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L'ÉQUITÉ ÉCONOMIQUE, UN PROJET ACTUEL Maurice Décaillot De Boeck Supérieur | Innovations 2011/1 - n°34 pages 185 à 204 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2011-1-page-185.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Décaillot Maurice, « L'Équité économique, un projet actuel », Innovations, 2011/1 n°34, p. 185-204. DOI : 10.3917/inno.034.0185 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 02h39. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 02h39. © De Boeck Supérieur

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L'ÉQUITÉ ÉCONOMIQUE, UN PROJET ACTUEL Maurice Décaillot De Boeck Supérieur | Innovations 2011/1 - n°34pages 185 à 204

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2011-1-page-185.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Décaillot Maurice, « L'Équité économique, un projet actuel »,

Innovations, 2011/1 n°34, p. 185-204. DOI : 10.3917/inno.034.0185

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Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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L’ÉQUITÉ ÉCONOMIQUE,UN PROJET ACTUEL

Maurice DÉCAILLOTExpert agréé en Économie Sociale

[email protected]

Un large ensemble de faits l’illustre, selon nous : la société capitalistemondiale s’approche aujourd’hui de ses limites. Au-delà de la crise actuelle,les situations connues : accélération des échecs d’entreprises dans les paysdéveloppés, montée du chômage et des mouvements sociaux, situations con-flictuelles et instables d’Afrique et d’Asie, initiatives populaires nouvellesd’Amérique Latine, en sont quelques manifestations parmi les plus visibles.Face à cette situation se rapprochant manifestement d’une impasse de grandeprofondeur, se fait jour la nécessité, et par là le besoin, d’un projet de trans-formation ouvrant à la vie sociale de nouvelles voies d’avenir (voir aussiDécaillot, 2010).

Ce travail, dans le prolongement de travaux antérieurs qui seront men-tionnés, vise à proposer un projet d’évolution transformatrice de la vieéconomique et sociale. Il se réfère pour cela à plusieurs options théoriquesessentielles qu’il apparaît nécessaire de préciser en premier lieu. Un premierpoint concerne les visions de l’évolution à venir de la société dans laquellenous vivons. Ce point est important, car il permet de définir le type de dyna-mique à laquelle sera nécessairement confronté tout projet d’action aux inci-dences publiques, dans son contenu potentiel. C’est pourquoi une premièrepartie de notre présent exposé développera ce point. Un second point souli-gnera l’importance, dans ce contexte, des processus prenant en compte lanature, les effets, les implications des pratiques marchandes généralisées dansnos sociétés. Ceci nécessite, dès l’abord, la définition des repères théoriquesqui seront ceux de notre exposé.

Sur ce point, la recherche proposée ici se situe dans le prolongement detravaux antérieurs, historiques et descriptifs (Gombeaud, Décaillot, 1997) etthéoriques (Décaillot, 1999) mettant en relief, en tant que dimension essen-tielle dans l’histoire comme dans les dynamiques économiques, non seule-ment l’exploitation généralisée du travail, mais aussi la pratique du marché,tel qu’elle est dans ses dissymétries réelles, avec ses effets multiples et sou-

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vent inaperçus : dévalorisation des biens et services déconnectée des presta-tions du travail, apparition de groupes marchands en position dominante,raréfaction globale des débouchés solvables, généralisation autoentretenue del’affrontement concurrentiel dévalorisant, distorsions sociales, intensificationdes recherches de refuges financiers ; avec leurs conséquences : maintien despersonnes au travail dans un salariat démuni et dissocié des projets économi-ques, moyens de pression accrus du monde marchand sur les institutions, incer-titude généralisée obscurcissant pour tous les perspectives sociales.

Cette conception, on le perçoit, se situe, sur plusieurs plans importants,dans le prolongement de la pensée de Karl Marx, notamment concernant lerôle du travail comme source de la richesse réelle, l’exploitation du travail etson lien avec les formes de propriété, ou la place des rapports économiquesdans la vie sociale et son histoire, questions que nous aborderons plus loin ; enmême temps, elle s’en distingue sur divers points, en particulier concernant lerôle du marché. Karl Marx, en effet, reconnaît le rôle socialement fondateur,dans la société humaine, de la division du travail (Marx, 1976, t. 1, p. 69), etde ce fait le rôle essentiel d’un équilibre des échanges pertinemment valori-sés pour assurer la vie sociale dans son ensemble, et donc procurant à chaqueapporteur d’un bien l’« équivalent » de ce bien (Marx, 1976, t. 3, p. 188).En même temps, pour lui, les écarts entre offre et demande, qui sont un effetessentiel de la concurrence, ne produiraient que des « fluctuations » des prixde marché autour d’un « centre » représentatif de la valeur moyenne des pro-duits, dite valeur de marché (Marx 1976, t. 3, p. 183), confirmant ainsi queles « irrégularités » apparaissant de ce fait « se compensent » et « se détrui-sent mutuellement » (id, t. 1, p. 88) ; de sorte que les marchandises se trou-veraient, en moyenne au cours du temps, évaluées sur la base de leur valeurréférée au travail, valeur toutefois modulée pour devenir un « prix de pro-duction » fournissant aux capitaux un taux moyen de profit. On propose ici laposition théorique différente, précédemment définie (Décaillot, 1999, p. 131-178) décrivant une dynamique marchande d’affrontement, génératrice de dis-torsions persistantes et importantes entre valeurs, référées aux conditions deproduction, et prix marchands, découlant des pouvoirs de négociation diffé-renciés, lesquels dépendent circulairement des conditions de transactionprécédemment imposées ou conquises ; donnant naissance, d’une part, à unesous-évaluation massive des biens fortement concurrencés, et d’autre part àl’apparition de positions dominantes de groupes puissants en position d’accapa-rer aux dépens des autres activités des rentes marchandes ; dynamique autoen-tretenue exerçant sur l’ensemble des activités une pression dévalorisante forte,contraignant tous les acteurs environnants à rechercher leur insertion danscette même dynamique délétère, accroissant ainsi les risques pour eux-mêmes,pour tous, et les coûts et dommages afférents, y compris la coûteuse exclusion

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économique et sociale destructrice de richesses et source et de combats per-manents et sans issue minant l’équilibre social.

L’hypothèse défendue ici est que la société actuelle devra trouver les voies,même diverses, d’une sortie de ces impasses. C’est pourquoi un premier momentdu présent exposé est consacré à l’examen des évolutions envisageables de notresociété, contexte incontournable de l’apparition de voies vers les issues souhai-tables.

