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L’ épreuve politique Vérités, (T)erreurs Quelle autre pratique de l’égalité ? Marie-Claire Boons-Grafé Geneviève Debru-Desjobert Ce texte s’est écrit en 2010. Il témoigne d’une réflexion traversant quarante ans d’une pratique politique qui se voulait, au départ, révolutionnaire. Nous sommes ici deux femmes engagées dans les années 70, à l’Union des Communistes de France marxiste-léniniste, d’obédience maoïste. – l’UCFml - . L’une, fût exclue de cette organisation en 1975. L’autre, marqua sa rupture de pensée avec le maoïsme, à cause de la politique criminelle des Khmers Rouges ; ceci ne l’a pas empêché de poursuivre le même engagement, dès lors qu’il était centré sur le principe de l’égalité entre les français, les étrangers de France, avec ou sans papiers. Nous soulevons ici des problèmes concrets, rencontrés par nous, dans le but d’éclairer la part d’ombre qui plombait d’un poids mort, la vie militante, ses intensités, son enthousiasme. Notre critique concerne le passé, à preuve le texte écrit par l’une en 75. Mais cette critique habite aussi le présent, car, malgré le renouvellement des façons de penser et d’agir, nous constatons l’insistance de comportements négatifs, venus, tels des fantômes, hanter nos pratiques. Quoi donc se répète et pourquoi ? Répondre à cette question nous amène à prendre place dans le chantier théorique et pratique qu’ouvre, dans les lieux où elle existe, la politique dite aujourd’hui, d’émancipation. Cette politique doit affronter et la violence du capitalisme déchaîné et la volonté des Etats d’interdire la possibilité de penser le monde réel. Par ailleurs, elle se heurte à une sorte de forclusion du passé dont, d’une certaine façon, nous, les anciens militants, sommes responsables. Nous avons en effet laissé, de l’extérieur, s’exercer la critique du marxisme-léninisme, sous le concept de totalitarisme, alors qu’il aurait fallu produire cette critique de l’intérieur, à partir des pratiques, des expériences, vécues dans leurs détails : ce que l’une d’entre nous a formulé en « Vérités, (T)erreurs ». Ce travail, à condition d’être porté collectivement, aurait pu faire passe aujourd’hui pour la jeune génération. Mais au contraire, il nous semble que les repères anciens de la politique révolutionnaire ne sont pas seulement vécus comme obsolètes, ils sont vécus comme absents : à la place du trop plein idéologique d’antan, le vide engendré ne permet pas encore de tisser autour de lui de nouveaux liens de pensée. L’ « Universel » paraît avoir perdu son pouvoir d’unifier les pratiques. Les grands concepts d’autrefois parlent-ils encore ? : « Révolution » ? « Communisme » ? « Démocratie » ? Ici nous réfléchissons à ce que pourrait être une pratique de l’Egalité qui serait inductrice de singularité quant au désir militant, assumant ce qu’il dit, comme ce qu’il fait. Nous sommes convaincues que l’individu capable de se laisser saisir et de saisir cette politique, existe. Alors une brèche dans le réel de l’oppression capitaliste pourrait ouvrir la voie à l’invention de plusieurs. Dans cette politique là, pourvu qu’il la veuille, chacun est entendu en tant que quiconque. Ainsi l’investissement singulier donne vie, pas à pas, à un lieu collectif.

L'épreuve Politique Vérités (T)erreurs, faireégalité

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L’ épreuve politique

Vérités, (T)erreurs

Quelle autre pratique de l’égalité ?

Marie-Claire Boons-GraféGeneviève Debru-Desjobert

Ce texte s’est écrit en 2010. Il témoigne d’une réflexion traversant quarante ans d’une pratique politique qui se voulait, au départ, révolutionnaire. Nous sommes ici deux femmes engagées dans les années 70, à l’Union des Communistes de France marxiste-léniniste, d’obédience maoïste. – l’UCFml - . L’une, fût exclue de cette organisation en 1975. L’autre, marqua sa rupture de pensée avec le maoïsme, à cause de la politique criminelle des Khmers Rouges ; ceci ne l’a pas empêché de poursuivre le même engagement, dès lors qu’il était centré sur le principe de l’égalité entre les français, les étrangers de France, avec ou sans papiers.

Nous soulevons ici des problèmes concrets, rencontrés par nous, dans le but d’éclairer la part d’ombre qui plombait d’un poids mort, la vie militante, ses intensités, son enthousiasme.Notre critique concerne le passé, à preuve le texte écrit par l’une en 75. Mais cette critique habite aussi le présent, car, malgré le renouvellement des façons de penser et d’agir, nous constatons l’insistance de comportements négatifs, venus, tels des fantômes, hanter nos pratiques.

Quoi donc se répète et pourquoi ?

Répondre à cette question nous amène à prendre place dans le chantier théorique et pratique qu’ouvre, dans les lieux où elle existe, la politique dite aujourd’hui, d’émancipation.Cette politique doit affronter et la violence du capitalisme déchaîné et la volonté des Etats d’interdire la possibilité de penser le monde réel. Par ailleurs, elle se heurte à une sorte de forclusion du passé dont, d’une certaine façon, nous, les anciens militants, sommes responsables. Nous avons en effet laissé, de l’extérieur, s’exercer la critique du marxisme-léninisme, sous le concept de totalitarisme, alors qu’il aurait fallu produire cette critique de l’intérieur, à partir des pratiques, des expériences, vécues dans leurs détails : ce que l’une d’entre nous a formulé en « Vérités, (T)erreurs ». Ce travail, à condition d’être porté collectivement, aurait pu faire passe aujourd’hui pour la jeune génération. Mais au contraire, il nous semble que les repères anciens de la politique révolutionnaire ne sont pas seulement vécus comme obsolètes, ils sont vécus comme absents : à la place du trop plein idéologique d’antan, le vide engendré ne permet pas encore de tisser autour de lui de nouveaux liens de pensée. L’ « Universel » paraît avoir perdu son pouvoir d’unifier les pratiques.Les grands concepts d’autrefois parlent-ils encore ? : « Révolution » ? « Communisme » ? « Démocratie » ?

Ici nous réfléchissons à ce que pourrait être une pratique de l’Egalité qui serait inductrice de singularité quant au désir militant, assumant ce qu’il dit, comme ce qu’il fait. Nous sommes convaincues que l’individu capable de se laisser saisir et de saisir cette politique, existe. Alors une brèche dans le réel de l’oppression capitaliste pourrait ouvrir la voie à l’invention de plusieurs. Dans cette politique là, pourvu qu’il la veuille, chacun est entendu en tant que quiconque. Ainsi l’investissement singulier donne vie, pas à pas, à un lieu collectif.

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SOMMAIRE

AVANT-PROPOS

HIER : Une expérience politique contradictoire 1. Introduction au texte : « Cinq années de militantisme »2. Texte adressé au Centre en 1975

AUJOURD’HUI : « Faire-passe »

1. Lecture critique 40 ans plus tard2. Se situer dans une histoire avec des principes3. La politique faite par les gens4. Ce qui se cache dans les détails5. Un débat actuel qui ne fuit pas la controverse : la question de la

démocratie et du communisme

Annexe polémique :

Communiste / non communiste / anticommuniste

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AVANT-PROPOS

Notre effort, entre passé politique révolutionnaire et présent, pourrait se métaphoriser dans un titre que Brecht a choisi pour l’une de ses pièces : « La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras ». Du désastre passé, il faut pouvoir transmettre à la jeune génération ce qui permet de rebondir outre le ravage. Cependant notre entreprise est modeste. Nous ne sommes ni philosophes, ni sociologues, nous n’avons pas de nouvelles théories à proposer. Nous n’avons pas non plus de leçons à donner à quiconque. Par ailleurs, il ne s’agit nullement ici de réparer quelques blessures narcissiques, de panser une vanité frustrée, toutes babioles qui se vendent facilement au marché de la réaction. Simplement, nous tirons le bilan de nos expériences à partir de nos convictions. Nous voudrions, en suivant ce fil, nous approcher d’une analyse des causes internes du ratage de cette politique auprès des gens, alors qu’elle était porteuse de nouveautés qui avaient suscité notre enthousiasme Si nous nous autorisons à une publication, et de ce fait, brisons un tabou, c’est que notre parole n’a pas été et n’est toujours pas entendue dans les lieux adéquats où elle aurait dû et devrait l’être.

En vérité, aujourd’hui, nous ne voulons plus voir revenir une forme de terreur qui a fini par gangrener les liens entre les acteurs de ce qu’on appelait « révolution ». Chacun le reconnaît, cette terreur a signé l’échec des trois grandes révolutions qui ont marqué l’histoire des femmes et des hommes : la française, la russe et la chinoise. Pour nous, ce savoir ne nous fait pas céder d’un pouce sur la nécessité d’une politique d’émancipation. Car ces révolutions échouées ont aussi apporté la preuve que le peuple peut faire face. Ces inventions sont précieuses à réinterroger.

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Nous souhaitons expliquer à notre manière pourquoi et comment une pratique politique, dite aujourd’hui « d’émancipation », devrait traiter au sein d’un groupe, les contradictions qui l’animent. Ce qui revient, pour part, à construire et à reconstruire indéfiniment l’unité de ce groupe, livré en permanence au réel extérieur et renouvelé par lui. Ainsi pourront se croiser des manières différentes de traiter les situations d’injustice. Nous publions ici la lettre écrite par l’une d’entre nous, en 1975. Cette lettre est adressée à la direction de l’UCFml. C’est une protestation et une interrogation face aux méthodes adoptées envers cette militante en les éclairant par une analyse des processus politiques alors en cours. Remarquable, la tension entre la lettre adressée au Centre de l’UCFml et la procédure finale d’exclusion. Bien qu’écrite dans le langage Mao de l’époque, ce que la militante fait entendre là, est de l’ordre de l’attention à ce qui advient d’inédit dans la politique révolutionnaire : peut-être une pratique de la démocratie, hors préoccupation à l’époque ? Car cette pratique devrait articuler le respect de chacun, responsable de lui-même, à une stricte discipline eu égard au collectif. Face à quoi ont répondu le harcèlement autoritaire des « petits chefs », le silence bétonné des « grands », la peur des égaux.

Pour aller d’hier à aujourd’hui sans dire : « Basta ! Séquence terminée ! », il faut réexaminer nos principes que condense le mot « politique d’émancipation ». Nous essayerons d’éclairer de manière neuve le vieux beau mot « démocratie », tellement manipulé aujourd’hui, par lequel ces principes s’incarnent. Nous insisterons tout particulièrement sur trois principes :

• Le principe d’égalité comme référence pour tous.• Le principe du respect de la singularité portée par la parole

libre dont chacun devient responsable, liant le singulier et l’en-

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commun : ainsi un point de vue collectif peut-il s’ élaborer, se construire et soutenir l’action. Pensée et action qui, comme nous l’avons appris, se déploient à distance de l’Etat, sans pour autant esquiver le face-à-face imposé par la guerre que tout Etat mène, sous direction capitaliste, contre nombre de gens. Le monde capitaliste, toujours à l’affût des surprofits financiers, fabrique périodiquement des crises- et des guerres- à travers lesquelles il se relance. Les Etats, au service du Capital, abandonnent les gens du peuple, dès lors écrasés par des conditions indignes, soumis à un mépris de classe, considérés comme « en-trop », comme « parasites » : les pauvres sont criminalisés, voire racialisés. Qui plus est ces mêmes Etats présentant le monde comme trop compliqué, masquent, pour tout un chacun, la vraie compréhension du monde réel et donc la possibilité de le penser.

• Le principe de rupture décidée avec le sentiment d’impuissance : nous refusons de nous laisser installer, sous prétexte de cette complexité du monde, dans la résignation. Nous n’abandonnons pas l’idée d’une politique propre aux gens du peuple.

Appuyées sur ce corpus de base nous pourrons pointer ce qui fait retour aujourd’hui au sein de la politique organisée, alors même qu’elle affirme ces mêmes principes. Quoi donc se répète ? Et cela en parfaite contradiction avec toutes les avancées produites par l’abandon de l’idée du Parti et concentrées par Sylvain Lazarus en « politique en intériorité ». Nous avons constaté que des mécanismes obsolètes, déclarés « imperfections pas très graves », peuvent néanmoins continuer à être actifs avec tout un cortège de conséquences néfastes. Il ne s’agit pas ici de détruire, mais de construire en commun - espérons-le - les processus d’interventions politiques en cours, élaborés et pris en charge avec les gens, mais de construire en

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commun - espérons-le - un mode organisationnel différent.

L’ ensemble de ces réflexions nous amènera aux portes d’un débat initié par Alain Badiou autour de l’Idée, comme pôle orientant la politique d’émancipation. Nous proposons de dire qu’il ne s’agit pas seulement de faire sienne une vérité interne à une situation, mais surtout de la construire collectivement par un faire-confiance à la pensée propre de chacun.Ceci nous autorisera à une polémique avec les partisans d’une résurrection du mot « Communisme. »

Pour conclure :

Nous savons bien que la jeune génération, celle que ne séduit pas la course à la concurrence capitaliste, à moins qu’elle en soit exclue, se moque bien du bilan argumenté du marxisme-léninisme. Elle cherche cependant du côté des idées fortes qui l’incluraient dans la politique dont elle est orpheline, en trouvant ainsi de quoi dépasser et son désir récurrent de transgression et les seules belles pratiques de survie solidaire. Il s’agit de retrouver les interlocuteurs naturels de la politique que sont les gens, dans leurs lieux, là où ils sont, face à des situations identifiables : qu’ils se prennent en main et décident de se battre, les voilà dans l‘universel de la politique. Alors, peut-être, pourrait-on entendre Brecht dans tous les sens de sa métaphore : « faire-passe » à un nouveau qui ne consentirait plus aux vieilles répétitions, qui se tiendrait au point où chacun prend au sérieux sa propre parole dans et pour les lieux collectifs où elle s’inscrit.

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HIER : Une expérience politique contradictoire

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Introduction au texte « Cinq années de militantisme »

Le texte intitulé « Cinq années de militantisme » que nous publions ici, a été écrit en 1975. Il tentait de mettre en discussion, à travers des situations concrètes, les modalités de l’exercice du pouvoir, dans une organisation qui se voulait révolutionnaire, tout en cherchant à transformer les grands principes du marxisme-léninisme et du maoïsme. Pour l’essentiel, le texte interroge le fonctionnement d’un centralisme ne laissant aucune place à cette part démocratique, celle qui s’appuie sur le débat conflictuel, alors même qu’elle était revendiquée à partir de la référence aux « larges masses ».

