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Mémoire de Master 2 réalisé lors du stage au sein de l'Association Française des Orchestres
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UNIVERSITÉ PARIS 8
Institut d’études européennes
Master 2 professionnel, Études européennes et internationales,
Spécialité : Politiques et gestion de la culture,
Option : administration des institutions et entreprises culturelles
Etude comparée : Les actions éducatives des
Orchestres symphoniques permanents en
Allemagne, en France et au Royaume-Uni
Soutenu par : Basile Poullélaouen
Sous la direction de Monsieur le Professeur Renaud Zuppinger
2010-2011
Table des matières
Introduction .............................................................................................................................. 1
I - La nécessité des actions éducatives des orchestres symphoniques confrontée à
l’ambigüité des positionnements politiques au niveau européen ......................................... 6
A- Une prise en compte par le politique de l’importance des actions éducatives ...................... 6
1) Une volonté commune des autorités culturelles allemandes, françaises et britanniques ... 6
2) Des mesures législatives dans l’objectif d’un accroissement des actions éducatives et
culturelles ............................................................................................................................... 9
B- La double exigence des programmes éducatifs des orchestres en Europe : la qualité et
l’efficacité des actions. ............................................................................................................. 11
1) Un discours sur la force des actions éducatives relayé par les Associations « nationales »
des Orchestres ...................................................................................................................... 11
2) L’état des lieux des actions de sensibilisation par les phalanges symphoniques : les
orchestres britanniques précurseurs en la matière ............................................................... 13
C- La question du glissement sémantique du culturel vers le social au regard des enjeux des
actions de démocratisation de la musique classique ................................................................ 14
1) Une mise en avant des actions éducatives dans l’optique d’une justification des
financements publics ............................................................................................................ 14
2) La problématique du jeune public face à la difficile mesure de l’impact des actions .... 15
II- Les actions éducatives des orchestres : une substitution à la mission d’éducation
artistique et culturelle dévolue aux Ministères de l’éducation et de la Culture ? ............ 17
A- Des politiques culturelles ambitieuses en faveur de la sensibilisation à la musique
classique sur le temps scolaire. ................................................................................................ 17
1) L’essentielle coopération des Ministères de la Culture et de l’Education ....................... 17
2) Etude comparée de la décentralisation culturelle dans les trois Etats .............................. 19
B- Une mission de Service Public mise en œuvre et relayée par des partenariats et des
réseaux bien établis ................................................................................................................. 20
1) La différence des formes de partenariats assortie d’une convergence des objectifs ........ 20
2) La démonstration du rôle d’accompagnement d’un apprentissage du langage musical au
regard de la constitution des réseaux .................................................................................... 21
C- Des Opérations de communication uniques dans le paysage des actions culturelles
symphoniques en Europe : Orchestres en fête ! et le Projet Demos ........................................ 23
1) La visibilité nécessaire des actions éducatives assurée par la création de l’exemplaire
projet Demos ........................................................................................................................ 23
2) La possible communication au niveau national du sens des actions de sensibilisation par
le biais d’Orchestres en fête ! ............................................................................................... 24
1
III- La convergence des futures activités de démocratisation malgré des modes différents
de financement ........................................................................................................................ 26
A- Des modèles de financement opposés ................................................................................. 26
1) Des actions dans le ressort du Service Public en France et en Allemagne ...................... 26
2) L’attachement britannique à un modèle de financement « mixte » ................................ 27
B- Vers une privatisation du financement des actions éducatives ? ........................................ 28
1) Le rôle croissant des fondations ....................................................................................... 28
2) L’augmentation significative des partenariats privés et du mécénat ............................... 29
C- La tendance au renforcement des actions éducatives lors de festivals et de résidences ..... 31
1) Un Orchestre britannique à Paris par le biais du projet « Take a bow » .......................... 31
2) L’attrait de partenaires privés grâce à la présence de l’Orchestre symphonique de
Londres au Festival d’Aix-en-Provence ............................................................................... 32
Conclusion ............................................................................................................................... 33
Bibliographie ........................................................................................................................... 35
1
Introduction :
« Sans musique, la vie serait une erreur » affirmait Nietzsche au XIXème
siècle. Quant à Platon, il soutenait que « la musique donne une âme à nos cœurs et
des ailes à la pensée ». La musique rendrait ainsi les individus plus libres et plus
intelligents. En matière musicale, il y a en Europe un héritage culturel commun qui
est la musique savante. Cette dernière s’oppose à la musique dite populaire et se
réfère principalement aux « musiques qui mettent un accent particulier sur les
questions formelles de style et qui invitent à la déconstruction technique et détaillée
et exigent une attention plus pointue de l'auditeur1 ». Les Orchestres symphoniques
ainsi que les Orchestres de musique de chambre constituent les formations
instrumentales qui explorent en plus grand nombre le répertoire de cette musique
savante européenne. A partir de la moitié du XXème, il va être intéressant de
s’intéresser aux politiques culturelles publiques de trois Etats dans lesquels la
tradition de la musique symphonique savante n’est plus à démontrer, à savoir
l’Allemagne, le Royaume-Uni2 et la France. En effet les orchestres, au même titre
que les théâtres, les compagnies de danse et les Opéras, sont des organisations et
structures plus ou moins coûteuses. Ils remplissent diverses missions de service
public, parmi lesquelles figure la mission artistique : l’Orchestre symphonique ou
philharmonique peut être au service d’un Opéra, d’une œuvre de répertoire au bien
encore de la création d’une œuvre nouvelle. Par ailleurs, l’autre mission va être de
permettre l’égal accès aux orchestres symphoniques à l’ensemble des citoyens, au
sens de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par
l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 19483. Progressivement, des
politiques culturelles publiques vont se créer en France, au Royaume-Uni et en
Allemagne, afin de soutenir l’activité des orchestres.
Le premier Etat qui met en place une politique de soutien à la musique
classique se situe au Royaume-Uni. En effet en décembre 1939, pendant la Seconde
Guerre mondiale, un Conseil pour l'encouragement de la musique et des arts
1 Jacques Siron, Dictionnaire des mots de la musique, 2006, éditions Outre Mesure, Paris, page 242.
2 Les Etats dont il sera question au Royaume-Uni sont l’Angleterre, l’Ecosse ainsi que le Pays de
Galles. 3 L’article 27 de la DUDH dispose que : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie
culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits
qui en résultent ».
2
(CEMA), a été nommé en Angleterre dans le but de « sauvegarder les traditions et
activités culturelles […] et de donner à la population des provinces un plus large
accès à la musique, au théâtre et autres arts subventionné par le Ministère de
l’Education4 ». Le Conseil, présidé par Lord De La Warr, a été financé par le
Gouvernement, puis rebaptisé Conseil des arts de Grande-Bretagne après la guerre
(Arts Council). En réalité, le plus grand soutien à la vie musicale classique va
provenir de la BBC5. En effet, à partir de 1965, cette autorité britannique va, par le
biais de sa chaîne Music programme, diffuser les œuvres des orchestres et ainsi
fournir du travail à plus de la moitié des musiciens professionnels de Grande-
Bretagne. Depuis cette date, la part du financement des orchestres en provenance de
l’Arts Council n’a jamais dépassé les 10 %.