En prolongement de la démarche théorique que l’on vient d’esquisser, ilest admis qu’un élément essentiel de toute évolution significative devra êtreune transformation des modes d’échange, permettant d’échapper aux dilem-mes marchands. C’est pourquoi le moment suivant de notre exposé examineraen quoi cette démarche exige la définition de formes d’échange nouvelles dansleurs multiples dimensions, s’agissant du rôle des participants, des processusd’échange, des normes de valorisation des diverses activités. Ainsi, la secondepartie du présent exposé visera à expliciter en quoi la recherche de nouvellesnormes d’échange est nécessairement un point central de tout projet d’innova-tion socio-économique, ouvrant plus largement de nouvelles perspectives, objetd’indispensables clarifications. En complément, peut être proposée une analyseet une anticipation des pratiques de financement échappant à la logique finan-cière dissymétrique actuelle, et retrouvant les objectifs d’un financement adaptéau mouvement des besoins sociaux, permettant la réciprocité mutuellementavantageuse des apports financiers, qui sera elle aussi abordée.

La poursuite de la même démarche théorique nous permettra d’envisagerpour les personnes au travail, dégagées du poids des effets de concurrence, et deceux de la domination marchande capitaliste, et, de ce fait, du système salarial,de nouveaux modes d’accès aux ressources professionnelles, de nouveaux modeslibérateurs d’autogestion démocratique. La troisième partie de notre exposé seradonc consacrée aux conditions de leur mise en œuvre possible.

Notre démarche, en écart avec les pratiques de mise en concurrence mon-diale aujourd’hui dominantes, doit donc également à sa cohérence de proposer,face à ces contraintes, des modes d’échanges nouveaux entre zones différentesdu monde, et l’examen des options préalables à de telles propositions. La par-tie suivante de notre exposé sera dédiée à ce point.

Outre cela, les propositions présentées doivent affronter une autre sériede problèmes. En effet, le cheminement vers l’autogestion doit surmonter,non seulement ses problèmes propres, mais aussi ceux posés par l’environne-ment marchand, dont l’un des effets majeurs est d’éloigner, d’obscurcir, dedénaturer les pratiques et les résultats des initiatives d’innovation économiqueéquitable et solidaire, ouvrant un champ aux processus permanents d’assimi-lation, de banalisation, d’accaparement dont elles sont le lieu, décourageantsouvent leurs protagonistes.

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On connaît les ambiguïtés actuelles de la notion d’ « économie sociale »,des conceptions de son rôle dans la société actuelle et de ses possibles évolu-tions, de la définition de ses champs et modes d’existence. Des conceptionsrépandues voient dans l’économie sociale une pratique caritative et coûteused’accompagnement des personnes socialement égarées vers les normes domi-nantes d’activité. D’autres y voient une source d’innovation sociale ; d’autresencore, un « tiers secteur » stabilisé de la société actuelle. En écart avec cesconceptions, on distinguera, d’une part, les formes d’une vie économiquegérant de façon nouvelle les travaux et transactions fondés sur l’échange etl’évaluation équitables de biens et services, objets principaux du présent exa-men, et d’autre part, les activités sources de prestations d’intérêt généraldépassant l’échelle de l’acte individuel, et de ce fait prises en charge de façondémocratiquement mutualisée.

Notre exposé soulignera, dans sa dernière partie, la nécessité et la possi-bilité, dans le contexte actuel, de sortir des ambiguïtés aujourd’hui encorepersistantes, pour déboucher sur des projets réalisables (Décaillot, 2010). Cetarticle vise, par ses propositions se voulant à la fois fonctionnellement préci-ses et socialement ouvertes, à apporter aux initiatives et aux développementsdes activités économiques équitables, solidaires, sociales, de nouveaux instru-ments de gestion et de cohérence. En le rédigeant, nous avons voulu prendreen compte non seulement nos diverses expériences, mais aussi les réflexionsvisant à tirer les leçons des expériences sociales et politiques passées auxintentions transformatrices, dans leur diversité d’orientations, y compris dansleurs échecs. Nous pouvons maintenant aborder l’examen des démarches ini-tiales visant à cerner les options fondatrices de la perspective proposée.

QUELLE ÉVOLUTION DE LA SOCIÉTÉACTUELLE : MUTATION INTERNE OU BIFURCATIONS ? INFLEXION OU ÉMERGENCE NOUVELLE ?

Un premier point à éclaircir concerne le type d’évolution de la société, danssa dynamique essentielle, observé aujourd’hui, et dans lequel un nouveauprojet devra trouver ses modes d’insertion. Deux visions principales de l’ave-nir du capitalisme peuvent être présentées. Pour l’une, le capitalisme, faceà ses difficultés, devra modifier ses mécanismes, et prendre en compte desbesoins jusqu’ici négligés : rôle nouveau d’intervention des salariés, rôle nou-veau de l’État contrôleur, « gouvernance mondiale », régulation écologique ;ce qui lui permettrait de durer, aux prix de telles adaptations. Des actions pro-testataires de dimension sociale obtenant des régulations juridiques et insti-tutionnelles devraient y contribuer.

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La seconde vision anticipe plutôt une évolution du capitalisme mondialvers plus de rigueur dans le maintien, au-delà d’apparentes adaptations tellesque les tentatives d’exploitation marchande des demandes écologiques, de sesdynamiques propres : l’accélération des affrontements concurrentiels et desaccaparements oligopolistiques, la soumission généralisée des travailleursmaintenus dans le salariat exploité et l’exclusion stigmatisée, l’assujettisse-ment des États et des instances mondiales à ses impératifs ; ce mouvements’accompagnant de déséquilibres sociaux et internationaux creusés et depressions économiques, sociales et politiques accentuées, aux effets délétères.Ceci, visiblement, tend à corroborer le diagnostic de Karl Polanyi selon lequelle marché ne pourrait « exister de façon suivie sans anéantir la substancehumaine et naturelle de la société » (Polanyi, 1983, p. 22). Cette évolutiondevrait conduire, dans des domaines et des zones élargies, à des situations éco-nomiques, financières, sociales, politiques rendant nécessaires des solutionsnouvelles. Il semble que les mouvements actuellement observés, notammenten ce qui concerne la crise de l’État grec et les réponses qui lui sont données,tendent à confirmer la validité de la seconde perspective. C’est pourquoi letravail présenté ici s’efforce de prévenir les possibles déceptions en écartantles options inadéquates.

