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INSTITUT PEDAGOGIQUE NATIONAL DEPARTEMENT DE LA RECHERCHE PEDAGOGIQUE L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE Essais et confrontations 1968 Stage d'information et d'étude pour la rénovation de l'enseignement du français à l'école élémentaire SEVRES - 12-16 NOVEMBRE 1968 1970 Services d'Edition et de Vente des Productions de l'Education Nationale Brochure N° 44 RP

L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

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Page 1: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

INSTITUT PEDAGOGIQUE NATIONAL

DEPARTEMENT DE LA RECHERCHE PEDAGOGIQUE

L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Essais et confrontations 1968

Stage d'information et d'étude pour la rénovation de l'enseignement du français

à l'école élémentaire

SEVRES - 12-16 NOVEMBRE 1968

1970

Services d'Edition et de Vente des Productions de l'Education Nationale

Brochure N° 44 RP

Page 2: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

SOMMAIRE

PRESENTATION

• I. Les problèmes posés par la rénovation de l'enseignement du français à l'Ecole élémentaire, par M. l'Inspecteur Général ROUCHETTE

• II. Les fondements de la rénovation pédagogique de l'enseigne­ment du français, par Monsieur Louis LEGRAND, Directeur de Recherches à l'Institut Pédagogique National 11

• III. La motivation à l'expression orale et écrite : A) La motivation de l'expression orale, par M. UEBERSCHLAG, Chef du bureau de l'organisation des recherches et de l'expéri­mentation pédagogique à la Direction Générale de la pédagogie 17 B) La motivation de l'expression écrite, par M. R. GLOTÓN, Inspecteur Départemental de l'Education Nationale, et M. LE-MAITRE, Instituteur 19

• IV. L'imprégnation par les textes, par M. G. JEAN, Professeur de Lettres à l'Ecole Normale du Mans, et M. HERIN, Maître d'Ecole annexe 23

• V. Quelle grammaire enseigner ? par'M. GALIZOT, Inspecteur Départemental de l'Education Nationale, et M. CAPET, Professeur de C.E.G 31

• VI. Théorie et pratique des exercices structuraux, par M. GA-LISSON, Assistant à la Faculté des Lettres de Besançon et M"e ROMARY, Professeur chargée d'études au B.E.L.C 35

• VII. Conclusions, par M. R. MOLINE 45

• Annexes 48

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Ceci est le deuxième cahier consacré à l'expé­rience de rénovation de l'enseignement de français au Cycle élémentaire par l'application du Projet d'Instructions proposé par la Commission Rou-chette. Il constitue la suite logique du premier qui rapportait les modalités et les conditions du banc d'essai mis en œuvre dans vingt-six centres expérimentaux à la rentrée scolaire 1967-68 (1). Les premières conclusions de ce Rapport souli­gnaient la nécessité préalable d'une préparation et d'une mise au point des connaissances des maî­tres expérimentateurs avant la mise en place de l'expérimentation proprement dite, suivie et contrôlée. Le stage dont on trouvera ci-après le compte rendu se situe dans cette phase prépara­toire en vue de mieux assurer les bases de départ d'une entreprise longue et difficile. Il avait pour objectif, sinon pour ambition, de contribuer à « former des formateurs » en appliquant une nou­velle technique de travail de confrontation et de recherche par groupes à partir de thèmes propo­sés à la lumière de la première année d'expérience, et de problèmes soulevés par les stagiaires eux-mêmes à la lumière de leur propre expérience pratique de professeurs, inspecteurs, chefs d'éta­blissements ou maîtres expérimentateurs. A la suite de ce stage, la méthode envisagée est celle de « la boule de neige » qui peut s'inscrire dans une planification et une dynamique de développe­ment. Nous sommes convaincus qu'il n'y aura de développement possible de la rénovation de l'en­seignement du français à l'école élémentaire que lorsqu'une liaison sera établie entre les Inspec­teurs départementaux de l'éducation nationale et les Ecoles Normales. Ce stage y a contribué.

Au moment où ce cahier va paraître, avec un décalage de quelque deux années par rapport à 1' « événement », certaines lignes de force se sont infléchies, d'autres renforcées. Il appartient au « diligent lecteur » de bien vouloir considérer qu'il s'agit là d'un moment dans un cycle de travail, et que la réflexion, la pratique quotidienne des équipes ont permis depuis de préciser, d'appro­fondir un certain nombre d'hypothèses de travail. Un troisième cahier, consacré à la rénovation de l'enseignement du français à l'école élémentaire devrait prochainement en rendre compte.

(1) Voir Recherches pédagogiques n° 38, 1869.

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LES PROBLÈMES POSÉS PAR LA RÉNOVATION DE L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS A L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

M. l'Inspecteur Général ROUCHETTE

Le problème fondamental est le suivant : Dans le cadre de la réforme de l'enseignement instituée par l'ordonnance du 6 janvier 1959, il importe tout d'abord d'envisager ce qui doit être la fina­lité de la première période de la scolarité obli­gatoire, c'est-à-dire de l'enseignement élémentaire, et plus spécialement si l'enseignement de notre langue tel qu'il est actuellement dispensé est vrai­ment efficace et adapté à la situation nouvelle.

Pour de nombreuses raisons, il apparaît nécessaire de le « rénover ».

Première évidence : l'école élémentaire n'a plus aujourd'hui la même vocation qu'autrefois. L'en­fant qui, jadis, la quittait vers sa douzième ou sa quatorzième année, devait en retirer les connais­sances fondamentales qui lui permettaient de trou­ver place dans le système social et économique de l'époque. Aujourd'hui, l'enseignement élémen­taire ne couvre plus que les cinq premières années de la scolarité obligatoire prolongée jus­qu'à 16 ans. Il a désormais pour mission essen­tielle de faire acquérir les mécanismes et les fon­dements de la connaissance qui assureront à cha­cun la place qu'il mérite dans l'une ou l'autre des voies offertes ensuite dans le premier cycle — obligatoire — de l'enseignement de second degré. Nous ne pouvons donc plus nous satisfaire du plan d'études de 1887 ni des Instructions offi­cielles de 1923 et de 1938 selon lesquels le but de l'enseignement élémentaire est d'assurer à l'en­fant le savoir pratique dont il aura besoin dans sa vie.

Mais il est une autre raison tout aussi impérieuse qui nous invite au doute : malgré le dévouement des maîtres, l'efficacité de l'enseignement élé­mentaire est médiocre. Un document récemment publié par le Ministère de l'Education Natio­nale (1) est significatif, à cet égard. La première

(1) Etudes et Documents n° 9, 1968, S.E.V.P.E N,

étape de la scolarité obligatoire a une durée théo­rique de cinq ans. Accueillis à 6 ans, les enfants devraient quitter le Cours moyen 2* année à 11 ans. Or, une enquête a été menée concernant le destin de 362 500 garçons entrés au C.P. en 1962 à l'âge normal : cinq années plus tard, 87 400, soit 24 %, ont terminé ce cycle en 5 ans, c'est-à-dire sans accident de parcours, 107 100 terminent avec une année de retard, 90 600 ont 2 ans de retard ; 48 900 ont 3 ans de retard. Quant aux autres, 28 500, ils en sont encore aux balbutie­ments : ils accusent 4 et 5 ans de retard. Préci­sons bien qu'il s'agit là d'une enquête intéressant la totalité des enfants de ce pays accueillis à l'école élémentaire en 1962.

Les pourcentages concernant les filles, sont cer­tes plus encourageants, 30 % accomplissent une scolarité normale, en 5 ans. Mais il n'y a pas là motif à pavoiser.

Nous constatons enfin que 35,7 % des garçons d'une génération doublent le C.P. ; 22,8 % le CE. lre année ; 20,3 % le CE. 2" année ; 24,4 % le CM. lre année ; 19,4 % le CM. 2e année. Le pour­centage de redoublement le plus important se situe au niveau du Cours préparatoire.

Telle est la situation.

Il est vrai que l'enseignement du français n'est pas seul en cause : celui du calcul est lui-même responsable de retards et d'échecs. Mais il est des urgences et tout n'est-il pas fonction des capa­cités qu'un enfant manifeste pour exprimer sa pensée ou pénétrer la pensée d'autrui ? L'ensei­gnement de notre langue est fondamental à cet âge et à ce niveau.

Pour une troisième raison, des mutations s'impo­saient. L'enseignement élémentaire d'aujourd'hui a une mission essentielle : compenser, autant que faire se peut, les inégalités qui résultent, pour les

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enfants, de leur appartenance à un milieu social donné. Il est bien certain et de nombreuses enquê­tes le montrent, que ceux qui appartiennent à des familles intellectuellement peu évoluées, ont moins de chances d'accéder aux enseignements réputés nobles. Une enquête menée, il y a peu, par un inspecteur, de l'enseignement du premier degré dans un département du Centre de la France, montrait que 98 % des élèves admis dans les Classes de transition, appartenaient à des familles paysannes ou ouvrières. Tout commen­taire est superflu.

Il est donc indispensable d'envisager une réforme de l'enseignement de la langue française à l'école élémentaire. Mais quels en seront les objectifs ?

1) Que l'enfant apprenne à lire, ce qui ne signifie pas épeler avec difficulté, déchif­frer, mais comprendre ;

2) Qu'il sache faire sentir par la lecture ce que lui-même ressent ;

3) Qu'il sache s'exprimer, oralement et par écrit, aussi correctement que son âge et ses aptitudes le permettent. Encore con­vient-il que nous lui donnions la possi­bilité de s'exprimer et que nous lui en fournissions les moyens.

Il y faut du temps. Ce qui implique non seule­ment des méthodes nouvelles mais de substan­tielles compressions dans les programmes, et en particulier dans l'enseignement grammatical.

Il ne s'agit pas ici de faire le procès de la gram­maire traditionnelle, il suffira d'en montrer les dangers. Vous savez par expérience le temps qui est consacré à l'apprentissage de certaines notions réputées fondamentales : par exemple : la con­naissance et la reconnaissance de mots, de fonc­tions — l'article défini, indéfini, élidé, contracté, e t c . , le pluriel des noms composés (timbre-pos­te, gratte-ciel, chou-fleur), de pluriels aber­rants (genoux, cailloux), les adjectifs possessifs, numéraux, indéfinis, les conjugaisons des verbes en -ayer, -oyer, -uyer, les accords des participes passés conjugués avec avoir.

Pour le reste, on suppose l'enfant capable d'ana­lyser aussi bien les fonctions dans la proposition, que les propositions dans la phrase. Je n'insiste pas sur les notions de sujet réel ou apparent, d'attribut du sujet et de l'objet, de la distinc­tion toujours subtile entre complément indirect d'objet et complément d'attribution, etc. .

Bref, un élève de 11 ans, sortant du CM. 2' année devrait être apte, dans la phrase que voici, extrai­

te des « Martyrs » de Chateaubriand, d'analyser les diverses propositions et les termes que com­porte chacune d'elles :

« Neuf jours entiers le navire est emporté vers l'Occident avec une force irrésistible. La dixième nuit achevait son tour lorsqu'on vit, à la lueur des éclairs, des côtes sombres qui semblaient d'une hauteur démesurée ».

Je lui souhaite bonne chance mais m'interroge sur la vertu de ce dressage et de ce conditionne­ment.

De toute façon, le programme de l'enseignement grammatical, officiellement admis comme possi­ble, dépasse, et de loin, les possibilités d'un enfant de 11 ou 12 ans. La preuve nous en est donnée par l'expérience quotidienne mais aussi par les sondages.

Par exemple une enquête, effectuée en 1961, par le Service de la Recherche de l'Institut Pédago­gique National, a montré qu'à une époque où l'examen sélectif d'admission en 6* existait — où donc ne pouvait être mise en cause la démocrati­sation de l'enseignement — nombreux étaient les enfants incapables d'analyses des fonctions répu­tées simples : en particulier, 25 % seulement reconnaissaient le sujet lorsqu'il était inversé, 40 à 50 % les compléments indirects d'objet ou de manière.

Ces constats d'un passé récent et encore actuel nous obligent à proposer un allégement de l'en­seignement grammatical.

Mais il faut aller plus loin : alléger aussi le poids de l'orthographe : bannir tout ce qui est piège ou exception, faire porter notre effort sur les mots usuels, les accords courants, abandonner les formes de conjugaison tombées en désuétude, comme celles des verbes coudre, moudre ou l'im­parfait du subjonctif du verbe savoir.

Il faut renoncer à des dictées de ce type : « Il fallut payer le fret d'un bateau pour aller jeter du frai dans les chenaux ».

ou encore : « Notre chasseur n'est pas penaud ; il rap­porte sur son dos un levraut de deux kilos : l'a-t-il pris au lasso, demandent les ba­dauds ?

La prise vaut bien un gigot ou un aloyau ».

Dans d'autres manuels, on propose l'orthographe de : Chrysalide, ecchymose, fuschia, etc. . Cet enseignement sera allégé si l'on recourt aux

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tables de fréquence, et si on apprend à l'enfant à utiliser le dictionnaire.

Cependant, ces allégements de programme, s'ils sont nécessaires, ne sont pas suffisants. Il nous faut également renoncer à certaines pratiques et habitudes qui ont pour elles la tradition mais qui ne répondent plus à la situation actuelle. En par­ticulier il faut en finir avec la superstition des règles, du catalogue et de l'étiquetage systémati­que. Dans de nombreux cas, il suffit de partir de l'usage ; il suffit de constater.

Par exemple de constater qu'on dit « ce chien » et « cet homme », « ton honnêteté, ma honte ».

Et il faut admettre que des règles sont incompré­hensibles pour des enfants de 10 à 11 ans. Par exemple : « Le participe présent a tantôt valeur de verbe, tantôt valeur d'adjectif ; dans le pre­mier cas, il reste invariable, dans le second il s'accorde comme l'adjectif qualificatif, on l'ap­pelle alors adjectif verbal ; on doit écrire : « La meute hurlant de fureur » et la « meute hur­lante des loups ». Les enfants apprendront certes la règle, mais que leur apportera-t-elle ?

Et pourquoi accabler la mémoire de l'enfant de ce jargon grammatical, alors que nous pourrions l'enrichir de si beaux textes ? Ce que nous devons c'est expérimenter une nouvelle démarche péda­gogique : tout d'abord, il est indispensable que l'enfant ait quelque chose à dire. M. Chazel a étudié la crise qui existe dans le premier cycle du second degré en ce qui concerne l'expression orale et écrite. Ce qu'il dit est valable pour l'en­seignement élémentaire :

« Notre enseignement devrait être fondé sur le dialogue ; il glisse d'année en année vers le discours. On invoque Socrate mais on suit Gorgias ».

Et il ajoute : « Laissons de côté les responsabilités des autres ; attaquons les nôtres. Pourquoi les enfants du premier cycle se dérobent-ils au dialogue ? — Parce que nous les cherchons là où ils ne sont pas, là où nous étions à leur âge. Le même professeur qui sait très bien que son fils de 11 ans ne lit que Tintin, propose sans sourciller à ses camarades des sujets de rédaction du genre : « Avez-vous enten­du le silence dans la forêt ? Analysez-le » ou « Que vous inspire la vue des nuages ? ».

Il nous faut donc mettre à l'étude les techniques qui donnent aux enfants l'envie de s'exprimer,

en tenant compte de leur âge et de leur appar­tenance à une génération autre que la nôtre. Le livre, les textes, certes, restent des instruments privilégiés, mais les textes peuvent être écrits par les élèves aussi bien que par des « auteurs ». Nous pouvons également recourir aux moyens audio-visuels : disques, films, diapositives. Ce qui importe, c'est de créer chez les enfants le besoin d'expression, de le maintenir. La classe ne doit plus être celle du silence.

Mais rien n'est possible sans un apprentissage méthodique des techniques d'expression. Ni le rabâchage de règles, ni le catalogue grammati­cal n'y contribuent sûrement. Le rôle du maître sera de mettre l'enfant en possession de son bien, c'est-à-dire des structures du langage. Dans un premier temps, on apprendra à manier l'outil ; on le démontera ensuite, quand le moment sera venu et si on le juge indispensable.

On objectera peut-être que ce qui est proposé est une mutilation de l'enseignement traditionnel et relève d'un certain laxisme plus que d'une saine pédagogie. Encore convient-il de s'entendre. Si je demande à mes élèves d'analyser « logique­ment » ces deux phrases :

— Il travaille et il réussit — Il travaille et il ne réussit pas,

je serai satisfait s'ils découvrent deux proposi­tions principales coordonnées. Mais cette analyse en forme ne contribue nullement à la compré­hension du sens. Il est certainement plus profi­table d'inciter ces enfants à une réflexion diffé­rente : Dans l'un et l'autre exemple, deux idées sont exprimées, entre lesquelles existe un rap­port :

de cause (le travail) à conséquence (la réussite) ou d'opposition (le travail et l'échec)

Il conviendra de leur faire découvrir ce rapport de l'expérience en usant des tours que la langue met à notre disposition. Une telle démarche exige de tous de l'application, des efforts et moins de facilité que la démarche traditionnelle.

Tel est le sens d'une recherche entreprise autour d'un certain nombre d'Ecoles Normales et dans des circonscriptions d'Inspection primaire. Ce qui est demandé bouleverse évidemment les usages et si bien que l'inquiétude s'est emparée de nom­breux maîtres. D'autre part, les enfants formés à

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cette méthode connaissent moins de grammaire formelle au moment où ils sont admis dans le premier cycle du second degré ; ce qui implique une transformation du premier cycle et que soient définies plus précisément nos ambitions à ce niveau. De ce point de vue, les Instructions du français dans les classes de 6e 1 et 6e 2, ouvrent des perspectives encourageantes. Cependant, si nous voulons réussir, il est indispensable que des stages d'information pour les maîtres en exercice, et de formation pour les jeunes maîtres, soient organisés rapidement. Et cette formation des maî­tres devra être déterminée par le contenu même de l'enseignement qui sera dispensé. Dans le pre­mier temps, donc, nous expérimenterons un avant-projet d'Instructions. Nous le rectifierons lorsque l'expérimentation aura été suffisamment poussée pour devenir concluante. Mais, en aucun cas, nous ne pouvons généraliser sans avoir préa­lablement « recyclé » les maîtres en service. Il serait déjà remarquable de pouvoir étaler cette information sur dix ans, en l'appliquant à 1/10" des maîtres dans chaque département dès cette année. Cependant, tous doivent prendre confian­ce, être rassurés et convaincus que des progrès très appréciables seraient obtenus par l'applica­tion des méthodes nouvelles, à condition qu'elles soient employées avec discernement et qu'elles répondent à la personnalité du maître. Il est évi­dent que certains exercices traditionnels peuvent

être modifiés sans risque, la dictée par exemple, suivie des habituelles questions de vocabulaire et d'analyse. La mise à la disposition des élèves d'un dictionnaire pour préciser l'orthographe de mots non usuels, libérera l'esprit, le rendra dis­ponible pour des questions d'intelligence. Ce qui importe, c'est de montrer qu'une même idée peut être exprimée de différentes manières et notre enseignement deviendra ainsi un enseignement de découverte, de choix, de liberté.

Quant au texte d'auteur, s'il reste un instrument privilégié, il ne doit pas être la seule motivation à l'expression orale et écrite. L'environnement, toutes les techniques modernes, offrent d'excel­lentes activités d'éveil comme instruments d'une réelle motivation.

D'autres problèmes, certes, se posent. Par exem­ple celui des retards scolaires. Il faudra sans doute concevoir un enseignement non plus par cours mais par niveau et un système de rattra­page pour ceux qui portent le poids de leur retard en lecture dès le Cours préparatoire. Par exem­ple le problème des examens dont les modalités sont en voie de révision.

De toute façon, rien ne sera possible sans les efforts de tous. Et c'est à cette recherche que tous les maîtres sont conviés.

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LES FONDEMENTS DE LA RENOVATION PÉDAGOGIQUE DANS L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

M. Louis LEGRAND Directeur de Recherches à l'I.P.N.

Afin de préciser les conditions du déroulement de ce stage, j'aborderai les problèmes généraux de l'enseignement du français au Cycle élémen­taire sous l'angle de la méthodologie de la recher­che et sous l'angle de la psychologie qui doit servir de fondement à la pédagogie du français.

Ce stage est un stage de large information en même temps que de formation plus particulière­ment destinée aux personnels de nos équipes chargées actuellement de l'expérimentation d'un enseignement rénové du français, équipes sur les­quelles nous pensons nous reposer pour lancer les opérations de développement qui vont suivre.

Le nombre des Ecoles Normales qui ont mani­festé leur désir de s'associer à nos travaux, a doublé par rapport à l'année dernière, première année de notre pré-expérience. Il est bien évident que, dans ces conditions, il ne peut être parlé de recherche mais déjà de semi-développement et que le Département de la Recherche à l'I.P.N. ne pourra encadrer et suivre l'ensemble de ces ini­tiatives. Il sera, par conséquent, indispensable pour nous de continuer à approfondir la recher­che véritable avec ceux qui se seront montrés les plus motivés et les mieux disposés et, d'autre part, sur la base d'une large déconcentration, de préparer les phases ultérieures de développe­ment ainsi que les techniques que nous souhai­terions voir mettre en œuvre sur le plan des Académies avec l'appui des Centres régionaux de documentation pédagogique. C'est la raison pour laquelle ce stage sacrifiera à l'information didactique, mais nous avons tenu également à donner une place importante aux méthodes de subdivision pour les travaux d'équipes, de dyna­mique de groupe, de réflexion, afin que chacun puisse participer activement et librement à l'éla­boration de ce qui sera la synthèse finale.

Le stage concentrera ses travaux sur trois thèmes principaux qui nous ont paru constituer l'orienta­

tion générale du Projet d'Instructions de la Com­mission Rouchette : les problèmes de motivation à l'expression, l'imprégnation par les textes, les problèmes de grammaire tant en ce qui concerne la conception que l'on peut en avoir, que — et ceci nous est apparu comme très important — la technique et l'utilisation des « exercices structu­raux ».

Pour préciser nos intentions, je voudrais rappeler ce qu'est la pédagogie traditionnelle du français dans sa méthodologie, telle qu'elle ressort des Instructions de 1923 et de 1938, encore en vigueur malgré leurs disparates. Les Instructions de 1923 — déjà lointaines — prenaient appui sur une psy­chologie très « associationniste » ; celles de 1938 — qui ont encore actuellement des résonances plus modernes — sacrifiaient aux conceptions de cette époque, au Bergsonisme, à la psychologie de la forme, à l'intuition et à la motivation. Si nous nous reportons à la traduction dans la réalité pédagogique quotidienne, nous voyons appliqué un schéma traditionnel que les « Programmes et Instructions commentés » à l'usage des instituteurs proposent comme modèle. L'emploi du temps heb­domadaire se répartit en différents moments dans lesquels les différents types d'exercices qui en­trent dans l'enseignement de la langue prennent leur place respective en s'articulant les uns par rapport aux autres : lecture et récitation (idées, tournures de phrases, expression d'autrui, modèle) puis, elocution, vocabulaire, grammaire, orthogra­phe, rédaction. Bien que chaque maître ait sa propre manière d'enseigner, celle-ci se conforme­ra au schéma dit traditionnel et que reprennent la plupart des manuels en usage.

Quelle est la signification profonde de ce sché­ma ? Il part de l'idée que la langue doit s'enra­ciner, fondamentalement et essentiellement, dans l'expression élaborée d'autrui, retrouvée par la lecture et la récitation : les textes sont considé­rés comme le point de départ, l'élocution et la

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rédaction comme un point d'arrivée. Les manières de procéder sont, dans cette perspective, extrê­mement conscientes et organisées : la rédaction doit apparaître comme la synthèse finale du tra­vail de la semaine c i de la quinzaine, au cours desquelles on aura déoroussaillé le contenu gram­matical, lexical, stylistique, etc. .

Il y a, de ce fait, une explication historique : M. l'Inspecteur général Clarac, dans son ouvrage sur 1' « Enseignement du second degré » montre que : la dissertation française apparaît comme le loin­tain cousin des techniques en vigueur, il y a une centaine d'années, où il s'agissait d'abord de faire un discours latin, lui-même aboutissement d'un pastiche à partir de textes dont on s'était impré­gné. Mais d'autres raisons d'ordre philosophique, de type positiviste et intellectualiste, se sont ins­pirées de celles d'Alain pour qui le contact avec les textes est le plus important dans la mesure où l'éducation se donne pour but — et ce but reste valable — d'exhausser l'enfant, de le faire accéder à un niveau de culture élevé, à cette pensée transmise par les textes d'auteurs, conden­sé de ce qu'il y a de meilleur dans notre civilisa­tion. Il est donc indispensable et jamais trop tôt de faire approcher les enfants de ces textes pré­cieux.

C'est pourquoi, dans cette perspective, un texte, même non compris dans la totalité de son conte­nu et de sa forme, est cependant utile, car il est chargé d'une signification que l'enfant est capa­ble de sentir et le mot qui véhicule l'idée ou le fait, permet d'appréhender le réel ou la concep­tion qu'il s'en fait. Alain (1) est encore à la sour­ce : « Dès que nous approchons de pensées réelles, nous sommes tous soumis à cette condition de recevoir d'abord sans comprendre et par une sorte de piété ; lire, c'est le vrai culte, et le mot culture nous en avertit. L'opinion, l'exemple, la rumeur de la gloire nous disposent comme il faut, mais la beauté encore mieux. C'est pourquoi je suis bien loin de croire que l'enfant doit com­prendre tout ce qu'il dit et récite. Prenez donc La Fontaine plutôt que Florian, prenez Corneille, Racine, Vigny, Hugo ».

Partir des textes et, à partir de ces textes, cons­truire ce qui sera l'expression propre de l'enfant, est une pratique généralisée dans l'enseignement du français. Mais un autre aspect est lié à cette conception : c'est l'importance que notre ensei­gnement attribue à la prise de conscience réfléchie dans la construction du langage. Les Français aiment la grammaire, car c'est un effort d'éluci-

(1) Propos sur l'éducation.

dation, de réflexion sur le langage spontané. L'ex­plication de texte, portée dans l'enseignement du français à une sorte de perfection, est le moyen de faire prendre conscience par l'enfant ou l'ado­lescent, de la finesse des idées, de leur expres­sion, de leurs relations. L'attitude commune à l'enseignement grammatical et à l'explication de texte est cette confiance dans la prise de cons­cience comme moyen de faire accéder l'enfant à un meilleur usage. C'est là un a priori que nous contestons en nous appuyant sur des arguments tirés de la psychologie et de la linguistique.

Le premier point qui semble avoir été méconnu jusqu'ici par la doctrine en honneur, est l'impor­tance des rapports entre la langue spontanée des enfants et la langue élaborée qu'on prétend lui faire aborder par l'étude des textes. Dans les exercices scolaires, le langage même de l'enfant n'apparaît pour ainsi dire jamais. L'élocution et la rédaction qui sont les objectifs à atteindre sont les produits d'une construction. Le langage spon­tané de l'enfant, langage fruste, langage de la cour de récréation ou de la rue, apparaît comme indigne d'être pris en considération. Dans cette perspective, il s'agit de rebâtir le langage de façon rationnelle à partir du meilleur langage possible offert par les textes « classiques ».

Paradoxalement et simultanément on sous-estime le fossé qui sépare le langage enfantin de la lan­gue élaborée.

Dans les instructions ministérielles de 1938, — les plus proches de celles que nous proposons — la difficulté est escamotée. Nous y lisons : « Tout enfant connaît et emploie les deux formes : un cheval, des chevaux. Il sait donc inconsciemment que certains noms ne présentent pas la même forme au singulier qu'au pluriel. « Vue très opti­miste : un enfant de 12 ans connaît sans doute la différence entre un cheval et des chevaux, mais qu'en est-il d'un enfant de 7 à 8 ans ? Voici un autre passage : « C'est de la pratique qu'il faut partir pour enseigner la règle d'accord d'un verbe avec son sujet... ». C'est encore une fois de l'op-tismisme qui fait confiance illusoirement au niveau de langage spontané des enfants.

Il est indispensable de reconnaître l'existence de « niveaux de langue » différents et de se rendre compte qu'on ne passe pas aisément de l'un à l'autre. Entre le niveau inférieur et le niveau supérieur il y a, pour un grand nombre d'enfants, autant d'écart qu'il peut y en avoir — toute pro­portion gardée — entre une langue vivante par­lée et une langue étrangère. Pour un nombre crois­sant de nos élèves, la langue littéraire à laquelle on prétend les confronter, est si éloignée de leur

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langage familier qu'il y a quasi impossibilité de véritable communication. Nous vous renvoyons à une étude de Mme Stourdzé (1) sur les dif­férents niveaux de langage. Il est certain qu'en­tre la langue populaire parlée et la langue classique écrite telle qu'on la trouve chez les bons auteurs, du langage familier à la langue choisie et soi­gnée, il y a tous les niveaux possibles. Ces nuan­ces, bien connues de ceux qui ont à enseigner la langue française à des étrangers, gagneraient à être connues également des pédagogues qui, en France, sont chargés d'enseigner le français. Cette existence de plusieurs niveaux de langage et de langue pose le problème de la communication et du passage d'un niveau à l'autre. Le problème est de savoir s'il faut partir du niveau le plus élevé pour parvenir à faire acquérir le bon usage parlé ou écrit ou s'il n'est pas nécessaire d'envi­sager des paliers.

Les données de la linguistique peuvent nous aider à répondre à ces difficiles questions. La typolo­gie et la génétique ont rencontré des problèmes de semblable nature. Ces niveaux de langage que nous côtoyons de façon synchronique dans l'uni­vers sonore où nous vivons, se retrouvent dans la génétique individuelle de chaque élève, à cha­que âge déterminé. Il va sans dire qu'un nour­risson ne parle pas comme un conférencier : entre ces extrêmes la génétique distingue tous les niveaux possibles que les études de psycho-lin­guistique s'efforcent de serrer de plus près. Les travaux sur ce sujet ne sont pas encore très nom­breux mais ceux qui existent suffisent pour mon­trer qu'on ne peut pas rejeter comme sans inté­rêt cette croissance spontanée du langage. Il existe une résistance spécifique de l'enfant à l'appréhen­sion de structures élaborées : d'où, il y a un temps pour chaque chose ; il ne sert à rien d'aller trop vite ; la confrontation d'un élève avec n'impor­te quel texte ne résoud pas tous les problèmes.

On a pu établir des courbes assez précises et con­vergentes du vocabulaire acquis croissant avec l'âge, indépendamment des langues étudiées, pour qu'on parle d'une loi constante (2). On voit croî­tre à la fois le nombre de mots utilisés, le nom­bre de mots compris. C'est ainsi que l'on a pu approfondir l'étude de la maîtrise progressive du vocabulaire orthographique (3).

Il en va de même en ce qui concerne la syn­taxe. La longueur des phrases croît avec l'âge ; la

(1) Dunod, 1967. (2) cf. G.A. MILLER : Langage et communication, P.U.F. 1956. (3) cf. TERS, MAYER, REIOHENBAGH, OJCJDX., 1964.

longueur des phrases orales est moindre que celle des phrases écrites ; les formes plus élaborées d'expression apparaissent selon une progression cohérente, non due au hasard ; l'apparition de l'usage de telle conjonction, de tel adjectif etc. . est en corrélation avec l'âge. Sur ce point, nous sommes encore loin d'une précision satisfaisante et delà nous pose, en ce qui est de notre expéri­mentation, un problème difficile à résoudre : celui de l'instrument de mesure de l'efficacité de ce que nous faisons.

Nous ne savons pas encore à quel moment peut apparaître la maîtrise de telles structures linguis­tiques. On sait, pas exemple, combien il est dif­ficile, en dépit des corrections répétées, de faire acquérir à des enfants l'emploi correct du condi­tionnel. Il semble qu'on ne franchira pas ce stade tant que l'enfant ne se trouvera pas sensibilisé à cette forme par on ne sait quel processus de croissance. J'ai cru longtemps que mes propres enfants ne parviendraient pas à dépasser le « si j 'aurais » parce que nous étions en Alsace, mais je me suis aperçu que la difficulté n'était pas d'ordre externe mais interne et une des plus im­portantes qu'avaient à surmonter tous les écoliers. La résistance est donc spécifique et de l'ordre de la maturation. Partant, il n'est pas possible de passer d'un niveau de langue à un autre sans pré­cautions et sans tenir le plus grand compte de la génétique.

Des travaux comme ceux de Piaget peuvent per­mettre d'approfondir la question, en particulier, sur le plan du développement intellectuel en rap­port avec le langage. Ils montrent comment l'en­fant peut utiliser des conjonctions comme « parce que » dans des sens très différents, comment il commence à exprimer la causalité comme un phé­nomène purement intentionnel. Des observations analogues peuvent être faites sur tous les mots de liaison. Mme Sinclair de Zwart (4) mon­tre comment apparaît entre 7 et 8 ans la conquête des « disjonctions », ou, et, plus grande que, plus petit que. Elle souligne que ce n'est pas par l'ac­tion sur le langage, mais par la conquête de la réversibilité, par l'action sur la structure mentale, que l'acquisiiton de la forme linguistique pourra s'effectuer. En conclusion, il nous paraît indispen­sable de connaître les éléments fondamentaux du fonctionnement du langage tels que la psychologie peut les décrire, pour préciser les différentes appro­ches possibles de la pédagogie du français, en cer­ner les limites et les possibilités.

(4) Acquisition du langage et développement de la pensée, Dunod, 1967.

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Cela ne signifie pas pour autant que toute action pédagogique nous est interdite.

Par exemple, des études théoriques ont prouvé que la maîtrise du complément d'objet à 75 % ne s'ob­tenait pas avant 12 ans : cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas en aborder l'étude avant cet âge. Les pourcentages sont des données de fait qu'on ne peut ignorer ; mais ce serait nier la valeur de l'action pédagogique que de déclarer qu'il ne peut en être autrement : nous pouvons et devons tenter d'améliorer ce rendement, d'exhausser le niveau. Les faits d'expérience prouvent l'intérêt de cette attitude. Quand nous insistons sur le fait qu'il y a une génétique du langage, nous n'entendons pas que celle-ci doive mettre des barrières a priori à tout effort pédagogique mais seulement qu'elle doit coinvaincre le pédagogue que tout n'est pas possible à n'importe quel moment.