En ce qui concerne l’Allemagne, la particularité de son organisation tient du
fait qu’il s’agit d’un Etat fédéral. La Loi fondamentale allemande (ou Grundgesetz) a
été adoptée en date du 23 mai 1949 et souligne que la culture relève de la
compétence des Etats fédérés (les Länder6). La première mesure prise dans le
domaine de la politique culturelle en faveur de la musique est la création en 1953 du
Deutscher Musikrat7 sur l’initiative de la Commission nationale pour l’UNESCO. Ce
dernier a pour mission de représenter les intérêts du secteur de la musique vis-à-vis
de l’Etat fédéral ainsi que des Länder. Le soutien financier des orchestres est ainsi
assuré en Allemagne dès 1949, par les Länder, l’Etat fédéral ne se contentant
simplement que d’encourager les tournées internationales. Il faudra néanmoins
attendre l’année 1970 pour voir apparaître un réel programme à destination des
ensembles musicaux. En matière de politique culturelle, le Conseil allemand prend
cette année-là des mesures dont l’objectif vise « à remédier à la pénurie de jeunes
musiciens dans les orchestres et théâtres musicaux […] et à améliorer la formation
théorique et pratique des musiciens professionnels […]8 ». C’est par ailleurs à cette
4 Michael Green et Michael Wilding. La politique culturelle en Grande-Bretagne, Document de
l’Unesco, publié en 1970 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la
culture, Imprimerie Blanchard. 5 British Broadcasting Corporation (BBC) : autorité administrative indépendante qui produit et de
diffuse des programmes de radiotélévision britanniques. 6 Au nombre de seize depuis la réunification officialisée le 3 octobre 1990.
7 Conseil allemand de la musique.
8 La politique culturelle en République fédérale d’Allemagne, 1973, Etude publiée par l’Organisation
des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, imprimerie des Presses Universitaires de
France.
3
même époque que la politique culturelle française envers la musique classique va se
développer et prendre un nouveau tournant.
En France, la première et réelle politique dans le domaine musical est
engagée le 22 juillet 1969 au moment de la publication du « Plan de dix ans pour
l’organisation des structures musicales françaises», autrement dénommé « Plan
Landowski9 ». D’un côté le projet, que l’on peut trouver sur le site internet de la Cité
de la Musique, s’articule autour du thème de la diffusion dans la mesure où il
propose des mesures permettant la mise en œuvre d’une « rénovation et la création
des orchestres et des théâtres lyriques régionaux ainsi que leur insertion dans la vie
véritable de la région10
». Ce plan a été suivi d’effets puisque de 1969 à 1979, pas
moins de douze orchestres régionaux sont fondés parmi lesquels les célèbres
Orchestres nationaux de Lyon et de Lille ainsi que le Philharmonique de
Strasbourg11
. D’un autre côté, la formation va devenir la pièce maîtresse du Plan
Landowski. A cet égard, ce dernier prévoit la mise en place d’établissements
spécialisés en relation avec l’Education nationale, soit 27 Conservatoires régionaux,
et plus de 80 écoles de musique agréées par l’Etat.
Comme on le voit, les Etats dont il est question ont manifesté un intérêt
envers les Orchestres symphoniques à partir de la fin des années 1960 et début des
années 1970. A cette période, la thématique du public ou des publics des orchestres
n’est pas la préoccupation cible des politiques culturelles des pays européens.
Cependant, à partir de la fin des années 1970, début des années 1980, les différents
Etats vont insister sur la mission de service public de l’orchestre dans le cadre de sa
relation aux publics, basée sur l’accès de la programmation à l’ensemble des publics.
Par ailleurs, de plus en plus de voix vont s’élever, mettant en avant le montant
important que représente un orchestre dans les dépenses publiques. Les orchestres
symphoniques ont donc été amenés, dans le cadre de leur mission de transmission
d’un répertoire, à imaginer et concevoir des actions de démocratisation culturelle
centrées sur leur savoir-faire initial, à savoir les représentations lors de concerts. Ces
actions ont été rendues possibles grâce notamment aux dispositifs croisés entre les
9 Marcel Landowski est un compositeur français né le 18 février 1915 à Pont-l'Abbé, Finistère, mort le
23 décembre 1999. Nommé en 1966 par André Malraux directeur de la musique, de l'art lyrique et de
la danse au Ministère des Affaires Culturelles, il exerce cette fonction jusqu'en 1975. On lui doit en
plus d'un plan décennal pour la musique, la création de l'orchestre de Paris en 1967. 10
Cité de la musique, Média composite, Service d'informations musicales, Plan Landowski, page 1. 11
Naissance de l’Orchestre national de Lyon : 1969 ; de l’Orchestre national des Pays de la Loire en
1971 ; de l’Orchestre symphonique de Mulhouse et du Philharmonique de Strasbourg en 1972 ; de
l’Orchestre national d’Île-de-France en 1974 ; […] de l’Orchestre de Bretagne en 1979…
4
Ministères de l’Education nationale pour chacun des Etats. On entre alors dans le
champ de l’éducation artistique et culturelle, celle permettant d’accéder à tous à la
culture. En France selon Jean-François Zygel12
, « depuis André Malraux, on vit sur
l’idée qu’il suffit de mettre les gens au contact des œuvres, et qu’alors le miracle
s’accomplit13
». Il poursuit en arguant qu’il est impossible ou difficile d’assister à
une pièce de théâtre en anglais sans posséder quelques rudiments de vocabulaire.
Cependant, on voit tout de même que « les orchestres prennent aujourd’hui en
compte les nécessités d’une formation à l’écoute musicale14
» auprès du public
scolaire, formation rendue possible grâce à l’intervention des parlementaires et de la
volonté de certains ministres allemands, britanniques et français.
Dès lors, ces actions éducatives menées par les orchestres peuvent susciter de
nombreuses interrogations, notamment quant à leurs objectifs. Les logiques sont-
elles alors d’ordre commercial, permettant l’augmentation de la fréquentation ? Ces
actions répondent-elles pleinement aux attentes du politique ? Aussi, de telles
activités de sensibilisation préparent les enfants à « habiter poétiquement la Terre »
selon l’expression de Hölderlin, mais transforme- t’elle leur rapport au monde ou
améliorent-elles leurs performances dans les différentes disciplines scolaires ?15
»
Ainsi, il est possible de se demander si de telles activités de sensibilisation n’entrent
pas davantage dans le cadre social que dans le domaine culturel. Aux côtés de ces
interrogations, de nouvelles problématiques peuvent être soulevées. La première est
relative à la confrontation entre deux niveaux d’intervention : celui de l’éducation
nationale qui a pour objet l’apprentissage des enfants scolarisés et celui des
orchestres, qui a pour objet de toucher l’univers du sensible. La deuxième
problématique a trait aux modes de financements de ces actions, différents selon les
Etats, dont on observe la tendance pour les orchestres à recourir davantage aux
partenariats privés et au mécénat.
Il convient alors de s’interroger sur la question de savoir quelles sont les
positions politiques face aux actions éducatives des orchestres symphoniques et
si celles-ci se substituent au rôle de l'Etat en matière d’éducation musicale, au
Royaume-Uni, en Allemagne et en France.
12
Pianiste, compositeur français, professeur d'écriture musicale et d'improvisation au Conservatoire
national supérieur de Paris. 13
Jean-François Zygel, Télérama 3026, 9 janvier 2008, page 18. 14
Philippe Fanjas, Orchestres au présent, Premier forum international des orchestres français, 2001 15
Clarisse Fabre, Le Monde, 2007.
5
L’intérêt du sujet est d’observer comment des personnes et des institutions,
issues d’Etats membres de l’Union européenne, donnent de la valeur à ce qui résiste
à la mesure et qui « ne se compte pas et pourtant compte16
».
