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L'entreposage des collections dans les réserves : un problème non résolu &ni Herreman L'architecture et lbrganisution des musées ont connu, au cours des dernières années, de grand changements. Toutefoìs, selon Ydni Herreman, une architecte mexicaine de grande réputation, les locaux des réserves continuent à êtrepar trop négligés . Auteur de nombreuxprojefi de musée dans son pays et ù l'étranger, Ydni Herreman est membre du Comité consultaayde Museum international. La mise en réserve des collections est un problème aussi ancien que les musées eux-mêmes. I1 semble pourtant que, par- tout et toujours, il n'ait guère retenu l'at- tention des architectes ou des planifica- teurs, ni même celle des administrateurs et des conservateurs. Aujourd'hui com- me il y a vingt-cinq ans, époque de la naissance des diverses branches de la mu- séologie, et en dépit des progrès de l'ar- chitecture, des méthodes de conserva- tion, de sa conception même, l'entrepo- sage des collections reste le parent pauvre lors du partage des espaces. Notre siècle est celui de l'explosion des musées, une tendance qui jusqu'ici ne s'est pas démentie, alors qu'au milieu des an- nées 70 bien des gens estimaient que c'en était fini de ce formidableessor : les grands musées étaient construits, et la situation mondiale commençait à changer, ce qui donnait à penser que le rythme de créa- tion de nouveaux établissements serait beaucoup plus lent qu'au cours de la dé- cennie antérieure. Or, à la surprise géné- rale, l'expansion culturelle, spécialement en ce qui concerne les mustes, n'a rien perdu de sa vigueur. Une exposition du Whitney Museum of American Art, (( Nouveaux musées d'art américains )), a présenté en 1982 les créations et les réno- vations fort nombreuses réalisées au cours de ces années ; elle était complétée par un rapide tour d'horizon de ce qui s'était fait ailleurs dans le monde. Plus de dix ans se sont écoulés, et l'on continue à construi- re, àrénover, à agrandir des musées avec la même ardeur. Chaque jour voit apparaître un musée consacré à un thème particulier (l'enfant : El Papalote, Musée de l'enfant, Mexico, 1993 ; les Jeux olympiques : Lau- sanne, Suisse, 1993 ; l'histoire : Geschich- te der Bundes Republik Deutschland, Bonn, Allemagne, 1994) ou à un événe- ment historique (Musée de l'holocauste, Washington, D.C., États-Unis d'Amé- rique), sans compter les remaniements ar- chitecturaux ou muséographiques, tel ce- lui dont a fait l'objet le Musée de la reine Sophie (Madrid, Espagne), pour ne citer que quelques exemples. A l'heure actuel- le, plus de cinquante projets sont en cours de réalisation dans le monde. La conception même d'un musée a toujours posé de très difficiles problèmes à ses créateurs : en tant qu'édifice, parce que sa vocation est complexe ; en tant que réalisation architecturale, parce que sa fonction primordiale est d'abriter des col- lections ; en tant que création artistique enfin, parce qu'un bâtiment public de cette nature doit être un modele de créa- tivité - et pour Paul Winkler c'est (( une machine d'une haute technicité n. Peut- être est-ce précisément pour ces raisons que le musée a séduit les meilleurs archi- tectes de notre époque qui, s'aventurant sur ce terrain difficile, nous ont laissé de superbes exemples de réussite esthétique et de qualité technique. Pourtant, en dé- pit de grands progrès réalisés dans les plans et les programmes d'architecture et du développement des connaissances techniques dans des branches aussi im- portantes que la conservation, la plupart des problèmes posés par le fonctionne- ment d'un musée n'ont pas été heureuse- ment résolus. Certains domaines, d'une importance pourtant incontestable, res- tent extrêmement mal traités, tel celui de la mise en réserve des collections. Le talon d'Achille Les lecteurs de cet article penseront que nous péchons par exagération. Pourtant, je peux leur assurer que la recherche d'une solution satisfaisante au problème des espaces de stockagedemeure l'une des grandes faiblesses des projets architectu- raux et un véritable casse-tête pour les res- ponsables des collections. 8 Museum i?zternationa~(Paris, UNESCO), no 188 (vol. 47, no 4, 1995) O UNESCO 1995