Essayons de déceler les différents facteurs qui peu­vent permettre de situer les actions pédagogiques possibles. Ils concernent le fonctionnement du lan­gage constitué.

Lorsque je vous parle et prononce une phrase, deux aspects sont à considérer : d'une part l'idée que j'exprime (sens, intention de signification), d'autre part l'instrument que j'utilise, le langage parlé, cette chaîne sonore que vous décodez. De mon point de vue de personne qui parle, l'impor­tant est cette intention de signification sous-jacente à l'expression elle-même et qui est de nature tout à fait différente du langage tel qu'il vous appa­raît. Avant de vous parler je sais ce que je veux vous dire ; j 'a i donc un sens précis en mon esprit. Il va falloir que je « coule » ce sens dans une mécanique qui va prendre du temps et de l'es­pace.

Parler, c'est vouloir dire quelque chose. Mais un conférencier peut « parler pour ne rien dire » ou tout au moins donner cette impression, ou en­core donner l'impression qu'il dit quelque chose alors qu'il n'a pas au fond de lui-même l'idée qu'il exprime. Il y a une vie autonome du langage. Il peut y avoir un décalage entre le fonctionnement même du langage qui appartient au domaine de l'habitude et l'intention que ce langage doit véhi­culer. Par l'habitude le langage fonctionne de ma­nière mécanique. La distinction entre l'intention de signification et le véhicule de cette significa­tion est importante pour éviter les erreurs qui relè­vent de la pédagogie traditionnelle du français.

Un exemple simple va montrer comment on peut envisager différents niveaux utilisables pour la pédagogie : ce sera un second aspect de cette ana­lyse du langage. Voici la phrase : « Nous partici­

pons à un stage de français». Quels sont les dif­férents éléments de cette affirmation ? D'abord le sens, prolongement d'une intention déterminée. Si je réponds au téléphone à quelqu'un qui me demande ce que je fais, je dirai : « Nous sommes en train de participer à un stage de français ». Et si j'écris au tableau : « Nous participons à un stage de français » alors que nous sommes réu­nis, c'est en vue d'une réflexion sur le langage. L'intention sera, à chaque fois, différente et la phrase prononcée ou écrite sera placée à un niveau différent. Dans le cas présent nous avons déjà affaire à un langage qui n'en est plus un, dans la mesure où il est devenu objet de réflexion et non plus instrument de communication.

Comment peut-on arriver à une dissociation des éléments du fonctionnement d'une phrase ainsi envisagée ? Des techniques intéressantes sont en passe de devenir classiques, celle de la mutila­tion de textes, par exemple, et celle de la recons­titution de textes. Ainsi, au lieu de vous donner cette phrase dans sa totalité ; je pourrais vous dire : « Je vais vous dicter une phrase, je ne vous en indique pas le sens mais elle a trait à ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui».

Je situe déjà d'emblée une contrainte sémanti­que. Puis je prononcerai, par exemple, « Nous » et demanderai qu'on imagine le deuxième mot. L'imagination fera surgir sûrement un verbe, mais quel verbe ? Plusieurs sortes de verbes sont pos­sibles : nous pourrions calculer la fréquence des différents verbes et sens qui apparaîtraient. Par là-même vous découvrirez la dissociation entre l'enveloppe grammaticale et la donnée sémanti­que, les deux contraintes de notre langue. Cette simple expérience permet de comprendre les deux aspects fondamentaux du fonctionnement du lan­gage : d'une part le contenu, la signification qui s'apparente cette fois à l'intention de communi­cation et d'autre part la contrainte grammati­cale qui relève de la sructure formelle de la lan­gue. Cette contrainte fera qu'après un pronom de première personne un verbe suivra, suivi lui-même d'un complément, etc... Nous retrouvons ici ce que les linguistes distinguent entre la compétence et la performance. Nous disposons de façon habituelle, d'un certain nombre de schémas grammaticaux qui nous permettent de nous exprimer, un stock dans lequel nous puisons dès l'instant où nous avons quelque chose à dire. Nous choisissons alors, inconsciemment, certes, ou de façon plus ou moins mécanique, pour énoncer quelque chose : ce qui est le propre de la performance.

Ce qui importe pour l'action du pédagogue, c'est le fait que la compétence, ensemble d'habitudes acquises, peut fonctionner à vide ou peut, au

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contraire, fonctionner de façon adéquate. Pour qu'il y ait langage, il faut que les éléments de la compétence soient mobilisables pour l'expression. On peut, par l'habitude, par l'imprégnation, par la répétition, acquérir une certaine compétence, mais si celle-ci ne passe pas dans l'usage, si elle ne se met pas spontanément à la disposition du locu­teur dans l'intention d'une signification claire et précise, il n'y a pas de gain pour le langage, il n'y a pas de progrès. Tous ceux qui s'occupent de l'enseignement des langues vivantes le savent : il ne suffit pas de faire imiter un langage, d'im­prégner même l'esprit de l'enfant de structures montées mécaniquement, il faut encore que celui-ci soit à même de les rompre et de les mobiliser. Une phase d'exercices doit suivre nécessairement l'imprégnation, celle où vont se « couler » des intentions de signification dans les structures appri­ses. Nous voulons mettre en relief l'importance fondamentale de l'intention de communication, face ou conjointement au montage des structures habituelles du langage. Si l'une des deux obli­gations manque, le danger du psittacisme nous guette.

Reste le problème de la prise de conscience. Une des idées bien ancrées dans notre pédagogie traditionnelle, est que pour accéder à un usage correct de notre langue, il convient de prendre conscience des raisons de cette correction.

L'Inspecteur Général Rouchette a insisté sur la vanité des règles ; nous touchons là un des points essentiels de la rénovation de l'enseignement du français.

Il est maintenant avéré qu'on ne peut faire prendre conscience à un enfant, de n'importe quoi à n'im­porte quel moment. Des études ont été faites à ce propos du point de vue de la grammaire, en particulier par J. Wittwer dans « Les fonctions grammaticales chez l'enfant » (1). Il est vrai que cette recherche porte sur des enfants qui n'ont pas bénéficié de notre pédagogie nouvelle : on ne peut donc en inférer que les résultats enre­gistrés soient ne varietur. Mais ce qu'il faut en retenir c'est la notion de génétique, de cohérence en ce qui concerne la prise de conscience gram­maticale. Nous avons entrepris depuis trois ans l'expérimentation d'un enseignement programmé de la grammaire française au niveau des classes de 6' : les résultats auxquels nous sommes parvenus confirment pleinement l'existence de degrés dans l'appréhension des notions grammaticales par les enfants de cet âge.

(1) Delachaux et Niestlé, 1959.

Par ailleurs, il est indispensable de porter notre attention sur la place que tiennent l'enseignement de la grammaire et l'explication de texte dans la pédagogie traditionnnelle du français. La place prédominante en ces deux disciplines de la prise de conscience favorise-t-elle l'usage ? Est-il bien vrai que la prise de conscience grammaticale en­traîne un transfert ? Nous savons qu'en matière d'orthographe, on peut connaître par cœur des règles d'accord et être effectivement dans l'inca­pacité de les appliquer. La grammaire est-elle donc utile ? Si oui quelle grammaire enseigner ? Dans quelle mesure une prise de conscience des struc­tures de la phrase élaborée peut-elle en favoriser le transfert dans l'usage ? La grammaire n'est-elle pas nécessaire seulement pour les maîtres, au niveau de l'école élémentaire ? Ne convient-il pas de transformer la grammaire en question ?

Pour résumer les questions qui se posent à notre réflexion au cours de ce stage, nous dirons que la principale est celle de la communication, de la motivation à l'expression. Il est bien certain que nous serons conduits à mettre l'accent sur ce qui permet un usage véritable du langage dans ses formes de communication spontanée, en même temps que ce qui favorise le passage d'un niveau fruste de langage à un niveau plus élaboré. Il conviendra de chercher tous les moyens de « dyna­miser » l'enseignement du français. Tout n'est pas à inventer heureusement et un des mérites de l'éducation nouvelle, comme celui des techniques Freinet, est d'avoir exploré les moyens qui per­mettent de créer cette intention de communication sans laquelle il n'y a pas de possibilités de pro­grès.

Il ne peut pas y avoir de progrès dans l'enseigne­ment du français, si le climat de la classe ne se prête pas à la communication, communication d'élè­ves à maître, d'élève à élèves, de groupe à groupe et non plus seulement de maître à élèves.

En ce qui concerne l'imprégnation, notre objec­tif — et nous nous rapprochons de la pédagogie traditionnelle sur ce point — est de faire passer le langage des enfants d'un niveau spontané fruste à un niveau souhaitable plus élevé, celui du bon usage écrit, si ce n'est celui de la langue littéraire. Là encore des techniques pour aborder et utiliser les textes doivent être explorées, dans les pers­pectives ouvertes par la psycho-linguistique. Il faut se demander dans quelle mesure telle ou telle technique d'imprégnation par les textes est favo­rable à la construction chez l'enfant des séquences syntaxiques qui lui permettront par la suite de mieux s'exprimer. Dans quelle mesure elle peut conduire à cette compétence linguistique indispen­sable à l'enfant pour qu'il exprime ce qu'il veut communiquer, intelligiblement.

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Se posent, enfin, ici, les problèmes du travail systématique que constituent les exercices struc­turaux et l'enseignement de la grammaire. Il s'agit là d'un travail plus construit, plus élaboré, qui doit se fonder à la fois sur les données de la pédagogie expérimentale et de la psycho-lin­guistique.

Nous sommes très conscient que le projet Rou-chette a suscité un vaste mouvement de réflexion mêlé de contestation. La contestation est néces­saire et, dans la mesure où le projet est contes­table, il a joué son rôle et continuera à le jouer. Nous pensons qu'il constitue un progrès par rap­port aux textes anciens. Il est certain également que la partie grammaticale est à réexaminer et à remanier sensiblement. Nous avons mis en bran­le une dynamique de changement et c'est cela qui importe : le projet de rénovation de la péda­gogie du français a remis en question des prin­cipes, des méthodes, des techniques, un enseigne­

ment grammatical. Un temps de réflexion, d'in­formation et de formation des maîtres, d'expé­rimentation, s'impose avant que des instructions nouvelles soient publiées officiellement.

Les dynamiques de changement sont extrême­ment difficiles à mettre en place dans l'enseigne­ment, par suite du manque de structures institu­tionnelles de développement, mais aussi par la résistance des mentalités et des hiérarchies. Notre rôle est de chercher à susciter la convergence des volontés en dépit des querelles de catégories et de mettre en route la dynamique de rénovation en dépit des difficultés administratives et finan­cières. Enfin, il y a des écoles en linguistique com­me en mathématiques et là encore une conver­gence doit se faire jour. J'espère que la France pourvoira de linguistes de haute qualité toutes les Universités. Et nous mettons notre espoir dans ce travail d'équipe que nos stages tentent de met­tre en oeuvre en associant les compétences des universitaires et des pédagogues.

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LA MOTIVATION A L'EXPRESSION ORALE ET ECRITE

I — LA MOTIVATION DE L'EXPRESSION ORALE

M. UEBERSCHLAG Chef du bureau de l'organisation des recherches et de l'expérimentation pédagogique

Pour donner une base concrète au problème à débattre, nous allons présenter trois documents situés au point de jonction du langage parlé et du langage écrit, au niveau du Cours élémentaire 1" et 2" année, où le passage de l'expression spon­tanée à une expression plus élaborée est le plus sensible.

Les questions sous-jacentes que nombre de maîtres se posent vont trouver ici leur illustration : De quoi les élèves ont-ils le droit de parler en classe ? Quel est le langage brut tolerable, utilisable dans la relation de communication élèves-maître et maître-élèves ? Le problème dépasse le plan de la pédagogie pour présenter les caractères d'un problème de civilisation.

En 1953, j 'ai été frappé par un ouvrage de Roland Barthes : « Le degré zéro de l'écriture ». J'étais alors chargé de l'éducation d'enfants débiles, et, bien que non linguiste, j'étais conduit à m'inté-resser aux problèmes de langage. R. Barthes s'efforçait de préciser à quel moment commençait le langage littéraire et s'arrêtait le langage tout court de la communication. Ce problème est tout à fait actuel.

Dans le premier document (la naissance de por­celets) (1) la maîtresse n'a pas le souci d'inter-

(1) Enregistrements magnétiques.

venir comme pourrait le faire une institutrice diri­geant une « bonne leçon ». Le deuxième document (les élections de juin 1968) (1) présente l'état brut d'une bande avant montage, respectant le temps réel de la prise de son. Le troisième (télé­vision : ateliers pédagogiques du 16 octobre 1968) rapporte l'entretien du matin dans une classe pra­tiquant les techniques Freinet.

On sait que le grand pourvoyeur de conversations d'enfant est la télévision. Le premier document est enregistré à la suite d'une emisión de télévi­sion reçue par des enfants de 7 ans. Il y aurait une sorte d'hypocrisie de vouloir saisir le langage scolaire à partir des manuels ou des conversa­tions préfabriquées faisant écho à la fiche de pré­paration des maîtres. Nous avons affaire ici à un sujet tabou qui a obligé la maîtresse à ne pas trop s'avancer dans l'information sexuelle sans pour autant s'y dérober. Le deuxième document touche également à un autre sujet tabou, celui de la politique et d'un événement d'actualité. Nous sommes au Cours élémentaire 2* année, mais les enfants ont entendu abondamment parler de la campagne électorale. Un enfant de 8 ans assure la présidence, la maîtresse assiste à la séance. Dans le troisième document nous avons l'exemple d'un état intermédiaire entre l'expression brute des enfants et l'exploitation scolaire de cette expression. La prise de vue ne semble pas avoir faussé la spontanéité. Ces trois documents qui ne sont pas des modèles nous ont paru propres à soulever les problèmes de la motivation à l'ex­pression orale, problèmes difficiles qui peuvent susciter une légitime inquiétude.

Des travaux de groupes se dégage l'inventaire des questions à mettre à l'étude :

1°) Correction de l'expression spontanée : rôle du maître, nature, manière, moment de la correction.

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2°) Nécessité de préciser les conditions dans lesquelles les « ateliers pédagogiques » sont réalisés (Cours, nombre d'élèves, situation de la séquence, coupures etc..)

3°) Signification des termes : motivation, incitation.

4°) Choix du sujet : actualité ou universalité de la motivation.

5°) Création d'un climat favorable à l'expres­sion ; la personnalité du maître, le per­sonnage. La motivation du maître dans la relation maître-élèves favorable à la communi­cation.

Les situations favorables à l'expression : la situation d'expression scolaire : l'en­fant ne dit pas n'importe quoi, devant n'importe qui, à n'importe quel moment.

Les remarques suivantes ont été exprimées au cours du débat :

Les jeunes maîtres débutants ont le grand souci d'empêcher les élèves de parler, alors que le besoin de parler, au niveau du langage banal, est fondamental et fait explosion dans l'école et la classe si le milieu scolaire n'impose pas des cen­sures, des tabous, des écrans, des contraintes.

Dans les documents présentés, les groupes se trou­vaient en situation de pouvoir parler « comme sur un terrain vague » ou à la maison, au « degré zéro du langage ».

Le problème fondamental est de savoir si nous allons fermer la porte à l'expression brute ou encore la canaliser dès le départ, la rectifier cons­tamment, selon les Instructions de 1923 qui restent la référence constante des maîtres malgré les assouplissements qui y ont été apportés par la suite. « On demandera à l'élève de répéter ou de résumer ce qu'il vient d'entendre » et dans les règles pratiques on peut lire en caractères gras : « il résulte de cela tout une partie en quelque sorte négative, par suite bien ingrate, même fasti­dieuse, du travail de l'instituteur : c'est la lutte de tous les instants contre les tournures vicieuses, les impropriétés, l'abus des expressions banales ou triviales ». La règle imperative pour le maître est qu'il ne tolère jamais qu'un élève s'exprime en un langage incorrect ou impropre.

Le problème qui se pose à nous aujourd'hui est celui de savoir si nous allons maintenir cette règle, rester les vigilants gardiens de la pureté de la langue écrite, en faire l'alpha et l'oméga de notre

enseignement du français ; ou bien allons-nous accepter que les élèves soient accueillis par nous tels qu'ils sont, non pas pour valoriser ce qui est proprement banal, mais parce que ce langage commun constitue l'univers dans lequel il nous faudra travailler, dans la perspective de l'élever par degré pour atteindre les sommets de la litté­rature. Cela n'est d'ailleurs pas propre à l'ensei­gnement du français mais implique des attitudes et un comportement pédagogiques qui doivent s'étendre sur toute la vie scolaire. Les mêmes problèmes de motivation, de régulation sociale se posent dans toutes les activités et disciplines d'enseignement en dehors de toute recherche expérimentale particulière.

Ce que nous voulons souligner comme essentiel, pour le maître et pour les élèves, c'est que le milieu scolaire soit instauré de telle sorte que l'expression — l'extériorisation diront certains •— même sous une forme négligée, soit possible, dans sa spontanéité affective, dans son authenticité. Ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait, chez les élèves comme chez le maître, un plaisir physique à parler, à manipuler des mots, des expressions, surtout si elles ont ce goût savoureux de la langue d'origine. Sans doute il faut aller très vite au-delà, mais on ne peut ignorer, « mettre entre parenthèses » ce besoin du langage brut ; on ne doit surtout pas le censurer, au nom d'un juge­ment moral avoué ou inavoué, avec le risque de provoquer un blocage non seulement verbal, mais de la créativité même.

La correction interviendra du fait qu'un nouveau milieu scolaire est créé, celui de la classe en tant que groupe social, que société. Le maître n'est pas le seul dépositaire de la correction et de la régu­lation du langage ; il y a aussi les compagnons qui sont des critiques souvent pertinents et sévères ; il y a l'abondance et la richesse de l'ex­pression libre. Pourquoi être surpris que certaines tournures vicieuses auxquelles les camarades n'ont pas été sensibles puissent rester sans être aussitôt reprises et rectifiées ? Comme dans tout apprentissage, il y a certaines erreurs qu'on ne peut corriger efficacement que plus tard. Se fixer a priori un haut niveau de correction et tenter prématurément de l'atteindre, est sans doute aller à rencontre du but que l'on s'est fixé. Nous devons remarquer que cette atmosphère libérale peut se conjuguer avec des exigences et des contraintes, en particulier dans l'organisation et la progression du travail. Une éducation libérale est une édu­cation qui, dans des cadres et des règles acceptés et non subis, permet le jeu de la spontanéité, le plaisir de la création.

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Il - LA MOTIVATION DE L'EXPRESSION ECRITE : Passage de l'expression orale à l'expression écrite.

M. R. GLOTÓN, I.D.E.N.

M. LE MAITRE, Instituteur

La langue écrite présente des caractères très diffé­rents de ceux de la langue orale. Les enfants l'abordent un peu comme une langue étrangère par rapport à leur expérience personnelle. Dans ces conditions, l'importance des techniques qui peuvent favoriser la motivation doit retenir notre attention. Le document télévisé sur une classe de neige avec visite d'une fromagerie (ateliers de pédagogie) vous montre un exemple d'enquêtes de comptes rendus, de textes libres. D'autres docu­ments illustrent l'imprégnation par les textes qu'un certain nombre d'Ecoles annexes et d'ap­plication d'Ecoles Normales ont pu expérimenter. Dans une Circonscription d'Inspection primaire de Paris, parmi d'autres, un instituteur, M. Le Maître, s'est passionné pour les problèmes dif­ficiles que posait l'enseignement du français à des enfants appartenant à des milieux populaires très défavorisés du point de vue socio-culturel, et qui présentaient de ce fait de grandes difficultés à s'exprimer, à dire par écrit ce qu'ils pensaient. M. Le Maître a été amené ainsi à imaginer et à expérimenter un certain nombre de techniques personnelles, dans son C.M.2 de Belleville.

L'expérience dont il va être question est carac­térisée par le fait qu'elle a été très vivement moti­vée. Instituteur pendant neuf ans dans une école du XXe arrondissement, j'avais été frappé, expli­que M. Le Maître, par l'esprit de quartier, de « clocher » pourrait-on dire, qui animait mes élè­ves : il y avait là une motivation vraie à exploiter. Il y avait entre ces enfants une communauté, autre que celle de l'âge ou du lieu, la communauté de la misère. De plus la rue Ramponneau réunis­sait beaucoup d'étrangers, de fortes colonies d'is-raélites, de musulmans.

A la rentrée 1966-67, nous avons pensé à chercher s'il existait d'autres « Belleville » en France et dans le monde. Le travail a démarré ainsi. Les élèves travaillent par équipe. Les différentes équi­pes ont recherché, dans le dictionnaire en parti­culier, s'il existait d'autres «Belleville». Nous avons affiché une carte de France dans la classe : nous indiquions tous les « Belleville » découverts avec des punaises ; un fil de laine rouge portait avec l'indication de la ville ou du village, celle

du département. Nous avons pensé compléter notre liste en nous adressant au Ministère des P. et T. qui nous a fourni une liste complète : nous avons ainsi découvert onze « Belleville » en France,

Ensuite nous avons cherché à entrer en contact avec ces différents « Belleville ». Nous avions éta­bli un questionnaire : les élèves ont demandé à leurs camarades de ces différents « Belleville » de les renseigner sur leur ville, sur l'histoire locale. Le travail a été très fructueux du point de vue du français, mais aussi du point de vue de l'his­toire et de la géographie. Nous avons fait la même chose pour les différents c Belleville dans le monde. Pour cela nous nous sommes adressés aux ambassades : nous avons ainsi découvert des « Belleville » aux Etats-Unis, au Canada, en Ar­gentine, en Afrique du Sud, aux Indes, et nous avons correspondu avec un certain nombre d'entre elles.

Ceci n'était qu'une entrée en matière, car nous avons abouti à un travail d'expression écrite, que nous avons intitulé «Quartier Rampo » (1). Il est arrivé un moment où nos correspondants, tant français qu'étrangers, nous ont demandé des car­tes postales montrant les rues du quartier. Or nous nous sommes aperçus que ces cartes posta­les n'existent plus. Il fallait décrire le quartier de Belleville à nos correspondants. Pour cela nous aurions dû passer par la photographie peut-être, mais les élèves ont pensé à écrire des textes, qui décrivaient leur quartier.

Petit à petit la classe s'est aperçue que certains élèves contaient des histoires qui avaient pour cadre le quartier. Ces textes ont été acceptés ; et c'est ainsi que nous avons pu constituer ce recueil « Quartier Rampo ».

Toute la classe s'est passionnée pour ce travail. Les textes écrits par des élèves d'autres classes venaient s'ajouter aux nôtres. Pour que ces textes puissent entrer dans le recueil, il a fallu corriger les nombreuses fautes. Il n'y a pas eu de choix, tous les textes ont été pris. Ils étaient écrits par leurs auteurs au tableau, une première équipe s'offrait pour corriger les fautes d'orthographe, une deuxième pour la ponctuation, et ensuite l'auteur restait seul au tableau avec son texte et subissait les questions ; il devait défendre son

(1) « Quartier Rampo » d'école se trouve rue Rampon­neau, Paris (XX').

Cf. « Quartier Rampo » in Des sciences de l'éducation pour l'ère nouvelle. Janv.-mars 1969, chez M. Didier, 4-6, rue de la Sorbonne, Paris (5e).

Les Cahiers de l'Ecole et la vie, n° 3, 1969 : Le français motivé par J. Le Maître, Colin-Bourrelier.

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texte devant la classe et celle-ci apportait toutes lès améliorations nécesaires. Puis l'élève recopiait son texte, il était affiché au mur avant d'être ronéotypé. Les élèves des autres classes étaient invités à venir dans aotre classe.

Nous étions partis sur des descriptions du quar­tier et, très vite, les textes qui contaient une his­toire ayant pour cadre le quartier, ont pris le pas sur les descriptions ; c'est la partie la plus inté­ressante du recueil.

Cette année-là, nous avions choisi d'étudier, pen­dant tout un trimestre, « Le Vieil Homme et la Mer», d'Ernest Hemingway, et d'en faire une exploitation totale. Lorsque l'on fait écrire des enfants, les textes que l'on peut leur faire étu­dier sont très importants. L'année précédente, nous avions étudié « Les disparus de Saint-Agil », de Pierre Véry. L'enfant qui est imprégné de la manière d'écrire est amené à écrire et peut-être à bien écrire.

Je pourrais montrer des travaux que nous avons réalisés selon des techniques très simples : par exemple, une année, nous avions créé un person­nage dans la classe ; il s'appelait Ernest Palu-che, et les enfants inventaient toutes s o r t e s d'aventures qui arrivaient à Ernest Paluche. Dès qu'un texte était écrit, il était étudié collective­ment. Tout notre travail de français : la conju­gaison, la grammaire, les éudes de textes, tout a été tiré de « l'ouvrage » du CM. 2 : c Les aven­tures d'Ernest Paluche ».

Des travaux de groupes, se dégagent cinq thèmes de recherche :

Io) Aspects psychologiques de la motiva­tion : nous retrouvons la création du « climat » de la classe et la relation maître-élèves.

2°) Aspects pédagogiques de la motivation : liaison et passage de l'expression orale à l'expression écrite.

3°) Autres formes de motivation à l'expres­sion écrite.

4°) Problèmes d'organisation : la place de l'expression écrite dans l'enseignement global du français ; coordination, rap­ports et hiérarchie des exercices écrits ; application du contenu du Projet d'Ins­tructions Rouchette ; danger d'une nou­velle scolastique.

5°) Passage de la langue brute à la lan­gue élaborée : nous retrouvons le pro­blème de la correction de l'expression écrite.

Les remarques qui peuvent être faites concernant chacun de ces points recoupent en partie ce qui a été noté pour l'expression orale. Ainsi, la for­mule : « Il n'y a pas de motivation possible sans un certain climat dans lequel lé désir ou le be­soin de s'exprimer par écrit se manifeste sponta­nément ou de façon plus ou moins déterminée par un ensemble de conditions scolaires favorables ». Encore ici, la motivation est distinguée de l'inci­tation : la motivation se réfère à des besoins élé­mentaires ; ce qui apparaît pédagogiquement aus­si important est l'incitation de l'enfant à s'expri­mer et à écrire. A notre époque, les moyens d'in­citation sont nombreux : mais le besoin d'expri­mer ou de s'exprimer passe beaucoup plus aisé­ment par l'expression orale que par l'expression écrite. Notre univers actuel est en grande partie audio-visuel. Dans cet univers, le besoin de com­munication écrite n'est pas un besoin pressant pour l'enfant.

On pourrait distinguer plusieurs paliers de moti­vation à écrire :

— un palier où le besoin de conserver ce qui a été dit apparaît comme prioritaire ;

— un deuxième palier où le besoin de s'expri­mer pour dire ce qu'il a de plus personnel incite l'enfant à le communiquer oralement et par écrit ;

— un troisième palier où la motivation à écrire naît du besoin de communication intellectuelle.

Les activités esthétiques, les activités d'éveil ap­partiennent aux deux premiers et présentent un caractère de spontanéité. L'incitation magistrale concerne le troisième, parfois sous la forme d'une motivation artificielle.

Un grand nombre de groupes expérimentaux se sont orientés vers une forme de motivation à l'expression écrite plus naturelle, spontanée, per­sonnelle ; on a pu voir associer toutes les formes d'expression, aussi bien des chansons dont les paroles seraient écrites et transmises à d'autres, que le dessin libre pouvant conduire à l'expres­sion écrite, ou encore un poème, un conte, direc­tement écrits par des enfants.

Dans la catégorie des incitations magistrales, nous avons pu relever l'emploi du magnétophone comme relais entre l'oral et l'écrit, l'émission de télévision ou la projection de diapositives pour la reproduction de tableaux, l'observation de cartes

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postales et leur envoi à des correspondants, la promenade avec exploration du milieu, l'enquête, le roman scolaire composé par la classe.

Il va sans dire que les problèmes posés par la motivation de l'expression écrite impliquent des questions d'organisation et d'application ; et d'abord la place de l'expression écrite dans un enseigne­ment global du français avec son incidence sur l'emploi du temps ; puis les rapports des diffé­rents exercices d'expression écrite et leur coordi­nation. L'âge et le niveau de la classe sont à con­sidérer pour spécifier l'importance relative de l'expression écrite dans l'ensemble des activités scolaires. Il va de soi, en outre, qu'une pédagogie globale du français fondée avant tout sur la com­munication, se devra de privilégier les situations motivantes. Il est à remarquer que chaque fois qu'il est question de la construction d'un mes­sage, qu'il est question de conserver la pensée et de la présenter dans son intégrité, nous retrou­vons la fonction esthétique du langage. L'expres­sion écrite a un concurrent redoutable à l'école maternelle et au cours préparatoire : le dessin, autre forme d'expression « écrite ». La place de l'écrit est donc déterminée, selon l'âge des enfants, par la variété des situations ou incitantes ou moti­vantes, spontanées ou créées par l'événement. En tout état de cause, dès l'école maternelle, il con­vient de ne laisser passer aucune occasion d'en­courager l'écrit, de le valoriser, de façon à pro­voquer chez les enfants le besoin de commu­nication.

En ce qui concerne la coordination et la priorité des différents exercices d'expression écrite, deux classifications sont possibles : une classification pédagogique dont la hiérarchie et les développe­ments sont fonction du développement de l'enfant dans l'apprentissage de la langue écrite. C'est ainsi que le Projet Rouchette propose d'abord des exer­cices où les élèves mettent en œuvre les moyens qu'ils possèdent et expriment leur propre pen­sée : textes libres, rédactions libres ou suscitées, textes d'observation. Une deuxième catégorie d'exercices vise à préciser et à enrichir les moyens d'expression par imprégnation de l'esprit enfan­tin par une langue évoluée : reconstitution de textes, par exemple. Enfin, des exercices visent l'acquisition des formes syntaxiques supérieures.

"Une seconde classification pourrait présenter un caractère plus fonctionnel. Dans la mesure où l'expression écrite répond à la fonction de com­munication et d'échange : l'exercice type privi­légié en serait le texte libre qui répond à la spon­tanéité de l'enfant. Si nous considérons le lan­gage dans sa fonction représentative et de déno­mination, un exercice comme le texte d'obser­

vation répondrait davantage à l'imprégnation. Si nous considérons enfin le langage dans sa fonc­tion esthétique, nous verrons intervenir encore le texte libre, bien sûr, mais aussi le texte recons­titué.

Par ailleurs, l'emploi du temps ne saurait établir un clivage entre les diverses catégories d'exerci­ces : la communication a sa place partout, dans toutes les activités scolaires. Tout découpage dans un programme d'apprentissage de là langue ne saurait être qu'artificiel. L'emploi du temps doit offrir la souplesse qui permette aux enfants de s'exprimer quand ils en éprouvent le besoin dans un apprentissage global du français où le langage écrit trouve place à l'occasion de toutes les acti­vités scolaires et para-scolaires. La grille propo­sée par M. J. Vial s'inspire de ces principes par l'alternance d'activités de recherche par larges périodes de 1 heure 30 et de périodes plus courtes pour la fixation des connaissances. Le comparti­mentage contraignant d'un emploi du temps en petites unités cloisonnées et parcellaires n'est plus fondé à servir de cadre à une pédagogie rénovée de l'enseignement du français.

Celle-ci doit se garder d'un grave danger, celui d'une nouvelle scolastique, d'un nouveau forma­lisme, qui s'institueraient progressivement du fait de jeunes maîtres mal préparés à leur tâche ou du fait de maîtres plus anciens qui, se faisant illusion à eux-mêmes, appliqueraient le projet de nouvelles instructions à la lettre sans en retenir l'esprit. Pour se prémunir contre le danger qui nous guette, il conviendrait de définir une nou­velle perspective éducative et aussi une nouvelle perspective enseignante, de ne plus conférer à l'enseignement du langage des fins essentielle­ment pragmatiques mais formatrices, comme un moyen de donner à l'esprit enfantin la souplesse mentale dont chacun a besoin pour faire face à ses propres problèmes de personnalisation et d'in­sertion professionnelle et sociale. L'éducation doit aider chaque enfant à se réaliser lui-même et d'autre part doit lui permettre de s'adapter, de s'insérer dans un milieu social et professionnel, aujourd'hui en grande mutation. C'est dans ce sens que le maître se doit de rechercher et de respecter toutes les motivations réelles et tout praticulièrement celles qui émanent de l'enfant, de développer l'esprit de découverte dans toutes les activités car elles entraîneront, à un moment donné, la nécessité d'écrire. Le maître doit être constamment en garde à l'égard de lui-même contre sa tendance naturelle à se reposer sur un travail antérieur bien mis au point qui ne serait plus remis en question. Certains modes de travail bien « rodés » risquent de se confondre avec la routine.

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L'IMPRÉGNATION PAR LES TEXTES

Dès le départ, je tiens à affirmer que je me situe sur un plan théorique. M. Herin montrera les modalités pratiques de cette technique et vous donnera des exemples.

Les réflexions qui suivent ne voudraient pas avoir l'allure d'affirmations absolues et définitives. Je ne pratique pas la religion de l'imprégnation — ma religion personnelle serait plutôt religion de l'imaginaire. Et il pourrait y avoir contradiction entre les deux termes. J'y reviendrai.

Je tiens à abattre mes cartes et à dire clairement quel a été dans ce domaine mon cheminement.

:— 25 ans d'enseignement de la littérature fran­çaise dans les classes du second cycle secondaire m'ont peu à peu persuadé que les méthodes clas­siques — d'explication des textes — aboutis­saient le plus souvent à pulvériser les textes et à réduire totalement un impact cohérent des œu­vres sur la sensibilité ou l'intelligence du lecteur.

— 25 ans de contacts avec les classes les plus diverses du cycle élémentaire, particulièrement au niveau de la pédagogie spéciale du français, m'ont peu à peu convaincu de la nécessité de libérer l'expression, mais en même temps de don­ner aux enfants — pour faciliter une libération efficace et réelle — des possibilités de structura­tion.

— La pratique de la pédagogie des adultes — à « Peuple et Culture » — et des méthodes de for­mations rapides et globales à l'expression orale et écrite — E. Mental, etc.. — nous ont depuis longtemps familiarisé avec une approche non sacrée des textes — en tant que modèles — au sens logique du terme.

