de « genre » ou de « siècle » permettent égale­ment de conférer aux textes une place et une identité disciplinaires. C'est elles que nous aborderons maintenant.

Les procédures de catégorisation

Les questions auxquelles nous nous proposons de répondre pourraient être formulées de la façon suivante. Qu'est-ce qu'un genre dans le savoir scolaire ? Qu'est-ce qu'un siècle de l'histoire littéraire ? À partir de quel type de critères sont constituées ces notions fondamentales dans la disci­pline?

Nous partirons d'un constat. Ces notions, dans le savoir scolaire, ne sont pas exactement au même niveau que les autres concepts de la discipline. Elles renvoient à des opérations de catégorisation et de découpage du corpus très apparentes, par exemple dans les manuels, qui, très généralement, adop­tent le découpage séculaire, et construisent (ou postulent) une identité litté­raire distincte de chaque siècle.

Dans les listes, à ce découpage séculaire, s'ajoute un découpage géné­rique, puisque chaque liste doit présenter des œuvres appartenant aux trois grands genres traditionnels (roman, poésie, théâtre) et à la « prose d'idées ».

C'est donc en tant qu'elles imposent les opérations de catégorisation par lesquelles le corpus est saisi, organisé en une série d'objets enseignables, que ces notions nous intéressent.

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LECTURE I ECRITURE

Il va de soi que le corpus que nous avons réuni nous amène à Taire des choix dans les matériaux que nous pourrions observer pour analyser le fonc­tionnement dans la discipline des notions dont nous parlons. Le corpus des extraits qui figurent dans les groupements est évidemment informé par des notions d'un type différent La cohérence des groupements est en effet fon­dée, selon les termes des Instructions officielles, sur des critères thématiques ou problématiques. Il nous paraît donc méthodologiquement mieux fondé d'observer le fonctionnement des catégories de genre et de siècle, dans le corpus des œuvres intégrales qui figurent dans les listes.

Le découpage séculaire

La répartition des œuvres par siècles est donc une des données fonda­mentales de la pratique (de la lecture) de la littérature au lycée. La plupart des manuels disponibles sur le marché proposent bien en effet cette lecture « historique » du corpus littéraire. Mais il semble que l'hégémonie de ce dis­positif traditionnel soit actuellement menacée.

L'existence (ou l'exigence) d'une lecture disciplinaire qui construirait autrement, ou plutôt qui situerait ailleurs, au plan des problématiques et des thèmes (1), les principes de cohérence de la lecture des textes, c'est-à-dire non pas seulement de la lecture d'un texte, mais de la lecture de plusieurs textes ensemble, cette exigence, donc, constitue un modèle différent, et à certains égards contradictoire du modèle historique. La cohérence discipli­naire peut être assumée par l'histoire littéraire, si on lui reconnaît le rôle d'axe structurant qui fut le sien à une époque antérieure. Le manuel de Lagarde et Michard est un bon témoin de cet âge désormais partiellement révolu.

Mais avec la généralisation de ces nouveaux objets disciplinaires que sont les groupements à cohérence « problématique ou thématique », d'autres possibilités (ou d'autres formes) de cohérence disciplinaire se font jour, et nous avons analysé supra comment certains manuels font jouer, au moins du côté des groupements, à un nombre plus ou moins grand de « thèmes » ou de « problèmes », ce rôle organisateur de la discipline qui était jusque là dévolu à l'histoire littéraire. En ce qui concerne les œuvres intégrales, en revanche, une des notions qui jouent un rôle dans l'organisation du corpus sur le plan historique est la notion de « siècle ». Il s'agit là évidemment d'une notion proprement scolaire. L'identité séculaire d'un texte, ou d'un auteur, pose toutes sortes de problèmes ; on ne voit pas très bien ce qu'elle signifie au plan théorique, mais c'est précisément parce qu'il s'agit d'une

1. Instructions officielles, BO n° 27 du 7 juillet 1983.

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

notion qui fonctionne encore comme un principe fort de classement des textes au lycée qu'elle nous intéresse, et qu'elle nous paraît pertinente pour notre étude.

Elle joue, par exemple, un rôle tout à fait intéressant dans les Pro­grammes officiels, qui recommandent l'étude des œuvres des XVIe et XVIIe

siècles en classe de seconde, et celle des œuvres du XVIIIe en classe de pre­mière. Les œuvres des XIXe et XXe siècles se répartissent sur les deux niveaux. Cette distribution n'est cependant pas absolue ; les Instructions pré­voient par exemple que certaines œuvres particulièrement difficiles de la lit­térature du XVIe ou du XVIIe siècle doivent être partiellement réservées pour la classe de première (Montaigne et Pascal).

n ressort néanmoins, de cette répartition à grands traits des œuvres du corpus, que les catégories séculaires ne sont pas, dans le savoir scolaire, en l'occurrence dans le savoir à enseigner, des catégories seulement descrip­tives.

La distribution du corpus construit ipso facto une progression, et tend à situer les œuvres entre elles dans un rapport de plus ou moins grande com­plexité, de plus ou moins grande difficulté, ou d'adéquation à la maturité des élèves concernés.

La progression chronologique, qui ne peut être comprise comme un pro­grès si l'on considère le corpus en lui-même, devient cependant un « moteur » de l'enseignement. Tout se passe comme si, en passant de la seconde à la première, on dépassait certains objets de savoir.

Une fois esquissé le rôle de cette répartition « séculaire » dans le savoir à enseigner, on se propose d'observer ce qu'il en advient dans le savoir ensei­gné, en fin de première.

La répartition par siècles des œuvres intégrales lues en classe, telle que la révèlent les listes d'oral de notre corpus, livre les chiffres suivants :

Tableau A : nombre de titres différents d'œuvres intégrales par siècle XVIe

XVIIe

XVIIIe

XIXe

XXe

siècle : siècle : siècle : siècle : siècle :

4 23 22 66

136

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LECTURE I ÉCRITURE

Tableau B : nombre d'occurrences des titres d'œuvres intégrales par siècle

XVIe

XVIIe

XVIIIe

XIXe

XXe

siècle siècle siècle siècle siècle

Le nombre de titres différents par siècle met en évidence au premier abord la dispersion de plus en plus grande du corpus scolaire au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'époque contemporaine. En d'autres termes, les œuvres lues en classe sont d'autant moins variées ou diverses qu'il s'agit d'une littérature plus ancienne.

n faut au passage, et à la première lecture de nos résultats, faire un sort à un préjugé tenace, selon lequel on ne lirait pas suffisamment les œuvres du XXe siècle en classe de français. On voit de quelle nature est le débat sou­levé. L'école serait conservatrice, coupée en l'occurrence de la littérature « vivante ». Les enjeux de ce débat dépassent largement les limites d'une étude de ce genre, mais les premiers résultats de notre enquête peuvent per­mettre au moins d'établir quelques faits utiles, aptes à nourrir la réflexion sur ce thème : il n'est pas (ou plus) exact de dire que l'on ne lit pas les œuvres du XXe siècle en classe de français.

Ce sont au contraire les œuvres les mieux représentées dans notre corpus, par leur diversité, mais aussi au plan strictement quantitatif, puisque plus de 33 % des œuvres intégrales sont des œuvres du XXe siècle, contre 0,8 %, par exemple, pour les œuvres du XVIe.

L'étude de ces dernières paraît en forte régression. À cela on peut tenter d'apporter quelques explications :

I. la lecture d'une œuvre intégrale du XVIe siècle se heurte sans doute à une difficulté de la langue qui, si elle n'entrave pas trop la lecture d'extraits ou de textes courts, devient rédhibitoire s'il s'agit de lire un texte long ;

IL les textes de la littérature du XVIe siècle sont réservés spécifiquement (sauf Montaigne) au programme de la classe de seconde. La lecture d'une œuvre intégrale du XVIe siècle en première, dans la mesure où elle engage le travail de la classe sur le long terme, paraît difficilement compatible avec cette disposition. Notons qu'un obstacle de ce genre (s'agissant toujours de la classe de première) est beaucoup moins sensible s'il s'agit d'étudier des textes isolés et plus courts, qui peuvent toujours entrer, dans un groupement, en rapport avec d'autres textes, éventuellement d'époques différentes.

1. Les pourcentages représentent le nombre d'occurrences de titres d'œuvres intégrales pour un siècle donné référé au nombre total d'occurrences de titres d'œuvres intégrales.

244 |

10 (0,8 %) 246 (19,9 %) 225 (18,2 %) 335 (27,1 %) 417 (33,8 %) (1)

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

Dans ce contexte, les XVIIe et XVIIIe siècles présentent une physiono­mie particulière. On lit un nombre encore restreint de titres différents : 23 pour le XVIIe siècle, 22 pour le XVIIIe. Mais le nombre d'occurrences correspondant à ces titres est très élevé : 246 pour le XVIIe et 225 pour le XVIIIe siècle.

À partir de ces exemples, on peut mesurer la distance qui sépare des objets scolaires de densité très variable.

Un bon indicateur de cette « densité » pourrait être le rapport entre le nombre de titres et le nombre d'occurrences (b/a). Pour le XVIe siècle ce rapport est égal à 2,5, pour le XVIIe à 10,6, pour le XVIIIe à 10,2, pour le XIXe à 5,07, et pour le XXe à 3,06.

Lorsque le rapport b/a tend vers 1, on se rapproche du cas où une œuvre est lue une seule fois dans les classes que représente notre corpus. Lorsqu'il augmente, il représente un accroissement de la fréquence de lecture d'une œuvre. Le rapport b/a permet donc de décrire le phénomène de constitution d'un corpus de « classiques » par l'école.

En effet, le professeur qui fait lire une œuvre du XXe siècle dispose manifestement d'une plus grande latitude dans ses choix que pour une œuvre des XVIIe et XVIIIe siècles.

Le corpus des œuvres du XXe siècle n'est potentiellement pas limité. On peut dire également qu'il n'est pas organisé de la même façon.

Constater que les œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles figurent à la fois en nombre restreint de titres et en nombre élevé d'occurrences, c'est constater un consensus plus important en faveur de certaines d'entre elles, que pour les œuvres du XXe siècle.

L'observation concrète des listes nous amène à mettre en lumière ce que l'on pourrait appeler un « effet programme » (1) qui caractérise la lecture de certaines œuvres, notamment celles des XVIIe et XVIIIe siècles : elles appa­raissent alors comme autant de « passages obligés », sur lesquels se concentre le choix, et sont le fait du savoir enseigné, qui opère une réduc­tion, de fait, dans les listes recommandées par les Instructions.

Le XIXe siècle considéré sous cet angle se situe à mi-chemin entre ces deux configurations du corpus littéraire.

1. On constate par exemple que l'ensemble des œuvres dont les Instructions recomman­dent la lecture est bien représenté dans notre corpus, de façon d'ailleurs très variable en nombre d'occurrences. On pourrait conclure à une fidélité globale des pratiques aux Textes officiels. Mais l'on observe aussi que le corpus « réel » effectue des choix massifs sur un petit nombre d'oeuvres dont certaines n'appartiennent pas explicitement aux listes des Instructions. C'est par exemple le cas des œuvres les plus lues des XVIIe et XXe siècles (Dom Juan et L'étranger).

¡¡245

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LECTURE I ÉCRITURE

H reste néanmoins que le cas du XVIe siècle et celui du XXe ne "sont pas équivalents. Dans ces deux cas, en effet, le rapport entre a et b est d*ïm ordre de grandeur comparable, mais renvoie en fait à des réalités opposées.

Si le rapport tend vers 1 dans le cas du XVIe siècle, il ne traduit bien sûr pas l'extension du corpus, mais au contraire sa rareté. Pour l'expliquer nous avons avancé plus haut quelques hypothèses, auxquelles on pourrait ajouter celle-ci : avec le XVIe siècle on serait devant un cas de vieillissement du savoir enseigné.

On remarque en effet un décalage entre le savoir à enseigner et le savoir enseigné tel que le révèlent les listes. Les Instructions officielles n'ont_pas réduit l'étude du XVIe siècle. L'effet programme dont nous parlions plus haut repose précisément sur de tels décalages.

Comment interpréter cet écart ? L'obsolescence ne touche le XVIe siècle que lorsqu'il s'agit d'étudier des œuvres intégrales. Il est en effet largement représenté dans les groupements.

On peut donc faire l'hypothèse que c'est son étude sous la forme d'œuvres intégrales qui semble faire problème.

La nouvelle méthodologie (celle de la lecture des œuvres intégrales) fonctionnerait ici un peu comme un révélateur des difficultés inhérentes aux œuvres du XVIe siècle. Ce phénomène peut être expliqué de deux façons :

I. la lecture des œuvres intégrales du XVIe siècle serait intenable (comme nous l'avons déjà signalé) du fait des difficultés présentées par la langue de cette époque. Mais cet argument paraît largement insuffisant. En effet, le XVIIe siècle relève lui aussi d'un état de la langue et de la culture assez éloigné pour faire obstacle à la lecture des élèves. Or, les textes du XVIIe siècle apparaissent en quantité notable dans le corpus sous la forme d'œuvres intégrales. En outre, celles-ci sont massivement des pièces de théâtre abordées en tant que telles ;

II. l'outil méthodologique constitué par la lecture d'œuvres intégrales ne conviendrait pas pour des raisons plus profondes. On manquerait ici de cer­tains des outils qui permettent de construire la lecture scolaire ; nous nous proposons de montrer dans ce qui suit que l'un de ces outils, dont le rôle organisateur est sans doute décisif, est la notion de genre (1).