L'entreposage des collections dans les réserves: un problème non résolu

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L'entreposage des collections dans les réserves : un problème non résolu &ni Herreman

L'architecture et lbrganisution des musées ont connu, au cours des dernières années, de grand changements. Toutefoìs, selon Ydni Herreman, une architecte mexicaine de grande réputation, les locaux des réserves continuent à êtrepar trop négligés . Auteur de nombreuxprojefi de musée dans son pays et ù l'étranger, Ydni Herreman est membre du Comité consultaayde Museum international.

La mise en réserve des collections est un problème aussi ancien que les musées eux-mêmes. I1 semble pourtant que, par- tout et toujours, il n'ait guère retenu l'at- tention des architectes ou des planifica- teurs, ni même celle des administrateurs et des conservateurs. Aujourd'hui com- me il y a vingt-cinq ans, époque de la naissance des diverses branches de la mu- séologie, et en dépit des progrès de l'ar- chitecture, des méthodes de conserva- tion, de sa conception même, l'entrepo- sage des collections reste le parent pauvre lors du partage des espaces.

Notre siècle est celui de l'explosion des musées, une tendance qui jusqu'ici ne s'est pas démentie, alors qu'au milieu des an- nées 70 bien des gens estimaient que c'en était fini de ce formidable essor : les grands musées étaient construits, et la situation mondiale commençait à changer, ce qui donnait à penser que le rythme de créa- tion de nouveaux établissements serait beaucoup plus lent qu'au cours de la dé- cennie antérieure. Or, à la surprise géné- rale, l'expansion culturelle, spécialement en ce qui concerne les mustes, n'a rien perdu de sa vigueur. Une exposition du Whitney Museum of American Art, (( Nouveaux musées d'art américains )), a présenté en 1982 les créations et les réno- vations fort nombreuses réalisées au cours de ces années ; elle était complétée par un rapide tour d'horizon de ce qui s'était fait ailleurs dans le monde. Plus de dix ans se sont écoulés, et l'on continue à construi- re, àrénover, à agrandir des musées avec la même ardeur. Chaque jour voit apparaître un musée consacré à un thème particulier (l'enfant : El Papalote, Musée de l'enfant, Mexico, 1993 ; les Jeux olympiques : Lau- sanne, Suisse, 1993 ; l'histoire : Geschich- te der Bundes Republik Deutschland, Bonn, Allemagne, 1994) ou à un événe- ment historique (Musée de l'holocauste, Washington, D.C., États-Unis d'Amé-

rique), sans compter les remaniements ar- chitecturaux ou muséographiques, tel ce- lui dont a fait l'objet le Musée de la reine Sophie (Madrid, Espagne), pour ne citer que quelques exemples. A l'heure actuel- le, plus de cinquante projets sont en cours de réalisation dans le monde.

La conception même d'un musée a toujours posé de très difficiles problèmes à ses créateurs : en tant qu'édifice, parce que sa vocation est complexe ; en tant que réalisation architecturale, parce que sa fonction primordiale est d'abriter des col- lections ; en tant que création artistique enfin, parce qu'un bâtiment public de cette nature doit être un modele de créa- tivité - et pour Paul Winkler c'est (( une machine d'une haute technicité n. Peut- être est-ce précisément pour ces raisons que le musée a séduit les meilleurs archi- tectes de notre époque qui, s'aventurant sur ce terrain difficile, nous ont laissé de superbes exemples de réussite esthétique et de qualité technique. Pourtant, en dé- pit de grands progrès réalisés dans les plans et les programmes d'architecture et du développement des connaissances techniques dans des branches aussi im- portantes que la conservation, la plupart des problèmes posés par le fonctionne- ment d'un musée n'ont pas été heureuse- ment résolus. Certains domaines, d'une importance pourtant incontestable, res- tent extrêmement mal traités, tel celui de la mise en réserve des collections.