La question est alors posée : les sources de l’évolution possible se situent-elles essentiellement au niveau de l’activité politique visant l’autorité institu-tionnelle, supposée capable d’infléchir significativement les modes dominantsde vie sociale, ou au niveau des initiatives socioéconomiques et par là sociopo-litiques porteuses d’innovation ? Au vu des expériences passées, on écartel’hypothèse de stratégies visant la prescription institutionnelle globale, à despopulations entières, de procédures censées leur apporter une gestion optimalede la vie économique et sociale. Ceci, non seulement ne tiendrait pas comptedes enseignements de l’histoire et des échecs déjà connus, mais ferait obstacle àla manifestation d’un nécessaire accord commun entre participants impulsantcréativement les initiatives sociales. On écarte, de même et plus largement, lesoptions reposant sur l’opinion qu’une autorité juridique et institutionnelle pres-criptive, fut-elle démocratique, pourrait être à l’origine d’un mode nouveau devie sociale (Décaillot, 1999, p. 174-176, 270). Cependant, dans la perspectived’une perpétuation adaptée de la société marchande capitaliste, divers auteursadoptent la perspective d’une inflexion significative de ses pratiques sousl’influence de pressions démocratiques, institutionnelles, sociales.

Dans cette optique, Daniel Bachet admet que les systèmes de conven-tions symboliques légales, telles que les instruments de gestion admis, sontdes « éléments décisifs de la structuration du réel » ; et plus précisémentqu’ils « régissent » « les rapports entre les hommes et les groupes sociaux »(Bachet, p. 24). La recommandation de l’auteur est alors de s’orienter vers

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une action juridique et institutionnelle tendant à élargir les droits de salariés« aux côtés des conseils d’administration », dans une entité « entreprise »supposée distincte de la « société » de capitaux. Le problème du rééquilibragedes « pouvoirs » est alors « politique » (Bachet, p. 29). Dans cette optique, lemême auteur ne croit pas que l’économie sociale et solidaire représente unealternative au capitalisme libéral, étant vouée à être toujours dépendante dela sphère économique et financière dominante (Bachet, 2004, p. 66-67).

Dans la même perspective, l’économie sociale, limitée à un rôle de « protes-tation », serait menacée de disparaître ou de perdre sa spécificité, et ne pourraitse développer que si les deux forces de l’État et du marché lui laissaient « unemarge d’autonomie » (Guillat, 2001, p. 18). La fonction promise aux activitéséconomiques nouvelles serait alors seulement de tenter de réduire l’« écart »entre le camp de la solidarité et l’autre camp (Rouillé d’Orfeuil, 2002, p. 118).

De façon analogue, Thomas Coutrot, dans la perspective d’une « démo-cratie politique » ayant un « projet crédible de maîtrise du développementsocial d’ensemble » (Coutrot, 2005, p. 190), pense possible une stratégied’incitation forte (politiques fiscales, industrielles...) des entreprises (capita-listes) à des pratiques responsables. Ce serait aux salariés d’obtenir des « pou-voirs nouveaux » grâce à des alliances entre niveaux politiques, associatifset syndicaux (id., p. 192-193). Le mouvement social serait à la recherche de« droits » nouveaux (id., p. 222), permettant de « prendre en tenaille » lestransnationales entre les contrôles des parties prenantes (id., p 225). Ceci estpourtant contradictoire avec les réalités reconnues par le même auteur, attes-tant que « c’est dans la dynamique même des rapports sociaux de productionet d’échange que doit se construire la démocratie » (id., p. 208), rapports dontle droit n’est pas l’essence, mais seulement la formalisation.

On admettra ici que, ainsi que le montrent les évolutions historiques lon-gues, ce sont bien les systèmes réels des rapports socio-économiques, notam-ment de propriété des biens et d’échange des activités et des biens, qui, au fildu temps, imposent et modèlent les outils symboliques et institutionnels quiles stabilisent. Les institutions, contrairement à certaines représentations, nesont pas les créatrices des pratiques transformatrices, mais s’y adaptent au fildu temps, conformant les droits aux besoins de la pérennité de telles prati-ques. Les changements techniques peuvent être les accélérateurs, mais nonles modélisateurs structurants de ces changements (Décaillot, 1999, p. 51).La machine à vapeur et d’autres techniques ont permis que se multiplient desconfigurations marchandes capitalistes nées avant elles. C’est bien l’accélé-ration de la marchandisation mondiale qui a récemment impulsé l’essor detechnologies informatives modelées selon ses besoins. Aujourd’hui, de nou-veaux réseaux de communication pourraient sans doute alimenter un essord’activités rénovatrices apparues dans la vie sociale. C’est alors, admettons-

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nous, l’émergence économique et sociale de configurations de l’activitéhumaine qui, en se développant, peut marquer de son sceau les structuressociales dans leur ensemble.

Des travaux antérieurs (Gombeaud, Décaillot, 1997) ont permis de montrerqu’une telle évolution ne serait pas sans précédents dans l’histoire longue. Leurétude suggère les conclusions suivantes : les changements de société essentielss’accomplissent à la suite de l’apparition, du développement, de l’expansion depratiques socio-économiques typiques, structurellement nouvelles, portées pardes groupes sociaux trouvant leur cohérence autour d’elles. On n’évoquera icibrièvement, à titre d’illustration, que le cas de l’exploitation agraire seigneu-riale autosuffisante généralisée lors du déclin de l’empire romain, dans unesociété dont les réseaux marchands et oligarchiques se disloquaient ; et celui desnouvelles structures et pratiques marchandes et capitalistes émergeant alors ques’essoufflait la domination féodale enlisée dans ses conflictualités et ses ravages.

On considérera ici que c’est un processus de type comparable qui induit déjàdiscrètement de nos jours, et induira sans doute plus fortement à l’avenir, despratiques économiques et sociales innovantes ; un processus que l’on qualifierad’émergence socio-économique, apparaissant, non pas à travers une mutationinterne des pratiques prédominantes, quelle que soit leur aptitude apparente,souvent saluée, à des adaptations plus ostensibles que réelles, mais comme l’appa-rition et la consolidation de nouveaux liens entre populations subissant les dislo-cations sociales des systèmes en déclin.

Dans le même temps, le projet proposé s’écarte des options souvent pré-sentées, préconisant des transformations guidées essentiellement par les exi-gences immédiates formulées par les personnes en demande de changements,au fil des épisodes perceptibles de la dégradation de la vie sociale. Certainsauteurs, craignant le possible irréalisme ou l’inadéquation sociale de projetsélaborés, insistent pour que les perspectives d’avenir se définissent fondamen-talement à partir de suggestions du « terrain ». Ainsi, pour Miguel Benas-sayag, le fait d’avoir, individuellement ou socialement, une théorie, serait « lapire des erreurs » (Benassayag, 2004, p. 73). Le travail présenté ici met engarde contre un empirisme qui, lui aussi, a bien souvent conduit aux décep-tions connues, faute de diagnostics approfondis sur les racines des dommagessociaux et d’analyses cohérentes sur les voies de leur dépassement réel. C’estpourquoi le travail proposé veut s’appuyer sur une analyse de fond des causesdes dislocations actuelles et sur des propositions cohérentes de structurationsociale pour en sortir ; ceci, loin de l’absolutisme associant examen théori-que et prescription de vie sociale, favorisant au contraire des initiatives adé-quates aux besoins ressentis par les populations.

