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LEGATO ET SYLLABATION DANS LE CHANT EXPERTISE ACOUSTIQUE ET ARTICULATOIRE DE LENSEIGNEMENT DU LEGATO DANS LA MTHODE VACCAJ Nicole SCOTTO DI CARLO Directeur de Recherche Emrite LPL UMR CNRS Universit de Provence Mdecine des Arts LA MÉTHODE VACCAJ N 1833, Nicola Vaccaj (1790-1848) achevait la rédaction de sa Metodo pratico di canto italiano per camera in 15 lezioni, une méthode originale, destinée aux dilettanti 1 , fondée non plus sur l’entraînement vocal à partir de voyelles (vocalises) ou de syl- labes dénuées de signification ainsi que cela se faisait alors, mais sur des textes ayant un sens, choisis dans les poésies de Metastasio qu’il appréciait particulièrement. Cette innovation pédagogique qui abandonne l’apprentissage monosyllabique du chant au profit d’un apprentissage global utilisant directe- ment les phrases, ne peut que favoriser l’acquisition du legato. L’originalité de la métho- de élaborée par Vaccaj est de faire travailler les débutants sur les notes médiales 2 où ils sont à l’aise, ce qui leur permet de se concentrer sur les difficultés vocales qui sont abordées de façon systématique et progressive. Chaque leçon comporte une mélodie où la difficulté est présentée à plusieurs reprises dans des contextes musicaux et linguistiques différents. Les quinze mélodies qui constituent ces leçons sont classées par ordre de difficulté croissante, la dernière, intitulée « Alla stagion de’ fiori », étant une synthèse de toutes les difficultés qui ont été abordées au cours de la méthode. Vaccaj attachait une très grande importance au legato, au point de lui consacrer la première leçon de sa méthode, celle qui fera précisément l’objet de notre expertise. LE LEGATO DÉFINITION Le legato consiste à passer d'une note à la sui- vante en les liant l’une à l’autre, de manière à ce qu’il n’y ait pas d’interruption perceptible entre elles. Sur le plan auditif, il doit donner une impression de parfaite continuité dans le déroule- ment de la ligne mélodique. Les notes jouées ou chantées de la sorte sont appelées notes liées. RÉALISATION La réalisation du legato diffère en fonction du mode de production du son, qu’il soit musical ou vocal. Le véritable legato n’est possible qu’avec les instruments à cordes frottées, les instruments à vent ainsi que dans le chant. Les autres instru- ments utilisent des techniques de substitution. Instruments à cordes 1. Cordes frappées Ainsi, pour les instruments à cordes frappées comme le piano, il n’existe pas de legato au sens strict du terme, les notes ne pouvant être liées puisque que dès qu‘une touche est relâchée, l’étouffoir retombe sur la corde et interrompt le son. C’est pour cette raison que dans l’enseigne- ment traditionnel du legato, on conseille de ne relâcher la touche qu’au moment précis où l’on enfonce la suivante. Fraser (2003) préconise la technique de l’overlapping. Il invite chaque pia- niste, à rechercher ce qu’il considère comme la E 1. En Italie, au début du XIX e siècle, on appelait dilettanti les musiciens qui se produisaient non pas sur scène comme les professionnels, mais dans les salons. Ce terme n’avait aucune connotation péjorative car les dilettanti in musica étaient généralement d’excellents musiciens. C’est à l’intention de ceux qui souhaitaient apprendre à chanter que Vaccaj décida d’écrire une méthode attractive, leur permettant d’acquérir les fondements techniques du chant, sans être confrontés à des exercices rebutants et fastidieux, comme c’était le cas à l’époque. Sa méthode connut un succès immédiat. Dès lors, les professeurs de chant l’utilisèrent pour enseigner et les chanteurs professionnels pour perfectionner leur technique. 2. Notes situées dans le médium que Vaccaj appelait il centro della voce (le centre de la voix). Il est en effet essentiel que, pendant la première année, l'élève ne fasse que des exercices destinés à le mettre en possession de ses notes médiales (notes centrales d’une voix). Celles-ci étant communes à toutes les catégories pour chaque sexe, on évite ainsi les erreurs de classement. Ce n'est que lorsque sa tessiture va commencer à se préciser que l'on pourra classer l'élève dans une catégorie vocale et qu'il pourra entreprendre l'étude du répertoire correspondant (Scotto Di Carlo, 1980). Portrait de Nicola Vaccaj (1790-1848). Compositeur extrêmement doué, excellent chanteur et professeur de chant très réputé en Europe, Nicola Vaccaj est l’auteur d’une méthode de chant dont le succès ne s’est jamais démenti depuis près de deux siècles et qui continue à être utilisée dans le monde entier.

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LEGATO ET SYLLABATIONDANS LE CHANT

EXPERTISE ACOUSTIQUE ET ARTICULATOIRE DE L!ENSEIGNEMENT DU LEGATO DANS LA M"THODE VACCAJ

Nicole SCOTTO DI CARLODirecteur de Recherche Em#rite

LPL $ UMR %&'( $ CNRSUniversit# de Provence

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LA MÉTHODE VACCAJ

N 1833, Nicola Vaccaj (1790-1848)achevait la rédaction de sa Metodopratico di canto italiano per camerain 15 lezioni, une méthode originale,destinée aux dilettanti 1, fondée nonplus sur l’entraînement vocal à partirde voyelles (vocalises) ou de syl-labes dénuées de signification ainsi

que cela se faisait alors, mais sur des textesayant un sens, choisis dans les poésies deMetastasio qu’il appréciait particulièrement.Cette innovation pédagogique qui abandonnel’apprentissage monosyllabique du chant auprofit d’un apprentissage global utilisant directe-ment les phrases, ne peut que favoriserl’acquisition du legato. L’originalité de la métho-de élaborée par Vaccaj est de faire travailler lesdébutants sur les notes médiales 2 où ils sont àl’aise, ce qui leur permet de se concentrer surles difficultés vocales qui sont abordées defaçon systématique et progressive. Chaqueleçon comporte une mélodie où la difficulté estprésentée à plusieurs reprises dans descontextes musicaux et linguistiques différents.Les quinze mélodies qui constituent ces leçonssont classées par ordre de difficulté croissante,la dernière, intitulée « Alla stagion de’ fiori »,étant une synthèse de toutes les difficultés quiont été abordées au cours de la méthode.Vaccaj attachait une très grande importance aulegato, au point de lui consacrer la premièreleçon de sa méthode, celle qui fera précisémentl’objet de notre expertise.

LE LEGATO

DÉFINITION

Le legato consiste à passer d'une note à la sui-vante en les liant l’une à l’autre, de manière à cequ’il n’y ait pas d’interruption perceptible entreelles. Sur le plan auditif, il doit donner uneimpression de parfaite continuité dans le déroule-ment de la ligne mélodique. Les notes jouées ouchantées de la sorte sont appelées notes liées.

RÉALISATION

La réalisation du legato diffère en fonction dumode de production du son, qu’il soit musical ouvocal. Le véritable legato n’est possible qu’avecles instruments à cordes frottées, les instrumentsà vent ainsi que dans le chant. Les autres instru-ments utilisent des techniques de substitution.

Instruments à cordes

1. Cordes frappéesAinsi, pour les instruments à cordes frappéescomme le piano, il n’existe pas de legato au sensstrict du terme, les notes ne pouvant être liéespuisque que dès qu‘une touche est relâchée,l’étouffoir retombe sur la corde et interrompt leson. C’est pour cette raison que dans l’enseigne-ment traditionnel du legato, on conseille de nerelâcher la touche qu’au moment précis où l’onenfonce la suivante. Fraser (2003) préconise latechnique de l’overlapping. Il invite chaque pia-niste, à rechercher ce qu’il considère comme la

E

1. En Italie, au début du XIXe siècle, on appelait dilettanti les musiciens qui se produisaient non pas sur scène comme lesprofessionnels, mais dans les salons. Ce terme n’avait aucune connotation péjorative car les dilettanti in musica étaientgénéralement d’excellents musiciens. C’est à l’intention de ceux qui souhaitaient apprendre à chanter que Vaccaj décidad’écrire une méthode attractive, leur permettant d’acquérir les fondements techniques du chant, sans être confrontés à desexercices rebutants et fastidieux, comme c’était le cas à l’époque. Sa méthode connut un succès immédiat. Dès lors, lesprofesseurs de chant l’utilisèrent pour enseigner et les chanteurs professionnels pour perfectionner leur technique.2. Notes situées dans le médium que Vaccaj appelait il centro della voce (le centre de la voix). Il est en effet essentielque, pendant la première année, l'élève ne fasse que des exercices destinés à le mettre en possession de ses notesmédiales (notes centrales d’une voix). Celles-ci étant communes à toutes les catégories pour chaque sexe, on évite ainsiles erreurs de classement. Ce n'est que lorsque sa tessiture va commencer à se préciser que l'on pourra classer l'élèvedans une catégorie vocale et qu'il pourra entreprendre l'étude du répertoire correspondant (Scotto Di Carlo, 1980).

Portrait de Nicola Vaccaj (1790-1848).Compositeur extrêmement doué, excellentchanteur et professeur de chant très réputéen Europe, Nicola Vaccaj est l’auteur d’uneméthode de chant dont le succès ne s’estjamais démenti depuis près de deuxsiècles et qui continue à être utilisée dansle monde entier.