1. On pourrait objecter que les recueils poétiques du XVIe siècle, bien que relevant d'un genre clairement identifié, sont absents des listes sous forme d'œuvres intégrales. Sans doute dans ce cas précis faut-il faire intervenir des critères plus fins déterminant les choix : par exemple, la saisie d'une œuvre constituée d'une série de pièces dont les titres se réduisent à des numéros d'ordre présenterait des difficultés levées par le système organisateur de la lec­ture (titre général, sous-titres, titres des textes) que présentent souvent les œuvres modernes, et au premier chef, dans le cas qui nous occupe, Les fleurs du mal. D'autre part, le jeu vir­tuose de variations sur un thème qui organise les recueils de Du Bellay ou de Ronsard relève d'une esthétique étrangère à celle d&s poésies du XIXe siècle, dont on a vu la prépondérance dans notre corpus.

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

La notion de genre

La répartition des titres d'œuvres intégrales par catégories génériques se présente de la façon suivante :

Tableau 1 :

XVIe

XVIIe

XVIIIe

XIXe

XXe

Théâtre

2 (50 %)

19 (82,6 %)

7(31,8%)

6 (9,1 %)

30 (22 %)

Genres narratifs

1 (25 %)

4 (17,3 %)

13 (59 %)

49 (74,2 %)

83 (61 %)

Poésie'

0 (0 %)~

2 (8,6 %)

0 (0 %)

11(16,6%)

13 (1 %)

Les pourcentages représentent la proportion des titres d'œuvres d'un genre et d'un siècle donnés par rapport au total des titres d'œuvres intégrales de ce siècle. Les totaux horizontaux n'atteignent pas 100 du fait de la diffi­culté à ranger certaines œuvres sous une étiquette générique. On notera d'ailleurs que la proportion des inclassables sur le plan générique varie d'un siècle à l'autre.

Ce tableau peut se lire de deux façons : horizontalement, en comparant la distribution des genres dans un même siècle, ou verticalement, en compa­rant, pour un même genre, les siècles entre eux.

L'identité dramaturgique du XVIIe siècle apparaît indubitable selon les deux points de vue. Par ailleurs, il apparaît que la poésie est un genre parti­culièrement attaché au XIXe siècle. Il est intéressant de remarquer que dans ce cas la périodisation séculaire est un critère particulièrement pertinent, puisqu'on n'observe aucune occurrence pour les XVIe et XVIIIe siècles. On pourrait même dire, en forçant quelque peu le trait, qu'il n'est de poésie en première (sous forme d'œuvre intégrale) que du XIXe siècle. On a donc là un exemple de fixation particulièrement nette d'un genre sur un siècle.

Le cas du roman est plus complexe : la distribution par siècle livre des taux comparables pour les XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Mais si l'on tient compte de la répartition des occurrences par titre, le XIXe arrive assez nette­ment en tête. Il est le siècle dans lequel les romans se constituent en clas­siques, ou, en d'autres termes, le siècle classique du roman dans le savoir scolaire. Une analyse plus fine montrera que le statut du narratif n'est pas le même aux XVIIIe et XIXe siècles.

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LECTURE I ÉCRITURE

Les œuvres apparaissent donc pourvues de deux traits qui les identifient, d'un point de vue chronologique, et d'un point de vue générique. Ees résul­tats de notre étude mettent en évidence une distribution complémentaire qui tend à illustrer trois grands genres : théâtre, roman, poésie.

Le XVIIe siècle est globalement le siècle du théâtre, le XIXe celui du roman classique et de la poésie. Reste le cas du XVIIIe. Ce n'est tout d'abord pas le siècle de la poésie ; il n'est pas pour autant, au même titre que les autres siècles, celui du roman et du théâtre : les relevés montrent que le

- XVIIIe siècle obéit à une cohérence thématique, plutôt que générique, et qu'il est d'abord étudié comme siècle de la philosophie des Lumières, ce qui gouverne le choix des œuvres de façon plus forte que leur appartenance générique, sauf à considérer comme genre la « prose d'idées » évoquée par les Instructions à la suite des genres littéraires traditionnels.

Quoi qu'il en soit, nous pouvons tenter de décrire le statut de la notion de genre à l'école. L'historicité des formes (des genres) n'y est pas un objet d'enseignement manifeste. En revanche, la rencontre de la classification par genres et de la classification par siècles contribue à fixer le genre à un de ses moments, et sous des formes qui, de ce fait, apparaissent comme privilé­giées, et ressortissent, chaque fois, à une esthétique particulière : la poésie en fin de second cycle est d'abord celle qui relève d'une posture romantique ou post-romantique. Le roman est d'abord le roman du XIXe siècle.

L'analyse que nous venons de mener met en évidence les spécificités des notions de genre et de siècle dans le savoir scolaire. Ces deux catégories organisent le savoir et lui donnent des limites et des contours nets.

Elles ne fonctionnent pas de façon indépendante. Ou, en d'autres termes, les découpages qu'elles produisent ne sont pas libres. Elles se déterminent l'une l'autre, dans un système de corrélations ordonnant des unités qui sem­blent massivement définies à ces deux niveaux : théâtre et XVIIe siècle ; roman et XIXe, etc.

Ce phénomène pourrait permettre de distinguer le savoir enseigné et le savoir savant. En termes de transposition didactique, la spécificité des notions de genre et de siècle, dans le savoir enseigné, réside dans cette co-dépendance. Dans le domaine savant, en revanche, la réflexion sur une notion comme celle de genre tendra à élaborer un (des) concept(s) sous la forme de définitions en compréhension, évidemment toujours discutées et en travail ; on s'efforce à une théorie du (des) genre(s). Dans le domaine sco­laire, la définition prend une tout autre forme. Le genre est une catégorie qui vaut par le fait qu'elle permet de découper le corpus en unités spécifiques. Autrement dit, on est cette fois du côté de l'extension de la notion. Un genre à l'école est en effet défini par un ensemble de textes exemplaires qui réali­sent au mieux son essence ; un seul à la limite, dans le cas par exemple de Dom Juan (55,6 % des occurrence d'œuvres théâtrales du XVIIe siècle) et

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

plus encore des Fleurs du mal (76,6 % des occurrences d'œuvres poétiques du XIXe siècle). ~

L'analyse qui précède permet d'apporter de nouveaux éléments de réponse à la question de la lecture au lycée : quelles sont les fonctions de l'école en matière de lecture ? L'école doit-elle apprendre à lire ? Et que doit-elle apprendre à lire ?

Nous pouvons répondre au moins à certains aspects de cette question. Le phénomène observé sous le nom d'« effet programme » manifesterait que l'école se donne moins pour objectif de développer un « goût de la lecture » que de définir la lecture comme pratique d'un corpus accordé à ses objectifs d'enseignement.

L'école apprend-elle d'ailleurs effectivement à lire ? Et quoi ? Elle apprend prioritairement à lire par exemple le théâtre du XVIIe siècle, la poé­sie et le roman du XIXe.

Il va sans dire que ces remarques relèvent du constat, et ne prétendent qu'à dégager des tendances qui paraissent, dans le corpus, caractéristiques de l'état présent de la discipline.

On peut certes considérer que la forte focalisation de l'école sur des œuvres particulières s'exerce au détriment de l'ensemble du corpus litté­raire, et un tel argument pourrait nourrir une réflexion en faveur d'une ouverture de l'école à la littérature « vivante » ou « vraie ». Nous avons seu­lement voulu montrer qu'en l'état, la discipline est cohérente. Le problème du statut de la lecture scolaire est en fait un problème de cohérence discipli­naire. On peut en outre remarquer que l'élection d'un corpus de classiques relève sans doute aussi d'une autre fonction de l'institution scolaire, patri­moniale celle-là, et tendant à fonder une communauté culturelle.

L'exemple de la poésie

La lecture d'une œuvre intégrale, et celle d'un extrait, ne relèvent pas, évidemment, du même mode de lecture. Lire un recueil de textes poétiques, et lire une pièce ou un extrait tirés d'un recueil, ce n'est pas la même chose.

Les tableaux suivants représentent le nombre d'occurrences, dans le cor­pus, du texte poétique de chaque siècle, en distinguant le cas où il apparaît dans un groupement (sous forme d'extraits provenant du même recueil, ou de recueils différents) et le cas où il apparaît sous forme d'œuvre intégrale.

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LECTURE I ÉCRITURE

Tableau 2. La poésie étudiée sous forme d'œuvres intégrales :

XVI®

XVII®

XVIIIe

XIX®

XX®

0

2

0

90

34

Tableau 3. Les extraits d'œuvres poétiques dans les groupements :

XVI®

XVIIe

XVIIIe

XIXe

XX®

174

125

8

1771

625

30,15 %

16,57 %

1,003 %

57,44 %

35,85 %

Les pourcentages représentent la proportion d'extraits d'œuvres poé­tiques, par rapport au nombre total des extraits d'œuvres, tous genres confondus, pour un siècle donné. Autrement dit, les 174 occurrences pour le XVI® siècle, par exemple, représentent 30,15 % des textes de la littérature de ce siècle lus en classe sous forme de groupements.

n apparaît clairement que la poésie est lue à l'école plutôt sous la forme d'extraits, et que seuls, ou peu s'en faut, les recueils des XIX® et XX® siècles donnent lieu à la lecture d'œuvres intégrales. La proportion significative d'œuvres du XIXe est d'ailleurs à pondérer, si l'on tient compte du fait que sur les 90 occurrences d'œuvres poétiques intégrales du XIX® siècle, il s'agit, dans 69 cas, des Fleurs du mal.

D y a donc une dimension du texte poétique qui est manifestement peu prise en compte dans la pratique scolaire des textes littéraires.

Les œuvres littéraires intégrales lues au lycée sont en effet massivement des romans ou des pièces de théâtre, autrement dit des œuvres dont l'éten-

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Les listes d'oral de l'épreuve de français du baccalauréat

due est à quelque degré marquée par une certaine forme de narrativité. Le texte poétique organisé en recueil (qu'il soit l'objet d'une composition explicite ou qu'il se présente comme pur assemblage d'un certain nombre de pièces) n'est que rarement un objet d'enseignement.

On pourrait poser la question de façon plus radicale. Qu'est-ce qu'un texte à l'école ? Il relève de deux statuts distincts : le texte court (ou l'extrait) et le texte long. Le texte long, non découpé, est soumis -à des contraintes de genre et de structure, ce qui est évidemment lié. C'est-ce qui apparaît dans le tableau 1, supra, que nous avons consacré à la répartition séculaire des différents genres abordés sous forme d'oeuvres intégrales.

On peut avancer que la co-dépendance des catégories de genre et de siècle a des conséquences au plan de l'interprétation, et que le sens d'une œuvre intégrale lue en classe est fortement relié à son appartenance aux catégories en question.

En revanche, ce type de détermination pèse de façon plus modérée sur le texte court ou l'extrait, et on peut se demander ce qui, dans ce cas, donne du sens aux extraits regroupés. Nous faisons l'hypothèse que leur lecture n'est pas organisée par un cadre du même type ; ce qui en tient lieu et confère sens à l'extrait découpé, c'est précisément le fait d'appartenir à un groupe­ment.

Les textes auxquels un extrait est confronté dans le groupement, ou encore, à un autre niveau, le titre du groupement, fonctionnent comme pour­voyeurs de sens. Formellement, on peut considérer que l'ensemble constitué par les textes et le titre est dans un rapport d'interprétation à l'égard de chaque texte du groupement.

Ce rapport fonctionnerait sur le mode décrit par Eco à la suite de Peirce, pour qui un signe est toujours interprété à l'aide d'un autre signe (1). Le dis­positif constitué par les groupements prépare une prolifération des sens ; chaque texte peut a priori servir à interpréter un ou plusieurs autres textes auxquels il est confronté.

Un des problèmes qui se posent alors, comme dans toute lecture, est de parvenir à limiter, à canaliser, le processus sémiotique, en droit illimité. La contrainte à l'école est ainsi double, ü s'agit d'orienter, de choisir, pour faire prendre sens et pour éliminer les interprétations qui ne relèvent pas de la dis­cipline (2). L'observation des groupements peut se fixer comme objectif de

1. Cf. Peirce, C. S. : Écrits sur le signe, Paris, Éditions du Seuil, 1978 ; Eco, U. : Sémiotique et philosophie du langage, Paris, P.U.F., 1989. Et aussi Barthes, R., L'empire des signes, Genève, Skira, 1970 : « Le signe est une fracture, qui ne s'ouvre jamais que sur le visage d'un autre signe ».

2. La discipline, nous semble-t-il, est en partie définie par des procédures de validation des hypothèses de lecture. Cf. à ce sujet notre précédent rapport : Trois savoirs pour une dis­cipline, op. cit.

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LECTURE I ÉCRITURE

mettre en lumière les contraintes de ce type qui pèsent sur la lecture" scolaire. Nous verrons un peu plus loin à propos de quelques auteurs en particulier comment se présente la relation entre les textes qui figurent dans un groupe­ment, n apparaît par ailleurs que les tableaux présentés supra offrent des similitudes : la lecture des textes courts et des textes longs est aussi animée par des tendances communes.

Tous les siècles ne sont pas également pourvoyeurs de textes poétiques. L'observation du tableau « groupements » confirme la tendance massive­ment présentée par le tableau « œuvres intégrales ».

Les XIXe et XXe siècles sont les siècles de la poésie à l'école» avec un net avantage pour le XIXe. La présence de textes du XVIIe dans le tableau « groupements » n'est que très relative. Le XVIIIe est remarquablement peu représenté dans les deux tableaux. Quant aux textes du XVIe, leur impor­tance en pourcentage doit être pondérée compte tenu de la quantité (relative­ment faible) du nombre d'extraits de ce siècle figurant en groupements.

