LEDENT, Habiter Toutes Les Dimensions

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LEDENT, Habiter Toutes Les Dimensions

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  • Habiter toutes les dimensionsun regard sur le btiment ieder zijn Huis de Willy Van der meerenGrald ledent, InGnIeur CIvIl arChIteCte, doCtorant FSr, loCI, uCl

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    e dbut des annes 50 marque lavnement de grands programmes de construction de logements en Belgique. Evere est alors une commune essentiellement rurale.

    Son bourgmestre, Franz Guillaume, profite de cet lan pour lui faonner un nouveau visage, bien diffrent de limage dEpinal des cits-jardins quil juge conservatrice. Il ambitionne de faire de sa commune une figure de proue de la modernit. Pour ce faire, il approche Le Corbusier pour la construction dune unit dhabitation. Ce dernier dcline loffre 1 et cest alors quune pre-mire esquisse est commande Willy Van Der Meeren en 1954.

    Le Corbusier ne travaillera pas Evere mais le btiment propos est rsolument moderne et suit les prceptes dvelopps par larchitecte suisse. Le modulor est utilis comme mesure de base et Van Der Meeren exploite explicitement les cinq points dune architecture nouvelle 2. Lensemble de ces principes nous permet une premire comprhension de limmeuble. Le btiment est isol sur une plaine engazonne. Tel une bar-rette aimante, il naccompagne pas les voiries avoisinantes mais soriente obstinment vers le nord. Il est hiss sur pilotis afin de dgager le sol. Ces pilotis initient une structure rpti-tive 3 de portiques qui franchissent la largeur totale du btiment. Cest une structure simple et conomique qui libre les faades. Celles-ci sont constitues dlments prfabriqus articulant lments pleins en bton et chssis en acier. Ldifice culmine sur une toiture-terrasse accessible tous. Le parallle avec lunit dhabitation de Le Corbusier ne sarrte pas l. Rinterprtant le principe de la rue intrieure, Van Der Meeren propose, tous les trois niveaux, une coursive vitre le long de la faade Est. Ledispositif multiplie ainsi les interactions entre les occupants de la centaine dappartements 4 tout en offrant des espaces de circulation qualitatifs. Enfin, le plan des appartements est libre. Autour de deux gaines centrales lune pour les sanitaires, lautre pour les chemines- Van Der Meeren propose des armoires et des parois mobiles qui permettent de produire plu-sieurs typologies de logements 5.

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    1Selon Van Der Meeren, Le Corbusier est encore dpit par le rejet de son projet pour le Linkeroever Anvers vingt ans auparavant, in DE KOONING, MIL (1993). Willy van der Meeren. Damme : Laat-xxe-eeuws genootschap, p.17.

    2LE CORBUSIER et PIERRE JEANNERET, LArchitecture Vivante, 17, 1927.

    3Les portiques sont les seuls lments structurels hors soltre couls sur place. On remarquera aussi leur dgressivit sur la hauteur.

    4Quatre typologies dappartement sont proposes, allant du studio au trois chambres.

    5Ce principe propos par Van Der Meeren ne sera pas suivi par le matre de louvrage, la socit immobilire Ieder zijn huis prfrant fixer la disposition des pices une fois pour toutes. Ieder Zijn Huis, situation Tous droits reservs

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    La fidlit aux thses modernistes et lattention porte aux fini-tions distinguent ldifice de Van Der Meeren. Pourtant, nous gageons que sa qualit fondamentale rside ailleurs. Malgr la taille du btiment et son caractre collectif, larchitecte propose une apprhension par ses usagers de toutes les dimensions delimmeuble. De cette manire, le btiment peut tre arpent et prouv physiquement dans sa totalit par lensemble de ses occupants. Cette donne, peu commune dans un immeuble de logement de cette taille, nous parat une relle qualit pour la viequi sy droule.