Les propositions présentées sont donc, d’une part, proximales, visant àappuyer des initiatives concrètes, au besoin, d’échelle initialement limitée,

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mobilisatrices et rassembleuses de populations agissant de concert pour leurdéveloppement ; et dans le même temps, intégrales, concernant un éventailsignificatif des structures et dynamiques essentielles de la vie économique,inspirées par un projet dont la cohérence peut être perçue et maintenue partous en vue de l’essor commun.

Un moment de la cohérence recherchée réside dans l’effort fait pour iden-tifier les points fondamentaux à éclaircir. Parmi eux figurent notamment le rôleet la nature du marché et les perspectives de transformation des échanges ; lerôle et la nature du salariat et du capitalisme et les voies d’une sortie de l’assu-jettissement du travail ; le rôle des financements et les formes nouvelles d’accèsaux ressources ; les voies d’un nouvel équilibre des échanges entre zones dumonde ; et les structures et procédures modulées démocratiquement pouvant yconduire ; ceci, dans la conscience des limites des problèmes abordés et traités.Notre exposé présente maintenant ces différents problèmes.

FACE AU MARCHÉ : QUE FAIRE ?

Le déficit de compréhension du marché, de sa nature, de son rôle, est la sourcede dommages multiples. Il se trouve souvent formalisé autour du modèle sché-matique construit par Karl Polanyi, désignant trois catégories réputéestypiques : l’échange marchand, la redistribution institutionnelle, le don réci-proque, système souvent résumé dans une formule telle que les « trois pôlesmarchand, non marchand, non monétaire » (Guillat, 2001, p. 14). Ne sontpas aperçus les effets multiformes et circulaires du déséquilibre marchand danssa réalité rappelée plus haut. Tout en remarquant l’opinion parfois expriméeprésentant les marchés locaux comme illustrant une familiarité rassurante(Kempf, 2009, p. 65-68), on retiendra la constatation de Fernand Braudelselon laquelle, dans sa généralité, le marché est fait d’« échanges inégaux »(Braudel, 1988, p. 57), même si le même auteur qualifie parfois de « contre-marchés » les trafics marchands à longue distance. On considère comme typi-que la pratique marchande de transactions, originellement à longue distance,hors de toute réciprocité ou convention commune d’évaluation référée auxapports de travaux, laissant les prix évoluer selon l’ampleur des pouvoirs denégociation des partenaires.

Dans cette perspective, la dynamique systémique du marché joue, selonnous, un rôle de première importance dans le mouvement de la société etl’apparition de ses distorsions. Ainsi, le défaut structurel de débouchés solva-bles, bien réel, ne découle pas seulement de l’insuffisance des rémunérationsdes salariés exploités, mais plus largement des effets globaux sur les prixd’une concurrence qui, ajoutant aux dévalorisations des productions leséchecs et destructions d’activité tout en poussant les capitaux à accaparer les

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moyens de leur permanence et de leur position dominante, entretenant enoutre le dénuement des personnes au travail exploitées, leur faible accès auxressources et la faiblesse de leurs possibilités d’initiative, mine les fondementsd’une durabilité assurée de la vie économique et sociale. C’est la même dyna-mique qui réduit d’une part les capitaux modestes à des positions concurren-tielles et structurelles de dépendance, et d’autre part incite les capitaux lesplus puissants à se centrer sur des pratiques financières seules détentrices depouvoirs d’initiative et d’apparente sécurisation (Décaillot, 1999, p. 160-166).Ceci permet de mesurer les limites de tout projet de redressement se réduisantà une modération des pratiques financières, dans l’espoir du retour d’un capi-talisme entrepreneurial aujourd’hui caduc (Boutillier, Uzunidis, 2010).

Cette vision de l’évolution marchande, pourtant largement appuyée parles faits contemporains, est cependant peu partagée. Ainsi, pour ThomasCoutrot, la démocratie économique ne supposerait « aucunement une aboli-tion des marchés », mais seulement leur « politisation » (id. p. 197). Il admetainsi que, dans une économie autogestionnaire, seraient conservés à la fois« la concurrence entre producteurs » et « leur motivation par la rémuné-ration de leurs efforts » (id., p. 217), alors que la concurrence marchandedétruit par les distorsions de prix toute liaison perceptible entre l’apport detravail du producteur et la richesse demandée à l’acheteur. Dans les échangeséquitables, Thomas Coutrot le note à bon droit, « aucune partie n’écrasel’autre » (Coutrot, 2005 p. 120), ce qui limite les rapports « d’exploitation etd’échange inégal ». Il estime cependant que ces mêmes échanges conduisentainsi à « donner un cadre » de soutenabilité au « marché » (ibid.). On consi-dérera, différemment, que ceci conduit à en contester de façon essentielle lespratiques fonctionnellement dissymétriques elles-mêmes, dans un chemine-ment vers une réelle réciprocité équitable.

Un exemple des confusions souvent présentes dans cette thématique peutêtre trouvé dans l’interprétation multiple de l’idée de réciprocité. Elle estainsi assimilée à des rapports « donnant-donnant » internes à des commu-nautés fermées, liés aux attachements hérités, la solidarité englobant la réci-procité, dont le concept apparaîtrait donc « inutilement limitatif » (Coutrot,2005, p. 114) ; une telle conception permettrait de qualifier de « solidaritémarchande » les pratiques du commerce équitable. Le concept d’une réelleréciprocité, telle qu’Aristote l’avait justement définie comme le rapportd’échange dans lequel il n’y a ni gagnant ni perdant, paraît au contraire essen-tiel pour ouvrir les voies d’échanges transformés.

On distinguera donc ici clairement la solidarité, comme rapport de tousavec tous en vue d’objectifs communs, y compris l’aide de tous à chacunselon les besoins reconnus ; et la réciprocité, en tant que rapport d’échangesde bienfaits de chacun avec l’autre (les autres) permettant la poursuite de la

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vie de chacun des participants. Il paraît ici essentiel de distinguer la récipro-cité coutumière observée par de nombreux ethnologues, à travers les prati-ques, souvent dissymétriques, de « dons et contre-dons » (Godelier, 2002, p.20-24, 78-82), de ce qui est pour nous la réciprocité réelle : une réciprocitééquitable assurant que les échanges réciproques entre participants ne procu-rent ni gains ni pertes à aucun d’eux. On admet ici, dans le prolongement detravaux ethnographiques et historiques multiples, qu’une dynamique pro-fonde, essentielle, des mouvements historiques longs est l’exploration desvoies pouvant conduire à la réciprocité équitable comme fondement d’unesolidarité sociale réelle.