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meilleure qualité de legato, en faisant varier ladurée du chevauchement entre deux notes quise suivent, autrement dit, en laissant la premièretouche enfoncée plus ou moins longtemps avantl’attaque de la seconde.Parmi les techniques résonantielles les pluscourantes, il faut également mentionner l’utilisa-tion de la pédale forte qui, en prolongeant larésonance du son, crée un continuum sonoreentre les différentes notes jouées et renforcel’illusion de legato.Par ailleurs, dans la mesure où il est impossiblede lier véritablement les notes entre elles, cer-taines méthodes reposent non plus sur larésonance du son, mais sur son homogénéité,que l’on va essayer d’obtenir soit en veillant à ceque la dynamique soit régulière afin que la noteà enchaîner ne soit ni trop faible ni trop forte parrapport à la précédente, ce qui aurait pour effetde hacher la ligne mélodique (Kaemper, 1968),soit en égalisant la force des doigts par diffé-rents procédés comme :- la bascule centripète des mains afin que, lors-qu’elles sont posées sur le clavier, la ligneformée par les articulations métacarpo-phalan-giennes soit horizontale, ce qui, en positionnantl’axe des doigts faibles (l’annulaire et l’auricu-laire) perpendiculairement au clavier, déplaceleur zone de contact avec la touche de la partiedistale 3 vers la partie centrale de la pulpe, leurconférant une force égale à celle de index et dumajeur) 4 ;- ou l’utilisation du poids du bras, notion introdui-te par Ludwig Deppe en 1885. Le transfert dupoids « consiste à faire porter un poids donné,d’abord sur un point d’appui, par exemple l’ex-trémité d’un doigt, avant de le déplacer sur unautre » (Ortmann, 1968). En exécutant unesérie de notes par transfert du poids, et à condi-tion que celui-ci soit correctement exécutégrâce à un dosage précis du poids du bras pourchaque son, toutes les notes seront jouées avecla même force, ce qui confèrera à l’interprétationune impression de legato (Kaemper, 1968).

2. Cordes pincéesPour les instruments à cordes pincées commela harpe, c’est la résonance de la vibration descordes, jouées successivement, qui donne l’illu-sion d’une continuité entre les notes et doncd’un legato. S’il lui arrive de jouer en bas descordes ou de les attaquer avec les ongles pourobtenir certains effets sonores, le harpiste jouegénéralement sur leur partie médiane, en lespinçant avec la pulpe du doigt. En effet, c’est aumilieu de la hauteur des cordes que l’amplitudede la vibration est maximale et que le son qui enrésulte est plus intense et plus riche en harmo-niques 5. Le fait que les cordes vibrent avec unegrande amplitude a également pour effet de pro-longer la résonance de la note. Dans les

passages qui doivent être joués legato, il suffitdonc au harpiste de veiller à ne pas l’étouffertrop vite en posant prématurément un doigt ousa main à plat sur les cordes, selon qu’il sou-haite arrêter la vibration de l’une ou de plusieursd’entre elles.

3. Cordes frottéesDans les instruments à cordes frottées, commele violon, le legato est subordonné à la tech-nique de l’archet. En effet, à condition que lemouvement de celui-ci soit continu et sa vitesseconstante, les notes jouées sur une même lon-gueur d’archet sont nécessairement liées car, àl’exception de la première, elles ne comportentpas de transitoires d’attaque 6 susceptibles d’in-terrompre le continuum sonore.On joue du violon en tirant l’archet du talon à lapointe (de son extrémité inférieure à son extré-mité supérieure) et en le poussant de la pointeau talon, perpendiculairement aux cordes. Cechangement de direction dans le mouvement del'archet est appelé changement d’archet. Le centre de gravité d’un archet est situéapproximativement à son tiers inférieur car sapartie basse est alourdie par la hausse, unepièce de bois contenant le mécanisme qui per-met, en coulissant, de tendre ou de relâcher lescrins de la mèche. Lors d’une attaque au talon,au cours d’un tiré, la pression de l’archet sur lescordes est plus importante, non seulement enraison du poids de la hausse, mais aussi parceque le violoniste, qui tient l’archet à ce niveau,exerce une pression directe et proximale sur lacorde. En revanche, lors du poussé, dans lamesure où l’on pousse l’archet de la pointe versle talon, la pression exercée sur la corde par lapointe de l’archet est plus faible à cause de lalégèreté de cette dernière et de l’éloignement dela main du violoniste. C’est la raison pour laquelle,lorsque la longueur d’un passage legato néces-site un changement d’archet, afin que l’on neperçoive pas la différence de sonorité entre letiré et le poussé, le violoniste doit compenser lesdifférences de pression exercées au niveau dela pointe et du talon par un ajustement musculaire

Lorsque la longueur d!un passage legato n#cessite un changementd!archet, afin que l!on ne per-oive pas la diff#rence de sonorit# entre

le tir# et le pouss#, le violoniste doit compenser les diff#rences depression exerc#es au niveau de la pointe et du talon par un ajustement

musculaire continu du bras et de la main, qui va lui permettred!obtenir une pression homog.ne sur les cordes et par voie de

cons#quence, un legato de qualit#/

3. En anatomie, partie la plus éloignée du centre du corps ou de la racine d’un membre.4. C’est cette technique que Liszt recommandait à ses élèves, lorsqu’il leur demandait de placer leur main sur le clavieren la tenant « plus élevée du côté du cinquième doigt que du côté du pouce » (Kaemper, 1968). Il leur disait égalementde « ne jamais oublier qu’on ne joue pas avec le bout des doigts mais avec la phalange, de sorte que celle-ci reposepresque à plat sur la touche », ce qui peut paraître contradictoire. Mais sa première recommandation s’adressait à unetenue de mains « doigts arrondis », alors que dans la tenue de mains « doigts allongés », les articulations métacarpo-phalangiennes sont nécessairement alignées et confèrent par conséquent la même force à chaque doigt puisque chacund’eux attaque la touche avec la partie centrale de la pulpe.5. Au sens acoustique du terme, les harmoniques sont les éléments constitutifs d’un son complexe.6. Bruit d’intensité, de fréquence (hauteur) et de durée variables qui est présent à l’attaque d’une note et qui correspondau frottement du crin de l’archet sur la corde d’un violon, à l’impact produit par le marteau percutant la corde d’un piano, etc.Les transitoires d’attaque jouent un rôle important dans la reconnaissance du timbre spécifique à chaque instrument.

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continu du bras et de la main, qui va lui per-mettre d’obtenir une pression homogène sur lescordes et par voie de conséquence, un legatode qualité.

Instruments à vent et chant

En ce qui concerne les instruments à vent et lechant, le legato dépend essentiellement de lagestion du souffle. Les ventistes comme leschanteurs classiques doivent travailler leurmusculature abdominale afin de pouvoir maîtri-ser parfaitement le travail antagoniste desmuscles inspirateurs (diaphragme, intercos-taux) et des muscles expirateurs (abdominaux,périnéaux). En retardant la vidange pulmonaire,la coordination de ces deux groupes muscu-laires permet non seulement de prolonger lesouffle mais de contrôler l'intensité, la justesseet la stabilité du son ou de la voix (Hutois &Scotto Di Carlo, 2006).Selon le répertoire, certains instruments à vent,comme le basson, la clarinette, le cor ou la trom-pette, peuvent nécessiter l’utilisation d’une autretechnique de souffle appelée souffle continu ourespiration circulaire qui permet de maintenir unsouffle d’air continu en utilisant la réserve d’air

buccale emmagasinée dans les joues, pourrelayer la réserve d’air pulmonaire dès que celle-ci commence à s’épuiser. L’instrumentiste prendalors une inspiration nasale rapide tout en expul-sant l’air contenu dans sa cavité buccale afind’assurer la continuité sonore, puis il reprendl’expiration pulmonaire dès que ses poumons sesont remplis. La parfaite maîtrise de cette tech-nique permet au musicien de jouer sans aucuneinterruption du flux aérien et a posteriori de laligne mélodique, ce qui produit un legato d’unequalité incomparable. Au moment de l’inspirationnasale, l’expulsion de l’air buccal peut être réali-sée soit en contractant les muscles des joues,soit en le poussant avec la langue.Du point de vue respiratoire, le legato vocal peutdonc être assimilé au legato des instruments àvent. Toutefois, en raison de la spécificité de lavoix chantée qui est la seule de tous les instru-ments de musique à véhiculer la parole, il estindispensable d’étudier l’incidence de cette der-nière sur le legato.

NOTIONS ÉLÉMENTAIRES DE PHONÉTIQUEARTICULATOIRE

Auparavant, dans le but de faciliter la compréhen-sion de l’analyse articulatoire du legato de la voixchantée, nous rappellerons quelques notions suc-cinctes de phonétique relatives aux voyelles etaux consonnes du français dont le système pho-nétique est relativement proche de celui del’italien pour les mots que nous avons analysés.

VOYELLESOn distingue deux grandes classes de voyelles :

- les voyelles orales, réalisées avec le voiledu palais appliqué contre la paroipostérieure du pharynx, pour lesquelles l'airpulmonaire sort uniquement par la cavitébuccale. Les voyelles dites orales sont [i],[e], [!], [a], ["], [o], [#], [u], [y], [ø], [œ]$, [%] 7.- les voyelles nasales, réalisées avec le voiledu palais abaissé, pour lesquelles l'air expirépasse à la fois par la cavité buccale et lesfosses nasales. Ce sont les voyelles [!&], ["&],[#&], [œ&] 8 (figure 1).

Parce qu’elles sont émises sans aucune obs-truction du tractus vocal 9, les voyellesconstituent un support mélodique idéal pour lechant. Elles ne posent donc pas de problèmesparticuliers aux chanteurs, à l’exception desvoyelles nasales que l’on ne peut pas tenir enraison de l’inertie du voile du palais. En s’af-faissant sur le dos de la langue au bout dequelques centièmes de seconde, il obstrue lacavité buccale et la voyelle nasale devientalors un son émis bouche exclue, au timbrehypernasalisé. Afin d’éviter ce son particulière-ment inesthétique, les chanteurs utilisent unartifice qui consiste à tenir la voyelle orale cor-respondante 10 et à ne la nasaliser, enabaissant le voile du palais, qu’au derniermoment (Scotto Di Carlo, 2007).