Une remarque préalable s’impose. Le texte de 1975, d’un ton uniforme, a été écrit dans une seule langue : celle issue - en France - des enseignements et dires de Mao Tse Toung. Voici ce que l’une de nous a pu écrire récemment à propos de cette langue adoptée en quelques mois :

Il n’y avait pour nous qu’une seule langue, codée, une langue sans ambiguïté. Cette langue, dans les années 1970, je me l’approprie très vite, au point que mes plus proches disent ne plus me reconnaître : « Ce n’est plus toi qui parles, c’est Mao en toi ». A cette époque, c’est en effet la langue adoptée par les Maos non « spontex » de Paris, la langue de l’organisation à laquelle j’adhère, et où je m’engage,

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parce qu’à mes yeux son projet politique fait sens : après 68, pour nous et pour quelques autres - à tort ou à raison - la révolution est à l’ordre du jour, il s’agit de la préparer. Notre référence de base demeure à l’époque, le marxisme-léninisme et donc la lutte de classe comme levier de tout mouvement. Cependant, nous construisons nos analyses des situations et des pratiques politiques en nous servant des notions et des concepts issus de l’expérience chinoise, tels qu’inventés par Mao Tse Toung. C’est ainsi, qu’à l’instar des dirigeants et comme mes camarades, j’aborde et déchiffre tout problème, non seulement en termes marxistes et léninistes, mais en plus, selon les grands repères conceptuels de la pensée de Mao : le mouvement dialectique des « contradictions principales et secondaires », la « ligne de masse », le processus « Unité-Critique-Unité » etc. Adopter cette langue-là, entièrement référée à la pensée de Mao, nous donne très vite une force inouïe. Cette pensée, et la forme dans laquelle elle s’exprime ont fait, croyions-nous alors, leur preuve : en effet nous étions convaincus de leur efficacité, de leur aptitude à révéler les capacités de pensée des masses et de chacun - voir les dazibaos - donc de traiter avec tous le réel des situations qu’elles affrontaient.Littéralement, nous ne prenions pas en compte l’aspect « bible » imposée, brandie et répétée du Petit Livre Rouge.C’est donc avec cette langue d’allure univoque, apparemment sans épaisseur sémantique, où les affects de chaque individu paraissent en quelque sorte neutralisés, que je m’exprime et me bats, non pas seule mais avec d’autres, pour soutenir un processus révolutionnaire que je crois, à cette époque, incontournable. Les concepts de Mao appartiennent à cette langue dont on a pu dire, non sans raison, qu’elle est « de bois », une langue simple, sans équivoques, lisse, merveilleux instrument d’analyse, à la portée de tous. Nous croyions donc disposer d’une langue de la conscience, censée délivrer des énergies nouvelles. Défaisant nos particularités, elle rendait possible à nos yeux, une affirmation collective susceptible de nous rassembler dans un seul camp pour lequel nous avions toujours à re-prendre parti.

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C’est donc bien avec cette langue-là que j’ai écrit, il y a près de quarante ans, le texte qui va suivre. Chose impensable aujourd’hui, pas tellement parce que cette langue appartient au passé, mais bien parce qu’elle a produit un réel figé et a défait ce qu’elle nous donnait à espérer : un accès pour tout un chacun à une vie ouvrant à la possibilité de penser.

Pourquoi laisser passer tant d’années sans toucher à cet écrit de 1975, devenu apparemment obsolète ? Pourquoi le sortir maintenant de l’ombre, pourquoi le rendre public aujourd’hui ? La réponse peut paraître simple : pour témoigner d’un ancien itinéraire politique, dit révolutionnaire et vécu « tant mal que pis », il fallait que les circonstances - historiques, sociales, idéologiques - redonnent à ce texte une certaine forme d’actualité. En somme, dans le contexte actuel de soulèvements populaires au Proche-Orient, mais aussi en Occident, à travers les révoltes d’une jeunesse qui cherche des chemins nouveaux, il fallait que ça fasse sens, de penser à nouveaux frais les problèmes contemporains : ceux posés par un agir politique qui s’organise dans la durée avec, comme repère, une société autre que celle où nous perdons notre humanité.

Face à l’exhibition outrageuse des nantis, que deviendront dans le temps, face aux lois féroces des marchés et de la finance, les colères des pauvres et des plus exploités ? Comment se tenir durablement dans ces batailles qui surgissent et contribuer à la construction, étape par étape - et sans doute sans fin - de sociétés renouvelant leurs valeurs et leurs places ?

Depuis quelques années, certains de nos amis, à partir d’expériences locales mais porteuses de vérités, qui s’adressent à tous, élaborent un bilan complexe, ouvrant sur des idées nouvelles qu’il s’agit de mettre à l’épreuve. Face à la confusion catastrophique qui

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consiste à déléguer son propre pouvoir politique à l’Etat, se cherche donc aujourd’hui, en rupture avec ce pouvoir, une politique qui n’existe que parce qu’elle est faite par chacun, en partage avec tous.

Ainsi s’ébauchent un discours et des modes d’agir ensemble, susceptibles d’éveiller des capacités politiques neuves.

Pour autant, qu’est-ce qui nous heurte et nous interroge dans ces expériences qui se veulent nouvelles ? Sont-elles encore trop marquées par les fonctionnements des révolutions passées et par leurs terribles conséquences ? Quelle page est tournée et quoi se transmet que nous puissions garder ? Sur quoi porte l’invention ? Que pouvons-nous avec les gens ? Que peut chacun ? De quelle direction aurions-nous encore besoin ? Quelle serait sa nature ?

La lecture d’aujourd’hui - par fragments commentés et critiques du texte qui suit - n’a pas la prétention d’apporter ici des réponses exhaustives. Peut-être s’en trouveront-elles quelque peu éclaircies par l’ensemble de notre réflexion, ce chantier permanent, appelant critiques, contributions, remises en question.

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Texte adressé au « Centre » en août 1975

(Quelques extraits éclairant notre propos)

CINQ ANNÉES DE MILITANTISME

Que s’est-il passé en 1975 qui motive ce texte?

Après cinq années de militantisme à l’UCFml, sur des fronts divers, voilà que, sans le moindre avertissement préalable, à l’occasion d’un refus d’aller vendre le journal sur un marché, un samedi matin où je n’étais pas prévue, les deux dirigeants de ma région, d’abord me sanctionnent pour indiscipline - interdiction de militer pendant 8 jours - puis, une semaine après, me préviennent qu’ils ont décidé, soit de me faire démissionner, soit, si je n’y consens pas, d’entamer un processus d’exclusion. Le chef principal de l’accusation tient dans les termes : « dégénérescence idéologique ».

En arriver là, de cette manière, ne tombe pas du ciel.

L’ enjeu de ce texte n’est pas d’analyser la maturation progressive, le devenir concret de la tâche politique que s’assigne, après 68, l’UCFml, mais la relation pratique, devenue contradictoire, d’une militante, intellectuelle d’origine bourgeoise, à ce processus, en tant qu’il constitue le cadre matérialiste de base où s’articule ce qui doit être réfléchi et éclairé : soit les effets nocifs d’un centralisme démocratique dont les principes sont progressivement trahis. (…)

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I) De la première contradiction : une pratique erronée du Centralisme démocratique /

mon rapport militant à ce centralisme là.

Il convient d’analyser ici le devenir périodisé d’une contradiction particulière. Si elle a été choisie et analysée à travers son développement, ses butées, c’est à raison des effets qu’elle produit sur ma pratique militante. Répétons le, cette contradiction unit donc les termes suivants : - L ’exercice du centralisme démocratique (CD) tel qu’il s’est développé concrètement dans l’organisation. - Mon propre rapport militant à ce CD.Ces deux termes – soulignons-le – relèvent toujours d’un processus où ils s’incarnent.

(…)

Le premier terme : le CD en question

Qu’il y ait eu au cours de ces cinq années dans l’UCF, un développement progressif du centralisme au dépens de la démocratie, c’est là une réalité conjoncturellement nécessaire à la vie même de l’organisation, nécessaire au renforcement révolutionnaire de sa cohésion et de son identité interne, face au révisionnisme, aux démagogies réformistes du pouvoir dominant, face aussi aux courants désirants, anti-partis, qui traversent les mouvements de la jeunesse, y compris les jeunes ouvriers. L’accentuation du centralisme est un principe actuel et obligé pour qui veut organiser le Noyau d’avant-garde de la Révolution. Il ne s’agit pas de revenir sur ce principe, ni, non plus, de vouloir refaire une organisation à l’image de mes petits souhaits. Il s’agit en fait, dans un premier temps, d’interroger certains

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effets du centralisme, là où son accentuation a dévié, pris des formes parfois caricaturales, effets dont on a raison de se demander - seule question - s’ils servent ou non la révolution, c’est-à-dire s’ils contribuent à l’édification d’un parti révolutionnaire de « type nouveau », ou s’ils ont pour conséquence de remettre en chantier, purement et simplement, les (t)erreurs, les impasses et leur cortège d’effets néfastes, d’un parti de « type ancien ». Prenons un exemple vécu au cours de l’année 74 : dans la plupart des réunions dites « de masse » - réunions inter-usines, dirigées par le noyau correspondant - l’impératif de formulation claire d’un point de vue révolutionnaire d’ensemble, se transformait en exposés abstraits, longs, ennuyeux, rigides, qui faisaient partir certains avant la fin, et laissaient souvent la plupart des autres dans l’impossibilité de s’approprier de manière vivante dans le débat qui aurait dû suivre, ce qui avait été énoncé… Soutenir la nécessité absolue du débat, de la discussion dans ce genre de réunions me fut plusieurs fois renvoyé à la figure, comme s’il s’agissait d’un libéralisme droitier. Or pour moi, il n’était pas question d’une confrontation d’opinions mais d’une lutte d’idées autour d’une vérité à construire, pour laquelle on engage sa vie, son désir. On le sait, les marxistes-léninistes ne peuvent compter aujourd’hui que sur le ralliement d’un petit nombre d’ouvriers révolutionnaires, en principe susceptibles de constituer une avant-garde au service du communisme. Mais cela exclut-il cette visée de base : l’« appropriation vivante » la plus large possible, spécialement dans une réunion idéologico-politique, des orientations, voire des « idées » révolutionnaires ? On le sait aussi, les marxistes-léninistes ont, à l’étape actuelle, beaucoup à apprendre aux masses. Mais la nécessité conjoncturelle d’une dynamique minoritaire de concentration et d’exposition d’ensemble du point de vue ml exclut-il qu’à tout moment, les militants ont encore et toujours à apprendre des masses, de leurs

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idées, de leurs besoins ? L’ esprit d’enquête et la « démocratie » comme moyen pour concentrer, d’un point de vue révolutionnaire, ce qui, parmi les masses doit être clarifié et porté en avant, demeurent des principes de fond qui ont traversé toutes les époques de la révolution chinoise, même aux moments où la direction centralisée s’avérait la plus impérative. Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas de gommer les principes léninistes en matière d’édification du parti, mais bien de pratiquer, en plus, l’acquis fondamental de la révolution chinoise, la ligne de masse. Banalités que tout cela ? Et pourtant c’est bien ce qui a été souvent bafoué, voire oublié, dans les détails. La liste en est longue et elle serait fastidieuse à énumérer. Mais on pourrait la produire, s’il le fallait. Situons-nous à un autre niveau mais toujours dans le cadre de la liaison aux masses : depuis la fin 1973 et tout au long de l’année 74, il y a eu, sous le couvert des consignes de sécurité, proscription de plus en plus sévère de l’amitié avec les ouvriers, généralement taxée de « petite-bourgeoise ». Il est très mal vu, par exemple, de partager un repas, pour le plaisir d’être ensemble, de passer une soirée dans une famille ouvrière au cours de laquelle on peut discuter d’autres points que ceux mis en avant par l’UCF : l’éducation des gosses, la sexualité, les femmes… Cela m’a été explicitement reproché sous la forme d’une « relation affective inopportune », qui n’a rien à voir avec les tâches d’une communiste, notamment au cours de mon travail de masse dans une maison d’immigrés. Pourtant, la transformation de la conception bourgeoise, la « capacité à adopter le langage de la conception communiste du monde » comme l’explique Mao, passe aussi par l’amitié, l’amitié prolétarienne, basée sur la confiance réciproque (« sinon les paysans, les ouvriers ne vous ouvriront pas leur cœur »…). « Il faut étudier la situation du moment, examiner l’expérience pratique et les données

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de la réalité ; il faut être l’ami des ouvrier et des paysans  » (Sur le Travail de Propagande.) Est-ce là principe de conjoncture - pour la Chine, la période d’édification du socialisme - ou bien peut-on aussi comme précédemment, se demander si une certaine forme de sèche rigueur, dans les relations avec les ouvriers, sert ou non la construction du Parti ? Les pionniers actuels de la révolution future tiennent des discours parfois si raides, si abstraits, même s’ils semblent justes d’un point de vue politique, ils offrent d’eux une image si inhumaine, si tendue qu’elle risque plus de faire peur ou de décourager ceux qui les côtoient qu’elle ne les enthousiasme ! Bien sûr, comme me le disait un camarade : « mieux vaux un révolutionnaire tendu qu’un bourgeois détendu ! ». Et en toute rigueur, l’héroïsme exigé des communistes implique toujours une tension. Mais de là à cette caricature de la tension qu’est je ne sais quelle dureté sans cœur, il y a, pour ma part, un pas que je ne puis franchir, quitte à me faire traiter « d’humaniste bourgeoise », ou de « chrétienne », comme ce fut le cas… L’idéologie prolétarienne n’exclut pas les sentiments, ni l’affectivité même si elle les transforme. Voici donc esquissés deux exemples de ce que j’appellerai des déviations du centralisme : ils concernent au fond des points d’application de la ligne de masse.

(…)

Ceci nous introduit à une série d’autres effets nocifs d’un centralisme mal pratiqué et qui, cette fois, ne concerne pas le rapport aux masses mais les relations dites secondaires, celles qui se tissent, entre militants, à l’intérieur de l’organisation. Elles ne sont pas sans lien avec ce qui vient d’être évoqué. A mon avis - et je parle ici, rappelons-le, de mon expérience militante dans l’organisation jusqu’au début de 1975 - la lutte

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idéologique, bien que proclamée fondamentale, y était devenue très difficile. Quelques exemples :

1. Si on ose défendre un point de vue qui n’est pas immédiatement celui des chefs, garants, transmetteurs infaillibles de la vérité, de la ligne juste, on est beaucoup trop rapidement remis à sa place, surtout quand on n’est pas ouvrier : manière de priver le militant de base d’un quelconque pouvoir de penser. La peur de l’étiquette, délivrée par les « chefs », dont le jugement dirige l’opinion ambiante de la région, rend artificiel - quand elle ne le bloque pas - le fameux processus « unité-critique-unité ». Cela jette les bases d’une unification de type souvent volontariste, d’une « pensée » caricaturale purement ânonnée, et qui plus est, traversée de culpabilités diverses. Cela empêche l’inventivité à la base et le ralliement vivant aux nouvelles directives. Cela explique aussi, en partie, le départ de trop nombreux camarades, découragés, dont certains étaient pourtant sincèrement désireux de militer dans l’UCF. Qu’on se rappelle pour mémoire le voyage en Albanie. Tous les camarades n’ont pas dit ce qu’ils pensaient de mesures assez connes, décidées par les responsables de la délégation : l’interdiction, notamment, de « visiter » Tirana, « visite » jugée « activité petite-bourgeoise », « promenade inutile », ce que, soit dit en passant, les Albanais n’ont pas compris… Si les camarades se sont tus, et plusieurs l’avaient sur l’estomac, face à cette décision, c’est sans doute par peur de se faire accuser d’indiscipline. Autant la discipline prolétarienne est impérative, autant la soumission à des ordres abscons est à dénoncer ! 2. Sous prétexte d’un travail écrasant, on remet à plus tard une discussion demandée sur un point particulier, et ce, lorsque les dirigeants le jugent bon, soit quand le moment de la critique

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semble dépassé et que, la situation ayant changé, d’autres problèmes surgissent. 3. Si on écrit un texte de critique politique d’un processus particulier, où on tente, par exemple, de mettre en évidence un certain nombre d’erreurs relatives à ce processus, qu’elles soient tactiques ou de ligne, et qu’on souhaite soumettre le texte à la discussion des camarades de région, vous êtes prié, sous prétexte que les camarades n’auraient pas à se saisir de ce texte parce qu’ils sont trop « fragiles », de le remettre au tiroir. Deux textes ainsi produits ont dû être « rentrés ». En outre, cette audace - écrire un texte critique - est enregistrée, et tôt ou tard, sanctionnée : elle finira par vous retomber sur le dos. 4. Dans l’accomplissement des tâches quotidiennes (frappe, tirage, etc.), il y a utilisation, exploitation des faiblesses des camarades qui ne savent pas se défendre, et tentative de culpabiliser ceux qui peuvent dire non. D’où la reproduction bourgeoise de la division manuel-intellectuel : à la base (pas aux lieux de pouvoir où les femmes, exposées, peuvent développer leurs capacités..) ce sont toujours les mêmes, les femmes, qui tapent les tracts, les tirent, se dévouent aux tâches obscures, et ce sont d’autres, les hommes, en général, qui pensent… En lieu et place d’une collaboration souple, discutée, pour l’accomplissement de ces tâches, ce sont les tensions agressives dans les relations qui prennent le pas.

