Léon-Jacques Delpech - Vers de nouveaux entendements 1983

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  • 8/2/2019 Lon-Jacques Delpech - Vers de nouveaux entendements 1983

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    Vers de nouveaux entendements par Lon-Jacques Delpech

    (Revue 3e

    Millnaire. No

    7 ancienne srie. Mars-Avril 1983)

    Priorit de la synthse sur l'analyse et pluralit des perspectives par rapport l'unilatralit dpasse.

    NON je n'emprunte pas son titre la thse de M. Beigbeder, que j'estime beaucoup, mais lalangue franaise. Il est certain, en effet, qu'une volution du monde telle que nous la subissonsdepuis prs d'un sicle devait amener de multiples mtamorphoses dans la notion de rationalitallant jusqu' la faire clater. C'est au sicle dernier que ce changement a t amorc parl'closion de logiques nouvelles de Boole, Morgan et Stanley Jevons. Le recteur Liard, alorsprofesseur de logique, s'tait fait l'historien de ce mouvement dans un petit livre : Les logiciensanglais contemporains (1878). La logique de Boole, logique algbrique, devait tre applique la cyberntique ds 1936 la suite d'une note l'Acadmie des sciences du mathmaticien LouisCouffignal. Curieusement on a difficilement mesur l'apport des logiciens anglais latransformation de notre univers qui croule sous un informatisme quasi dlirant, fruit d'un peuple

    qui par une btise quasi congnitale a tendance mettre la machine au-dessus de l'homme, aulieu de se souvenir qu'elle n'en est qu'un produit et un instrument. Seul dans ses cours de laSorbonne des annes 1930, le professeur L. Brunschvicg semble avoir pris conscience de cettemutation. Un processus passionnant est n, les logiques et mthodologies se sont multipliespour mieux comprendre le rel. Epuiser cette longue aventure qui part de 1893 avec Duhem etMilhaud pour continuer avec Leroy et Poincar... puis E. Meyerson, mais ce serait trop long dcrire... Nous allons nous contenter de marquer quelques tapes centres autour de l'universphysique et logique... Les caractristiques de ces premires recherches sont en particulier, d'unepart la priorit accorde la synthse sur l'analyse, et d'autre part la pluralit des perspectivespar rapport l'unilatralit dpasse.

    Les physico-logiques

    Il s'agit de disciplines qui tudient particulirement les rapports des thories physiques et de lalogique. Elles furent cres par Gonseth, Bachelard et Destouches.

    Le premier, mathmaticien et pistmologue suisse, condisciple d'Einstein l'cole polytechnique de Zurich, est mort en 1976. Dans une uvre de plus de huit volumes et centcinquante articles, il a nonc quatre principes de base :

    1) Le principe de rversibilit. Aucun lment de la connaissance ne peut sans arbitraire tre pos comme ferm , achev dans sa signification et par consquent irrformable danstoutes ses significations. Au plan de l'hypothse scientifique, le principe ne s'oppose pas telleou telle hypothse de fermeture , qu'on se proposerait de mettre l'preuve. Il doit cependanttre interdit de dcrter qu'un lment quelconque ne sera jamais susceptible d'tre rform, qu'ilne sera jamais capable de la rvision qui lui permettrait ventuellement d'entrer dans une positionultrieurement corrige ou prcise. Il n'existe pas de raison absolument etinconditionnellement valable de nous croire capable de dcider, par avance et pour toujours, quetel ou tel secteur de notre connaissance n'aura jamais tre rvis.

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    2) Le principe de structuralit. Si la rversibilit est la fois le trait commun touteconnaissance et la condition de tout progrs, il est une seconde caractristique du fait scientifiquequi elle aussi s'impose l'observation en mme temps qu'elle apparat comme la forme querevtent l'acquisition et le progrs de la connaissance. Cette seconde caractristique dans leprolongement de l'opposition classique du rationnel et de l'empirique est quelquefois dsigne