Ces résultats confirment la co-dépendance des genres et des siècles que nous évoquions plus haut. En outre, aux hypothèses que nous avons avan­cées à propos de l'absence du XVIe siècle poétique sous forme d'œuvres intégrales dans notre corpus, peut s'ajouter celle qui oppose les recueils renaissants à ceux d'époques plus récentes. Si Baudelaire est très représenté sous forme d'« œuvre intégrale », contrairement à ce qui se passe pour Du Bellay ou Ronsard, on peut supposer que cela réside dans le fait que Les fleurs du mal exhibent une organisation thématique explicite, qui se donne pour telle, et se manifeste à plusieurs niveaux du recueil, titre général, sec­tions, titres des pièces (1). Le mode de lecture thématique est alors d'autant plus légitime qu'il est fondé sur des repères fournis par l'auteur même.

A contrario, les recueils du XVIe siècle se présentent sous une forme beaucoup plus linéaire, comme des collections (par exemple de sonnets), comme une série de variations sur une forme. La complexité qui préside à la composition de recueils de ce type ne se livre pas aussi ouvertement, fournit explicitement beaucoup moins de pistes « thématiques » qu'un recueil comme Les fleurs du mal. On le voit, si la notion de thème est fondamentale pour organiser le sens, son élaboration concrète ne va pas de soi, au point d'amener bon nombre de listes à retenir, pour en faire office, ce qui peut être considéré comme thématique explicite dans telle ou telle œuvre, l'exhibition reconnue entraînant alors le succès scolaire de l'œuvre.

1. Cf. infra, « Lecture de Baudelaire ».

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Page 249: Lecture / écriture

LIRE ET RELIRE AVEC L'ORDINATEUR

Pierre MULLER

Présentation

Cette contribution originale est issue de travaux dans le domaine des technologies nouvelles. Des logiciels ont été mis au point qui permettent de mener des approches lexicométriques et sémantiques avec des élèves de l'enseignement secondaire.

Pour l'étude de textes, l'ordinateur n'est pas un pseudo-enseignant ; il faut l'utiliser pour sa spécificité, c'est ce que propose Pierre Muller. Les logiciels réalisés sont des outils fournissant des bases de données textuelles, permettant l'accès à une information qui serait fastidieuse à établir sans l'aide de l'ordinateur. L'élève peut élaborer sa méthode personnelle d'ana­lyse en fonction des hypothèses qu'il formule. Il peut être dérouté par cette approche déstabilisante par rapport au mode habituel d'accès au texte, mais il acquièrera une attention plus grande à la linguistique et nul doute que son investigation des textes sera enrichie.

La lecture n'est pas seulement le déchiffrage des textes écrits, c'est-à-dire la traduction d'un code dans un autre, analogue à celle qu'effectuent les « têtes de lecture » des appareils électroniques. Pour produire du sens avec les textes auxquels il s'affronte, le lecteur doit envisager l'objet étudié sous toutes ses faces, tâche d'autant plus difficile qu'à la différence du mathéma­ticien il en ignore le nombre. D'où les phénomènes d'ambiguïté et d'incom­préhension qu'on rencontre jusque dans la conversation la plus courante. Que dire alors lorsqu'il s'agit de discours politiques ou littéraires qui jouent volontairement de ces possibilités d'égarer et de piéger le lecteur ? Les pro­jets présentés devant les assemblées délibératives en « première » ou en

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Page 250: Lecture / écriture

LECTURE I ECRITURE

« deuxième lecture » sont soumis à un décorticage féroce qui fait apparaître des aspects auxquels leurs auteurs n'avaient pas pensé. Les œuvres litté­raires surtout ont connu à travers les siècles des lectures successives et peu­vent encore susciter simultanément des « lectures plurielles ».

Cette situation respective du texte et du lecteur a ses conséquences dans le domaine de l'enseignement. Si l'on propose comme objectif à la lecture l'intelligence aussi complète que possible des textes, son apprentissage doit se poursuivre à tous les niveaux de la scolarité et doit même continuer après l'école. Les instructions officielles ont d'ailleurs introduit récemment la notion de « lecture méthodique », conçue comme « une lecture réfléchie qui permet aux élèves d'élucider, de confirmer ou de corriger leurs pre­mières réactions de lecteurs ». Cette activité exige en particulier « l'obser­vation objective, précise, nuancée des formes ou des systèmes deformes », « l'analyse de l'organisation de ces formes et la perception de leur dyna­misme au sein du texte », « la construction progressive d'une signification du texte à partir d'hypothèses de lecture dont la validité est soigneusement vérifiée » (1).

Pour répondre à cette nécessité d'une approche multiple et complexe, l'ordinateur peut être utilisé comme un multiplicateur de lectures. Pourvu de logiciels appropriés, qui n'existent pas tous encore, il permet de parcourir rapidement des banques de données textuelles en les abordant à chaque fois sous un angle différent.

Depuis plusieurs années nous nous préoccupons de l'aide que peut apporter l'informatique à une lecture intelligente au niveau de l'enseigne­ment secondaire (2) et nous avons essayé de concevoir des logiciels et des méthodes susceptibles de répondre aux difficultés que connaissent les élèves.

Ainsi conçue, la lecture joue en effet un rôle fondamental dans l'ensei­gnement secondaire. Activité centrale en français, en particulier dans le second cycle, où elle représente la plus grande partie du travail effectué dans la discipline, elle concerne aussi d'une manière non négligeable l'histoire où les textes sont abordés comme documents de référence et la philosophie où ils permettent l'analyse des notions. On doit même considérer que les textes servent de support à l'enseignement de toutes les disciplines, y compris des disciplines scientifiques, et qu'une partie des difficultés des élèves vient d'une mauvaise interprétation des énoncés qui leur sont proposés.

1. Instructions pour la classe de seconde, Bulletin officiel de l'Education nationale, 5 février 1987.

2. Le présent article reprend en grande partie les idées exposées dans l'ouvrage suivant : Pierre MULLER (dir.), Informatique et étude de textes, Paris, INRP, coll. Rapports de recherches N° 9,1989,140 p.

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Lire et relire avec l'ordinateur

Dans les disciplines littéraires, on peut constater que les élèves," man­quant d'outils d'analyse, ont le plus grand mal à dépasser une lecturé~super-ficielle du texte qui les conduit à une paraphrase, restitution plus ou moins fidèle de celui-ci. Mais on observe aussi très souvent une approche trop morcelée, phrastique en quelque sorte, ou incomplète, qui peut aboutir à une interprétation totalement erronée, si, par exemple, l'essentiel de l'énoncé réside dans une interrogation ou une négation passées inaperçues (1).

UTILISER L'ORDINATEUR COMME OUTIL DE RECHERCHE

On peut considérer qu'une activité de lecture intelligente consiste à déga­ger les éléments pertinents, linguistiques et/ou extralinguistiques, qui carac­térisent un texte et à les mettre en relation pour construire une interprétation. Cette activité s'apparente à la manipulation de données et à la construction de modèles pour relier ces données entre elles. Si nous définissons l'infor­matique comme la « science du traitement rationnel de l'information », l'uti­lisation de l'ordinateur comme outil pédagogique devrait favoriser cette acti­vité.

Mais l'expression « enseignement assisté par ordinateur » suggère, le plus souvent, qu'on essaie de remplacer l'enseignant dans certaines de ses activités : transmettre des connaissances, poser des questions, évaluer les réponses à ces questions. Le dialogue qui s'établit alors entre l'ordinateur et l'élève suppose que les questions et les réponses aient été prévues une fois pour toutes. Les « didacticiels » rédigés dans cet esprit peuvent rendre des services, en particulier quand il faut faire acquérir des connaissances ponc­tuelles et des mécanismes élémentaires qui constituent une part importante de l'enseignement du français.

Cependant, même dans un domaine où les connaissances peuvent être représentées d'une manière relativement simple, les limites actuelles du matériel et du logiciel - limites qu'il ne sera vraisemblablement pas possible de déplacer beaucoup au cours des prochaines années - maintiennent le questionnement et l'analyse des réponses à un niveau très rudimentaire. Les échanges entre l'ordinateur et l'élève se réduisent le plus souvent aux deux modes complémentaires de l'exercice à trous et du questionnaire à choix multiples.

1. Un autre rapport de recherche confirme les analyses qui avaient servi de point de départ à notre projet. Il s'agit de Production de sens, Lire/écrire en classe de seconde, rédigé sous la direction de Bernard Veck, Paris, INRP, coll. « Rapports de recherche », 1988 n° 1. Dans ce travail, qui porte sur un corpus de commentaires composés provenant d'élèves de seconde, les auteurs notent en particulier (p. 41) « une saisie du texte compris comme suite d'éléments, travaillés un à un par l'élève, comme s'il s'agissait de venir à bout d'une liste de questions pièges présentant des difficultés successives. ».

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LECTURE I ÉCRITURE

Ces limites apparaissent pleinement dans le domaine de l'étude de textes où l'ordinateur ne saurait valablement interroger l'élève ni lui proposer de solution. On n'a alors affaire qu'à un pseudo-dialogue où l'on cherche à faire retrouver par l'élève une interprétation préalablement définie par l'enseignant.

Les effets pervers de cette approche directive sont assez visibles. On est obligé de limiter a priori les interprétations possibles, non seulement au niveau du contenu mais aussi de la forme. On refusera donc une interpréta­tion acceptable qui n'a pas été prévue ou même une interprétation prévue si elle n'utilise pas les mots avec lesquels elle a été définie par l'auteur du logiciel. On réduit d'autre part le dialogue à son niveau le plus bas, puisque l'élève n'a pas la possibilité d'argumenter pour défendre son interprétation.

Nous pensons que la cause essentielle de ces difficultés provient du fait qu'on essaie de faire remplir à l'ordinateur un rôle pour lequel il n'est pas fait, simuler le rôle de l'enseignant, et qu'on devrait au contraire s'appuyer sur sa spécificité, qui est d'effectuer mieux et plus vite que l'homme les trai­tements formels, quantitatifs et répétitifs. À l'utilisateur humain, on réser­vera au contraire la partie « intelligente » de l'analyse que, malgré les pro­grès espérés de l'intelligence artificielle, la machine ne pourra probablement jamais réaliser.

Refusant donc l'approche directive, nous en proposerons une autre que nous appellerons heuristique, parce qu'elle met l'élève en situation de recherche et ne préjuge pas à l'avance du résultat de ses investigations. On pourrait la résumer de la manière suivante :

- l'enseignant constitue une base de données textuelles sans y mettre une interprétation préalable,

- l'élève interroge cette base de données, - l'ordinateur fournit des résultats, - l'élève interprète ces résultats.

Cette approche est fondée sur les recherches qui ont été menées dans cer­tains secteurs des sciences humaines où les chercheurs utilisent l'ordinateur pour traiter les textes qui sont l'objet de leurs recherches et où cette pratique les a amenés à se poser des questions fondamentales sur le statut des textes et sur les méthodes d'analyse utilisables.

L'Institut National de la Langue Française, lui-même rattaché au C.N.R.S., a joué un rôle important dans cette nouvelle manière de traiter les textes, de constituer des banques de données et d'élaborer des méthodes. Nous nous sommes inspirés en particulier des travaux qui ont été effectués à l'URL 3 « Lexicométrie et textes politiques », laboratoire qui fait également partie de l'E.N.S. de Fontenay-Saint-Cloud.

Mais, cette préoccupation théorique ne nous a pas fait perdre de vue que nous nous adressions à des élèves de l'enseignement secondaire et que, par

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Lire et relire avec l'ordinateur

conséquent, il fallait adapter au niveau des élèves et aux conditions concrètes de l'enseignement les outils et les méthodes que les chercheurs du C.N.R.S. avaient élaborés pour les besoins de leurs recherches. Nous avons pensé qu'une telle adaptation était capable de répondre aux difficultés des élèves en leur faisant acquérir les méthodes qui leur manquent et nous avons retenu les trois hypothèses suivantes.

a) Aborder les textes à partir du vocabulaire - et en particulier d'un vocabulaire trié selon des critères non sémantiques - devrait obliger les élèves à porter aux mots une attention plus grande qu'ils ne le font habituel­lement et par conséquent leur permettre d'éviter la paraphrase.

b) Classer les données quantitatives importantes fournies par la machine est indispensable avant d'essayer de les interpréter. Cette activité devrait donc habituer les esprits à la rigueur.

c) Enfin, formuler des hypothèses de recherche et les vérifier en ques­tionnant la machine devrait constituer un apprentissage de l'autonomie.

DISPOSER D'UN LOGICIEL OUVERT

Choisir une approche heuristique plutôt qu'une approche directive conduisait à utiliser un logiciel ouvert, c'est-à-dire capable d'effectuer à la demande un certain nombre de traitements et de fonctionner éventuellement sur des textes différents de ceux qui ont été sélectionnés par l'auteur du logiciel.

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LECTURE I ECRITURE

Ce logiciel n'existant pas sur le type d'ordinateur disponible dans les éta­blissements scolaires, nous avons dû le concevoir spécialement pour cette utilisation. C'est donc en nous inspirant des programmes du laboratoire « Lexicométrie et textes politiques » que nous avons écrit le logiciel PISTES (1). De même, comme nous ne disposions pas de corpus utilisables en classe, il nous a fallu saisir un certain nombre de textes et les pourvoir des codages nécessaires (2). Dans sa version actuelle, PISTES permet d'obtenir sur un corpus donné plusieurs types de résultats, comme le montre la copie du menu principal. Ces résultats sont consultés sur l'écran ou impri­més, selon le choix de l'utilisateur.