Voilà donc, caractérisées à grands traits, quelques erreurs liées à une mauvaise pratique du centralisme, telles qu’elles furent vécues au cours de ma pratique militante dont forcément le Centre Provisoire n’a que les échos filtrés par les dirigeants de région. Tel est le premier terme de la contradiction ici décrite : il concerne les « erreurs » du centralisme démocratique. Ce terme a donc une histoire qui se noue au second terme de la contradiction : et ce second terme a tout autant une histoire.

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Le second terme de la contradiction

C’est donc l’histoire de mon rapport – objectif et subjectif - au premier terme.

Ici prend place ce qu’on appelle - à tort -, une autocritique.

D’ entrée de jeu, disons que je suis largement déterminée par un «  long » passé de classe, bourgeois, long, parce que mon engagement dans la politique ne couvre pas ma jeunesse, mais la quarantaine… Ceci n’est pas une tare. C’est un fait. Donc, une structure subjective s’est constituée où s’amalgament diverses caractéristiques liées à ma classe d’origine : un privilège accordé aux problèmes individuels, une habitude prise, de par un métier pratiqué pendant 15 ans, d’«écouter» la parole de l’autre, hors d’un point de vue de classe, un sens douteux du «  dévouement », doublé, à un niveau plus conflictuel et lié au passé infantile, par une difficulté à assumer tranquillement et ouvertement l’agressivité nécessaire à un affrontement conflictuel. A quoi s’ajoute une réticence à me soumettre au pouvoir de dirigeants dont je tends à percevoir les attitudes compensatoires, les airs de matamores, les faiblesses niées, en termes de traits grossièrement psychologiques (ici je ne parle pas de psychanalyse..) et non par rapport aux critères politiques de cela qui sert ou non le point de vue prolétarien. Ces traits caractéristiques - défauts pour la révolution - n’ont pas facilité cela même qui est au cœur de la pratique du communiste : pouvoir diriger un mouvement de masse, une réunion, attaquer frontalement l’ennemi de classe, défendre de manière acharnée le point de vue révolutionnaire, pratiquer une quelconque violence ouverte. Oser lutter, oser diriger, c’est une capacité qu’il m’a fallu apprendre, mois après mois, qui certes s’est développée (j’ai dirigé bien des réunions de masse, sur un front en particulier), mais tout, en cette matière, demeure encore et toujours à apprendre. (« Or,

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tous doivent apprendre et rééduquer, je dis bien tous, y compris nous-mêmes »… « Une révolutionnarisation prend 17 années ! » Mao).

(…)

Ces traits de caractère m’ont portée, surtout pendant les deux premières années de militantisme, à pratiquer notamment, comme je l’ai dit plus haut, la discussion avec certains ouvriers inscrits à la CGT, plutôt que de lutter ouvertement contre leur point de vue politique. Est-ce dire pour autant, comme se plaisent à le clamer aujourd’hui les deux dirigeants de ma région, que « le négatif l’emporte sur le positif » ?

(…) Venons-en au rapport plus spécifique entre centralisme organisationnel et ma pratique militante : ce sont évidemment les crises induisant ce que j’appellerai les « erreurs réciproques » qui, riches en leçons, sont pleines d’enseignement et porteuses de rectifications. Ces crises m’ont énormément appris, autant sur ce qui risque toujours de faire dégénérer toute organisation révolutionnaire en une dictature aveugle, que sur mes propres limites et faiblesses. La seconde crise, mal résolue, mal traitée - principalement de ma faute puisque je n’ai pas osé mener la lutte idéologique jusqu’au bout - a eu un effet marquant sur le devenir concret de ma pratique militante au cours de la dernière année. Elle a d’une part brisé une confiance de base en moi qui devrait être aujourd’hui entièrement reconstruite, si je me remettais à militer, et d’autre part cette crise a ruiné toute possibilité de rapport personnel de simple confiance envers les deux dirigeants de ma région.

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1) La première crise.

Dans cette crise, constituée autour de l’exclusion abrupte de camarades de la Région Nord en début 73, les deux dirigeants de ma région (Bastille) ne sont nullement en cause. A cette époque, avec deux autres camarades, depuis notre place forcément locale de militants à la base, liés à une région nous avons osé écrire un texte critique du processus par lequel nous avions été saisis de l’affaire, plusieurs discussions régionales ayant buté en réalité sur un fait déjà accompli, une décision centrale déjà prise ; face à quoi toute demande de débat de la région parisienne avec les camarades en question, fut rapidement taxée de « parlementaire bourgeoise ». La « consultation de la base » nous avait paru très formelle, nous y avons réfléchi, nous l’avons dit, nous le dirions encore (en tout cas pour ma part, puisqu’il ne s’agit pas d’engager ici les autres). Ce texte existe - dans un tiroir du Centre provisoire - on peut s’y référer, je n’en reprendrai donc pas l’argumentation. Bornons-nous à noter, à son propos, deux points : 1) Le Centre provisoire nous pria de ne pas soumettre ce texte aux camarades de la région Bastille, l’affaire étant close… 2) A partir de là, et croyez-moi, il ne s’agit pas ici d’une quelconque paranoïa, nous avons été plus ou moins suspectés. A mon égard s’est amorcé un processus de méfiance encore diffuse, qui s’est principalement traduit dans la mise à l’écart de tout processus de centralisation du nouveau, tel qu’il s’élaborait alors. Les mois qui ont suivi cette première crise et qui ont abouti à la seconde, ont en effet été marqués par une mesure politique aberrante : elle consistait à me faire militer comme responsable principale d’une maison de famille d’immigrés, sans que j’aie la possibilité de participer à l’élaboration progressive du premier noyau dirigeant de quartier (le CTML) : tenue contre mon gré à l’écart de ce comité - et paradoxalement accusée en fin de compte

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de vouloir constituer un « royaume indépendant » - j’ai soutenu et dirigé dans cette maison un ensemble de luttes - contre les loyers, le syndic, pour la prise en main des réparations - qui a trouvé son point culminant dans un processus d’occupations victorieuses de chambres vides. L ’application progressive de la ligne fixée par le CTML donna lieu à un processus politique complexe et passionnant, passionnant parce qu’il s’agissait des premiers pas qui conduisaient, de l’organisation de masse à la politique des noyaux communistes, dont l’invention s’ébauchait. Un bilan très détaillé de ce processus a été écrit collectivement : j’y ai joué, au début, un rôle moteur. La mesure qui m’est tombée dessus, au moment des occupations, et qui constitue la seconde crise dans ma pratique militante, m’a découragée à ce point que j’ai laissé en plan la frappe du bilan pourtant achevé. Là aussi il suffirait de taper l’ensemble de ce texte pour pouvoir s’en approprier le contenu.

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2) La deuxième crise.

Deux années de travail patient et quotidien dans cette maison. La création d’un atelier d’enfants immigrés, des luttes successives au cours desquelles se constitue une gauche en devenir. Une liaison riche de potentialités politiques avec les mères des enfants de l’atelier. Une difficile sortie du localisme qui se concrétise par les occupations dont l’enjeu, non seulement intéresse bien des gens du quartier, mais permet une clarification de l’ennemi et une mise en avant du point de vue révolutionnaire d’ensemble. Des repas dans plusieurs familles. Beaucoup de discussions avec les Portugais sur la situation de leur pays. Le projet de faire, dans le local conquis au début par les enfants, des « soirées albanaises » avec comptes-rendus de notre voyage, photos à l’appui. Après une minutieuse préparation des occupations (juillet et septembre), l’opération est victorieuse : non seulement flics et propriétaires se font avoir (les uns n’ont pu que rentrer leurs matraques, les autres ont dû fournir des garanties écrites quant aux futurs relogements..) mais la popularisation dans le quartier réussit à réunir une cinquantaine de personnes pour une marche sur la mairie, elle aussi victorieuse (pas d’expulsions d’office, ni à terme). Le sens politique de la force du peuple, si elle se rassemble et s’organise contre ses ennemis de classe, passe à l’ordre du jour : on en parle. C’est au cours de la semaine des occupations, que les deux dirigeants de ma région taxent « d’erreur politique grave » ce que je continue de considérer aujourd’hui comme un acte politiquement juste : une lettre d’explication envoyée sur mon initiative à une personne de la maison, Monsieur L., qui, le jour des occupations, prenant peur, s’était enivré, et, dans l’ivresse, avait menacé de me jeter dehors. Je connaissais Monsieur L. qui nous avait soutenus dans bien des luttes précédentes, pris des responsabilités d’enquête et de direction des réunions, dont la femme avait tenu tête aux flics

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et luttait contre une sacrée droitière de l’immeuble. Monsieur L. et sa femme étaient parmi les personnes régulièrement présentes aux réunions de quartier du CTML. Sans doute fallait-il poursuivre auprès d’eux un long travail idéologique. Mais ils n’étaient évidemment pas des ennemis ! Pour moi, dans cette affaire, il s’agissait de traiter une contradiction non-antagonique, mais pour les deux camarades, la contradiction était antagonique : ils jugeaient Monsieur L. sur un moment ponctuel de panique et abolissaient ainsi tout le passé ! Dans la lettre, j’expliquais qu’une menace d’homme ivre n’avait pas de sens à mes yeux et que, si je devais être jetée hors de la maison cela se jugerait non pas individuellement, mais dans le rapport de force entre la gauche et la droite du moment. Je l’invitais à réfléchir, par contre, sur le sens de sa peur et de sa débandade, le jour de l’occupation. La lettre, cette prétendue «   erreur grave » - en plus, j’avais osé prendre une initiative sans passer par les dirigeants - n’eut aucune répercussion objective sur le processus politique immédiatement en cours : la marche sur la mairie eut lieu ainsi qu’une discussion dans la cour de l’immeuble, sur l’attitude de Monsieur L. En revanche, elle déclencha une sanction foudroyante qui elle, donna des armes à la droite de la maison, soudain réjouie de m’en voir exclue. Dans la semaine, je n’eus plus le droit de mettre les pieds là où je travaillais depuis deux ans. Cette décision abrupte, prise en dehors du CP, eut sur moi un effet « coup de massue » ! Coup de massue, celui-là même dont parle Mao dans « le travail de propagande »… « S’interdire d’assommer d’un coup de massue »… « Chercher à soumettre par la force est inadmissible, on peut utiliser cette méthode à l’égard de l’ennemi mais nullement à l’égard de camarades ou des amis… ». Le plus dur sans doute était de voir se briser soudain mes liens politiques aux masses de ce quartier, de cette maison, liens patiemment tissés pendant deux années ! Sous le prétexte toujours de la fragilité des camarades, et

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sans doute parce qu’il importait plus de soutenir les dirigeants, le CP avec qui je pus discuter de l’affaire, me demanda de me soumettre à la décision, sans pouvoir communiquer le texte d’analyse où j’examinais les erreurs de chacun et où mon point de vue était très clairement exprimé. On m’expliqua qu’il était bon que je quitte un front auquel j’étais très attachée, bon que j’élargisse mon point de vue en prenant en main le travail de masse sur les usines. Ce avec quoi j’aurais été d’accord si les choses s’étaient passées dans des conditions de transition normales (comme ce fut le cas pour Rhône Poulenc où j’avais travaillé trois ans) : une durée intermédiaire de un ou deux mois, au cours de laquelle je pouvais passer la main aux nouveaux camarades. La gauche de la maison, à laquelle j’étais très liée (surtout deux familles portugaises), fut, elle aussi, tenue hors du coup : à elle aussi il fallut cacher la vérité de mon départ, sans discussion possible, et alléguer que j’avais des charges ailleurs. Que l’on songe aux innombrables textes de Mao sur le «  droit des masses à participer au règlement critique d’une. « erreur d’un communiste » - ce qui fait partie de leur éducation politique - sur le fait qu’un Parti ml n’a pas à craindre la critique car « la vérité est de son côté »(!), sur toutes ses recommandations autour du principe : « Tirer la leçon des erreurs pour en éviter le retour et guérir la maladie pour sauver l’homme ». Que l’on relise ses conseils quant au fait de ne pas craindre d’entrer en contact avec les « choses erronées », et ses avertissements quant au procédé qui consiste à l’intérieur du Parti comme à l’extérieur, à frapper « sans merci », sans «  enquête préalable », sans « discussion prolongée », que l’on réfléchisse donc à tous ces principes qui sont les plus précieux contre tout sectarisme, décision arbitraire, pour pouvoir affirmer que, dans cette circonstance particulière, ils ont été purement et simplement passés sous la table. Mais je m’ écrasai… J’essayai de me convaincre que la discipline est un excellent apprentissage, pour une bourgeoise qui

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fait ses premiers pas dans le militantisme et qui ne sait pas encore bien ce que sont le détachement, la disponibilité révolutionnaires. J’eus mille fois tort, car c’est en réalité, non unifiée, non convaincue du bien-fondé de cette décision abrupte que je commençai le travail sur les petites usines. En trois mois, plus rien ne se passa dans la maison : l’atelier d’enfants fut fermé, les femmes, progressivement abandonnées et le soutien à la gauche s’effrita d’autant plus que plusieurs familles trouvèrent de quoi se loger en banlieue. L ’action dans le quartier prenait en fait un nouveau tournant : elle s’orientait vers une lutte d’ensemble pour la construction d’un foyer international de travailleurs. La manif de quartier pour l’obtention de ce foyer rassembla beaucoup de monde, sur des bases politiques claires. Mais au bout du compte, le projet fut abandonné, du moins je le crois, car, écartée du quartier où je m’étais fait des amis et des ennemis, je ne sais plus aujourd’hui ce qui s’y passe, sauf à imaginer, d’après la lecture des directives de notre journal et la situation nouvelle provoquée par la crise, qu’il doit s’y créer des comités populaires contre cette crise et ses effets principaux, vie chère, chômage. Mais à l’époque, l’abandon d’un projet plus vaste d’occupations des lieux vides, auquel il s’agissait de donner toute sa portée révolutionnaire d’ensemble, me paraissait une erreur tactique, dans la mesure où ce projet correspondait aux intérêts réels des masses populaires, sensibilisées par la première victoire de la maison. C’est en ce sens que ce qui s’y était passé m’était apparu comme une base de départ généralisable et politiquement féconde. En vérité, le pire à mes yeux tenait à l’absence d’explications politiques qu’il aurait fallu fournir à ceux avec qui on avait commencé de lutter. En somme on les laissait tomber, sans le moindre argument. Quoiqu’il en soit, j’étais censée n’avoir plus rien à voir avec le quartier. Soucieuse de me soumettre à la discipline

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organisationnelle, j’essayai donc d’investir mes efforts dans le travail aux usines de la rue Sedaine : je fus accueillie par un noyau de militants communistes. Une nouvelle période s’ouvrait alors, au cours de laquelle il s’avéra que « quelque chose avait été brisé »… Sur le plan interne, la méfiance, principalement à l’égard des deux dirigeants de la région, mais aussi face au type de soutien politique que peut fournir l’organisation (on donne D’ABORD raison aux chefs…), l’emporta sur la confiance. Le silence prudent dans les réunions remplaça la prise en main active de la lutte idéologique à chaque fois que cela s’imposait.