— La pratique de la poésie, une attention soute­nue portée à la langue poétique et accessoire-

M. G. JEAN, Professeur de Lettres à l'Ecole Normale d'Instituteurs du Mans

M. HERIN, Maître d'Ecole annexe

ment à la récitation scolaire, m'ont conduit à reconsidérer la manière dont le langage s'installe physiquement en nous, en fonction d'une respira­tion, d'un rythme qui n'est pas exclusivement sonore ou sémantique.

— Enfin, les différentes démarches structuralistes tant en linguistique générale qu'en grammaire, qu'en sémiologie littéraire, qu'en psychologie génétique — et dont nous allons parler plus lon­guement — nous conduisent à penser que la tech­nique qui va être décrite pourrait se développer plus largement encore, dans une perspective ouverte qui devrait rassurer ceux qui pourraient justement craindre la menace d'une nouvelle et formaliste scolastique.

Je vais reprendre les différents points en les regroupant peut-être d'une manière différente, plus synthétique, et en formulant un certain nom­bre de questions.

LES INSTRUCTIONS ROUCHETTE ET L'IMPREGNATION

On lit à la page 9 du texte de ces instructions : « Les exercices qui visent à préciser et enrichir les moyens d'expression par imprégnation de l'es­prit enfantin par la langue évoluée :

— la reconstitution d'un texte en est l'exercice type. Il s'agit de reproduire de mémoire un texte de valeur, préalablement expliqué en commun sous la direction du maître : reproduction dans sa forme littérale qui, par le jeu de l'intelligence et de la mémoire associative, exige de l'élève un effort personnel intense pour maîtriser le texte, pour s'incorporer cette pensée étrangère qu'il faudra reproduire. Par cet effort, l'élève acquiert de façon quasi inconsciente, non seulement les tournures

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de la langue écrite, mais encore l'esprit même de cette langue dans son expression la plus iine ». Cet exercice peut prendre appui, comme nous l'avons déjà vu, sur l'élocution.

a) L'imprégnation par les textes ne se justifie que dans l'ensemble d'une démarche globale et elle ne saurait prendre le pas sur la libre expression écrite et orale ; au contraire, elle doit — et elle peut — la faciliter.

b) Elle ne doit pas être une nouvelle forme de mémorisation — ou de psittacisme. Ce point est capital. Il faut condamner sans réserve le par cœur — cette condamnation depuis Montaigne et Rousseau devrait être, hélas, un lieu commun. Cependant, on ne saurait trop vite nier que la mémoire humaine fonctionne comme une struc­ture cybernétique.

« La cybernétique, écrit N. Wiener dans son livre « Cybernétique et société », met en valeur le rap­port entre l'animal et la machine». Or, il mon­tre, et d'autres chercheurs après lui, que la «mé­moire des machines ne fonctionne que si on leur donne un programme, une structure.

La psychologie de la forme montre que c'est la structure de l'objet qui détermine la fixation du souvenir. Il est donc important de déclarer que l'imprégnation par les textes est un exercice de mémorisation structurée et que la trace laissée par les textes dans la mémoire et dans l'incons­cient des individus est un véritable programme.

c) Mais encore faut-il que l'on propose effective­ment à la mémoire une structure — et c'est là que nous trouvons le lien essentiel entre cet exercice et la problématique générale de notre expérience. Je dirai même que sur ce plan, le projet d'ins­tructions paraît un peu timide.

Tout repose, en effet, vous allez le comprendre pratiquement dans un instant, sur l'analyse syn-tagmatique de la chaîne parlée (ou écrite).

— « Dans le discours, lit-on dans le cours de lin­guistique générale de Saussure, les mots con­tractent entre eux, en vertu de leur enchaîne­ment, des rapports fondés sur le caractère linéai­re de la langue, qui exclut la possibilité de pro­noncer deux éléments à la fois. Ceux-ci se ran­gent les uns à la suite des autres sur la chaîne de la parole. Ces combinaisons qui ont pour support l'étendue, peuvent être appelés syntagmes. ~ Placé dans un syntagme, un terme n'acquiert sa valeur que parce qu'il est opposé à ce qui précède ou ce qui suit, ou à tous les deux».

On pourrait reprocher à Saussure une concep­tion extrêmement formelle («la langue est une forme non une substance») du syntagme ;

— les linguistes contemporains ont insisté sur la nécessité de tenir compte dans l'analyse, du « sens ».

« Le sens, écrit E. Benveniste, est la condition fondamentale que doit remplir toute unité de tout niveau pour avoir statut linguistique »... Plutôt que de biaiser avec le « sens et d'imagi­ner des procédés compliqués et inopérants, pour le laisser hors-jeu en retenant seulement les traits formels, mieux vaut reconnaître franchement qu'il est une condition indispensable de l'analyse lin­guistique » (1).

L'analyse logique traditionnelle ne fait apparaître ni la forme, ni le sens. Ce que Louis Legrand exprime en disant : « Il ne devrait plus s'agir de repérer les niveaux de compréhension de l'ana­lyse traditionnelle, mais les niveaux de dissocia­tion et d'emploi de structures fonctionnelles ». (2)

« La démarche grammaticale privilégiée doit donc être analytique dans la mesure où elle doit, par­tant du tout de l'expression, la phrase, la décom­poser en syntagmes fonctionnels. Elle sera syn­thétique dans la mesure où cette décomposition opérée, l'élève sera conduit, à partir d'une inten­tion globale d'expression, par l'emploi de syntag­mes fonctionnels équivalents mais sérnantique-ment plus riches ou plus précis ou plus élégants ».

Retenons l'expression : syntagme fonctionnel qui concilie la notion de forme (syntagme) et la no­tion de sens (fonctionnel) ; la notion de signifiant et la notion de signifié.

Nous dirons donc que notre analyse cherchera à déterminer — à faire reconnaître aux élèves — les syntagmes ou groupes de mots, ayant valeur fonctionnelle, dans la structure de la phrase, en leur faisant découvrir que tout groupe fonction­nel recouvre dans la lecture à haute voix, sa valeur qui est la seule réelle. Ces groupés de souffle ou suite de phonèmes — dits sans reprendre souffle — correspondent à un certain rythme.

— C'est par l'appréhension intuitive de diffé­rents niveaux sonores — dans la lecture — par la perception du rythme de la chaîne verbale, que la perception, la reconnaissance intellectuelle" des rapports de sens entre les différents syntagmes fonctionnels, se fait par l'enfant, aussi bien dans

(1) Problèmes de linguistique générale, N.R.F., p. 122. (2) Pédagogie du français, Delachaux et Niestlé, p. 90.

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son corps que dans son imagination et dans sa pensée. C'est seulement dans ce sens que l'on peut parler d'une véritable imprégnation.

d) les textes :

Il est évident que cette démarche est valable pour tout le travail de français et en partie pour le travail de mise au point du texte libre. Nous ver­rons un peu plus tard quelles ouvertures cette technique ouvre à tous les exercices oraux et écrits de rédaction, de lecture, sans compter la forma­tion grammaticale. Il s'agit pour l'instant de tex­tes d'auteurs :

a) on~peut considérer que le contact des enfants avec les textes d'auteurs est pré­maturé et que seul le langage spontané, amélioré ou non, importe ;

b) on peut considérer que les textes d'au­teurs ne sont abordés que par la lecture individuelle de livres ;

c) on peut préférer aux textes d'auteurs — indiscutables — des textes pour enfants, pour manuels de lecture, etc. .

d) Nous pensons :

— que sur le plan du contact avec les œuvres, la démarche la plus totale est le contact avec le livre par la lecture individuelle (techniques d'ap­proches, clubs de lecture, etc..) et qu'il faut tendre à la lecture des œuvres qui sont des œu­vres et à la disparition des manuels de lecture, des morceaux choisis, etc..

— que la lecture sera facilitée si l'enfant est de très bonne heure entraîné à pénétrer dans les textes, par leur structure et en évitant toute para­phrase, toute glose mal conduite, toute explication parcellaire, toute pulvérisation des textes.

Nous pouvons faire la preuve que les techniques d'imprégnation, loin de dégoûter à tout jamais les enfants, de Flaubert, de Camus, d'A. France, de St-Exupéry, e t c . , les conduisent à lire les textes ;

— que seules les œuvres de qualité relèvent de cette approche, les œuvres structurées. Et pas seu­lement les œuvres de style artiste où le style est l'alibi d'une absence d'écriture et de construction.. Je suis persuadé que toute ambiguïté grave sur un découpage en syntagmes fonctionnels est le signe d'une absence d'écriture. Mais il est révéla­teur qu'à différents niveaux, certes, Mme de La Fayette, Laclos, Chateaubriand, Balzac, Flaubert, Proust, la prose de Breton, Brecht, Céline, relèvent de cette pénétration et s'en enrichissent esthéti­

quement. Le tout est de trouver des textes valables pour différents niveaux scolaires ; — que cette imprégnation, nous venons de l'en­trevoir, est une première initiation aux œuvres par les œuvres et le début d'une réelle révolu­tion sur le plan de l'approche « scientifique » de la littérature comme phénomène de traitement matériel du langage (le « Gueuloir » de Flaubert).

e) pour l'expression :

Sur le plan strictement pédagogique, l'imprégna­tion permet : — l'enrichissement du vocabulaire et des formes syntaxiques complexes, d'où une plus grande va­riété et richesse constatées de l'élocution orale et de l'élocution écrite, comme si l'on acquérait des outils, des instruments perfectionnés ;

— une lecture naturelle ; une facilité plus grande d'analyse grammaticale — dans la mesure où elle perfectionne les « usages » de la langue d'une manière inconsciente : la reconnaissance posté­rieure des notions et des marques en sera grande­ment aidée ;

— la suppression de la récitation traditionnelle et l'introduction de la poésie à l'école.

Dans la mesure où les enfants ont en eux un répertoire — un trésor de formes — on n'impose plus le par cœur poétique. On laisse l'enfant, libre devant les poèmes qui lui sont proposés. Car la poésie — pas toujours, mais souvent — relève d'un usage anormal, subversif, du langage. On peut en analyser les structures et retrouver cette sorte de jouissance grammaticale dont Baudelaire parla avant Mallarmé, etc. . — enfin, un extraordinaire et nouveau fonction­nement de la mémoire dans tous les domaines.

PROBLEMES ET LIMITES

® problème de la motivation : qui choisit ? quoi ? et quand ?

• problème de la fatigue des enfants L'exercice doit être dosé.

• problème de la culture générale des maîtres (leur formation) et du choix des textes.

• problème du lien de l'imprégnation avec tout le reste.

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9 problème de la durée de l'imprégnation des textes et de la connaissance de l'imprégnation due au milieu (T.V. - famille) verbal de l'en­fant.

L'imprégnation est un moyen parmi d'autres pour donner aux enfants ce que Bachelard appelait Une « conscience de langage » nécessaire à qui veut, par les mots, recevoir un dynamisme psy­chologique nouveau et trouver en soi les sources d'une communication réelle et efficace avec le monde et les hommes — et retrouver les condi­tions qui permettent à un homme d'écrire un jour — : « Et par le pouvoir d'un mot : Je recom­mence ma vie », identifiant ainsi langage et liberté.

G. Jean.

M. Herin présente, illustré par un enregistre­ment sonore, un des exercices d'imprégnation par les textes qu'il a expérimentés en 1967-68 dans sa classe de CM. 1 à l'école annexe de l'Ecole Normale d'Instituteurs du Mans (1). Ces exerci­ces ont fait l'objet d'une série de fiches pédago­giques qui ont été diffusées dans les groupes expé­rimentaux. M. Herin déclare que la technique de reconstitution de texte qu'il présente marque une évolution par rapport à ses premiers essais. Il fait actuellement une place plus grande au rythme. C'est le professeur d'éducation musicale dans sa classe qui lui en a révélé l'importance. Il a été frappé du fait que ses élèves s'imprégnaient fortement du rythme qui dépasse la lecture expressive ou par « groupes de souffle ». Le texte présenté est celui « de la semaine » qui fournit le support d'un enseignement global du français, par imprégnation et reconstitution, l'enseigne­ment grammatical intégré, complété par le « tex­te du samedi ». Le premier prépare le terrain, le dernier permet la mise au point. Le texte de la semaine apparaît chaque lundi au tableau, dans son ensemble. Il est lu par le maître puis par un élève ; ensuite, chaque jour, on en prépare une partie. Chaque matin, le travail consiste à repro­duire une partie du texte sur une feuille ; le lundi matin suivant il est mis au point sur le cahier de français.

Le maître, par sa lecture, respecte de façon atten­tive le rythme du texte. Les élèves sont appelés à lire, tour à tour, un des syntagmes du texte à

(1) Voir fiches 1968-69 diffusées et rapport sur la pre­mière année de pré-expérience, Cahiers de la Recherche Pédagogique, S.E.VP.E.N., 1969.

reconstituer. Ils découvrent ainsi les syntagmes fonctionnels, dont chacun est lu par un lecteur différent. Les élèves écoutent, les yeux fermés, la lecture d'ensemble du texte d'une phrase : ils décomposent de suite la chaîne parlée en groupes de mots fonctionnels qui sont dits par autant d'élèves qu'on a distingué de syntagmes. Le texte ainsi décomposé est reconstitué par le même pro­cédé qui met en valeur, avec l'aide du maître, l'expression stylistique.

L'exercice ainsi conçu peut paraître artificiel. Cependant nous avons pu en constater l'efficacité : les élèves reprennent spontanément un certain nombre de formes, de tournures, de structures syntaxiques, de relations de temps et de modes. L'acquisition progressive est certaine, dans le domaine de la lecture, du langage oral puis de la langue écrite. Mais ce n'est qu'au bout de plusieurs mois que l'organisation du langage, sentie intuiti­vement, passe le seuil de l'application plus cons­ciente.

* **

Des deux exposés qui précèdent, précisés par le travail des commissions et le débat en séance plé-nière, les points suivants sont relevés :

— Des points de rencontre peuvent être notés entre les finalités de certains exercices tradition­nels et celles des exercices proposés, dans l'hypo­thèse où les uns et les autres sont bien conduits. Pour qu'une lecture soit expressive, il faut que le texte soit perçu selon des articulations syntaxiques par suite d'une analyse intuitive de la langue. Les exercices d'imprégnation et la préparation à un enseignement grammatical de type fonctionnel peuvent être rapprochés des exercices d'analyse explicite avec l'observation de la ponctuation et la décomposition en syntagmes distincts. Divers exercices dits traditionnels pourraient être appelés légitimement exercices d'imprégnation : dans une bonne leçon de récitation, les élèves sont amenés à s'imprégner d'un texte et à le dire progressive­ment le mieux possible par le ton, le rythme, l'intelligence.

— L'exercice d'imprégnation présente de nom­breux aspects psychologiques mal connus ou même inconnus. On ne sait pas comment il peut favoriser l'intégration des structures de la langue. Ne doit-il viser uniquement que l'enrichissement des struc­tures de la langue écrite ? N'est-il pas plutôt poly­valent ? Des risques latents ne le menacent-ils pas ? A la limite, ne serait-on pas conduit à un enseignement de clichés par l'imprégnation systé­matique de tours, de structures, de rapports syn­taxiques et sémantiques élaborés ?

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— Cependant l'expérience des exercices d'impré­gnation comporte des points positifs. L'enseigne­ment traditionnel commettait l'erreur de séparer l'observation de l'usage. L'enfant se pénètre inconsciemment des structures de la langue avant d'être à même d'en prendre conscience. Il doit y avoir un abandon aux formes avant de demander à analyser ces formes et à les schématiser. Cela nous paraît éclairer, en quelque sorte, le statut de l'imprégnation : l'imprégnation est une médiation entre réceptivité, abandon de l'enfant aux formes, et prise de conscience de ¿elles-ci. L'imprégnation ne se limite pas aux formes syntaxiques ; elle permet d'atteindre les formes mélodiques de la langue et d'un langage, l'intégration d'un lexique, l'imprégnation d'un style. Les exercices d'impré­gnation ne sont qu'une forme d'apprentissage dans un ensemble global d'étude de la langue et peu­vent présenter des aspects et des processus divers, écoute, diction, jeu dramatique, etc . . Si l'on ten­tait une définition, l'imprégnation serait (ou est) l'éducation de la sensibilité qui permet d'opérer une saisie inconsciente des rythmes, contenus sémantiques, structures.

Nous avons été tous sensibles au rapport analogi­que qui existe entre l'apprentissage naturel de la langue maternelle par un très jeune enfant et l'imprégnation. Il nous a semblé qu'il fallait lais­ser à l'enfant un temps de maturation pour qu'une restitution de caractère spontané puisse se faire dans le futur. A cet égard les exercices de recons­titution immédiate d'un texte nous paraissent arti­ficiels et d'un transfert douteux.

Le problème posé est celui du processus qui con­duit de l'appréhension intuitive à la fixation. La prise de conscience n'intervenant qu'en dernier, y a-t-il structuration possible sans prise de cons­cience ou avant la prise de conscience ?

Nous avons pensé qu'il fallait mettre les enfants dans un véritable « bain de langage » : d'une façon similaire à ce qui est recherché pour la mathématique moderne, les élèves seraient con­frontés à toutes sortes de situations possibles à partir desquelles ils se trouveront dans le besoin d'utiliser des structures adéquates. Mais, en mathématiques, les situations sont prises dans le monde concret ; il n'en va pas de même dans l'imprégnation par les textes. La prise de cons­cience prématurée des structures formelles de la langue risque d'être dangereuse : on voit, par exemple, des enfants utiliser correctement cer­taines structures à l'école maternelle ; or, quelques années plus tard, les mêmes enfants font des erreurs dans l'emploi de ces mêmes structures dans une situation différente. La prise de cons­cience prématurée risque de contrarier le proces­sus de fixation définitive. Nous pensons, à titre

d'hypothèse, qu'avant douze ans, le danger est réel. Mais nous manquons d'études et de recher­ches expérimentales psycholinguistiques pour déterminer les moments et les paliers de la prise de conscience en la matière. Deux moments paraissent devoir être distingués : le premier a trait à l'appréhension du sens, la prise de cons­cience du rythme, de la modulation du texte ; le second concerne les structures syntaxiques ; le premier peut être favorisé par l'attention aux groupes de souffle ; le second par l'attention por­tée aux groupes fonctionnels ; il n'y a pas toujours adéquation entre les deux. D'une part, il convient de laisser à l'enfant une certaine liberté, de lui ménager la possibilité d'avoir sa propre lecture : trois temps peuvent être prévus, successivement une lecture silencieuse pour l'ensemble de la clas­se, la lecture à haute voix par plusieurs élèves, la lecture du maître n'intervenant qu'en troisième position en vue de préciser les intentions de l'au­teur. La lecture du maître dès le début empêche la lecture personnelle de chacun et recrée un cer­tain climat de dirigisme ; de même, certains pro­cédés de « montage » ou de rythme « tapé », au nom de l'efficacité.

La notion même de fixation devrait dépasser la simple acquisition de connaissances lexicales ou syntaxiques pour atteindre l'organisation même de la mémoire, la maîtrise de la langue, c'est-à-dire la possibilité de substituer une structure à une autre, dans une utilisation plus nuancée des ressources de la langue par la parole et par l'écrit. Cette maîtrise est liée au choix entre les différents modèles proposés et qui auront pu être fixés. Un dernier stade devrait être envisagé, stade de l'explosion, du « langage subversif » auquel les enfants sont confrontés lorsqu'ils décou­vrent le langage poétique qui fait éclater les struc­tures. L'acquisition et la fixation des structures doit être telle que la liberté d'expression demeure, afin de ne pas retomber dans le formalisme : tel est bien « l'esprit » du Projet d'Instructions Rou-chette. Dans la reconstitution de texte qui est indi­quée comme un processus privilégié d'imprégna­tion, la découverte et la prise de possession intui­tive du texte dans sa signification et ses articu­lations doit toujours précéder l'appel à la raison, à la logique, le recours à l'explication. La prise de possession consciente se retourne contre son propre but lorsqu'elle est prématurée. Pas besoin d'explication lorsque la compréhension est suffi­sante. Compréhension et explications sont deux moments d'une réalité pédagogique ; dans les pre­mières étapes de l'apprentissage du français l'accent doit être mis sur la prise de possession intuitive. Celle-ci ne peut se réduire à une seule technique d'imprégnation. Il est important de choisir la technique la plus propre à favoriser

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l'imprégnation de tel ou tel texte, affective pour un texte poétique, esthétique pour un texte litté­raire, dramatique pour un dialogue dans une comé­die. A l'extrême on pourrait rechercher une forme spécifique d'imprégnation pour chacun des textes choisis, tout à l'opposé de l'exercice traditionnel stéréotypé d'explication de texte avec sa série de questions dites d'intelligence. L'objectif de ce der­nier était d'abord et en majeure partie la compré­hension. L'imprégnation est quelque chose de plus intérieur, de plus inhérent à la personne, de plus durable et définitif. Elle intéresse toute la personnalité, donc toute la formation que reçoit l'enfant depuis l'école maternelle, éducation psy­cho-motrice, rythmique, sens de l'espace, du corps, etc.. Elle est intéressée par la création d'une atmosphère par le savoir-faire pédagogique du maître, curiosité, recueillement, choix des textes, émulation et désir de lire, etc. . Si dans l'inven­taire des moyens on peut affirmer la valeur des techniques Freinet (imprimerie, correspondance interscolaire, coopérative), de l'emploi du magné­tophone, du disque, de l'utilisation des diaposi­tives et de la télévision scolaire, de la pratique des jeux dramatiques, dans un climat favorable au « bain de langage » ; les relations du maître à l'égard de ses élèves ne doivent plus être celles de « l'interrogation ».

Dans la pratique pédagogique, nous rencontrons, en fait, des dominantes qui vont de la pédagogie libérale pour une imprégnation non dirigée, à la pédagogie didactique pour une imprégnation diri­gée, en passant par des exercices d'imprégnation semi-dirigée. La reconstitution littérale, par un procédé systématique, d'un texte imposé, illustre la pédagogie magistrale. Le texte à reconstituer, choisi par des équipes d'élèves pour sa résonance affective, son intérêt d'actualité, sa valeur esthé­tique, et dont l'imprégnation ne sera ni exigée littéralement, ni contrôlée, illustre une pédagogie à l'opposé de la précédente. Dans la majorité des cas, l'intervention discrète du maître est présente à un moment ou à un autre de l'exercice d'impré­gnation : motivation, situation, support, déroule­ment, prolongements, exploitation. En particulier, le choix du texte à reconstituer divise l'opinion des maîtres. Le texte d'élève, même parvenu à un niveau de langage soutenu, a été presque unani­mement rejeté ; il n'atteint pas à ce niveau de densité et de beau'é nécessaires pour mériter d'être proposé à fin d'une imprégnation profonde. Restent les textes classiques et modernes : l'accord se fait sur la formule « ni Maurice Carrel, ni Proust » ; refus d'une syntaxe trop vieillie ou trop élaborée ; prudence quant au niveau de compréhension ; exigence plutôt que facilité. Les textes en prose et les textes de poésie ont chacun leurs partisans.

Le langage poétique semble à plusieurs trop sin­gulier pour être mobilisé ultérieurement par l'enfant dans son langage oral ou écrit. La poésie n'est pas pour autant écartée de l'école, mais elle se place à d'autres moments, en vue d'autres objec­tifs. Pour d'autres, nombreux également, les textes poétiques favorisent la perception du rythme qui est l'élément physiologique fondamental du jeune enfant et qui permet ensuite l'acquisition intui­tive de formes élaborées et utilisables de langage. « Par le rythme on établit un pont entre le lan­gage de la rue et une forme supérieure du lan­gage ». En outre, « les textes poétiques ont le pouvoir d'émouvoir la sensibilité de l'enfant et de former son goût ». Il est recommandé que les textes de prose constituent de courts fragments extraits d'une œuvre connue dans son ensemble ainsi que Monsieur Le Maître en a fourni un excellent exemple par les romans contemporains qu'il a ame­né ses élèves à étudier.

Un dernier problème s'impose à l'attention des chercheurs et des maîtres expérimentateurs : dans quelle mesure est-il possible de contrôler l'effica­cité de l'imprégnation ? Les exercices faisant appel à l'imprégnation entrent dans l'ensemble d'un enseignement global du français ; il est donc diffi­cile de séparer un contrôle de l'imprégnation du contrôle de l'enseignement du français dans sa glo­balité. Dans l'état actuel des recherches en la ma­tière, il semble qu'on puisse saisir l'apparition de certaines acquisitions verbales chez l'enfant en ce qui concerne le vocabulaire, l'orthographe, les schémas structuraux. La référence à des échelles de fréquence, certains tests d'acquisition, peuvent aider à vérifier, évaluer, sinon à contrôler ce qu'un travail systématisé d'imprégnation a pu donner au bout d'une certaine période, par exem­ple du C.P. au C.E.2. et du C.M.l. au C.M.2. Mais nous sommes dépourvus à ce jour de moyens d'in­vestigation, donc de moyens de contrôle, en ce qui concerne les niveaux d'expression à différents âges, dans des conditions déterminées de milieux culturels et géographiques. Des travaux de recher­che sont en cours dans ces domaines.

Actuellement nous ne disposons que des seuls exercices d'expression écrite pour tenter d'évaluer quantitativement et qualitativement des acquisi­tions pouvant caractériser un niveau de langage à deux moments donnés de la scolarité. L'analyse de contenu de ces documents d'expression écrite serait tout à fait différente de la « correction » traditionnelle d'un « devoir de rédaction ». Les cri­tères d'analyse comprendraient entre autres le vocabulaire utilisé en rapport avec les échelles de fréquence, les schemes de langage utilisés, les processus logiques, la création imaginative, les tournures stylistiques personnelles, etc.. Ceux-ci

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d'ailleurs ne pourraient jouer qu'à la condition que la nouvelle pédagogie du français ait échappé au néoformalisme qui la guette, auquel une méca­nisation de l'apprentissage risque d'aboutir. On ne saisirait alors que les traits d'une langue figée et non d'une langue vivante et actuelle. La liberté d'expression et la créativité originale personnelle doivent rester les antidotes de l'imprégnation systématisée.

En conclusion, l'importance du processus psycho­pédagogique dans la nouvelle pédagogie du fran­çais pose un grand nombre de problèmes auxquels il est prématuré de vouloir apporter des répon­ses. Cependant l'accent doit être mis sur le fait que le langage est à la fois liberté et contrainte et qu'il doit être vécu comme tel par le pédagogue. Dans la pratique de l'enseignement, se succèdent des temps de contrainte et des temps de libéra­tion. Le langage est contrainte et l'on doit respec­ter ses lois, sa grammaire. Il n'est pas d'ailleurs nécessaire que l'élève en prenne une pleine cons­cience, mais la connaissance de la grammaire est indispensable au maître. Pour revenir à la liberté,

la poésie l'est essentiellement et elle doit le rester pour l'enfant et pour l'éducateur.

Monsieur Georges Jean y reviendra au cours du prochain stage de mai 1969.

Il faut se garder de considérer l'imprégnation comme une fin en soi, mais la considérer comme un moyen à intégrer dans un ensemble de tech­niques qui visent à favoriser la libération du langage. L'imprégnation est un mécanisme com­plexe. Nous ne sommes que dans la période de démarrage d'une expérimentation. A partir des données précédentes, les maîtres doivent être libres d'inventer les formes de leur pédagogie personnelle. Mais il importe surtout qu'un échange des expériences s'institue ; ce serait le moyen d'approfondir et de préciser certains aspects de la question en même temps qu'un excellent moyen de formation mutuelle au niveau des réalités pédagogiques concrètes, à l'instar de ce qui se fait dans les Ecoles annexes où un maître visite son collègue dans sa classe. C'est le souhait que nous pouvons formuler au terme de ces labo­rieuses journées.

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QUELLE GRAMMAIRE ENSEIGNER?

La formulation de cette question revient à Mon­sieur Chevallier, Professeur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Lille, qui en a fait le titre d'une conférence à l'Université de Montréal, publiée dans « Le français dans le monde » (N° 55 ; 1968).

Messieurs Galizot et Capet se proposent d'ap­porter leur contribution à l'élaboration de la réponse qu'appelle la difficile question posée : l'un sur un plan théorique, l'autre sur le plan de la pratique de la classe.

I. — INTERVENTION DE MONSIEUR GALIZOT

En guise d'introduction, Monsieur Galizot entre­prend une critique vigoureuse de la grammaire traditionnelle qui est encore enseignée dans nos classes : il en dénonce le formalisme et la scolas-tique. Dans cette voie, il met en évidence, la dua­lité malheureuse qui s'attache encore à la distinc­tion entre « analyse grammaticale » et « analyse logique », distinction qui, dit-il, n'est ni « gram­maticale, ni logique, mais artificielle». Dans « l'analyse grammaticale », la phrase est « atomi­sée » et réduite à une poussière de mots : on ana­lyse le mot comme on examine une pièce appar­tenant à une collection de musée, par classement et étiquetage a priori (c'est le triomphe du forma­lisme!). Dans «l'analyse logique», la phrase complexe « tronçonnée » va jusqu'à perdre sa signification et à trahir la pensée. Monsieur Gali­zot en donne un exemple percutant. Je pense, dit-il, « j'aime / la femme qui se cultive », et ce

M. GALIZOT, Inspecteur Départemental de l'Education Nationale

M. CAPET, Professeur de Collège d'Enseignement Général

genre d'analyse me fait dire : « j 'aime la femme / qui se cultive ». Ainsi, on mutile l'objet (gram­matical) de mon amour ! (au nom de la logique... scolastique).

Les limites de la grammaire traditionnelle sont évidentes. Alors, quelle grammaire enseigner ? Les réponses venant des théoriciens spécialisés ne manquent pas : « grammaire structurale », « grammaire structuraliste », « grammaire gene­rative », etc, etc. Certes, on ne saurait ignorer ou sous-estimer les apports précieux de la linguis­tique moderne ; mais en attendant que les dis­cussions théoriques poursuivies entre linguistes avertis aient permis de décanter des données una­nimement reconnues, il importe, au stade où nous en sommes, de mettre en place une pratique péda­gogique intelligente de l'enseignement grammati­cal. Ce que nous appelons (faute, de mieux, peut-être) la grammaire fonctionnelle se veut contes­tation fondamentale de la grammaire tradition­nelle ; son ambition est de proposer une pratique intelligente de l'enseignement grammatical à l'école primaire (dans le cadre d'un renouvelle­ment de toute la pédagogie du français).

Monsieur Galizot en vient alors à présenter rapi­dement les lignes essentielles de la grammaire fonctionnelle, de trois points de vue : les princi­pes, la méthode, les objectifs.

Io) Les principes : la phrase, expression de la pensée, est un ensemble de significations dans lequel tout se tient, et la transmission du sens repose sur les liaisons réciproques qui existent entre les différents termes dans la forme spéci­fique que leur donne la structure de la phrase :

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ces systèmes relationnels constituent les fonctions. La fonction n'est pas une qualité ou une propriété attachée au mot, elle ne participe pas de l'essence du mot : elle est un rapport, une relation entre deux termes. Ainsi, c'est la fonction jouée par un mot dans la phrase qui détermine sa nature : il y a prédominance de la fonction sur la nature. L'importance primordiale des fonctions étant reconnue, il est possible d'en présenter une clas­sification cohérente. Ce que ne font pas toujours certains grammairiens, même quand ils recon­naissent les vertus de la grammaire fonctionnelle : n'est-ce pas, de leur part, une inconséquence que de distinguer des « fonctions nominales » et des « fonctions verbales », c'est-à-dire de faire réfé­rence, encore, à des natures pour classer des fonc­tions ? Il faut adopter une perspective fonction­nelle intégralement fonctionnelle. Il faut faire l'inventaire des fonctions dans un cadre effective­ment fonctionnel, c'est-à-dire qu'il convient de caractériser les fonctions et de les classer par référence à un type de relations. De ce point de vue, les différentes fonctions se répartissent selon deux types de relations : les fonctions intrin­sèques et les fonctions extrinsèques.

Monsieur Galizot poursuit en précisant ainsi ces deux groupes de fonctions :

— Les fonctions intrinsèques traduisent des rela­tions de juxtaposition qui marquent entre les deux termes ce qui leur est inhérent. Les fonctions de ce type — que notre langue marque généralement par l'accord — sont au nombre de trois : le sujet, le qualificatif, le déterminatif.

— Les fonctions extrinsèques traduisent des rela­tions de dépendance qui s'établissent entre les deux termes, extérieurement, un terme étant régi par l'autre. Les fonctions de ce type qui, dans les langues à déclinaison répondent à des cas-régimes, comprennent toute la série des compléments : complément circonstanciel, complément d'objet, complément d'objet second (ou d'attribution), complément d'agent, complément déterminatif. En fait, le complément déterminatif recouvre, — dans une signification fonctionnelle — ce que la gram­maire traditionnelle appelle (sans trop s'avancer !) complément de nom, complément d'adjectif, com­plément d'adverbe.

2°) La méthode : Echappant au formalisme et à la scolastique, la pratique de l'analyse fonction­nelle constitue l'exercice de grammaire par excel­lence.

Pédagogiquement, la pratique de l'analyse fonc­tionnelle est, à la fois : — un moyen d'enseignement : c'est dans l'entraî­nement régulier à la préhension de la structure

de la phrase qu'on découvre les faits grammati­caux (non dans l'abstrait, mais dans la réalité vivante de la syntaxe), qu'on assimile les notions dont l'acquisition est tracée dans la perspective d'une progression concentrique.

— une épreuve de contrôle : n'utilisant pas des automatismes serviles, mais faisant appel en per­manence à la réflexion, l'analyse fonctionnelle apparaît comme « minute de vérité » pour détecter les failles dans l'intelligence des notions acquises ou dans la maîtrise de leur manipulation.

Dans la pratique de l'analyse fonctionnelle, ces deux aspects pédagogiques ne se dissocient pas, schématiquement, en « leçon » et « interrogation » : l'analyse fonctionnelle, exercice formateur de l'esprit, est une leçon permanente alliant révision et progression.

La technique consiste à partir de la phrase, dans sa signification globale, pour en saisir l'articula­tion générale et les structures d'ensemble ; ensuite, on démonte, par approches successives, les agen­cements les plus complexes pour rendre compte de leurs relations et donc préciser les fonctions ; enfin, au terme de ces démarches multiples, chaque élément fonctionnel étant isolé et repéré dans ses modalités (nombre, genre, etc), on peut en iden­tifier la nature.