1. Le texte qui est édité, soit intégralement, soit partiellement d'une page à une autre page.

2. Les contextes d'une ou plusieurs formes que l'on souhaite étudier. Celles-ci sont replacées dans leur environnement : on peut demander par exemple toutes les phrases où apparaît le mot Ciel dans le Tartuffe de Molière.

3. L'index alphabétique, c'est-à-dire la liste des formes du texte, clas­sées par ordre alphabétique. Deux sortes d'index alphabétiques peuvent être obtenues : l'index de tout le corpus qui fournit toutes les formes, suivies de leur fréquence (c'est-à-dire leur nombre d'occurrences), à la fois dans la totalité du corpus et dans chacune de ses parties ; l'index séparé de chaque partie qui fournit uniquement les formes figurant dans cette partie et leur fréquence partielle. Une option propre à ce dernier index permet de n'obte­nir que les formes originales, c'est-à-dire celles qui figurent uniquement dans la partie étudiée, à l'exclusion de toutes les autres). Selon la partition adoptée, on peut ainsi comparer le vocabulaire utilisé par les différents per­sonnages d'une pièce de théâtre ou observer ses variations entre les diffé­rents actes de la même pièce.

4. La liste des formes communes : c'est une variante de l'index alpha­bétique qui donne toutes les formes qui figurent au moins une fois dans cha­cune des parties.

5. L'index hiérarchique, c'est-à-dire la liste des formes du texte, clas­sées en fonction de leur nombre d'occurrences, de la plus fréquente à la moins fréquente. Comme l'index alphabétique, il peut se présenter sous deux formes : index de tout le corpus ou index d'une partie séparée. On dis­tingue en particulier les formes les plus fréquemment répétées (tête de l'index) et les formes employées une seule fois (hapax).

1. Pierre MULLER, PISTES, Pour un investigation systématique des textes, logiciel et documentation, Paris, CNDP et 1NRP, 1989 (coll. Logitexte).

2. Une partie de ces textes sont également diffusés dans la collection Logitexte, coéditée par le CNDP et l'INRP. Il s'agit du Tartuffe de Molière, des Fleurs du mal de Baudelaire, des déclarations des droits de l'homme et de textes sur la guerre en 1915.

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Lire et relire avec l'ordinateur

6. Les formes spécifiques : pour apprécier les variations de fréquence d'une même forme entre les parties du corpus, il n'est pas possiblê~de se contenter des données chiffrées fournies par les index. En effet on observe généralement entre ces parties des différences de longueur importantes. D'autre part, même à longueur égale, il est nécessaire d'avoir un instrument de mesure pour déterminer si les écarts de fréquence sont significatifs. Cet instrument de mesure est fourni par le calcul des spécificités (1). Grâce à lui, on détermine, pour une forme donnée, dans quelles parties d'un corpus elle est plutôt suremployée ou sous-employée, et on mesure éventuellement ce suremploi ou ce sous-emploi. On peut donc, pour chaque partie, dresser la liste des formes les plus caractéristiques.

7. Le tableau récapitulatif des fréquences : c'est un ensemble de don­nées numériques sur le corpus, qui fournit, d'abord pour chaque partie sépa­rément, puis pour l'ensemble du corpus, le nombre de formes différentes (ici, chaque forme n'est comptée qu'une fois) et le nombre total d'occur­rences (chaque forme est comptée autant de fois qu'elle apparaît). Ce tableau permet de se faire une idée de la différence de longueur des parties et - pour des parties de longueur égale seulement - de leur répétitivité res­pective.

PROPOSER DES ACTIVITÉS AUTONOMES

Travaillant avec un logiciel ouvert, nous n'avons pas voulu le lier à une méthode unique et universelle d'approche des textes, l'objectif final étant que chaque élève devienne capable d'élaborer sa méthode personnelle en fonction de ses hypothèses de recherche, du type de discours qu'il étudie, des objets linguistiques qu'il a choisi d'analyser.

Mais l'acquisition de cette démarche n'est pas immédiate. Les utilisa­teurs débutants se trouvent généralement perdus devant la masse d'informa­tions fournies par le logiciel. Pour les aider, nous avons essayé d'inventorier les différents types d'exercices réalisables par les élèves à partir des docu­ments que produit la machine. Nous nous sommes inspirés des pratiques habituelles aux chercheurs en sciences humaines lorsqu'ils exploitent les résultats des traitements lexicologiques, mais nous les avons simplifiées et adaptées à l'âge et au niveau de connaissance des élèves. Nous avons abouti généralement à la construction de questionnaires détaillés, dans lesquels nous avons voulu préciser les différentes étapes de la démarche à suivre, et

1. Il serait trop long de développer ici le mécanisme du calcul. On se reportera donc soit à l'article de Pierre LAFON, « Sur la variabilité des formes dans un corpus », MOTS, 1, octobre 1980, p. 127-165, soit à son ouvrage Dépouillements et statistiques en lexicométrie, Genève-Paris, Slatkine-Champion, 1984,217 p.

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LECTURE I ÉCRITURE

de tableaux à compléter, qui permettent de relever les informations perti­nentes au fur et à mesure de la lecture des documents informatiques. Nous présentons ces exercices dans un ordre de difficulté progressive (1).

1. Première approche quantitative

Lorsqu'on étudie une pièce de théâtre, il est intéressant de mesurer l'importance respective des différents rôles. Deux documents permettent de s'en faire une première idée. L'un, établi à la main, est un tableau à double entrée qui indique scène par scène la présence ou l'absence de chaque-per­sonnage et à partir duquel on établit un premier classement des personnages, du plus présent au moins présent. La consultation du tableau récapitulatif des fréquences permet d'autre part de mesurer, en nombre d'occurrences, la longueur des rôles et de les classer en fonction de ce critère. Si l'on compare les deux classements, on peut caractériser les personnages par leur situation sur la scène : certains sont à la fois très présents et très bavards, d'autres sont tout aussi présents, mais parlent peu ou même restent muets pendant certaines scènes, d'autres au contraire apparaissent dans un petit nombre de scènes mais y interviennent longuement.

2. Recherche des formes les plus caractéristiques

Dès qu'un texte dépasse plusieurs pages, les listes de formes que sont les index deviennent si longues qu'il est exclu de les étudier d'une manière exhaustive. On se contente donc d'analyser des formes auxquelles on attri­bue une plus grande importance. On peut les choisir soit en fonction d'un thème auquel on s'intéresse particulièrement, soit pour vérifier une hypo­thèse qu'on a formulée à la lecture de l'œuvre ou un jugement porté par un critique. Si l'on n'a pas d'idée a priori, on peut prendre comme point de départ un critère quantitatif. Deux instruments de sélection sont offerts par le logiciel : le classement hiérarchique et le calcul des spécificités.

2. 1. Le c/assement hiérarchique

Consulté à partir du début et jusqu'à une fréquence intermédiaire, l'index hiérarchique du corpus - de même que ceux des différentes parties - permet de repérer les formes les plus répétées d'un texte ou d'un ensemble de textes. Cette sélection présente un double avantage. D'une part, elle signale

1. On trouvera une série d'exercices pour chaque corpus traité dans les volumes de la col­lection LOGITEXTE, publiés en coédition avec le CNDP. Certains de ces exercices y sont accompagnés de corrigés.

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Lire et relire avec l'ordinateur

des éléments linguistiques suffisamment nombreux pour qu'on puisse en faire une étude détaillée ; d'autre part, elle révèle des phénomènes~domi-nants qui correspondent souvent aux principaux thèmes développés dans un corpus.

Pour atteindre ces thèmes, il est généralement nécessaire d'aller au-delà des cinquante premières formes qui appartiennent presque toutes aux mots outils (prépositions, déterminants, conjonctions...) et dont l'emploi est plus difficile à analyser.

" 1-e repérage de ces thèmes se fera plus facilement sur des regroupements de formes que sur des formes isolées. En elle-même, en effet, une forme est souvent ambiguë et c'est en en rapprochant plusieurs pour constituer ce qu'on appelle un champ lexical - c'est-à-dire un ensemble de mots qui gra­vitent autour d'une notion, caractérisent un domaine d'activité ou encore correspondent à un découpage de la réalité - qu'on a plus de chance de dégager un sujet d'étude intéressant.

Mais la constitution de tels ensembles, fondée essentiellement sur des critères sémantiques, est liée à la fois à la personnalité de l'analyste et à sa connaissance du monde qui est décrit dans le texte étudié (ce qu'on appelle souvent sa compétence encyclopédique (1). On ne saurait donc considérer cette opération comme ayant un caractère de nécessité absolue. Il importe tout au moins de faciliter et de clarifier les interprétations en prenant l'habi­tude de pratiquer des classifications qui reposent sur des critères précis et repérables dans le noyau sémique du mot : on pourra ainsi distinguer animé et non animé, homme et animal, monde construit par l'homme et monde naturel, ce dernier pouvant être subdivisé en animal, végétal et minéral, vocabulaire des sensations et des sentiments...

Il restera de toute manière une part d'arbitraire irréductible dans une classification qui aura été élaborée à partir de formes extraites de leur contexte et il importera, comme on le verra plus précisément avec les exer­cices suivants, de confronter ces ensembles avec ce qu'on peut savoir du corpus et de replacer les formes dans leur environnement.

La tâche demandée aux élèves consiste ici simplement à lire l'index hié­rarchique de la fréquence la plus haute jusqu'à une fréquence intermédiaire, par exemple la fréquence 10, à relever les formes de sens plein (c'est-à-dire en excluant les mots-outils, prépositions, conjonctions, pronoms, détermi­nants, etc.) et à les classer au fur et à mesure en champs lexicaux.

1. « Vaste réservoir d'informations extra-énoncives portant sur le contexte ; ensemble de savoirs et de croyances, système de représentations interprétatives et évaluations de l'univers referential » selon Catherine Kerbrat-Orecchioni, L'implicite, Paris, Armand Colin, 1986, p. 162.

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LECTURE I ÉCRITURE

2.2. Les tistes de spécificités

Si l'on désire faire cette recherche thématique d'une manière compara­tive à l'intérieur d'un corpus, le calcul des spécificités offre un instrument statistique approprié. On consultera alors la liste des formes spécifiques positives partie par partie et on classera en champs lexicaux les formes rele­vées dans chaque partie, en appliquant la même méthode que pour les formes de l'index hiérarchique.

3. Étude du champ sémantique d'une forme

Parmi les formes dont on a repéré la fréquence élevée dans l'index hié­rarchique complet du corpus et dont on a éventuellement observé une irrégu­larité de répartition entre les différentes parties, il sera intéressant d'en sélec­tionner quelques-unes pour une étude plus approfondie qui consistera à délimiter le domaine de signification couvert par chacune d'elles à partir de l'ensemble de ses emplois. On en profitera souvent pour regrouper, à partir de l'index alphabétique, singulier et pluriel du nom, masculin et féminin de l'adjectif, formes fléchies d'un même verbe.

On peut effectuer ce choix sur le seul critère de fréquence dans une démarche exploratoire qui peut ménager des surprises ou tout aussi bien ne rien produire de probant. On peut aussi s'appuyer sur ce qu'on sait du cor­pus et décider d'étudier des formes qui sont reliées d'une manière évidente au sujet des textes. C'est ainsi qu'il paraît indispensable, dans le corpus de déclarations des droits de l'homme, d'étudier des mots comme homme et citoyen, pour savoir quel est l'homme des droits de l'homme, ou le mot droit pour déterminer le contenu des droits, alors que dans une pièce comme le Tartuffe de Molière on sera tenté d'étudier des formes du vocabulaire des sentiments comme âme, cœur, amour ou du vocabulaire religieux comme Ciel et Dieu.

Dans le cadre d'exercices scolaires, d'autres critères interviennent. Ainsi, il a paru souhaitable que le volume des données à analyser ne soit pas trop important, pour que les élèves puissent dominer l'ensemble des informations qui leur sont fournies.

D'après notre expérience, un mot comportant une cinquantaine d'occur­rences peut être analysé pendant une séance de deux heures, à condition que les élèves soient guidés par des questions précises. Au-delà, il faut soit se limiter à une partie du corpus, soit partager le travail entre plusieurs élèves.

La seule observation des données peut être éclairante, mais il est généra­lement utile de disposer d'un outil de classification qui révèle les phéno­mènes récurrents et facilite les synthèses. On remplit donc des tableaux au fur et à mesure de la lecture des listes de contextes en y reportant les infor­mations pertinentes. Trois sortes de grilles sont susceptibles de favoriser l'analyse :

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Lire et relire avec l'ordinateur

- une grille de type syntaxique qui permet d'étudier une forme d'après les fonctions qu'elle remplit dans la phrase : il est important d'observer par exemple si un nom est sujet d'un verbe actif ou passif, complément d'objet ou complément circonstanciel (1) ;

- une grille de type sémantique, fondée sur les associations et les opposi­tions, pour essayer de détemiiner la valeur symbolique du terme analysé. Ce type de grille se révèle assez efficace en particulier pour l'étude des adjec­tifs (2);

- une grille de type actantiel peut aussi être éclairante pour étudier des noms désignant des êtres animés, par exemple homme dans les déclarations des droits de l'homme.

4. Étude d'un champ lexical

On a vu que la lecture de la tête de l'index hiérarchique pennet de repé­rer l'existence de certains champs lexicaux particulièrement importants. Cependant, des champs intéressants peuvent ne pas apparaître, parce qu'ils regroupent des mots peu répétés mais nombreux. Il est donc utile de parcou­rir aussi l'index alphabétique complet. Celui-ci permet également de lemma-tiser « à la main » les formes fléchies, qui sont souvent très éloignées l'une de l'autre dans l'index hiérarchique, et de définir ainsi la suite de caractères pertinents pour la recherche de contextes.