A considérer le passé, un doute me travaillait  : l’UCFml avait-elle eu tort ou raison d’interdire la discussion régionale des deux textes liés aux deux précédentes crises ? N’avais-je pas, moi, confondu la nécessité de la critique et de l’autocritique pour faire avancer politiquement, de manière vivante, l’organisation, avec la « liberté » bourgeoise de la critique ? Pourtant, je continuais de « croire » en cette organisation ! Je m’en souviens, là où la vie et les circonstances me portaient, je répandais avec fierté nos journaux, je discutais de notre ligne avec des militants marxistes belges, italiens… Je me disais : « Ni organisation révolutionnaire, ni militant ne sont parfaits, l’essentiel est de continuer de servir la cause de la révolution en France et l’UCF, si elle a des défauts, défend néanmoins une ligne juste, ce qui est principal ».

Ce qui se passait en profondeur, c’est seulement aujourd’hui que je puis en parler : il devait se produire comme une perte de confiance en mes capacités à devenir une bonne dirigeante du mouvement de masse, et, conséquemment, une sorte de renoncement à vouloir diriger. L’ enthousiasme révolutionnaire ne me portait plus comme à la période précédente. Surtout dans les

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réunions, il me semblait avoir peur de parler, ce qui est le contraire de ce que l’on attend d’un(e) communiste : qu’il (elle) soit sans peur, qu’il(elle) ose mettre les problèmes sur la table !

(…)

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II. De la deuxième contradiction : travail communiste de militants à la base / travail professionnel

et intellectuel de type classique.

(…)

Durant les trois premières années de mon engagement dans l’UCFml, après 68, le travail de militante communiste était principal. Sur le plan professionnel, je me bornais au minimum : une clientèle réduite, chez moi, et à l’université, la tenue d’une seule UV. Aucune écriture porteuse d’un désir de savoir. Par contre, les réunions - y compris celles qui préparaient les autres réunions -, les rédactions, frappes, tirages, diffusions des tracts, les discussions sur les marchés, et/ou aux portes des usines… toutes ces activités du militant à la base, dévoraient joyeusement le temps de chaque journée. On vivait - toute voile dehors - une expérience dont on éprouvait d‘abord et aveuglément l’extrême richesse. J’avais à l’égard de mon métier une attitude aux frontières de l’ultra gauchisme ! Plusieurs mois, je songeais à l’abandonner. La contradiction entre le traitement d’individus singuliers en proie à leurs fantasmes inconscients d’une part, et, d’autre part, les impératifs conscients de la révolution pour que le peuple avec ses ouvriers en tête, change du tout au tout sa vie quotidienne me sautait aux yeux… Entre la diffusion d’un tract à 7 heures du matin, devant la porte d’une usine où je voyais s’engouffrer l’un ou l’autre camarade immigré, que je retrouvais le soir, épuisé par son boulot, et mon écoute de celui qui venait parler de ses conflits et ses difficultés psychiques sur mon divan, quelle contradiction !Pourtant, je ne pensais pas cette contradiction : je vivais sur une pratique professionnelle acquise antérieurement, je m’appuyais sur une technique longuement expérimentée, qui portait ses fruits, mais qui n’ était plus en devenir, susceptible de découvertes, de pensée - et je militais.

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L’ interrogation critique des fondements de classe de mon métier et de ses transformations possibles, passait à l’as. Comme on dit dans le jargon psychanalytique, j’avais tout « investi » dans le travail militant. Le reste paraissait secondaire.

Que ce secondaire, essentiellement lié à mon activité professionnelle, ait pu, au cours des deux dernières années, réoccuper une place nouvelle, dépend d’un ensemble de causes qu’il s’agit de bien distinguer.

Il y a d’abord les causes liées à la situation politique française et ses répercussions sur la ligne organisationnelle. Tout en se condensant dans la forme des noyaux communistes, l’organisation ouvrait aussi ses portes à de nouvelles pratiques en direction des intellectuels. Le dit « rapport aux intellectuels » inaugure cette période et prélude à la fondation de nouvelles organisations de masse rassemblant communistes et sympathisants, d’abord sur des principes d’intervention dans le champ culturel (c’était le groupe Foudre) puis, d’interventions dans le champ théorique (c’était le groupe Yenan).L’absence de grands mouvements prolétariens, la période dite transitoire de reflux, introduisaient à une nouvelle conjoncture où la théorie l’emportait - pour un temps, disait-on - sur la pratique.

A l’université, on était conduit à la nécessité de faire à nouveau un type de cours beaucoup plus classique : les étudiants voulaient plus étudier que se battre. Après des années de luttes au cours desquelles les UV (Unités de valeur) servaient principalement de base de départ et de réflexion pour un travail idéologico-politique mené, soit à l’extérieur de l’université (ainsi par exemple l’UV « Psychiatrie et Lutte de classe » en 72-73), soit au cœur d’autres UV, il s’agissait maintenant de se remettre à préparer des cours selon

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les programmes de l’Education nationale, cours plus exclusivement théoriques, études plus livresques.

Aujourd’hui, ces causes sont sans doute en partie dépassées par la situation d’ensemble nouvelle, liée au développement de la crise, à la montée importante de la lutte des classes au Portugal, exigeant formes organisationnelles et tâches politiques nouvelles : intensification de l’étude DANS l’organisation, meetings centraux plus nombreux, développement du travail de propagande, créations de nouvelles organisations de masse, de type approprié à la crise (Comités populaires, Comité Mario Soarès…).Néanmoins, soutenir et faire croître FOUDRE et YENAN demeurent des nécessités actuelles.En réalité, il y a d’autres causes liées à l’histoire de ma pratique militante et de mes rapports à l’organisation. Sur le fond de ce qui est décrit plus haut, je fus progressivement amenée à réfléchir à la part des déterminations inconscientes en jeu dans les rapports entre camarades, et dans les rapports des camarades à la révolution, à l’organisation. Vu la base de classe encore principalement petite-bourgeoise de notre organisation, je repérais, pour moi comme pour d’autres camarades, la part de fantasmes sous-jacents à notre engagement. Je me posais des questions. Quel rôle, l’organisation en tant qu’institution d’un type particulier, joue comme « surmoi » pour chacun ? Comment peut s’y développer si facilement des comportements de type paranoïaque ? Quelles sont les structures subjectives dominantes chez les révolutionnaires ? Comment tel ou tel camarade attrape-t-il sous nos yeux, en moins d’une année, un « moi » extraordinairement rigide ? Pourquoi devient-il dur, voire cruel ? Quelle sorte de culpabilité est mise en œuvre ? Quelles sont les fonctions de l’idéal projeté sur l’organisation et ses chefs ? De quoi se nourrit l’imaginaire quant à la révolution ?

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Toutes questions, dont je croyais savoir qu’à les poser en ces termes - freudiens - je m’enfermais dans les limites et les leurres de la pensée bourgeoise. Néanmoins, ce sont des questions et je ne disposais pas d’autres concepts - ou notions - pour les poser, pour réfléchir à ces problèmes qui ne tombaient pas du ciel.

Je savais seulement que la théorie marxiste, la pratique révolutionnaire fondée dans la confiance dans les masses et dans le Parti, celle, juste et fraternelle, de la critique et de l’autocritique, pouvaient se passer des apports de la psychanalyse, qui faisait pourtant partie de notre héritage culturel. Mais de cet héritage, comme le remarque Lénine, il ne s’agissait pas purement et simplement d’en faire fi ! « Si un communiste s’avisait de se targuer de communisme à partir de conclusions toutes faites, apprises par cœur, sans avoir fait un grand travail très sérieux et très difficile, sans avoir cherché à voir clair dans les faits qu’il doit aborder dans un esprit critique, ce communiste serait un piètre individu. S’en tenir à la surface des choses serait vraiment néfaste… ».

Le besoin impérieux renaissait de retrouver du temps et comme une disponibilité intérieure différente, pour étudier, pour apprendre aussi dans les livres, pour écrire des textes théoriques. La demande organisationnelle, par l’intermédiaire de « Yenan » surtout, et deux invitations à des congrès de psychanalyse m’en donnèrent l’occasion. En réalité, la pratique militante ne m’avait jamais laissé le temps de lire certains textes fondamentaux de Marx et Lénine. Je me plongeai dans l’Anti-Dühring, dans l’Idéologie Allemande. Pour le cours de Vincennes, je mis en chantier une critique marxiste de la psychanalyse. Tout ce processus en devenir m’amena progressivement à répartir autrement mes activités. Mon passé militant, si riche en découvertes, me paraissait grevé de dévouements multiples qui

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ressemblaient parfois à des fuites en avant, dans l’activisme. Quoiqu’il en soit des causes en jeu, il y eut un renversement progressif de l’aspect principal de la contradiction : travail professionnel/travail communiste sur le terrain militant. Je ne donnais plus tout mon temps, l’essentiel de mes forces, à la préparation des réunions innombrables, des meetings, régionaux ou centraux, à la rédaction des tracts, leurs tirages, et leurs diffusions, à la présence quotidienne aux portes des usines désignées pour chaque région.. Mais il faut l’avouer, cette contradiction est qualitative, elle ne se joue pas qu’au niveau du temps réparti. Mal traitée, elle n’a pas été justement résolue : elle ne m’a pas permis un travail véritablement satisfaisant, côté communiste ou côté professionnel. A force de vouloir tout tenir, elle a surtout engendré une sorte d’épuisement progressif. Pour y voir plus clair il fallait une coupure : l’idée vint au jour d’une suspension transitoire, que le CP m’accordait en annonçant qu’il en parlerait aux deux dirigeants de région. Je voyais ainsi se profiler ce qui me tenait le plus à cœur : la possibilité d’écrire un bilan où serait questionné le statut des « travailleurs intellectuels ». Mais je le certifie ici, l’idée de quitter l’organisation ne m’avait pas effleurée. C’est alors, en février 75, que s’amorça la troisième crise dans ma vie militante.

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3)La troisième crise.

J’ai, en ce qui me concerne, à produire d’abord une autocritique de fond : pendant toute cette dernière période (troisième trimestre 74 et début 75), j’aurais absolument dû prendre l’initiative de soumettre aux deux dirigeants de région, l’ensemble des problèmes que je pose ici et en discuter avec eux. J’aurais d’abord dû passer par eux et non m’adresser directement au CP, pour régler la question du voyage en Chine, où j’étais invitée, et aussi pour parler de la suspension dont j’étais menacée. On comprend déjà par ce qui précède, pourquoi cette démarche m’était impossible, mais ajoutons ceci : depuis l’expulsion de la maison d’immigrés, le comportement des deux « chefs » envers moi était dur, et souvent cette dureté n’était pas justifiée. Que l’un d’eux se rappelle par exemple, comment il m’engueula en pleine rue devant d’autres camarades - d’ailleurs gênés, et qui le critiquèrent par la suite - parce que je demandais pour une semaine une clef du local, où je devais tirer des tracts, clef à laquelle je n’avais plus légalement droit… Que l’autre se souvienne de ses sarcasmes au cours d’un stage, à propos de mon métier ! Qu’ils se remettent tous les deux en mémoire le nombre de fois où, haussant les épaules - ou les sourcils -, ils me coupaient rapidement la parole en réunion, si j’osais la prendre, pour répéter bien souvent, une demi-heure après, l’essentiel de mes arguments ! Qu’ils analysent le poids de la culpabilité qu’ils déclenchaient, si je m’avisais de ne pas faire sauter l’UV que je dirigeais à Vincennes, le vendredi à 18 heures, heure de mobilisation pour toute la région, ou si je refusais une diffuse de tracts à 5h30 du matin, laquelle intervention, je l’avais expérimenté plusieurs fois, me conduisait irrésistiblement à dormir pendant l’exercice de mon métier… Détails, diront-ils. Certes. Mais détails concrets, qui lorsqu’ils se répètent et s’accumulent, sapent l’entrain, minent l’enthousiasme, alourdissent le climat. Vrai, ces

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deux camarades, dont la solidité révolutionnaire et la volonté de servir le peuple sont incontestables et qui, depuis lors, se sont sans doute transformés - à moins qu’ils n’aient les mêmes problèmes avec d’autres camarades ? - faisaient à mes yeux, la plupart du temps, figure de « petits chefs » encore très jeunes, dont l’autorité, forcément décuplée en période révolutionnaire plus avancée, me paraissait redoutable !

Or, dans cette tension réciproque et non parlée, ce qui est tout ce qu’il y a de moins maoïste - voici la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Un vendredi à 1h30 du matin, en fin de réunion, après une semaine très épuisante pour tous les camarades - je dis bien tous - il m’est demandé de remplacer au pied levé, le samedi matin, un camarade qui ne pouvait pas assurer la vente du journal, sur le marché. J’étais dans un état de tension et de fatigue peu dicible. Mes règles commençaient. Depuis 15 jours, je n’avais pas trouvé le temps de me laver les cheveux… Je refusai simplement, au nom de cette extrême fatigue, de ce mal dans les reins, de ces cheveux sales… Le contenu de la discussion revenait à ceci : « Tu ne vois pas comment les camarades ouvriers se crèvent ! Ils prennent en main des tas de tâches ! Ils militent tous les soirs après leurs 8 heures de boulot ! Et toi tu te tailles à la moindre fatigue ! » Cette accusation n’a fait que raidir mon refus … J’ai même ajouté qu’en ce qui concerne les tâches du samedi matin, je n’étais pas sûre de pouvoir les assurer régulièrement et que cela devait être débattu. La sanction ne s’est pas fait attendre : dés le lundi, je suis informée de ma suspension de tout travail militant pendant une semaine pour indiscipline, refus, sans prétextes valables, de me soumettre à la loi régionale. Pas le droit d’assister à la réunion de région, pourtant importante. Pas d’usines. Pas de réunion de noyau. Je dus passer à des camarades, des notes assemblées pour un rapport sur la santé en Albanie et en Chine, que je devais présenter

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le vendredi suivant. Bon ! Cela n’était pas terrible et me faisait penser à des méthodes d’éducation du type : « Tu as été méchante, on te prive de dessert ! » Puis, comme l’éventualité d’une suspension, non punitive et souhaitée par moi, s’annonçait, je pris cela pas trop mal. Après tout, il faut bien une loi… Ce qui est grave, et d’un point de vue maoïste, tout à fait critiquable, c’est qu’à la réunion de région où je n’étais donc pas présente, les deux dirigeants annoncèrent aux camarades qu’ils avaient décidé, vu ma «  dégénérescence idéologique », soit de me faire démissionner, soit, si je m’y refusais, d’entamer un processus d’exclusion. Les camarades de la région, me fut-il dit, refusèrent de discuter en mon absence, l’alternative annoncée, tandis que moi, je fus prévenue seulement huit jours plus tard. Il n’y avait pas à revenir sur cette décision. Je n’étais plus une communiste. L’une ou l’autre alternative : exclusion ou démission. Rien d’autre. Etait-ce « user de patience pour aider à se corriger » ? « Venir en aide à une camarade qui a des difficultés ? » Une décision centrale est une décision centrale, elle a à trancher. Mais se prend-elle AVANT un quelconque processus de discussion avec le/la camarade en question ? Jamais je n’avais lu cela dans les écrits de Mao et j’étais tellement loin de cette éventualité - qu’on m’oblige à quitter l’organisation sans la possibilité d’en discuter avec les camarades de la région - que je ne pus m’empêcher de penser que les deux dirigeants voulaient purement et simplement se débarrasser d’une camarade gênante… Ce qui m’étonna le plus, c’était la répétition du caractère brutal et non discuté au préalable, d’une décision qui, tout à fait semblable dans sa forme à celle où je fus jetée hors de la maison d’immigrés, me frappait sans qu’il soit possible de revenir dessus. Car pour tout processus ultérieur de discussion avec le CP, il s’agissait de partir de la décision prise par les dirigeants régionaux. « La démission ou l’exclusion, écrivais je alors dans une lettre au Centre, quel est le principe de cette alternative ? D’être hors de