Du point de vue respiratoire,le legato vocal peut 1tre

assimil# au legato desinstruments 2 vent/ Toutefois,en raison de la sp#cificit# de lavoix chant#e qui est la seule de

tous les instruments de musique2 v#hiculer la parole, il est

indispensable d!#tudierl!incidence de cette derni.re

sur le legato/

Figure 1. Positions du voile du palais pour la production des voyelles orales et nasales.A. Voyelle orale. L’air pulmonaire (flèches rouges) s’échappe uniquement par la bouche, parceque le voile du palais (en gris), accolé à la paroi postérieure du pharynx (en rouge), l’empêched’accéder aux fosses nasales.B. Voyelle nasale. En s'abaissant, le voile du palais se détache de la paroi postérieure dupharynx et laisse l’air pulmonaire s’écouler à la fois par le nez et par la bouche. C. Anatomie. 1. Palais dur — 2. Paroi postérieure du pharynx — 3. Voile du palais — 4. Luette — 5. Langue — 6. Cordes vocales.

7. Les symboles phonétiques utilisés pour transcrire les sons de chaque langue sont codifiés par l’International Phonetic Association (IPA) et constituent l’Alphabet PhonétiqueInternational (API). La liste ci-dessous indique pour chaque symbole du français, le son qu’il représente à travers ses différentes graphies. Les voyelles orales sont : [i] = six, lys ;[e] = ému, aimer, peiner ; [!] = mère, être, paire ; [a] = patte; ["] = pâte; [o] = pot, beau ; [#] = port ; [u] = fou, loup, saoul ; [ø] = peu ; [œ] = peur, œuf ; [%] = petit, cheval.8. Les voyelles nasales sont [!&] = pin, bain, sein ; ["&] = banc, menthe ; [#&] = pont ; [œ&] = brun.9. Conduit pharyngo-buccal situé entre les cordes vocales et les lèvres (cf. figure 5 B).10. Voyelle orale produite dans la même zone d'articulation que la voyelle nasale, à l’exception du voile qui est soulevé au lieu d’être abaissé. Exemple : [!] = paix et [!&] = pain ;["] = pâte et ["&] = pan ; [#] = lors et [#&] = long ; [œ&&] = un et [œ] = œuf.

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CONSONNES

Dans le chant, le tractus vocal doit être entière-ment dégagé. Or, certaines consonnes ditesocclusives comme [p], [b], [t], [d], [k], ['] 11 sontréalisées avec une obstruction totale du tractusvocal. L’air pulmonaire s’accumule derrière lepoint d’articulation et la pression intra-orale 12

augmente rapidement, jusqu’au moment où elledevient telle que les organes articulateurs nepeuvent plus lui opposer de résistance. Ils seséparent alors brusquement tandis que l’airs’échappe avec un bruit d’explosion.Pour les consonnes occlusives, le point d’articu-lation est l’endroit où se produit la fermeture ouocclusion du tractus vocal. C’est le contact entreles articulateurs inférieurs (lèvre, langue) et lesarticulateurs supérieurs (lèvre, dents, palais dur,voile du palais, luette) qui crée cette occlusion.Par exemple, pour [p] et [b], l’occlusion est réa-lisée par la mise en contact des lèvressupérieure et inférieure, pour [t] et [d] c’est lapointe de la langue (apex) qui se plaque contreles alvéoles 13 des incisives supérieures et pour[k] et ['], l’occlusion se produit entre la partiedorsale de la langue et le voile du palais.D’autre part, dans la parole, on n'articule jamaisun phonème 14 après l'autre, mais on anticipel’articulation du phonème qui suit celui que l’onest en train de prononcer. Ce phénomène decoarticulation explique que le lieu d’articulationdes consonnes varie en fonction du contextevocalique 15. Par exemple, si les consonnes [k]ou ['] sont suivies d’une voyelle antérieurecomme [i], leur lieu d’articulation se déplaceravers la région pré-palatale et sera plus antérieurque si elles sont suivies d’une voyelle postérieurecomme [u] pour laquelle leur lieu d’articulationva reculer vers la région post-palatale (figure 2).En ce qui concerne les consonnes constrictivescomme [f], [v], [s], [z], [(], [)] 16, il se produit unrétrécissement ou constriction du tractus vocalqui génère des turbulences du flux aérien et parconséquent des bruits de friction. C'est la rai-son pour laquelle on les appelle également desfricatives.Les consonnes empêchent non seulement letractus vocal d’être totalement libre, ce qui nuità la qualité du son, mais elles compromettent lelegato en introduisant des coupures, ainsi quedes bruits d’explosion ou de friction dans lecontinuum sonore. Ainsi que nous le verronsplus loin, l’amortissement de ces bruits para-sites qui est réalisé par les chanteurs dans unbut esthétique a pour effet de réduire la duréedes consonnes. Sur le plan perceptif, celarevient à sous-articuler et va avoir des consé-quences sur l’intelligibilité, dans la mesure oùles consonnes véhiculent la quasi-totalité dumessage parlé ou chanté. Les chanteurs doi-vent donc rechercher en permanence un délicatéquilibre entre l'esthétique du son et l'intelligibi-lité du texte chanté. L’interview que DameFelicity Lott a donnée à La Lettre du Musicien

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11. Exemple de la valeur des symboles phonétiques pour les occlusives : [p] = porte ; [b] = beau ; [t] = table ; [d] = dur ; [k] = car, quand, écho ; ['] = garde, guerre.12. Pression qui règne à l’intérieur de la cavité buccale.13. En phonétique articulatoire, terme désignant le rebord muqueux, légèrement en saillie, situé à la jonction entre la gencive et les incisives supérieures.14. En phonétique, élément sonore du langage (consonne ou voyelle), considéré du point de vue physiologique et acoustique (CNRTL). En linguistique, unité phonique minimale àfonction distinctive dans une langue donnée. Les consonnes [p] et [b] sont des phonèmes en français puisqu'elles permettent de distinguer des mots comme « peau » et « beau »,« pont » et « bon », « pas » et « bas », « poux » et « boue » ou « pain » et « bain », etc., dont l'environnement phonique est par ailleurs identique.15. Qui se rapporte aux voyelles.16. Exemple de la valeur des symboles phonétiques pour les constrictives : [f] = forêt, philtre; [v] = voix, wagon; [s] = soleil, fosse, pouce, hameçon; [z] = base, zèbre; [(] = chat,schéma; [)] = jaune, gens.

Figure 2. Palatogrammes de la consonne [k] suivie de la voyelle antérieure [i] et de la voyellepostérieure [u].La palatographie est l'ensemble des techniques utilisées en phonétique expérimentale pourdéterminer les zones de contact entre la langue et le palais pendant l’articulation des sons dulangage et pour étudier certains phénomènes de coarticulation. Ainsi, par exemple, ces deuxpalatogrammes révèlent la trace du contact laissé par la langue sur le palais quand la sopranoprononce la séquence [aki] « acquis » et [aku] « à coup ». Dans les deux cas, la voyelle [a]située en début de mot n’a pas d’influence sur la consonne [k] qui la suit. En revanche pour lasyllabe [ki] dans la première séquence et [ku] dans la seconde, l’articulation de [k] va sedéplacer en fonction de celle de la voyelle subséquente. Lorsque [k] est suivi de la voyelle [i],qui est produite dans la partie antérieure de la cavité buccale, son articulation est antériorisée,alors que lorsqu’il est suivi de la voyelle [u], prononcée dans la partie postérieure de la bouche,son articulation est postériorisée.Pour [aki], la trace du contact linguo-palatal s’étend de la face distale (postérieure) descanines jusqu’aux dernières molaires. L’occlusion, matérialisée par une fine barreperpendiculaire à l’axe médian de la voûte palatine passant par l’espace interincisif, estréalisée au niveau de la première prémolaire. Pour [aku], les contacts latéraux partent de laface mésiale (antérieure) des premières molaires et le contact central où est réalisé l’occlusioncommence seulement au niveau de la face distale de la seconde molaire. C’est l’endroit précisoù se produit l’occlusion qui détermine le lieu d’articulation des consonnes occlusives etpermet de les classer. Chez ce sujet, on observe pour [aku] un recul important du lieud’articulation (trois dents) par rapport à [aki].Sujet : Mady Mesplé, voix parlée.

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pendant l’été 2009 et dans laquelle elle répondà la question qu’on lui posait concernant le tra-vail de la diction, montre qu’elle est pleinementconsciente de ces problèmes :

Il faut moins penser à sa voix, car il est difficile d’avoirune voix parfaite, aussi ronde qu’un instrument et enmême temps, de faire passer le texte. Les consonnes,par exemple, interrompent la ligne de chant. Il y a unvéritable travail d’articulation à faire, notamment, sur lafaçon de bouger les lèvres. Dans la mélodie, il estessentiel de faire passer le texte, car c’est toujours lepoème qui a inspiré le compositeur.

Après ce bref rappel de phonétique articulatoiresur la production des voyelles et desconsonnes, nous allons aborder le legato dansle chant, tel que l’enseignait Nicola Vaccaj.