Cette technique de l'analyse fonctionnelle se dis­tingue par sa richesse exploratoire et prend toute la rigueur d'une véritable analyse scientifique, combinant ce qu'on appelle en chimie, « l'analyse quantitative » (recherche de proportions entre les éléments : ici rapports, relations) et « l'analyse qualitative » (recherche de la nature des élé­ments).

3°) Les objectifs : Ils sont, tout à la fois, modestes et à longue portée. Modestes, en ce sens qu'il ne s'agit pas, à l'école primaire, d'apprendre la gram­maire pour la grammaire, avec d'illusoires préten­tions théoriques. A longue portée, en ce sens que la pratique grammaticale ainsi comprise vise à assurer la maîtrise des schémas généraux d'orga­nisation de la langue, et par là, à favoriser l'ex­pression orale et écrite.

II — INTERVENTION DE MONSIEUR CAPET

Professeur de C.E.G., Monsieur Capet mène, depuis trois ans, une expérience intéressante : dans l'éta­blissement où il exerce, il assure l'enseignement de la grammaire du Cours Elémentaire à la classe de Troisième, dans l'esprit défini par Monsieur Galizot.

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Monsieur Capet donne, en illustration de la mé­thode, une vue d'ensemble sur les exercices qu'il pratique. Tous ces exercices débouchent sur l'ex­pression orale et écrite.

Dès le cours élémentaire les exercices de décou­page sont nombreux ; nous les avons fait précé­der par des exercices de construction de phrases pour donner intuitivement à l'élève la notion de groupe fonctionnel (des exercices d'assemblage de phrases plutôt que de construction).

— On a donc distribué des « étiquettes » dans une classe et chaque élève doit reconstituer la phrase : « Les gracieuses hirondelles / volent / dans le ciel / à la recherche de leur nourriture / sous l'œil attentif de Pim / ». Cette phrase n'a pas été ponctuée afin de permettre un déplacement suc­cessif des étiquettes. Les élèves vont jouer au jeu de l'équilibre de la phrase ; si on demande aux élèves d'insister sur le lieu où se passe cette petite histoire, ils placeront en tête de la phrase : « dans le ciel ». La mise en relief de certains groupes fonctionnels est très importante car elle revalo­rise l'enseignement de la grammaire. Pour les enfants, la grammaire n'est plus quelque chose d'abstrait, mais ils y voient déjà un exercice de style, (surtout au CM.) très profitable en rédac­tion, en expression écrite ou orale. On pourrait faire constater, à tous les niveaux, que, si la phra­se peu élaborée, orale, est généralement construite sur le schéma « sujet verbe, complément », tout groupe que l'on déplace volontairement se trouve ainsi valorisé. A tous les niveaux, on pourra valo­riser les différents groupes fonctionnels de la phrase.

La grammaire, par l'acquisition de la notion de groupes fonctionnels, conduit l'élève très rapide­ment à une lecture plus intelligente, car « il ne va pas couper au milieu d'un groupe fonctionnel ». On peut prolonger le jeu en essayant d'arriver à l'harmonie et à l'équilibre de la phrase ; les meilleurs élèves arrivent à reconstruire ainsi cette phrase : « dans le ciel / sous l'œil attentif de Pim / les gracieuses hirondelles volent à la recher­che de leur nourriture ». Le déplacement des groupes fonctionnels peut être très intéressant et déboucher très loin, en particulier au niveau des collèges ; parfois ce découpage et la bonne place d'un groupe fonctionnel peuvent être un facteur de clarté.

— Exercice de suppression ou d'addition. Soit la phrase : « Nicolas / a observé / un écureuil / » ; la phrase est relativement pauvre et il faut ame­ner les enfants à l'étoffer, et à l'étoffer de deux manières : par l'étoffement des groupes déjà exis­

tants, (par exemple : « notre ami Nicolas / a observé / un petit écureuil à la queue touffue qui sautait de branche en branche ») ; cette phrase avait trois termes, nous gardons bien trois termes, mais chaque terme est étoffé. On peut également amener l'enfant à étoffer cette phrase en lon­gueur, par augmentation des termes existants. La phrase n'est pas dénaturée, elle est précisée de deux façons : par précision de ses termes et par augmentation des termes qui existaient aupa­ravant :

par exemple : « notre ami Nicolas / a observé / très attentivement / pendant sa promenade dans la forêt de Senlis / un petit écureuil à la queue touffue qui sautait de branche en branche / ». Sans s'en rendre compte, l'enfant passe de la phrase simple à la phrase complexe très rapide­ment.

— Exercice de substitution : reprenons la phrase ci-dessus citée. On peut substituer à certains ter­mes d'autres termes qui semblent équivalents ; par exemple on peut remplacer « très attentivement » par « avec beaucoup d'attention ». On montre ainsi aux enfants que la langue met à leur disposition un certain nombre de moules différents, dans les­quels ils peuvent couler leur pensée. Cela permet de remplacer le terme sujet ou complément par un pronom, pour éviter une répétition, ou de rem­placer la relative par un adjectif qualificatif.

— Construction de phrases sur un schéma ration­nel : c'est là l'exercice le plus formel, mais il per­met de s'assurer que l'enfant a particulièrement saisi telle ou telle fonction étudiée. On pourra aussi employer le même terme dans des phrases où il aura des fonctions différentes : ainsi faire employer le mot « chien » comme sujet, complé­ment d'objet, etc..

Les élèves sont contents de « faire de la gram­maire » avec des manipulations, parce que c'est une méthode active ; d'autre part, ce système per­met une variété très grande d'exercices qui inté­ressent les élèves. Ce procédé est applicable pour les langues étrangères.

Si on demande aux élèves de toujours penser fonctions avant de chercher la nature, cette der­nière doit apparaître, car il n'est pas question de la négliger. On intéresse davantage les enfants parce qu'on est plus près du sens et du style. On obtient des résultats qui semblent meilleurs : lors d'un examen, l'élève qui a bénéficié de cette méthode est capable de répondre à une question grammaticale même proposée de façon tradition­nelle.

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THEORIE ET PRATIQUE DE

La principale originalité de l'exercice structural est de récuser la grammaire explicite (qui consti­tuait la base de la méthodologie traditionnelle) et de fonder l'enseignement des langues étran­gères sur une grammaire implicite, qui fait l'éco­nomie de la règle et du métalangage grammatical (sujet, verbe, complément, nature, fonction, genre, mode, ec...), pour n'apparaître qu'à travers les structures du langage en fonctionnement.

I. — LA NOTION DE STRUCTURE

• En général

Le terme structure est connu depuis fort long­temps, mais c'est la remise en question de la société capitaliste, après la crise économique de 1929-30, qui accéléra sa diffusion dans le domaine des sciences humaines en général et de la linguis­tique en particulier.

Pepuis son origine, la notion de structure a beau­coup évolué. Elle a d'abord été statique, parce que liée à la description d'un objet unique. Elle est devenue dynamique quand on s'est aperçu que la description d'un certain objet permettait d'iden­tifier tous les objets du même type, ou d'en réali­ser d'autres, analogues.

A ce caractère de créativité, d'autres sont venus s'ajouter ou se sont précisés. Ce sont les carac­tères de hiérarchie et d'inter-dépendance : une structure est un ensemble d'éléments qui ne sont pas tous de même importance et qui entretiennent des relations telles que le changement ou l'efface­ment de l'un d'eux peut modifier le comportement des autres.

'EXERCICE STRUCTURAL

M. Robert GALISSON Institut des Professeurs de français à l'étranger (Sorbonne) Faculté des Lettres de Besançon

Selon Piaget, « il y a structure quand des éléments sont réunis en une totalité présentant certaines propriétés en tant que totalité et quand les pro­priétés des éléments dépendent, entièrement ou partiellement, de ces caractères de totalité ».

• En linguistique

La prise de conscience de la notion de structure linguistique s'effectue généralement en situation de bilingue débutant.

A 6 ans, l'enfant fait fonctionner inconsciemment les structures fondamentales de sa langue mater­nelle, en réalisant des phrases qui lui permettent de communiquer de façon satisfaisante avec son entourage.

Ce n'est que vers 11-12 ans, quand il commence l'apprentissage d'une langue étrangère que l'exis­tence et la spécificité des structures linguistiques lui apparaissent dans leur rigoureuse complexité. Pour parler correctement anglais par exemple, il doit réfréner sa tendance naturelle à construire des phrases avec des mots anglais sur des. modèles grammaticaux (structures morpho-syntaxiques) français.

La structure morpho-syntaxique se situe au plan de la langue ; la phrase au plan du discours.

Chaque structure, au plan de la langue, corres­pond à un certain nombre de phrases au plan du discours.

La structure est une virtualité dynamique ; la phrase est une réalité unique, une performance qui ne se reproduit pas parce que la situation à laquelle elle répond ne se présente jamais de façon identique.

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La structure est une matrice, non signifiante par elle-même, qui se réalise en phrases porteuses de significations diverses, par le jeu des substitu­tions lexicales.

L'exercice structural porte sur le montage de micro-structures linguistiques (phonétiques, lexi­cales et surtout morpho-syntaxiques). Il postule que la connaissance des micro-structures essen­tielles permet d'accéder à la structure globale de la langue, ou macro-structure, grossièrement assimilable à ce que les transformationalistes appellent compétence.

H. — LES FONDEMENTS THEORIQUES DE L'EXERCICE STRUCTURAL

• Automatisation

L'exercice structural fait de la correction le résul­tat d'un réflexe, d'une habitude, non plus d'une réflexion.

L'automatisation des structures est obtenue par la répétition, laquelle procède de la conservation de la forme (structure) dans le renouvellement du contenu (sens). Chaque phrase nouvelle, construite sur un modèle unique, constitue la répétition de ce modèle.

L'exercice structural est semblable au casier à bouteilles : le renouvellement des crus (contenu) n'entraîne aucun changement dans la distribution des cases (forme).

0 Renforcement

L'exercice structural emprunte ses bases :

Í — à la linguistique structuraliste ;

,2 — et à la psychologie du conditionnement (cf. Skinner, inventeur de l'enseigne­ment programmé).

L'adepte de l'exercice structural :

1 — substitue à l'étude des traditionnelles parties du discours, trop atomisées pour être opérantes, l'étude d'une unité plus large et plus fonctionnelle, l'énon­cé ;

2 — et assimile (de manière un peu som­maire sans doute) le conditionnement verbal humain au conditionnement ani­mal, en proposant un même type de montage pour ces deux opérations.

Tous les spécialistes ne sont pas d'accord avec lui, mais Skinner doit avoir raison d'accorder une grande importance au renforcement (récompense - correction).

Quand le cobaye du psychologue acquiert un comportement nouveau, on le récompense par une nourriture.

Quand l'élève fait une bonne réponse, il faut aussi le récompenser. Sa récompense tient le plus sou­vent à la satisfaction d'avoir bien répondu, mais, pour qu'il en ait l'assurance, le renforcement est nécessaire.

Quand la réponse est mauvaise, le renforcement permet une correction immédiate, également nécessaire.

D'où le double schéma de fonctionnement de l'exercice structural :

facteurs résultat

1 — BON

2 — MAUVAIS

Professeur

Stimulus

Stimulus

Elève

Réponse (bonne)

Réponse (mauvaise)

Professeur

renforcement (bonne réponse)

renforcement 1 (bonne réponse)

Elève

Réponse (bonne)

Professeur

renforcement 2 (bonne réponse)

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• Succès

D'après Skinner encore, l'échec, source d'inhibi­tion, doit être banni. Ce qui implique une progres­sion telle que le passage d'un exercice à un autre représente une difficulté minimale pour le public visé. Une réussite à 90 % seulement entraîne l'abandon de l'exercice fautif et la refonte de la batterie tout entière.

• Economie

Si l'exercice structural ne dispose pas d'une char­ge motivante comparable à la situation linguis­tique vraie (le besoin réel de communiquer n'existe pas), il représente une économie d'éner­gie intéressante par rapport à elle.

En effet, il y a beaucoup de gaspillage dans l'ap­prentissage naturel de la langue maternelle : entre chaque audition d'une structure nouvelle, l'oubli a souvent le temps de s'installer et tout se passe alors comme si les auditions successives n'avaient pas lieu.

L'exercice structural au contraire expose le sujet à un bombardement intense de la structure nou­velle pour déterminer chez lui une trace mémo-rielle immédiate.

• Points faibles

Outre son manque de motivation, on a beaucoup reproché à l'exercice structural d'être monotone.

3 — brouillard etc..

C'est ce qui permet de dire que l'on fait de la grammaire explicite dans l'exercice traditionnel et de la grammaire implicite dans l'exercice struc­tural, ^ m

— L'exercice traditionnel travaille sur la partie (catégorie grammaticale), c'est un exercice ana­lytique, qui démonte la langue pour en faire comprendre le mécanisme.

L'expérience montre que le rythme qui doit lui être imprimé et l'attention requise pour participer efficacement à l'échange maître-élèves rendent l'ennui presque impossible.

D'ailleurs, sous prétexte de monotonie, interdit-on les gammes à la cantatrice, les longueurs de bas­sin au nageur, pourtant autrement sujets à l'ennui puisque privés d'ambiance collective.

Beaucoup plus que l'ennui, c'est la fatigue, due à une tension nerveuse extrême, qui est à craindre. Pour ne pas dilapider le potentiel de disponibilité du public, la partie fixation d'une leçon de langue doit être courte, d'où nécessité parfois de la mor­celer.

III. — L'EXERCICE TRADITIONNEL ET L'EXERCICE STRUCTURAL

— L'exercice traditionnel suppose l'apprentis­sage préalable d'un métalangage grammatical. Exemple : « Remplacez les substantifs du texte par les pronoms personnels convenables ».

L'exercice structural se place directement au niveau du langage courant et fait l'économie de la terminologie grammaticale en démarrant non pas sur une explication mais sur un modèle. Exemple : « Il n'y a pas de vent aujourd'hui ».

3 —

L'exercice structural travaille sur le tout (énoncé), c'est un exercice synthétique, qui fait fonctionner la langue pour la rendre utilisable en tant que moyen de communication.

— Nous avons vu que l'exercice traditionnel se fonde sur la réflexion et l'exercice structural sur le réflexe.

MODELE

PROFESSEUR

1 — soleil 2 — verglas

PROFESSEUR (pour l'élève)

1 — Il n'y a pas de soleil aujourd'hui 2 — Il n'y a pas de verglas aujourd'hui

exercice proprement dit

PROFESSEUR ELEVE

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Cette divergence théorique entraîne des diver­gences pratiques au plan du rythme, de l'aspect et de l'emploi.

• Rythme

L'exercice traditionnel n'est soumis à aucun ryth­me particulier, si ce n'est au rythme de réflexion de chaque élève.

L'exercice structural aü contraire est soumis à un rythme rapide afin d'interdire à la réflexion d'opérer.

• Aspect

La prédominance accordée à l'écrit dans les ma­nuels classiques rend l'exercice traditionnel écrit plus fréquent que l'exercice oral, mais aucune autre raison ne le prédispose particulièrement à la forme écrite.

Au contraire, la nécessité d'une rigoureuse con­trainte rythmique confère à l'exercice structural un statut presque exclusivement oral (le maître ou le laboratoire impriment et contrôlent une cadence difficilement contrôlable par écrit). La vocation orale de l'exercice structural se trouve encore renforcée par la prédominance accordée à l'oral dans la méthodologie nouvelle.

• Emploi

L'exercice traditionnel se pratique en classe ou à la maison. Les contraintes temporelles de produc­tion de l'exercice structural limitent son emploi à la classe et au laboratoire.

IV. — LA MISE EN ŒUVRE DE L'EXERCICE STRUCTURAL

— Concept de batterie

Atomiser la difficulté ne suffit pas forcément à la rendre assimilable, comme le pense Skinner avec Crowder (autre psychologue américain, spécialiste de l'enseignement programmé), nous croyons à la nécessité de rechercher le point d'articulation afin d'établir une progression qui prévoie les éléments de résistance et les moyens spécifiques à mettre en œuvre pour les réduire.

La plupart des grammaires actuelles, conçues selon d'autres perspectives, ne sont pas d'un grand secours dans la préparation de ce travail fonda­mental.

Faire un exercice isolé de répétition, de substitu­tion, etc.. est facile ; c'est plus compliqué mais aussi plus utile de programmer toute une série d'exercices concourant à l'assimilation d'une même forme, c'est-à-dire de fabriquer une bat­terie d'exercices structuraux.

— Typologie

Tous les exercices structuraux sont des exercices de répétition (les réponses successives des élèves sont calquées sur un modèle unique), sans quoi ils manqueraient à leur fonction, qui est de mon­ter des automatismes.

Mais cette répétition se présente sous diverses formes, qui la rendent plus ou moins apparente et qui servent de base à une classification en plusieurs grands types.

Nous n'esquisserons ici que les lignes directrices d'une typologie possible parmi tant d'autres.

Distinguons :

1°) les exercices à stimuli - réponses identiques dont la phrase d'arrivée (élève) est construite sur le même patron que la phrase de départ (maître) ; exemples ; les exercices de répétition et de substitution ;

2°) les exercices à stimuli - réponses différents (dont la phrase d'arrivée n'est pas construite sur le même patron que la phrase de départ) ; exem­ples : les exercices de question - réponse, de re­structuration, d'expansion.

A ceux qui s'inquiètent du caractère contraignant, presque coercitif, de l'exercice structural, ou qui le trouvent encore trop segmentaire et trop arti­ficiel, il faut signaler l'existence d'un type d'exer­cice à développement, plus fréquemment appelé micro-dialogue structural. Celui-ci peut ménager une transition vers l'exercice d'expression libre, et ressemble surtout davantage à une véritable conversation, tant par ses dimensions, que par l'échange d'information qu'il comporte.

Exemple :

+ A qui est ce roman, à Pierre ? — Oui, il est à lui.

+ Il est drôle? — Non, il n'est pas drôle, mais il est intéressant.

+ Alors, s'il est intéressant, j 'en achète un.

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Stimuli : « voiture - rapide - robuste » -f- A qui est cette voiture, à Pierre ? — Oui, elle est à lui.

+ Elle est rapide ? — Non, elle n'est pas rapide, mais elle est

robuste. + Alors, si elle est robuste, j 'en achète une. Etc..

Le micro-dialogue structural doit être évidem­ment mémorisé avant de pouvoir fonctionner comme un exercice structural ordinaire. Pour faci­liter cette mémorisation il intègre généralement des structures déjà connues. C'est donc essentiel­lement un outil de révision et d'amalgame de certaines formes entre elles, dans le cadre d'une situation mieux affirmée.

sémantiquement d'une façon assez homogène, il y a des éléments qui ne permettent pas au trans­fert analogique d'opérer à coup sûr !

L'exercice structural faisant fi de l'exception aussi bien que de la règle, est-il alors un moyen d'apprentissage suffisant ?

Dans le cas présent, je crois que oui. Le para­digme étant très limité, sa présentation exhaus­tive permet de signaler que la combinatoire est close et que toute commutation nouvelle enraye le mécanisme.

Je serai moins affirmatif quand le paradigme ne se prête pas à une étude exhaustive (cas de « tout » qui fonctionne devant les adjectifs « jeune, beau, petit, maigre, etc.. » mais pas devant leurs con­traires « vieux, laid, grand, gros, etc. . » alors que « très » s'accommode des deux séries) car on ris­que alors de faire produire autant de phrases incorrectes que de phrases correctes.

V. — LES LIMITES DE L'EXERCICE STRUCTURAL

Si l'exercice structural a fait les preuves de son efficacité et demeure la clé de voûte de l'édifice structuraliste en matière de méthodologie nou­velle, ce n'est pas la panacée dont parlent cer­tains. Le problème de ses limites se pose aux niveaux linguistiques et psycho-sociologiques.

• Limites linguistiques

En groupant un certain nombre d'énoncés cons­truits sur un modèle unique, l'exercice structural favorise les opérations analogiques inconscientes. Il faut veiller à ce que ce mode de création lin­guistique — que l'enfant utilise abondamment dans sa langue maternelle, mais que nous renfor­çons encore — fonctionne avec un risque minimal d'erreur, c'est-à-dire produise des énoncés qui aient toutes chances d'être grammaticalement et sémantiquement recevables.

Soit la structure qui sous-tend le paradigme « météorologique » : beau, chaud, froid, glacial etc.. Sa fréquence dans la communication parlée (le temps qu'il fait est un des lieux communs de la conversation courante) lui confère une place parmi les structures les plus rentables. Or, si la rentabilité d'une structure est fonction de sa fréquence et de sa créativité, celle-ci n'est renta­ble que parce qu'elle est fréquente. Très vite saturée, son coefficient de créativité est faible. On ne peut pas dire : « Il fait / venteux - nei­geux / » , comme «glacial», pourrait le laisser supposer. A l'intérieur d'un paradigme défini

Remarques :

1 — Quand le système de communication extra-scolaire prolonge le système de communication scolaire (ce qui est le cas pour l'apprentissage de la langue maternelle), les analogies fautives s'ef­facent souvent d'elles-mêmes, par réfé­rence au milieu naturel, mais quand les points de comparaison manquent (cas de l'apprentissage des langues étran­gères) l'auto-correction devient impos­sible.

2 — Malheureusement, même en situation maternelle, la notion de niveau de lan­gue (qui reste longtemps floue dans la conscience enfantine) interfère souvent et apporte un nouvel élément de confu­sion. A un certain niveau, on n'admet que « Il fait chaud, froid, humide, sec, glacial, etc.. », à un niveau plus relâ­ché « Il fait soif » est possible ! En changeant de niveau, le paradigme aug­mente ou diminue.

Les dangers d'un recours aveugle au procédé ana­logique (sans correctifs et sans limitations) appa­raissent dans le comportement linguistique de l'enfant qui a dépassé le stade de la répétition simple et qui commence à construire des énon­cés qu'il n'a jamais entendus. Il s'invente une grammaire qui ne recouvre pas complètement la grammaire de la collectivité. Mon garçon, qui a 4 ans, dit « Je vais te le faire montrer »et « C'est bien plus meilleur ». Il fait jouer sans limitation la ressemblance sémantique entre « montrer » et

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« voir » d'une part, « meilleur » et « bon » de l'au­tre. Il y a induction erronée de sa part, parce qu'une analyse trop approximative des contenus l'amène à transgresser l'interdit de redondance : ignorant que « montrer » n'est pas l'équivalent de « voir », mais de « faire voir », il réitère implicite­ment et abusivement le verbe « faire » ; sa phrase correspond à « Je vais te le faire faire voir ». Même chose pour « bon » et « meilleur » : « meil­leur » = « plus bon », d'où « C'est bien plus meil­leur » = c C'est bien plus plus bon ».

• Limites psycho-sociologiques

L'exercice structural a vu le jour dans l'enseigne­ment des langues étrangères. Personne, à ma con­naissance, ne s'est encore sérieusement posé le pro­blème de son emploi dans l'enseignement des lan­gues maternelles.

Le jeune Français qui croit connaître sa langue — puisqu'il se débrouille pour communiquer avec son entourage — se soumettra-t-il au conditionnement structural avec autant de bonne volonté que l'étran­ger qui sait ne rien savoir ? On a déjà remarqué qu'au niveau du perfectionnement l'étudiant étran­ger était beaucoup plus réticent à l'exercice struc­tural qu'au niveau de l'initiation. En sera-t-il de même du petit Français ? Ne se bloquera-t-il pas au contact d'un exercice dont il ne verra pas clairement l'utilité ? Postulons que l'exercice structural devrait pou­voir trouver une place importante auprès des en­fants qui ne bénéficient pas d'un milieu ambiant favorable (paysans de certaines régions qui par­lent une langue excessivement marquée — patois — par rapport à la langue scolaire, etc..) et qui sont conscients (?) de manquer des moyens indis­pensables à la communication. Dispensé individuel­lement (en classe... ou au laboratoire ?), comme un enseignement programmé de rattrapage, il tien­drait lieu d'élément compensateur, de « classes parallèles ».

I l semble qu'il pourrait également être utilisé com­me procédé d'apprentissage systématique et col­lectif de certaines structures raffinées qui ne pas­sent pas naturellement dans l'usage.

Mais ce ne sont là que suggestions et hypothèses de travail qui demandent à être vérifiées.

J'avais annoncé, prématurément, que je parlerais de l'emploi qui est fait de l'exercice structural aux différents niveaux (phonétique, grammatical, lexical) : je n'en ai plus le temps. Je signale seu­lement qu'il est beaucoup trop restreint. L'exer­cice structural est certes grammatical par excel­lence, mais on oublie trop souvent qu'il a aussi

vocation phonétique et lexicale. Je crois que dans le domaine du vocabulaire particulièrement, sa transposition au français langue maternelle, pour­rait être très profitable.

Mlle Romary, Professeur chargé d'étude au B.E.L.C. illustre l'exposé de M. Galisson par la présentation d'exercices structuraux à partir du tableau de feutre et du film, adaptés à deux méthodes différentes, expérimentées respective­ment par le B.E.L.C. («Frère Jacques») et par le C.R.E.D.I.F. («Bonjour Line») (1). Les deux méthodes s'inspirent du même principe fonda­mental : savoir parler une langue, c'est être capa­ble de s'exprimer dans cette langue sans réfléchir à l'ordre des mots, aux accords, c'est avoir acquis un certain nombre d'habitudes, de réflexes. Le but des exercices structuraux est de créer ces réflexes chez les enfants pour l'usage spontané et correct de la langue qu'ils apprennent. Chaque leçon de langage part d'un dialogue que le maître présente, explique, fait mémoriser. Il choisit dans ce dialogue trois ou quatre répliques présentant des structures nouvelles et sur lesquelles vont être conduits les exercices structuraux.

Trois types d'exercices sont présentés : exercices de substitution, exercices de transformation, exer­cices d'expansion.

Le premier exercice est un exercice de substitu­tion avec emploi du tableau de feutre (Frère Jacques).

Après la phase préalable du dialogue compris et mémorisé dans son ensemble, le maître rejoue le sketch, se contentant de poser les figurines alors que les élèves donnent les répliques correspondan­tes. Le maître s'arrête à une réplique, c'est celle qu'il a l'intention d'exploiter et sur laquelle vont se greffer l'exercice ou les exercices structuraux.

Voici ce que cela donne — début du dialogue : Elève 1 : « Ecoute Monique » — El. 2. : « Quoi ? Qu'est-ce que tu entends ?» El. 3 : « J'entends parler Simone et Henri ; ils viennent ici ». El. 4 : « vite, une boite, de l'eau » « voilà » — El. 5 : « Je monte sur cette chaise, je mets la boite sur la porte ». Ici s'enchaîne l'exercice structural ; le maître se contentant toujours de présenter l'image.

(1) Pour tous renseignements concernant ces méthodes, s'adresser : — au B.E.L.C., 9, rue Lhomond, Paris Ve. — au C.R.E.D.I.F., 11, av. Pozzo di Borgo, 92 - St-Cloud.

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Elève 6 : « Je mets la boite sur la chaise ». Elève 7 : « Je mets la boite sur la table ». Elève 8 : « Je mets la boite sur l'armoire ». Elève 9 : « Je mets la boite sur le bureau ». Elève 10 : « Je mets la boite sur le lit ». Elève 11 : Je mets la boite sur les livres » puis substitution double : El. 12 : Je mets la chaise sur le bureau. El. 13 : « Je mets les livres sur l 'ar­moire » etc..

Il convient de présenter un éventail complet de noms féminins, noms commençant par une voyelle, noms masculin et pluriel : séparément d'abord, puis en désordre.

Avec « Bonjour Line », le procédé est différent. Sur la première image du film, « l'oiseau est sur l 'arbre». Avec la flèche lumineuse, je désigne différents emplacements possibles pour cet oiseau. On pourra obtenir des élèves : « L'oiseau est sur le mur », « l'oiseau est sur la main de Line », « l'oiseau est sur la tête de Line », « l'oiseau est dans l'arbre » etc..

Voici à nouveau un exercice de substitution, mais cette fois, avec accord (exercice de corrélation).

Sur une image du film « Bonjour Line », il est dit : « Alice prend l'oiseau dans ses mains ». On se propose, au cours de cet exercice de présenter les 3 pronoms personnels singuliers en corrélation avec « mes, tes, ses ».

Elève 1 :« Alice prend l'oiseau dans ses mains ».

A partir d'une autre image du film, je demande : « Que fait Marie ? ». Elève 2 :« Marie prend le papier dans ses mains ».

Retour à l'image d'Alice, j'invite un 3° élève à s'identifier au personnage : « tu es Alice, parle ». Elève 3 : « Je prends l'oiseau dans mes mains».

Je suggère ensuite d'autres éléments connus : « Ce n'est pas l'oiseau, c'est le chat, le bol ». Elève 4 : « Je prends le chat dans mes mains ». Elève 5 : «Je prends le bol dans mes mains».

Parti de l'image, cet exercice peut se prolonger avec les objets de la classe, l'essentiel étant de désigner avec précision les interlocuteurs.

Voici un autre exercice de corrélation avec le tableau de feutre. J'introduis le dialogue et je m'arrête à la réplique que je me propose d'ex­ploiter : début du dialogue : El. 1 : « Qu'est-ce que vous faites M. Saunier? ».

El. 2 : « J'attends mes enfants : ils sortent de l'école à 5 heures ». El. 3 : « Et vous, que faites-vous ? », El 4 : « Je rentre chez moi ».

Par substitutions de personnages, je pourrai faire dire « Que fais-tu ?» — « Je rentre chez moi » — « Que faites-vous ? ». Nous rentrons chez nous » — « Que fait-elle ?» « E-lle rentre chez elle » — « Que fait-il ?» « Il rentre chez lui » etc. .

Voici maintenant un exercice de transformation, opposition nom, pronom avec variation de l'adjec­tif démonstratif « Vous voyez cet homme ?» « Oui, je le vois ».

Toujours par simple substitution de figurines, on peut obtenir : « Vous voyez cet oiseau ?» « Oui, je le vois ». « Vous voyez cette femme ? » c Oui, je la vois ». « Vous voyez cette épicerie ?» « Oui, je la vois ». « Vous voyez ces étoiles ?» « Oui, je les vois ».

Exemple d'exercice d'opposition noms-pronoms, pris dans « Bonjour Line » : « Je prends l'oiseau ; ça y est, je le tiens ».

Avec la flèche lumineuse, je désigne différentes parties de l'oiseau : El. 1 : « Je prends le beç de l'oiseau : ça y est, je le tiens ». El. 2 : « Je prends la tête de l'oiseau ; ça y est, je la tiens ». El. 3 : « Je prends la patte de l'oiseau ; ça y est je la tiens ».

Les exemples sont limités aux possibilités de l'image fixe. Pour compléter mon exercice, il me faudra faire appel à l'imagination des élèves de la manière suivante : « Ce n'est plus un oiseau, c'est un chat ».

El. 4 : « Je prends le chat ; ça y est, je le tiens ». Maître : « Ce sont des poissons ». El. 5 : « Je prends les poissons ; ça y est, je les tiens... ».

Outre la correction grammaticale, j 'aurai le souci de faire respecter la courbe intonative de ces répli­ques.

Si la fantaisie et l'humour ne sont pas interdits dans le choix des variations que l'on propose, il convient cependant de ne pas trop s'écarter du vraisemblable et surtout d'éviter le langage arti­ficiel ou scolaire.

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Pour atteindre leur but, ces exercices structu­raux doivent être menés à un rythme soutenu. Aucune hésitation ne doit ralentir leur déroule­ment. Ceci suppose donc des images-stimuli clai­res, univoques et des éléments lexicaux déjà con­nus — faute de quoi, le réflexe-langage ne pourra être créé.

Passons à un exercice d'expansion au tableau de feutre.

Soit la réplique : « Il est arrivé ».

Il s'agit de faire saisir intuitivement les limites minimale et maximale de la phrase.

Maître : « C'est un homme ? ». Elève 1 : « Non, c'est un garçon »... « Un garçon est arrivé ». Geste du maître et l'élève 2 précise : c Un petit garçon est arrivé ».

Puis l'adjonction d'une figurine — symbole appor­tant une information précise supplémentaire pré­cédera chaque nouvel énoncé pour aboutir à une phrase maximale :

— Le maître pose le feuillet de l'éphéméride symbolisant « hier ». Elève 3 : « Un petit garçon est arrivé hier ».

— Pose du soleil renversé : Elève 4 : c Un petit garçon est arrivé hier soir ».

— Horloge marquant 9 heures : Elève 5 :€ Un petit garçon est arrivé hier soir à 9 heures ».

— Croix rouge sous le toit : Elève 6 : « Un petit garçon est arrivé hier soir à 9 h à l'hôpital ».

— Pansement sur la tête du personnage : Elève 7 : « Un petit garçon blessé à la tête est arrivé hier soir à 9 h à l'hôpital ».

Avec « Bonjour Line » on peut également amener les élèves à l'élaboration de phrases plus préci­ses par l'observation détaillée des images plus riches.

Quels sont les grands moments de l'apprentis­sage de la langue, que ce soit par l'une ou par l'autre méthode ?

S'agissant en ce qui nous concerne de l'enseigne­ment de la langue française aux étrangers, la

primauté est donnée à l'oral. On n'aborde l'écrit qu'après un apprentissage exclusivement oral pouvant aller de 35 à 60 heures. On apprend d'abord à parler avant d'apprendre à écrire. Si l'on considère que savoir lire c'est être capable de déchiffrer, de comprendre et d'exprimer cor­rectement un texte, comment un élève étran­ger peut-il déchiffrer des syllabes françaises s'il ne les a pas reconnues, entendues et puis­qu'il ne s'est pas suffisamment exercé à les pro­noncer ? comment peut-il comprendre s'il ignore le sens des mots et le fonctionnement des phrases ? comment peut-il rendre le message expressif s'il ne s'est jamais entraîné oralement à affirmer, à s'exclamer ? Quelles que soient les méthodes audio-visuelles, toutes les leçons de langage débutent par un dialogue en situation, ce qui suppose deux personnages au moins, un décor et un événement de la vie courante qui provoque ce dialogue. Le dialogue, tout en per­mettant d'introduire des structures particulières à la langue orale, fait que les élèves peuvent s'identifier aux personnages et imiter le rythme des répliques.

Une leçon complète comprend trois grandes pha­ses : la compréhension, la mémorisation et l'exploi­tation.