Le talon d'Achille

Les lecteurs de cet article penseront que nous péchons par exagération. Pourtant, je peux leur assurer que la recherche d'une solution satisfaisante au problème des espaces de stockage demeure l'une des grandes faiblesses des projets architectu- raux et un véritable casse-tête pour les res- ponsables des collections.

8 Museum i?zternationa~(Paris, UNESCO), no 188 (vol. 47, no 4, 1995) O UNESCO 1995

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Comme bien des conservateurs, Grae- me Gardiner a souvent constaté que la dégradation des collections était due dans bien des cas à de mauvaises conditions d'entreposage. L'ignorance ou la négli- gence en ce qui concerne la température et l'humidité, les polluants, la poussière, les insectes et autres nuisances, ainsi que la médiocrité du catalogage et de la docu- mentation causent encore aujourd'hui la perte de pièces mises en réserve. Pour pal- lier cet état de choses, il faut mener une campagne intensive de sensibilisation et d'éducation auprès des personnels des musées. Les conservateurs, administra- teurs, directeurs et autres travailleurs doi- vent être persuadés de l'importance de ré- serves saines et en bon état de fonction- nement. S'il s'agit de remanier ou de réaménager la collection, il conviendra de consulter des spécialistes, notamment des conservateurs spécialisés dans la conser- vation préventive, des administrateurs de collections, des spécialistes en informa- tique appliquée au catalogage, des archi- tectes concepteurs.. . Chacun dans sa spé- cialité donnera aux intéressés les conseils nécessaires pour mettre en œuvre la meilleure solution.

En 1980 déjà, Gaë1 de Guichen, qui s'est fait le champion de I'étude et de l'amélioration des espaces d'entreposage, soulignait dans ses écrits combien il im- portait que les responsables de musée aient des notions d'administration et de gestion, qu'ils disposent d'informations précises sur les collections qui leur sont confiées.

Fort heureusement, les idées des mu- séologues, des architectes et des spécia- listes de la planification et de la program- mation ont considérablement progressé en la matière, du fait d'une meilleure connaissance des techniques de conserva- tion, de catalogage, de documentation, de planification, de programmation, de sécurité et même de gestion. La décou- verte des immenses possibilités offertes par l'informatique dans les domaines de la muséologie en général, de la documen- tation, de la gestion des collections et de la planification en particulier, a égale- ment contribué de faqon décisive à amé- liorer la gestion des réserves.

Pour que les pratiques et les méthodes de programmation et de planification ac- tuellement en vigueur se généralisent, on ne soulignera jamais assez la nécessité de te-

Au Musée de la civilisation, à Québec (Canaah), les meiddes anciens sont conservés avec soin.

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nir compte du problème de la mise en ré- serve lors de la conception ou du réamé- nagement d'un musée. Administrateurs, conservateurs, planificateurs doivent im- pérativement travailler ensemble : la for- mation d'une équipe interdisciplinaire améliorera considérablement le résultat fi- nal. Les connaissances actuelles sur la conservation des collections en réserve permettent de mettre au point des solu- tions qui doivent être prises en compte dès le début de la conception générale du mu- sée, et reposer sur une analyse des modes d'utilisation des pièces de collection et de leurs caractéristiques. Les politiques d'ac- quisition du musée et ses objectifs sont aus- si des Cléments déterminants.

Organiser, organiser, toujours organiser

D'après Joanne Horgan, spécialiste de la planification et de la programmation ar- chitecturales, certaines mesures peuvent faciliter l'organisation d'une aire d'entre-

posage : a) le classement des collections par catégories et par types d'utilisation ; 6) .l'élaboration du programme et du schéma conceptuel ; c) la définition de critères d'agencement ; d) la communica- tion avec l'architecte. Par ailleurs, je tiens à signaler quelques fonctions du musée qui, à mon sens, sont essentielles pour un bon agencement de la réserve, qui in- fluent sur sa nature même et doivent donc être prises en compte dès le début de l'étude.