IMPORTANCE DE LA SYLLABATION POUR LELEGATO VOCAL

A propos de la Leçon 1, consacrée aux degrésconjoints 17 et dont l’arietta est intitulée « Mancasollecita », Vaccaj écrit (Vaccaj, 1833/1990) :

Dans cette première leçon, les syllabes sont divisées defaçon peu conventionnelle, afin de donner une idéeaussi claire que possible de la manière dont on doit pro-noncer en chantant ; comment utiliser, grâce à lavoyelle, la valeur d’une ou plusieurs notes et unir laconsonne à la syllabe qui suit. Cela facilitera l’appren-tissage du chant legato qui n’est pas aisé à enseigner,si ce n’est par l’exemple vocal que peut en donner unbon professeur. (Figure 3)

Le texte de l’arietta « Manca sollecita piùdell’usato, anchorchè s’agiti con lieve fiato, faceche palpita presso al morir » 18 est syllabé de lafaçon suivante :

Ma-nca so-lle-ci-ta più de-ll’u-sa-toa-nco-rchè s’a-gi-ti co-nlie-ve fia-tofa-ce che pa-lpi-tapre-ssoa-lmo-rir

Un examen superficiel de la division syllabiquedu poème de Metastasio montre effectivementque dans les syllabes fermées 19, la consonneterminale est systématiquement transférée audébut de la syllabe suivante, le but de Vaccajétant de prolonger la durée des voyelles etd’abréger celle des consonnes afin de favoriserle legato.

ANALYSE DE LA SYLLABATION DANS LA PREMIÈRE LEÇON

Un examen plus approfondi de la façon dont lessyllabes sont restructurées dévoile une réalitébeaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. La syl-labation conseillée par Vaccaj est unesyllabation que l’on peut qualifier d’anti-phonoé-pischésique 20. En effet, l’analyse phonétiquedes coupes syllabiques qu’il indique met en évi-dence une volonté d’éviter les phénomènesarticulatoires susceptibles de compromettre laqualité du legato en introduisant des interrup-tions dans le continuum sonore et en particulierles consonnes occlusives à l’initiale de syllabe,les hiatus externes, les géminées, ainsi que lesvoyelles nasales et nasalisées.

- Les consonnes occlusives en début de syllabeNous avons vu que les consonnes occlusivesinterrompent la ligne mélodique. Elles ont aussides effets néfastes sur la justesse de l’attaquedes voyelles subséquentes (Scotto Di Carlo &Raphaël, 1977). Pour éviter que les syllabescommencent par des occlusives, chaque foisque le contexte s’y prête, Vaccaj déplace lesconsonnes comme [l] ou [r] 21 pour les fairepasser à l’initiale de la syllabe suivante. Ainsi,par exemple, pour « ancorché » qu’il syllabe« a-nco-rché », « palpita » syllabé « pa-lpi-ta »ou « al morir » syllabé « a-lmo-rir ». En raisonde leur structure acoustique proche de celle desvoyelles, les consonnes [l] et [r] n’interrompentpas la ligne mélodique, n’ont pas d’incidencesur la justesse de la voyelle subséquente etlorsqu’elles sont suivies d’une consonneocclusive sourde, comme c’est le cas ici avec[p] et [k], pour les deux premiers exemples, ellesen réduisent la tenue et l’explosion, ce quiminimise les interruptions de la ligne mélodiqueet par voie de conséquence, améliore le legato.Comment peut-on expliquer ce phénomène dupoint de vue articulatoire ? Prenons l’exemple dela séquence [lpi] dans « palpita ». Pendantl’émission de [l], la langue se trouve en contact

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LEGATO ET SYLLABATIONDANS LE CHANT

Figure 3. Premières mesures de la Leçon 1de la méthode Vaccaj montrant commentsyllaber le texte pour améliorer le legato.1) Division syllabique traditionnelle2) Division syllabique vaccajenne.

17. Intervalle musical compris entre deux notes de la gamme qui se suivent.18. « Il s’éteint plus vite qu’on ne le pense, bien qu’agité par un léger zéphyr, le flambeau vacillant près de mourir. »(Traduction française des Editions Peters)19. On appelle syllabe fermée une syllabe terminée par une consonne et syllabe ouverte, une syllabe terminée par unevoyelle.20. Du grec phonê = voix et épischésis = interruption. Nous désignons sous le terme de phonoépischésis l’interruption momen-tanée de la vibration des cordes vocales, due à des phénomènes articulatoires d’origine aérodynamique.21. Il s’agit du « r » apico-dental dit « roulé », utilisé en italien.

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avec le palais et l’air expiratoire s’échappe par lescôtés. La pression intra-orale est donc pratique-ment nulle. Lorsque les lèvres se ferment pourarticuler [p], les cordes vocales sont encore entrain de vibrer et cisaillent le flux aérien, formantainsi un obstacle intermittent au passage de l’air,à chaque fermeture de la glotte 22. De ce fait, lapression subglottique 23 n’est pas suffisante pourgénérer une explosion caractérisée. La tenue de[p] est donc raccourcie et son explosion amortie.De même, pour la séquence [rke] dans« ancorché ». Pendant la réalisation du [r], sousla pression de l’air pulmonaire, la pointe de lalangue, qui se trouve à proximité des incisivessupérieures, se met à vibrer et entre en contactavec les alvéoles, produisant une série d’occlu-sions très brèves qui interrompent le sonlaryngé par intermittence. Les phases d’ouver-ture glottique ne durent pas suffisamment pourpermettre à la pression subglottique d’augmenter.Au moment où le dos de la langue se soulèvepour se mettre en contact avec le palais dur afinde réaliser la consonne occlusive [k] suivie de lavoyelle [e], la pression intra-orale n’est pas suf-fisante pour provoquer l’explosion quicaractérise les occlusives, ce qui a pour consé-quence de réduire la durée de la tenue du [k] etd’en affaiblir l’explosion.En ce qui concerne la séquence [lmo] dans« presso al morir » que Vaccaj a syllabé« pre-ssoa-lmo-rir », le déplacement du [l] dansla syllabe suivante n’est pas justifié, puisquel’avant-dernière syllabe commence par [m] qui,étant une consonne à structure vocalique,n’entraîne pas de rupture de la ligne mélodique.Pour quelle raison Vaccaj a-t-il syllabé « pressoal morir » de la sorte ? Vraisemblablement pouréviter un hiatus.

- Les hiatus externesIl s’agit de la rencontre de deux voyelles appar-tenant à des syllabes contiguës à l’intérieur d’unmême mot (hiatus interne) ou à la frontière entredeux mots (hiatus externe ou transitoire),comme c’est le cas dans « presso al morir » oùle premier mot se termine par [o] alors que ledeuxième commence par [a]. Lorsque deuxvoyelles sont ainsi en contact, il est fréquent quedans certains contextes (après un “h” aspiré,une emphase) ou pour mieux les différencier, onles sépare par un coup de glotte 24 démarcatif quiprovoque une interruption momentanée ducontinuum sonore. Pour éviter le hiatus, Vaccajle transforme en diphtongue 25 en syllabant« pre-ssoa-lmo-rir ».

- Les géminées On appelle ainsi les consonnes redoublées, quidans certaines langues, comme l’italien, ont une

fonction phonologique permettant de distinguerdeux mots dont la signification est différente,selon qu’ils sont prononcés avec ou sans gémi-nation. Par exemple, « papa » (pape) s’opposeà « pappa » (bouillie); « sete » (soif) à « sette »(sept) ; ou encore « pala » (pelle) à « palla »(balle). L’EPG 26 en précise le mécanisme,notamment en ce qui concerne la double occlu-sion que mentionnent certains traités dephonétique. En réalité, ainsi que le préciseMarchal (1990) pour le français,

à l’exception des occlusives sonores 27, il n’y a pas derupture d’occlusion mais une tenue prolongée avecfléchissement des appuis linguo-palatins à mi-course ;de ce fait, une géminée comporte trois phases 28,comme n’importe quelle occlusive simple.

Pour l’italien, langue dans laquelle les géminéesont une fonction distinctive importante, on obser-ve un « doublement de la durée de la tenue,sans relâchement de l’occlusion, sauf pour lesconsonnes sonores » (Marchal, 2010).Dans le texte de cette arietta, la gémination neconcerne que la consonne constrictive latéralesonore [l], qui, comme nous l’avons vu, lorsqu’ils’agit d’une latérale simple, est réalisée par uncontact de la pointe de la langue contre les inci-sives supérieures, leurs alvéoles ou la région

prépalatale, en fonction de la voyelle qui la suit.Il se produit alors une occlusion partielle car l’airs’échappe de chaque côté de la langue avec unfaible bruit de friction. On peut donc prolongersa tenue aussi longtemps que nécessairepuisque la fuite d’air latérale empêche la pres-sion d’augmenter dans la cavité buccale et deprovoquer l’explosion qui caractérise les occlu-sives. Pour cette raison, le schéma articulatoirede la gémination du [l] en italien se rapprochevraisemblablement de celui des constrictivessourdes réalisées par un allongement de la tenue.Bien qu’il n’y ait pas d’interruption du continuumsonore, le spectre acoustique des géminéesprésente une atténuation importante des harmo-niques pendant la transition entre le premier et

L!analyse phon#tique des coupes syllabiques indiqu#es par Vaccajmet en #vidence une volont# d!#viter les ph#nom.nes articulatoiressusceptibles de compromettre la qualit# du legato en introduisant

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22. Espace circonscrit par les cordes vocale s’ouvrant sur la trachée.23. Pression au-dessous des cordes vocales.24. Lorsque l’ajustement chronologique entre la poussée expiratoire et la fermeture de la glotte est synchrone, comme c’est le cas dans l’attaque usuelle, on parle d’attaque simultanée ;si la fermeture glottique précède la poussée expiratoire, l’attaque est dite en coup de glotte et si la poussée expiratoire précède la fermeture de la glotte, on dit alors que l’attaque estsoufflée.25. Voyelle qui, au cours de sa tenue, subit une variation de timbre perçue comme la fusion de deux voyelles en une seule syllabe.26. Abréviation pour électropalatographie. Egalement appelée palatographie dynamique, l’électropalatographie est une technique utilisée en phonétique expérimentale pour étudier leszones de contact entre la langue et le palais pendant la réalisation de séquences entières de parole continue, grâce à un système de micro-contacts disposés sur la plaque palatineet reliés à un enregistreur. On utilise une fine plaque d'acrylate prépolymérisé appelée « palais artificiel » qui est obtenue à partir du moulage de l'arcade dentaire supérieure. Cetteplaque recouvre entièrement la voûte palatine et s'arrête au niveau du collet des dents.27. Contrairement aux occlusives sourdes qui sont produites à glotte ouverte afin d’empêcher l’entrée en vibration des cordes vocales, les occlusives sonores sont réalisées à glottefermée, avec une vibration des cordes vocales et un abaissement laryngé.28. Les trois phases d’une occlusive sont l’attaque, appelée aussi implosion ou catastase (mise en place des organes), la tenue (maintien de la position des organes sous tension) etle relâchement appelé également détente ou métastase (retour des organes à leur position de repos ou préparation à la production du phonème suivant). L’explosion qui caractériseles consonnes occlusives se situe à la fin de la tenue, juste avant le relâchement.