    Pour raliser cette gageure, Van Der Meeren procde en deux temps. Dans un premier mouvement, il permet que toutes les mesures et les positions limites du btiment soient apprhendes dans leur intgralit, et cela que ce soit dans la vie quotidienne cheminements depuis lespace public jusque chez soi ou dans les pratiques collectives utilisation des locaux collectifs, de la toiture terrasse, etc.Le niveau du sol est vid de toute valeur domestique privative. Seules des fonctions publiques trouvent leur place, permettant chacun de dambuler ou de laisser courir librement son regard entre les piliers du prau, les espaces dentre gnreux ou la chaufferie, vritable poumon du btiment expos au regard de tous. De mme, la sphre prive est absente au dernier tage du btiment. On y trouve des locaux communs solarium, buan-derie 7 et schoir. Ces espaces ne sont pas des lieux rsiduels, une attention spcifique leur est rserve qui les dmarque du reste de ldifice. Les niveaux extrmes du projet sont donc libres et peuvent tre apprhends matriellement ou visuelle-ment par tous les habitants de limmeuble.La longueur de limmeuble est, elle aussi, saisie dans son int-gralit lintrieur du btiment. Elle lest par la dambulation dans les couloirs ou sur la toiture-terrasse. Elle est galement perue dans les dbordements des paliers intermdiaires des escaliers collectifs qui permettent la circulation des regards dune cage lautre. Les habitants peuvent galement se rendre compte de la largeur du btiment exceptionnellement rduite (9m) compte tenu de sa hauteur (47m) 8. Elle est perceptible lors du passage entre les pilotis, la toiture-terrasse, la buanderie, dans le hall dentre sud, mais aussi les cages descaliers transversales et jusque dans les grands appartements 9. On notera ce sujet le souci de Van Der Meeren de proposer tous la plus grande dimension vivre, jusque dans lchelle la plus domestique de lhabitat. Ainsi les appartements traversants sont organiss selon une diagonale.Enfin, la hauteur totale du btiment peut tre saisie dans les deux grandes cages descalier publiques dans les trmies qui percent sans interruption le btiment verticalement.

    Variations typologiques pourlappartement t3

    Lintrt du btiment rside galement dans la justesse du ton et la qualit de sa mise en uvre. Lattention porte aux habitants peut se lire dans les dtails les plus rudimentaires. Lagencement ingnieux qui combine un mlangeur commun aux baignoires et lavabos dans les salles de bain exiges, les rampes des esca-liers intrieurs de hauteurs ingales qui permettent de dgager lespace de circulation tout en offrant une main courante aux usagers les plus petits, sont autant de tmoignages dun souci rel du confort quotidien de lusager et dune conomie de moyens. De mme, si les garde-corps des escaliers principaux sont constitus de tubes de construction standard, la richesse du dessin leur confre une relle lgance. Cest le cas aussi desplafonds des appartements, rythms par la simple modna-ture des hourdis apparents. Enfin, un jeu de couleurs traverse le btiment dont les espaces dentre sont agrments par deux interventions dartistes 6.

    6Les interventions artistiques sont des fresques murales deJean-Pierre Tuerlinckx et Jo Delahaut.

    7Cet espace a t transform en atelier.

    8A titre de comparaison, lunit dhabitation du Corbusier Marseille a une largeur de 24,5m pour une hauteur de 55m.

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    Soit 65 appartements sur un total de 105.

    01 Rampes lintrieur dun appartement Photo: Georges De Kinder

    02 Rues intrieures Willy Van Der Meeren Archives

    03/04 Cage descalier, situation existante Photo: Georges De Kinder

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    Quand on arrive la toiture-terrasse, lespace est subdivis pour viter tout vertige. Des auvents donnent une mesure et uncou-vert linfini du ciel. La taille, linclinaison vers lintrieur, le large pupitre des garde-corps en bton arm offrent un contre-point quilibr au vertige de la hauteur. La longueur des rues intrieures nest jamais dmesure. Elle est scande par des portes de couleur qui contrarient la monotonie de la rptition. Vritable rue dans le ciel, elle nest pas non plus vertigineuse, grce aux balcons et aux portiques qui la prolongent lext-rieur. Le sol en dalles de bton semble le simple prolongement des trottoirs amnags en ville et conforte cette ide. Jusqu lpaisseur exagre de la rambarde barrant le panorama qui nest pas un hasard mais le souci supplmentaire de donner un rfrent intermdiaire entre le proche et linfini horizon.