Dans la phase compréhension on distingue 2 parties : la partie de présentation et la partie explicative. Au cours de la présentation, le maî­tre présente le dialogue deux ou trois fois sans commentaire, sans interroger les élèves. Les élèves écoutent et essaient de comprendre : la première fois ils regardent surtout, la deuxième fois ils essaient de mettre en relation ce qu'ils entendent et ce qu'ils voient. On présente l'image un peu avant de donner le groupe sonore corres­pondant, ce qui permet aux enfants de détailler l'image. Est-ce que la présentation sans commen­taire suffit pour que les enfants comprennent ? non, il faut expliquer. Il faut reprendre le dialo­gue, réplique par réplique, et toujours avec l'image, tableau de feutre, ou film fixe ; on s'arrête à chaque groupe dont le sens doit être éclairé et on explique. La manière d'expliquer varie selon les groupes que l'on a à expliquer, mais il est recommandé de respecter certains principes pédagogiques. Expliquer ce qui est nouveau à partir de ce qui est déjà connu, être sobre de paroles. Tous les éléments concrets sont sur l'image donc il n'y a pas à donner de définitions : on désigne avec la flèche, pour le film, et les figurines, sur le tableau de feutre. N'utiliser qu'un langage connu des élèves et, quand la phrase est un peu longue, procéder par analyse et synthèse.

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Dans son travail d'explication, le maître part toujours de l'image ; mais il fait intervenir les élèves le plus souvent possible, pour retrouver ce qui est connu et pour vérifier la compréhen­sion. Quand il estime que les élèves ont compris il passe à la phase mémorisation.

La phase mémorisation a pour but de fixer dans la mémoire des élèves tout le dialogue. Si on l'a présenté 2 fois, puis expliqué et rejoué afin de le faire saisir dans son unité, cela repré­sente 4 présentations. Donc pour la 5* fois on reprend le dialogue avec son support visuel ; on s'arrête à chaque réplique, et l'on fait répéter. Répétitions individuelles, alternées, quand la classe est nombreuse, avec des répétitions par groupes, de 4 ou 6.

Le maître ne se contente pas de faire répéter, il corrige les fautes de prononciation, d'intona­tion, de rythme. Divers procédés sont recom­mandés : on peut surveiller la position des orga­nes articulatoires des enfants, faire accompagner le son difficile d'un autre son plus facile qui va permettre son émission. Cet exercice de répéti­tion et de correction doit être individuel ; il ne doit pas durer plus d'un quart d'heure car il est très fatigant. Dans une leçon, on s'attache à une ou 2 difficultés phonétiques, seulement.

Lorsque tout le dialogue a été répété, le maître vérifie la mémorisation ; à ce moment il s'efface presque totalement, il ne fait que placer les figurines, les élèves retrouvent les répliques. Chaque élève doit intervenir au moins une fois. On peut aussi faire « jouer » la scène, sans les images. Arrivé à ce stade, l'élève possède un modèle de langue. Il l'a compris, il l'a mémorisé, et, s'appuyant sur cette base solide, il va progres­sivement s'en dégager pour aboutir à la création d'autres dialogues, à une plus grande spontanéité.

La phase d'exploitation se divise en deux parties successives : avec images, puis sans images.

Io) Exploitation avec images

C'est ici que se situent les exercices structuraux dont j 'a i présenté quelques exemples. Après ces exercices structuraux, on peut amener les élevés à se questionner à partir d'une image riche en informations. Le but de cet exercice est de les entraîner à interroger, à questionner, car, jusqu'ici ils n'ont fait que répéter ou répondre à des ques­tions. C'est également une préparation au récit, oral ou écrit. Très vite les enfants désirent ques­tionner : pour citer les personnages, les situer dans le décor, dans le temps, ils s'adresseront à leurs camarades. Les images « Bonjour Line » sont à ce propos particulièrement efficaces.

2°) Exploitation sans images

Après avoir répondu aux questions sur la situa­tion, le récit oral s'ébauche ; les enfants racontent l'histoire.

Toute la classe participe à ce travail. Il prépare le récit écrit qui viendra plus tard. Les formes du style indirect vont apparaître, ainsi que les mots de liaison, de relation. Le récit oral prépare à un usage plus libre de la langue, liberté surveillée bien entendu conduisant progessivement à une liberté quasi totale. Une phase intermédiaire est celle de la transposition. A partir d'une situation nouvelle, au début suggérée par le maître, puis imaginée par les élèves, d'autres dialogues vont être proposés, avec d'autres personnages, dans d'autres cadres. Les jeux de langage mènent vers la spontanéité. Les bandes dessinées constituent une incitation intéressante ; elles sont utilisées avec le souci de réutiliser les structures gramma­ticales acquises. On présente la bande complète sans commentaires, puis après un temps de réfle­xion, on fait imaginer les répliques qu'échange­raient les personnages. On l'utilise également pour le passage au récit écrit. A ce stade du jeu, du récit oral et écrit, les enfants s'expriment libre­ment, sans interruption ou correction. Ce n'est qu'en fin d'exercice que le maître reprendra et corrigera les fautes commises, ou mieux encore les fera rectifier par les enfants eux-mêmes.

A la fin de la deuxième année d'apprentissage, on peut utiliser des diapositives, des films animés. Ce travail de transposition exige une préparation minutieuse et délicate : pour une demi-heure de cours on prévoit 3 à 6 exercices différents afin d'éviter les répétitions. Les jeux et les images doivent être choisis en fonction des structures grammaticales connues, assimilées et qu'on a l'intention de faire réutiliser. Aucun obstacle ne doit arrêter ou bloquer l'expression de l'élève. Ces images et ces jeux doivent être motivants.

Le temps consacré à une leçon complète se situe entre 3 et 6 heures : au début les dialogues sont extrêmement courts ; ils s'allongent très progres­sivement.

Dès que l'écrit est abordé, il reste très lié à l'ex­pression orale. On part toujours d'une introduction orale. Voici par exemple comment on peut procéder pour la présentation d'une phrase-clé (41" leçon de lecture de « Frère Jacques ») : elle présente les double-consonnes « bl, pi, cl, gl etc. . » La phrase-clé est une réplique d'un des dialogues : « tu oublies ton cartable ». A l'aide des figurines le maître amène les élèves à retrouver les répli­ques du dialogue connu ; on s'arrête à la répli­que-phrase-clé. On la fait répéter plusieurs fois ;

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puis on fait apparaître la phrase sur des étiquet­tes. On procède à la décomposition structurale de cette phrase afin d'en fixer le découpage. « oublies » et « cartable » sont les mots nouveaux, on attire l'attention des enfants sur ces mots-clés par substitution d'autres termes connus. Ce n'est qu'après qu'intervient la décomposition en syl­labes.

L'intérêt de l'exposé et des démonstrations qui précèdent a été unanimement apprécié par les participants au stage. Un problème cependant ne pouvait manquer d'être soulevé : comment utiliser les exercices structuraux, conçus et élaborés pour des étrangers apprenant le français comme une langue vivante inconnue, avec des petits Français apprenant le bon usage de leur langue mater­nelle ?

M. Galisson fait état d'une expérience person­nelle avec des classes hétérogènes mêlant des enfants français et des enfants étrangers. Les exercices structuraux, malgré leur caractère contraignant, se sont avérés profitables, pour les uns et les autres. Ils donnaient aux petits Fran­çais des habitudes, un cadre pour l'expression d'une pensée et leur ont permis d'aller beaucoup plus vite dans le développement de leur expression écrite libre. On se rendait compte qu'ils pouvaient placer leur pensée dans un moule sans pour cela aboutir à la répétition de phrases stéréotypées. D'autant plus que les enfants français disposent d'un vocabulaire plus riche pour opérer les subs­titutions. Cependant la prudence en la matière est une exigence expérimentale.

Madame Stourdzé, Conseiller pédagogique au Centre International d'Etudes Pédagogiques de Sèvres, rapporte les observations qu'elle a pu faire dans ce domaine, au cours d'expériences menées en commun avec des professeurs de lan­gue vivante et des professeurs de français ensei­gnant à des étrangers et à de jeunes Français.

Avec les élèves étrangers débutants, les exercices structuraux s'avèrent particulièrement profitables. Nous avons essayé de reprendre les principes sur lesquels se fondent les exercices structuraux pour les adopter à de jeunes étrangers connaissant déjà notre langue. « Ce qui, personnellement, m'a le plus aidé, affirme Mme Stourdzé, c'est l'utili­sation des procédés de substitution, de transfor­mation, en les mettant toujours en situation sous forme de dialogue, adapté à l'âge et aux condi­tions de travail». Le dialogue donne l'impression d'être quelque chose de vécu. Il s'agit en fait

d'une conversation dirigée, contrôlée, téléguidée, où les questions contraignantes ou semi-contrai­gnantes donnent cependant aux élèves la possibi­lité de répondre sans commettre d'erreurs de langue et de plus en plus librement. L'objectif à attein­dre est bien l'expression libre orale et écrite : cet objectif peut être atteint à partir du montage de mécanismes de base et d'un apprentissage « condi­tionné de la langue ». Il va sans dire que ce n'est qu'un point de départ.

Monsieur Legrand conclura dans le même sens. Il justifie ainsi le fait d'avoir placé cette dernière journée de stage sous le signe des exercices struc­turaux. C'est dire l'importance qu'on doit y atta­cher ; il y a là « une dimension fondamentale à explorer » pour renouveler l'enseignement du français aux jeunes Français. Ce type d'exercices réalise en effet une synthèse — synthèse pres­sentie et souhaitée — celle de la réflexion d'un type grammatical et linguistique nouveau, et de l'entraînement intuitif progressif, à la manipu­lation des structures de la langue.

Il est souhaitable que les groupes expérimentaux collaborant à la recherche d'une pédagogie réno­vée du français à l'école primaire, axent dès maintenant leurs efforts sur la fabrication et l'expérimentation d'exercices de cette nature. Cependant deux conditions doivent être respec­tées et, tout d'abord, une adaptation attentive aux besoins des élèves français de langue française, ensuite la motivation à communiquer qui ne doit pas être perdue de vue dans un travail contrai­gnant systématique d'apprentissage qui caracté­rise les exercices structuraux.

Le repérage, sinon le recensement méthodique, des fautes communément commises, des niveaux de langue abordés, dans l'expression orale (enre­gistrement au magnétophone) et écrite( textes libres authentiques) est une technique relative­ment facile, « collant » à la réalité vécue quoti­diennement et, qui peut déboucher rapidement sur une thérapeutique. Il faut toutefois discri­miner l'ordre des fautes ; il y a les fautes gros­sières de langue orale que la dégradation du fran­çais dans les milieux populaires rend nombreuses et habituelles ; il y a les fautes de précision dans la communication de l'information ; il y a enfin les fautes d'euphonie ou d'esthétique. Mais dans le passage d'un niveau de langage à un autre, des seuils de « dépassement » peuvent également être notés, tel l'emploi de la subordination rem­plaçant la juxtaposition, ou encore la substitution d'un adjectif qualificatif à une relative.

Ainsi les corrections et rectifications que les maîtres sont amenés à faire impliquent « un sens aigu de la langue ».

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CONCLUSIONS

R. MOLINE

Le terme d'« enrichissement » remarquable a été prononcé à l'actif de ces journées d'étude. Si elles ont soulevé plus de questions qu'elles n'ont apporté de réponses à ce stade de la pré-expé­rience entreprise, il faut s'en féliciter en dépit du « sentiment d'insatisfaction » que certains ont ressenti lorsqu'elles sont parvenues à leur terme. Comme l'a bien exprimé une assitante « pleine d'usage et raison » : « Il serait inquiétant qu'on reparte satisfait d'un stage ! » Au moment d'abor­der la phase de « l'expérimentation suivie et contrôlée » du Projet d'Instructions Rouchette dans la perspective d'une rénovation de la pédagogie du français à l'école élémentaire, les tâtonnements et les inquiétudes de la recherche appliquée se poursuivent et se précisent, les problèmes se posent, dont les données s'éclairent progressive­ment en vue d'autres hypothèses ou de commence­ments de solution.

Ce stage a eu le grand intérêt de mettre en lumière un problème fondamental, celui de l'information et de la formation des personnels participant, au sein de cinquante-cinq équipes expérimentales locales, à l'expérience entreprise, à des degrés et à des niveaux divers. Ce problème central a vite éclaté pour faire apparaître, avec leurs aspects théoriques et pratiques, les problè­mes d'importance majeure qu'il impliquait : pro­blèmes de contenus, problèmes de méthodologie de la recherche appliquée en rapport avec la recherche fondamentale d'une part et la pratique pédagogique d'autre part ; problèmes de la recher­che expérimentale avec ses exigences et du processus de développement en ce qui concerne la formation et la re-formation des maîtres de français et aussi du passage aussi rapide que pos­sible dans le domaine des faits, des résultats qui pourraient être considérés comme déjà acquis par les progrès de l'expérimentation ; enfin pro­blèmes d'organisation et d'animation des stages d'information et de « formation de formateurs », tel celui-ci dont l'expérience de ces journées a montré les difficultés et à fait émettre le souhait

que la formation aux méthodes de travail en groupes « préparant au dialogue, à la communi­cation, à la participation, à la réflexion person­nelle et collective, à la synthèse constructive des idées et des expériences », soit assurée à différents niveaux, au plan régional et national, en vue d'augmenter l'efficacité de la formule même du stage, formule qui se cherche et semble devoir être améliorée.

Les thèmes qui avaient été retenus pour être sou­mis à la confrontation et à l'échange des expé­riences et des réflexions, avaient pour objectifs d'approfondir, en un premier temps, des pro­blèmes de contenus et de méthodes que le Projet d'Instructions Rouchette lui-même suscitait : moti­vation, imprégnation, grammaire fonctionnelle, exercices structuraux : « Chaque fois qu'il y a renouvellement de contenu, un renouvellement de méthode s'impose, l'un ne va pas sans l'autre... Mais on peut changer la méthode sans changer le contenu... » A l'instar de ce qui s'est produit pour la rénovation de l'enseignement des mathé­matiques « modernes », il ne s'agit pas unique­ment de changer de programme, il ne s'agit pas non plus seulement de changer de méthode : c il s'agit de changer le contenu d'un enseignement dans sa progression d'ensemble et ceci ne peut se traduire dans la réalité pédagogique sans une transformation radicale des méthodes et techni­ques traditionnelles en la matière, appropriée au nouveau contenu».

En ce qui concerne le Projet d'Instructions Rou­chette, sa mise en expérimentation a révélé « des zones d'ombre et des zones de lumière ». L'esprit général du texte met l'apprentissage de la langue sous le signe de la communication, met en hon­neur « la prise de parole », qui souligne l'impor­tance de la motivation, de la libre création comme de l'imprégnation des textes d'auteur. Les zones d'ombre ont trait à la progression grammaticale proposée qui, de l'aveu de tous, doit être repensée à la lumière d'une information scientifique sur la linguistique et la grammaire « modernes ». La

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nécessité d'un renouvellement de contenu dans ces deux domaines entre autres, a été reconnue una­nimement. Le projet de progression Rouchette a été apprécié comme « un palier vers une évolution ultérieure ».

« Si on a essayé de faire appel à des techniques pédagogiques comme celle des exercices struc­turaux, lexicaux et syntaxiques, c'est pour mon­trer ce qui pourrait rénover la pédagogie du français en l'appuyant sur un appareil linguistique et scientifique qui nous fait défaut ».

Les zones d'ombre deviennent ainsi des « zones d'approfondissement » : ce sera le thème et la tâche des prochains stages académiques et natio­naux prévus pour mai 1969 : les expériences en cours sur la progression grammaticale seront rap­portées et confrontées, d'autres sur le lexique, sur la poésie et l'éducation esthétique, les recher­ches en psycho-linguistique, feront l'objet de rapports et de débats en vue des amendements possibles à proposer au texte du Projet d'Instruc­tions Rouchette. Ainsi des « paliers successifs d'ap­profondissement » sont prévus qui ne pourront que faire progresser le déroulement méthodique de l'expérimentation.

L'unanimité s'est faite sur la mise en garde contre les dangers que représente « une sorte de vulga­risation linguistique généralisée » qui guette le grand nombre de ceux qui éprouvent « une grande soif de renouvellement du contenu de leur ensei­gnement ».

Un élément de solution apparaît dans la tentative dont témoignent ces journées d'étude, d'une infor­mation scientifique plus poussée à l'intention des « informateurs » qui auront à la répercuter et à aider à leur diffusion à l'échelon local, en atten­dant « la formation de formateurs » dans un deuxième temps, appelés à répondre aux besoins de développement, tant en ce qui concerne la recherche appliquée entreprise elle-même, qu'en ce qui concerne l'extension de proche en proche, des transformations de contenu et de méthode, d'apprentissage des techniques expérimentées, des changements de mentalité et d'habitudes, des mu­tations de comportement relationnel, du travail en équipe, etc..

Un grand effort se révèle actuellement en plu­sieurs centres expérimentaux pour donner à l'in­formation linguistique, qu'il s'agisse de lexique ou de grammaire, un caractère rigoureux et scien­tifique, par la coopération confiante et suivie de toutes les compétences sans préoccupation de hié­rarchie dans la Fonction Publique. Certaines Fa­cultés des Lettres qui jouissent d'une relative autonomie ont pu apporter le concours de l'Ensei­

gnement Supérieur aux expériences entreprises — dans le cadre des Ecoles Normales, de leurs éco­les annexes et d'application, dans des circonscrip­tions d'Inspecteurs départementaux, avec le réseau de leurs écoles primaires — par les groupes expé­rimentaux coordonnés et organisés avec l'aide du Département de la Recherche de l'Institut Péda­gogique National. Certains centres de recherche sont déjà passés au stade de la réalisation et donnent les premiers résultats fructueux de leur activité coopérative : nous pouvons citer Caen, Lille, Limoges, Nancy, Nantes, Strasbourg. Pour l'académie de Caen, le groupe de travail d'in­formation linguistique suit les expériences tentées dans deux écoles expérimentales. A Lille, M. E. Genouvrier assure un lien constant entre l'en­seignement supérieur et l'enseignement élémen­taire pour tenter de définir un nouvel ensei­gnement de la grammaire et de préciser une pro­gression grammaticale à partir d'un programme, expérimental au niveau du CE. 1, CE. 2, CM. 1, CM. 2, appliqué dans plusieurs classes d'applica­tion de l'Ecole Normale de Lille. Ainsi, le besoin d'une initiation plus poussée et plus scientifique à ce qu'on peut appler la « psycho-linguistique » se manifeste avec insistance. La nécessité — « si l'on veut que l'expérience réussisse » — de « don­ner aux enseignants de tous ordres une formation linguistique », comme le groupe du Mans s'y est particulièrement attaché depuis le début de l'ex­périence, apparaît, au terme de ces journées, la priorité des priorités, afin de permettre aux pro­fesseurs d'Ecole Normale, aux Conseillers péda­gogiques, aux Inspecteurs départementaux, de remplir pleinement leur mission de formation et de perfectionnement professionnel pédagogique. D'autres centres de recherche sont en voie d'orga­nisation. Le mouvement s'étend à Alger, à Rabat et Casablanca au Maroc. Le nombre des équipes expérimentales passera de 26 à 55, à la rentrée 1968-69. La Radio-Télévision Scolaire et le dépar­tement de la Recherche poursuivent la pro­duction d'émissions télévisées à l'intention des maîtres du premier degré, dans la série : « Ateliers de pédagogie » pour la rénovation de l'enseigne­ment du français.

Dans la mesure où ces journées d'étude étaient par elles-mêmes une expérience d'information et de formation des expérimentateurs, pédagogues et praticiens, des observations fécondes ont pu être notées. Et d'abord, l'insuffisance du temps indis­pensable à toute réflexion pondérée, en toute con­naissance de cause, nécessaire pour un véritable approfondissement.

« Peut-être le programme était-il trop ambitieux, la matière trop dense, les problèmes trop nom­breux, complexes, délicats ? » Les difficultés ma­

tt

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térielles — « bêtement matérielles » — n'ont pas permis, autant qu'on l'eût souhaité, la communi­cation des documents de travail préparant à la réflexion et à la discussion sur les thèmes pro­posés. Le nombre et la diversité hétérogène des participants (1) ont pu limiter l'efficacité des travaux en commission, des débats en séances plénières, des synthèses de conclusion, encore qu'ils aient permis de fructueux échanges.

Des problèmes profonds ont émergé : et d'abord celui de la méthodologie de la recherche et des expériences dans le cadre desquelles s'inscri­vaient ces journées d'étude. La nécessité d'une confrontation permanente du travail des équipes expérimentales devait s'imposer à tous.

D'autres besoins se sont fait jour, tout aussi légi­times et tout aussi distants les uns des autres, bien qu'également attachés aux deux bouts de la chaîne ; ceux de la recherche fondamentale au niveau de l'enseignement supérieur, c e u x des pédagogues praticiens au niveau de la réalité vivante de leur expérience quotidienne. « L'un des problèmes fondamentaux à l'intérieur d'un stage comme celui-ci est de l'ordre de la communication : essayer d'établir des structures valables de dialogue où l'on n'intervienne pas en tant qu'instituteur, inspecteur, professeur, mais en tant que soi-même, avec sa compétence pro­pre », a dit l'un des participants au stage. Et il est certain que ce n'est là ni l'œuvre d'un jour, ni l'œuvre d'un stage. Cette « communication » ne peut résulter que d'une longue familiarisation avec le travail en équipe à tous les niveaux. Une longue tradition hiérarchique, la conscience des limites de sa compétence, l'autorité du spécialiste en la matière, font que « certains ne disent plus

Cl) Participaient à ce stage d'une part, les animateurs des équipes expérimentales et d'autre part des instituteurs et directeurs d'école travaillant à l'étranger dans le cadre de la Coopération, et non engagés dans un travail expérimental.

rien » alors qu'ils auraient tant de choses simples et pertinentes à dire, dans l'intérêt certain de la recherche commune. Le problème n'a pas échappé aux promoteurs de ces journées :

« Notre souci a été de « décloisonner », décondi­tionner les participants afin que tous puissent s'exprimer d'une manière très libre. Nous avons souhaité qu'un brassage des personnes apparte­nant à diverses catégories, quel qu'en soit le niveau, favorise les échanges. Lorsqu'on fait de la recherche, lorsqu'on collabore à une expérien­ce, il n'y a pas de hiérarchie de niveaux, chacun cherche dans le domaine et au niveau de sa com­pétence personnelle ». Dans cet esprit, le travail d'équipe indispensable à toute recherche de péda­gogie appliquée essentiellement expérimentale, ne peut être que fécond.

Ainsi, au-delà des problèmes d'organisation et de communication, par le biais d'un grand nombre de questions concrètes sur lesquelles les stages inter-académiques en préparation s'efforceront d'apporter des éléments de solution comme suite aux conclusions de ces journées, c'est le problème crucial de la nature et des modalités, des exi­gences théoriques et pratiques, d'une information poussée et rigoureuse des personnels engagés dans l'expérience de rénovation de l'enseignement du français à l'école primaire, qui a été posé avec force.

L'approche psychologique et pédagogique des pro­blèmes, qui ont pour objet immédiat l'enseigne­ment et pour sujet imprescriptible l'enfant, ne devra jamais être oubliée ni négligée, d'autant plus que les relations interpersonnelles, détermi­nantes, des maîtres et des élèves, sont à la base même de l'enseignement et de « l'apprentissage de la langue comme instrument de communica­tion ». C'est le but même de notre expérience.

Telles sont « les grandes orientations » qui se sont dégagées de ces journées denses et laborieuses.

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ANNEXES

I - ASPECTS POSSIBLES DE LA MOTIVATION DANS LA VIE DE LA CLASSE

Nous vous présentons des fiches pédagogiques élaborées par des équipes expérimentales. Toutes les fiches que nous publions ci-après n'ont pas été conçues comme des fiches modèles, mais comme des hypothèses de travail, un instrument de réflexion et de discussion, à l'usage des équipes.

1) ECOLE NORMALE DE FILLES DE LIMOGES. — Ecole Annexe — Cours : C.E.l — Octobre 1967 (Mme BARILLET).

Les principes directeurs qui doivent fonder une motivation forte et naturelle des exercices d'expres­sion orale sont clairement posés.

L'exercice présenté prend la forme d'une conver­sation dont l'occasion est naturellement fournie par la vie scolaire et ses activités courantes : classement de diapositives prises au cours d'une exposition des travaux effectués par les élèves de la classe.

La motivation est forte par le fait que chaque élève est intéressée à reconnaître un travail réalisé l'année précédente et qui lui est personnel, et à le présenter à sa nouvelle maîtresse.

La situation est naturelle, la maîtresse éprouvant le besoin de mieux connaître ses nouvelles élèves au début de l'année scolaire et de classer un matériel qui va trouver une ingénieuse utilisation didactique. Elle crée tout de suite un besoin de communication chez les élèves qui entrent sponta­nément dans le jeu du dialogue et de la conver­sation sur un thème qui oriente la pensée et le langage à partir d'un support concret. Les élèves ont quelque chose à dire en réponse aux questions toutes naturelles de leur maîtresse ; elles doivent recourir à leurs souvenirs pour décrire avec préci­sion ce qu'elles ont fait ou voulu faire.

La relation de communication est donc réelle ; les questions ne sont pas gratuites mais vraies ; la

matière du sujet traité est authentique ; les réponses, pour spontanées qu'elles soient, exigent mémorisation et réflexion pour traduire par un langage précis le souvenir et la pensée. Les inter­locuteurs en place répondent à un besoin de s'informer et d'informer tour à tour. Dans la relation maître-élèves, ce sont les élèves qui auront le plus à parler « sans bavardage et sans contrainte ».

2) ECOLE NORMALE DE GARÇONS DE BESAN­ÇON — Ecole d'application de Fontaine-Ecu C. P. Février 1968 (Mme CHALUMEAU).

L'exercice « d'élocution — jeu mimé » présenté ici illustre avec bonheur les principes directeurs posés dans la fiche précédente.

La motivation de l'expression et de la communi­cation orale est différente : elle reste aussi puis­sante et naturelle. Le thème proposé par les enfants eux-mêmes est d'une passionnante actualité pour petits et grands : les jeux olympiques d'hiver. Les émissions de télévision qui leur sont consacrées, la documentation imagée à profusion, vont main­tenir pendant un certain laps de temps l'intérêt du sujet et fournir ample matière à ce qui va devenir un exercice de langage, d'expression et de communication. Encore ici que de choses à dire à ses camarades et à sa maîtresse !

Celle-ci va tirer profit de cette mobilisation de l'imagination et de la sensibilité des enfants pour motiver des exercices plus spécifiques d'expression et de communication en proposant à trois équipes d'élèves des situations qui les amèneront naturel-' lemènt à parler de ce qu'ils ont vu ou observé :

— la préparation d'une émission de télévision sur une des épreuves des jeux olympiques ;

— un reportage, un acteur mimant l'action du champion ;

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— un exposé sur les gravures étudiées enre­gistré au magnétophone.

Ces situations différentes peuvent amener le pré­sentateur, le reporter et le rapporteur à utiliser des langages parlés différents correspondant à des types différents de communication orale. Les élèves ne jouent pas dans l'un et l'autre cas le même rôle de récepteur. L'emploi du microphone et l'enregistrement sur bande magnétique sont ici naturellement motivés par le « jeu mimé », le rôle de l'émetteur, la situation imaginée.

Ecole Normale de Filles (Ecole Annexe)

87 - LIMOGES

Cours : C.E.1 Série C Ns 1 Oct. 1967

EXERCICE DE CONVERSATION

3) ECOLE NORMALE D'INSTITUTEURS DE CHARTRES — Ecole annexe — C.M.l. et C.E.2. Janvier 1968.

L'émission de télévision scolaire sur « la fabrication d'une marionnette » a été, au départ, davantage une incitation qu'une motivation à l'expression et à la communication, par le biais d'une « discussion guidée sur le contenu de l'émission » qui constitue le premier temps de l'exercice.

La motivation réelle et profonde qui va entraîner « une expression spontanée très riche, soutenir et stimuler l'expression écrite », a sa source dans la « grande activité créatrice » des élèves qui vont se mettre à « confectionner des marionnettes aussi variées que nombreuses avec les matériaux les plus divers ». C'est le deuxième temps : ces marion­nettes, il sera amusant de les manipuler, de les faire agir et parler ; « les élèves décident d'écrire de brefs textes, monologues ou dialogues » pour une sorte de théâtre imaginaire sur lequel « les marionnettes se présentent à leur public ».

La situation de communication est ainsi créée ; le thème de communication orale est fourni en rapport avec un moyen d'expression particulier, a l'inten­tion d'un public enfantin qui va participer à l'action, au dialogue, le fabricant de la marionnette devient marionnettiste ; il invente le langage, les questions et réponses, les traits de son personnage, les séquences qui correspondent à la mimique, au scénario ; le groupe réagit ; il faudra se rappeler les répliques ; les écrire devient une nécessité ; l'enregistrement au magnétophone, un nouvel intérêt avec sa conséquence pour donner à l'expres­sion une forme moins spontanée mais rendue plus correcte par un effort de « bien dire ».

Les exercices plus systématiques qui suivront trouveront par eux-mêmes et en eux-mêmes leur motivation soutenue par l'action individuelle et collective entreprise.

*

POINT DE DEPART ET FORME DE L'EXERCICE PROPOSE

Nous sommes au début de l'année scolaire. Madame Barillet veut faire connaissance avec ses élèves. Pour engager le dialogue, elle profite de l'occasion fournie par le classement de diapositives prises dans la classe du C.P. d'où proviennent ses élèves de cette année.

On avait photographié l'exposition des dessins et des travaux d'élèves le jour de la fête de fin d'année (thème : l'histoire de l'enfant noir Macoco).

Chaque élève est invitée : — à reconnaître son travail ; — à revivre cette période qui se recule dans

un passé assez proche pour que les sou­venirs soient très frais, assez éloigné pour reprendre un nouvel intérêt ;

— à se faire connaître (pour cela, elle doit préciser par le langage, sans recours au geste, son dessin et les objets qu'elle a confectionnés).

LE BUT DE L'EXERCICE DE CONVERSATION

C'est l'entraînement à l'expression orale. L'action du maître se çitue entre deux extrêmes à éviter :

— le bavardage pu la spontanéité se confond avec le désordre ;

— la contrainte d'un réseau de questions qui tracent d'avance la pensée de l'enfant. Dans ce cas il n'y a pas pensée véritable.

Il s'agit d'une attitude de mimétisme où l'esprit de l'élève se moule sur celui du maître.

L'enfant devrait s'exprimer à l'école comme dans la vie, — non pour obéir à la discipline scolaire mais

parce qu'il a quelque chose à dire ; — mais comme on participe à une conversation

(c'est pourquoi nous proposons de changer le

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nom de l'exercice : en « conversation » au lieu « d'elocution » (terme dévalorisé par le mauvais usage qu'on en a fait).

Conformément à notre but, nous retenons :

DEUX PRINCIPES DIRECTEURS

— motiver la pensée ;

— mais aussi l'orienter.

1) - la pensée motivée : les conditions de la conver­sation dépendent :

a) de la matière du sujet traité ;

b) des rapports avec l'interlocuteur.

a) la matière traitée doit avoir un vif intérêt pour l'enfant. La connaissance du monde enfantin et un certain effort d'imagination pour se mettre à sa place sont nécessaires dans le choix du sujet de conversation.

b) l'interlocuteur. Un monologue ne constitue pas une conversation. Ni même une suc­cession de monologues. L'intervention de l'institutrice va donc susciter les réflexions et les répliques de l'enfant en lui appor­tant un interlocuteur.

L'idée neuve et féconde de Mme Barillet n'était pas tellement de faire parler les élèves sur leurs travaux ; c'était surtout d'avoir recours à leurs souvenirs comme si elle en avait besoin. Elle a dit : « J'ai retrouvé des diapositives que je voudrais classer. Je crois qu'elles représentaient vos travaux de l'an dernier. Je veux en profiter pour mieux vous connaître ; vous allez me dire, chacune, ce que vous avez fait ». Ainsi est motivée la commu­nication sans laquelle il n'y a pas de langage naturel. Pour que l'exercice ne soit pas gratuit ni contraignant, la maîtresse doit jouer le jeu. Elle doit s'intéresser à l'échange, poser de Ivraies questions.

Bien sûr, il y a parfois une part de feinte dans son ignorance et sa curiosité. — Comment connaissez-vous Macoco ? — C'est le livre qu'on avait. — Macoco a écrit un livre ? — Je reconnais mon avion. — Ton papa t'a acheté un avion ?

Cela, pour obliger l'enfant à s'exprimer sans équivoque, et lui faire prendre conscience qu'une

pensée, pour être communiquée, doit d'abord être claire. Cependant, on est ici à la limite d'un artifice. Ne pas en abuser. Il n'est pas souhaitable que les enfants voient là un jeu, même s'ils y entrent volontiers. Dans leurx arrière-pensée persisterait l'idée coutumière d'une dissociation entre l'école et la vie.

Plus naturel peut-être sera l'échange entre les élèves si quelques-unes peuvent jouer le rôle d'interlocutrices. Mme Barillet y est parvenue très bien en exploitant la situation de deux élèves étrangères au groupe qui venait de la classe de Mme Fondanèche où avait lieu l'exposition. Le désir d'information est ici réel. Il serait à souhai­ter qu'il en fût toujours ainsi dans l'exercice de conversation. (Par exemple, si l'on veut faire résumer un texte, que ce soit sous forme de récit récréatif fait par une élève qui veut communiquer à ses camarades l'intérêt qu'elle a pris elle-même à la lecture d'une histoire et non sous la forme du résumé obligatoire d'un texte déjà connu de toute la classe).

2) - Une pensée orientée

Nous savons que le jaillissement spontané de la pensée enfantine ne prend pas la forme d'une conversation. C'est ici que l'école se distingue de la vie et introduit son rôle éducatif : formation intellectuelle et formation sociale car les défauts d'esprit et de caractère qui dévient la fonction de relation du langage sont plus accusés chez les jeunes enfants que chez les grandes personnes. Ce sont :

a) l'indiscipline. Sans l'institutrice, l'élocution tournerait vite au désordre du brouhaha. Elle doit imposer le respect d'un minimum de règles : parler chacun à son tour, écouter les autres.

b) l'égocentrisme qui est à la racine de cette indiscipline. Il ne s'agit pas seulement de respecter physiquement la parole des autres, il faut que ce silence soit inspiré par un intérêt véritable pour la pensée d'autrui. L'institutrice donne un tour convergent à ces pensées égotistes, tout simplement en exigeant que l'attention générale se fixe sur une seule pensée à la fois et s'y intéresse vraiment. Pour cela, un ordre chronologique ne suffit pas, il faut un ordre organisateur. Le meneur de jeu est ici indispensable avec le point de vue dominant, plus informé, plus juste de l'adulte, plus capable aussi de voir dans quelles directions on doit faire progresser les propos pour qu'ils gardent leur intérêt.