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le second [l], due au fléchissement des appuislinguo-palatins. Dans le chant, cette altérationspectrale, perçue comme une discontinuité dela ligne mélodique, nuit à la qualité du legato.C’est la raison pour laquelle Vaccaj suggère dene pas prononcer les géminées, en syllabant« so-lle-ci-ta » et non « sol-le-ci-ta » et « de-ll’u-sa-to » plutôt que « del-lu-sa-to ».

- Les voyelles nasales et nasaliséesSi, du point de vue phonologique 29, les voyellesnasales n’existent pas en italien, du point de vuephonétique, elles ont une réalité bien concrète entant que phonèmes nasals ou en tant que pho-nèmes nasalisés résultant de la coarticulation,c’est-à-dire des modifications subies par un pho-nème oral au contact d’un phonème nasal, dansle déroulement de la chaîne sonore. Ainsi quenous l’avons vu, on ne produit pas les sons dulangage en les articulant les uns après lesautres, mais en anticipant ceux que l’on va pro-noncer. Prenons l’exemple de « ancorché ». Aucontact de la consonne nasale [n], il se produitun phénomène de nasalisation par assimilationrégressive sur la voyelle orale [a], « assimila-tion » signifiant que l’un de ces phonèmes agitsur l’autre et « régressive » que, dans la chaînesonore, l’élément assimilant [n] se trouve aprèsl’élément assimilé [a]. Que se passe-t-il lors-qu’on prononce « ancorché » ? Quelquesmillièmes de seconde après l’attaque de lavoyelle orale [a], le voile du palais commence às’abaisser pour préparer la production de laconsonne nasale [n] qui la suit. De ce fait, laseconde partie de la voyelle [a] est nasaliséepuisqu‘elle est réalisée avec un voile abaissé.Pour quelle raison Vaccaj conseillait-il de sylla-ber « a-nco-rchè » pour « ancorché »,« co-nlie-ve » pour « con lieve » ou « ma-nca »pour « manca » ? Quelle conséquence peut

avoir la nasalisation sur le legato ? Les analysesacoustique et articulatoire du cas de « manca »,qui est le premier mot de la première leçon deVaccaj, vont nous permettre de le savoir.

VÉRIFICATION EXPÉRIMENTALE POUR « MANCA »

Pour comprendre ce qui se se passe sur le planacoustique lorsqu’on prononce « man-ca » de lamanière traditionnelle et en respectant lesconseils de Vaccaj, nous avons procédé à leuranalyse comparative.

Enregistrement du corpus

Un enregistrement de ces deux façons de sylla-ber en chantant a été effectué dans la chambresourde 30 du Laboratoire CNRS Parole etLangage, Université de Provence, par un bary-ton professionnel réputé pour la qualité de sonlegato. Afin de neutraliser la fréquence 31 et ladurée, paramètres qui, dans ce type d’analyse,sont susceptibles de fausser les résultats lors-qu’ils ne sont pas contrôlés, nous avonsdemandé au baryton de chanter les deux syl-labes de chaque mot sur la même note, avecdes durées égales en lui laissant le choix d’untempo 32 spontané dont nous avons calculéensuite la cadence métronométrique 33.L’analyse acoustique a été réalisée avecPhonedit, un logiciel d’analyse vocale dévelop-pé par les ingénieurs informaticiens duLaboratoire Parole et Langage d’Aix-en-Provence, qui décompose le son en sesdifférents éléments 34, de même qu’un prismedécompose la lumière solaire en ses couleursconstitutives. Sur le document obtenu, appelésonagramme, la fréquence est représentée enordonnée (verticalement) et la durée en abscisse(horizontalement). Quant à l’intensité des diffé-rentes composantes du son, elle est donnée soitpar le degré de noircissement du tracé, soit parune échelle de couleurs, calibrée en décibels.Afin de faciliter la segmentation du document enconsonnes et voyelles, on y adjoint un oscillo-gramme qui donne une représentation préciseet mesurable de l’intensité de la séquence sonore(sur l’axe vertical) en fonction du temps (surl’axe horizontal) (figure 4).

Évaluation quantitative du legato

Sur le plan acoustique, l’amélioration de la qua-lité du legato se traduit par la réduction de ladurée des silences créés par différents phéno-mènes articulatoires. Par conséquent, pourl’évaluer quantitativement, il suffit de calculer,

LEGATO ET SYLLABATIONDANS LE CHANT

29. La phonologie est l’étude des sons du langage, du point de vue de leur fonction dans le système de communication linguistique (CNRTL). Autrement dit, cette discipline étudie lesunités sonores distinctives d’une langue donnée (cf. exemples pour l’italien au paragraphe précédent sur les géminées).La phonétique est l’étude des sons du langage, du point de vue physiologique, acoustique, perceptif, normatif, combinatoire (modifications que subissent les sons au contact deceux qui les entourent), synchronique (fonctionnement d’une langue à un moment précis de son histoire) et diachronique ou historique (évolution du fonctionnement d’une languedans le temps).30. Appelée également chambre anéchoïque acoustique, c'est une salle entièrement tapissée de dièdres en mousse de polymère, destinés à diffracter et absorber les ondes sonoresafin qu'elles ne provoquent pas d'écho pouvant fausser les mesures qui y sont faites. On y réalise également des enregistrements sonores d’excellente qualité, sans réverbération nibruit de fond susceptibles de perturber le fonctionnement des appareils qui feront ensuite l'analyse de la voix enregistrée.31. La fréquence est la hauteur du son. Elle est mesurée en hertz (abréviation : Hz)32. Vitesse à laquelle on exécute une œuvre musicale.33. Tempo donné par un métronome. Le métronome est un instrument qui, au moyen d’un signal auditif et visuel, indique la vitesse de référence à laquelle doit être exécutéun morceau de musique en fonction des indications de tempo qui figurent sur la partition.34. Un son pur (par exemple le la donné par un diapason) n’est composé que d’un fondamental qui lui confère sa hauteur, alors qu’un son complexe est composé à la fois d'unfondamental qui est responsable de sa hauteur et de plusieurs harmoniques qui sont responsables de son timbre. Ainsi par exemple, le la donné par un violon, un hautbois ou uncor a toujours la même fréquence, c'est-à-dire la même hauteur, mais ce qui différencie chacun de ces la, ce sont leurs harmoniques qui, amplifiés différemment par la structurede l’instrument, donnent à chacun d’eux un timbre caractéristique qui va permettre à l’auditeur de les distinguer les uns des autres et de les reconnaître facilement.

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soit le pourcentage de silence, soit le pourcentagede voisement 35 par rapport à la durée totale d’unmot, d’une phrase ou d’une pièce chantée.

- Sur le sonagramme, l’absence de voisementest facilement décelable en observant la lignede base (ligne zéro) qui ne comporte aucunsignal entre le ["&] et le [a] final de « man-ca ». Cesilence, qui indique que les cordes vocales sesont arrêtées de vibrer, correspond à la tenuede [k]. En revanche, pour « ma-nca », tous lesphonèmes sont voisés, à l’exception de laconsonne [k] qui est une consonne sourde, pro-duite sans vibration des cordes vocales.

- Sur l’oscillogramme, en l'absence de voise-ment, le tracé est celui d’un silence réduit à uneligne horizontale plate.

Analyse acoustique de « manca »

- Sur l’oscillogramme, où la longueur desvoyelles et des consonnes peut être mesuréeavec une grande précision, on constate que latenue de la consonne occlusive sourde [k] duretrois fois plus longtemps lorsqu’on prononce« man-ca » [m"&ka] de la manière traditionnelle(427 ms 36) que lorsqu’on prononce « ma-nca »[manka] de la façon préconisée par Vaccaj(139 ms), ce qui dans ce dernier cas représenteune réduction de la durée du silence de 67,5 %.La tenue d’une consonne occlusive se caracté-rise en effet par un silence correspondant à latension musculaire exercée par les organesphonatoires à l’intérieur de la cavité buccalepour résister à la pression de l’air pulmonairequi augmente rapidement derrière le point

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phrase ou d!une pi.ce chant#e/

35. Terme utilisé en phonétique pour désigner l’entrée en vibration des cordes vocales au cours de la réalisation d’unphonème. On dit d’un phonème qu’il est voisé ou sonore lorsque sa production est caractérisée par la vibration descordes vocales et qu’il est non voisé ou sourd quand les cordes vocales ne vibrent pas. Par exemple, [p] est une occlu-sive bilabiale sourde parce qu’au cours de sa réalisation, les cordes vocales ne vibrent pas, alors qu’elles vibrent pour[b] qui est une occlusive bilabiale sonore. Le voisement est le seul trait qui différencie ces deux consonnes, qui sontarticulées au même endroit et que l’on appelle pour cette raison des consonnes homorganiques.36. Abréviation de milliseconde (1/1000° de seconde).