Il semble nécessaire de préciser que le sujet est majoritairement centré sur les
politiques culturelles de trois Etats. Il existe en Europe une multitude de projets
permettant aux élèves d’entrer en contact avec la musique classique, tels que le label
français nommé « Orchestres à l’école », créé en 1999. Cependant, l’intérêt de tels
dispositifs est moindre dans le cadre de notre sujet, puisque les orchestres
symphoniques permanents ne sont pas concernés. Il en va de même pour les
personnes chargées d’assurer la médiation, appelées « dumistes17
», et dont la
mission est de mettre leurs compétences au service des enfants et des professeurs des
écoles. Il n’en reste pas moins que « la pédagogie mise en place par les programmes
éducatifs des orchestres du Royaume-Uni est très proche de celles des CFMI18
».
Au regard de ce qui a été développé, on voit qu’il y a une prise en compte de
la nécessité des actions éducatives des orchestres symphoniques, mais que ces
dernières sont confrontées à l’ambigüité des positionnements politiques (Partie I).
On peut néanmoins se demander dans les faits si Les actions éducatives des
orchestres ne se substituent pas à la mission d’éducation artistique et culturelle
dévolue aux Ministères de l’éducation et de la Culture (Partie II). Les orchestres
allemands et anglais font des plus en plus de résidences à l’étranger en y intégrant
des actions de sensibilisation. Il y a dès lors convergence des futures activités de
démocratisation malgré des modes différents de financement (Partie III).
16
Héléna Rodriguez, Rencontres européennes Culture et éducation, Festival d’Aix-en-Provence, 2011. 17
Le terme dumiste signifie Diplôme d’Etat universitaire de musicien intervenant, diplôme obtenu
dans un CFMI (Centre de formation des musiciens intervenants). 18
Compte-rendu du stage de janvier 2006 où l’Association Française des Orchestres a organisé une
découverte des programmes éducatifs en Angleterre.
6
I – La nécessité des actions éducatives des orchestres symphoniques confrontée
à l’ambigüité des positionnements politiques au niveau européen
Depuis une dizaine voire une vingtaine d’années, il y a une prise en compte
des nécessités d’une formation à l’écoute musicale en Europe et ce, tant au niveau
institutionnel (de l’Etat) qu’au niveau des acteurs de l’orchestre. Ceci s’est traduit par
des prises de position au niveau politique et juridique afin de développer l’écoute
critique (A). De telles actions se développent cependant de manière hétérogène selon
les trois pays (B). De plus, les enjeux sont différents et l’on voit se développer peu à
peu l’alibi du social (C).
A – Une prise en compte par le politique de l’importance des actions
éducatives
Si les autorités culturelles se préoccupent toutes de la place de la musique dans
l’éducation artistique et culturelle à l’école (1), il n’empêche que les programmes
dans le système éducatif sont disparates (2).
1) Une volonté commune des autorités culturelles allemandes,
françaises et britanniques
En Allemagne, au Royaume-Uni et en France, les discours politiques ne sont pas
relayés par les mêmes personnes, par les mêmes autorités. En effet, les trois Etats ne
sont pas structurés de la même manière. Ainsi, les politiques culturelles en faveur de
la musique ne sont pas relayées par les mêmes autorités. Au Royaume-Uni, les
politiques en matière d’éducation musicale sont davantage mises en exergue par
l’Arts Council que par le Département pour la Culture, les médias et le sport. En
France, ce sont respectivement les Ministères de la Culture et de l’Education qui
communiquent les stratégies dans ce domaine. Enfin en Allemagne, chaque Land
définit sa propre politique mais de façon générale, le système éducatif outre-Rhin au
niveau étatique, est influencé dans deux directions différentes. Il y a d’un côté, la
dimension du droit individuel de recevoir une éducation et de l’autre, la
responsabilité de l’Etat pour la fournir. En raison de l’autonomie culturelle et
7
éducative des seize Etats fédéraux allemands, les fondements juridiques ainsi que les
structures pour les écoles d’enseignement général sont prévus dans seize ensembles
de lois sur l’éducation. Du fait du caractère fédéral de l’Allemagne, il y a chaque
année une conférence regroupant les Ministres des affaires éducatives et culturelles
de chaque Land, permettant à ces derniers d’échanger leurs expériences mais il n’y a
jamais de tentative d’harmonisation des lois et des projets en vigueur dans le
domaine de l’éducation artistique et culturelle. Ainsi, il est difficile d’y rendre
compte d’une ligne discursive au niveau fédéral. En revanche, il peut être intéressant
de se pencher sur la politique éducative musicale dans un Land relativement
dynamique dans ce domaine, la Rhénanie du Nord-Westphalie. En 2010, la ville
d’Essen obtient le titre de capitale culturelle européenne. De nombreuses initiatives
ont alors été mises en valeur, démontrant l’importance que revêt la pratique musicale
en Allemagne. Selon la Ministre de la Culture19
de Rhénanie, « la musique doit être
une composante essentielle de l’éducation, une approche globale qui commence très
tôt dans la vie20
». C’est elle qui a mis en place le projet « un enfant, un instrument »
au sein de son Etat, permettant à des enfants du primaire de la Ruhr, d’apprendre un
instrument de musique de leur choix21
. Il y a ainsi en Allemagne, une démarche
politique visant avant tout à donner l’opportunité aux scolaires de pratiquer la
musique.
En Angleterre, le Ministre de la Culture Ed Vaisey soulève que « tous les enfants,
indépendamment du fond, doivent avoir une solide formation culturelle22
». Ce
discours fait suite au rapport adressé par Darren Henley au Ministre dont la recherche
montre qu’une éducation de qualité culturelle a un impact positif sur le niveau
scolaire, le comportement et la concentration. Indépendamment de ce rapport, il
existe en Angleterre des objectifs de politiques culturelles de manière à ce que
chaque enfant et chaque personne jeune ait l’opportunité d’expérimenter la richesse
des arts. Cette finalité est exprimée et relayée par l’Arts Council dans le rang de ses
missions principales. Par ailleurs, le Conseil des arts britannique traite de la musique
dans son document concernant ses priorités pour la période 2007 - 2011 en y incluant
19
Ministre de la Famille, des enfants, de la jeunesse, de la Culture et du sport. 20
Ute Schäfer, Dokumentation du 25 mars 2011, Schulische und außerschulische musikalische
Bildung – Wie kann eine erfolgreiche Verzahnung gelingen?, page 18. 21
Projet similaire dans le Bade-Wurtemberg, en Bavière, à Berlin, Mecklembourg-Poméranie
occidentale, Basse-Saxe, la Sarre et la Thuringe. Le projet avait été lancé en 2003 à Bochum. 22
8 avril 2011, Discours, communiqué des nouvelles, le ministre de la culture annonce un examen de
l’éducation culturelle, Department for Culture, media and sport.
8
une dimension ayant trait à la jeunesse. En effet, les conseillers émettent le souhait
que soit créé un plus grand accès à la musique pour les scolaires par le biais
notamment, d’élaborations de partenariats entre les infrastructures de musiciens
professionnels et le secteur de l’éducation nationale23
. Autrement dit, les politiques
culturelles britanniques mettent en avant la notion d’expérimentation, la plaçant au
centre de leurs dispositifs éducatifs. Leur ambition est ainsi de faire en sorte que
l’ensemble du public anglais, peu importe son territoire, fasse l’expérience de la
meilleure musique possible et en soit enrichi. En utilisant le terme « expérience », les
autorités culturelles britanniques ne précisent pas si elles souhaitent simplement que
les scolaires entrent en contact avec la musique ou bien s’il est nécessaire pour ces
derniers que soit mis en place un dispositif permettant l’apprentissage et la pratique.