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De ces principes découlent : — l'objet dans sa valeur de signe repré­sentatif.

QUELQUES CONSEQUENCES POUR LA CONDUITE DE L'EXERCICE

1) - l'expression doit être claire : c'est la première qualité pour une pensée qui veut se commu­niquer (éliminer le souci d'esthétique. M. BARRUCHE : « La phrase n'est pas belle » : mauvaise directive). Pour y parvenir :

a) l'emploi du mot propre : distinguer le terme d'usage courant du terme technique plus ou moins rare. On peut et on doit toujours exiger le premier. Le second doit être apporté avec précaution et seulement quand l'occasion l'exige. ex. : Il est question des « pagnes » portés

par les poupées noires de l'exposition. Quelques élèves ne connaissent pas le mot, d'autres l'ont oublié pendant les grandes vacances. Obligée de préciser la poupée dont elle parle, une élève décrit son costume : « elle a une jupe qui porte des petits machins » ; 1™ rectification : « elle a une jupe qui porte des bouts de laine» ;

2* rectification : « elle porte une jupe qui porte des franges » (mot propre non technique).

C'est le moment de retrouver le mot technique ou de l'enseigner, mais seulement après en avoir reconstruit la définition : « sorte de jupe formée d'une ceinture à très longues franges ». On voit ainsi que l'ignorance d'un terme technique n'empêche pas l'emploi du mot propre ;

b) l'éclaircissement d'expressions équivoques :

ex. : cf plus haut : Le livre de Macoco. Mon avion.

L'anbiguïté est parfois dans la langue elle-même, par exemple dans les multiples valeurs de la préposition de. La rectification est assez facile : « c'était un livre qui racontait l'histoire de Macoco ». Mais la confusion peut être dans l'esprit. La contrainte d'un langage juste est une discipline qui apprend à penser. Ainsi, en employant le nom de « Mamadi » parle-t-on d'une poupée ou de la maman de Macoco ? Quand la fillette, interrompue, répond après réflexion : « on a pris une poupée noire pour représenter la maman de Macoco, on peut être assuré que son esprit fait la distinction entre deux ordres de réalité :

— l'objet dans son existence concrète ;

De même, dans un autre ordre d'idées, on peut conduire parallèlement :

— l'apprentissage des formes de la langue : « au-dessus du bouquet » "(substitué à « dessus le bouquet ») ;

— et l'orientation spatiale : en haut, en bas, à droite, à gauche.

Et nous retrouvons ici la distinction entre l'ordre réel et celui de la représentation graphique, cette fois, la droite des spectatrices étant la gauche par rapport à un point de référence pris sur le dessin ; le haut du plan de dessin correspondant à « derrière » l'objet de référence (le bouquet).

2) - l'expression doit tendre vers une pensée orga­nisée.

On remarque l'abus que les jeunes enfants font de l'expression : il y a. La proscrire a priori, « parce que ce n'est pas joli », « parce que c'est la règle du jeu » est un procédé inefficace parce qu'il n'extirpe pas la racine de la faute. Il s'agit ici d'une forme énumérative qui correspond à la pensée primitive de l'inventaire. Le départ est le même dans la forme : « c'est une dame avec un panier et des papillons ». On ne va pas pour autant proscrire la préposition avec et la conjonc­tion et. Ce qui est à combattre c'est le tour de pensée « en îlot » qui procède par juxtaposition de détails bruts, non intégrés à des rapports.

On tâchera donc d'obtenir des jugements simples par des sollicitations concrètes : « Je ne veux pas que tu te contentes de me dire le nom des choses, des animaux ou des personnes que tu vois, dis-moi ce qu'ils font, comment ils le font, comment tu les trouves » (directives valables même au CP pour l'observation d'une reproduction d'art. L'expérience nous a prouvé que les enfants de cet âge peuvent dépasser le stade de l'inventaire).

3) - respecter l'usage de la langue. L'échange de pensée n'est possible que si tous les individus de la même société emploient le même code. Il y a donc des règles d'usage à respecter. Cette fois un nombre relativement restreint d'incorrec­tions a fait l'objet de remarques : les tours inter-rogatifs : « laquelle est-ce ? » (au lieu de « laquelle c'est) — « est-ce que c'est la ceinture... », € est-ce la ceinture... » Ce travail de rectification est sou­vent beaucoup plus important. Une difficulté est à signaler à ce sujet : la correction coupe la continuité des propos et risque d'arrêter l'élan. Nécessité d'un fin doigté.

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Page 46: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Ecole Normale de garçons de BESANÇON

Ecoile d'application de FONTAINE-ECU

Cours préparatoire Classe de Madame CHALUMEAU Date : 21 Février 1968

FICHE PEDAGOGIQUE

ELOCUTION — JEU MIME THEME: LES JEUX OLYMPIQUES D'HIVER

SITUATION DE L'EXERCICE Centre d'intérêt proposé par les enfants :

« les jeux olympiques ».

INTENTIONS PEDAGOGIQUES — utilisation d'une motivation puissante

poussant les enfants à communiquer, à la maîtresse et aux camarades, leurs remarques, leurs impressions, sur un sujet précis ;

— premier essai de description d'une attitude et développement de la finesse de l'obser­vation ;

— emploi spontané de mots de vocabulaire suggérés ultérieurement au cours de commentaires de gravures : — cérémonie d'ouverture ; — vasque - flambeau ; — gravir ; être en déséquilibre ; être

crispé par l'effort ; être en plein élan.

POINT DE DEPART

Pendant la semaine de congé de Carnaval, les enfants ont passé de longs moments devant le poste de télévision et assisté aux péripéties des jeux olympiques d'hiver.

Ils apportent spontanément, en grande quantité, des documents, des coupures de journaux observés en commun, classés, affichés. Le travail oral est complété par de nombreux dessins et des travaux manuels.

DEROULEMENT DE LA LEÇON

Conditions matérielles : —• enfants répartis en trois équipes homo­

gènes ;

— gravures étudiées précédemment mises sous les yeux des enfants ;

— utilisation du magnétophone.

Mise en route :

Les élèves sont invités à travailler à la prépa­ration d'une émission de télévision, d'un reportage sur les jeux olympiques d'hiver. Chacune des trois équipes de la classe choisit : 1) une épreuve, 2) un acteur qui mimera l'action du cham­

pion, 3) un reporter.

1" STADE — TRAVAIL COLLECTIF.

Essayons de préparer ensemble le d é b u t de l'émission.

Comment débutent les jeux olympiques ? ils débutent par la cérémonie d'ouverture.

L'observation d'une gravure (découpée dans « Match » aide les enfants à préciser leur pensée).

Que regarde la foule ? Alain Calmât va (allumer), embraser la vasque.

Choisissons un mime ; la classe désigne Emma­nuel. Qui es-tu ? Je suis champion de patinage

artistique. Que tiens-tu ? Je tiens un flambeau allumé. Que fais-tu ? Je (monte) je gravis les

marches. Comment se tient-il ? il a le bras levé,

il monte vite. Choisissons un présentateur. Une phrase est mise au point en commun ; elle est répétée. Désigné par ses camarades, Serge vient de prononcer devant le micro : « Alain Calmât a le bras levé : il tient le flam­beau : il gravit les marches très vite. Il va embraser la vasque ; la flamme olympique brûle à Grenoble ».

2e STADE — TRAVAIL PAR EQUIPES.

Chaque équipe choisit une épreuve sportive. Les élèves de chaque groupe se réunissent et, à voix basse, s'entretiennent de ce que le mime doit faire, de ce que le reporter doit dire.

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Page 47: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

La maîtresse passe d'un groupe à l'autre, aide, rectifie, encourage ; les enfants miment avec beau­coup de naturel et de vérité. Résultats :

1" équipe (moyens) la descente en slalom.

« Jean-Claude Killy passe entre les portes ; il a le corps déséquilibré ; il fait une grimace ; son visage est crispé par l'effort ».

2e équipe (forts) le patinage de vitesse.

« Le champion de patinage de vitesse a la tête rentrée dans les épaules, le buste incliné ; ses bras sont croisés derrière le dos ; il glisse à toute vitesse sur la piste unie comme un miroir ».

3" équipe (faibles) le saut.

« Le champion de saut est penché en avant, le nez vers la pointe de ses skis. On dirait un oiseau ».

La phrase mise au point est prononcée devant le micro du magnétophone, puis écoutée et jugée par les autres élèves invités. 1) à mimer d'après les détails donnés, 2) à trouver le titre de l'épreuve.

Ecole : Ecole Normale d'Instituteurs de Chartres

ECOLE ANNEXE

Cours : C.M.1 et C.E.2 Date : semaine du 15 au 20

Janvier 1968.

FICHE PEDAGOGIQUE POUR EXERCICES DE FRANÇAIS

SITUATION DE L'ENSEMBLE DES EXERCICES

1) Motivation. Une émission de la télévision scolaire du lundi 15 janvier 1968 (14 h 25 — 14 h 15) : « La marion­nette ». à l'appui : la fiche pédagogique incluse dans le n° 41 des dossiers pédagogiques de la R.T.S.

De retour en classe, discussion guidée sur le con­tenu de l'émission

— la fabrication d'une marionnette — le castelet (un tableau chevalet dans un angle de la classe peut constituer un castelet de for­tune) ; — le rôle du marionnettiste.

2) Intentions pédagogiques.

A l'origine : — fournir aux élèves un thème de commu­

nication orale et un nouveau moyen d'ex­pression.

— motiver la rédaction de textes individuels ou de groupes en liaison avec la confec­tion de marionnettes.

— exploiter ces devoirs dans le cadre de leçons de français (correction de la forme écrite — vocabulaire — grammaire — orthographe).

mais l'intention première s'est trouvée pro­longée.

3) Prolongements. (travail de groupes).

a) Recherche de matériaux pour la confection des marionnettes. b) Exercice de lecture et recherche de textes adaptables à une représentation de marionnettes (identification des personnages). c) Enregistrements au magnétophone (critique et auto-correction) des textes élaborés.

PRESENTATION DE L'UN DES EXERCICES

1) Point de départ : Après divers essais plus ou moins concluants d'expression orale improvisée en liaison avec les premières manipulations, les élè­ves ont décidé d'écrire, soit par groupes, de brefs textes, monologues ou dialogues, par lesquels les marionnettes se présentent à leur public.

Ce sont ces textes écrits qui constituent le point de départ de l'exercice.

2) Intentions pédagogiques.

—• Faire rappeler que l'emploi des verbes : « être », « avoir », « faire », fréquemment utilisé dans les devoirs, est à éviter et rechercher une présenta­tion meilleure,

a) par l'emploi de termes plus expressifs ; b) en cherchant à traduire une action (la marion­nette ne reste pas immobile sur la scène) ;

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c) en usant de l'interrogation (la marionnette s'adresse au public pour attirer l'attention des spectateurs).

3) Contenu et progression.

a) lecture de quelques phrases extraites des devoirs.

— « J'ai deux yeux, un nez, une bouche ».

— « Ma robe est rouge ».

— « Mon corps est une baguette marron ».

— « Mes yeux sont deux boutons ».

— « Mon nez, ma bouche sont faits d'un bout de collant ».

— « Mon maître a eu du mal à me faire ».

— « J'ai une canne ».

b) Les élèves constatent l'emploi à peu près exclu­sif des verbes « être », « avoir » et « faire » et reconnaissent que cette présentation n'est pas satis­faisante : le texte ainsi présenté n'attire pas assez l'attention des spectateurs.

c) Recherche en commun des verbes ou formes plus expressifs. On arrive à :

« Mon papa Michel m'a coiffé d'une casquette verte. Dans ma tête de laine jaune il a piqué deux boutons brillants pour que je puisse vous voir ».

c Je porte seulement une pauvre robe de toile orange, grise et verte ».

« Je ne sors jamais sans ma canne ».

Les élèves constatent que le texte ainsi modifié devient plus intéressant :

Quelques essais au castelet le confirment.

d) recherche d'autres possibilités en évoquant le dialogue qui s'établit parfois entre le public et la marionnette : celle-ci peut poser une question qui appelle l'attention sur certains traits de son portrait. Ainsi, à partir de la phrase « ma marion­nette est faite d'un chapeau, deux yeux, une bou­che, un bout de tissu blanc, vert et bleu », des élèves proposent :

« Comment trouvez-vous mon chapeau ? mes yeux ? ma bouche ? »

« Que pensez-vous de ma roble blanche et bleue ? », ou encore

c Je m'appelle « Antoine », voyez-vous mes longs cheveux bleus ?».

e) application écrite.

Rendre plus expressives quelques phrases extrai­tes des devoirs.

BILAN

1) une grande activité créatrice.

a) Les élèves ont confectionné des marionnettes aussi variées que nombreuses avec les matériaux les plus divers (pommes de terre, bobines de coton à repriser, cartonnage, peinture, stylo-feutre, scotch, boutons, laine, bas de soie, foulards, four­chettes, règles, clous, e t c . ) .

b) une expression spontanée très riche vient sou­tenir et stimuler l'expression écrite.

c) les élèves les plus faibles en expression écrite se trouvent valorisés par l'expression orale à leur portée (ils sont même parfois excellents).

d) Les réunions de groupes, les discussions sur le jeu des marionnettes constituent autant d'oc­casions supplémentaires de s'exprimer et dévelop­pent l'esprit critique.

2) l'emploi du magnétophone.

a) Il se révèle utile et provoque une réelle émula­tion : les enfants veulent être enregistrés et pour cela font des efforts pour bien dire, et se corriger.

b) mais un inconvénient à signaler : les élèves souhaitaient que leur texte soit d'abord enregis­tré pour être joué ensuite, d'où perte de sponta­néité (il est préférable de laisser libre cours à l'imagination et d'enregistrer les enfants à leur insu plutôt que de plaquer un mime sur un texte préalablement enregistré).

c) une autre difficulté : laisser une place aux plus faibles.

3) Prolongements : l'enthousiasme, très vif au début, s'est assez vite dissipé au bout de quel­ques jours. Aussi n'a-t-il pas semblé souhaitable de vouloir prolonger l'exploitation du thème. On a préféré mettre les marionnettes « en réserve » pour les utiliser ultérieurement comme moyen d'expression si l'occasion en suggère l'opportunité.

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Il - L'IMPREGNATION PAR LES TEXTES

1) ECOLE NORMALE D'INSTITUTEURS DU MANS — C.M.1. (M. HERIN).

Le texte de la semaine : une visite (Albert Camus) Le texte reconstitué : Le taureau furieux (Gustave Flaubert)

Pour situer ces deux genres d'exercices d'impré­gnation dans l'ensemble et dans le processus du déroulement des diverses activités qui, tout au long de la semaine, contribuent à l'enseignement global du français, on aura intérêt à se reporter au N° 38 de « Recherches Pédagogiques » ainsi qu'au compte-rendu de l'exposé de M. Herin dans le présent cahier, p. 26 et suivantes.

Rappelons brièvement la technique. « Au début de la semaine le texte à étudier est remis à chaque élève sur une fiche polycopiée ; il figure constamment au tableau. Le lundi matin suivant, ce texte est dit avec expression par quel­ques élèves puis il est mis en place sur le cahier journalier... L'enfant est sensibilisé sans cesse par le rythme, par l'articulation de chaque phrase et il est invité ainsi à suivre l'expression écrite de la pensée de l'auteur.

Le choix du texte répond bien aux critères rete­nus par M. Herin : qualité stylistique, compré­hension aisée du contenu concret du texte. Le déroulement de l'exercice appelle quelques réserves quant aux procédés et à la technique employés : ces réserves ont été exprimées au cours du débat qui a suivi la présentation du second exercice au cours du stage ; on en retrou­vera l'écho à la page Elles portent sur le pro­cédé qui consiste à faire écouter la lecture du texte par le maître « les yeux fermés » ; sur la technique du « montage » qui a pour objectif de découper le texte selon ses articulations pour en faciliter la mémorisation, la décomposition en groupes fonctionnels suivant le découpage au lieu de le précéder.

Les procédés mnémo-techniques et la méthode d'analyse fonctionnelle apparaissent comme subsé­quents mais non intégrés l'un à l'autre : cela apparaît dans les deux fiches, à l'évidence lors­qu'un élève en particulier a pour « fonction » d'isoler des séquences comme « qui menait à l'éco­le », « qui sortait alors de ses naseaux », « bâtie au flanc de la colline» ( 1 " fiche), «que cachait le brouillard », « qui se rapprochait » (2* fiche).

La reprise quotidienne du processus pour chacune des parties du texte étudiée chaque soir par

chaque élève, semble fonder l'imprégnation par le texte sur un découpage tout formel et « artificiel », sur la répétition et la fixation mémorielle progres­sive du texte entier, plus que sur l'intelligence profonde du sens par l'appréhension des rapports syntaxiques entre les groupes de mots. Le décou­page de la phrase qui ne répond pas toujours à une analyse structurale, correcte, risque de déna­turer l'imprégnation par l'élève des structures de la langue.

Le schéma graphique proposé pour la reconstitu­tion du texte, qui respecte jusqu'à la longueur des séquences, met en évidence les articulations formelles de la chaîne linéaire qui tendent à ser­vir de support à la mémorisation — et non pas la structuration profonde de chaque phrase et de l'ensemble du texte ainsi que pourraient le souhaiter d'autres maîtres à la suite de l'infor­mation linguistique qu'ils ont reçue.

2) E C O L E N O R M A L E D'INSTITUTRICES D'AMIENS — C.M.1. (Mme GUILLOT)

Exercice de reconstitution de texte : Le fleuve (Romain Rolland).

Le but de l'exercice est de « s'imprégner d'un texte d'auteur et familiariser les élèves avec une langue élaborée, par une analyse de la structure de la phrase ».

Le déroulement de l'exercice propose une méthode d'approche pour ce genre d'exercice tout à fait différente de celle des deux fiches précédentes. Là réside son intérêt.

La maîtresse reconnaît que le texte choisi est difficile et que « le procédé employé est excep­tionnel en raison du caractère du texte » ; cette recherche d'adaptation de la technique au texte n'est-elle pas en soi-même d'une valeur pédago­gique qu'il convient de souligner ?̂ D'autant plus que « l'expérience montre que, grâce au support de la musique, le texte a été bien compris des enfants ».

Un premier contact du texte dans son ensemble est pris par une lecture silencieuse. Un entretien à bâtons rompus va permettre d'élucider quel­ques points obscurs. Le paragraphe à reconstituer est choisi après avoir été inséré soigneusement dans l'ensemble : les enfants « sautent » alors « l'importance du fleuve pour le petit Jean-Chris­tophe ». L'expression « faire sentir » revient à plu-

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sieurs reprises : par leurs « réponses unanimes » les élèves découvrent dans le texte les séquences qui répondent à ce sentiment. La reconstitution proprement dite du paragraphe se fait donc en un deuxième temps. Elle a pour objectif majeur de « faire apparaître la structure » qui va être pré­sentée graphiquement, non pour faire visualiser les articulations formelles et linéaires comme dans les fiches précédentes («on évite le recours au soutien habituel de ce type»), mais pour mettre en valeur les rapports de signification associés étroitement au rythme spécifique et à la mélodie vocalique, au nombre de la phrase.

La phrase en question ne donne pas simplement à « voir », mais à « entendre » : « le recours à la musique est (à ce moment) apparu comme une nécessité imperative ». L'effet attendu est immé­diat, note la maîtresse ,et les élèves donnent tout leur sens, empreints d'une émotion authentique-ment resentie, aux termes, aux expressions, aux parties de la phrase à reconstituer.

La reconstitution se poursuit alors « dans une atmosphère de rêve et de poésie » — celle qui baigne le texte même — qui, loin de nuire à l'exer­cice, le favorise, puisque « la première phrase (en dépit de sa complexité subtile) est redite sans erreur ».

La maîtresse qui a tenté cet excellent essai tient à souligner que * l'on s'arrête volontairement avant d'atteindre le « par-cœur » (sauf si l'on se propose d'utiliser le texte en diction) ».

derrière un souffle sonore qui se rapprochait. Ses sabots, comme des marteaux, battaient l'herbe de la prairie ; voilà qu'il galopait maintenant !

Gustave Flaubert.

II. LES INTENTIONS

Faire vivre intensément par les enfants ce bon texte ; les amener progressivement à sentir son enchaînement, son rythme ; leur faire apprécier la valeur des mots employés. Tout au long de l'exercice aller doucement mais sans perdre de temps.

Ne faire aucun commentaire d'ordre grammati­cal (tout au plus faire apparaître par une flèche un accord essentiel).

Ne se livrer à aucune remarque sur la formation des mots.

(Note : Le texte du samedi permettra de temps à autre une mise au point dans ce domaine).

Ne pas ralentir l'action lorsque l'enfant s'imprè­gne de son texte à reconstituer.

III. — DEROULEMENT DE L'EXERCICE

Prévoir de copier le texte à l'avance au verso d'un tableau tournant. Prévoir sur un tableau la trace du schéma qui va apparaître au cours de l'exercice.

Ecole Normale de Garçons du MANS

par M. HERIN classe : CM. 2

Le taureau furieux

LE TEXTE RECONSTITUE

Exercice d'imprégnation

I. — LE TEXTE

Le taureau furieux

Mais, quand l'herbage suivant fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. C'était un taureau que cachait le brouillard.

Il avança vers les deux femmes. Madame Aubain allait courir, c Non ! non ! moins vite ! ». Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par

Gustave Flaubert.

Note : Cette trace correspond exactement au texte qui figure sur l'autre tableau.

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Prévoir les différentes étapes de l'exercice. Ainsi, avec l'exemple étudié, on peut prévoir trois parties dans le déroulement de l'exercice.

Attendre que tous les enfants aient les yeux fermés, les coudes sur la table et les mains soute­nant la tête. Lorsque le silence est total, présenter très simple­ment le texte.

iVote : Les enfants ont lu ce passage avec le maître dans leur livre et le connaissent très bien.

Dire simplement : Vous connaissez tous l'aventure qui est arrivée à Madame Aubain, accompagnée de ses deux enfants et de Félicité, sa servante.

Nous allons reconstituer un passage de ce texte. — Tourner le tableau et lire avec expression. — Faire lire un enfant ; les enfants, à ce moment-

là, lèvent les yeux et découvrent visuellement le texte.

l re Partie*: les deux premières phrases.

— Attendre que les yeux soient fermés.

— Lire une fois ces deux phrases en exagérant très légèrement l'articulation.

— Dire simplement : à votre avis combien d'élë-ves pour faire le « montage » de ces deux phrases ?

> quatre.

Note : Ne pas s'affoler en cas d'erreur.

— Organiser une première fois le montage avec quatre élèves (à chaque montage donner la ponc­tuation).

I " élève : Mais, un beuglement formidable s'éleva. 2e élève : Quand l'herbage suivant fut traversé 3* élève : C'était un taureau 4* élève : que cachait le brouillard. Mettre en valeur les mots de cette première par­tie : !un herbage.

Dire simplement :

— Est-ce un champ ? — Est-ce un pré ? — Est-ce un grand pré que l'on appelle encore

prairie ? —* une prairie.

Ajouter : N'oublions pas que la scène se passe dans une riche vallée de Normandie et qu'il y a de la bonne herbe pour les bêtes.

A votre avis l'auteur a-t-il bien fait de noter la présence du brouillard ?

— * s'attendre à une bonne réponse.

— Faire exécuter le montage une seconde fois, lentement, et en même temps faire apparaître le schéma (il est possible d'employer des couleurs différentes).

— Faire reprendre par un enfant, le texte étant caché.

Note : Faire fermer les yeux quelques instants si l'attention faiblit.

2" Partie : — jusqu'à « qui se rapprochait ».

— Lire cette partie dans son ensemble. — Prévoir un « montage » et l'organiser une pre­

mière fois.

I " élève : Il avança vers les deux femmes. 2' élève : Madame Aubain allait courir. 3° élève : « Non ! non ! moins vite ! » 4* élève: Elles pressaient le pas cependant,

5* élève : et entendaient par derrière un souffle sonore 6° élève : qui se rapprochait.

Mettre en valeur : elles pressaient le pas.

Dire simplement :

Allaient-elles plus vite en courant ? Allaient-elles plus vite en marchant ? Gardaient-elles la même allure ?

> elles allaient plus vite en marchant.

— Faire exécuter le montage une seconde fois, lentement, et en même temps faire apparaître le schéma.

— Faire reprendre successivement par deux en­fants, le texte étant caché.

3* Partie : Le reste du texte.

— Le lire dans son ensemble.

— Prévoir un montage et l'organiser une pre­mière fois.

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1er élève : Ses sabots, comme des marteaux, bat­taient l'herbe de la prairie ; 2" élève : Voilà qu'il galopait maintenant !

Note : Il est possible que les enfante estiment devoir être trois à cause de « comme des mar­teaux » mais, si le 1" élève s'en empare, ne rien dire.

Ses sabots battaient l'herbe.

Qu'aurait pu dire l'auteur ? * Ses sabots frappaient, tapaient.

Quel verbe préférez-vous ? > Ses sabots battaient.

Note : Prévoir qu'un enfant dise « ses sabots martelaient » et faire remarquer que la compa­raison « comme des marteaux » élimine ce verbe.

— Faire exécuter une seconde fois, lentement et en même temps compléter le schéma.

Dans son ensemble, le schéma apparaît finalement de la façon suivante :

Le taureau furieux.

Mais, quand C'était

que

Il Madame Aubain « ! ! !»

Elles pressaient , et qui

Ses sabots, , ; • • • • • • qu'

!

Gustave Flaubert.

L'ensemble est donc mis en place.

Le maître reprend une fois en tournant le dos au texte et en suivant le schéma du doigt ; les enfants se prêtent au jeu et suivent attentive­ment le texte en vérifiant : Cacher le texte et faire reprendre l'ensemble deux fois de suite par deux élèves qui n'ont plus que le schéma sous les yeux.

Note : Ajouter un mot ou deux au schéma si le besoin s'en fait sentir.

Pour terminer : comme pour la présentation du texte au début de l'exercice, attendre que tous les élèves aient les yeux fermés à nouveau et, lorsque le silence est total, lire avec expression le passage.

Dire quelques mots très simples sur Gustave Flaubert.

Travail écrit : reconstituer le texte et le mettre en place sur le cahier de français.

Ecole Normale de Garçons • LE MANS

M. HERIN Classe : CM 1

LE TEXTE DE LA SEMAINE

Exercice d'imprégnation

I. — LE TEXTE

Une visite

L'instituteur regardait les deux hommes monter vers lui. L'un était à cheval, l'autre à pied. Ils n'avaient pas encore entamé le raidillon abrupt qui menait à l'école, bâtie au flanc d'une colline. Ils peinaient, progressant lentement dans la nefee. entre les pierres, sur l'immense étendue du haut plateau désert. De temps en temps, le cheval bronchait visiblement. On ne l'entendait pas encore, mais on voyait le jet de vapeur qui sortait alors de ses naseaux.

Albert Camus.

II. — LES INTENTIONS

Faire du texte de la semaine un exercice d'im­prégnation et une préparation à l'enseignement grammatical.

III. — DEROULEMENT DE L'EXERCICE

Texte copié au tableau le lundi lorsque celui de la semaine précédente est effacé, et remis à l'enfant sur fiche polycopiée.

Le lundi après-midi : attendre que les enfants aient les yeux fermés ; présenter très simple­ment le texte dans un contexte plus large ; tour­ner le tableau et lire avec expression le texte.

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Reprendre les deux premières phrases en exa­gérant très légèrement l'articulation ; dire sim­plement : combien d'élèves à votre avis pour faire le montage ? » trois ; le faire exécuter.

1" élève : L'instituteur regardait les deux hom­mes monter vers lui. 2" élève : L'un était à cheval, 3e élève : l'autre à pied.

Le reste étant sans changement le premier soir.

Dire quelques mots très simples sur Albert Camus.

Note : Chaque soir, l'enfant apprend la partie étudiée.

Le mardi matin : trois minutes de travail sur la partie étudiée, c'est-à-dire les deux premières phrases seulement.

Faire dire une fois la partie étudiée, dans son ensemble ; faire mettre en place par les élèves eux-mêmes sur une petite fiche (quart de feuille) ; la mise en place se fait selon le montage prévu la veille ; ramasser immédiatement cette fiche qui sera corrigée à un moment perdu et sans l'élève, et lui sera remise avant la fin de la journée. Les fautes sont seulement soulignées.

Et ainsi de suite jusqu'au samedi : le vendredi soir, après le dernier travail, le texte est défini­tivement prêt ; le samedi matin, il est effacé et recopié en entier de façon qu'il apparaisse une dernière fois, débarrassé de tout le travail de préparation. Au moment du départ, il est lu une fois par un enfant. Ce texte est à apprendre ou plutôt à revoir pour le lundi matin ; les enfants, chaque samedi, n'ont pas autre chose à faire chez eux.

Le lundi matin de la semaine suivante :

Remarque : Le texte est soigneusement caché et ne sera pas vu pour éviter toute imprégnation superficielle et fugitive au dernier moment.

Inviter les élèves à se cacher la tête dans leurs bras appuyés sur la table ; faire dire le texte en entier par quatre ou cinq élèves (il doit y avoir effort d'expression) ; le faire mettre en place sur

Note : La ponctuation est donnée par le maî­tre ; ne pas tenir compte de la ponctuation infi­nitive qui apparaît dans la première phrase.

Faire séparer en groupes fonctionnels et flécher chaque verbe vers son sujet ; faire sentir que le verbe est sous-entendu dans « l'autre à pied ». Le lundi soir, le texte apparaît comme suit :

le cahier journalier de la façon suivante : ce sont les élèves qui dictent eux-mêmes.

1er élève : Une visite.

2" élève : L'instituteur regardait / les deux hom­mes monter vers lui. (L'enfant dictera en deux fois).

3* élève : L'un était à cheval, 4e élève : l'autre à pied.

5e élève : Ils n'avaient pas encore entamé / le raidillon abrupt

6* élève : qui menait à l'école, 7" élève : bâtie au flanc d'une colline. 8" élève : Ils peinaient,

9° élève : progressant lentement dans la neige / entre les pierres, sur l'immense étendue du haut plateau désert.

10° élève : De temps en temps, / le cheval bron­chait visiblement.

11* élève : On ne l'entendait pas encore, 12" élève : mais on voyait le jet de vapeur

13e élève : qui sortait alors de ses naseaux. 14e élève : Albert Camus.

Le maître règle l'allure par signes et donne la ponctuation qui est ainsi mise en évidence ; lorsque l'exercice est bien au point, le maître peut céder sa place à un enfant.

Ne faire dire qu'une seule fois par l'élève qui dicte ; se tenir devant la classe sans aller et venir ; ne faire aucun commentaire car l'enfant est à son travail et ne doit pas être harcelé ; faire relire une fois selon le montage prévu.

Une visite.

nstituteur regardait les deux hommes monter vers lui.

L'un était à cheval, l'autre à pied, etc..

L instituteur regardait les deux hommes monter vers lui.

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Laisser un moment pour que chaque enfant voie si tout est bien en place, puis corriger rapi­dement. L'enfant redécouvre le texte écrit au tableau et le compare avec le sien. A l'encre rou­ge, il ajoute un accord oublié ou il écrit dans la marge le mot d'usage mal orthographié.

Ne pas faire publiquement le bilan des fautes.

E.N.F. d'AMIENS Ecole annexe mixte

Classe de Mme GUILLOT CM. 1

EXERCICE DE RECONSTITUTION DE TEXTE AU C.M.1.

Un paragraphe d'un texte de lecture

« Le Fleuve », extrait du 1" volume, l'Aube, du roman de Romain Rolland, Jean-Christophe

(texte joint)

L'exercice commence par une lecture silencieuse d'une vingtaine de minutes, lecture qui va per­mettre aux enfants d'avoir un premier contact avec le texte.

Dans le même temps, ils se préparent à répon­dre à deux questions indiquées sur leur feuille polycopiée ; celles-ci se limitent au contrôle d'une compréhension globale.

La leçon va comprendre trois parties : — une approche du texte, par un entre­

tien à bâtons rompus ; — m e approche du texte, complète, rapi­

de, qui va permettre d'éclairer le para­graphe choisi. On ne s'attardera pas sur l'explication de certains mots, on lais­sera même dans l'ombre quelques expressions difficiles, pour que les enfants soient encore mobilisables au moment où l'on va exiger d'eux un plus grand effort. Aussi va-t-on utili­ser divers procédés destinés à soutenir leur attention pendant une heure, durée moyenne de l'exercice : entourer, sou­ligner certains mots privilégiés, écou­ter de la musique et la traduire par le geste ;

— la reconstitution proprement dite du 2* paragraphe.

Le choix du texte : c'est un passage difficile à première vue pour un CM. 1, mais l'expérience montre toutefois que, grâce au support de la

musique, il est bien compris par les enfants. (Ce procédé est exceptionnellement employé en rai­son du caractère du texte).

Le but de l'exercice : s'imprégner d'un texte d'auteur et par une analyse de la structure de la phrase, familiariser les élèves avec une langue élaborée.

1" partie :

Ici, la reconstitution d'un paragraphe suit la lecture du texte plus long où s'insère ce paragra­phe.

On s'attache, au cours de cette prise de contact avec l'ensemble du texte, à faire sentir aux enfants l'importance du fleuve pour le petit Jean-Christophe.

A la seconde question, les réponses sont unani­mes et quand on demande de rechercher dans le texte les expressions venant à l'appui de leurs affirmations, ils trouvent instantanément :

— « Il lui semblait qu'il était emporté... » (Sabrina ajoute : « si c'était vrai, il serait noyé... »).

— « quand il fermait les yeux... » (Jac­queline commente : « il est obligé de fermer les yeux pour voir son rêve... »).

— « il est aspiré par ce rêve éternel et dominateur... ».