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l’organisation, soit hors la possibilité d’assurer, à la mesure de mes moyens, de mes forces, de mon âge, de mon métier, de ma situation sociale concrète - toutes conditions réelles qui, dans la conjoncture actuelle, me semblent devoir être prises en compte - une pratique militante avec les camarades ouvriers, hors donc du processus matérialiste de pensée et de connaissance, seul moyen matérialiste de servir en vérité la révolution prolétarienne ? Mais je n’allais pas pleurnicher. D’autant que j’espérais que des modalités nouvelles du rapport nécessaire à la pratique fondamentale pourraient être inventées par l’organisation, pour cette catégorie de militants dont je m’éprouvais actuellement faire parti : les intellectuels, qu’ils soient des scientifiques, des artistes, des philosophes, des écrivains… Déjà l’organisation n’avait-elle pas aménagé, pour certains camarades étudiants, ou ayant à fournir un gros travail intellectuel, des limitations objectives de leur pratique à la base, sans pour autant les mettre à l’écart ? Rien n’était donc impossible. Il me fut répondu, un mois plus tard, dans une première discussion avec un membre du CP, que l’organisation se penchait avec beaucoup d’attention sur ce type de problème, celui des intellectuels militants, qu’elle enquêtait sur ce point, mais que, hors Foudre et Yenan, les formes concrètes n’ étaient pas mûres : il faudrait attendre plusieurs mois. D’ici là, dans la mesure où je souhaitais un temps de suspension et que l’exclusion me paraissait inconcevable, voire infâmante - à la réflexion, j’ai peut-être eu tort de penser cela, car on peut se demander pour qui cette exclusion, dans sa procédure, aurait été difficile… -, il n’y avait pas d’autre solution prévue par la légalité organisationnelle que la démission, sans préjuger de l’avenir. Il fut convenu que je rédigerais donc un texte d’analyse et qu’on en discuterait ultérieurement. Ce texte le voici. Il n’a jamais été discuté. Que peut-on en conclure ?

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III. Conclusions et propositions

« La vie avance par voie de contradictions et les contradictions vivantes sont bien plus riches, plus variées et plus étoffées que l’esprit humain ne peut le concevoir de prime abord. » (Lénine)

(…)

Une première remarque s’impose d’abord : si, par la mesure prise à mon endroit, je m’étais sentie définitivement coupée de l’organisation, de son rôle historique dans l’avancée de la révolution en France et dans le monde, je sais que je n’aurais pas écrit ce texte. J’aurais enregistré la mise à l’écart comme une condamnation - sans doute injuste - mais sur laquelle il ne fallait pas revenir, et j’aurais purement et simplement déplacé le terrain de mes activités en essayant, comme je le pouvais, de les inscrire à un autre niveau, dans le mouvement de l’histoire. Une deuxième remarque doit aussi être au préalable signalée : c’est qu’en général, le contenu politique de la ligne suivie par l’organisation, lui, ne m’a jamais fait problème. Cette ligne en devenir, je l’ai toujours vécue comme juste : dans la manière de poser la question du Parti, dans la prise de position courageuse, tellement à contre-courant, face aux élections de 73, dans la critique radicale des syndicats, dans la mise en avant du Prolétariat International de France, dans l’élaboration progressive du programme révolutionnaire à travers la forme condensée des noyaux, il y a eu là, à chaque tournant, des orientations politiques et idéologiques précises, des directives qui, éprouvées par la pratique, ont démontré que l’organisation ne cédait jamais à l’opportunisme, mais bien qu’elle garantissait pas à pas l’autonomie révolutionnaire du prolétariat et de son projet universel. Si le « bât a blessé », c’est donc à un autre niveau, secondaire certes, mais comme chacun sait, le secondaire peut devenir principal

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et, même s’il ne le devient pas, il joue lui aussi un rôle déterminant qu’il serait erroné de laisser dans l’ombre.

(…)

Le tout est donc de savoir aujourd’hui ce qui sert au mieux le projet révolutionnaire : ou la concentration ultra-minoritaire des « plus durs et des plus purs » selon la politique condensée de la région formant ses cadres de choc, ou l’intégration de forces plus complexes, plus nombreuses et plus diversifiées. Mais est-ce l’un OU l’autre ou l’un ET l’autre ? Jusqu’à présent, l’UCF a choisi tactiquement dans le sens de la première formule : elle seule se prononcera face à ce qui est proposé ici - qui concerne l’avenir - car elle seule détient en vérité le point de vue d’ensemble, et donc, la décision au plus près du plus juste.

(…)

La meilleure façon de rouvrir mon rapport au militantisme, pour l’avenir, serait évidemment de délimiter très précisément un type nouveau d’insertion pratique dans l’organisation. Par les réponses et les arguments que je l’espère, l’organisation pourra fournir, par des discussions sur ce texte que je souhaite larges, on verra bien si quelque chose est possible en ce sens. Quoiqu’il en soit, tout reste toujours à « faire », à découvrir, à penser, les batailles recommencent à l’infini, l’avenir demeure ouvert.

Juillet/août 75

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AUJOURD’HUI : « faire passe »

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Lecture critique quarante ans plus tard

Quel jargon imbuvable aujourd’hui ! Quel torrent monotone de vérités toutes faites, issues telles quelles du « discours de l’Autre » ! Quelle manière de sauver à tout prix une organisation qui, certes, laisse se commettre des erreurs mais ne se trompe jamais ! Cet ensemble hiérarchisé de militants, au moment même où se formulent des critiques à son endroit, comme il doit, néanmoins, toujours avoir raison ! Mais aussi, en ce qui me concerne, quelle énergie pour supporter, sans se laisser abattre, des décisions qui frisent la mise à mort symbolique ! Le courage ne manquait pas et il me venait justement de ma foi, pleine d’ardeur, en ce qu’il fallait d’un côté défendre, de l’autre, interroger.

Je vivais dans la tension contradictoire entre l’enthousiasme venu des batailles où se découvrait pour moi une extraordinaire richesse humaine, pleine de nouveautés, tissée par le courage politique des ouvriers, et, par ailleurs, la confrontation à des jugements sur ma personne qui me renvoyaient sans cesse à mon origine de classe.

Revenons au texte.

Une première phrase nous arrête immédiatement : « Le chef principal de l’accusation tient dans les termes dégénérescence idéologique ». N’est-ce pas là un terme en vogue dans tous les discours fascisants ? Il y a les purs et il y a les dégénérés. La militante en question est stigmatisée comme étant en train de tomber dans le

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camp des « dégénérés ». Quelle chance lui est-il donnée de mener à bien son engagement dans la politique, avec une telle accusation sur le front ? Alors qu’il aurait fallu traiter toute difficulté intérieure au groupe par la parole, la discussion, l’explication et la confrontation, toutes manières de faire aux antipodes du soupçon ! Mais il y a pire. Cette désignation à la vindicte s’appuie sur l’idée que la subjectivité du militant ne lui appartient nullement, qu’elle doit être transformée selon les ordres du « parti » qui, en vérité, manipulent le sentiment de culpabilité du militant. Or, pour moi, il s’agissait de parler, non plus comme un délégué de la pensée collective, mais comme un acteur de cette pensée, responsable de soi.

Dans le texte il est aussi question de « noyaux communistes où se condense et s’élabore pas à pas le programme de la révolution, noyaux dirigeants de nouvelles organisations de masse » qui elles, seraient censées « vivre au souffle des luttes locales ». Une telle phrase reconduit à nos yeux toute la structure d’antan du « parti » : ceux qui pensent d’un côté, et, de l’autre, ceux qui vivent à partir des «  luttes locales ». S’il y a de nouvelles organisations populaires, - nous ne le répéterons jamais assez -, ça ne peut venir que d’une création politique du peuple lui-même. Certes, Mao avait inventé pour cela le concept de « ligne de masse » et certains s’y affirmeront capables, plus que d’autres, de prendre la parole, d’éclairer l’enjeu réel d’une situation. Mais, aujourd’hui, ce concept pris dans la logique de parti, doit céder la place au principe selon lequel chacun est capable d’analyser, de penser. Les militants ne sont donc pas là pour se retirer dans un coin et « élaborer avec leurs chefs un programme » que le Parti se chargera d’imposer à tous. La recherche et la construction de la vérité politique du moment se partagent à égalité entre tous, du moins entre ceux qui en ont le souci.

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Ainsi faudrait-il concevoir l’école ouvrière, évoquée un peu plus loin dans le texte, non pas comme l’apprentissage d’un catéchisme, enseigné par ceux qui savent et répété par ceux qui apprennent, mais comme un lieu de formation à une pensée politique où chacun est amené à s’emparer du vrai de sa situation et peut alors décider de combattre. L’appropriation et la transmission d’un savoir ne peuvent s’opérer qu’à cette condition : que tout un chacun soit responsable de ce savoir qui devient bien commun par le fait que, pour part, chacun l’invente, chacun y contribue en l’interrogeant et en le confrontant à sa propre expérience vécue. Or, ce n’est pas ça qui se mettait en place dans les années 70. Le texte montre à tous ses tournants exactement le contraire. Il n’y a pas vraiment moyen, par exemple, de poser en réunion une question quant à la ligne décidée. Car si vous le faites, vous êtes traité comme un suspect, un « droitier », donc un ennemi potentiel tandis que déjà, la menace plus ou moins trouble de l’exclusion se profile. Au fond, votre questionnement vous place d’emblée dans une situation d’accusé, qui s’intériorise très rapidement : oui, je m’accuse d’être « une sale bourgeoise », oui, j’ai « des idées réactionnaires » concernant mes relations d’amitié avec les gens du peuple, oui, etc. Revenons à la fin du premier chapitre où il est question d’autocritique. C’est un exemple frappant du mécanisme d’intériorisation de la culpabilité : d’un côté, je suis lucide sur des traits du fonctionnement du noyau dirigeant, je perçois les effets délétères des « attitudes compensatoires », des « airs de matamore », des « faiblesses niées ». De l’autre, je m’interdis d’exercer cette critique qui pourtant est la mienne, au prétexte que je ne me suis pas d’abord posé la question de savoir, si elle sert ou non le point de vue prolétarien et tout ça à cause de mes origines de classe. Donc je serais assignée par mes origines à n’avoir pas d’autres alternatives : soit ne pas céder sur la critique et en être culpabilisée, soit dénier cette critique et se soumettre.

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Répétons-le : la désignation à la vindicte d’un(e) camarade s’appuie sur l’idée que sa subjectivité ne lui appartient aucunement, qu’elle est une propriété collective, qu’elle doit se transformer dans et par le collectif où elle se trouve inscrite. Alors que, comme le dit Lacan, « le collectif n’est rien que le sujet de l’individuel ». Le collectif, en dehors du fait qu’il donne la possibilité à des individus de devenir sujets, n’est rien. Ces sujets advenus n’ont rien à voir avec les non-sujets, ceux-là qui parviennent à coller aux injonctions de l’organisation, par le seul renforcement de leurs propres impératifs surmoïques. C’est là un des mécanismes qui ont conduit, depuis les lendemains d’Octobre 17 jusqu’aux dernières mesures de la Révolution culturelle rétablissant l’autorité du Parti, au dessaisissement, en ce qui concerne les gens, de leur propre pensée de et dans la révolution ? Paradoxalement, le primat absolu d’un point de vue de classe a été une des armes de ce dessaisissement. (« Tu es un koulak, donc tu es propriétaire, donc tu es supposé défendre ta propriété. Alors il est normal que tu acceptes d’être déporte, tué et même, tu vas le demande toi-même »). Une autre arme du dessaisissement aura sans doute été la transformation de la force subjective héroïque du révolutionnaire en mythologie prolétarienne derrière laquelle - à coups de silence imposé et de police - se constituait, dans la terreur, le soupçon généralisé de la traîtrise, pris en charge par une nouvelle bureaucratie d’état : celle-là, recourant aux aveux truqués, ouvrait à l’élimination de tout supposé récalcitrant. A contrario, il faut affirmer ici que le militant soumis à la discipline collective, est celui qui parle en son nom : il n’est ni le pur écho de la parole des dirigeants, ni le délégué d’une quelconque autorité extérieure. Il sert les idéaux qu’il s’est appropriés dans le rude apprentissage d’une pensée collective. Il représente à la fois cette pensée et la sienne propre : il devrait être au-delà de la peur.

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En 1975, il est clair, que je ne peux assumer la critique qui est la mienne face à la direction. Je pensais qu’il ne fallait pas l’accuser de faire des erreurs, pour lui laisser la chance de pouvoir en tenir compte, mais sans le dire ouvertement. Le militant ne peut être entendu que s’il propose du nouveau : mais un nouveau qui soit tel, qu’il ne puisse que confirmer le discours du dirigeant, ce qui conforte son narcissisme et fige la place qu’il occupe. Accusée d’avoir laissé de côté les intérêts du prolétariat j’annule, je refoule, ce que pourtant je pense et qui ne relève pas seulement d’un fantasme. Ainsi s’amorce l’altération progressive de ma subjectivité dans le collectif, la neutralisation de ce qu’elle pourrait apporter de bénéfique… On peut voir dans les faits un déroulement inexorable. Lorsque le groupe dirigeant cède à sa « pulsion d’emprise » il n’a plus de quoi retenir la toute-puissance imaginaire de ses pensées. Il est pris au piège de sa propre mythomanie.Face à mes critiques, silence radio.Puis le Centre Provisoire interdit que cette critique circule. Ne faut-il pas protéger les « fragiles » des idées dites réactionnaires ? Ensuite le CP laisse se répandre un climat de méfiance diffuse - pouvant aller jusqu’à la calomnie - autour de moi comme militante, laquelle s’enferme dans un silence prudent.Dès lors la voilà maintenue à l’écart de toute information, de toute décision, la contraignant à tenter de chercher ce que de toute façon on lui refuse. Enfin, après l’éloignement forcé du terrain de l’action, le processus d’exclusion transformé en démission obligatoire, s’accompagne de l’interdiction, faite aux autres militants, de communiquer avec l’exclue. Ce processus, on peut le dire de police, police de parti, police d’état : même sans parti, même sans état, même sans pouvoir d’accuser, d’emprisonner, de torturer, d’exécuter.

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En fait c’est d’une mise à mort symbolique qu’il s’agit, se condensant dans la phrase qui me fut adressée : « Tu le sais bien, hors nous, point de salut ! »

A la lecture de ce texte il est a contrario frappant de constater à quel point cet engagement politique se soutenait d’une foi aveugle en l’organisation, archi-dotée, comme le pape, d’infaillibilité. Est-ce cette foi qui suscitait en moi énergie, enthousiasme, ferveur, persévérance ? Il demeure, envers et contre tout, que se jouait là une expérience fondatrice de vie. Mais, pour nombre de militants de base, cette expérience magnifique fut cause d’amertume et de désengagement. Dans notre Organisation - et ailleurs - les orientations ordonnées par un « style de vie » prolétarien ont fini par devenir des diktats. Plus graves, parmi les conduites politiques critiquables, notons celles concernant l’interruption de pratiques politiques locales : comment a-t-on mis un terme à la présence des militants sur le terrain ? Comment a-t-on traité les gens du peuple également engagés ? Eh bien on les a laissé se débrouiller comme ils pouvaient. Ce n’est pas tant l’arrêt de l’activité politique qui est ici en question, que l’absence d’explications données quant à cet arrêt, autant que la manière d’éloigner de toute décision quant à la poursuite de l’action, ceux qui y étaient vraiment engagés. Ainsi en fut-il avec les « Mal-logés du XIème », avec la «  coopérative ouvriers-paysans en Auvergne », et bien d’autres situations militantes. Aujourd’hui nous disons que c’est chacun, tel qu’il est - le quiconque qu’il est - qui porte la décision de son engagement et de son retrait : certes, la décision est in fine collective, mais nul n’a autorité pour décider à la place de chacun.