La France enfin, est dotée d’un important héritage en matière de démocratisation
culturelle. Depuis André Malraux et son discours du 27 décembre 1966 devant
l’Assemblée nationale sur la culture pour tous et la culture pour chacun, la
démocratisation culturelle a été revendiquée par chaque Ministre de la Culture.
Aujourd’hui, la stratégie mise en place par le Ministère est désormais marquée par
l’axe structurant de la « culture pour chacun », ce dernier suscitant un large débat. En
effet, on peut voir en cet axe une politique de repli, consistant à cantonner chacun à
ce qu’il connait ou qu’il connait déjà. Ceci peut alors sembler préoccupant pour
l’éducation artistique et culturelle dans la mesure où selon Frédéric Mitterrand,
Ministre de la Culture et de la Communication, elle « demeure une priorité majeure
dans la mise en œuvre du dispositif Culture pour chacun24
». Cependant, l’Etat met
en place et soutient des missions au sein des Régions dans le domaine de la diffusion
musicale classique. A ce titre il met à la charge des Orchestres permanents, de
« proposer des actions d’éducation artistique, en lien avec les services de l’Education
nationale25
», ainsi que des actions culturelles de sensibilisation. Il y aurait ainsi en
France une délégation de la mission des actions éducatives, de l’Etat vers les
collectivités locales, ces dernières étant invitées à mettre en place le dispositif
« Culture pour tous ».
23
Arts Council England, Music policy, novembre 2006. 24
Annexe à la Directive nationale d’orientation 2011-2013. Orientation spécifique du programme 224,
page 1. 25
Cahier des missions et des charges pour le réseau national des orchestres en région, août 2010.
9
Les autorités culturelles des trois Etats n’utilisent pas le même vocabulaire dans
leurs prises de position vis-à-vis de l’éducation musicale artistique et culturelle. Il
n’en reste pas moins que des mesures législatives résultent de ces discours.
2) Des mesures législatives dans l’objectif d’un accroissement des
actions éducatives et culturelles
Afin que des liens étroits s’établissent entre les musiciens des orchestres
symphoniques et les élèves, il est nécessaire que le cadre législatif et/ou les
programmes scolaires au sein desquels pourraient s’intégrer des projets éducatifs, le
permettent. Encore une fois, des mesures ont été prises dans chacun des Etats dont il
est question, mais il convient de souligner d’ores et déjà que les missions, les
ambitions ainsi que la précision des dispositifs sont relativement disparates selon les
pays. Tout d’abord en effet, en 1988, la France se dote d’une loi sur les
enseignements artistiques qui instaure le caractère obligatoire des enseignements
artistiques de la maternelle au collège. Ces enseignements, dont la loi dispose qu’ils
« contribuent à l’épanouissement des aptitudes individuelles et à l’égalité d’accès à la
culture [et] font partie intégrante de la formation scolaire primaire et
secondaire26
… », acquièrent alors une légitimité accrue. Ce texte conforte par
ailleurs le rôle de l’Education nationale dans la définition des enseignements
artistiques à l’école. Plus récemment en septembre 2008, le Ministre de l’éducation
nationale Xavier Darcos, accompagné de la Ministre de la Culture27
, a signé six
conventions avec de grandes institutions musicales dans le souci de promouvoir la
musique à l’école. La Cité de la musique fait partie des institutions contractantes
avec l’Education nationale ce qui a permis la mise en place d’outils pédagogiques
parmi lesquels des guides d’écoute ainsi qu’un portail de ressources en ligne. En
dépit des textes et des actions pouvant en résulter, ces dernières sont dénuées de tout
caractère obligatoire et reposent dès lors sur la seule volonté des enseignants, ne
concernant qu’une minorité d’enfants, et se voyant « souvent taxées d’élitisme28
».
En Allemagne, des mesures existent mais elles ne sont pas uniformes sur
l’ensemble du territoire. En effet comme il a déjà été soulevé, dans l’Outre-Rhin,
26
Article 1er
de la loi n° 88-20 du 6 janvier 1988. 27
Christine Albanel 28
Philippe Fanjas et Marie-Pierre Macian, Prêtez l’oreille, Livre blanc des actions éducatives des
orchestres, 2003, page 104.
10
chaque Land se dote de se son propre dispositif juridique concernant l’éducation29
. Il
est intéressant de commencer par dire qu’il est relativement difficile de trouver des
articles concernant l’éducation artistique et culturelle au sein de ces lois. Par
exemple, il n’y a pas de réelle référence à la place de la culture à l’école dans la
dernière loi en date du 4 avril 2011 dans l’Etat de Rhénanie du Nord. Une loi peut
cependant retenir notre attention, celle relative à l’école dans la ville-Etat de
Hambourg, approuvée le 16 avril 1997. Cette dernière pose en son article 2 alinéa 4
que « l’école doit à travers la transmission des connaissances […] promouvoir les
actions afin que les élèves soient actifs [dans les domaines] sociétaux, culturels et
politiques ». Comme en France, il n’y a ainsi aucune obligation en Allemagne
consistant en la mise en place de projets pédagogiques autour de l’enseignement
artistique et culturel.
Le pays dont le dispositif relatif à la pédagogie est le plus intéressant à étudier
reste l’Angleterre. En effet, lorsque l’on se penche sur l’enseignement artistique et
musical, on se rend compte que le programme officiel au niveau national établit qu’il
faut enseigner la composition aux élèves âgés de 5 à 14 ans, ainsi que la pratique
instrumentale et développer une écoute critique. Les élèves sont amenés de cette
manière à composer leur propre musique. Cependant, Richard McNicol s’interroge
sur l’avenir de l’éducation musicale et soutient que si les hommes politiques ne se
prononcent pas clairement sur la place vitale de l’art dans la vie des jeunes, et tant
que « le financement et la formation des enseignants pour soutenir l’éducation
artistique seront inexistants, l’art continuera d’être le parent pauvre30
».
Du fait du manque de formation des enseignants en Europe dans le domaine
musical, les orchestres symphoniques ont une légitimité pour intervenir en milieu
scolaire et pallier aux carences des éducations nationales respectives dans les projets
artistique. Ceci est d’autant plus valable que les cadres législatifs permettent une telle
intervention.
29
Il existe ainsi en Allemagne 16 « Landesschulgesetze » : lois de l’Etat sur l’éducation. 30
Richard McNicol, Les Grands entretiens des clés. Ce dernier est un ancien musicien britannique au
London Philharmonic Orchestra, devenu une référence européenne voire internationale dans le
domaine des concerts éducatifs (de Londres à Berlin en passant par Paris).
11
B- La double exigence des programmes éducatifs des orchestres en
Europe : la qualité et l’efficacité des actions.
La mise en œuvre des programmes éducatifs des orchestres répond à une double
exigence: celle de la qualité et de l’efficacité des actions. Les associations nationales
respectives des orchestres promeuvent les liens privilégiés établis entre le jeune
public et les orchestres (1). Ces associations listent les actions éducatives qui sont
menées dont on peut dégager une plus forte activité des orchestre britanniques (2).
1) Un discours sur la force des actions éducatives relayé par les
Associations « nationales » des Orchestres
Afin de relayer les activités et les réflexions des orchestres symphoniques sur
l’ensemble du territoire, ont été créés dans chacun des pays, des associations
nationales qui assurent la mission de porte-parole de la profession.
L’association allemande des orchestres31
a vu le jour en 1952 et réunit à ce jour
pas moins de 133 organisations symphoniques et orchestres de musique de chambre.