On va s'attarder intentionnellement sur cette phrase particulièrement difficile. (Bien entendu, la notion d'éternité n'est pas appréhendée par un enfant de huit-neuf ans). Quant à « dominateur», on pourra, à notre surprise, se passer du support d'un exemple concret.

Pour faire sentir aux élèves que l'éternité de ce rêve était liée à l'éternité du fleuve par rap­port à la vie de l'enfant, il a paru plus simple de leur lire deux phrases extraites de « Jean-Christophe » :

« Le Fleuve, les Cloches,... si loin qu'il se sou­vienne — dans les lointains du temps — à quel­que heure de sa vie que ce soit ... toujours leurs voix profondes et familières chantent ... le fleuve gronde. Dans le silence, sa voix monte toute puis­sante ; elle règne sur les êtres, une musique qui danse, qui ne s'arrête jamais. Elle berce l'enfant, ainsi qu'elle berça pendant des siècles, de la nais­sance à la mort, les générations qui furent avant lui ; elle pénètre sa pensée, elle imprègne ses rêves... ».

M. Christine : « son rêve dure toujours » — «c'est long» •— «il est obligé d'y penser»

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(Patrick) — « il est plus fort que lui » — « il lui prend sa pensée » (Agnès).

2e partie :

Reconstitution du 2° paragraphe, copié au ta­bleau sous la forme suivante : On fera apparaître la structure suivante, met­tant en évidence les groupes de mots et faisant appel à la mémoire visuelle : on évite ainsi le recours au soutien habituel du type : « ce gron­dement il est ; et sur le fond , des s' etc..

« Ce grondement continu le remplit, lui donne le vertige ;

il est aspiré par ce rêve éternel et dominateur.

Sur le fond tumultueux des flots, des rythmes précipités

s'élancent avec une ardente allégresse.

Et le long de ces rythmes des musiques montent,

comme une vigne le long d'un treillis : des arpèges de claviers argentins, de violons douloureux, des flûtes veloutées aux sons ronds ».

Ayant constaté avec les élèves qu'ils avaient fort bien « vu » le passage imaginé par Chris­tophe, la maîtresse leur demande s'ils peuvent « entendre » aussi bien le fleuve. Cette musique, qui emplissait la vie de Christophe, était réelle grâce à la présence immédiate de ce dernier. Quelle ressource ont-ils, eux, dans cette classe silencieuse, dans cette ville où coule une rivière trop calme, pour évoquer une telle atmosphère ?

Marie-Aude : « On va fermer les yeux très fort et on va essayer de penser... ».

C'est alors que l'on fait entendre, enregistrées sur bande magnétique quelques mesures du 4' mouvement de la Symphonie Pastorale, la musi­que de Beethoven s'étant trouvée tout naturelle­ment associée à l'œuvre de R. Rolland quand il s'est agi de trouver un support auditif ; ce recours à la musique est apparu comme une nécessité imperative :

— pour faire passer ce texte dont la dif­ficulté de vocabulaire et d'évocation est évi­dente ;

— pour éviter le verbiage d'une morne explication de mots ;

— pour plonger encore un peu plus les enfants dans une atmosphère de rêve et de poésie ;

— pour leur donner la possibilité d'ex­primer une émotion qu'il leur est difficile de traduire lors des séances d'initiation musi­cale.

L'effet attendu est immédiat : « J'ai entendu le grondement... ça le remplit... -il y a des musiques qui montent... - ça donne le vertige... - comme quand on est en haut d'une falaise... - les flûtes veloutées, c'est comme du velours... - on entend aussi les vagues... - les vagues roulent... - c'est les flots tumultueux... ».

Une seconde audition, les yeux fixés sur le texte transcrit au tableau, va aider à repérer et à noter au passage par un geste expressif du bras :

« ce grondement continu... le fond tumultueux des flots... des rythmes précipités... des musiques montent... ».

La Maîtresse : « Ne dirait-on pas que les musi­ques sont des petites personnes ?» - « elles mon­tent... elles s'élancent... elles bondissent... elles grimpent... ».

Il reste à préciser : « sur le fond tumultueux des flots... ». On fait appel au souvenir que l'audition dans le courant du trimestre précédent, du « Con­certo pour flûte et harpe » de Mozart : l'orches­tre constitue un fond sonore sur lequel un ou deux instruments se détachent.

Agnès : «le fleuve, c'est comme un orchestre». Les expressions : « avec une ardente allégresse » et « comme une vigne qui grimpe le long d'un treillis » sont facilement comprises après une explication rapide.

Isabelle dit à ses camarades ce qu'est un cla­vier. Un autre ajoute alors : « il y en a un aussi sur les orgues... » - « et sur le guide-chant... le guide-chant, c'est un petit piano... ».

La Maîtresse : « Pourquoi l'auteur n'a-t-il pas écrit : des arpèges de pianos argentins ? ».

Marie-Louise lit à haute voix : « non, ça ne va pas, pianos, ça ne va pas ». Le mot «• arpège », avec son origine italienne -jeu de harpe, vient facilement, par son évocation vocalisee avec celle de la gamme, s'intégrer tout naturellement dans le texte. II. ne reste plus aux enfants qu'à reconstituer ce dernier (aucune trace écrite, ni charnière ne figurent plus au tableau).

Ils évoquent tout naturellement ce qu'ils vien­nent d'entendre : « le grondement lui donne le vertige... - ça le remplit... ».

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Page 56: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

La Maîtresse : « Comment ce grondement est-il ? S'arrête-t-il ? ». — « Non, il dure... - il est continu... ».

Cette fois-ci, la première phrase est redite sans erreur.

Après un silence, la maîtresse intervient : « Il nous parle ensuite du rêve. Vous en souvenez-vous ? En quels termes ? ». Cette phrase, qui donc a été étudiée dans une période de grande fraî­cheur, tout au début de la leçon, vient d'elle-même.

La Maîtresse : « Qu'entend-il ensuite ? ». — « des rythmes précipités... qui montent... des musiques qui montent... qui grimpent... des vio­lons... des flûtes veloutées... des claviers argen­tins ». Il faut mettre de l'ordre :

On leur rappelle que les rythmes et les musi­ques viennent s'ajouter au fond sonore créé par l'orchestre. On obtient alors : — sur le fond tumultueux des flots, des rythmes précipités montent... ».

La Maîtresse : « Non, les rythmes ne montent pas... ».

— « ils bondissent... - non... - ils s'élancent... ».

La Maîtresse : « Comment s'élancent-ils ? ». — « avec une ardeur (sic) allégresse... ». Le mot « allégresse » avait été bien saisi par rapprochement avec la jofe éprouvée le matin de Noël. « Ardente » avait été laissé de côté. Cette erreur faite par les enfants, montre s'il en était encore besoin, que la place laissée à la mémoire est faible dans cet exercice où l'on réclame bien davantage un effort de pensée logique et d'enchaî­nement des idées.

La dernière phrase est énoncée : —- « et le long de ces rythmes, des musiques montent... » - Silence...

La Maîtresse : « A quoi avait-on comparé les musiques ? ». — « à de la vigne... comme la vigne monte le long d'un treillis... ».

La Maîtresse : « Vous dites : ... montent... et... monte ? ». Les enfants rectifient instantanément : « grimpe ». La fin de la phrase est retrouvée sans difficulté : — « des arpèges... aux sons ronds ».

Après cette reconstitution collective par frag­ments, les élèves sont capables de reconstituer

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l'ensemble individuellement ; mais l'on s'arrête volontairement avant d'atteindre le « par cœur » (sauf si l'on se propose d'utiliser le texte en dic­tion) .

Les jours suivants, on demande p a r f o i s une reconstitution écrite suivie d'une auto-correction que les enfants font avec une parfaite Sincérité et à laquelle ils s'intéressent en recherchant la performance.

T E X T E

L'enfant regardait et écoutait avidement ; il lui semblait qu'il était emporté par le fleuve... Quand il fermait les yeux, il voyait des couleurs : bleu, vert, jaune, rouge, et de grandes ombres qui cou­rent, et des nappes de soleil... Les images se préci­sent. Voici une large plaine, des roseaux, des moissons ondulant sous la brise qui sent l'herbe fraîche et la menthe. Des fleurs de tous côtés, des bleuets, des pavots, des violettes. Que c'est beau ! Que l'air est délicieux ! Il doit faire bon s'étendre dans l'herbe épaisse et douce ! Christophe se sent joyeux et un peu étourdi, comme lorsque son père lui a, les jours de fête, versé dans son grand verre un doigt de vin du Rhin... Le fleuve passe... Le pays a changé... Ce sont maintenant des arbres qui se penchent sur l'eau ; leurs feuilles dente­lées, comme de petites mains, tremblent, s'agi­tent et se retournent sous les flots. Un village, parmi les arbres, se mire dans le fleuve. On voit des cyprès et les croix du cimetière par-dessus le mur blanc, que lèche le courant... puis ce sont des rochers, un défilé de montagnes, les vignes sur les pentes, un petit bois de sapins, et les burgs ruinés. Et de nouveau la plaine, les moissons, les oiseaux, le soleil.

La masse verte du fleuve continue de passer, comme une seule pensée sans vagues, presque sans plis, avec des moires luisantes et grasses. Christophe ne la voit plus ; il a fermé tout à fait les yeux, pour mieux l'entendre. Ce grondement continu le remplit, lui donne le vertige ; il est aspiré par ce rêve éternel et dominateur. Sur le fond tumultueux des flots, des rythmes précipités s'élancent avec une ardente allégresse. Et le long de ces rythmes des musiques montent, comme une vigne qui grimpe le long d'un treillis : des arpè­ges de claviers argentins, de violons douloureux, des flûtes veloutées aux sons ronds... Les paysages ont disparu. Le fleuve a disparu. Il flotte une atmosphère tendre et crépusculaire. Christophe a le cœur tremblant d'émoi.

Que voit-il maintenant ? Oh ! les charmantes figures !... Une fillette aux boucles brunes l'ap­pelle, langoureuse et moqueuse... D'autres souri-

Page 57: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

res, d'autres yeux... Et la plus chère de toutes, celle qui lui sourit avec ses clairs yeux gris, la bouche un peu ouverte, ses petites dents qui bril­lent... Ah ! le beau sourire indulgent et aimant ! Il fond le cœur de tendresse ! Qu'il fait du bien ! Qu'on l'aime ! Encore ! Souris-moi encore ! Ne t'en va point !... Hélas ! il s'est évanoui ! Mais il laisse dans le cœur une douceur ineffable. Il n'y a plus rien de mal, il n'y a plus rien de triste, il n'y a plus rien... Rien qu'un rêve léger, une musique sereine, qui flotte dans un rayon de soleil...

Ill - QUELLE GRAMMAIRE ENSEIGNER ?

La finalité de l'enseignement grammatical : la stylistique

I. — ECOLE NORMALE D'INSTITUTRICES DE CHATEAUROUX

Ecole de filles Beaulieu — Nord — J. Ferry C.M.2.

a) Le conditionnel présent et passé première forme.

Six séances de travail sont prévues pour étudier « une forme particulière d'énoncé », pour « décou­vrir les caractéristiques sémantiques » qui carac­térisent « les formes d'expression » d'un fait incer­tain. Après une « lente pénétration orale » à tra­vers de multiples emplois, la série d'exercices débouche sur l'écriture du conditionnel dans la graphie correcte de ses formes verbales.

La motivation est recherchée : l'incitation à l'ex­pression écrite et orale prendra sa source dans une émission de télévision scolaire qui fournira le thème et le support concret des exercices dans leur déroulement. Les élèves vont être invitées à classer « les choses » en deux catégories : le cer­tain, le possible.

L'imprégnation de la graphie correcte est le cons­tant souci de la maîtresse qui écrit elle-même au tableau les énoncés parfaitement formulés.

C'est par un approfondissement de « la valeur sémantique » de ce que l'on exprime, que le pre­mier classement va être suivi d'un second plus

Les burgs ruinés : vieux châteaux en ruines (mot allemand).

Des moires : étoffe à reflet changeant et ondulé.

Ineffable : qui ne peut être exprimée par des paroles.

Io) — Donner un titre à ce texte.

2°) — Ce voyage, cette évasion sont-ils réels ou imaginaires ?

subtil : afin de « distinguer les événements dont la réalisation est tout à fait impossible de ceux qui peuvent devenir possibles». On imagine, on rêve, on fait un vœu communément exprimé : si j'avais de l'argent... : la moisson des énoncés passe de dix-neuf dans le premier temps à trente dans le second qui vont servir, en un troisième temps, à tout un travail méthodique d'observation, de comparaison, de constats tant « sur le plan expres­sif que sur le plan graphique » en rapport étroit avec l'intonation et la diction. Les élèves en indui­sent aisément « les règles d'emploi » du condition­nel présent en correspondance temporelle avec l'imparfait de l'indicatif, du futur simple, lorsque la condition est émise au présent de l'indicatif.

« La recherche se termine par la construction de phrases orales commençant par si, ou dont la condi­tion est exprimée au conditionnel présent (« j'aurais cent millions, j'aiderais les malheureux») afin de permettre aux élèves de savoir bien utiliser les particularités modales de la langue.

Ce n'est qu'à la quatrième séance que la conju­gaison systématique du présent du conditionnel sera introduite par des exercices à trous.

La même méthode sera appliquée avec la même optique en ce qui concerne « la valeur usuelle » du conditionnel passé, première forme, pour « l'ex­pression d'un événement totalement impossible situé dans le passé ».

Des remarques sont faites par les élèves sur la fréquence remarquable de l'emploi du conditionnel dont « toutes les formes sont convenables dans la langue orale », mais dont le passé première forme

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Page 58: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

est rencontré plus particulièrement dans le rap­port écrit, le texte littéraire ou l'article de presse de bonne tenue.

b) Le complément de manière (C.M.l. et C.M.2.)

Nous trouvons dans cette fiche la même préoccu­pation stylistique qui caractérise la fiche précé­dente : le but est « d'apprendre à exprimer les diverses façons... ». Cependant l'objet immédiat de la leçon est l'étude de la phrase, à partir d'un énoncé proposé par le maître, dans le cadre d'un thème motivant pris à l'actualité : les jeux olym­piques d'hiver.

Quelques réserves importantes pourraient être faites sur deux points :

Io) la définition « mentaliste » du complé­ment circonstanciel caractérisé grammatica­lement par « la manière » ou « les différentes façons » d'accomplir la même action « et par sa « relation étroite avec le sujet (tous ne s'y prenant pas de la même façon pour accomplir cette action) » ;

2°) le « découpage » de la phrase en groupes de mots qui précède la décomposition en syntagmes ou groupes fonctionnels : le décou­page est une opération matérielle ; la décom­position est le résultat d'une analyse fonc­tionnelle. La précision des termes fait res­sortir un problème de méthodologie.

Le déroulement de l'exercice appelle les remar­ques suivantes : La recherche de « l'ossature de la phrase » ou de l'énoncé minimal se situe dans une démarche d'ordre syntaxique ; « les autres groupes » consi­dérés comme « indiquant la façon de s'y prendre » déplacent la démarche sur le plan sémantique : la confusion des deux plans est manifeste.

De même, la « recherche d'équivalences » et « la permutation des compléments de manière » qui pourraient être utilisées pour caractériser le cir­constanciel syntaxiquement, débouchent sur « six façons de dire » plus ou moins « belles » et dix-huit phrases différentes parmi lesquelles seront rete­nues « les meilleures ». La notion de segments commutables, plus ou moins autonomes, n'est pas abordée. « La place des groupes » est justifiée par la « mise en évidence » d'une « chose importante, prioritaire », en rapport avec la situation qui régit la « relation complément de manière — sujet ». Là encore l'initiation grammaticale gagnerait en clarté à ne pas confondre l'analyse sémantique et l'analyse syntaxique distributionnelle et struc­turale, ou generative. La stylistique n'aurait pour sa part rien à y perdre.

2. — ECOLE NORMALE D'INSTITUTRICES DE LIMOGES C.M.l. (Madame MALOSSANE)

Grammaire et stylistique : l'expression de la manière (1)

a) Introduction :

Le projet de progression grammaticale proposé par la Commission Rouchette pose en principe « la primauté des fonctions » et l'approche fonc­tionnelle dans l'initiation à la grammaire. Accep­tant d'entrée de jeu cette hypothèse, Madame Malossane va s'efforcer de la mettre en œuvre en adoptant une perspective orientée vers la sty­listique et une méthode s'inspirant de la linguis­tique à la fois et de la psycho-pédagogie. On tien­dra le plus grand compte des « réalités du dis­cours » qui s'opposent au cloisonnement artificiel d'une approche syntaxique. On procédera en pas­sant « d'une fonction à l'autre » et, par l'applica­tion de la méthode comparative, on mettra en évidence les traits pertinents de chaque fonction par les oppositions et les analogies qu'elles peu­vent présenter lorsqu'elles sont replacées dans « le système de la langue».

La progression qui est l'objet de la recherche — et non pas un programme — se fondera donc sur « la structure de la langue » d'une part et sur « les réactions des élèves » d'autre part.

L'étude va porter sur quatre fonctions gramma­ticales habituellement isolées par l'enseignement traditionnel de la grammaire française et qui vont ici être étudiées conjointement au cours d'une période de quatre mois. On passera de deux fonc­tions du « système verbal » — le complément de manière et l'attribut — à deux fonctions du « groupe nominal » — l'épithète et le complément de nom.

La technique employée pour Inobservation du système de la langue dans ses « positions » ses « rapports » et ses « valeurs » est simple : elle repose sur le jeu « ressemble et s'oppose ».

La méthode d'approche des notions grammatica­les aura son point de départ dans « la connaissance intuitive, empirique », que les jeunes enfants pos­sèdent de la langue qu'ils parlent. La compréhen­sion, la connaissance réfléchie, prendront leur source dans « le plaisir de comprendre ce que l'on fait » qui constitue la motivation la plus « naturel-

(1) Dans la nécessité de faire un choix dans la contri­bution très substantielle de l'E.N.F. de Limoges, nous présentons quatre fiches caractéristiques du travail en­trepris.

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Page 59: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

le » des exercices de grammaire. Elle sera d'autant plus naturelle que les nombreux exemples sur lesquels on « travaillera » seront « pris dans les textes libres des élèves » dans leur propre produc­tion d'auteurs, affectant chacun d'un intérêt tout personnel pour un contenu et une expression qui les touchent.

b) La circonstance : l'expression de la manière (série G N° 7)

Les intentions sont claires : elles se situent sur deux plans : — le plan grammatical et formel, faire apparaître « l'unité de la relation grammaticale » à travers « la richesse des variantes » équivalentes : l'adver­be — le complément avec préposition — le com­plément sans préposition — la proposition de forme participe ou infinitive.

— le plan stylistique — celui du discours ou de la performance des linguistiques — où « la pensée doit toujours frayer son chemin particulier » en choisissant parmi les diverses formes d'expres­sion possibles.

La méthode est dialectique avec une préférence marquée pour la démarche logiquement structurée et conduite.

Sur le plan grammatical, la pratique de substitu­tion permet de constater l'équivalence fonction­nelle des formes différentes.

Sur le plan stylistique — auquel les élèves revien­nent « d'elles-mêmes » — « une forme est toujours préférable à une autre », parce qu' « elle exprime mieux l'idée » ou que « l'attaque sur la consonne imite... » ou encore qu' « en parlant » on dirait plutôt... et que, « par écrit », telle forme serait préférable, ces formes n'étant « pas indifférentes pour exprimer les nuances de l'idée », et leur dis­tribution pour réaliser « l'équilibre » de la phrase.

Tout au long des sept exercices présentés, élèves et maîtres passeront naturellement d'un plan à l'autre, par une dialectique constante, s a n s jamais les confondre. L'initiation grammaticale apparaît comme le moyen privilégié préparant aux « prolongements pédagogiques » qui portent sur des exercices de style, exercices de synthèse, exer­cices de contrôle, finalité profonde de l'enseigne­ment du français à tous les degrés.

c) Exercices d'observation grammaticale (série G N° 10 et 11)

Ces deux fiches, extraites d'une série continue et méthodiquement structurée de treize fiches propo­

sant une progression d'initiation grammaticale au cours moyen, illustrent les intentions et la méthode exposées ci-dessus.

En partant du complément de manière, l'observa­tion est passée aux « diverses formes de l'attribut », de l'expression de « la manière d'agir » à celle de « la manière d'être ». Les fiches 8 et 9 présentent diverses approches de « la fonction attribut dans sa forme la plus simple : sujet + verbe être + prédicat». Les phrases rencontrées, toujours ana­lysées conjointement du point de vue syntagma-tique et formel, et du point de vue de la valeur d'emploi, ont amené élèves et maîtresse à décou­vrir sous une même forme deux valeurs de l'attri­but, une valeur adjective et une valeur verbale : c'est cette dernière qui va faire l'objet des fiches 10 et 11.

L'intérêt de la fiche 10 réside dans la critique d'une leçon confiée à une élève-maîtresse : les erreurs de méthodes relevées font ressortir que « pour un enfant du G.M. la possibilité de deux interprétations possibles (d'une structure du type « mes voisins sont sortis ») est difficilement conce­vable, « bien que » des enfants de 9 à 10 ans distinguent implicitement ces deux valeurs du fait qu'elles les utilisent convenablement en parlant ».

Pédagogiquement, « nous en retenons l'avertis­sement » déclare Madame Malossane. « Le champ d'observation des faits du langage doit être limité d'avance par le maître, si soucieux qu'il puisse être de laisser l'initiative de la découverte (aux élèves) ». « Les notions grammaticales acces­sibles à chaque niveau mental doivent être décou­vertes par une observation lente, patiente, de la situation et des formes de langage qui les tradui­sent ».

Ecole Normale d'Institutrices de CHATEAUROUX Ecole de Filles Beaulieu-Nord : Jules-Ferry

LE CONDITIONNEL présent et passé première forme six séances de travail au C.M.2

La série d'exercices détaillés ci-après se promet­tait de pénétrer peu à peu toutes les formes d'ex­pression d'un fait incertain, d'un souhait, d'un rêve pour cerner peu à peu une forme particu­lière d'énoncé : le conditionnel.

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Page 60: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Cette forme particulière mise en valeur, l'inten­tion était ensuite d'en découvrir les caractéristi­ques sémantiques les plus habituelles.

L'écriture du conditionnel est venue après cette lente pénétration orale opérée grâce à de multi­ples emplois de la langue orale commune.

A aucun moment, l'attention ne s'est relâchée au cours de ces séances qui ont duré chacune de 20 à 30 minutes. Les résultats définitifs semblent positifs : — recherche de la correction de la forme, de la

correction de la graphie.

Des séances du même ordre se promettent d'abor­der l'enseignement du mode subjonctif.

Iro LEÇON :

distinguer l'énoncé d'un événement certain de l'énoncé d'un événement incertain.

Motivation :

l'émission T.V.S. : devant la vitrine (4.3.68).

Mise en œuvre :

après l'émission T.V.S., les enfants ont écrit sur brouillon les remarques, impressions, désirs, com­paraisons suscités par l'émission. Ce sont ces remarques écrites, auxquelles s'ajouteront des remarques orales supplémentaires que les élèves vont être invitées à classer en deux catégories : 1 — c'est sûr : les choses sont ou ne sont pas ; 2 — c'est possible : les choses pourraient être...

ou imaginer... ce dont nous rêvons.

Deux colonnes sont dressées sur tableau noir ; l'enfant doit indiquer dans quelle colonne doit se classer la phrase qu'elle propose en justifiant son choix. Les autres élèves approuvent ou corrigent — la maîtresse écrit au tableau afin qu'une graphie correcte soit peu à peu et inconsciemment imprimée dans la mémoire visuelle des élèves.

Voici à titre d'exemples ce qu'on a pu relever :

1 — C'est sûr, les choses, sont ou ne sont pas

1 — Les quartiers sans vitrines sont tristes. 2 — Une vitrine anime la rue. 3 — A Beaulieu, les magasins ne sont pas assez

dispersés. 4 — Il n'y a pas assez de magasins à Beaulieu. 5 — Il n'y a pas de librairie pour étudiants. 6 — Ma tante va me donner de l'argent et j 'achè­

terai un disque de Bach.

2 — C'est possible : les choses pourraient être... on imagine... on rêve...

7 — Il n'y aurait pas de vitrine : ce serait triste ! 8 — Supposons qu'il n'y ait pas de vitrine : ce

serait triste. 9 — Les vitrines devraient être alignées au long

des rues au lieu d'être groupées au centre commercial.

10 — Si les magasins étaient disposés comme on l'aimerait, on se promènerait avec plaisir dans la cité de Beaulieu.

11 — Si le petit garçon de l'émission était riche, il achèterait tous les jouets.

12 — S'il y avait un grainetier à Beaulieu, je lui achèterais des perruches.

13 — J'aimerais avoir une poupée savante. 14 — S'il y avait de nombreux magasins à Beau-

lieu, on n'aurait pas besoin d'aller en ville. 15 — Si je pouvais attraper ma sœur! 16 -— S'il y avait une piscine, j'irais me baigner.1

17 — Je te jure que si un jour, je gagne à la lote­rie, j'achète une maison sur la Côte et je passe le reste de ma vie à ne rien faire.

18 — Si je recevais de l'argent j'achèterais un hamster.

19 — Si je reçois de l'argent, j'achète une bicy­clette.

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Page 61: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

2» LEÇON :

on va reprendre la rubrique 2 de la leçon précé­dente (événements incertains) afin de distinguer et de classer les événements en deux catégories : ceux dont la réalisation est totalement impossible, ceux qui peuvent devenir possibles.

Puis les enfants vont être invitées à réfléchir plus particulièrement à toutes les façons d'exprimer le

On trouve ainsi :

On suppose que les choses peuvent : arriver ainsi, on rêve... mais réalisation tout à fait impossible.

1 — Si j'avais vécu au temps des gaulois, j'aurais habité dans une hutte...

(On constate que la supposition se situe (dans le passé, donc elle est totalement (irréalisable ; d'autres nombreuses suppo­sitions du même genre seront énoncées avec (même conclusion. On remarque aussi que (l'hypothèse est exprimée à un temps com-(posé.

* * *

rêve (la réalisation impossible ou possible) à partir d'un vœu communément exprimé : si j'avais de l'argent : cent millions (ex. N° 17 de la leçon pré­cédente).

Même mise en œuvre que la veille ; on exprime, on réfléchit à la valeur sémantique de ce que l'on vient d'exprimer, on classe, le groupe approuve ou corrige, l'institutrice se charge de la graphie au tableau noir.

On suppose... on rêve... cela peut tout de même arriver, se réaliser — ce n'est pas tout à fait impossible

6 — Si j 'ai cent millions, je voyagerai... j 'achè­terai...

7 — Avec cent millions, je voyagerais, j 'achè­terais...

8 — Cent millions ? je voyage... 9 — Qu'on me donne cent millions et...

(On remarque qu'ici on s'installe dans (l'hypothèse et qu'on s'y voit agissant com-(me si on se trouvait devant une réalité.

Si j'avais cent millions : je voyagerais, j'achè­terais un château, je ne travaillerais pas.

2bis — Si j'avais plus tard cent millions, je voya­gerais... etc..

(Ici on discute pour savoir s'il s'agit de cent (millions tout de suite, à présent, ou plus tard (car une élève remarque qu'on ne peut préjuger (de l'avenir — donc il convient de classer cette (phrase dans deux colonnes, selon le sens présent (ou futur que l'on prête à l'énoncé.

3 — Avec cent millions ? je voyagerais, j 'achè­terais...

4 — Cent millions ! je voyagerais... j'achèterais... 5 — Et quand bien même j'aurais cent millions.

(L'institutrice fait porter l'attention sur (l'intonation particulière qui s'attache à (chaque énoncé.

10 — Cent millions : voilà de quoi voyager, être riches !

11 — Je me demande bien si j 'aurai cent millions un jour. (ces deux exemples sont remarqués comme (des constatations, des interrogations indi­catives : on n'est plus dans le domaine du (rêve mais du constat : ( — je me demande ; ( — je suis en train de me demander (mimique : regardez-la en train de se (demander.

Au cours de tout l'exercice la diction, l'intonation, la lecture des exemples écrits ou exprimés sert à faire sentir les mille nuances de l'hypothèse et de ses possibilités ou impossibilités de réalisation dans le passé, le moment où l'on parle et l'avenir.

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3' LEÇON :

Emploi du conditionnel présent ou du futur sim­ple ?

Les exemples 2 et 2 bis de la leçon précédente vont être comparés à l'exemple 6, tant sur le plan

(Si j'avais cent millions, (j'aiderais les malheu­r e u x . (Si nous avions cent mil­l ions, nous aiderions les (malheureux. (J'aurais cent millions, (j'aiderais les malheu­r e u x . (Nous aurions cent mil-(lions, nous aiderions...

Après de nombreux autres exemples oraux aux­quels les enfants s'amusent, on constate que :

1 — Si la condition est émise à l'imparfait, le verbe principal est exprimé à un temps inconnu qui ressemble à la fois au futur sim­ple et à l'imparfait de l'indicatif : ce temps est le présent du conditionnel, que l'on nom­me ici pour la première fois.

La condition peut être émise également au conditionnel, mais sans la conjonction si — il est correct de dire : « si j'avais » ; il est incorrect de d i re : «si j 'aurais», alors qu'on trouve souvent cette mauvaise forme dans la langue dégradée.

2 — Si la condition est émise au présent de l'indi­catif, le verbe principal est exprimé au futur simple de l'indicatif.

expressif que sur le plan graphique. L'emploi de la première personne du pluriel permettra de mettre en valeur la différence de graphie existant entre le futur simple et le conditionnel présent.

Même mise en œuvre que précédemment :

Evénement dont la réali­sation semble tout à fait impossible.

Remarques sur le temps de la condition : imparfait de l'indicatif.

prononçons bien l'hypothèse : « ai — de — rions »

L'intonation n'est pas tout à fait la même dans les deux cas : « Si j'avais » appartient au domaine du rêve, du soupir, « si j 'ai » appartient au domai­ne de l'exclamation, de la déclamation.

L'emploi des personnes (1™ et 2*) du pluriel per­met de distinguer les nuances de graphies entre le conditionnel présent et le futur simple.

La recherche se termine par des recherches orales de phrases commençant par si ou par la condition exprimée au conditionnel présent afin de permet­tre aux élèves de savoir bien utiliser les particu­larités modales de la langue.

**

« nous

(Si j 'a i cent millions, j ' a i -(derai les malheureux. (Si nous avons cent mil­l ions, nous aiderons les (malheureux.

Evénement apparemment plus probable — la condi­tion est exprimée au pré­sent de l'indicatif

prononçons l'hypothèse : « ai — derons »

nous — 2

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Page 63: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Une 4e séance est consacrée à l'écriture (conju­gaison systématique ou emploi dans exercices à trous) du présent du conditionnel.

A la distinction entre l'emploi du présent du conditionnel ou du futur simple de l'indicatif — exercices traditionnels — on remarque que le temps futur n'existe pas dans le mode condition­nel mais que, quelquefois, sous la graphie du présent, on sous-entend un sens futur : maintenant : si j'avais cent millions, j'aiderais les

malheureux, j'enverrais des colis aux Indes etc. .

si un jour : j'avais cent millions, j'aiderais etc..

*

4 BIS :

Les élèves sont invitées à rédiger un paragraphe développant ce rêve : « si j'étais grande...». (Exemples joints non corrigés).

*

5' LEÇON :

Le passé lpe forme : valeur usuelle dans l'énoncé d'un événement totalement impossible puisque p l a c é dans le passé.

I. — Reprises d'exemples d'élèves : — Si j'étais née au Moyen-Age, j 'aurais porté une

robe longue ; — Si j'avais vécu au temps des Gaulois, j 'aurais

habité dans une hutte ; — Si papa avait su, il se serait soigné dès qu'il

s'est senti fatigué ; — Si j'avais été Louis XIV, je n'aurais pas... etc.. ;

D'une foule d'exemples, il ressort à la réflexion que nous énonçons des événements totalement im­possibles dans leur réalisation. Ils ont de commun qu'ils se situent dans le passé résolu ; une élève fait remarquer qu'on ne peut retourner en arrière. La comparaison d'exemples donnés sous deux formes : (Si papa savait, il se soignerait ; (Si papa avait su, il se serait soigné etc. . ; met en valeur la différence des temps employés dans l'énoncé de la condition et des temps em­ployés pour exprimer le verbe principal.

On dit aussi : — « Si j'avais su... »

2. — Conjugaison systématique du passé 1™ forme et emploi dans différents exercices écrits selon la méthode traditionnelle.

3. — Remarques sur l'emploi du passé lre forme dans des jeux d'enfants : « On aurait eu une petite fille — elle serait partie à l'école ;

Comme du présent du conditionnel : « Ceci serait la maison, tu me dirais bon­

jour — tu rentrerais.

Les élèves sont tout étonnées de constater qu'elles emploient tellement le conditionnel.

6e LEÇON :

Le passé 1" forme : valeur particulière dans l'énoncé de faits dont on n'est pas sûr : informa­tions — témoignages.

Motivation : l'émission T.V.S. : les illusions.

Souvent, nos sens nous trompent, il faut donc exprimer avec prudence ce que nous croyons voir ou avoir vu, en particulier lorsqu'il s'ensuit des conséquences juridiques (accidents par exemple).

Mise en œuvre : un exemple est mimé devant les élèves :

.. I deux élèves sont invi-un cycliste \ t e e s a m imer une

— un automobiliste ) infraction au code de ! la route.

On relève qui a tort ou raison (penser aux conclu­sions du tribunal de première instance qui délibé­rera dans un sens ou dans l'autre selon les témoi­gnages).

Avons-nous bien vu ? employons prudemment le temps privilégié pour cette forme de rapport — nous constatons qu'il s'agit du passé lre forme.

Que doit-on dire :

— Le cycliste n'a pas dû signaler son intention de tourner mais je n'en suis pas sûre ;

— Il me semble que le cycliste s'est jeté sous la la voiture ;

— Le cycliste se serait jeté sous la voiture qui n'a pu l'éviter ;

Ç9

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— Il semble que le cycliste n'aurait pas signalé son intention de tourner.

Si toutes ces formes sont convenables dans la langue orale, nous garderons le passé lre forme pour le rapport écrit ou l'article journalistique.

Rédaction en commun :

Hier, un accident qui aurait pu coûter la vie... un jeune cycliste se serait jeté... heureusement il n'y a eu que...