Figure 4. Oscillogramme et sonagramme de « manca » chanté avec la syllabationtraditionnelle et celle préconisée par Vaccaj.Sur l’oscillogramme, les segments horizontaux en rouge indiquent la durée de la tenue de laconsonne occlusive [k]. Sur le sonagramme, les flèches rouges obliques indiquent les bruitsd’explosion de [k]. L’oscillogramme permet de constater que lorsqu’on chante « man-ca », latenue de la consonne [k] dure 427 ms alors qu’elle ne dure que 139 ms, soit 3 fois moinslorsqu’on chante « ma-nca » en suivant les conseils de Vaccaj. Cette tenue se manifeste parun silence qui correspond à la phase de la consonne [k] pendant laquelle la langue, appliquéecontre le palais, obstrue totalement le tractus vocal. L’air pulmonaire s’accumule derrière cebarrage et la pression augmente à l’intérieur de la bouche jusqu’au moment où elle devienttelle, que les organes articulateurs ne peuvent plus lui opposer de résistance et se séparentbrusquement tandis que l’air s’échappe avec un bruit d’explosion. Plus la tenue est longue,plus l’air s’accumule dans la cavité buccale, plus la pression intra-orale augmente et plusl’explosion est violente. On peut le vérifier sur le sonagramme où l’explosion est signalée pardes flèches obliques. Dans le premier cas, le tracé de la colonne d’explosion est plus foncé etplus large que dans le second, ce qui signifie qu’en raison de l’allongement de la tenue,l’explosion a été plus forte et a duré plus longtemps avec la syllabation traditionnelle qu’avecla syllabation vaccajenne. Or, un legato de bonne qualité nécessite de réduire autant quepossible les interruptions de la ligne mélodique provoquées par les différents phénomènesarticulatoires et d’éviter les bruits parasites d’explosion ou de friction qui le pertubent.L’analyse acoustique de ces deux types de syllabation prouve donc que la qualité du legatoest grandement améliorée lorsque le mot « manca » est syllabé comme le conseillait Vaccaj.

Oscil

logra

mme

Sona

gram

me0,1

0,0

10 000

8 000

6 000

4 000

2 000

0

Silence

139 ms427 ms

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d’occlusion, en l’occurrence le dos de la languecontre le voile du palais pour la consonne [k],ainsi que nous le verrons de façon plus détailléedans l’analyse articulatoire.

- Sur le sonagramme, on peut observer que pour« man-ca » [m"&ka], la durée du voisement estréduite, puisque la voyelle nasale ["&] qui estbrève est suivie d’un long silence qui correspondà la tenue de [k]. En ce qui concerne « ma-nca »[manka], la durée de voisement est beaucoupplus importante parce que le silence correspon-dant à [k] est plus bref et que les phonèmes[m], [a] et [n] sont voisés, ce qui, en réduisantl’interruption de la ligne mélodique et en aug-mentant la durée du voisement, amélioreconsidérablement le legato.Les résultats de l'analyse acoustique consti-tuent une preuve indéniable de ce qu’avançaitVaccaj. Syllaber « ma-nca » [manka] en transfé-rant la consonne [n] au début de la secondesyllabe, au lieu de le syllaber comme on le faittraditionnellement, améliore la qualité du legatode façon significative puisque le pourcentage devoisement est de 90,8 % au lieu de 73,5 %.Quant au coefficient de legato, calculé sur lepourcentage de silence dans le mot, il n’est quede 0,0920 pour « ma-nca » [manka], alors qu’ilest de 0,2653 pour « man-ca » [m"&ka], le legatoidéal étant proche de zéro, qui correspond à uneabsence totale d’interruption du son (tableau 1).Des analyses de contrôle ont été effectuées surquinze chanteurs de niveaux différents (débu-tants, étudiants avancés et chanteurspré-professionnels), représentant chaque caté-gorie vocale, à l’exception de la voix de contraltoqui reste relativement rare et qu’il nous a été, dece fait, impossible de recruter. Nous leur avonsdemandé de chanter « man-ca » et « ma-nca »en respectant les mêmes consignes que lebaryton professionnel et en leur imposant lamême cadence métronométrique, mais sans lesinformer qu’il s’agissait d’une étude sur le lega-to, de manière à obtenir une production nonorientée de ces deux items. La moyenne dupourcentage de réduction temporelle pour [k]dans « ma-nca » est de 31,2 % chez les débu-tants, de 61,5 % chez les étudiants avancés etde 64,6 % chez les chanteurs pré-profession-nels. Trois sujets non chanteurs ont reçu lesmêmes consignes. Leurs pourcentages deréduction temporelle sont respectivement de15,4 %, de 17,3 % et de 41,6 %. Le sujet dont lescore est le plus élevé est un lyricomane pas-sionné qui n’a jamais pris de cours de chant

mais parvient à imiter assez bien le legato deschanteurs classiques.

Analyse articulatoire de « manca »

On peut se demander pourquoi le fait de pronon-cer « man-ca » [m"&ka] allonge la durée de latenue de [k]. Pour en comprendre la raison, nousallons entreprendre une analyse articulatoiredétaillée des organes phonatoires au cours de laproduction de « man-ca » et de « ma-nca ».

! Pendant la réalisation de la première syllabe« man- » [m"&] :

- la bouche est ouverte ;- la langue est au plancher 37 ;- le voile du palais s’abaisse et se décolle dela paroi postérieure du pharynx pour que l’airpulmonaire passe à la fois par le nez et par labouche (cf. figure 1B).

! Pendant la réalisation de la seconde syllabe« ca » [ka] :

- Dans la mesure où, lorsqu’on chante« man-ca », l’ouverture de la bouche est sen-siblement la même pour le ["&&] de la premièresyllabe et le [a] de la seconde qui sont émisessur la même note, la loi d’économie requiertde conserver la même ouverture buccale pen-dant l’émission des deux syllabes.- Dans le chant où l’ouverture buccale est tou-jours plus importante que dans la parole, lalangue doit se soulever davantage pouratteindre le voile du palais. En effet, [k] estune occlusive dorso-vélaire, c’est-à-dire uneconsonne produite par le contact du dos de lalangue avec le voile du palais (figure 5 A).- D'autre part, le voile du palais qui était enposition basse pour la voyelle nasale ["&&] esten train de se soulever pour aller se plaquercontre la paroi postérieure du pharynx afind’éviter que l’air ne passe dans les fossesnasales pendant la production de [k]. Pouratteindre sa cible qui s’éloigne d'elle, au fur età mesure qu’elle s’en approche, la langue doitsuivre une trajectoire beaucoup plus longueet se soulever davantage.- Compte tenu de l’amplitude des déplace-ments effectués par les articulateurs, letemps que prend leur ajustement pour[m"&ka] explique que la durée totale de cemot de quatre phonèmes qui est de 1609 mssoit supérieure à celle de [manka] qui encomporte cinq mais ne dure que 1510 msparce que l’ordre des zones d’articulation

Tableau 1. Tableau récapitulatif des mesureset des calculs effectués pour les deuxsyllabations de « manca ».

Syllabation traditionnelle Syllabation de Vaccaj

man-ca ma-nca

Durée du mot 1609,16 ms 1510,64 ms

Durée de [k] (silence) 427 ms 139 ms

Durée de voisement 1182,16 ms 1371,64 ms

Pourcentage de voisement 73,5 % 90,8 %

Coefficient de legato 0,2653 0,0920

37. Position de repos de la langue qui s’étale sur l’arcade dentaire inférieure.

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successives coïncide parfaitement avecl’ordre chronologique dans lequel les diffé-rents phonèmes sont prononcés.

! Pendant la réalisation de « ma-nca » [manka] :L’articulation se trouve facilitée puisqu’elle sefait par un balayage continu de l’avant versl’arrière de la cavité buccale : - [m] occlusive nasale bilabiale, produite parla mise en contact de la lèvre supérieure et dela lèvre inférieure ;- [a] voyelle centrale émise avec la langue auplancher ;- [n] occlusive nasale apico-dentale réaliséeavec la pointe de la langue contre les inci-sives supérieures ;- [k] occlusive dorso-vélaire prononcée avecle dos de la langue appliqué contre le voile dupalais ;- [a] voyelle centrale émise avec la langue auplancher (figure 5 B).

Cette progression articulatoire harmonieuse etfluide facilite considérablement l’homogénéitérésonantielle que recherchent les chanteurspour améliorer leur legato et qu’ils décriventcomme un déplacement minimal des organesphonatoires. Mais dans le mot « manca », il vade soi que le facteur essentiel du legato est liéà la durée de la consonne [k] qui interrompt laligne mélodique. Pour quelle raison la durée decette consonne est-elle réduite de 67,5 % lors-qu’on utilise la syllabation vaccajenne?