L'enregistremenG le catalogage des mmes et Id documentation Des progrès remarquables ont été accom- plis sur ce plan, qui permettent de contrôler strictement la dynamique des objets considérés, de même que leur état de conservation. Je pense notamment à l'informatisation de l'enregistrement et du catalogage : les spécialistes de cette dis- cipline doivent informer le planificateur ou l'architecte de leurs besoins en la ma- tière.

Le traitement d'un 06jet de céramique au hboratoire de restauration

du Mude national des arts et traditions popuhires, h Paris.

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La gestion des collections Cette activité, dont l'importance est re- connue depuis peu, consiste à détermi- ner et coordonner, conjointement avec le directeur, ce qui est fait et sera fait des collections, y compris des pièces mises en réserve, ainsi qu'à établir des pro- grammes. Cette activité, liée à toutes les autres, doit être intégrée au travail du pla- nificateur ou de l'architecte lors de la conception des aires d'entreposage.

La conservation Dans ce domaine également, les progrès ont été sensibles, et l'on en sait au- jourd'hui beaucoup plus. sur les tech- niques, les matériaux et les substances qui peuvent prolonger la vie des collections en réserve. Les conservateurs doivent donner au planificateur ou à l'architecte des indications qui les aideront à trouver la bonne solution sur le plan de l'espace et des finitions comme en ce qui concerne I'éclairage, l'humidité relative et autres exigences techniques.

La sécurité des collections La sécurité a aujourd'hui la place qu'elle mérite dans la vie muséale. Les mesures prises en la matière reposent sur des études sérieuses qui ont permis d'élaborer des normes dans tous les domaines.

La recherche La nature et la fréquence des programmes de recherche déterminent non seulement la dimension de la collection (partant, celle des espaces d'entreposage), mais aus- si sa localisation et son agencement inter- ne ; aussi les conseils des spécialistes sont- ils essentiels. Tous ceux qui aujourd'hui cherchent à résoudre le problème du stockage de très vastes collections s'accor- dent sur la nécessité de construire des bâ- timents exclusivement réservés à cette fin. Ainsi, les réserves du Musée Julita, en

Au Muséum national d'histoire natuTeLh de Paris, ahfi I'aìle réservée à la zoologie, la section d'entreposage a été récemment moa!ernisée.

Suède, et celles de la Smithsonian Insti- tution aux États-Unis, toutes deux situées à plusieurs kilomètres des musées en question, sont conGues pour abriter les millions de pièces qui composent les col- lections.

L'exposition La relation entre l'aire de stockage et le lieu d'exposition est directe, et il est sou- haitable de prévoir entre les deux un es- pace de transit, de montage et de travail ; là se feront aussi l'enregistrement et le

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contrôle. Le nombre d'expositions et la politique d'utilisation des pièces devant être présentées influeront sur l'agence- ment interne de la surface d'entreposage.

L'action kdzrcative Cela est moins évident, mais l'action édu- cative doit elle aussi être prise en compte au stade de la conception. Parfois même, elle joue un rôle déterminant si les ré- serves sont ouvertes au public. C'est la politique même du musée, ce sont ses ob- jectifs qui déterminent le niveau de ce rapport.

Je dirai pour conclure que les archi- tectes et les planificateurs disposent aujourd'hui de moyens accrus pour concevoir des aires de stockage convena- blement aménagées. Une active collabo- ration avec une équipe interdisciplinaire bien formée pour conseiller et informer et une claire conscience de l'importante de ce domaine essentiel de l'activité muséale permettront d'assurer la sauvegarde et

l'entretien du patrimoine mis en réserve pendant de longues années encore. H

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