    En permettant aux usagers darpenter toutes les dimensions dans son difice, Van Der Meeren nous parle dune valeur essen-tielle de lhabiter, celle de lappropriation du support physique qui nous tient lieu de logement. Or cette appropriation suppose un espace-support adaptable et une proprit, au moins intel-lectuelle qui ne peut voir le jour que par une apprhension pr-alable du support. Celle-ci peut tre physique ou mentale et constitue une condition ncessaire pour permettre lhabitant de sarticuler par rapport lui. Ce trait typiquement humain claire lattachement usuel la maison unifamiliale qui permet lusager dexprimenter physiquement et sensoriellement toutes les dimensions de son habitat. Le logement collectif accomplit un saut complexe cet gard car il pratique, a priori, une rupture quant la proximit sensorielle des dimensions desespaces habits. La collectivit engendre des mesures nou-velles, de grande taille, qui dpassent celles de la cellule indivi-duelle. Le btiment Ieder zijn huis est exemplaire tant il permet chacun de ses habitants de saisir, par une dynamique den-chanement des chelles, les dimensions de lenveloppe phy-sique qui labrite. Cette capacit nest pas anodine car elle facilite lappropriation. Elle permet de comprendre pourquoi on ne loge pas Ieder zijn huis, on y habite.

    sols et dimensions accessibles auxhabitants

    Malgr tout, si toutes les dimensions du btiment sont intelli-gibles, leur grande taille les rend difficilement apprhendables. Cest l que se situe le second tour de force de Van Der Meeren. Une fois la mesure de son btiment perceptible aux personnes qui y vivent, il leur propose de larpenter, de lapprivoiser. Eneffet, chacune des dimensions que nous avons voques est proportionne, quilibre et peut directement tre mesure corporellement. Ce travail de mise lchelle de lhomme est

    ralis travers tout le btiment. Ds lors, si le sol est libr par les pilotis, il ne file pas linfini car il est born ses extrmits, ce qui en facilite lapprciation. Lascension dans le btiment nese dcouvre pas dune traite mais est subdivise par groupes de trois niveaux hauteur de chaque rue. Lespace y devient dautant plus saisissable que Van Der Meeren y propose des petits balcons qui dveloppent une nouvelle chelle interm-diaire accessible lusager.

    rfrences bibliograpHiquesGEERT BEEKAERT, Architecture en Belgique. Architecture Contemporaine. Racine, Tielt, 1996.

    GEERT BEEKAERT, et FRANCIS STRAUVEN, La construction en Belgique. 1945-1970, Confdration nationale de la Construction, Anvers, 1971.

    MIL DE KOONING, Willy van der Meeren, Laat-xxe-eeuws genootschap, Damme, 1993.

    RONNY DE MEYER, ANNE VERDONCK, et KOEN VERSWIJVER, Larchitecture depuis la seconde guerre mondiale, Rgion de Bruxelles Capitale, Collection Larchitecture depuis la seconde guerre mondiale, Bruxelles,2008.

    KOEN VERSWIJVER, De Hoogbouw van Willy Van Der Meeren voor Ieder Zijn Huis in Evere (1952-1961). Historisch, kleur- en materiaaltechnisch onderzoek en voorstel tot renovatie, Vrije Universiteit Brussel Faculteit Ingenieurswetenschappen Vakgroep Architectonische Ingenieurswetenschappen. Bruxelles, 2007.

    Immeuble dappartements avec magasin. Evere Bruxelles. Architecte Willy Van Der Meeren, pp. 50-51 in Architecture, 1954, nr. 10.

    Immeuble 105 appartements Ieder Zijn Huis Evere, pp. 689-694 in Architecture, 1961, nr. 31.

    Toit-terrasse, situation existante Photo: Georges De Kinder