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Se situer dans une histoire avec des principes :L’ égalité

Pas « d’en-commun » sans singulier

Il y a l’ égalité pour tous, l’égalité dans la liberté. C’est une idée de toujours. Une idée universelle, inséparable de celle de justice. Il s’agit de s’emparer de cette idée, non comme d’un drapeau que l’on brandit mais comme ce qui règle l’action et la pensée. Ce n’est pas un idéal surajouté ; c’est ce à partir de quoi peut être envisagée une action politique en son lieu, toujours porteuse d’universalité. Dans chaque situation précise se construit et se partage sous le signe de l’égalité de tous, une politique dite d’émancipation : c’est une politique voulue, pratiquée et inventée au jour le jour par les gens eux-mêmes, une politique qui s’organise, se défait et se réorganise sans cesse. L’égalité comme principe nous permet de nous poser face au monde d’aujourd’hui. C’est un signifiant de l’antagonisme existant entre nous et le capitalisme mondial, au service duquel les Etats se sont rangés. C’est peu de dire que la féroce dictature capitaliste fabrique inégalité et injustice, dont elle vit. La guerre aux pauvres crée incessamment de nouveaux pauvres, elle fabrique de quoi les piéger et ne cesse pas de réinventer les figures et de la pauvreté et de l’oppression.

Quelles sont ces figures ?

1) Figures bureaucratiques : sous le règne occulte des « experts », est menée une politique anti-pauvres adossée à des lois incessantes, dans le but d’exclure de la protection sociale de plus en plus de gens

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Si tu ne tombes pas dans la case prévue par la loi, tu peux crever ! Ainsi le contrôle social, de plus en plus étroit, à l’abri de la loi s’attaque aux ressources matérielles et subjectives de ceux qu’il a décidé d’exclure. De là que, entre le réel du monde capitaliste et tout un chacun, l’Etat interpose un mur. Si tu veux comprendre le monde tel qu’il est, il faut passer ce mur, qui est là, justement pour qu’on ne puisse plus s’emparer de la vérité du monde. Ainsi les gens sont-ils chosifiés, absentés de leur propre situation. 2) Figures de la prescription : celles qui voudraient contraindre les gens à intérioriser la perte de sens de leur métier et de leur vie, ce que certains nomment à juste titre « démocratie totalitaire »(R Gori). Ici l’évaluation chiffrée contraint le regard à ne plus pouvoir prendre en compte les gens. En effet cette prescription attaque, détruit tout ce qui garantissait un espace commun, un intérêt général : médecine, école, justice, psychiatrie, sont sommés de se « managériser » en ignorant le respect dû à la dignité de l’enfant, de l’élève, du malade, de l’handicapé, du jeune en butte à l’absence d’avenir.

3) Figures policières : celles qui s’en prennent à ceux que la loi désigne comme hors société. Persécutions (échos de fantasmes coloniaux et ancestraux) contre les Sans-Papiers, les demandeurs d’asiles, les étrangers en transit, les Roms. Non seulement on les expulse, mais on détruit aussi tout ce qui assurait leur survie. Cette prétention à ravager l’humain dans l’homme donne à voir le vrai de ce monde. Tracasseries multiples, exigences sans fin visant essentiellement les pauvres. (Il n’y a jamais assez de preuves d’intégration envers les étrangers, parfois même envers les résidents, voire même envers les Français dont on se complaît à souligner qu’ils ne sont pas d’origine.) Enfermement répétitif et violent des jeunes des cités dans la figure mythique de la « classe dangereuse », ce qui permet tout

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à la fois et de les abandonner et de tenter de les réduire sous la matraque. Figures policières qui criminalisent tous ceux qui osent ne pas subir la difficulté des situations qu’on leur impose (ouvriers contre leur licenciement, jeunes occupant les logements vides, manifestations du peuple en colère). Toutes violences pratiquées par la police qui voudrait imposer une mentalité de guerre : le drapeau de l’insécurité est brandi soit pour dresser les gens les uns contre les autres, soit pour les figer chacun dans sa catégorie décidée par les lois de l’Etat, protectrices de l’injustice. Ainsi l’Etat croit-il le capitalisme bien gardé.

Qu’allons-nous pouvoir opposer à cela ? Telle est la question.

Sûrement pas l’embrigadement endormi derrière les démocraties parlementaires dont les pansements hypocrites ne trompent plus grand monde. Nous ne supplions ni ne harcelons l’Etat pour qu’il exerce un peu de charité. Nous voulons le contraindre, par la force de conviction des gens et leurs actions rassemblées, à respecter les personnes et tous leurs droits, même si la loi les déclare « illégaux ». Le droit n’est pas une question de loi. Le droit reconnaît n’importe quel humain. Il est en principe au delà de la parole de l’Etat, nous affirmons qu’il a sa propre légitimité.

Une guerre nous est faite que nous n’avons pas choisie, elle nous impose d’y faire face. Cette violence, on ne peut l’éluder. Nous tirons sur ce point les leçons de l’histoire, pas celle des vainqueurs qui appellent « civilisation » ce qui peut n’être que « barbarie », mais l’histoire qui nous préoccupe, celle de ceux qui se sont fourvoyés eux-mêmes en recourant à la terreur, recours qui signe toujours la défaite d’une révolution et l’avènement d’un ordre totalitaire. Nous ne voulons donc plus avoir à faire à un parti, et encore

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moins à un parti qui occupe la place de l’Etat. Nous ne voulons pas non plus être piégés par une violence révolutionnaire exercée par des petits groupes agissant au nom et à la place des gens eux-mêmes. Du côté des gens, cela ne fait qu’encourager leur passivité. Côté « révolutionnaire », ça ne mène qu’à des affrontements perdus et payés très cher individuellement. Ce n’est pas que cela nous effarouche. Nous y voyons seulement une difficulté politique liée à un entre-soi, entre gens révoltés et solidaires qui peuvent s’accorder un jusqu’auboutisme, parce qu’ils sont séparés de ce que le peuple aurait à en dire pour lui-même. Nous pensons que la désignation de l’ennemi, hors la voix des gens, ne fait pas par elle-même politique. D’autant plus que, comme Sartre l’a bien montré, un vice interne redoutable s’attache à cette désignation. On ne sait que trop avec quelle facilité on passe de l’identification de l’ennemi extérieur à la recherche forcenée de l’ennemi soi-disant caché à l’intérieur. La seule catégorie de l’ennemi ne nous détermine pas. Nous ne voulons pas assigner la politique à sa dénonciation.

Nous voulons un lien égalitaire, entre des gens qui s’investissent, des dirigeants qui s’assument et le « chacun-militant » engagé par son désir dans l’affaire de tous : la politique commence quand des gens différents mettent en partage, au nom de principes communs, l’affirmation de leur droit, de leur désir et la décision de se battre qui en découle, tenue dans la durée. On peut nommer ce processus en travail, « sujet collectif ». C’est la recherche de l’en-commun qui fait de l’individu autre chose « qu’un-de-plus », renvoyé qu’il est à la nécessité de travailler sa singularité jamais acquise, jamais définitive, toujours intimement tissée de contradictions. Ainsi la manière de faire de la politique ne sera plus une porte ouverte à la capacité de se soumettre ou plutôt ne pervertira plus la capacité affirmative en capacité à se soumettre.

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C’est en quoi pour nous « Egalité » est un des signifiants fondant le concept de « Démocratie ». C’est le garant que ce qui se construira collectivement, l’aura été à partir d’un faire-confiance aux processus propres d’appropriation subjective. Ce sont ces détours de l’élaboration collective qui ouvrent à l’unité, tout en faisant barrage à la transformation d’une vérité en dogme. Seul ce travail-là permet que les gens, non directement concernés par la situation, n’en soient plus simplement spectateurs mais puissent trouver matière à s’investir.

De même que la dictature éduque à la dictature, les gens en venant à l’exercer eux-mêmes entre eux, de même la démocratie éduque à la démocratie, les gens arrivant enfin à se responsabiliser, à sortir de leurs carcans, de leurs appartenances : ils se présentent eux-mêmes comme capables de penser, de se confronter et d’agir. Pour appuyer notre propos, nous citerons ici Jean-Luc Nancy dans « Vérité de la démocratie » :

« Contrairement à ce que montre l’individualisme libéral, qui ne produit que l’équivalence des individus - y compris lorsqu’on les baptise « personnes humaines »-, c’est l’affirmation de chacun que le commun doit rendre possible : mais une affirmation qui ne vaille, précisément, qu’entre tous et en quelque sorte par tous, qui renvoie à tous comme à la possibilité et à l’ouverture du sens singulier de chacun et de chaque rapport. Cela seul sort du nihilisme : non la réactivation de valeurs, mais la manifestation de tous sur un fond dont le « rien » signifie que tous valent incommensurablement, absolument et infiniment (…) La stricte égalité est le régime où se partagent ces incommensurables » (…) « Qu’il y ait toujours plus de raisons qu’il n’en faut pour enrager et pour lutter, pour dénoncer et pour exiger, exiger le juste, le vivace, et le bel infini de l’homme, d’un homme au-delà de ses droits »1

1 Jean Luc Nancy, Vérité de la démocratie, Galilée, Paris 2008

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On peut conclure en disant que « politique » s’entend en deux sens radicalement différents et opposés : ou bien politique pour le pouvoir, pour diriger l’Etat, donc police sur les gens, ou bien politique complètement séparée de l’Etat, politique de l’en-commun, qui se constitue selon les seuls principes et en dehors de toute configuration préétablie.

Alain Badiou, lui, préfère parler de « L’Idée » à laquelle il rapporte le mot « Communisme ». Limitons-nous ici à une question essentielle : comment, par quels chemins et quelles transformations les gens s’approprient-ils cette Idée ? Et comment mettent-ils en relation une vérité particulière, propre à une situation, avec d’autres vérités, donnant ainsi un lieu toujours en travail, à l’universalité de la politique ? Ici, l’important est de marquer que l’Idée n’a pas à faire l’objet d’un forçage, ce n’est ni une imposition, ni une injonction, ni un contrôle. Ce point sera repris en fin de texte.

Pour notre part, nous réaffirmons que les gens ont un savoir propre tiré de leur expérience de vie, tout savoir susceptible de faire enseignement pour tous. A charge, pour nous, d’inventer une autre manière de faire et de mettre au travail en l’assumant, la signification réelle du mot renouvelé « Démocratie », au sens de « Pratiques démocratiques ». Et ce, afin d’assurer le réel des principes de Justice, d’Egalité et de Liberté.

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La politique faite par les gens

Tous ceux qui veulent construire pas à pas, là où ils vivent, une autre configuration du partage collectif de la vie, doivent pouvoir trouver leur place dans ce combat. Encore faut-il que les lieux proposés, les moyens inventés, les actions produites le permettent. C’est là qu’il convient d’interroger les racines de ce qu’il faut bien appeler un certain ratage de cette politique, sans perdre de vue qu’il y a un chemin du ratage, qu’un ratage n’est jamais que l’invention échouée d’un essai à reprendre autrement. Ainsi le disait excellemment Beckett dans Cap au pire : « Tout jadis. Jamais rien d’autre. D’essayé. De raté. N’importe. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. »

Quels sont les acteurs d’une politique faite par les gens ?

Le chemin que l’organisation militante dessine, implique quatre grands types d’acteurs fonctionnant ensemble, chacun selon sa différence.

1) Les gens, en tant qu’ils se mettent en exception à l’ordre des choses, et qui le disent : tous ceux que révolte le fait de ne compter pour rien, et qui cherchent une issue collective, au-delà de la survie individuelle. Dans sa « Philosophie de l’Histoire », Walter Benjamin écrit : «La tradition des opprimés nous enseigne que l’état d’exception dans lequel nous vivons est la règle (...) nous découvrirons alors que notre tâche consiste à instaurer le véritable état d’exception ».

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Se mettre en exception de l’Etat qui cherche à nous excepter de son monde, par ses lois d’exception justement, n’est-ce pas là un principe fondateur d’une politique d’émancipation ?

2) Les militants, qui vont à la rencontre des gens pour soutenir l’inclusion de tous dans une pensée collective que chacun nourrit, à partir du principe de l’égalité entre tous. Ils éprouvent des tensions inévitables à plusieurs niveaux :

1. entre leur enthousiasme qui les porte à l’action et la discipline capable de patience, exigée par la construction d’une pratique politique collective ;

2. entre la retenue d’une parole qui se contraint à la clarté et l’oser-dire ce que l’on pense personnellement, tout en prenant la mesure de ce que l’on avance ou propose. Il y faut rigueur et courage à dire, même l’incertain ;

3. entre leur propre mise en situation d’égalité avec les autres, conçus comme des égaux différents, et les responsabilités spécifiques qu’ils soutiennent, où pèsent, toujours à l‘œuvre, les traces des narcissismes individuels.

Ces tensions, et quelques autres, font partie du réel de la pratique politique, elles induisent un dégagement sans cesse travaillé de la pensée étatique dominante. C’est du même coup accepter une discipline, nécessaire à l’expression de la subjectivité de chacun, tout à la fois, éduquée, sans cesse remise au travail, sollicitée et respectée.

3) Les dirigeants ont d’abord la charge de ne pas céder sur les principes. Ils prennent la mesure de ce que l’exercice d’un pouvoir n’est jamais une fin en soi, mais l’occupation d’une place qui doit rester, comme le disait Lacan, « paradoxalement vide » : cette place est nécessaire au déploiement consistant du processus en cours.

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Intelligence de la situation, force dans les convictions, fermeté dans la durée, courage face aux difficultés, aux échecs qui se présentent toujours, capacité à décider…, ces traits ne sont rien s’ils ne sont pas inscrits dans la volonté de protéger l’expression de chacun, afin qu’advienne la pensée collective. Il s’agit de permettre à toute personne d’énoncer et de soutenir ce qu’elle pense par elle-même. Cela veut notamment dire que ce que les dirigeants proposent au savoir collectif ne vienne pas faire bouche-trou pour les autres, les privant de leurs difficultés à saisir, pour leur propre compte, les enjeux qui les concernent. Le dirigeant ne fait pas le travail de penser à la place de ses amis, il ne sature pas l’espace collectif de la pensée. Il n’y a pas de politique émancipatrice, s’il n’y a pas cela. Biaiser avec ces difficultés, répétons-le, conduit tout droit aux politiques de parti, seul détenteur du savoir. Ces politiques-là sont productrices de soumissions et de violences, finalement reproductrices de l’état des choses. Là se loge, à nos yeux, le risque essentiel de l’exercice du pouvoir, quand le dirigeant installe l’Idée dans une extériorité qui se prend pour la loi. En plus, au cours des réunions de travail, un autre défaut serait de ne retenir, parmi les propos avancés par les uns ou les autres, que ceux, et seulement ceux, qui présentent une image fidèle de ses propres énoncés, au détriment de l’examen serein des divergences. Il conviendrait d’accueillir ces divergences pour en fin de compte donner sa force à ce qui rassemble. Mais il ne faut pas figer toutes les possibilités de cette mise en travail. . Sinon, sans la division de l’apparence qui rassemble, on se retrouverait avec un monde, certes cohérent, mais ne servant à rien, parce que porté par aucun. La force qui nous lie n’est pas l’effet d’une puissance normative qui subjugue, mais le produit d’opérations collectives de pensée. En outre il serait tentant pour le dirigeant, sous prétexte de

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parvenir à une subjectivité unifiée du groupe, de ne soutenir dans le travail collectif que ce qui le conforte lui-même. En conséquence de quoi celui, dont l’avis diverge, se verrait réduit à être l’erreur elle-même. Ceci n’a l’air de rien. En vérité, les effets en sont redoutables. Car celui dont l’avis est valorisé se trouve assigné à une seule position qu’il est condamné à répéter. Le risque de pensée est écarté et la discipline fonctionne. Oui, mais ça sert à quoi ?