Selon l'importance du champ et le temps dont on dispose, la liste des mots retenus sera plus ou moins longue. On peut ainsi décider de s'arrêter à une fréquence minimum (exemple : toutes les formes utilisées au moins cinq fois) ou au contraire conserver la liste exhaustive de tous les ternies retenus.

En classe, le nombre des formes et de leurs occurrences détermine aussi le choix du type de travail envisagé : recherche identique pour tout le monde ou répartition entre des groupes d'élèves, sélection effectuée par l'ensei­gnant et reproduite sur papier ou consultation libre à l'écran.

Il est souvent utile, dans un premier temps, de regrouper en sous-ensembles les formes appartenant à un champ lexical et d'observer comment ces sous-ensembles se répartissent à travers les différentes parties du corpus. On peut ainsi classer les désignants humains qui figurent dans les déclara­tions des droits de l'homme selon qu'ils renvoient à la nature humaine en général (homme, individu, personne...), à l'organisation sociale (société, collectivité, communauté...), à la fonction politique (peuple, citoyen...), à la profession (agent, fonctionnaire, magistrat...). On remarque alors une évo­lution significative entre la déclaration de 1789 et la déclaration universelle

1. Nous avons appliqué cette méthode à l'étude du mot Ciel dans Tartuffe, (cf. MULLER Pierre, « Sur les chemins du ciel », Le Français aujourd'hui, 77, Mars 1987, p. 27-33.

2. Nous l'avons utilisé pour l'étude des couleurs dans les Fleurs du mal de Baudelaire, (cf. MULLER Pierre, SARRAZTN Michèle, « Les couleurs des Fleurs du mal », L'informa­tion littéraire, N° 4, septembre-octobre 1989, pp. 12-19.

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LECTURE I ÉCRITURE

des droits de l'homme de 1948, révélant la prise en compte de catégories nouvelles (les relations familiales en 1795, l'âge en 1848, le sexe "en 1946) et de mots nouveaux dans les catégories anciennes (la rubrique « pro­fession » s'enrichit ainsi adjuge, ouvrier, patron, travailleur) (1).

Ensuite, l'analyse détaillée de l'ensemble des formes retenues pour constituer un champ lexical n'est pas fondamentalement différente de celle qui a été définie dans l'étude des champs sémantiques et pourra donc être menée à l'aide des grilles présentées page suivante.

5. Étude des situations d'énonciation

Lorsqu'on consulte les listes de formes spécifiques des différentes parties d'un corpus, on y constate souvent, pour peu que le locuteur ou l'allocutaire interviennent dans l'acte d'énonciation, la présence de plusieurs referents personnels, c'est-à-dire de mots (pronoms personnels ou adjectifs possessifs de la première et de la deuxième personne) qui désignent ce locuteur et cet allocutaire. À ces mots on peut ajouter le pronom on qui est souvent employé comme substitut de nous.

C'est peut-être dans les pièces de théâtre que l'irrégularité dans la répar­tition de ces formes est la plus grande, parce que chaque personnage a une manière originale de se situer par rapport aux autres, qu'il ait tendance par exemple à s'effacer lui-même en tant qu'individu pour s'intégrer dans un nous ou au contraire à se mettre en avant, qu'il tutoie ou vouvoie ses interlo­cuteurs, ou encore qu'il s'exprime d'une manière impersonnelle.

Mais d'autres œuvres peuvent offrir des surprises : c'est ainsi qu'on voit s'opposer, dans Les Fleurs du mal, des parties où domine la première per­sonne du singulier, alors que la dernière partie voit un fort suremploi du nous.

Nous reproduisons ci-dessous, pour le Tartuffe de Molière, un exemple de tableau qui permet de synthétiser l'ensemble des données correspondant aux emplois de ces formes dans les différentes rôles de la pièce. On peut ensuite analyser de plus près les fonctionnements particuliers des referents personnels partie par partie et catégorie de pronoms par catégorie de pronoms.

n est impossible de demander à chaque élève d'effectuer tous les exer­cices. Mais ce travail peut être avantageusement réparti dans le cadre d'un travail par groupes. Selon le temps dont on disposera, on demandera d'effec­tuer la recherche des contextes dans la totalité de l'œuvre ou seulement dans

1. DAUTREY Philippe, MULLER Pierre, « L'homme des déclarations », Bulletin de VAssociation Enseignement Public et Informatique, n° 54, juin 1989, pp. 111-129.

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Lire et relire avec l'ordinateur

quelques passages, choisis en fonction de leur intérêt : au quatrième acte du Tartuffe, par exemple, il est intéressant d'étudier l'emploi de on et àenous, dont Elmire, qui en est la principale utilisatrice, fait un usage bien particu­lier.

LES SITUATIONS DENONCIATION DANS LE TARTUFFE-

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LECTURE I ECRITURE

CONCLUSION

Une évaluation de ces méthodes a été effectuée dans quatorze établisse­ments et a concerné environ cinq cents élèves et une vingtaine d'enseignants pendant l'année scolaire 1988-1989. Ses résultats semblent confirmer nos hypothèses de départ.

.. Les élèves sont généralement parvenus à mener une recherche autonome sur les textes. Mais cette autonomie n'a pu être exigée immédiatement. Elle

-s'est appuyée sur un apprentissage au cours duquel les élèves ont été guidés à la fois dans le maniement de l'outil et dans l'acquisition de principes méthodologiques, en pratiquant des exercices tels que ceux qui onf été décrits ci-dessus. Une fois cette étape franchie, ils ont pu formuler eux-mêmes leurs propres questions de recherche et y répondre en utilisant les traitements informatiques qui leur semblaient adaptés. Les travaux ainsi réa­lisés à l'initiative des élèves sont surtout des études thématiques (par exemple le thème de la beauté, du temps, de la nuit, etc. dans les Fleurs du mal).

En utilisant ce type de démarche, les élèves ont été obligés de porter aux mots mêmes des textes une attention plus grande qu'ils n'ont tendance à le faire naturellement. On a pu obtenir d'eux qu'ils appuient sur des éléments linguistiques précis les jugements qu'ils portent sur les textes.

Les élèves ont pratiqué ainsi une méthode de travail rigoureuse. Ils n'ont pu se contenter de choisir quelques données qui semblaient correspondre à leur interprétation. Ils ont dû parcourir systématiquement un ensemble de données du même type. Ces données, ils ont dû les trier à partir de critères de classement qui leur ont permis de dégager des régularités. On peut parler ici d'une véritable démarche expérimentale qui, partant de la formulation d'hypothèses, vérifie ces hypothèses et tire de cette vérification des conclu­sions motivées.

En outre, il a été possible de réaliser un travail interdisciplinaire dans les disciplines où l'étude des textes joue un rôle prépondérant. Par leur contenu, les déclarations des Droits de l'Homme intéressent le philosophe et l'histo­rien en même temps que le littéraire qui étudie les philosophes du XVIIIe

siècle ; les textes sur la guerre de 1914-1918 appartiennent aussi bien au programme de lettres qu'au programme d'histoire. Mais cette interdiscipli­narité s'est réalisée essentiellement en lettres et en histoire où l'on a pu observer une véritable complémentarité, le professeur de lettres s'attachant aux aspects linguistiques des textes, à leur construction logique ou à leur intérêt littéraire, le professeur d'histoire les considérant comme des docu­ments susceptibles d'étayer une argumentation. Dans les meilleurs des cas, les enseignants des deux disciplines ont pu se répartir les tâches, chacun se servant ensuite dans son enseignement des apports réalisés par son collègue.

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Lire et relire avec l'ordinateur

Avec l'enseignement de la philosophie, par contre, il semble que les points communs soient plus difficiles à trouver : en général les philosopheSTi'étu-dient pas les textes pour eux-mêmes, mais essentiellement comme prétextes pour dégager des notions.

Malgré les résultats partiels déjà enregistrés, nous sommes conscients des limites inhérentes à une telle expérience et des efforts qu'il faudrait faire pour développer et généraliser ce type de pratique. Sans prétendre que l'ordinateur doive être utilisé dans toutes les activités de lecture, il- nous semble possible de souhaiter une double extension, n faudrait d'abord que l'usage de cette approche ne reste pas ponctuel, mais puisse concerner un nombre de corpus important, au moins un de chaque type, dont l'étudeseralt échelonnée tout au long de l'année. On pourrait ainsi mesurer plus sûrement l'acquisition de la méthode et ses retombées sur les autres activités en rela­tion avec l'étude de textes (1).

H est nécessaire d'autre part de mener plus loin les recherches sur les possibilités de l'informatique en ce domaine et de doter les logiciels de nou­velles fonctions d'analyse pour réaliser plus largement ce que nous avons appelé une « investigation systématique des textes » et répondre ainsi aux exigences de ce que les récentes instructions appellent « lecture métho­dique » (2).

1. Signalons qu'une expérimentation complémentaire a déjà été effectuée depuis sous la responsabilité de la direction des lycées et collèges (cf. rapport DLC).

2. Nous nous y employons actuellement en étudiant la possibilité de lemmatiser et de catégoriser les formes des textes afin d'effectuer sur les corpus ainsi enrichis des recherches qui ne se limitent pas au vocabulaire mais envisagent également différents aspects grammati­caux (referents personnels, temps des verbes, subordination, emploi des adjectifs, etc.).

Page 264: Lecture / écriture

LECTURE I ÉCRITURE

BIBLIOGRAPHIE

Des textes avec... ou sans ordinateur, Paris, INRP, 1984, 128 p. (coll. Rencontres Pédagogiques).

MULLER Pierre, « Sur les chemins du Ciel », Le Français aujourd'hui, 77, Mars 1987, p. 27-33.

-MULLER Pierre, SARRAZIN Michèle, « La désignation des personnages dans le Tartuffe de Molière », Bulletin de l'Association Enseignement Public et Informatique, 47, Septembre 1987, p. 175-188.

DAUTREY Philippe, MULLER Pierre, « L'homme des déclarations », Bulletin de l'Association Enseignement Public et Informatique, n° 54, juin 1989, pp. 111-129.

MULLER Pierre, SARRAZIN Michèle, « Les couleurs des Fleurs du Mal », L'information littéraire, n° 4, septembre-octobre 1989, pp. 12-19.

MULLER Pierre (sous la direction de), Informatique et étude de textes, Paris, INRP, coll. « Rapports de recherche », 1989 n° 9,140 p.

DAUTREY Philippe, MULLER Pierre, Analyses des Déclarations des Droits de l'Homme, logiciel et documentation pédagogique, coll. Logi-texte, CNDP et INRP, 1989.

MULLER Pierre, PISTES, pour une investigation systématique des textes, logiciel et documentation pédagogique, coll. Logitexte, CNDP et INRP, 1989.

MULLER Pierre, SARRAZIN Michèle, Analyses des Fleurs du Mal, logi­ciel et documentation pédagogique, coll. Logitexte, CNDP et INRP, 1989.

MULLER Pierre, SARRAZIN Michèle, Analyses du Tartuffe, logiciel et documentation pédagogique, coll. Logitexte, CNDP et INRP, 1989.

DAUTREY Philippe, MULLER Pierre, SARRAZIN Michèle, Analyses de textes sur la guerre en 1915, logiciel et documentation pédagogique, col­lection Logitexte, CNDP et INRP, 1990.

FIALA Pierre, MONTET Jean-Michel, MULLER Pierre, SARRAZIN Michèle (sous le nom collectif d'HUBERT de PHALESE), Les mots de Molière, Paris, Nizet, 1992,157 p.

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RECHERCHES EN DIDACTIQUE DES TEXTES ET DOCUMENTS

Georgette PASTIAUX-THIRIAT

Extrait de : Recherches en didactique des textes et documents.

Belgique - France - Québec - Suisse 1970-1984

INRR coll. « Rapports de recherches », 1990

Présentation

La banque de données « Recherches en didactique et acquisition du fran­çais dans les pays francophones »* élaborée par l'INRP, en collaboration avec l'Université de Montréal, les Facultés universitaires de Namur et l'Institut Romand de Recherche et Documentation Pédagogique de Neu-châtel, offre un panorama des préoccupations et méthodes de la recherche concernant t enseignement/apprentissage du Français Langue Maternelle, depuis 1970. Les pages ci-dessous sont tirées de la revue de question « Recherches en didactique des textes et documents », établie à partir des documents recensés entre 1970 et 1984. À travers les extraits choisis, on verra comment sont fortement croisées activités de lecture et activités d'écriture dans les problématiques posées durant ces quinze années. Une actualisation de cette revue de question (Études de Linguistique Appliquée, n° 84, oct.-déc. 1991, pp. 85-96) montre que cette tendance s'est encore ren­forcée depuis 1985.

* La banque est inteirogeable en France sur Minitel : 3616 ÏNRP, code DAFTEL.

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LECTURE I ÉCRITURE

UN CHAMP AUX FRONTIÈRES PERMÉABLES

Les « marges »

Le découpage de la revue de questions en thèmes répond à des nécessités pratiques de répartition des tâches, mais aussi à une logique d'utilisation : chaque thème recouvre une entrée large dans la banque à partir dçs sujets tres généraux auxquels touchent les recherches.

Mais il est évident que ce découpage entraîne le chevauchement des listes constituées et qu'un certain nombre de recherches appartiennent à plu­sieurs thèmes à la fois. Sans doute cela fait-il quelque difficulté pour la déli­mitation du champ, et montre, s'il en était besoin, l'impossibilité de classer en toute rigueur ; cependant l'analyse de ces croisements est riche d'intérêt et souligne le caractère global de la didactique, obligée de prendre en compte la convergence et la diversification des activités d'enseignement et d'apprentissage.