Un effet d’importance des visions obscurcissantes sur les effets du marchéréside dans les blocages de fait ainsi imposés aux activités économiques etsociales se voulant équitables. Cet effet est cependant souvent inaperçu ; oubien, s’il est pressenti, il n’est pas affronté directement, sous la pressionavouée ou implicite des normes dominantes. Ainsi, Armando de Melo Lisboapeut, sur la base d’une vision contestable de l’histoire économique, estimerque des économies sociales « orientées vers la solidarité » peuvent « s’insérerdans le marché » (De Melo Lisboa, 2006, p. 441), dans des « niches », setrouvant insérées dans la division internationale du travail ; l’auteur considé-rant que la concurrence serait un défi bienfaisant, obligeant à la modernisa-tion, améliorant la qualité et décuplant les énergies productives. Soumise àdes « règles », elle permettrait que « tout le monde gagne », « l’acceptation dumarché » étant l’acceptation de la « condition humaine » (id., p. 447-448)ainsi figée dans son avidité agonistique. Un auteur plus nuancé, DominiquePlihon, qui aperçoit, discrètement il est vrai, le rôle des « transactions interna-tionales » et des « marchés » dans l’apparition de la crise (Plihon, 2009, p. 25),considère finalement comme « indispensables » les « mécanismes de marché »(id., p. 104).

Les acteurs de la pratique sont eux aussi en butte aux mêmes obscurités.Ainsi, l’Inter-réseaux Économie Solidaire (A FAIRE, 1998), qui mentionnedans ses motivations le « problème d’affronter souvent à armes inégales laconcurrence », limite ses propositions à des mesures administratives et redis-tributives (partenariats, attribution de marchés publics, aide au financement,aides fiscales), sans proposer de modes d’échange nouveaux. Ou encoreVéronique Gallais, présidente de l’association Action Consommation, con-testant à bon droit le dogme de la libre concurrence, et recherchant une justerépartition de la valeur ajoutée (Gallais, 2005, p. 34), préconise des relationsdirectes, transparentes, entre partenaires, sans autre repère de l’équité pour-tant souhaitée.

Un auteur représentant les milieux syndicaux (CGT), soucieux de définirla place de l’Économie sociale, examinant les difficultés du développement

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du secteur associatif, perçoit les difficultés causées par la « marchandisation »,la « dérégulation » des marchés au niveau européen, la « concurrence effré-née » (Quénel, 2007, p. 41). La réponse à la pression marchande concurren-tielle est alors d’en exempter marginalement des secteurs régulés touchantles « droits fondamentaux ». De même, un livret d’initiation universitaireaux activités de l’économie sociale exprime qu’un prix du commerce équita-ble doit être « compétitif en plus d’être juste » (Westphal, 2005, p. 82), cequi exige la définition d’un prix à la fois référé au prix de marché et corrigépour assurer un revenu « décent » au producteur ; les lourdes contradictionsentre ces deux impératifs n’étant pas abordées.

Face aux effets de la concurrence marchande, ce sont alors les travailleursde l’économie sociale, plutôt que les pratiques de marché concurrentiel, quipeuvent être culpabilisés : les SCOP se voient ainsi reprocher de s’adapter« lentement aux modifications du marché » (Sibille 1982, p. 71). En mêmetemps, des pratiques actuelles telles que celles des Systèmes d’Échanges Locaux(SEL) confirment, à leur échelle, à la fois le besoin d’un équilibre équitable deséchanges et les impasses essentielles des pratiques marchandes de tous niveaux,en soulignant (Bayon, 1999) :

– le caractère invivable des rapports concurrentiels de baisse circu-laire des prix dans un contexte se voulant de réciprocité, une telle« logique » ne pouvant « fonctionner » (id., p. 80) ;– le besoin commun d’un équilibre des prix (ou « échelle de rémunéra-tion », id., p 79), permettant l’accès de tous aux biens et services de façonégalitaire, impliquant une identification commune des prestations ;– les obscurités et les difficultés concrètes de l’accès à une telle équité,l’identification (une prestation est-elle la « même » ?) et l’évaluation(vaut-elle 50, ou 40, ou 60 « grains » ?), (id., p. 81) des prestations,non évidentes d’elles-mêmes, exigeant un éclaircissement, et cecidemandant une procédure reconnue ;– la tentation de surmonter ce problème par l’uniformisation égalita-riste des évaluations (« égalité des rémunérations », id., p. 78) ;– le non respect des distinctions réelles par cet égalitarisme (« faiblereconnaissance de leur compétence », id., p. 82), conduisant les par-ticipants à la dissociation ;– le débouché, dans la crainte de ces distorsions, sur la non régulationdes échanges (l’« arbitraire », id., p. 81) ;– le fait que cette non régulation induit chez des participants la tenta-tion d’accaparements spoliateurs unilatéraux (des « cas d’exploitation »,id., p. 79) ;

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– les effets délétères de ces spoliations, conduisant à la dislocation desrapports d’échange et de socialité (aboutissant à des « rappels àl’ordre », voire à des « exclusions », id., p. 79).

Confrontés à tout cela, les acteurs paraissent n’apercevoir d’autres remèdesque les relations de familiarité proximale, dite de « confiance » (id., p. 78). Ils’agit alors, selon nous, de sortir du dilemme dans lequel, comme d’autres, se can-tonne Guy Hascouët, alors Secrétaire d’État à l’Économie sociale, qui admet,d’une part, comme nécessaire d’« empêcher le marché de venir entraver le droitdes gens à s’organiser différemment » (Hascouët, 2002, p. 55), et d’autre part« réfute » ceux qui voudraient « enfermer l’économie sociale et solidaire hors duchamp concurrentiel », ce qui, selon lui, ne lui laisserait que le champ mar-ginal de l’« insertion » (id., p. 53).

Le travail présenté (Décaillot, 2010) vise à proposer une solution qui écarteà la fois la dissolution de l’économie équitable émergente dans l’océan mar-chand, sa marginalisation palliative dans le système dominant, l’effacementde sa spécificité, et qui définisse les outils de son essor. Pour cela, il s’efforced’éclairer le besoin d’une conception nouvelle décrivant l’échange monétaireéquitable, arbitrable, et de ce fait pouvant être qualifié de non marchand, carécartant, par ses procédures de valorisation et d’arbitrage, les dissymétries entrepartenaires propres au marché dominant ; l’équité obtenue pouvant, en échap-pant aux spirales d’affrontements, alimenter de nouveaux équilibres sociaux.