4) Les membres d’autres organisations qui peuvent aussi intervenir face à la même situation, mais à partir de leur propre point de vue. Une seule attitude à leur égard : ou bien on peut raisonnablement se mettre d’accord sur des principes communs et réfléchir ensemble aux moyens d’articuler quelque proposition, de voir sur quel acte ça débouche, sans préjuger de l’avenir, sans calcul de boutique. Ou alors on prend acte de l’impossibilité de cet accord, on explique le conflit entre les positions et les principes, avec respect et sans arrogance. On peut s’engueuler sans se mépriser. Une des manières actuelles de régler ce problème est de tenir le discours suivant : « Je vois bien qu’il y a des gens qui pensent différemment. Je ne vais pas les contraindre à penser comme moi. Qu’ils s’organisent, s’ils le veulent, selon leurs idées. Moi, je m’organise selon les miennes. Ceux à qui ça plaît le feront avec moi et advienne que pourra... » Le défaut de cet énoncé - séduisant, parce qu’il respecte les processus subjectifs de chacun - est qu’il ne permet aucun « croisement » entre des positions différentes, aucune possibilité de leur mise au travail et donc aucun dépassement vers une pensée unifiée plus complexe, induisant une intervention pratique commune. Nous touchons là le problème actuel de constructions politiques séparées, qui n’arrivent pas au moindre dialogue, fut-il

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contradictoire. On a l’impression que, pour s’éviter le piège d’une néfaste et illusoire convergence des luttes, chacun préfère régner sur son royaume. Mais n’y aurait-il pas une autre voie pour que «  local » ne se confonde pas avec « enfermement » ?

Tels sont, à nos yeux, les problèmes que rencontrent et doivent prendre en charge les quatre grands types d’acteurs qui donnent corps à la politique d’émancipation.

Ils savent ce que pèsent les défis posés par l’oppression et à quoi cela engage, de leur faire face. Car la fermeté requise n’est pas d’abord violence d’agression vers l’extérieur mais violence symbolique de rupture pour chacun, avec tout ce qui enchaîne la pensée à la pensée de l’Etat, et donc à l’état de chose existant. Une des formes de cette aliénation à l’Etat est de consentir à ses manœuvres de tri entre les gens, de choix selon le « mérite » ou « l’utilité » : par exemple mérite qui affirme normal de séparer les « rares bons étrangers utiles » des « nombreux mauvais, inutiles », pour dénier des droits auxquels les deux doivent avoir accès. En vérité, on met de côté le fait que le mérite est une catégorie morale qui regarde chacun. La remplacer par une catégorie politique réactionnaire, « la France du Mérite », est une manœuvre pour fomenter la guerre entre les gens. Une autre embûche serait de ne valoriser que la rupture, s’isoler dans un petit groupe homogène, serré, qui ne pourrait rallier presque personne à son élitisme trop compact : « l’aristocratie », unissant quelques militants, se trouve alors de plus en plus éloignée de ce qui alimente la révolte de chacun. Notre tâche est plutôt d’inventer des formes d’organisation collective où peuvent se retrouver tous ceux qui sont décidés à faire, ne serait-ce qu’un pas, au-delà de l’impuissance, face à une société qui leur répugne.

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Ce qui se cache dans les détails

Revenons à notre point de départ. Que comporte donc notre critique pour que l’organisation, sous ses différentes existences politiques, fasse ainsi la sourde oreille ? Serait-ce qu’être du côté des gens ne protège pas automatiquement du retour des vieilles impasses ? Nous trouvons important de traquer ici à la lumière de quelques détails ce que cache de réel un mode de fonctionnement qui porte atteinte à notre principe d’Egalité.

Le journal

A quoi sert-il ? Deux possibilités. Ou bien il s’agit de donner une idée précise du travail politique en cours, afin de montrer à qui le veut, que lui aussi peut en être. Ou bien il s’agit de constituer le journal en outil d’élaboration des points de vue et des controverses sur les problèmes en cours, outil plus libre, moins contrôlé, à disposition de quiconque veut contribuer au travail. Alors s’enrichira peut-être le champ des interventions et des expériences, du fait que chacun pourra y impliquer davantage sa subjectivité. Le défaut du journal que nous relevons ici, est de cadrer, à priori, la pensée, en sorte que l’édito fonctionne comme une référence unique, qui fait que tous les autres articles ne peuvent que s’y conformer. Ainsi chaque article devient-il une illustration particulière de l’édito. Il faut que ça fasse puzzle et que tout soit bien ajusté. Sont tellement recherchées - avec passion - la cohérence et la finesse de la pensée que la contrainte, ainsi créée, finit par figer non seulement celui qui écrit mais aussi celui qui lit, alors même que ce

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dernier s’investit fortement dans l‘usage politique du journal. En fin de compte ce journal renforce la cohésion à l’intérieur, mais il n’accueille pas suffisamment la créativité dans la pensée, puisqu’il ne faut en rien « déborder » le cadre fixé par l’édito.

La réunion

Le problème est à peu près identique à celui traité-ci dessus. Que signifie cette manière systématique de délimiter d’emblée l’enjeu d’une réunion en exposant la dernière position, déjà complètement articulée, du dirigeant ? Si ce n’est de favoriser chez celui qui écoute, une attente de la bonne parole, qui le dispense de chercher par lui-même la vérité de la situation en question. Autre conséquence nocive : nous l’avons déjà pointé, le dirigeant, conforté par l’écoute qu’il reçoit, va pouvoir distribuer les bons points dans le débat, en ne retenant de ce qui est dit, que ce qu’il choisit de relever. Il donne ainsi à celui qui a parlé le sentiment illusoire qu’il est à l’origine d’une pensée, alors qu’elle a été en quelque sorte préétablie. Parallèlement, les idées qui ne sont pas retenues, se trouvent tacitement mises hors-cadre, donc non élaborées, non travaillées collectivement, en vue de s’intégrer à une décision portée par tous. A ce jeu, il y a ceux qui existent et qui sont reconnus, et ceux qui n’ont pas d’existence. Drôle de paradoxe pour « un Pays pour tous » ! Bien entendu, nous savons et nous voulons que le cœur de la réunion tourne nécessairement autour d’un enjeu posé comme référence, pour chaque bataille à mener. Place donc aux idées qui s’affrontent, se forgent, se précisent, et s’enrichissent. Pour nous, la démocratie est affaire de confrontations et non de consensus facile. Qu’ on ne se méprenne pas : il ne s’agit nullement d’attaquer la capacité dirigeante dont on a le plus grand besoin, mais il faut redéfinir sa relation aux autres, militants ou pas.

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Encore une fois, le principe demeure : la politique est l’affaire de tous, quelles que soient les qualités de chacun.

Relations entre groupes militants

L ’amitié politique sera le guide des relations entre tous ceux qui se situent dans la même orientation de principes. Il y faut le respect de l’autre, non de l’arrogance ou du mépris. C’est à cette condition qu’on évitera de suspecter le plus proche d’être un ennemi. On sait qu’une organisation qui se croit seule détentrice de la vérité, tombe inévitablement dans cette ornière terrifiante. Tout cela nous l’avons déjà dit. Ne sont pas ennemis les individus pris dans une contradiction personnelle entre les principes auxquels ils adhèrent et « la soumission involontaire » (Alain Accardo) dans laquelle ils sont pris. Il y a donc une incontournable frontière : se détourner de penser comme l’Etat. Cette frontière, il s’agit de la rendre perceptible, au plus près des gens qui se battent : c’est une frontière à symboliser, ce n’est pas un couperet. L’ exemple récent le plus instructif concerne l’histoire de la grande lutte des ouvriers Sans-Papiers en France, depuis les premières lois répressives de 1975 jusqu’à la loi d’exception C.E.S.E.D.A, de plus en plus persécutrice, car son but est de ne pas régulariser les Sans-Papiers. C’est une loi pour exclure du droit ordinaire. Face à cette situation, les Sans-Papiers ont mis au premier plan le mot d’ordre le plus progressiste qui soit, car il concerne tous les gens du pays : « On est ici, on est d’ici ». Mais le refus de se mettre à distance de l’Etat, s’est soldé nationalement par un échec provisoire, terriblement douloureux pour les individus, amenés à devenir des rivaux quant à l’obtention des papiers. Cette situation aurait pu être toute autre : la première responsabilité est

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à imputer à la CGT et à ceux qui l’ont suivie, pour avoir participé à la politique organisée par l’Etat : trier parmi les Sans-Papiers un petit nombre choisi par le caprice préfectoral, pour pouvoir mieux justifier l’expulsion des autres. Dans la foulée de cette collaboration, l’Etat à pu contraindre le pays presque entier à accepter la politique de préférence nationale soutenue par la plupart des partis (nous, « la vraie France », et eux, « la menace »).

Mais cela ne nous exonère pas d’une autre responsabilité : la critique de la CGT, nous l’avons menée à l’extérieur et nous nous sommes cantonnés à cette vérité, sans qu’elle puisse être travaillée par les Sans-Papiers engagés dans le mouvement, afin qu’ils puissent sortir du seul « Moi, mes papiers ». On ne gagne rien à se contenter de répandre des principes en espérant qu’ils décourageront ceux qui seraient tentés de s’engager dans des fausses pistes. Il faut surtout que ce qui s’exprime comme principe fort (« On est ici, on est d’ici ») ne soit pas perdu, puisse se reprendre, se penser au-delà des contradictions. Alors il n’y aura peut-être pas de défaite ravageante et même s’il y a défaite, elle ne pourra pas éliminer ce qui est, dans le mouvement, porteur de nouveautés politiques pour le pays tout entier.

A la place d’un travail de débat et d’explications avec « les autres » (ici la CGT), a été mise en avant la seule pratique de l’injure. En réalité, se signifiait là la protection du fief, du lieu organisé à part, cultivant, comme dans une serre, la pureté de ses justes mots d’ordre. Si le pays est pour tous, il nous faut travailler avec les quelques-uns qui pensent que le pays est pour tous. Là où les gens se battent à partir de principes jugés erronés, il faut d’abord parler, débattre avec eux, voire s’engueuler, mais dans un processus qui ne cesse pas de remettre le lien en travail, quand il existe.

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Sortir du silence

Nos critiques, plus ou moins formulées, que ce soit en 1975, ou aujourd’hui, n’ont rencontré que du silence. Ce silence auquel nous avons eu affaire est une sorte de verrouillage de toute altérité. Entre celui qui ne répond pas et celui qui, ayant osé parler, reçoit ce silence comme une gifle, il n’y a plus de parole. Ce silence a l’air de dire : « Je ne suis pas d’accord avec toi mais il ne sert à rien de m’expliquer, puisque tu parles depuis une pensée tellement éloignée de moi ! ». Ce silence est au mieux celui du maître d’école, lassé par le cancre qu’il a désigné tel : « Les bras m’en tombent » ! « On ne peut rien faire avec toi ! » Au pire, ce silence est une manœuvre toujours réitérée à des fins finalement conservatrices. De quelle subjectivité témoigne-t-il ?

• Refus d’engager un débat qui serait non maîtrisé et dont on imagine qu’il peut entraîner des perturbations, des doutes, des fragilités ?

• Refus de répondre dans le cas où sa propre parole ne serait pas absolument assurée ?

• Manière facile de se débarrasser d’une objection, comme de la personne qui la soutient, sans avoir à s’en justifier ?

Il s’agit d’accepter que, dans les réunions, la pensée ne sorte pas toute armée de la cuisse de Jupiter. Cela ne veut surtout pas dire que les pensées soient équivalentes. Tout ne se vaut pas. Tout n’est pas digne d’être repris. Mais il faut respecter le fait que chacun a sa voie propre d’accès aux principes communs. Cette pratique de la démocratie n’a rien à voir avec la tolérance pour le déballage d’opinions, dont rien ne sort. La démocratie n’est pas un droit à la complaisance

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narcissique, elle ne fonde pas une équivalence de tout avec tout. Simplement elle permet aux participants de clarifier leur position – de façon plus ou moins argumentée - en sorte que soit reçue et puisse se construire une pensée qui deviendra commune. La condition en est que chacun se situe dans l’espace commun de la politique et accepte que cet espace transcende toutes les manifestations des « intérêts » particuliers, y compris celui de l’organisation elle-même, pour autant qu’elle finisse par se prendre au jeu du discours du Maître. Articuler pensée et action

Le seul plan d’épreuve de la pensée est qu’elle produise de l’action collective, fût-elle très localisée, restreinte. Une pensée, qui n’entraîne pas une décision et une action, se disqualifie elle-même. Or, souvent, cela ne s’enchaîne pas. Une chose est de trouver les idées appropriées aux situations et valant pour tous, autre chose de les mettre en jeu, en sorte qu’elles libèrent une capacité d’agir. A force de vouloir améliorer le discours, sans cesse remis à l’ouvrage, affiné, répété, afin que chacun se l’approprie comme s’il en était le producteur, on finit par déboucher sur une répétition collective, circulaire, sans effet d’action. Dès lors, dire engage au toujours mieux dire, au détriment du faire. Pour pouvoir agir, il faut faire exister un lieu où chacun puisse choisir de partager un combat parce qu’il soulève son enthousiasme. C’est l’articulation entre enthousiasme et pensée qui fabrique l’action. Dans l’histoire récente on a pu repérer trois grands types de cette articulation :• un slogan mis en place de pensée, joint à un imaginaire de

groupe, donnera une action coup de poing, avec sa réponse policière, appel au soutien, espoir que l’incendie mette le feu à la plaine.

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• un slogan sans pensée, joint à un imaginaire revendicatif adressé à l’Etat, donnera la manif plan-plan, dans l’attente des élections.

• une pensée autonome, travaillée et portée par les gens, donnera des formes variées d’action : lettres, occupations, « tours » de quartier, manifs avec débats et autres inventions. Moments d’exception hors Etat, car occasion pour chacun de se présenter et de se reconnaître dans l’autre.

Ici, la créativité dans l’action témoigne du processus collectif de pensée dont elle est issue. Il ne suffit pas d’avoir des principes et d’être fidèle à leurs conséquences, il faut que ça ait cheminé dans la tête et le cœur des gens, à travers tours et détours, de défaites en victoires, mais aussi en rebonds.