Le thème : Didactique des textes et documents offre un fort taux de notices de recherches « à cheval » sur plusieurs thèmes (43 % de l'ensemble des notices de ce thème). Les croisements les plus importants se font avec les thèmes Lecture et Analyse des discours. Mais on trouve aussi des croi­sements avec Analyse de la langue, Écrit, Oral, Enseignement intégré...

La description du champ imposait de signaler l'existence de ces zones de marge et les problématiques qui croisent des notions appartenant à plusieurs thèmes. Cependant, nous n'en ferons ici qu'une analyse rapide, puisque ces recherches feront l'objet d'autres bilans spécifiques.

Didactique des textes et documents et apprentissage de la lecture

En chiffres absolus, c'est entre le thème Lecture et celui que nous avons appelé Didactique des textes et documents que les croisements sont les plus nombreux : d'abord parce que ces deux listes comportent un nombre important de recherches mais aussi parce que le texte a pour statut scolaire d'être à la fois objet d'apprentissage de la lecture et support pour d'autres apprentissages.

Comme nous laisserons de côté les recherches portant sur les premiers apprentissages et les problématiques relevant surtout de la psycholinguis­tique et du développement, parce qu'elles sont analysées par ailleurs, un bon nombre de recherches s'en trouveront du même coup éliminées. Nous ne garderons donc ici que celles qui tournent autour de deux notions-clés qui englobent plusieurs composantes à l'œuvre dans l'acte de lecture : la COM­PRÉHENSION et les HABITUDES DE LECTURE.

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Recherches en didactique des textes et documents

La compréhension

Une première série de rapports découle de l'utilisation dans les recher­ches du concept de compréhension, défini dans notre classement comme « un identificateur portant sur la façon dont le récepteur (auditeur ou lecteur) construit le sens et la signification d'un message ainsi que sur le résultat de cette construction ». En effet, la construction du sens et de la signification accompagne tous les niveaux de l'apprentissage de la lecture, depuis le_s pre­miers apprentissages jusqu'à la lecture critique et l'analyse des textes et documents.

Deux recherches posent la question du sens dans des perspectives'diffé­rentes, mais avec l'objectif commun de faciliter aux élèves la compréhen­sion des textes. La première en date dans notre corpus est celle de Charaudeau et Besse (1974) qui, après avoir mis en doute l'efficacité des grammaires formelles, propose une grammaire des faits de communication fondée sur la sémantique. Fontanille (1980) pose l'analogie des opérations observées par la sémiotique dans l'analyse du discours et de celles observées par le psychologue dans l'acte de lecture et d'écriture : l'analyse sémiotique est donc un outil pour surmonter les difficultés de lecture de textes variés, littéraires ou non littéraires ou produits par les élèves.

Après ces recherches qui proposent des outils de compréhension très généraux, on peut regrouper des recherches qui, au plus près de la psycholo­gie cognitive, portent sur le rôle des images dans les livres pour enfants : albums, bandes dessinées, ou ouvrages à caractère informatif.

Ce sont particulièrement les travaux de Danset-Léger, représentés par sept notices dans la banque entre 1975 et 1980 et qui analysent expérimenta­lement les réactions des enfants de 4 à 8 ans à l'incongruité dans les images (1975), au style (1976), à la complexité (1976), à « l'image-unité » en rela­tion avec le déchiffrement (1980)...

Paquin (1984) étudie la relation entre les niveaux de compréhension d'enfants de 6 à 9 ans et le fonctionnement des divers codes utilisés dans le récit iconique. Lentin (1980) met l'accent sur l'importance du texte écrit qui accompagne l'image : avant l'apprentissage de la lecture, le livre illustré apporte à l'enfant l'irremplaçable familiarité avec l'écrit et l'occasion d'interactions verbales avec l'adulte.

Toujours dans une perspective développementale et avec le document pluricodé comme support, mais avec cette fois une visée psychosociolo­gique, Préteur et Simon (1981) étudient « l'évolution comparée de l'explo­ration visuelle et du récit d'une bande dessinée chez les enfants de 6à7 ans de milieux économiques contrastés », tandis que Boudreau (1983) examine la reconnaissance des structures temporelles dans la lecture d'une bande dessinée chez des enfants de l'école primaire.

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LECTURE I ÉCRITURE

On voit ainsi le champ de la lecture étendu aux divers codes "(Ropars-Wuillemier, 1976, « Le film comme texte ») et le problème de la compréhen­sion traité soit au moyen du support texte écrit seul, soit au moyen de l'image ou de l'association texte/image (Gagnon, 1980), soit même au moyen du document sonore (Vézin et Rajaud, 1970). Enfin la comparaison des capacités de compréhension dans ces différents codes peut faire égale­ment l'objet de la recherche (Denis, 1971 ; Julien-Bordeleau, 1978),

Nous avons gardé aux limites de notre champ ce groupe de recherches où - se croisent texte écrit et document pluricodé, acquisition et didactique, psy­chologie, linguistique et sémiologie, parce qu'elles illustrent clairement la perméabilité des frontières entre ces composantes. ' "

Au concept de compréhension est lié de façon quasi nécessaire celui de LISIBILITÉ du texte, c'est-à-dire la mise en évidence des facteurs suscep­tibles de faciliter la compréhension. Certaines problématiques centrées sur cette notion partent des difficultés et problèmes rencontrés par l'enfant. On citera là des recherches portant sur les textes informatifs (Joyal-Malette, 1981 ; Boyer et Jodoin, 1983) ou scientifiques (Gentilhomme, 1982). D'autres dégagent le rôle de la littérature enfantine dans l'acquisition du vocabulaire (Sauvage, 1971) ou la nécessité d'adapter l'image et le texte au niveau de l'enfant (Lentin, 1980).

La maîtrise des faits de langue et de discours est une condition de la compréhension. Depuis 1980 on peut suivre un courant de recherches qui se proposent de mettre en évidence l'importance relative des difficultés lexi­cales et organisationnelles particulièrement dans le texte narratif, objet lan­gagier privilégié dans les pratiques scolaires et les recherches.

Si Ehrlich et Florin (1981) dégagent un effet significatif du niveau lexical sur la compréhension chez les enfants de 3 à 7 ans, Fayol (1981) montre que c'est vers 9-10 ans que les enfants sont capables de comprendre un schéma narratif. Sa note de synthèse (Revue Française de Pédagogie, n° 62, 1983) établit que quelles que soient les perspectives théoriques et les types de matériau mis enjeu, toutes les recherches aboutissent à mettre en relation les différentes étapes de la compréhension du récit avec les stades du dévelop­pement.

Pour terminer sur ce problème de la compréhension, nous citerons encore les travaux de Crinon (1980), Thériault (1983), Fortier (1983), Latendresse (1984), Charolles (1984), recherches que nous retrouverons dans le chapitre de l'Analyse de la langue et des discours, ainsi que deux recherches qui posent le problème de renseignement/apprentissage de la lecture dans sa globalité. L'une de type programmatique (Leclercq 1981 : « La lecture en 6e ») tente d'élucider la notion de savoir-lire pour un enfant de 11 à 13 ans et propose une pédagogie de la communication propre à faciliter les apprentissages. L'autre (Grisay, 1974), une enquête sur le rendement

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Recherches en didactique des textes et documents

scolaire en Belgique, évalue à deux moments de la scolarité les capacités qui entrent dans la maîtrise de la lecture : compréhension, vitesse, vocabu­laire, analyse de texte, intérêt.

De cette revue des recherches qui abordent ou traitent la notion de com­préhension, nous tirerons quelques remarques.

- Toutes les recherches indexées sont multidimentionnelles et englobent dans leurs problématiques des axes de recherche différents : réception/pro­duction du texte, aspect lexical, syntaxique, discursif, pragmatique de fa lec­ture, support écrit ou oral, textes littéraires ou non-littéraires, documents pluricodés, image... ,. -

- Ces problématiques sont l'objet de recherches de plus en plus nom­breuses. Ainsi, dans la période 1 de notre corpus (1970-1974), les seules recherches sur ce thème sont celles du groupe Charaudeau et elles se réfè­rent principalement à la linguistique du discours. Dans la période 2 (1975-1980), les recherches se réfèrent surtout à la psychologie cognitive (Danset-Léger). Dans la troisième période (1890-1984), on voit ce type de recherches se multiplier et se diversifier. Cette période se signale enfin par l'intérêt nouveau porté à ce problème par la recherche québécoise.

Goût de lire et habitudes de lecture

Faire de« bons lecteurs » suppose la mise en place des capacités de com­préhension, mais aussi le développement de l'intérêt pour la lecture et des habitudes de lecture.

En ce domaine, la majorité des recherches sont des enquêtes et celles-ci sont en nombre important (1) : quelle place tient la lecture dans les loisirs des enfants, quels livres ils aiment lire, quels sont leurs critères de choix, quels accès ils ont aux livres... Ces enquêtes se font auprès d'élèves à partir de 9-10 ans et jusqu 'en classe terminale.

Beaucoup concernent des populations importantes (de 300 à 1 000 sujets) et même plus de 1 000 sujets (Cosem, 1971, auprès d'élèves du secondaire français ; Hould, 1980, auprès d'élèves du secondaire québécois). Elles éma­nent de France, du Québec et de Suisse et pour quelques unes d'entre elles d'instances officielles (Gysin et Lurin, 1984, pour le service de la recherche pédagogique à Genève ; Chesnot-Lambert et Hassenforder, 1976, pour FINRP, France ; Hould, 1980, pour le ministère de l'éducation au Québec).

1. Enquêtes et études sur la fonction des bibliothèques sont analysées par ailleurs dans la revue de question consacrée à la lecture.

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LECTURE I ÉCRITURE

Plusieurs résultats convergents peuvent être dégagés.

- Le poids des facteurs socioculturels et des représentations (Douma-zane, Françoise, 1981, Mareuil, 1971, ainsi que les enquêtes déjà citées et plusieurs enquêtes québécoises portant sur les attitudes et motivations).

- Le rôle de la littérature de jeunesse dans le développement du goût de la lecture. Soriano (1977) analyse les caractéristiques de ce type dé message et les conditions de son utilisation. Romeas et Berthet (1979) décrivent leur expérimentation en classe et les effets produits. Mareuil (1971) détermine dans son enquête auprès des jeunes de 10 à 18 ans la place tenue par la litté­rature enfantine à côté de la littérature pour adultes.

- L'importance des bibliothèques, qu'elles soient de classe, d'école, municipales, ou simplement l'aménagement d'un « coin lecture » dans une classe (Bourneuf, 1974).

Dans toutes ces recherches, c'est au texte littéraire que l'on fait réfé­rence.

Ce sont donc les textes littéraires qui, à condition d'être adaptés au niveau de développement de l'enfant, seraient susceptibles de créer ce goût de lire déterminant dans la construction de la personnalité et de l'esprit cri­tique. D'où les recherches qui explorent les pratiques et programmes sco­laires de littérature (Soncarrieu, 1975) ou évaluent les résultats de situations pédagogiques nouvelles sur les attitudes et les compétences des élèves en face du texte littéraire (Dépasse, Leclercq, 1970 ; Pastiaux-Thiriat, 1981).

C'est aussi la lecture littéraire qui est l'objet des recherches de Mareuil (1971, 1976). Partant d'une large enquête sur les habitudes de lecture et les goûts d'élèves de la maternelle à la terminale, il voit dans la désaffection des élèves pour les « grandes œuvres » la manifestation d'une crise de la lec­ture (1). Jugeant irremplaçable pour la formation de la personnalité la fré­quentation de ces modèles (patterns) culturels, il préconise un certain nombre de solutions, en particulier l'intégration à l'école de l'influence des mass-media et le choix pertinent des œuvres à faire lire.

1. L'enquête et le programme de lecture couvrent la totalité du cursus scolaire de la maternelle à la fin des études secondaires, mais les analyses psychologiques et les explications psychanalytiques d'une part, les œuvres et les modèles privilégiés d'autre part, s'adressent surtout aux adolescents et à l'enseignement secondaire.

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Recherches en didactique des textes et documents

Didactique des textes et documents et production de textes

Le croisement des items LECTURE et ÉCRITURE renvoie à un nombre important de recherches (62) qui traitent très majoritairement de la lecture/production de textes narratifs et poétiques. Le fait que ce croisement est une caractéristique essentielle du thème Didactique des textes et docu­ments nous amènera à l'analyser en détail dans le chapitre 5 de l'ouyrage, consacré aux « problématiques ». Nous ferons cependant ici quelques remar­ques générales.

La composante ENSEIGNEMENT est généralement présente dans ces recherches et elle recouvre soit des préoccupations de planification et conception pédagogique, soit des aménagements ou formes d'enseignement qui agissent sur la situation d'écriture ; ainsi on se réclame largement d'une pédagogie rénovée, objectifs et méthodes sont décrits et analysés. Les activi­tés d'écriture prennent la forme d'écriture longue (Petitjean, 1980, 1982, 1984 ; Laborde-Milaa, 1983), dans des situations d'enseignement par projet (Petitjean, 1982), et de travail par équipes (Halte, 1981 ; Platiel, 1984). On a souvent affaire à des recherches-action, qui analysent les pratiques et leurs effets.

Parmi les types de textes qui font l'objet d'activités de lecture/écriture, la science-fiction se taille une place importante : le genre semble adapté à l'âge et à l'intérêt des élèves concernés, c'est à dire principalement de niveau col­lège. Mais on trouve également la nouvelle, le conte, le roman, la fable. Tous les genres narratifs sont donc représentés. Mais c'est le texte poétique qui occupe la première place : près de 50 % des recherches qui ont pour objet la poésie centrent leur problématique sur ce croisement.