Dans un communiqué de presse en date du 25 janvier 2011, le Directeur de
l’association, Gerald Mertens relate une augmentation de 2% entre 2009 et 2010 du
nombre de concerts éducatifs proposés par les Orchestres. Ces chiffres démontrent
une stabilité de l’activité des orchestres envers les jeunes mais ne traduisent pas le
fait « qu’il convient de se discuter de nouveaux modèles et modes de financement
des orchestres publics32
». Autrement dit, l’association accorde beaucoup
d’importance aux actions éducatives menées en Allemagne. Ceci semble d’autant
plus avéré que Gerald Mertens a écrit une lettre ouverte aux conseillers municipaux
suite à leur plan politique couvrant la période entre 2009 et 2014 en insistant sur le
fait que « toutes les activités en particulier à destination de la jeunesse proposées par
le théâtre et l’orchestre [de la ville de Hagen] devaient être maintenues33
» et ce,
malgré les contraintes financières. L’association allemande des orchestres assure
ainsi le plaidoyer en faveur des actions éducatives de manière assez circonstanciée,
ce qui est assez différent de la situation française.
31
Deutsche Orchestervereinigung. 32
Gerald Mertens, Communiqué de presse, Berlin, 25 janvier 2011. 33
Lettre ouverte aux conseillers municipaux de la ville de Hagen, le 22 juin 2009.
12
De son côté, l’Association Française des orchestres (AFO) a été créée en 2000.
Elle regroupe aujourd’hui 40 membres permanents et associés. Son directeur
Philippe Fanjas est très attaché aux actions éducatives et il y a d’ailleurs consacré un
livre blanc en 2003. De manière plus objective, l’AFO a organisé plusieurs forums
internationaux (2001, 2003) et européens (2005) au sein desquels il a été question
des actions éducatives. L’objectif de tels rassemblements réside dans le fait
d’organiser et partager les expériences. Le directeur de l’AFO énonce également lors
de la Conférence RESEO34
de Berlin en octobre 2010, que lorsque l’argent vient à
manquer, « les projets éducatifs sont souvent sacrifiés s’ils ne sont pas totalement
intégrés au projet de politique culturelle des institutions musicales ». De cette
manière, la cause des orchestres est plaidée entre autres à travers les missions
éducatives. Il en résulte que l’AFO organise régulièrement des stages de formations à
destination de ses membres notamment sur la communication des actions éducatives.
L’association tente ainsi de confier aux responsables administratifs, pédagogiques et
aux musiciens, un ensemble de clés permettant de développer les actions éducatives
tout en mutualisant les expériences.
Enfin au Royaume-Uni, l’Association of British Orchestras (ABO) a été créée en
1947. Elle regroupe 66 membres permanents et plus de 30 membres associés. Au
cours de l’année 2010/2011 l’ABO, représentée par son directeur Mark Pemberton,
continue de travailler sur son ambition d’offrir à chaque enfant l’opportunité de
participer à un concert d’orchestre en « live », durant sa scolarité. En d’autres termes,
l’ABO se lance un défi dont l’objectif pourra être mesuré dans quelques années. Par
ailleurs, l’ABO a contribué au plan de révision de l’éducation musicale écrite par
Darren Henley. Ce plan recommande que les « écoles facilitent l’accès à la musique
‘live’ en créant des opportunités et des performances offertes aux enfants […] ».
Les associations nationales des orchestres sont soucieuses de l’efficience des
actions éducatives. Dès lors, il peut être intéressant de dresser une sorte d’état des
lieux des actions de démocratisation en Europe.
34
RESEO est le réseau européen pour la sensibilisation à l’opéra et à la danse.
13
2) L’état des lieux des actions de sensibilisation par les phalanges
symphoniques : les orchestres britanniques précurseurs en la
matière
Les actions éducatives entrent dans un cadre juridique précis et les orchestres
sont invités à développer ces initiatives dans l’ensemble des trois pays, de manière
relativement convergente. Cependant, lorsque l’on observe les statistiques des
séances consacrées aux scolaires (ou même à la sensibilisation), on se rend compte
que l’activité des orchestres est très différente. Il est également rapidement possible
de souligner que les orchestres britanniques sont précurseurs en la matière. En effet,
l’Orchestre Philharmonique de Londres est le premier à avoir développé des actions
éducatives à partir de 1977. Il faudra attendre l’année 1987 pour que l’Orchestre
Philharmonique de Berlin lui emboîte le pas. Des politiques en ce sens sont mises en
place en France vers le milieu des années 1990. Il convient de noter également que
de telles initiatives émanent le plus souvent de personnes dotées d’une ambition
solide : l’arrivée de Richard McNicol à Londres et celle de Sir Simon Rattle à Berlin.
Par ailleurs, le nombre de séances pédagogiques est très variable selon les pays. En
France, au cours de l’année 2008-2009, 938 concerts éducatifs ont été proposés et les
orchestres ont ouvert 353 fois leurs portes au jeune public pour que ce dernier assiste
à des répétitions ouvertes35
. Quant aux phalanges allemandes, elles ont donné au
cours de l’année 2007-2008, 972 concerts pour enfants, 665 concerts pour les élèves
ainsi que 2086 ateliers dans les écoles. L’activité est donc plus importante en
Allemagne qu’en France mais c’est au Royaume-Uni que les chiffres sont
significatifs. En effet, les orchestres de l’ABO ont proposé des activités éducatives à
plus de 305 000 enfants de moins de 18 ans au cours de l’année 2008-2009. Il n’y a
pas de statistiques réelles rendant compte du nombre de concerts éducatifs mais pour
donner un ordre de grandeur, le London Symphony Orchestra a accompli 560
séances pédagogiques quand l’Orchestre national des Pays de la Loire n’en mène
« seulement » que 107. En termes d’équipements, les orchestres ne sont pas non plus
dotés des mêmes infrastructures. La majorité des ensembles proposent les activités
dans leurs salles ou bien dans les écoles. Cependant, un lieu unique peut retenir notre
attention : le Saint-Luke Centre de Londres, église rénovée pour un montant de 27
35
Ainsi que 182 conférences, 797 rencontres et 726 ateliers.
14
millions d’euros et destinée exclusivement à recevoir les actions éducatives de
l’Orchestre symphonique de Londres.
Ce panorama n’est en aucun cas exhaustif et ce d’autant plus que le nombre de
phalanges permanentes est inégal au sein des pays. Il est cependant évident que le
nombre d’actions tend à croître au fil des années et qu’il faut donner des raisons pour
justifier l’investissement dans les programmes éducatifs et l’implication dans la
musique. L’implication est-elle d’ordre culturel ? La préoccupation ne devient-elle
pas davantage d’ordre social ?
C- La question du glissement sémantique du culturel vers le social au
regard des enjeux des actions de démocratisation de la musique classique
Les actions éducatives existent-elles dans l’optique de la défense dans nos
sociétés de la place de la culture ? En tout cas, les financeurs publics y sont sensibles
(1) bien que leur impact ne soit pas directement mesurable (2).