Après cet exemple élaboré en commun, on va procéder en application à un exercice semblable, mimé, dont les élèves devront établir le compte-rendu écrit à fin de lecture aux informations radio-télévisées. Le jeu de témoignages concer­nant l'événement invite à la plus grande circons­pection quant à l'expression — implication : emploi du passé 1" forme (exemples joints).

* * *

Ecole Annexe

ECOLE NORMALE D'INSTITUTEURS DE CHATEAUROUX

CLASSE : Cours Moyen 1' DATE : Février 1968

et 2 A

FICHE PEDAGOGIQUE

Titre de la leçon : Le Complément de Manière

Place dans la progression : ont été étudiés le lieu, le temps. C'est la première leçon sur la manière.

But : Apprendre à exprimer les différentes façons (ou manières) d'accomplir la même action. Faire sentir (sans insister) que ce complément du verbe a ceci de particulier : il est en relation étroite avec le sujet (tous ne s'y prenant pas de la même façon pour accomplir la même action).

Place dans la semaine du Français :

Thème : Les jeux olympiques d'hiver. Sport de neige. Leçon déjà faite (mi-expression orale, mi-vocabulaire). On fait du ski.

Durée prévue : 45 minutes.

I.

DEROULEMENT DE LA LEÇON

Phrase de départ

« En prenant bien soin de ne pas faire de fautes de carres, les skieurs prennent leurs virages à toute vitesse ». Cette phrase est proposée par le maître.

II. — Etude de la phrase

a) compréhension. On rappelle ce qu'est une faute de carre, les risques qu'elle présente. On mime avec les mains les positions des carres dans un virage. On explique pourquoi il faut aller vite.

b) mémorisation

c) découpage de la phrase

Les élèves trouvent 5 groupes (sauf quelques élèves du C.M.l qui ne détachent pas l'objet du verbe et laissent « prennent leurs virages » ) ; On obtient :

En prenant bien soin de ne pas faire de fautes de carres,

les skieurs prennent leurs virages

à toute vitesse (1)

d) Ossature de la phrase

Les élèves cherchent et trouvent les trois groupes que l'on ne peut modifier sans dénaturer la phra­se. « Les skieurs prennent leurs virages » ; les autres groupes indiquent la façon de s'y pren­dre, la manière.

III. — Recherche d'équivalences

a) à toute vitesse

Les élèves trouvent que l'on peut dire aussi, sans changer de sens : — à toute allure — à la vitesse d'un éclair — comme un éclair

(1) Emploi de couleurs symboliques : V = Rouge S = Bleu O = Jaune C.C. Manière - Vert

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Intervention du maître : remplacer ces trois mots par un seul

les élèves trouvent : — très rapidement — vite

Vite est repoussé : à l'oreille, le dernier groupe est trop court et la phrase n'est pas belle.

On ajoute « très » devant.

Intervention du maître : Que fait votre père au volant de sa voiture avant de prendre un virage ? Il freine, il ralentit (trouvé par les élèves). Les skieurs ? sans ralentir.

On s'arrête à ces six façons de dire (celles qui sont soulignées).

b) En prenant bien soin de ne pas faire de fautes de carres

On remarque d'abord la nécessité de la virgule On trouve avec précaution en évitant les fautes de carres en essayant de ne pas faire des fautes de carres avec précaution est élimité : il manque une préci­sion importante : les fautes de carres

On s'arrête à 3 façons de dire (celles qui sont soulignées).

c) choix de meilleure phrase

Le maître, au passage, fait calculer qu'avec les expressions trouvées, on peut écrire 18 phrases différentes.

2 phrases seulement sont écrites par les élèves :

(1) la phrase de départ ; (2) « En évitant les fautes de carres, les skieurs

prennent leurs virages sans ralentir ».

IV. — Importance de la place des groupes

les deux phrases retenues ? Mise en évidence par la place en avant bien détachée (virgule).

— permutation des compléments de manière. (dans la 2" phrase retenue, permutation proposée par un élève). (2) « Sans ralentir, les skieurs prennent leurs virages en évitant les fautes de carres ». Souci majeur du skieur : aller vite, ne pas perdre de temps dans les virages indiqué par la place en avant de « sans ralentir », bien détaché (virgule) ; « en évitant les fautes » de carres devient un souci secondaire.

V. — Relation complément de manière-sujet, selon la situation.

Le maître propose de remplacer les skieurs

par le nom de 2 skieurs. 2 excellents et 2 moins bons.

On obtient les « équipes » :

a) J.-C. Killy et L. Lacroix : célébrités ; b) Tartempion et Machinchouette : inconnus, inconnus.

Laquelle de chacune des 2 phrases (1) et (2) conviendrait mieux à chaque équipe ? — la phrase (1) est la phrase de départ, la phrase (2) est celle avec permutation des C.C.M.). — 14 des 17 élèves attribuent la phrase (1) à l'équipe b, 14 attribuent la phrase (2) à l'équipe a. Pourquoi ?

— J.-C. Killy et L. Lacroix savent très bien skier, ils ne font pratiquement pas de fautes de carres. Ils sont capables de prendre des virages sans ralentir. Ils veulent gagner, ils cherchent à aller le plus vite possible, ce qui importe pour eux c'est de ne pas ralentir.

— les deux autres skieurs veulent surtout ne pas tomber. Ils attachent une importance particulière à ne pas tomber, d'où le soin qu'ils apportent à ne pas faire de fautes de carres, mis en évidence par sa place. La vitesse est un moindre souci.

Les 45 minutes sont écoulées à ce moment.

— pour prendre un virage à ski, il ne faut pas tomber ; une faute de carres fait tomber. Ne pas faire de fautes de carres est la chose importante, prioritaire (avant tout). Est-ce bien sensible dans

VI. — Prolongements prévus de la leçon (au moins deux séances)

a) Reprendre la structure de cette phrase

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Page 66: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

vert bleu

b) composer des phrases de même structure :

• avec ossature donnée • avec c. c de manière donnés • en laissant le libre choix de chaque groupe

c) pour une même action

• avec des sujets différents, trouver des ma­nières différentes et en rapport avec le sujet

• avec des manières différentes, trouver des sujets différents et en rapport avec la manière

E.N.F. — LIMOGES

Mme MALOSSANE Prof, de Lettres

C.M.1. Série = G

INTRODUCTION

Notre méthode peut se définir par l'importance de 3 points

I. — LA PROGRESSION SUIVIE

Ne pas confondre programme et progression

L'un établit une somme de connaissances sans préciser le point par où elle doit être abordée. L'autre trace une voie qui devrait être révélatrice. Dans les manuels traditionnels on étudie séparé­ment les fonctions et les parties du discours, ce qui pose déjà la question : par où commencer ? Les instructions du projet Rouchette ont tran­ché le débat en affirmant la primauté des fonc­tions. Inutile d'y revenir.

Mais dans ces mêmes manuels, les fonctions elles-mêmes sont séparées ou présentées dans un ordre arbitraire. Pourquoi commencer par les complé-

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3 aune vert

ments du verbe plutôt que par ceux du nom, ou vice versa, si on n'établit pas de rapport entre les deux ? Prétendre que les fonctions du système verbal sont essentielles tandis que celles du grou­pe nominal sont accessoires, c'est méconnaître les réalités du discours.

Contre ce cloisonnement, nous optons pour le pas­sage d'une fonction à l'autre, guidée en cela, à la fois par la structure de la langue et par les réac­tions des élèves.

Le système de la langue forme un tout dont les éléments sont liés par deux sortes de rapports :

— rapports de ressemblance (ou de parallé­lisme) ;

— rapports d'opposition.

Par exemple : Í au pronom

le substantif ressemble et s'oppose < à l'adjectif ( au verbe

| / à la fonction : / La fonction attribut^ complément de manière

ressemble . à l a f o n c t i 0 n : et s oppose I épithète ou complément

' de nom

La fonction épithète ressemble et s'oppose à la fonction complément de nom :

un tissu en soie un tissu soyeux

Des élèves entraînées à réfléchir sans cadre préconçu sont frappées par ces rapports et ce sont elles, aussi bien, qui nous ouvrent la voie par leurs questions ou leurs erreurs significatives.

Nous présentons ici une progression qui s'étend sur quatre mois de travail environ.

Nous sommes passés : d'une fonction du système verbal à verbe actif : le complément de manière

(1) C'est le sujet de cette étude.

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à une fonction du système verbal à verbe d'état : l'attribut puis à une fonction du groupe nominal l'épithète et le complément de nom.

Si nous avions organisé le travail dans cette classe dès le mois d'octobre, nous aurions pu sui­vre aussi deux rameaux symétriques de ce der­nier à partir du complément de temps et du com­plément de lieu. Nous aurions pu retrouver en position de complément de nom, des groupes de mots que nous aurions vus avant en position de complément de verbe.

— Il est entré à l'E.N. à 15 ans.

— son entrée à l'E.N. à 15 ans.

Ajoutons que la progression peut aussi se faire par bifurcation et pas seulement par filiation directe. C'est ainsi qu'à partir de la forme : auxi­liaire être -f- participe passé, que nous avons rencontrée dans l'exemple : « Les crêpes sont finies », nous avons entraîné les élèves à distin­guer les trois valeurs de cette forme :

— l'état : les crêpes sont finies.

— le passé (composé) : mes voisins sont partis en vacances à 11 heures.

— le passif présent : le troupeau est conduit par le gros chien noir.

II. — LE CHOIX DES EXEMPLES

a) ils sont pris dans les textes libres des élèves.

La compréhension des notions grammaticales en est facilitée du fait qu'elle se base sur une pre­mière connaissance intuitive, empirique, la con­naissance qu'on a de la langue qu'on parle.

De plus, la grammaire trouve ici sa justification la plus naturelle : le plaisir de comprendre ce qu'on fait qui vous élève sur un autre plan de connaissance : la connaissance réfléchie.

Dans les deux classes de CM. 1 où notre métho­de est appliquée, les élèves aiment particulière­ment les exercices de grammaire, preuve que ce plaisir est déjà naturel à l'âge du CM.

Conséquence : les questions du programme doi­vent être en liaison directe avec la matière four­nie. On doit étudier les formes qui viennent natu­rellement sous la plume des enfants.

Par exemple, les expressions de la manière, du temps et du lieu abondent au CM. 1 alors que les rapports de cause et de conséquence y sont très rares. Sur ce point nous sommes donc d'ac­cord avec le projet Rouchette. Par contre, nous pensons que l'étude de la fonction attribut est justifiée par le fait que c'est une forme d'ex­pression très fréquente à cet âge et même dès le CE. où on la trouve beaucoup plus souvent que le nom complété. Entre 6 et 9 ans, les élèves écri­vent : « ma maman m'a acheté une poupée. Elle est blonde. Elle ferme les yeux » et non : « ma maman m'a acheté une poupée blonde qui ferme les yeux ».

b) nous travaillons sur une grande variété d'exem­ples pour fixer chaque notion nouvelle. Et cela dès l'abord et pas seulement dans les exercices d'application. Nous pouvons emprunter leur dé­marche aux mathématiques modernes quand elles fixent un concept à l'Ecole Maternelle en l'asso­ciant à des objets très divers : l'ensemble des enfants qui portent un pantalon. En grammaire, le concept à fixer est une forme ou un rapport et il sera d'autant mieux perçu qu'il sera associé à une grande variété de cas. On percevra la rela­tion et pas seulement le sens d'une situation.

Par exemple, si je veux enseigner la notion d'attribut et que j 'arrête longuement l'observation à l'exemple le plus simple, le plus typique : le ciel est bleu, je bloque l'esprit sur une forme unique dont l'élève ne verra pas la parenté avec d'autres que je lui donnerai plus tard à analyser. Croyant faciliter la compréhension, je l'ai contra­riée.

III. — NOUS ASSOCIONS GRAMMAIRE ET STYLISTIQUE

Nous pensons que la prise de conscience de la valeur d'une forme peut trouver son efficacité sur le plan de l'usage, même à l'Ecole Primaire.

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Page 68: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Ecole Normale de Filles de Limoges

Ecole d'appiication : Jules Ferry

Cours : C.M.I à partir du : 27-1-1968 (travail pour deux semaines) Série G (N° 7)

GRAMMAIRE ET STYLISTIQUE

La circonstance : l'expression de la manière

I. — SITUATION DE L'EXERCICE : Cette étude fait suite à celle des notions de lieu et de temps jugées plus simples du point de vue des enfants.

II. — INTENTIONS PEDAGOGIQUES : faire ap­paraître :

— L'unité d'une relation grammaticale : la ma­nière d'agir

— la richesse de ses variantes sur le plan formel :

l'adverbe, le complé­ment avec préposi­tion, le complément sans préposition, la proposition participe, la proposition infini­tive

sur le plan stylistique : la pensée doit toujours se frayer son chemin particulier à travers ces formes.

Pour cela, un regroupement de toutes les varian­tes de la relation nous a paru nécessaire dans le cadre de quatre séances de travail (au minimum).

Notre hypothèse de travail : cette méthode pré­férée à celle qui exploiterait dans l'ordre du hasard, toutes les occasions d'exprimer la ma­nière.

III. — POINT DE DEPART.

1) Principe : L'exercice devient possible quand on a pu réunir une provision suffisante d'exem­ples dans les textes libres rédigés par les enfants eux-mêmes (2 à 3 semaines). Alors : prise de conscience systématique d'un rapport intuitive­ment et abondamment exprimé au préalable

2) Préparation :

a) on choisit des exemples aussi variés que pos­sible d'expression de la manière.

b) on les groupe pour obtenir au moins deux exemples de chaque forme :

— l'un pour l'explication de base — l'autre pour le contrôle de l'acquis

Le premier (texte de base) est écrit d'avance au tableau mais reste caché ou sera écrit au moment voulu par un élève.

Le deuxième est entre les mains des élèves (dans la collection de leurs textes individuels corrigés collectivement ).

c) Le maître a noté les noms des « auteurs » pour revenir au contexte quand besoin est.

d) Il repère dans les textes non corrigés de la semaine des cas où le complément de manière — manque — est impropre — est incorrectement exprimé.

Cette préparation est laissée en attente jusqu'à ce que la provision soit suffisante pour alimenter une séance de travail complémentaire de celle-ci (dans le plus bref délai).

IV. — DEROULEMENT DE L'EXERCICE.

Premier exemple : péniblement, je me relève (contexte : en cherchant des champignons). « Tout à coup, mon pied glisse sur unchamti^iicn ce asé. je perds l'équilibre et tombe sur les bogues. « Aïe ! ça pique ! ». Daniel se retourne et se met à rire. Péniblement, je me relève et je constate que quel­ques épines sont enfoncées dans mes mains ».

La phrase est relue, par l'institutrice, dans son contexte, l'adverbe de manière étant volontaire­ment omis. On cherche à se rappeler l'idée inté­ressante qui manque (le texte corrigé antérieure­ment en commun, est connu) : c'est l'idée de l'effort, des difficultés du mouve­ment. Ainsi apparaît déjà le rapport entre l'ac­tion et le mot qui la peint (la manière d'agir) mais dans l'ensemble d'un contexte (principe de stylistique : convergence des termes vers l'idée dominante).

Bogues > épines

péniblement

i Je me relève

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Page 69: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Substitutions : Comment aurait-on pu dire pour exprimer la même idée ?

Sont proposés (par les élèves) : — avec peine — avec difficulté — péniblement — difficilement

L'idée d'équivalence apparaît entre des formes différentes.

Mais d'elles-mêmes les élèves posent la question d'un choix (vaguement conscientes que, sur le plan du style une forme est toujours préférable à une autre). Après hésitation entre les quatre formes, « avec peine » et « péniblement » sont retenus parce qu'ils expriment mieux l'idée de gêne, et « péniblement » reste seul élu parce que l'attaque sur la consonne imite le mouvement (les enfants le disent dans leur langage, par la mimi­que plus que par l'analyse).

La place de l'adverbe est également discutée, on trouve que :

—. en parlant, on aurait plutôt dit : « je me relè­ve péniblement... » ; — par écrit : « péniblement, je me releve », fait voir un plus grand effort.

Valeur formatrice : tout en constatant l'équiva­lence fonctionnelles de plusieurs formes

— on remarque que : ces formes ne sont pas indifférentes pour les nuances de l'idée ; — on saisit de plus l'occasion de distinguer l'ex­pression orale de l'expression écrite.

justifiée par le sens (« sans bruit » n'insiste pas assez sur les précautions de cette démarche) : Conclusion : la manière s'exprime parfois par une autre action presque aussi importante que la pre­mière.

Cinquième exemple : « Nous partons en glissant » (dernière phase de jeux dans la neige). Le con­texte est lu avec suppression du participe.. Le sens est profondément modifié. « Nous partons », signifie nous prenons congé (de nos camarades) : le départ se situe hors du jeu. « Nous partons en glissant », au contraire : le départ prolonge le jeu : équivalences possibles : — à toute allure — en glissades vertigineuses — en folles glissades

EXERCICE DE CONTROLE : On demande de rechercher dans le texte de l'élève X... de telle date, une manière d'agir exprimée dans une for­me analogue.

« Nous ramenons triomphalement le lapin à la maison» (gagné à la loterie de la foire).

Deuxième exemple : « Nous mangeons la galette de bon appétit » (La galette des rois). On décou­vre que la manière est souvent une précision nécessaire au portrait du personnage en action.

Exercice de contrôle : « Je défais avec impatience un gros paquet ».

Troisième exemple : « Il ne voulait pas arriver les mains vides » (même usage : précision du por­trait — mais autre variante : le complément sans préposition).

Contrôle : réservé pour l'exercice de synthèse (7S) à la fin de la séance (pour éviter la monotonie du mécanisme).

Quatrième exemple : fourni par l'expérience vécue (pour varier le déroulement de l'exercice) : la maîtresse dit à une élève : « pendant une com­position, tu as besoin de sortir, que fais-tu ? ».

Réponse : « je vous demande la permission, puis je traverse la classe sur la pointe des pieds ».

« Tu pourrais dire aussi : « sans bruit - sans faire de bruit » sont proposés.

Sans faire de bruit

sans bruit sur la pointe des pieds

Chose curieuse, le nom ne suffit pas : il paraît faible ; la phrase manque d'équilibre. On est obli­gé d'ajouter un adjectif.

Exercice de contrôle : L'exposition des oiseaux : « Ils se balancent doucement dans leur cage en pépiant » : même méthode « ils se balancent », sans complément paraît trop sec, de plus on inté­gre 2 difficultés déjà vues : 2 manières de peindre la même action. Là : une interruption très inté­ressante : une élève propose d'écrire : « ils se balan­cent en pépiant doucement dans leur cage ». Toutes voient immédiatement que doucement n'est plus en rapport qu'avec pépiant puis que la manière de se balancer est exprimée par tout le groupe : « en pépiant doucement dans leur cage ». On cherche un schéma représentatif.

Donc 4" variante -* la proposition infinitive. .

équivalente du -» complément à noyau nominal

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Page 70: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Des élèves parviennent seules à celui-ci

Ils se balancent en pépiant doucement dans leur cage.

A ce point de la leçon, la relation entre l'action et la manière paraît une structure acquise.

Sixième exemple : ajouté pour terminer sur une idée renforcée du rapport. « Les gros camions pas­sent difficilement. » (une histoire d'embouteillage à la place des Carmes).

L'histoire est relue sans l'adverbe. Elle devient absurde. La manière prend ici sa valeur maxi­mum, si on la supprime, c'est la situation oppo­

sée ; si les gros camions passent, il n'y a plus d'embouteillage. Exercice de contrôle : description du château de Chalusset par Annette : « On distingue mal ce que représentent ces rui­nes ».

7" exercice de synthèse : à partir d'une phrase d'élève : » Je me promenais paisiblement avec mes parents ». Cherchons toutes les manières possibles de se promener.

à pas lents

bras dessus bras dessous avec ma sœur

en discutant avec maman

Sans faire attention — aux voitures qui passent

8° prolongements pédagogiques : I) exercice de style complémentaire cf. Ill.d, tour maladroit :

« Caroline s'appuie contre le mur en cachant sa figure dans ses mains ». (La tête dans les bras)

lacune : « Ma sœur va dans la salle à manger ». (va vite) (succession rapide de 2 actions).

— Première leçon de natation : « ...c'est très bien, maintenant nous allons enlever la bouée, — Oh ! là ! là ! si je coule vous venez me chercher. — Allons ne fais pas la sotte, prends cette perche et allonge-toi bien. — Je vais essayer ».

Je m'allonge, je fais mes mouvements et, tout à coup, la planche qui était mouillée glisse de mes mains. Je m'affole, je crie. Le professeur rit. Je coule. Le maître nageur me tend la perche, je l'attrape. Me voilà de nouveau à la surface.

(correction : je la saisis et m'y agrippe de toutes mes forces).

2) suite : un essai de distinction entre

et

la ma­nière l'accom pagne-ment

à partir d'une erreur : laissée en attente confusion entre viens avec moi

et je défais avec impa­tience un gros paquet nous mangeons avec appétit

Je peux manger avec qui que ce soit (mes parents, l'oncle Charles, ma petite cousine) sans que ma manière de manger en soit modifiée : avec appétit. De même nous pouvons manger la galette des rois

avec de la confiture soit avec de la crème au chocolat

avec des fruits rafraîchis et toujours avec appétit :

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Page 71: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Cas frontière entre le temps et la maniere : le rythme de l'action exprimé par : soudain, tout à coup, brusquement, vite, rapidement, lentement etc.. A partir du texte, corrigé, de A. Lesport : « A dos d'âne. En Bretagne, j 'a i participé à une course à dos d'âne. J'entendais souvent parler de ces courses, et m'y voilà. Je grimpe sur mon âne. Il est gris et il porte le N° 4. Le signal retentit. Mon âne part bien mal, il n'a pas l'air d'être trop pressé. Il se met à courir attiré par les fruits des buissons...

(Soudain, il se met...)

Certaines élèves disent qu'il faut ajouter le mo­ment où l'âne se met à courir, d'autres

la façon dont il On les met d'accord en ajoutant qu'elles ont toutes raison.

Leçon suivante : Série G N° 8

La manière d'agir est parfois aussi une manière d'être.

Ecole Normale de Filles de LIMOGES

Ecole d'Application Jules Ferry

C.M.1.

Date : 16 et 19 Série : G N° 10

— 3 68

FICHE PEDAGOGIQUE (III)

Exercice d'observation grammaticale

I. — SITUATION DE L'EXERCICE

Cette c observation » trouve sa place dans une progression antérieure qui nous a conduits aux diverses formes de l'attribut en partant du com­plément de manière (ces fonctions étant recon­nues comme telles mais non étiquetées). Nous allons aujourd'hui découvrir l'autre valeur, ver­bale, d'une de ces formes :

auxiliaire être pu avoir

+ participe passé.

II. — POINT DE DEPART MOTIVANT L'EXERCICE

Les élèves ayant proposé beaucoup de participes passés à valeur adjective attribut dans le cadre des exercices précédents, nous craignions que la confusion ne s'établisse dans leur esprit avec la valeur verbale de cette forme dès qu'elles la rencontreraient. Nous avons voulu confier ce travail de distinction à une normalienne en stage dans cette classe. Mais elle a mal choisi son point de départ et mal conduit l'analyse.

Première faute : La différence de sens entre les 2 cas n'est pas nette.

1) le 9 septembre à 11 h 30 mes voisins sont partis.

2) Je frappe à la porte et je dis : tiens, mes voisins sont partis.

Nous sommes ici à un « cas-frontière » de la lan­gue. Dans le français actuel coexistent deux valeurs de la forme : auxiliaire -}- participe passé. — une valeur ancienne : l'état présent, résultat

d'une action passée : (J'ai les oreilles bou­chées - Il est mort) ;

— une valeur plus récente : où cette forme est sen­tie comme un passé : (j'ai bouché le soupi­rail - Il est mort hier).

Des enfants de 9 à 10 ans distinguent implicitement ces deux valeurs du fait qu'elles les utilisent conve­nablement en parlant. Mais on ne peut leur en faire prendre conscience que dans des cas où elles s'op­posent clairement. Ce n'était pas le cas de la 2* phrase : « mes voisins sont partis » sous laquelle on peut mettre l'une ou l'autre valeur selon qu'on pense la situation

voisins absents, les voilà partis leur départ, la veille

Pour un adulte, il n'y a pas confusion, les deux points de vue s'excluent. Mais pour un enfant de CM. la possibilité des deux interprétations est difficilement concevable. Nous en retenons l'aver­tissement : le champ d'observation des faits du langage doit être limité d'avance par le maître, si soucieux qu'il soit de leur laisser l'initiative de la découverte.

Nous repartirons donc 3 jours plus tard sur un autre pied, amenant les enfants à des rapproche­ments plus grossiers.

Deuxième faute : L'élève-maîtresse pose mal les questions. Celles-ci « soufflent » d'avance la répon­se : exemple :

ou

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Page 72: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

— est-ce que « sont partis » exprime le résultat d'une action ou une action ?

— si on n'avait pas les compléments de temps avant, est-ce qu'on saurait ce que veut dire : «sont par t i s»? (exemple 2).

Or, les notions grammaticales accessibles à chaque niveau mental doivent être découvertes par une observation lente, patiente, de la situation et des formes de langage qui les traduisent. Elles doivent être, non un point de départ, mais un aboutis­sement de l'exercice.

III. — DEROULEMENT DE L'EXERCICE DU 19 MARS

A) Premier temps de l'observation

Comme exemple de participe attribut (termino­logie à l'usage du maître) une fillette avait pro­posé une phrase d'un texte personnel libre.

« Ma tante a le bras cassé ». On revoit la situation : Josiane est allée voir sa tante à la clinique. C'est le docteur qui lui a dit : « ta tante a le bras cassé». Après, elle-même a répété : « Ma tante a le bras cassé ». Ainsi on dit comment est le bras, maintenant, après l'accident ; une élève remarque : le bras cassé « va » ensem­ble. On l'encadre et on met la flèche habituelle :

le bras cassé est comment? (1)

Cherchons dans les autres textes un cas analogue. Marie-Laure a écrit: «Ma jambe est tordue».

Elle racontait un accident où elle s'est cassé la jambe. Quand on l'a fait monter dans l'ambulance, elle s'est aperçu d'un horrible détail : « ma jambe est tordue » ! Revenons avec elle à ce moment-là.

Que nous dit-elle ? — Comment est sa jambe ? comment ? ( 1 )

Ma jambe est est tordue est comment ?

CONCLUSION

Ici « tordue » décrit le sujet. Il indique l'état ac­tuel du sujet, cassé : jouait le même rôle. (Discussion).

(1) Ceci peut correspondre à des couleurs différentes.

B) Deuxième temps de l'observation

Voyons maintenant si nous n'avons jamais em­ployé ces mots dans d'autres situations.

Cassé ? Monique lève le doigt : « L'autre jour en mettant le cou­vert j 'ai cassé une assiette ».

« Cassé » nous dit quoi ? — ce qu'elle a fait.

Quand a eu lieu l'action ? — l'autre jour ; c'est une action passée.

Revenons à la tante de Josiane. Au moment où on parle de son bras ; on ne parle ni de ce qu'on a fait, ni de ce qu'on fait ; il n'y a plus d'action, c'est un état.

Et tordu?

— Quand s'est passée l'action ? — le 9 septembre.

— Comment diriez-vous maintenant ? Josiane s'est tordu la jambe cet été.

Les 2 types d'exemples (état et action passée) sont groupés au fur et à mesure sur 2 tableaux diffé­rents.

C) Vérification et fixation de l'acquis

Durant dix minutes les élèves recherchent dans leurs textes personnels des exemples des deux va­leurs qui viennent d'être distinguées. Sur 35, 10 ont toutes leurs réponses justes. On prend le temps de corriger 3 erreurs des autres :

1 — Nous avons invité des voisins.

2 — Entre les roues sont placées deux pédales plates.

3 — Au bout d'une branche est suspendue une pièce, (l'arbre de Noël).

On prévoit encore deux séances de travail pour le contrôle de cette recherche ; exemple :

Sur le bureau est posé un jeune cèpe.

Compréhension : — si on faisait l'action comment écrirait-on la phrase ?

La maîtresse pose un jeune cèpe sur le bureau.

La maîtresse a posé un jeune cèpe sur le bureau.

Supposons maintenant un autre état du cèpe. Après observation, on l'a mis en miettes :

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Page 73: L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS à L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

Le jeune cèpe est

L'encadrement du groupe en miettes fait

comprendre à une élève pourquoi on n'a pas mis

dans la « même boîte » etc. . est posé

IV, — PROLONGEMENT :

Un exemple d'état passé ayant été proposé nous avons saisi l'occasion de faire remarquer la simi­litude des deux situations :

(il était cassé (un jouet) : état passé (ma jambe est tordue : état présent,

mais nous réservons pour l'année prochaine (ou la fin de l'année si une occasion favorable se pré­sente) la distinction entre l'état passé et le plus-que-parfait (ce dernier temps étant au programme du C.M.2.).

en miettes sur le bureau (1)

une seconde : le passif présent (nomenclature pour le maître).

II. — INTENTION PEDAGOGIQUE

Io) Notre objet est très limité. Nous ne préten­dons pas donner, à ce cours, une notion complète du passif. Il sera plus rigoureusement défini comme forme inverse de l'actif au C.M.2.

2°) Nous aurions pu partir du dernier exemple de l'exercice N* 10 : « un jeune cèpe est posé sur le bureau », que le contexte nous avait fait classer comme état. On aurait imaginé un autre contexte où il aurait pris le sens d'une action présente : « un jeune cèpe est posé sur le bureau par la maîtresse ». Mais plusieurs raisons nous en ont dissuadés : Nous ne voulons, ni fournir la forme à observer, ni la fabriquer « pour les besoins de la cause ».

Ici en particulier, il aurait fallu les longs et artifi­ciels détours d'un contexte monté par la maîtresse pour aboutir à un passif, forme dont les élèves du C.M.l. usent peu.

Ecole Normale d'Institutrices de LIMOGES Ecole d'application : J. Ferry

Classe : C.M.L Date : 30-3-68 Série : G N°:11

FICHE PEDAGOGIQUE (IV)

Exercice d'observation grammaticale

I. — SITUATION DE L'EXERCICE

Dans le N» 10 de la série on avait commencé à distinguer les 2 valeurs de la forme : auxiliaire + participe passé : (état

(valeur verbale. La première valeur verbale : une action passée, étant reconnue, on va oujourd'hui en découvrir

III. — DEROULEMENT DE L'EXERCICE

1°) Observation d'une phrase prise dans un texte libre : « Le troupeau est conduit par le gros chien noir ». On se demande : s'agit-il d'une action ou d'un état ? (question déjà posée dans le cadre de l'exer­cice précédent).

Les 3/4 des élèves disent : action.

L'une remarque : c'est le gros chien noir qui fait l'action de conduire le troupeau.

Une autre complète : Tiens, ce n'est pas le sujet qui fait l'action.

Une 3e ajoute : conduit est l'état du troupeau. Beaucoup concluent : il y a les 2 : un état et une action. A ce moment on encadre les groupes fonctionnels.

Le troupeau

est conduit par le gros chien noir

(1) Ceci peut correspondre à des couleurs différentes. pas de difficultés pour le sujet ni le complément. Mais : va-t-on encadrer ensemble « est conduit » ?

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2°) Phase de la reflexion :

On constate : c'est une action mais ce n'est pas un passé. Sinon, on aurait dit : le troupeau était con­duit par le gros chien noir. Ce n'est donc pas un passé composé comme « sont partis » (mes voisins sont partis en vacances le 9 septembre). C'est un présent.

3°) Troisième phase :

Puisque c'est un présent et que « conduit » indique l'état du troupeau, c'est peut-être pareil à : « les crêpes sont finies ». Est-ce la même situation? Dominique nous montre l'état actuel des crêpes. Sa maman les a faites et maintenant on les voit finies. Mais on ne voit plus sa maman en train de les faire. Quant au troupeau, c'est au moment où on voit l'action qu'elle est faite. C'est une action présente.

4°) Quatrième phase :

On s'étonne : qu'est-ce que ce présent ? Quand on a un verbe au présent, d'habitude, il n'est pas composé.

Il n'y a pas 2 parties. Comment écrire la phrase pour qu'il n'y ait qu'un seul mot ? propose Annette. Jocelyne : le gros chien noir conduit le troupeau. On a renversé l'ordre. C'est le même sens constate Marie-Christine. Nadine : C'est une action dans les 2 cas puisque la situation est la même.

Conclusion : un verbe au présent peut s'écrire avec 2 mots. On les encadre ensemble :

est conduit

5°) Cinquième phase :

Certaines s'inquiètent : si, dans le 1er cas ; le sujet ne fait pas l'action (1) que fait-il?

Réponses : — il se laisse conduire — il donne un sens à la phrase — ... et surtout au verbe (Nadine) :

(nous constatons une fois de plus les intuitions structuralistes de cer­taines élèves. Nadine réinvente ici le rôle actualisateur du sujet par rapport au verbe).

Conclusion : de toute façon, c'est aussi différent >• de

que de

sont partis : puis­que c'est un pré­sent les crêpes s o n t finies : puisqu'il y a une action.

(1) Le moment ne nous parait pas encore venu de rectifier cette définition « psychologique » du sujet.

6°) Cherchons d'autres cas analogues.

L'une propose : « la porte est ouverte ».

Est-ce vrai ? dit la maîtresse — non.

Un temps de réflexion : coups d'œil circulaires.

Une autre : si, c'est vraiment la porte du placard.

Est-ce une action, ou un état ?

Après quelques hésitations on affirme l'état.

Pour lever les réticences la maîtresse propose : transformons la phrase pour qu'il y ait une situa­tion comparable à celle du troupeau.

Il faut d'abord créer cette situation.

On décide d'envoyer Marie-José dans le couloir puis de la faire rentrer. A ce moment on peut dire : la porte est ouverte par Marie-José.

est ouverte j sont dans ce cas des formes sembla-est conduit | bles, mais il n'y avait personne pour ouvrir la porte du placard, la porte est ouverte j sont dans ce cas des formes est conduit ' semblables.

IV. — PROLONGEMENT : travail individuel con­trôlé dans une autre séance de la semaine : recher­che des 2 formes distinguées aujourd'hui, dans les textes libres personnels.

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