À la différence de Thomas Coutrot, admettant qu’un simple échanged’information sur les coûts et les prix permettrait de juguler la concurrence(Coutrot, p. 211), on propose dans ce même but des procédures spécifiquesde détermination de prix visant l’équité. Ces procédures, en écart avec larenonciation libérale à l’évaluation cohérente et équitable des travaux socia-lisés, et également avec les projets de leur valorisation égalitariste autori-taire, toutes deux non viables (Latouche, 2000, p. 130), reprennent l’idéed’une base de valorisation des biens par le travail, modulée pour tenir comptedes multiples problèmes à résoudre, débouchant sur une homologation com-mune des prix. Il présente à cet effet le projet d’une Place d’échanges équita-bles ouverte à tous les partenaires, siège d’un arbitrage ouvert à tous, ancragedes multiples appuis aux personnes au travail.

Dans la même perspective, un chapitre est dédié à la recherche d’un équi-libre équitable entre activités de zones différentes du monde. On récuse à cepropos les arguments présentant l’« ouverture » des marchés comme un avan-tage légitime de la modernité, devenu incontournable, arguments accompa-gnés de la stigmatisation, en tant que « repli protectionniste », de la nécessaireautonomie équilibrante des sociétés humaines. On constate cependant quel’analyse des effets de la concurrence marchande sur les rapports économi-

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ques internationaux est souvent marquée d’obscurités. Ainsi, Jean-Christo-phe Le Duigou, économiste et responsable syndical, récuse les projets d’uneéventuelle sortie de l’euro, imputant à ses promoteurs l’idée que l’on pourraitainsi « regagner en compétitivité » (Le Duigou, 2010, p. 11). C’est là, selonnous, méconnaître que l’effet attendu d’une telle sortie pourrait et devraitêtre, non pas le retour vers une « compétitivité » délétère et sans issue, maisun chemin possible vers de nouveaux équilibres délestant le travail des con-traintes concurrentielles ravageuses. Nous proposons une description de con-ditions théoriques cohérentes pour une véritable équité des échanges entrepopulations diverses, dont la diversité créatrice devrait être, au nom des pré-rogatives humaines essentielles de création sociale des conditions de viabi-lité, reconnue primordiale.

Dans cet esprit, on propose des procédures décrivant ce que peut être unéquilibre des échanges entre sociétés aux niveaux de productivité différents,ainsi que celles visant la conciliation entre un équilibre global des échangesentre elles et l’admission à l’échange, par chaque partenaire, de biens et ser-vices aux performances et caractéristiques diverses. On propose donc, d’unepart, une procédure d’accès à un taux de change équitable, fondé sur l’inversedu rapport des productivités moyennes, de telle sorte qu’il n’y ait entre zonesdiverses ni spoliation de gains de productivité, ni concurrence de productivi-tés instrumentalisées ; et d’autre part une procédure de taxation légitimedes produits échangés, admise comme moyen de la légitime préservation parchacun de ses activités souhaitées, en même temps que de la capacité de cha-que zone à apprendre des autres les activités utiles assimilables. Ainsi attein-drait-on, loin de l’intrusion marchande, un équilibre équitable, bénéfique pourtous comme base d’échanges réellement utiles et créatifs, ainsi facteurs d’équi-libres internationaux, et par là d’apaisements mondiaux de plus en plus néces-saires. On relève que déjà, dans ce sens, des auteurs africains préconisent,non les zones de libre échange voulues par l’OMC, mais des « regroupementsrégionaux » (Et si l’Afrique refusait le Marché ? 2001, p. 20).

AU-DELÀ DU SALARIAT, AU-DELÀ DU CAPITAL :QUELLES STRUCTURES, QUELLES PROCÉDURES ?

Les conceptions restrictives d’un salariat relié aux conquêtes sociales d’unepériode particulière du capitalisme nourrissent chez certains auteurs etacteurs (Friot, 2009) l’espoir d’un salariat devenu quelque jour, en résultatd’exigences sociales protestataires et ainsi d’instauration de droits nouveaux,sécurisant pour les personnes au travail. L’avenir souhaitable serait alors la géné-ralisation d’un salariat promettant une rémunération garantie aux personnes ;

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rémunération étendue à la vie entière, évolutions professionnelles et retraitecomprises, et définie par la seule qualification de la personne, réputée reflé-ter son potentiel productif.

De façon analogue, Thomas Coutrot définit la fin du salariat par une simpleunité de « statut » au long de la vie, permettant aux travailleurs de « partager »avec le pouvoir de décision, « le fruit » du travail commun (ibid., p. 217), maisnon pas le projet de ce même travail, ce qui maintiendrait de fait sa subordina-tion à des instances de « planification décentralisée » (ibid., p. 211) au carac-tère démocratique incertain.

Il est vrai que les perspectives d’une libération fondamentale du travail, àtravers un accès à la maîtrise autogérée des activités, après avoir connu despériodes d’une certaine reconnaissance, se sont estompées ; au point quel’idée d’une autogestion comme alternative globale radicale peut être consi-dérée par certains comme ayant « disparu » (Georgi 2008, p. 101), sans queles déceptions liées aux pressions marchandes soient à ce propos évoquéesmalgré leur lourdeur. L’autogestion souvent qualifiée d’utopie, est en outrel’objet de méfiances, voir d’accusations de « corporatisme autogestionnaire »(Coutrot, p. 215). Un conseil de travailleurs « sous-déclare systématique-ment sa productivité réelle » (ibid., p. 201) quand elle n’est pas sanctionnéepar la « concurrence » (ibid., p. 202). Les entreprises, « même, (voire sur-tout) autogérées » auraient tendance à « surestimer ou sous-estimer les coûtsunitaires » éventuellement contrôlés (ibid., p. 212), cédant à la tentation decomportements de « francs tireurs ». Supposer le contraire serait « miserexagérément sur l’homme nouveau » (ibid., p. 202). Cette crainte, souventévoquée dans l’optique libérale concernant une supposée nature humaine,justifierait que l’on retire aux travailleurs la maîtrise actuelle et future de leuroutil de travail, l’autogestion ne devant « aucunement être comprise commela souveraineté des collectifs de travail » (ibid., p. 216).

Dans cette optique, la différence avec le capitalisme devrait inclure« l’interdiction de l’autofinancement » (ibid., p. 217)., et donc du travailhumain comme projet d’avenir pour le bien des autres. Le contrôle de la pro-priété publique inaliénable serait entre les mains des « diverses partiesprenantes » (ibid., p. 214), dans la lignée des entreprises multipartenariales,pourtant déjà connues pour les confusions de leur gestion. Les investisse-ments feraient l’objet d’un débat annuel entre parties prenantes, portant surla « répartition » des ressources rendues anonymes, procédure dont on saitqu’elle génère d’insolubles conflits de « priorités » et d’« optimisation »technocratique, et de ce fait l’apparition de catégories de décideurs poussésaux solutions autoritaires ; ceci alors que la concurrence serait maintenue(ibid., p. 217), les problèmes essentiels impliqués restant ainsi inaperçus.