1) Une mise en avant des actions éducatives dans l’optique d’une
justification des financements publics
Les orchestres se prévalent aujourd’hui de leurs actions dans la mesure où le
thème de l’éducation – ou plutôt de la sensibilisation – est mieux reconnu par les
partenaires publics et privés que celui de la musique elle-même. L’ensemble des
phalanges européennes se présentent en tant qu’institution culturelle et citoyenne,
capable de travailler en partenariat à la fois avec le milieu scolaire, les acteurs
sociaux et le secteur de l’entreprise. Cependant, il est intéressant de se pencher sur la
question de savoir si la logique menée par les actions éducatives n’aurait pas évolué
au cours des dix dernières années. La dialectique basée sur l’unique notion de service
public culturel visant à partager un mode d’expression artistique avec le plus large
public possible semble incorporée parmi de nouveaux enjeux. On peut désormais
énoncer qu’il y a une tendance à « instrumentaliser » les actions éducatives. En effet
à noter en ce sens que de tels projets ont été acceptés par la ville de Strasbourg et une
ligne budgétaire relative aux activités de l’orchestre Philharmonique de Strasbourg a
15
été créée pour les financer36
. Les actions éducatives deviennent pour ainsi dire des
enjeux électoraux et sociétaux. N’y a-t-il pas alors de glissement sémantique de la
sauvegarde de la place de la culture dans nos sociétés, vers la défense des actions
d’un point de vue social. A ce titre, il est assurément plus aisé pour un élu de
défendre un projet social qu’un projet culturel. Les actions éducatives sont par
conséquent utilisées pour obtenir un maintien du financement public ou pour
l’obtention de nouveaux crédits sur les lignes sociales, servant ainsi d’alibi. Les
thématiques de cette observation entrent dans la problématique de l’emploi, de la
formation, de l’aménagement culturel des territoires voire de pratiques culturelles des
publics. Les orchestres ne travaillent pas uniquement dans une acception de la
musique, mais plus largement pour l’art vivant, espérant que le jeune public touché
par les actions, assistera à des concerts dans sa ville de résidence. Au-delà de la
dimension sociale, l’essentiel est que la musique devienne une partie de leur vie. Le
personnel des orchestres européens est conscient dans ce cas qu’il ne « faut pas
penser que les programmes éducatifs vont permettre de développer les publics37
».
On voit ainsi apparaître en ce moment une certaine forme d’alibi du social qui
semble inéluctable et ce d’autant plus que les bailleurs de fonds publics et privés
souhaitent mesurer l’impact de leur investissement.
2) La problématique du jeune public face à la difficile mesure de
l’impact des actions
La crise économique et financière induit un resserrement significatif des actions
publiques dans le domaine artistique et culturel, une prudence aiguisée chez les
bailleurs de fonds et des exigences accrues en matière de légitimation des dépenses
consenties. La question de l’évaluation s’impose au point de constituer un critère
dans l’attribution des aides financières accordées aux projets éducatifs, amenant à se
demander si l’on ne va pas peu à peu se confiner dans les logiques proches de l’audit.
Cette partie relative à l’évaluation des actions éducatives suscite plus
d’interrogations qu’elle n’apporte de réponses la plaçant dans le champ de la
philosophie politique. Selon Alan Kerlan, l’émergence de la demande d’évaluation
reflète « le symptôme d’une société désormais gouvernée par l’évaluation voire
36
Source : Katherine Wary, chargée de communication à l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. 37
Clive Gillinson, directrice du London Symphony Orchestra en 2003, L’orchestre dans la ville, 2003.
16
d’une gouvernance par l’évaluation38
». Cependant, des enseignements peuvent être
néanmoins tirés à partir de ces évaluations et révéler un certain pragmatisme des
organisations. Ainsi, Katryn Macdowell39
évoque une certaine « plasticité
institutionnelle » acquise par son orchestre au fil des protocoles d’évaluation ainsi
que la construction d’une compétence réflexive au sein des équipes. Il est également
nécessaire que les orchestres européens s’interrogent sur la question du temps et
l’articulation entre le temps de formation des jeunes, long, et le temps des
interventions pédagogiques en milieu scolaire, court. Cela amène à la thématique de
la nécessité d’une coopération importante entre les Ministères de l’éducation et les
ensembles musicaux. Il convient d’examiner les relations entre ces Institutions,
intéressantes du fait de la diversité des points de vue, les orchestres s’interrogeant sur
la pertinence de leurs actions au regard de leurs propres enjeux institutionnels, et des
Ministères s’inscrivant dans des logiques qui prennent en compte la spécificité de
leurs cahiers des charges.
38
Alan Kerlan, Docteur en philosophie et Professeur à L’UFR Lyon II, Rencontres européennes
Culture et éducation, Festival d’Aix en Provence, 2011. 39
Directrice du London Symphony orchestra.
17
II- Les actions éducatives des orchestres : une substitution à la mission
d’éducation artistique et culturelle dévolue aux Ministères de l’éducation et de
la Culture ?
Les systèmes éducatifs des pays étudiés donnent-ils de manière satisfaisante,
à tous les jeunes, les savoirs et les compétences de base en matière musical ? Si tel
n’est pas le cas, les orchestres peuvent-ils compenser certaines faiblesses ou
lacunes ? Il convient d’aborder l’organisation de ces programmes qui émanent de
l’Etat et sont mis en place devant et pour les élèves (A), puis de développer le rôle
significatif joué par les réseaux et les partenariats (B). Enfin, il semble nécessaire que
soit assurée la communication de ces actions éducatives (C).
A- Des politiques culturelles ambitieuses en faveur de la sensibilisation à
la musique classique sur le temps scolaire.
Pour être mises en place, les actions éducatives nécessitent une coordination
entre les politiques culturelles et les politiques éducatives (1). Ces dernières sont
ensuite relayées au niveau local (2).
1) L’essentielle coopération des Ministères de la Culture et de
l’Education
La coopération entre les domaines de la culture et de l’éducation a pour objet de
permettre une mise en œuvre de dispositifs au sein desquels peuvent s’intégrer des
projets éducatifs élaborés conjointement par les orchestres et les établissements
scolaires. Cette étude semble primordiale à développer dans la mesure où les
objectifs et le rôle de chacun des partenaires ainsi que le financement (et le budget) y
sont définis.
Au Royaume-Uni, les Ministères de l’Education40
et de la Culture financent
des projets de partenariat, aux côtés du Conseil des arts. Il s’agit de programmes
élaborés sur une année et qui visent à offrir une activité musicale de haute qualité à
l’ensemble des scolaires à travers l’Angleterre. On peut citer en exemple le projet
40
Department for children, schools and families (DCSF).
18
« connected to Music » piloté depuis 2010, dans le Comté de Northamptonshire41
.
Le site internet relatif à ce projet souligne que ce dernier vise à créer un modèle de
prestation harmonisée conféré par l'éducation musicale dans ce Comté.
On voit par conséquent que la coopération entre les deux ministères se traduit
essentiellement par l’élaboration de programmes, qui sont par la suite appliqués dans
chaque Comté de Grande-Bretagne.
En Allemagne, chaque Land est doté de son propre Ministère de la culture et
de l’éducation. Cependant en 1988, est créée la Fondation culturelle der Länder42
.
L’Etat fédéral allemand y participe et met en place un travail en commun dans le
domaine du soutien aux arts. La fondation, basée à Berlin a notamment la possibilité
de coopérer à des projets culturels initiés par les Ministères des Länder, y compris
des projets suprarégionaux. La fondation a entre autres lancé l’initiative Kinder zum
Olymp43
en 2004. Il y a par conséquent une coopération entre l’Etat fédéral et les
Ministères des Etats fédérés.
En France, la collaboration entre les ministères de l’Education nationale et de
la Culture date des années 1970 puis s’est renforcée à partir de 1983 suite à leur
protocole d’accord en faveur de l’éducation artistique et culturelle44
. Puis en 2000, a
été signé le Plan Art et Culture45
dont le fer de lance est le dispositif de la classe à
PAC46
, dispositif dont l’ambition est d’amener l’enfant à se confronter au domaine
culturel à raison de quatre fois par an dans sa scolarité, de la maternelle au lycée. Les
dispositifs croisés entre les domaines culturels et éducatifs sont élaborés au niveau
national, mais sont mis en œuvre jusqu’aux élèves via des acteurs locaux.