Analyse aérodynamique de la durée de [k]

La différence de durée de la consonne [k] quel’on peut observer dans les deux réalisations de« manca » est liée au contexte vocalique danslequel elle se trouve : devant une voyelle nasalepour « man-ca » et devant une consonne nasalepour « ma-nca ».- Lorsqu’on prononce « man-ca » [m"&ka], pen-dant la réalisation de la voyelle nasale ["&], levoile du palais étant abaissé, le flux aériens’écoule librement par les fosses nasales et lacavité buccale qui est entrouverte. La pressionà l’intérieur de la bouche est donc nulle etlorsque la langue se met en place pour réaliserl’occlusive sourde [k], la pression n’est pas suf-fisante pour engendrer une explosion. La tenuede [k] doit donc être prolongée jusqu’à ce que lapression ait suffisamment augmenté derrière lepoint d’articulation pour provoquer l’explosion,c’est-à-dire jusqu’au moment où la glottes’ouvre largement afin d’empêcher les cordesvocales de vibrer, ce qui marque le début de latenue. Le tractus vocal étant fermé dans sa par-tie supérieure par l’occlusion créée au niveaudu point d’articulation, la pression intra-oraleaugmente alors rapidement et l’explosion peutse produire.- Lorsqu’on prononce « ma-nca » [manka], l’oc-clusion de la consonne [n] est réalisée par lecontact de la pointe de la langue contre les inci-sives supérieures. Etant donné que l’airs’écoule librement par le nez, la pression intra-orale n’est pas très élevée et l’explosion est dece fait quasi inexistante. Pendant la transitionde [n] à [k], presque simultanément, la pointe dela langue quitte son contact dental et sa partiedorsale qui s’est soulevée se plaque contre levoile du palais. L’air emprisonné entre la partieantérieure et postérieure de la langue maintient

LEGATO ET SYLLABATIONDANS LE CHANT

En pronon-ant 5 ma$nca 6, ainsi que le conseillait Vaccaj, l!ordredes zones d!articulation co7ncide parfaitement avec l!ordrechronologique dans lequel les phon.mes sont #mis/ Cette

progression articulatoire harmonieuse et fluide faciliteconsid#rablement l!homog#n#it# r#sonantielle que recherchent leschanteurs pour am#liorer leur legato et qu!ils d#crivent comme un

d#placement minimal des organes phonatoires/

Figure 5. Coupes sagittales de la position du voile du palais et de la langue pour les deuxsyllabations de « manca ».A. Man-ca. En noir, la position de la langue et du voile du palais pour la syllabe [m!"]. Enpointillés rouges, la position linguale et vélaire pour la syllabe [ka]. Compte tenu de latrajectoire articulatoire à parcourir, la langue met un certain temps pour passer de la positionqu'elle occupe dans la première syllabe à celle qu'elle doit occuper pour atteindre sa cible etentrer en contact avec le voile du palais afin de réaliser l’occlusion du [k]. En effet, afin de sepositionner pour l’articulation de [k], le voile, qui commence à se soulever dès la fin de lavoyelle nasale [!"], s'éloigne de la langue, au fur et à mesure qu'elle se rapproche de lui.B. Ma-nca. En gris, le tractus vocal. En noir, la position de la langue pour la syllabe [ma]. Enpointillés rouges la position de la langue pour la syllabe [ka]. Les doubles flèches noiresindiquent le lieu d’articulation des consonnes qui vont être prononcées successivement. Onconstate que l’ordre des zones d’articulation coïncide parfaitement avec l’ordre chronologiquedans lequel les phonèmes sont émis. La trajectoire articulatoire étant réduite, la réalisation decette séquence est plus rapide puisque les phonèmes sont produits par glissementssuccessifs de l'avant vers l'arrière de la cavité buccale. En prononçant « ma-nca », ainsi quele conseillait Vaccaj, la langue mettra donc beaucoup moins de temps pour atteindre le voiledu palais que lorsqu’on prononce « man-ca » de la manière traditionnelle. Cette progressionarticulatoire harmonieuse et fluide facilite considérablement l’homogénéité résonantielle querecherchent les chanteurs pour améliorer leur legato et qu’ils décrivent comme undéplacement minimal des organes phonatoires.

A

Man-ca Ma-nca[m"&ka] [manka]

B

k

mn

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une pression intra-orale de base qui, alimentéepar la pression subglottique libérée au momentde l’ouverture de la glotte pour la réalisation de[k], va augmenter très rapidement et entraînerson explosion anticipée, ce qui explique que latenue de cette consonne soit considérablementréduite dans ce contexte.Les travaux de Marchal (1988) en électropalato-graphie confirment notre hypothèse del’existence d’une poche d’air résiduelle. Ils don-nent, en outre, des précisions très intéressantessur les événements linguo-palatins qui se pro-duisent dans ce type d’enchaînementconsonantique et qui éclairent l’anticipation del’explosion de [k] :

On observe généralement avec la palatographiedynamique l’existence d’une double occlusionpendant 10 à 20 ms. Il n’y a pas de synchronisationparfaite entre la mise en place de la deuxièmeocclusive et le relâchement de la première mais unchevauchement partiel.

En résumé, lorsqu'on prononce « ma-nca »,trois facteurs favorisent le legato : - la réduction de la trajectoire articulatoire liéeau contexte phonique qui est propice au legatorésonantiel ;- la réduction de la durée de l'occlusive [k] dueà des phénomènes aérodynamiques qui enaccélèrent l’explosion ;- et l'augmentation de la durée de voisement,résultant de la présence de trois phonèmesvocaliques [m], [a] et [n] qui réduisent d'autantl'interruption du continuum sonore.

CONCLUSION

Ainsi que l’avait pressenti Vaccaj, avec un espritd’observation et une intuition remarquables, lasyllabation joue un rôle non négligeable dans lelegato vocal.

LEGATO ET SYLLABATION

La syllabation anti-phonoépischésique prônée parVaccaj permet effectivement de réduire les inter-ruptions de la ligne mélodique dues auxphénomènes qui se produisent durant la phonationet mettent en danger la qualité du legato. Il s’agit :- soit d’évènements articulatoires intraphoné-

miques 38 de type occlusif et de durée plus oumoins importante, allant de la fermeture totaledu tractus vocal pendant la production des

consonnes occlusives au coup de glotte intervo-calique qui accompagne fréquemmentl’émission des hiatus externes ;- soit d’événements affectant l’homogénéité dulegato, comme l’atténuation des harmoniquesqui survient au cours de la réalisation des gémi-nées et donne sur le plan perceptif uneimpression de coupure entre les deuxconsonnes ;- soit des effets liés au contexte phonique quipeuvent favoriser le legato en réduisant l’inter-ruption de la ligne mélodique provoquée par latenue des occlusives (comme c’est le cas pour« ma-nca ») ou au contraire en altérer la qualitéen prolongeant cette interruption (comme pour« man-ca »).

LES DIFFÉRENTS TYPES DE LEGATI

Cependant un legato de qualité ne dépend passeulement de la syllabation préconisée parVaccaj. Il résulte de plusieurs autres facteursconcomitants comme :- l’utilisation d’une technique respiratoire efficacepermettant de prolonger l’expiration phonatoireet de lier entre elles les différentes notes d’unpassage legato en les chantant dans un seulsouffle ;- l’atténuation, à des fins esthétiques, des bruitsd’explosion et de friction des occlusives et desconstrictives qui a pour effet de réduire leurdurée ;- la recherche d’une zone de résonance méso-buccale 39 commune aux voyelles et auxconsonnes, notamment par l’antériorisation del’articulation des consonnes postérieures qui, encentralisant l’articulation, va minimiser lesdéplacements des organes phonatoires et per-mettre d’obtenir une homogénéité résonantiellependant l’articulation des différents phonèmes ;- et enfin la présence d’une résonance laryngo-pharyngée continue dans une bande defréquences fixe pour un individu donné, appeléesinging formant, qui joue non seulement un rôledans la portée de la voix, mais contribue dansune large mesure à la qualité du legato.On peut donc distinguer trois types de legatidans le chant : le legato halitique 40 résultantd’une bonne gestion du souffle, le legato anti-phonoépischésique qui comprend lasyllabation vaccajenne, ainsi que l’amortisse-ment à visée esthétique des bruits parasitesdes consonnes qui entraîne leur abrègement,et le legato résonantiel qui regroupe larecherche d’une zone de résonance phoné-mique commune aux voyelles et auxconsonnes et le singing formant.Qu’il s’agisse des instruments de musique ou dela voix, la continuité, l’homogénéité et la fluiditédu son constituent l’essence même du legato.

LEGATO ET DICTION

Selon Reid (1995), le legato des grands chan-teurs résulte d’une excellente maîtrise del’accord résonantiel, c’est-à-dire l’ajustementprécis et permanent du double système derésonance laryngo-pharyngé pour les accom-modations phonatoires, indispensables à

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38. Situé à l’intérieur d’un phonème.39. Zone de résonance située au centre de la cavité buccale.40. Du latin halitus = souffle, respiration. Qui se rapporte au souffle.

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l’amplification du son laryngé 41 et pharyngo-buccal pour les accommodations articulatoiresnécessaires à la réalisation des phonèmes.Reid affirme, en effet, qu’en ce qui concerne lerésonateur pharyngo-buccal, « les organesarticulateurs (lèvres, dents, langue, voile dupalais), étant peu impliqués dans l’amplifica-tion du son, restent parfaitement libres pourarticuler le texte ».En réalité, les choses sont plus complexes dansla mesure où le résonateur pharyngo-buccaln’intervient pas seulement dans l’articulationdes phonèmes, mais, en permanence, dansl’homogénéisation du timbre de la voix sur l’en-semble de la tessiture 42. Quant au résonateurbuccal, il joue un rôle important dans l’homogé-néisation résonantielle des voyelles et desconsonnes. Les contraintes phonatoires et lescontraintes articulatoires étant rarement compa-tibles, on comprend aisément que les chanteurspuissent avoir des difficultés à trouver le secretde l’ajustement résonantiel extrêmement délicatleur permettant de chanter à la fois avec unlegato de qualité et une diction parfaite.