    par Gonseth sous le nom de principe de dualit. Mais dj dans la gomtrie et le problme del'espace , la notion de dualit est dpasse. L'quivalence de vrit entre l'intuitif, l'exprimentalet le rationnel implique la coexistence de trois aspects et non de deux aspects. La secondesynthse dialectique confirme que trois aspects concourent l'unit et la cohrence del'opration gomtrisante. Dans la conclusion de son livre, Gonseth insiste sur l'insuffisanced'une simple mise en synthse de l'empirique et du rationnel. Aucun aspect, aucun phnomnen'est localisable et discernable l'tat pur. Si la mthode peut nanmoins se proposer de mettrel'un ou l'autre en vidence, elle se gardera de l'isoler de la diversit intgre des aspects ou desphnomnes. A ces derniers correspondront des schmas plus ou moins adquats et significatifs,des structures qu'il y aura lieu d'envisager comme rattaches une diversit que l'tat prsent dela recherche n'puise ni ne circonscrit jamais. Comme pour l'axiomatisation, la mthodologie

    conteste que telle ou telle structure puisse prendre son sens mthodologique et scientifique horsd'une mise en situation dialectique, hors d'un effort de synthse o la valeur des lments enprsence est suspendue la nature de la relation qui peut s'tablir entre eux. De ce point de vue,la diversit intgre des aspects ou des structures suppose une unit structurale propre chaquedomaine de connaissance ou du moins chaque discipline. Cette unit structurale reprsentel'horizon mthodologique et critique o les schmas de la connaissance spcialise, notamment,rvleront, au-del de leur signification intrinsque, les significations extrieures qu'ils peuventrevtir soit du ct de l'objet, soit du ct du sujet. Mais cette unit n'est pas donne d'avance,elle est construire selon une ide directrice, faire valoir, et susceptible d'tre rvise en touttemps.

    3) Le principe de technicit. C'est en corrlation avec le principe prcdent que le principe detechnicit prend toute sa valeur. Dans la mthodologie, la technicit recourt l'instrumental, entant qu'il est susceptible de se distinguer des informations naturelles et des oprations de l'esprit.Sa forme variera du verbal l'objet ou la machine : l'essentiel est de voir que rien, et aucuntitre, ne peut tre considr comme du purement instrumental, toute dlimitation se justifiant enfonction des donnes propres chaque discipline. L'autonomie d'une discipline, l'efficacit de sespratiques exprimentales, sont intimement lies sa technicit ; la mthodologie doit prendreacte du fait technique comme d'un fait principal sans lequel son analyse resterait en de desralits de la pratique.

    4) Le principe de solidarit ou d'intgralit. Il relve simplement du fait que la connaissancescientifique forme une trame dont toutes les parties se tiennent et se conditionnent les unes lesautres. Il rappelle le fait qu'une rvolution portant sur telle ou telle partie de ce systme bien lipeut ou doit entraner des rvisions en tel ou tel autre point. Il n'y a l gure autre chose que laformulation d'une exprience commune.

    Gaston Bachelard, professeur la Facult de Dijon, puis la Sorbonne, est mort en 1961. Il s'estefforc durant sa carrire de crer une psychologie de l'esprit scientifique avec pour corollaireune mthodologie en vue d'tablir les fondements d'une conscience de la rationalit qui soit la

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    mesure de notre temps. La science incite l'homme saisir les choses et les phnomnes dans descadres rigides (prcis) mais avec un contrepoint dans l'imaginaire. La rflexion philosophiqueest, dans un premier moment, constructive. La science est une suite infinie de rectifications. Laconnaissance est approchante, elle est toujours approche (c'est le titre de sa thse de 1929), jamais dfinitive. Le sujet connaissant est en interaction incessante avec le phnomne

    scientifique. Jamais la science n'est donne d'un coup, elle suit un long processus d'laboration. Ily a d'abord une connaissance premire des faits scientifiques ; celle-ci est fournie par lespremiers enregistrements des sens. Mais aussitt la raison, loin d'entriner ces faits, les travaillepour en dgager le sens par rapport la science. Or, rien dans la raison humaine n'est immobile.Au contact de l'objet scientifique la raison se forme et se dforme ( Le Nouvel Espritscientifique). Aucun principe, aucune catgorie, aucune structure que la raison se donne n'estdfinitive. Tout change en fonction du stade de dveloppement de la science. La science fondeaujourd'hui un type d'intelligibilit qui est dialectique. Connatre ne peut veiller qu'un seuldsir : connatre davantage, connatre mieux . Le nouvel esprit scientifique est l'bauche decette attitude, mais au pralable il faut jeter par-dessus bord deux types d'explicationsmtaphysiques. La pense de Bachelard, aprs avoir tabli que la science est dialectique, va