Le jeu poétique, durant la période considérée, acquiert une place impor­tante dans les pratiques scolaires et tend à remplacer la récitation. Celle-ci, dans la tradition de l'école républicaine, jouait le rôle de substitut aux textes sacrés et poursuivait un objectif d'éducation morale. Il est à noter que dans notre corpus cette activité de récitation n'est représentée que par une seule recherche (Vemet, 1972, « Le choix des récitations »).

En revanche, la créativité en matière de texte poétique donne lieu à de nombreuses recherches : préoccupation importante dans le Plan de rénova­tion du français à l'école élémentaire (qui regroupe des recherches de type programmatique menées en France par des équipes INRP) (1), elle apparaît comme une voie privilégiée dans la démarche de libération/structuration

1. «L'enseignement du français à l'école élémentaire. Principes de l'expérience en cours », Recherches pédagogiques, n° 47,1971, INRDP.

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LECTURE I ÉCRITURE

(Sublet, 1983). Pour une bonne part des recherches sur la poésie, l'écriture devient inséparable de la lecture, et s'enrichit de l'analyse de seT propres productions (Briolet, 1979 ; Balpe, 1983 ; Oriol-Boyer, 1984).

Enfin, on notera qu'une autre articulation fait l'objet de recherches : celle de la production écrite/production orale. L'apprentissage du récit oral est posé comme une propédeutique à la compétence narrative écrite, mais aussi comme une compétence sociale dont l'acquisition est nécessaire (Petitjean, 1982) et une étape importante du développement (Séguy, Mora, 1976). Ce

- sont surtout les documents pluricodés qui servent alors de support (films, TV, radio).

LES PROBLÉMATIQUES

Des questions de fond

L'utilisation en classe des Textes et documents entraîne à poser des pro­blèmes idéologiques : quelles finalités explicites ou implicites sont poursui­vies, quelles valeurs sont transmises à travers le corpus des textes scolaires et les pratiques dont ils sont l'objet ?

Avant d'entrer dans la diversité des réponses proposées, il convient de noter un consensus évident : personne ne met en doute qu'il faille lire, et lire le plus possible, ni que l'école ait à jouer là un rôle fondamental. Au vu des résultats des enquêtes générales sur la lecture en France, ou des enquêtes particulières sur les lectures des élèves, on déplore qu'« un français sur deux ne lise pas » et que l'école « n'inculque ni le goût de lire, ni l'amour des livres » (Mareuil, 1971). La situation semble être la même dans les autres pays francophones où des recherches se font également l'écho d'une cer­taine désaffection à l'égard de la lecture (1). L'importance dans notre corpus de recherches du nombre des enquêtes sur les lectures des enfants et des adolescents montre qu'on ressent la nécessité de faire un « état des lieux » qui confirme ou infirme l'impression générale que « les élèves ne lisent plus ». On cherche en outre à cerner les goûts des élèves afin de développer des motivations plus larges, ou à éclaircir les conditions matérielles et sociales favorables à la création d'habitudes de lecture.

1. Voir pour la Belgique : Dumortier J.-L. « L'école et les textes ». Revue de la direction générale de l'organisation des études, 1975, vol. 10, n° 5, pp. 17-24, et les résultats des enquêtes québécoises sur la lecture citées plus haut.

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Recherches en didactique des textes et documents

Lorsque Ton parle de lecture, c'est surtout de lecture « littéraire » qu'il s'agit La fréquentation des textes littéraires permet l'acculturation deTindi-vidu et favorise le développement de la personne dans sa globalité : ils sont chargés à la fois de la formation morale et sociale, psychologique et intellec­tuelle de l'enfant. Ce point de vue court tout au long des quinze années considérées. Surtout représenté dans les travaux de Mareuil (1971, 1976, 1978), on le trouve souvent posé dans les mêmes termes (« formation de la personne », « épanouissement de l'individu » (De Meo, 1983). Pour Viala et Schmitt (1), c'est la richesse des textes littéraires qui leur confère leur valeur formatrice : ils « peuvent plus que d'autres être des objets complexes pour Vobservation et des sollicitations multiples pour l'esprit critique et le plaisir de lire ». Ainsi retrouve-t-on les finalités de l'enseignement des textes à l'école telles qu'elles sont présentées dans les instructions officielles fran­çaises depuis Jules Ferry (Peltier-Laloi, 1982).

Cette fonction de formation est remplie par les textes dès les premiers apprentissages. D'où la place accordée dans le corpus des recherches à la lit­térature enfantine, depuis les albums pour enfants où texte et image favori­sent l'acquisition du langage, l'apprentissage de la lecture et le plaisir de l'imaginaire (Lentin, 1980 ; Paquin, 1984), jusqu'au roman pour la jeunesse (Durand, 1974 ; Mazières, 1978 ; Boutrolle-Caporal, 1982), en passant par les contes et légendes auxquels on assigne un rôle particulièrement impor­tant : ils aident à la structuration de la personnalité et à l'approche du réel (Gueunier, 1977 ; Zonabend, 1980), transmettent des valeurs de socialisation (Pharand, 1982), initient aux effets littéraires (Gueunier, 1977), ou permet­tent l'apprentissage de la communication orale (Seguy, Mora, 1976 ; Bradfer-Blomart, Lam, 1976). À cause de la multiplicité de ses fonctions et par conséquent des différentes lectures qu'il permet (idéologique, psychana­lytique, structurale) le conte peut être utilisé à tous les niveaux d'enseigne­ment (Boissinot, A., Boissinot, J., Chevalier et al., 1978). Encore faut-il prendre des précautions pédagogiques et s'assurer que les conditions de lisi­bilité du texte sont remplies (Soriano, 1977). Pour Romeas et Berthet (1979) la littérature enfantine doit avoir une place à la fois relative (à côté d'écrits fonctionnels ) et privilégiée parce qu'elle développe habitudes de lecture et goût de lire.

Dans le domaine de la didactique du texte littéraire, la décennie 70-80 est celle du soupçon jeté sur « le discours de l'école sur les textes » (2). Sous le couvert de la nécessaire acculturation et de l'intégration des valeurs éthiques et esthétiques par l'enfant, quelle opération de sélection et de reproduction sociale est à l'œuvre ? Sociologie et sociocritique font irruption dans le champ de la didactique et démontent les discours officiels et ceux qui sont

1. In Faire/Lire, Paris, Didier, 1983. 2. Littérature, n° 7,1972.

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LECTURE I ÉCRITURE

tenus par les manuels. Des références-clés traversent un lot important de recherches (1). Des numéros de revues sont consacrés à ranalyse~du fonc­tionnement social des textes et à leur rapport aux institutions culturelles dont l'école fait partie (2). Les recherches en didactique qui reprennent ces pro­blèmes sont trop nombreuses pour pouvoir être toutes citées, preuve que les enjeux sont perçus comme cruciaux. Aussi nous bornerons-nous à donner quelques exemples de la façon dont les questions sont posées.

Plusieurs recherches analysent quelles représentations de l'écrivain se -dégagent des manuels du primaire et du secondaire (Raillard, 1972 ; Fayolle, 1972 ; Meski, 1984) ; quels modèles culturels sont véhiculés (Queréel, 1976 ; Dumortier, 1978 ; Perrot, Brocard, 1980) ; comment sont imbriqués modèles didactiques et modèles culturels (Marchand, 1970 ; Balibar, 1972 ; Camboulive, Alberton, 1976). Les choix de textes opérés par les manuels et le principe même des anthologies sont critiqués à cause de leur ethnocen-trisme, de la vision fragmentaire et superficielle des œuvres qu'ils présentent et des préjugés qu'ils transmettent (Fressange, 1970 ; Corneille, 1971 ; Goldenstein, 1979 ; Ferrand, 1982 ; Laurent, Legros, L, Legros, G., 1983). On leur reproche également un « classico-centrisme » anachronique (3).

[...]

Deux types de texte privilégiés

Le texte narratif

Le texte narratif est largement représenté dans les recherches de la banque, et, sous l'entrée discours narratif, il représente, on l'a vu, environ 75 % des recherches consacrées à l'analyse des discours. Quelles sont les raisons de ce traitement privilégié ?

La première est évidemment en rapport avec la place que tient ce type de texte dans les pratiques scolaires. Il semble généralement admis que le texte

1. Escarpit, R. Le littéraire et le social, Paris, Flammarion, 1970. Balibar, R., Les français fictifs, Paris, Hachette, 1974. Dubois, J., L'institution de la littérature, Bruxelles, Nathan-Labor, 1978. Ainsi que les ouvrages de Bourdieu et les travaux publiés dans les Actes de la recherche en sciences sociales.

2. Pour ne citer que les plus marquants : Littérature, n° 7,1972 : « Le discours de l'école sur les textes », n° 42 et n° 44, 1981 : « L'institution littéraire » I et H. Pratiques, n° 27, 1980 : « L'écrivain aujourd'hui » et n° 32 : « La littérature et ses institutions ». Le Français aujourd'hui, n° 54,1981 : « Ces textes qu'on appelle littéraires ».

3. Le problème de l'actualisation des textes littéraires et de la pédagogie des classiques fait l'objet de trois recherches (Gueunier, Heyndels, Schmitt) parues conjointement dans la même livraison de la Revue de l'Institut de sociologie, n° 3-4, 1980).

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Recherches en didactique des textes et documents

narratif est celui qui est le plus facile à comprendre, à analyser et à pro­duire (1) ; il constitue la première étape dans l'organisation des apprentis­sages ; la narration, genre scolaire par excellence, domine dans l'enseigne­ment primaire et les premières années du cycle secondaire. Sur le plan de la lecture, le récit - et tout spécialement le récit fictionnel - à cause de son infinie variété et du phénomène d'identification qu'il suscite, est propre à développer le goût de lire, n est porteur de connaissances et a une fonction d'ouverture culturelle. On suppose enfin qu'il favorise le développement de l'esprit critique. Toutes compétences qui font le « bon lecteur » (Angoujard, Durand, 1978 ; Goldenstein, 1979 ; Roberge, Bergeron-Choquette, 1980). Le conte jouit d'une faveur particulière : dans la mesure où il parle -à l'inconscient (Perrot, 1984), enracine son lecteur dans une culture (Guerette, 1980) ou l'initie à des cultures différentes (Platiel, 1984), il joue un rôle important dans la mise en place d'attitudes et de compétences culturelles. Ces compétences peuvent être aussi de nature linguistique : compréhension des structures narratives (Charaudeau, Martel, Huchon et al., 1976 ; Adam, Goldenstein, 1976), maîtrise de la cohérence et de la temporalité (Prouilhac, 1983).

En suivant chronologiquement les recherches qui sont centrées sur le récit, on voit se déplacer les problématiques et les références théoriques. En 1973, apparaissent dans la banque des travaux qui appliquent en classe des concepts et méthodes empruntés au structuralisme (Equipe du lycée de Sarcelles : « Structure du récit et enseignement de la littérature »). Une série de recherches entre 1974 et 1979 montre que la méthode est féconde : on s'inspire des modèles de Propp (Martel, Beaulu, 1974), de Greimas (Adam, Goldenstein, 1976 ; Picquenot, 1976 ; Gasse, 1979) ; on se réfère à la sémio-tique, à la narratologie (Verrier, 1974, 1977). Les modèles sont appliqués à des textes figurant déjà au corpus scolaire, mais on innove aussi en tra­vaillant sur des incipit de romans, des films, des émissions de télévision. On dresse une théorie didactique générale (Halte, Petitjean : Pratiques du récit, 1977). Notons que les recherches concernent le niveau primaire (n° 54 et 59 de Repères), mais surtout l'enseignement secondaire.

Parallèlement à ce courant qui se réfère à la linguistique textuelle, se développe un autre courant - surtout représenté dans la revue Pratiques -qui assigne au travail sur les textes narratifs une visée d'apprentissage de l'écrit : fournir aux élèves des grilles de lecture des textes, c'est en même temps établir des matrices formelles de production de textes. La reconnais­sance des schémas narratifs et l'explicitation des règles de fonctionnement de ce discours permettront de maîtriser la production de ce type de texte

1. M. Charolles, 1984, montre cependant la complexité des opérations nécessaires à la compréhension et le nombre de problèmes à résoudre tant au niveau local qu'au niveau macrostructurel.

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LECTURE I ÉCRITURE

(Adam, Halte, Petitjean, 1976 ; Charaudeau, Martel, Huchon et alV, 1976). Le va-et-vient dialectique entre la lecture et l'écriture des textes lîarratifs a un autre effet positif ; celui de changer l'attitude du lecteur : une lecture pro­ductive entraîne la modification du rapport à la culture, celle du statut du livre et de la représentation du rôle de l'écrivain (Halte, Petitjean, 1979).

À partir de 1975, mais surtout dans la période 3 (1980-84), le texte narra­tif est étudié sous l'angle de l'analyse du discours et des typologies. La dimension communicative du langage s'impose et engendre la nécessité de

- former à la maîtrise de tous les types de discours. Quant à la production de textes narratifs, Petitjean (1982 a) propose de partir des mécanismes de pro­duction qu'un enfant met en œuvre lorsqu'il raconte une histoire. On se dégagera ainsi de la prégnance des études littéraires et de la sémiotique appliquée, pour développer une compétence narrative authentique, à fonc­tion sociale.