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Un débat actuel qui ne fuit pas la controverse :la question de la démocratie et du communisme

Il est symptomatique que le mot « communisme » puisse se trouver à nouveau revendiqué, une fois extrait de la terrible expérience historique, qui a scellé son sort dans la réalité. L’élever à une dignité sémantique renouvelée fait aujourd’hui l’objet d’une lutte idéologique. Par contre le mot « démocratie » serait irrémédiablement assigné à la partie bourgeoise et capitaliste de son histoire, sans que rien ne puisse être sauvé de la signification que ce mot a revêtu pour les gens dans le monde : ils s’en sont soutenus depuis toujours et aujourd’hui, principalement, pour faire face à ce qui les agresse. Ce symptôme, propre à ceux qui ressuscitent « Communisme » et enterrent « Démocratie », ne laisse pas d’inquiéter. Il s’y révèle une volontaire surdité à ce qu’a été l’expérience des gens : la destruction des communistes par les communistes eux-mêmes semblerait une peccadille de l’histoire, alors que la manipulation des aspirations démocratiques des peuples par le capitalisme débridé, semblerait à juste titre participer de l’horreur contemporaine. Dans le débat actuel qui tente de redonner vie au mot « communisme », on élimine allègrement l’idée qu’une invention de l’exercice de la démocratie, est encore possible et ce, contre le dégradant spectacle dans lequel on la travestit. Dans le même temps, on entoure d’une prudence de Sioux, ce qu’a été le communisme réel. Pour affronter la guerre qui nous est faite, s’il y a une chance de sauver le mot communisme, cela ne peut se penser hors du mot « démocratie ». Aujourd’hui, le refoulé meurtrier du capitalisme apparaît au

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grand jour et ceux qui le nient ne font que dévoiler leur hypocrisie auto-protectrice. Aujourd’hui le roi est nu de tous côtés : il n’y a plus d’innocence possible envers le « communisme », il n ‘y a plus d’illusion possible quant à la machinerie meurtrière de la « démocratie parlementaire ». La table est rase. Malgré tout, on est obligé de prendre en compte les effets désastreux du formatage des esprits, fabriqué par le système étatique dit « démocratique ». Que va-t-on lui opposer ? Un désir de vengeance ? Une pulsion nihiliste de destruction ? Ou bien ce travail patient entre nous que nous nommons «  démocratie » comme mise à l’épreuve permanente de « l’Egalité » ? Comme « Révolution », « Démocratie » n’est pas… « Une princesse féérique pour que d’elle on rêve la nuit » (Maïakowski). C’est un travail pour arracher le masque des idées qui nous tuent : • Considérer comme normal de parler à la place des gens• Se réfugier dans le consensus par peur du conflit d’idées • Accepter l’usage perverti des mots• Manier hypocritement l’idée d’égalité. (On veut bien l’évoquer

mais à la condition de ne pas perturber la hiérarchie sociale à laquelle chacun est assigné par la concurrence et le tri).

• Faire son beurre du registre libéral : « N’es-tu pas responsable de toi-même ? Tente ta chance, sinon tant pis pour toi ! »

Face à cette idéologie, que sont nos principes ?

L’Egalité qui n’est pas seulement égalité des chances, fait critère entre le juste et l’injuste. Elle doit régler tous les rapports humains car elle n’a pas à figurer comme point d’un programme politique. C’est un pôle d’orientation, à l’infini.

La liberté qui n’est pas la liberté des égoïsmes compatibles entre eux, n’est pas, comme le disait Marx, le libre-échange. Je ne

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peux revendiquer pour moi-même le droit à la liberté de diriger ma vie, qu’à la condition de reconnaitre cette même liberté à l’autre. «   Le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous ». (Marx) La fraternité qui n’est pas la charité (ce supplément d’âme de l’inégalité) est ce par quoi l’autre, qui est mon frère, l’est au- delà de nos différences. Elle ne se pense que sous la condition conjointe de l’Egalité et de la Liberté, elle est leur mise à l’épreuve. Ces trois principes sont absolument contraires aux manœuvres étatiques, qui les traitent comme des objets sur les plateaux d’une balance : quand l’Etat accorde un peu de RSA, soi-disant pour limiter l’inégalité, il va en profiter pour faire propagande, en prétendant que l’égalité rend les gens médiocres, parasites, assistés, sorte de « cancer de la République ». Pour l‘Etat, l’égalité est impossible parce qu’elle contredirait la responsabilité, la liberté individuelle. Cette logique est celle de la conservation des places. Si les places restent fixes, l’élite conservant ses privilèges, alors l’Etat peut arriver à compenser quelques injustices trop criantes. Certes la différence des places est une réalité. Mais il est possible de jouer un autre jeu, porté par une autre pensée. Si chacun, malgré son assignation à une place, ose s’envisager l’égal de l’autre, il sort ainsi de là où on voulait l’enfermer. Il cesse de penser à partir de ce qui l’oppose à l’autre, il ne cautionne plus la guerre des places, libérant ainsi la possibilité de se déplacer. Là commence la politique. Là commence ce que nous pensons devoir être l’exercice de la démocratie. Pour y parvenir, nous avons dû préalablement en opérer la division. L’usage capitaliste, bureaucratique d’Etat est une torsion perverse, absolument antagonique à ce que nous faisons de la démocratie selon nos principes : nous ne la considérons ni comme un but, ni comme un mode de gouvernement, mais comme un guide pour l’action.

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Que pouvons-nous dire maintenant, côté Communisme, de ce qui le divise ? A notre avis, cela a à voir avec une conception de la Vérité. Soit la politique dite communiste plie le réel à la Vérité proclamée comme dogme. Soit la politique, dite d’émancipation, travaille à la construction de vérités internes à des situations et découvertes par l’irruption des gens, quelle que soit la forme de l’évènement, modeste ou flamboyante, c’est selon. L’événement ne tombe jamais du ciel, il est lui-même la conséquence d’une maturation politique dans l’histoire, qui le fait passer de l’impossible au possible, mais possible non prévisible. Les manifestations en Tunisie éclairent et matérialisent ce propos. Avant l’explosion de la révolte, le réel de la corruption était noyé dans la pensée des gens, sous le signe de l’impuissance. Seule, l’irruption collective du « Dégage ! » a permis de signifier cette corruption comme une vérité de la situation. Tant que ce réel n’était pas nommé, on n’imaginait pas qu’on pouvait le combattre, le vaincre. Dès lors le monde s’ouvre et il est possible d’en faire autre chose. Il y a donc des vérités, toujours immanentes à des situations. (Nous faisons référence sur ce point au travail d’Alain Badiou) Une toute autre perspective, quant à la vérité et son usage politique, a été matérialisée par le « communisme étatique » : il s’est mis en place d’être lui-même le réel en détruisant tout ce qui, dans ce réel, lui était hétérogène. Ce faisant, le communiste discipliné peut obéir sans culpabilité à La Vérité, voire impunément fonctionner comme bourreau. Non seulement comme bourreau, mais comme celui qui exige l’accord de sa victime, afin que La vérité puisse continuer d’imposer son ordre unique. « Je suis un instrument pour la politique de L’ORGANISATION », dit le cadre Khmer Rouge. Au nom du projet abolissant riches et pauvres, qui organise pour lui LA vérité, il torturera et tuera n’importe qui tombe sous la catégorie « Ennemi », mais c’est sans

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importance pour lui d’en vérifier la réalité, puisque de toute façon, les catégories font loi : soit vivre comme « Peuple nouveau » asservi au travail, soit mourir comme « Ennemi de classe ». Personne n’y échappe et tous les mensonges sont permis. Quant à l’enrôlé Khmer Rouge il est hors culpabilité : sous la bannière de la justice pour les pauvres, il peut impunément fonctionner comme bourreau. Donc, une vérité politique, sans laquelle nul ne se mettrait en marche, sans laquelle on en resterait au régime des opinions arbitrées par le calcul des intérêts, exclut de se soutenir d’un mode totalitaire de la pensée qui supprime le réel et fait de « La Vérité » un monde par lui-même.

L’urgence pour les générations d’aujourd’hui, c’est de trouver une nouvelle manière de se rapporter à la vérité d’une situation : ni croire s’en sortir en mélangeant dans son grand chaudron les diverses opinions que l’idéologie dominante procure, ni pour être dans le vrai, se soumettre, par obéissance aveugle, à une vérité surplombante.

Reprenons ici le débat proposé par Badiou : opposer au règne de l’opinion celui de l’Idée et de son incorporation. Le cadre criminel Khmer Rouge a bien incorporé l’idée, celle d’une autre société vouée à la justice la plus pure : ni riches, ni pauvres, ni argent. Ce n’est pas l’idée en elle-même qui est criminelle, c’est penser qu’elle existe déjà et qu’on peut la faire fonctionner à n’importe quel prix. Incorporer l’idée ? Certes mais pour nourrir quel imaginaire ? Pour autoriser quelles pulsions ? Pour soutenir quelle perversion de l’instance surmoïque ? Le Khmer Rouge accepte la prescription de tuer parce que son Surmoi sévit au nom d’un intérêt supérieur.

Comment l’idée prend-elle corps en chacun ? S’agit-il d’intérioriser la discipline autoritaire du Parti ? S’agit-il de s’y laisser

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forcer ? S’agit-il de se précipiter dans « la mégalomanie de l’idée pure qui se prend pour l’absolu ? » (Robespierre) S’agit-il de céder à la jouissance violente expérimentée dans la révolte ?

Ou alors s’agit-il de faire sienne une patience laborieuse tissée de discernement ? S’agit-il d‘assentiment à une vérité ? Pas vraiment. Car énoncer son accord ne suffit pas. Il faut donner corps à la pensée et à l’action à partit de sa propre décision subjective : aujourd’hui, sans cette décision personnelle, pas de rencontre féconde avec le collectif. Cette décision s’enracine dans une fidélité acharnée aux principes et non dans l’ombre exaltée d’un futur idéal. Les « lendemains qui chantent » ne nous parlent plus.

Pour conclure on voit bien que les différences entre les formes d’incorporation entraînent des conséquences concrètes tout à fait opposées. On l’aura compris, l’axe de la politique que nous soutenons est dans l’usage permanent de la démocratie.

La démocratie est ce qui permet d’assumer ce qui est hétérogène au sein du peuple, pour mieux le travailler. Prendre appui sur elle est un acte difficile qui n’a d’existence que dans une pratique politique précaire et localisée : pratique avec les gens du peuple, là où ils se battent ou du moins, là où ils s’expriment. Aujourd’hui, les révoltes des peuples dans le monde, l’intervention ici ou là d’une jeunesse populaire autonome, démontrent en creux que le chemin de la politique passe par son invention démocratique.

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Annexe polémique

COMMUNISTE - NON COMMUNISTE - ANTI-COMMUNISTE

Disons-le de manière abrupte. Si le communisme est dans la volonté de prendre le pouvoir au nom de l’égalité entre les gens , la dictature des idées pures, le forçage de la population pour qu’elle y consente, la traque aux déviants fabriqués en traîtres, alors nous sommes anti-communistes. Comment se fait-il qu’une telle évidence doive encore être affirmée ? Si le communisme est la construction, par des processus politiques divers, d’une mise en œuvre infinie de l’égalité de quiconque avec quiconque, alors nous sommes communistes.

Si quelqu’un fait croire que la rencontre en Chine entre les larges masses et le Petit Livre Rouge relevait du communisme, il énoncerait une pure contre-vérité. Nous ne confondons pas l’utilisation du Petit Livre Rouge avec les expériences populaires (Commune de Shanghai), visant à ouvrir les portes à une réelle révolution culturelle. Il est vrai que les ouvriers et la jeunesse ont pu s’emparer des questions politiques issues de la bataille à mener contre la bureaucratie dirigeant le parti. Au cours de ce processus, fait de désordres divers, Mao lui-même intervenait pour que la Révolution culturelle ne se transforme pas en luttes de factions. C’est ainsi qu’il a pu déclarer : « Rien d’essentiel ne divise la classe ouvrière ». Cependant le réel de ce processus n’a pas abouti à plus de communisme, mais à plus de militarisation du parti soumettant la société toute entière.

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En fait le Petit Livre Rouge à lui seul répondait à un double objectif :• Machine de guerre pour appuyer le pouvoir de Mao contre

le « quartier général », en mobilisant la jeunesse autour d’un ensemble d’idées simples.

• Encouragement des jeunes à se révolter, à intervenir pour dénoncer les réactionnaires et ainsi, par des pressions violentes au jour le jour, les réduire politiquement à néant. Cette machine-là ouvrait les portes aux déchaînements pulsionnels en même temps qu’elle réduisait la société à un champ de bataille : il s’agissait de traquer et d’anéantir quiconque pouvait être assigné à la case réactionnaire.

Bien sûr, l’enthousiasme de la jeunesse a répondu à l’appel. Bien sûr, la juste dénonciation de la bureaucratie installée dans le parti ne pouvait que passionner les étudiants, les ouvriers et les paysans. Bien sûr, il y a eu libération de leurs pensées dans le foisonnement non contrôlé des dazibaos. Formidables mouvements !

Mais ce faisant, le Petit Livre Rouge, s’est fait drapeau pour chaque groupe de jeunes dès lors en proie à des affrontements terribles au nom même du maoïsme, chacun se réclamant de sa pureté idéologique. Pureté qui a autorisé à l’exercice de la dictature. Tout Chinois, dont la vie n’était pas pure conformité aux directives devenues bréviaire, était traité en ennemi sur lequel, par petits groupes, on pouvait déployer une capacité de bêtise et de cruauté sans frein.Cela, « communisme » ?

Oser parler aujourd’hui, concernant le passé du «  communisme réel », d’un « invariant nécessaire nommé tâches de la dictature », est une deuxième mort imposée à toute la génération

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des communistes engagés et qui furent massacrés au nom même de l’idée communiste, grâce à ces mêmes « tâches de la dictature ».

Il faut ici faire un sort à une manière complaisante de penser la violence en politique. Certes les processus psychiques inconscients, obligent à reconnaître que l’agressivité, la violence, sont une puissance de mort incontournable dans la psyché. Affrontée aux pulsions de vie, cette puissance de mort s’élabore, se sublime, voire s’intègre et se domine, au lieu de passer à l’acte dans le réel. Le terrain même de la vie se nourrit de cette lutte intriquée, entre destruction et construction. Mais la justification dans la pensée politique, de la violence dans le réel est irrecevable : la violence serait ce mauvais moment à passer, la cuisine dans laquelle le nouveau s’élaborerait. Outre l’immoralité du propos, c’est son irréalisme qui frappe. Après la violence, il n’y a que la réaction. C’est un fait avéré au cours de toute l’histoire.

Dans le même mouvement se trouve cautionné le caractère hors symbolique et donc chaotique pour tout un chacun de cette violence là. Pour ouvrir l’espace à la politique, la violence est un empêchement, pas un chemin, même si nous savons que les forces dominantes ne cèdent que ce qui leur est arraché, tant leur rapacité est sans bornes. C’est bien leur obstination à piller toujours plus, à humilier, détruire toujours plus, l’humain dans l’homme, qui rend les révolutions inévitables. Ce moment-là est toujours un moment de rupture inouïe, où le réel menace mais aussi où le peuple se présente enfin lui-même : il n’a plus peur de parler, de discuter à ciel ouvert. Il existe fortement face à l’oppresseur. Des pensées, des poèmes s’écrivent. C’est une expérience collective, transitoire, de pure joie : le monde ancien soudain n’a plus cours. On vit un moment où il est possible d’entrevoir que « propriété privée»,

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«argent », «statut social » sont loin d’être des inconditionnels de la vie. A leur place naissent des pratiques de « solidarité », « gratuité », « coopération ». Soulignons que si le peuple parvient à ce point de révolte et de démocratie spontanée, c’est grâce aussi à un travail souterrain préalable. Si des pratiques démocratiques parviennent à se tenir malgré la police, alors la tentation de la terreur sera écartée. Notre hypothèse est, qu’à cette condition, une révolution peut accoucher d’une politique populaire, réellement émancipatrice.

Plutôt qu’aux « tâches de la dictature », travaillons donc à celles de l’émancipation et à leurs formes nouvelles.

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