41
ABO, unlocking potential education and the orchestra, page 14. 42
Kulturstiftung der Länder. 43
La fondation est étroitement liée au programme éducatif Zukunft@BPhil, de l’orchestre
philharmonique de Berlin. 44
Il s’ensuit de ce protocole d’accord, la loi du 6 janvier 1988, voir note 30. 45
Jack Lang étant alors Ministre de l’éducation Nationale et Catherine Tasca Ministre de la Culture et
de la Communication. Ce plan a été relancé en 2005 par le Ministre Renaud Donnedieu de Vabres. 46
Projet artistique et culturel
19
2) Etude comparée de la décentralisation culturelle dans les trois Etats
Globalement, les dispositifs peuvent être divisés schématiquement en deux
catégories : l’échelon micro territorial et l’échelon macro territorial. L’échelon micro
territorial est adapté dans l’optique d’une relation privilégiée entre un orchestre
symphonique et une ou plusieurs classes, appelant la coopération entre les autorités
culturelles et éducatives. A cette échelle, ce sont surtout les administrations
décentralisées dans les trois pays qui ont vocation à intervenir : les villes, les
inspections académiques.
En ce qui concerne le niveau macroterritorial, les dispositifs mis en œuvre
sont davantage de l’ordre de la politique de la ville, incluse dans une vision
d’aménagement territorial. La prise en charge de ces programmes éducatifs peut être
assurée par les rectorats, les DRAC et de plus en plus souvent par les collectivités
locales (les départements et/ou les régions).
Cette présentation de la décentralisation culturelle suscite quelques
observations. Tout d’abord, que les élèves allemands, français et britanniques ne sont
pas égaux vis-à-vis de leurs chances d’assister à une séance pédagogique. En effet,
les orchestres allemands et britanniques étant plus nombreux, les élèves sont
globalement mieux lotis en la matière. Cependant, il existe de grandes disparités
parfois même au sein des villes. En effet, par exemple le London Sinfonietta est très
lié à l’arrondissement de Southwark, zone relativement défavorisée de Londres. Du
fait de limitations géographiques, l’Orchestre précité est exclu de l’arrondissement de
Lewisham situé à proximité de Southwark, également relativement démuni en termes
de pédagogie musicale. Mais cette division signifie également que des écoles sont
très bien desservies et peuvent entreprendre de longs partenariats.
« Nous ne pouvons pas remplacer l’enseignement musical à l’école »
constitue le credo du London Sinfonietta avant les années 2000, mais cette position
s’est avérée intenable car parfois les enseignements musicaux sont inexistants dans
certains établissements. De ce constat, ont émergé un certain nombre de réseaux et
partenariats.
20
B- Une mission de Service Public mise en œuvre et relayée par des
partenariats et des réseaux bien établis
Il convient à présent de se demander si ce type d’actions n’a pas pour objectif que
de remplir un cahier des charges conçu par les tutelles financières ou si les orchestres
sont devenus des acteurs incontournables dans le domaine pédagogique. D’un côté,
les phalanges européennes développent des actions pour pallier à la faiblesse de
l’enseignement, mais d’un autre côté, les partenariats (1) et les réseaux (2) sont
constitués par la puissance publique.
1) La différence des formes de partenariats assortie d’une convergence
des objectifs
Que ce soit en France ou en Angleterre, des partenariats entre les domaines
éducatifs et orchestraux sont établis. La différence la plus marquée entre les deux
pays réside dans le fait qu’en Grande-Bretagne, les partenariats sont créés via une
Agence nationale de développement de la musique orchestrale et instrumentale,
appelée « Orchestras Live ». L’Agence contribue directement à la négociation de
projets appropriés pour les besoins spécifiques des communautés locales. Selon
Henry Little, chef exécutif de l’Agence, cette dernière contribue à apporter le
meilleur des Orchestres britanniques « à des classes implantées sur des territoires où
la musique d’orchestre est une rareté47
», grâce à leurs relations et connaissances des
autorités locales. De tels partenariats ont permis au Royal Philharmonic Orchestra de
se rendre à Lowestoft, petite ville anglaise. Le système est basé sur des conseils
prodigués aux promoteurs locaux pour que l’intervention de l’Orchestre puisse se
faire en classe. En France, il existe des conventions de partenariat tripartites signées
entre l’IUFM48
, l’Inspection académique et l’Orchestre. D’un côté, l’Orchestre
s’engage à intervenir dans un certain nombre de classes et d’un autre côté, l’IUFM
s’engage à fournir aux enseignants un certain nombre de clés d’exploitation relatives
à la pédagogie du concert. Cette convention de partenariat a notamment été mise en
47
Association of British Orchestras, Beyond the Concert Hall, page 9. 48
Institut Universitaire de formation des maîtres.
21
place entre l’IUFM du Rhône et l’Orchestre national de Lyon comme le témoigne
une charte de coopération culturelle établie pour les années 2004-200649
.
On remarquera que les formations proposées à Lyon sont financées par l’IUFM,
autrement dit par des dépenses publiques émanant des Ministères de l’éducation et de
l’Enseignement Supérieur. De la même manière en Angleterre, le principal financeur
de l’Agence Orchestras live est le Conseil des Arts50
. En d’autres termes, si
l’enseignement musical sur le temps scolaire est relativement faible en Europe, il
n’en reste pas moins que les Orchestres ne se substituent pas totalement à la mission
de la puissance publique en matière d’enseignement. En effet, les Etats se servent
davantage de la possibilité qu’ont les orchestres d’intervenir dans les classes pour
former les enseignants dans le domaine de la pédagogie musicale, qu’à ne confier
cette mission qu’aux seuls orchestres.
Le rôle des ensembles symphoniques ne serait alors peut être pas celui de
formateur. Comme le démontre les réseaux, les actions pédagogiques auraient sans
doute davantage pour mission de faire tomber des barrières sociales.
2) La démonstration du rôle d’accompagnement d’un apprentissage du
langage musical au regard de la constitution des réseaux
En Europe, le déplacement des musiciens symphoniques de leurs salles de
concerts ou de répétition vers les salles de classe est rendu possible à travers la
constitution de réseaux bien établis. Il est par exemple notable qu’en France, un
certain nombre d’orchestres interviennent dans des écoles, lorsque ces dernières sont
membres du réseau « Ambition et réussite » du ministère de l’Education nationale.
L’égalité des chances est au centre de ce dispositif dans la mesure où il entre dans la
politique d’éducation prioritaire, visant à corriger les « effets des inégalités sociales
et économiques sur la réussite scolaire51
». En termes de mise en œuvre, le projet
prévoit que chaque musicien devient le « parrain » d’un élève permettant ainsi
qu’une relation affective se créé entre les deux protagonistes et ce, de manière
49
www.lyon.fr/static/vdl/contenu/culture/ccc.pdf 50
Selon l’Agence Orchestras live, celle-ci est financée par l’Arts Council à hauteur de 795 483 £, soit
66 % des aides. Les souscriptions des autorités locales représentent quant à elles 19 %.