    adopter un ton critique. D'une part pour Bachelard la science ne se borne pas l'enregistrementdes faits bruts. Il n'y a de science que de ce qui est cach. Il est ncessaire pour l'espritscientifique d'tablir des normes et des cadres qui favorisent l'explication de ces donnesimmdiates des sens et de la perception. D'autre part, la raison humaine ne peut se constituer unefois pour toutes. La science est un effort sans cesse rectifi pour s'adapter aux phnomnes. Lesdomaines nouveaux conquis par la science contemporaine ne peuvent plus faire l'objet d'unemise en pratique des cadres aristotliciens et kantiens. L'intelligibilit aristotlicienne taitvalable pour la science macroscopique. Aujourd'hui elle est un obstacle la connaissance, carelle ne permet pas l'analyse du domaine de l'infiniment petit. Au contact des phnomnesl'homme transforme son esprit, sa raison s'affine. Le Nouvel Esprit scientifique montre sous saforme la plus simple, la plus pure, le jeu dialectique de la raison. Les moyens de la connaissances'approfondissent sans cesse. Il faut donc que la connaissance soit admise comme un faitdialectique. Le savoir est une remise en question incessante. Rien n'est jamais acquis , c'estdonc par un change sans fin et dans les deux sens entre l'objet et le sujet que s'accrot laconnaissance. Le monde connu n'est pas une donne brute, le monde connu est un mondeconstruit en fonction d'un type d'intelligibilit. Pour Bachelard, la science dans son histoire etdans ses processus de construction est l'affirmation d'une dialectique. Une connaissance n'estqu'un moment sur l'axe du devenir. Au niveau de l'activit scientifique, l'homme est donc l'trede la dialectique. Il est dans le monde mais il cherche le rduire l'expression qu'il en a. Sonrapport au monde est dialectique, c'est--dire que le monde est sa reprsentation. Celle-ci estconscutive sa faon de le penser, autrement dit aux moyens mis en uvre, c'est--dire lescadres de l'intelligibilit. Nous venons de saisir cette dialectique dans son caractre gnral :l'homme est prsent au monde. Ce monde lui est donn, il pense ce monde et ragit sur lui ; cerapport met en vidence une interaction entre l'homme et le monde. Le modle de l'explicationdu monde n'est jamais dfinitif. Une thorie est sans cesse rectifie, transforme, vrifie aucontact de l'exprience. Elle va du rel l'abstrait, puis revient vers le rel : la technique ouquelque forme que ce soit de vrification. Ce retour au rel rend ncessaire un nouveau typed'intelligibilit. La raison humaine se transforme ainsi indfiniment au contact de l'exprience.Une rectification objective est immdiatement une rectification subjective. Si l'objet m'instruit,il me modifie. De l'objet comme principal profit, je rclame une modification spirituelle.

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    Cette dialectique de la connaissance, Bachelard la saisit au niveau du concept. Le concept traduitdans la science la ralit objective. Il est forcment limitatif car il a besoin d'tre prcis, affin.Ainsi le concept de dterminisme est rendu faux par la naissance des thories modernes. Or, c'estpar une rfrence la ralit, une vrification par la pratique que ce concept a pu se

    transformer. Le concept cre souvent son propre appareil de vrification. Mieux, le concept cresouvent la matire qui, son tour, va transformer le concept comme on le voit en chimie. Du relau concept il y a toute l'activit de la science, le concept tant la ralit rendue intelligible. Unedmarche inverse nous rapporte au rel.