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Un examen attentif des expériences passées, et tout particulièrement del’expérience yougoslave, montre que, à la différence de diverses interpréta-tions, les limites et manquements observés et l’échec final peuvent être attri-bués, non à un excès d’autogestion et de prérogatives des travailleurs, maisbien au contraire aux limites de cette autogestion, ayant insuffisamment con-féré aux personnes au travail les fonctions de maîtrise, de décision, de défini-tion des projets, d’affectation des moyens, d’évaluation des prestations ; éloignéces personnes des tâches réelles de responsabilité économique et sociale ; etconféré ainsi des rôles décisifs et peu visibles aux spécialistes, et de fait auxgestionnaires financiers (Décaillot, 2000).

À la suite d’une analyse reliant le salariat à la subordination réelle despersonnes aux rapports marchands capitalistes d’inégalité dans l’accès auxressources et aux résultats du travail, on propose, dans le prolongement desrecherches autogestionnaires, des formes nouvelles d’organisation. Celles-cidevront viser la viabilité des activités autogérées ; viabilité qui doit, pour êtreréellement et socialement conforme à ses buts, inclure l’efficacité actuelle etla réunion des conditions d’une efficacité future, permettant à la fois,aujourd’hui et demain, le bon usage des ressources et l’obtention de revenusgratifiants pour chacun. C’est pourquoi nos propositions incluent des sugges-tions de procédures cohérentes concernant les conditions de viabilité présenteet future des projets, unissant l’efficience des moyens et l’accès à des revenuséquitables, tout en tenant compte des apports de savoir des personnes. Leurprésentation technique vise à soutenir, non leur cristallisation incontestable,mais leur perfectibilité raisonnée et volontairement accessible. On propose,dans cette perspective, un schéma nouveau possible pour des projets d’activi-tés à la fois écologiquement et économiquement efficients et équitablementrémunérateurs ; ainsi que les structures et procédures en ouvrant un cheminsécurisé aux participants.

On met ainsi l’accent, en conclusion d’expériences mentionnées con-cernant notamment la Yougoslavie, sur le besoin, pour échapper aux glisse-ments vers la subordination, de prérogatives de deux ordres des personnesau travail : la maîtrise de la gestion proximale, réellement autogérée, del’activité comme accomplissement présent et comme projet d’avenir, et laparticipation effective à sa régulation institutionnelle commune, aux diversniveaux, comme activité sociale démocratique, incluant un mode de ges-tion équitable des mutations d’activité socialement souhaitées. On indiqueégalement qu’un tel mode de vie économique et sociale est la conditiond’un nouveau type de gestion de l’activité, permettant à la fois la pleinereconnaissance du travail et l’usage cohérent des technologies nouvelles, etpar là une réelle efficience dans l’utilisation des ressources, réellement pré-servatrice de l’environnement planétaire.

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RESSOURCES FINANCIÈRES : QUELLE NATURE, QUEL RÔLE ?

Les propositions développées, en accord avec ce qui précède, écartent toutehypothèse d’une gestion des ressources sur la base de critères financiers sélec-tionnant les activités par ordre de rendement quantitatif, dispendieux en res-sources, en discordance avec les besoins sociaux, aux mains de castes dedécideurs plongées dans les affrontements concurrentiels. Elles écartent demême toute conception d’une rémunération unilatérale des ressources prê-tées, notamment en fonction du temps écoulé indépendamment des capacitésde remboursement, perpétuant un rapport dissymétrique entre emprunteurdépendant et prêteur prescripteur et bénéficiaire. On écarte aussi toute hypo-thèse d’instauration d’un système planificateur général, prétendu porteurd’une optimisation d’ensemble, et l’usage oligarchique et distributif des res-sources en vue de projets éloignés des demandes sociales.

On sait que l’économie sociale et solidaire rencontre souvent des problè-mes financiers. Le plus couramment évoqué est celui du manque de fonds pro-pres. Les origines de cet obstacle sont insuffisamment vues : la sous-évaluationmarchande des produits amputant les moyens de gestion, le maintien desacteurs dans un dénuement général qui condamne les initiateurs d’activité àune « double peine », le besoin d’un fonds initial de moyens professionnels, etdans le même temps la nécessité de rembourser et au-delà le prêteur de res-sources initiales. Ceci contribue en outre doublement à accroître la pressionfinancière : par aggravation du coût pénalisant du « risque » financier anti-cipé, et par la propension à remédier aux effets de concurrence par un surcroîtde recours aux financements externes. Ces derniers, ne résolvant pas les pro-blèmes réels, ont un rôle de palliatifs, au total générateurs de dépendance etd’affaiblissement des résultats finaux. Ils entretiennent par là l’absence de res-sources professionnelles propres aux personnes au travail, base de leur assujet-tissement. Certains auteurs nient pourtant que l’absence d’accès général auxressources (au capital initial) soit l’une des difficultés essentielles du dévelop-pement de l’économie sociale (Draperi, 2005, p. 64).

En écart avec cette opinion, nous proposons un accès aux financementsguidé par l’équilibre réel des activités dotées ; des procédures de financementmutualisé des projets d’activité, alimentées par des fonds communs permet-tant l’accès fondamental de tous aux ressources initiales de l’activité. Un telaccès serait un levier essentiel de la marche vers de nouveaux équilibressociaux. Nous proposons également des outils permettant de faire face auxproblèmes tels que la valorisation des rémunérations du travail apporteur desavoirs, la rémunération des services, y compris des services commerciauxnouvellement conçus. Il propose des projets de structures adaptées à l’éven-

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tail de ces fonctions, telles que guichets d’appui à l’initiative, à l’autogestion,à l’information professionnelle, à l’évolution des activités, à l’échange entrezones ; des procédures de coopération entre activités, des conventionsd’intérêt commun entre activités et instances de la société, explicitant desobjectifs communs à atteindre et les rôles des participants dans la clarifica-tion démocratique de leurs apports voulus de prestations et de moyens.

FACE AUX TENTATIVES DE BANALISATION, UN PROJET COHERENT, TRANSFORMATEUR

Entourées des confusions générées tant par l’environnement marchand quepar les pressions diverses dans le sens de l’érosion des services publics, pousséesvers des rôles supplétifs, les initiatives d’économie sociale sont aujourd’huiplongées dans l’ambiguïté. Leur rôle réputé distributif donne lieu à des repro-ches de parasitisme, dans le même temps où leur expérimentation économi-que éveille le soupçon de perturbation de la concurrence. Palliatif, couloird’intégration des marginaux vers la société actuelle, ou enracinement créatifmais difficile de modes de vie nouveaux ? L’interrogation se maintient.