APPORT DE VACCAJ

L’apport de Vaccaj au legato est la syllabationanti-phonoépischésique qui va amener lesdébutants à mettre en place, dès le début deleurs études de chant, des réflexes articula-toires favorisant son aquisition. L’originalité deson enseignement consiste à faire travaillerd’emblée les élèves sur des phrases et nonsur des voyelles isolées ou des syllabes, cequi va jouer un rôle déterminant dans l’acqui-sition du legato. En effet, l’infinité decombinaisons possibles entre les différentsphonèmes d’un texte chanté va confronterl’élève à une multiplicité de contextes pho-niques et l’obliger à mettre précocement enapplication les principes de la syllabation vac-cajenne. Mais là n’est pas la seule originalitéde l’enseignement de Nicola Vaccaj.

LE VACCAJ, UNE MÉTHODE À DEUX NIVEAUX

La méthode de Vaccaj n’est pas seulement des-tinée aux débutants, car elle présente laparticularité d’offrir deux niveaux de lecture etd’étude. C’est à la fois une méthode simple,complète et progressive qui guide les débutantspas à pas dans leur apprentissage du chant etune méthode de perfectionnement pour les étu-diants avancés et les artistes confirmés qui vales aider à atteindre la totale maîtrise de leurart. Sous son apparente facilité, cette méthodeest très difficile à mettre en pratique si l’on suitles conseils de l’auteur à la lettre. C’est la rai-son pour laquelle Maria Callas larecommandait comme « étude d’un niveau dedifficulté avancée ».

HOMMAGE À NICOLA VACCAJ

Nicola Vaccaj, compositeur malheureux dont lessuccès furent éclipsés par les triomphes deBellini, fut un professeur de chant très sollicitéen raison de ses compétences et sa réputations'étendit rapidement au-delà des frontières del'Italie. Doté d’un sens inné de la pédagogie,Vaccaj, qui était également un chanteur réputé,possédait une somatognosie 43 d'une grandefinesse et une excellente oreille qui lui ont per-mis notamment d’établir la relation entre lasyllabation et le legato et de trouver pour amé-liorer la qualité de ce dernier des solutions quisont corroborées par l’analyse scientifique.La méthode de chant de Nicola Vaccaj a traverséle temps et demeure l’une des meilleures que l’onait jamais écrite, ce qui explique que, près dedeux siècles plus tard, elle continue à être utiliséedans le monde entier. C’est à l’homme, autantqu’à ses qualités de chanteur, de pédagogue etde compositeur, que ce travail rend hommage.

N. S. D. C.REMERCIEMENTSEn refaisant chronologiquement le long parcours que repré-sente ce travail, je tiens à exprimer ma très vivereconnaissance à José De Oliveira Lopes, artiste lyrique,professeur de chant à l'Ecole Supérieure de Musique dePorto qui m’a entraînée dans cette difficile mais passionnanteaventure ; à Philippe Thanh, rédacteur en chef de la revueLa Lettre du Musicien qui a eu l’obligeance de me mettre encontact avec des solistes ; à Mady Mesplé, cantatrice quim’a confortée dans mes découvertes en les confrontantavec son expérience personnelle grâce à sa somatognosiedont la précision et la finesse me remplissent d’admirationdepuis toujours ; à Alain Marchal, Directeur de Rechercheau CNRS, qui a étayé mes hypothèses aérodynamiques enleur apportant l’éclairage précieux de ses compétences enélectropalatographie ; à Pierre Durand, maître de confé-rences à l’Université de Provence, pour son point de vue delinguiste très intéressant et original sur certains phéno-mènes aérodynamiques complexes qui interviennent dansla voix parlée, ainsi qu’à Arlette Osta, chargée de cours àl’Ecole d’Orthophonie de la Faculté de Médecine de Nice-Sophia Antipolis, pour son soutien, sa disponibilité et sarelecture attentive et pertinente de ce texte.Je suis extrêmement reconnaissante aux musiciens qui,avec beaucoup de patience et de gentillesse, m’ont expliquéla technique du legato sur leur instrument et en particulier,Eliane Muzzolini, violon solo à l’Orchestre Philharmoniquede Nice ; Emmanuel Ceysson, première harpe solo à l’OpéraNational de Paris ; Valérie Muzzolini Gordon, harpe solo auSeattle Symphonic Orchestra ; Olivier Féral, premier bassonsolo à l’Orchestre Philharmonique de Nice ; MartineLutringer-Flecher, pianiste, professeur d’Education Musicaleau Lycée Kléber de Strasbourg.Ma gratitude va enfin à tous les chanteurs, stagiaires duCNIPAL ou élèves de chant des CRR et CRD, pour leuraccueil chaleureux et leur collaboration enthousiaste.

IN MEMORIAMA la mémoire de mes parents qui m’ont transmis leur pas-sion pour la musique, ce langage universel qui, au-delà dela barrière des langues, permet une forme unique de com-munication par l’intermédiaire des émotions ; la musiquequi a le pouvoir de faire surgir des souvenirs enfouis dansles replis secrets de notre mémoire et dont Stendhal disait :« Elle ne se trompe pas et va droit au fond de l’âme cher-cher le chagrin qui nous dévore ».

41. Voix à l'état brut, telle qu'elle se présente à la sortie des cordes vocales avant de passer dans les cavités de réso-nance pharyngale et buccale qui vont l’amplifier. Au sortir des cordes vocales, le son laryngé est à peine audible ettotalement incompréhensible. Seule, l’intonation du discours n’est pas altérée.42. Ensemble des notes qu'un chanteur peut émettre avec le maximum de facilité.43. Du grec soma = corps et gnosis = connaissance. Conscience que chaque individu a de son propre corps, représen-tation qu'il s'en fait et sensations qu’il en reçoit.

Ainsi que l!avait pressentiVaccaj, avec un esprit

d!observation et une intuitionremarquables, la syllabationjoue un r;le non n#gligeable

dans le legato vocal/

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LEGATO ET SYLLABATIONDANS LE CHANT

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R"SUM" L’expertise scientifique de l’enseignement du legato telqu’il fut préconisé par Nicola Vaccaj dans la premièreleçon de sa méthode de chant, montre le rôleimportant que joue la syllabation dans le legato vocal.Elle permet, en effet, de réduire considérablement lesinterruptions du continuum sonore dues principalementà trois facteurs : la fermeture du tractus vocal pendantla production des consonnes occlusives, le coup deglotte intervocalique qui accompagne la réalisation deshiatus dans certains contextes phoniques etl’atténuation importante des harmoniques survenant aucours de la réalisation des géminées qui est perçuecomme une discontinuité de la ligne mélodique.Dans le chant lyrique, on peut donc distinguer troistypes de legati : le legato halitique résultant d’uneexcellente tenue de souffle ; le legato anti-phonoépischésique lié, d’une part, à la syllabationvaccajenne dont le but est d’éviter les ruptures de laligne mélodique provoquées par les contraintesarticulatoires, et d’autre part, à l’amortissement, dansun but esthétique, des bruits d’explosion et de frictiondes occlusives et des constrictives qui a pour effet deréduire leur durée ; et enfin, le legato résonantiel dû àla recherche d’une zone de résonance buccalecommune aux voyelles et aux consonnes, ainsi qu’àune résonance laryngo-pharyngée continue dans unebande de fréquences fixe pour un individu donné,appelée « singing formant ».Qu’il s’agisse des instruments de musique ou de lavoix, la continuité, l’homogénéité et la fluidité de laligne mélodique constituent l’essence même du legato.MOTS-CLÉS : legato instrumental ; legato vocal ; legatohalitique ; legato anti-phonoépischésique ; legatorésonantiel ; évaluation quantitative du legato ;interruption de la ligne mélodique ; syllabation ;géminées ; hiatus ; voyelles nasales ; voyellesnasalisées ; souffle continu ; respiration circulaire.

Legato and Syllabification in Singing: Acousticand Articulatory Assessment of Legato Teachingin Vaccaj's MethodA scientific assessment of how legato is taught inthe first lesson of Nicola Vaccaj's method points outthe important role played by syllabification in legatosinging. The Vaccaj approach allows singers toreduce breaks in the sound continuum broughtabout by three main factors: vocal tract closureduring the production of stop consonants,intervocalic glottal stops accompanying hiatusesfound in certain phonic contexts, and the substantialweakening of harmonics during the realization ofgeminates, which is perceived as a discontinuity inthe melodic line.In lyrical singing, then, three types of legato can bedistinguished: breathing legato, which results fromexcellent respiratory support; articulatory legato,related to Vaccajian syllabification aimed at avoidingthe melodic-line breaks necessitated by articulatoryconstraints, and to burst- and friction-noiseattenuation, for aesthetic purposes, on stops andfricatives to shorten their duration; and resonancelegato, due not only to buccal cavity resonance in azone common to vowels and consonants but also tothe presence of continuous laryngo-pharyngealresonance called the "singing formant" in a fixedfrequency band specific to each individual.Whether for musical instruments or the singingvoice, continuity, homogeneity, and fluidity of themelodic line are the very essence of legato.KEYWORDS: instrumental legato; vocal legato;breathing legato; articulatory legato; resonancelegato; quantitative evaluation of legato; melodic-linebreak; syllabification; geminates; hiatus; nasalvowels; nasalized vowels; continuous breathing;circular breathing.

Dot# d!un sens inn# de lap#dagogie, Vaccaj, qui #tait

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permis notamment d!#tablir larelation entre la syllabation et le

legato et de trouver pouram#liorer la qualit# de ce dernier

des solutions qui sontcorrobor#es par l!analyse

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