    A ce niveau se pose le problme de l'objectivit du concept ; le concept est objectif dans lamesure o il traduit avec le maximum d'efficacit la ralit. Il est objectif dans la mesure o ilrend compte d'un phnomne. Il se substitue un nouveau concept devenu moins prgnant sur lerel, du fait des enseignements nouveaux. Il est plus objectif car il rend plus compte del'ensemble d'un phnomne. C'est ce qui s'est pass avec les grands bouleversements de lascience du XXe sicle. On a cru une faillite de la science car des notions telles que

    dterminisme, espace-temps, sont apparues nettement insuffisantes pour expliquer lesphnomnes. La raison devait crer un nouveau concept. Ainsi fut cre la notiond'indterminisme qui permit la science un regain d'activit, le prcdent concept devenant uncas particulier du second. Il y a l une leon de comprhension du rel tirer. C'est ce que fitBachelard dans sa Philosophie du non (1941).

    La notion de profil pistmologique d'aprs Bachelard

    Partant du concept mcanique de masse, Bachelard a mis en vidence une filiation de cinqdoctrines philosophiques ncessaires l'clairer. Mais comment progresser ? Il rpond ainsi : Ilnous semble qu'une psychologie de l'esprit scientifique devrait dessiner ce que nous appelleronsle profil pistmologique des diverses conceptualisations. C'est par un tel profil mental qu'on pourrait mesurer l'action psychologique effective des diverses philosophies dans l'uvre de la

    connaissance. On ralise alors un profil en portant, en abscisse, les philosophies successives(ralisme, empirisme, rationalisme, etc.) et, en ordonne, une valeur qui mesure l'importancerelative de nos convictions. Bachelard insiste sur le fait qu'un profil pistmologique doittoujours tre relatif un concept dsign, qu'il ne vaut que pour un esprit particulier quis'examine un stade particulier de sa culture. C'est cette double particularisation qui fait sonintrt, et Bachelard ajoute en largissant son point de vue : C'est seulement aprs avoirrecueilli l'album des profils pistmologiques de toutes les notions de base qu'on pourra vraimenttudier l'efficacit relative des diverses philosophies... Nous suggrerions volontiers une analysephilosophique spectrale qui dterminerait avec prcision comment les diverses philosophiesragissent au niveau d'une connaissance objective particulire.

    J.-L. Destouches, physicien franais, mort en 1980, cra en 1939 la physico-logique. Il crit en1954 : J'ai t amen adopter comme objet d'tude les thories elles-mmes, ainsi que lanotion de thorie physique et non plus les phnomnes que ces thories cherchent expliquer.J'ai ainsi t orient vers des recherches pithoriques, pour employer un terme emprunt auprofesseur Curry. Ces recherches se sont dveloppes dans diffrentes directions et forment lesbases d'une discipline qu'on peut appeler la physico-logique.

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    Une partie importante de la physico-logique est constitue par la recherche des consquences dela conception prvisionnelle d'une thorie physique, c'est--dire de la conception selon laquelleune thorie consiste au moins calculer des prvisions. On peut aussi construire une thoriegnrale des prvisions qui conduit dductivement des rsultats gnraux prcis comme il y a

    deux types de thories physiques. Si on se place au point de vue prvisionnel, les thories quel'on construit ne visent plus dcrire des ralits intrinsques, mais seulement relier d'unemanire cohrente des rsultats de mesure pour pouvoir faire des prvisions.

    Si on l'envisage de ce point de vue, la mcanique ondulatoire de L. de Broglie avecinterprtation-probabilit apparat comme tout fait naturelle. Toutes les conclusions noncesqui paraissent tranges sont des consquences normales de l'intention prvisionnelle. En effet,dans cette perspective la microphysique exige que les appareils de mesure aient un rleinliminable dans la description thorique.

    Conclusion

    Avec ces trois uvres nous avons mis jour un premier aspect de l'volution de la rationalit.D'autres devraient bientt surgir comme La Logique antagoniste de Stphane Lupasco, LaStructure absolue de Raymond Abellio, Le Calcul oprationnel de Heaviside, La Thorie des jeux de John Von Newman et Oskar Morgenstern, La Logique de la moindre action deLamouche, etc. Nous nous rservons d'en traiter ultrieurement.

    L.-J. Delpech tait Prof. hon. Paris VII - Prsident de la Socit franaise de cyberntique.