Les obstacles à leur essor sont nombreux : pressions concurrentielles envi-ronnantes dévaluant les prestations, positions dominantes de grands groupesconcernant des ressources nécessaires, exigences unilatérales des législationsd’orientation libérale, difficultés d’une action aux moyens initiaux réduits,pressions financières spoliatrices et destructives, clarification et convergencedifficile des enjeux et des voies entre partenaires en situation pénible. Malgrécela, certains acteurs, notamment proches des milieux officiels, tel le députéDaniel Lamar, persistent à affirmer que l’« économie sociale fait partie inté-grante du système économique libéral », ayant « sa place comme secteur éco-nomique à part entière dans une économie de marché », dans laquelle, quoique« non marchande », ce qui lui impute un rôle redistributif, elle devrait être« rentable » (Lamar, 2009, p. 11), ce qui lui attribue une fonction d’activitééconomique. Cette ambiguïté est le reflet des pressions multiples et des obscu-rités marquant les activités ainsi regroupées. Évoquant l’ensemble de l’écono-mie sociale, Danièle Demoustier y inclut à la fois les mutuelles (redistributives),les coopératives (économiquement productives), les associations (au rôle decompensation sociale ou de familiarité) (Demoustier, 2001, p. 86), y ajou-tant les « zones grises » telles que les délégations de missions de servicepublic ou les entreprises d’insertion. On aperçoit là les effets superposés desexpériences difficiles d’économie nouvelle face à la concurrence, des pres-sions poussant à l’érosion des services publics et au rôle palliatif de l’écono-mie sociale et des associations.

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Dans la même perspective, le rapport publié en mai 2010 par le députéFrancis Vercamer se présente comme inspiré par la volonté de faire « essaimerles pratiques de l’Économie sociale et solidaire » dans le reste de l’économie(Vercamer, 2010, p. 39). Il ne propose cependant aucune solution réelle auxproblèmes rencontrés, tels que la pression des instances européennes pour lemaintien généralisé de la « concurrence libre et non faussée », tout en suggé-rant de multiples formes d’extension de l’influence des structures marchandessur l’économie sociale, telles que le recours aux participations extérieures, aumécénat, aux sponsors, au rapprochement avec les structures financières « clas-siques », aux labellisations de participation à l’économie sociale indépendantesdu statut des personnes et favorisant la présentation d’entreprises « classiques »comme participantes, etc. Dans le même temps où est reconnue la perturba-tion du travail de la Mission parlementaire par les contraintes européenneslibérales (id., p. 63), les propositions pouvant atténuer les pressions marchan-des se limitent à des accords-cadres pluriannuels entre État, services publics etÉconomie sociale (ibid., p. 64), aux effets inévitablement limités.

Sortir de ces ambiguïtés suppose la clarification des fonctions des activitéséconomiques nouvelles, équitables, créatrices de richesse, des groupements etinstitutions exerçant des fonctions de redistribution socialement demandée, àvocation publique, des associations apporteuses d’entraide proximale et de fami-liarité. Les initiatives économiques évoquées ne pourront accéder à l’efficacitésouhaitable qu’en rassemblant largement des participants solidaires, et engagnant le soutien de partenaires sociaux et d’institutions de divers niveaux. Cesinitiatives devront pour cela, dépassant les niveaux actuels de la filière et de lacoopération, atteindre ceux des réseaux d’échanges et d’appuis réciproques etcommuns, porteurs d’une dynamique d’auto-développement et d’entraides àgrande échelle. Elles devront, par des procédures spécifiques adaptées aux con-textes concurrentiels et juridiques, savoir assurer leur spécificité et leur autono-mie. Pour y faire face, des propositions sont également formulées.

CONCLUSION

L’analyse présentée vise à le confirmer : malgré les lourds obstacles, des che-minements vers une nouvelle vie économique et sociale équitable et solidaire,réellement novatrice, sont possibles, accessibles, partageables, et aujourd’huiattendus. Le présent examen souligne, dans le même temps, que ceci a pourcondition importante une cohérence certaine des initiatives prises, fondée surune vision clarifiée, dépassant l’empirisme, des dynamiques économiques etsociales à promouvoir et des obstacles environnants à surmonter. Leur mise enœuvre effective aura pour condition, de façon primordiale, l’adoption en com-mun de modes d’échange nouveaux, assurant à chacun sa place parmi les

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autres, et, au bénéfice de cela, de modes d’organisation des activités économi-ques rendant au travail de chacun, sur ces bases, son rôle de créateur libre etreconnu de richesses présentes et futures, alliant l’initiative concrète adapta-tive et la cohérence durable du projet, la maîtrise proximale de la gestion etla participation démocratique aux régulations communes essentielles.

Nous proposons ainsi, après une introduction exploratoire, un examendes buts recherchés ; puis, condition essentielle, un examen des voies versdes échanges équitables et leurs formes nouvelles possibles ; à leur suite, nousprésenterons les nouveaux types d’apports financiers aux personnes au travail ;il propose ensuite les formes possibles d’un réseau d’appui aux nouveauxéchanges, aux nouvelles formes de travail et à leur autogestion démocratique,notamment à travers des critères cohérents assurant à la fois l’efficience etl’équité ; il propose des formes nouvelles de coopération et de conventionscommunes, permettant d’allier libre autogestion et régulation communedémocratique ; il décrit les normes et procédures possibles d’une équité nou-velle entre zones différentes du monde. Il apporte ainsi, sans proclamationsdogmatiques, la présentation d’outils à mettre librement en œuvre par les ini-tiateurs d’activités économiques et sociales équitables, solidaires, aujourd’huidemandées.

Les expériences démocratiques diverses en cours dans le monde, entreautres celle du Venezuela (Vargas, 2008, p. 118-136), confirment que lesmesures justifiées de redistribution socialement utile, porteuses de solidarité,ne suffisent pas à assurer le développement d’une vie sociale nouvelle. Celle-cirequiert en outre, comme fondements nécessaires, des modes d’activité écono-mique réellement nouveaux, porteurs d’équité réciproquement observée dansl’échange et dans la production, dont l’émergence, aujourd’hui encore confuseet difficile, se doit de déboucher sur des dynamiques sociales effectives. Onsouhaite ici contribuer, en l’éclairant, à leur essor fructueux, réellement nova-teur, pour les populations qui, dans le monde, les impulsent ou les attendent.

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