La poésie

Nous avons vu plus haut que la poésie se taillait la part du lion dans la répartition des recherches selon les genres. Comme pour le texte narratif, on peut questionner cette prééminence. On conviendra qu'elle ne correspond pas à l'usage social du texte poétique, qui reste fort modeste, si on compare sa diffusion à celle des genres narratifs, roman, nouvelle, récit biographique etc. Mais elle est évidemment en rapport avec son utilisation scolaire : en classe, on lit, on apprend, on analyse beaucoup de textes poétiques. La pre­mière remarque qui s'impose est donc que les pratiques scolaires en cette matière ont peu d'impact sur les pratiques sociales, puisque, malgré le phé­nomène de démocratisation de ces vingt dernières années, qui a amené à l'enseignement secondaire un nombre croissant d'élèves, la diffusion des textes poétiques n'a pas augmenté de façon sensible.

Les recherches de la banque ne s'interrogent pas sur cette place faite au texte poétique, ni sur l'hiatus entre usage social et usage scolaire de la poé­sie. Cependant, elles cherchent à répondre à deux questions générales : quelle conception l'école se fait-elle de la poésie, et pourquoi enseigner la poésie.

Dans une étude des instructions officielles françaises, F. Sublet met en évidence le rôle que le système scolaire fait jouer à la poésie : « langage ornemental... qui fait vibrer les âmes » (1), il a pour fonction d'amener à la

1. Sublet Françoise (1978). « La poésie et l'institution scolaire de 1923 à 1972. La péda­gogie de la poésie à travers les instructions officielles ». In Groupe français d'éducation nou­velle (éd.), Le pouvoir de la poésie. Paris, Casterman, pp. 55-83.

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Recherches en didactique des textes et documents

connaissance du « Beau » - fortement lié au « Bien » - et constituera pour l'élève un « trésor » utile pour sa vie d'adulte. De l'élémentaire au "Second cycle, l'institution tend à réduire la poésie à l'exercice de récitation, ce « substitut de la poésie » (Jean, 1978), qui présuppose une attitude de repro­duction passive et de respect du texte, à quoi on opposera un travail de recréation et de pratique poétique où sont engagés le corps et le langage (Jean, 1971 ; Goldenstein, 1978) (1).

Plus que sur tout autre type de texte sans doute, les représentations des acteurs de la communication poétique pèsent sur la poésie. Une recherche analyse les réticences à l'égard de la pédagogie de la poésie chez les maîtres du primaire (Ducancel, 1978). Plusieurs décrivent les représentations dé~s élèves, particulièrement à l'école élémentaire : avec quels textes poétiques ils ont des affinités (Hannoun, 1978), quelle idée ils se font du texte poé­tique par rapport au texte non poétique (Zonabend, 1980). On examine aussi la représentation que maîtres et élèves ont du travail sur la poésie à l'occa­sion de l'introduction de méthodes nouvelles (Gogniat, Michiels, 1982).

Briolet (1979, 1983, 1985) vérifie, après une enquête approfondie, à tous les niveaux d'enseignement, sur les attitudes et motivations des élèves face à la lecture et à l'écriture de la poésie, une théorie de l'intelligence poétique qui fonde les objectifs pédagogiques. La poésie, parce qu'elle fait appel à l'imaginaire et à l'affectivité autant qu'à l'intellect, est un instrument de connaissance de soi et des autres, et parce qu'elle exacerbe le travail sur la langue, fonde l'existence du texte littéraire. La pédagogie du texte poétique devra donc lever les inhibitions et initier à l'« expérience poétique ». « Pédagogie du dire, du lire, de l'écrire et du faire, elle considère la créati­vité comme auxiliaire puissante et non pas rivale de la connaissance » (2).

À la question : qu'est-ce qu'« enseigner la poésie » et « enseigner quoi de la poésie », la réponse le plus souvent donnée est : elle est à enseigner « dans un rapport spécifique à la langue » (Gomer, 1978). La poésie «parole exemplaire » (Janot, 1978) a une fonction décisive dans l'apprentis­sage de la langue. Ce travail se poursuit et s'approfondit dans le va-et-vient permanent entre lecture et écriture.

Le texte poétique est en effet le lieu privilégié de cette dialectique. C'est par le jeu poétique, par l'activité de construction/déconstruction, que naîtra la pratique expénencielle de la poésie, plus efficacement que par l'analyse et

1. Voir aussi l'ouvrage collectif dirigé par H. Romian : Poésie pour tous, Nathan, 1982. Les auteurs (Jean, Lassalas, Pascot, Sublet), travaillant dans le droit fil des orientations du Plan de Rénovation, proposent des activités poétiques en classe (lire, dire, écrire la poésie) issues de recherches-action.

2. In Enseigner le français, A. Petitjean et H. Romian dir., De Boeck-Duculot, 1986, p. 54.

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LECTURE I ÉCRITURE

la récitation. Sur ce thème, les recherches sont nombreuses, centrées tantôt sur le travail/jeu sur la langue (Halte, 1978 ; Murât, 1980), tantôt sur la démarche de libération/structuration (Jean, 1971) ou encore sur le rapport avec les autres arts (Archambault, Panisset-Roussel, 1982). Des pratiques de construction/déconstruction de textes engendrent la double démarche de l'analyse et de la production et se fondent sur des confrontations-échanges des textes entre eux, des textes avec les productions des élèves, dans une progression faite de rebondissements successifs (Balpe, 1983). Enfin, l'ordi­nateur, dont les possibilités en matière d'écriture sont encore insuffisamment explorées, ouvre des perspectives très riches à l'écriture poétique. Utilisé de façon interactive, il amène l'élève, par une succession de choix, à définir sa propre stratégie d'écriture et à s'affronter aux possibilités que lui offre la langue. Liberté, rapidité d'exécution, plaisir du bricolage, obstacles surmon­tés grâce à l'aide fournie par la machine, il offre par là le moyen de faire sauter les blocages de l'écriture et de focaliser l'attention sur les structures de la langue et des textes. Il est « la Muse absente »... (Balpe, 1983).

La pratique du jeu poétique, très en vogue entre 1970 et 1980, pose cependant question : la « créativité » est une notion floue et conduit à beau­coup de déceptions. Se donner comme objectif le « déblocage » de l'écriture est insuffisant si on ne l'accompagne pas d'un réel travail sur le texte (Oriol-Boyer, 1980). Du reste, il ne faut pas se payer de mots, la liberté de parole au sein de l'institution scolaire est limitée et le jeu poétique sera toujours une activité marginale (1).

D'autre part, la créativité se limite finalement à l'imitation et à la répéti­tion, puisqu'il s'agit de reproduire des matrices formelles. Ainsi, « la pro­motion de la poésie à l'école s'accompagne d'une curieuse restriction de sa définition... La pédagogie nouvelle démontre pratiquement que le poème est un jeu sans enjeu, un exercice amusant, une manipulation verbale, analogue aux manipulations grammaticales ou algébriques proposées à d'autres heures » (2).

Toutes ces thèses, concernant la pratique du jeu poétique et l'opposition expression du désir vs efficacité de l'apprentissage, sont analysées dans une mise au point de Delas (1983). Celui-ci distingue « jeu poétique ouvert » et « jeu poétique réglé », le premier ayant pour fin de débloquer l'expression, le second mettant le ludique au service de du pouvoir du discours. Ainsi l'opposition jeu/enjeu recoupe partiellement l'opposition jeu/travail. Si le premier est peu représenté dans la banque, le second semble fécond. Il se justifie « en ce qu'il touche au réel de la langue. Entendu dans sa dimension

1. Cf. BALPE : « L'enjeu de la poésie », Action poétique, 1976, n° 67-68. 2. L. Jenny, « Écrire à l'école, jeux et enjeux », Le Français aujourd'hui, 1980, n° 51,

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Recherches en didactique des textes et documents

vraie, il est le seul moyen d'accéder à cet envers de la langue sans lequel son endroit n'a qu'une existence fantasmatique ou mystificatrice » TPelas, 1983, p. 91).

Comparées à l'abondance des recherches qui tiennent l'écriture poétique pour le nœud de la didactique du texte poétique, les recherches s'attachant à la lecture/analyse de la poésie sont très peu nombreuses : l'écriture est donc bien l'alternative proposée à la pratique de l'analyse de texte.

Le couple lecture/écriture

Transformer la méthode de l'étude des textes littéraires ne suffit pas à résoudre les problèmes posés à la Didactique des Textes et Documents. Une solution plus radicale consiste à proposer des pratiques qui travaillent à partir et autour du texte et organisent un va-et-vient dialectique entre lecture et écriture.

Le poids de l'écrit dans le champ des Textes et Documents est considé­rable : un nombre important de recherches ( près de 20 % des recherches de la liste L3A, près de 10 % des recherches de L3B (1) portent mention d'un rapport lecture/production écrite. Curieusement, ce ne sont pas les exercices scolaires de production écrite communément pratiqués à partir de textes (composition, rédaction, dissertation ou résumé de texte ) qui font l'objet des recherches, mais des pratiques plus marginales comme la production de poèmes écrits (2) et la production de textes longs, le plus souvent narratifs, mais aussi dramatiques. Les recherches sur l'écriture longue ou la produc­tion de poèmes prennent parti contre la gratuité et le caractère factice des écrits scolaires : la situation de communication est fausse, le type d'écrit produit est privé de toute fonction sociale, et, sous couvert de référence au réel, ce sont en fait des textes modèles qui servent de réfèrent (Halte, Petitjean, 1978, 1980). L'écriture longue de fiction, liée au mode de travail en projet (Petitjean, 1980, 1985) permet d'échapper à l'enfermement sco­laire particulièrement démotivant et d'une efficacité limitée, et de mener à la fois des objectifs d'apprentissage et de socialisation. Écrire collectivement une pièce de théâtre, la jouer devant un public extérieur à la classe est une situation d'apprentissage infiniment plus riche où l'on agit en même temps sur le vouloir, le savoir et le pouvoir écrire (Boch, Nest, 1977 ; Petitjean, 1984).

1. Liste L3 A = Textes et documents écrits L3B = Documents pluricodés.

2. La poésie est le type de texte qui offre le plus de références à la production écrite.

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LECTURE I ÉCRITURE

L'enjeu de l'apprentissage de l'écriture entraîne nécessairement*celui de la lecture. Lire pour écrire, écrire pour lire, on insiste beaucoup surjette dia­lectique. Les apprentissages en sont facilités : mettre en pratique des règles d'écriture, que l'on pratique le pastiche (Petitjean, 1984), l'écriture drama­tique, l'écriture romanesque (Idt, 1975), que l'on utilise tel ou tel type de texte (Petitjean, 1981), est la meilleure façon de les repérer et de les com­prendre lorsqu'elles se présentent dans les textes.

Dans la première période, la volonté d'échapper à la tradition en matière .d'approche des textes littéraires (explication de texte, composition française, commentaire critique) et d'abandonner le discours des « Belles Lettres » est explicite (Désirât, Horde, 1975). Mais surtout, dans la mouvance de la"4in-guistique appliquée, on voit dans la pratique conjointe de la lecture et de récriture un moyen de faire acquérir les matrices structurelles de la narrati-vité (Charaudeau, Martel, Huchon et al., 1976 ; Adam, Halte, Petitjean, 1976 ; Ouvrard, 1977) ou les procédures discursives (Charaudeau, Martel, Murcier, 1974). Par l'apprentissage systématique de l'utilisation d'outils de lecture et d'écriture, on abandonne les méthodes empiriques et le « lanso-nisme ». On pense ainsi aider les élèves les moins favorisés et modifier le rapport au texte et à la culture (Goldenstein, 1976 ; Halte, Petitjean, 1977).

Dans la dernière période de notre corpus, cette problématique se poursuit : on continue à opposer le couplage lecture/écriture à l'« artificia­nte de la situation scolaire classique » (Masseron, 1982), et on cherche, à travers l'histoire de l'exercice de composition française, les implications théoriques et les présupposés idéologiques sous-tendus par cette pratique (Isambert-Jamati, 1979 ; Abastado, 1981) ; à travers des exercices de lec­ture/écriture parodique, on lie l'analyse textuelle interne, fondée sur la nar-ratologié, à l'histoire littéraire, en faisant étudier les variantes d'un conte selon les contraintes sociales qui les déterminent (Reuter, 1984).

Il arrive cependant de plus en plus fréquemment qu'on prenne des dis­tances avec la sémiotique appliquée : ainsi, Petitjean (1) part des méca­nismes de production de récits par les enfants eux-mêmes, d'abord orale­ment, puis par écrit, pour faire dégager la spécificité des deux types de textes : au lieu et place d'une application de théories linguistiques, les deux axes de la réflexion, théorie des textes et théorisation des pratiques, sont étroitement liés. Pour Halte (1981), « changer l'écrire » ce n'est pas seule­ment changer de théorie sur l'écriture, c'est aussi transformer les situations scolaires d'activité d'écriture. Ainsi lecture et écriture s'articuleront de façon rigoureuse et cohérente, comme s'articuleront théorie/pratique/péda­gogie (Masseron, 1982 ; Bergeron, Harvey, 1982), démarches pédagogiques et contenus (Petitjean, 1982).

1. « Du récit oral à la fable écrite : la narration enjeu », Pratiques, n° 34, pp. 5-29, 1982.

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Recherches en didactique des textes et documents

À la fin de la période on voit donc clairement émerger une didactique de la lecture/écriture qui se fonde à la fois sur les apports de la sémiotique tex­tuelle et la théorisation des conditions de renseignement/apprentissage (Goldenstein, 1985).

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Achevé d'imprimer en juin 1996 sur DocuTech Rank Xerox

par la NOUVELLE IMPRIMERIE LAB ALLERY 58500 CLAMECY

Dépôt légal : juin 1996 Numéro d'impression : 605318

Imprimé en France

d.l. n" 29593 - 1" trim. 1993