www.orchestraslive.org.uk/default.asp?id=366 51
Site du ministère de l’Education nationale : www.education.gouv.fr/cid187/l-education-
prioritaire.html
22
réciproque. Les partenaires du réseau au niveau local ont quant à eux la
responsabilité de veiller à la cohérence des actions engagées. Ce réseau, dont est
membre l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, a été créé en 2006, sur le
modèle du projet intitulé « L’Ami musicien52
» qui permet des opérations dans les
écoles primaires classées en Zone d’éducation prioritaire. Le but premier de ce
réseau est bien de l’ordre de la désacralisation de la musique classique. On voit dès
lors que les actions éducatives soutenues par l’Etat visent à accompagner un
apprentissage du langage musical et non pas à apprendre aux jeunes à jouer d’un
instrument. Autrement dit, les orchestres ne se substituent pas réellement à la mission
éducative de l’Etat. Le commentaire est transposable dans l’Outre-Rhin. En effet, il
existe en Allemagne le Réseau Orchestres et écoles53
, créé en 2003 à Hanovre à
l’initiative de l’Association allemande des orchestres. Aujourd’hui, le réseau est
subventionné par la Kulturstiftung der Länder54
dont il a déjà été question et
regroupe pas moins de 110 orchestres, soit 80 % des orchestres allemands
subventionnés. L'objectif premier du réseau consiste à stimuler les contacts entre les
écoles publiques et les orchestres afin « d’éliminer toute crainte de l'inconnu et
d'autres barrières organisationnelles et financières55
» et d'intensifier les contacts
existants. C’est l’Etat allemand, comme en France, qui intervient au cœur de ce
réseau pour que les élèves aient un accès plus facile à la musique. Il s’agit bien alors,
à travers ces actions éducatives, d’éveiller l’intérêt et l’attention des enfants pour la
musique vivante et peut être plus généralement pour le spectacle. Les orchestres
européens ne seraient alors qu’au service des Etats vis-à-vis de leur mission
pédagogique en matière musicale.
Les actions éducatives rendraient donc le jeune public plus libre, argument
largement repris dans les opérations de communication, qui semblent de plus en plus
incontournables.
52
L’Ami musicien a été crée à l’initiative de l’Orchestre de Bretagne grâce au soutien du groupe
départemental de l’Inspection Académique d’Ile et Vilaine. 53
Netzwerk Orchester und Schulen. 54
Fondation culturelle des Etats fédérés. 55
Site www.kinderzumolymp.de
23
C- Des Opérations de communication uniques dans le paysage des
actions culturelles symphoniques en Europe : Orchestres en fête ! et le
Projet Demos
La communication autour des projets éducatifs est de plus en plus prégnante, sans
doute dans le but d’asseoir une certaine légitimité des institutions musicales. Les
termes « partage », « respect », « écoute » et « intégration sociale » sont de plus en
plus employés pour communiquer sur les orchestres, dont les actions éducatives sont
mises en lumière par des projets exemplaires, tels que le projet DEMOS (1) et la
manifestation Orchestres en fête ! (2).
1) La visibilité nécessaire des actions éducatives assurée par la
création de l’exemplaire projet Demos
En janvier 2010, l’orchestre des jeunes DEMOS56
a été créé par le Conseil de la
création artistique57
et il est prévu qu’il soit conduit au moins jusqu’en juillet 201258
.
Le projet est coordonné par des associations spécialisées dans le domaine de l’action
sociale et encadré par les musiciens de l’Orchestre de Paris et de l’Orchestre
Symphonique Divertimento59
. Il s’adresse à des jeunes issus de quartiers dits
populaires de Paris et de sa proche banlieue, dont les ressources économiques et
sociales ne permettent qu’une approche très lointaine voire inexistante à la culture
musicale à caractère patrimonial. Un tel projet n’est pas unique en Europe. Au
Royaume-Uni notamment, le projet « Count Us In », créé en 2009, est à destination
de plus de 300 jeunes issus de 9 districts différents. Aujourd’hui, sous l’égide du
ministère de l’enfance, de l’école et de la famille, ce projet est initié par le service
musical du Comté de Hertfordshire et le Royal Philharmonic Orchestra au nord de
Londres. A la différence du projet Demos, les jeunes ont déjà une expérience de la
pratique musicale. Par ailleurs, la vocation sociale du projet est moins marquée
qu’elle ne l’est dans le projet Demos car d’une part, la pédagogie y est uniquement
56
Dispositif d’éducation Musicale et Orchestrale à vocation Sociale 57
Commission française chargée « d'éclairer les choix des pouvoirs publics en vue d'assurer le
développement et l'excellence de la création artistique française […] de nature à permettre leur mise
en œuvre ». (Décret n° 2009-113 du 30 janvier 2009 relatif au Conseil de la création artistique) 58
Le projet rassemble des jeunes de 7 à 12 ans, sans expérience musicale antérieure. 59
Orchestre réunissant 70 musiciens permanents de renom issus de Seine-Saint-Denis, Paris et de la
Région Ile-de-France. Cet orchestre n’est pas membre de l’Association Française des Orchestres.
24
collective et d’une autre part, les jeunes participants à « Count Us » In ne sont pas
particulièrement défavorisés. La démarche française consiste en effet à associer la
pédagogie collective « et un suivi social et éducatif très appuyé, impliquant outre des
musiciens professionnels, de nombreux experts du champ social60
». Ce projet
semble par conséquent exemplaire, permettant la conciliation entre l’action éducative
menée par des musiciens professionnels et la pratique instrumentale pour de jeunes
enfants. Cependant, on peut tout de même s’interroger. Demos : « démocratie ou
démagogie61
? » Selon Zahia Ziouani62
, le projet Demos ne « remplace en aucun cas
l’étude de la musique dans un conservatoire », et pourtant il est doté d’un budget
annuel d’un million d’euros, sur trois ans, autrement dit une somme relativement
conséquente lorsque l’on sait que l’Orchestre national d’Île-de-France a consacré
200 000 euros en 2009 dédiés aux actions éducatives.
D’un côté, il y a la formation d’un Conseil de la création artistique, mais cela a
vraisemblablement pour objectif de dissimuler la diminution du budget de la Culture.
D’un autre côté, ce Conseil met en place avec la Cité de la musique, un projet
exemplaire mais néanmoins unique. Celui-ci correspond-il aux attendus de la mission
régalienne d’éducation, d’autant plus qu’au cœur de l’action, réside l’approche
territoriale, cette dernière étant assez limitée ? Il semble dès lors primordial de
valoriser sur l’ensemble du territoire l’offre d’actions de médiation des orchestres.
2) La possible communication au niveau national du sens des actions
de sensibilisation par le biais d’Orchestres en fête !
Communiquer sur les orchestres de manière originale et différente, pendant une
période déterminée, est l’objectif d’événements menés à l’échelle nationale en
Allemagne, en France et en Grande-Bretagne. Ainsi, l’Orchestre National et Royal
d’Ecosse au Royaume-Uni participe chaque année depuis sept ans, à la semaine
« Out and About ». L’événement se passe dans un district différent d’Ecosse
permettant à cette formation instrumentale d’assumer sa responsabilité d’Orchestre
national d’Ecosse. Lors de la résidence, des actions éducatives sont menées de
manière exclusive, n’associant pas les autres orchestres écossais au projet.
60
www.conseil-creation-artistique.fr/documents/dilan_cca.pdf 61
Nathalie Krafft, Rue 89, 5 juillet 2010. 62
Chef d’orchestre de l’Orchestre Divertimento.
25
En Allemagne, il y a chaque année les « 9 jours de musique estivale
d’Hitzacker63
», mais l’événement ne concerne que les orchestres de musique de
chambre allemands. C’est en Grande-Bretagne que le premier festival de musique
classique réunissant les orchestres symphoniques a eu lieu, nommé « Listen up64
!».
Ce festival ne se tient en revanche plus depuis 2007 et le seul événement national
auquel est amené à participer chaque phalange française, demeure Orchestres en
fête ! Cette manifestation qui s’étend sur l’ensemble de la France pendant dix jours
s’adresse au grand public. La programmation des orchestres se décline selon trois
rubriques, à savoir les concerts, les actions dites « A la découverte de l’orchestre »
ainsi que « l’orchestre et l’école ». Cette manifestation a été créée afin de permettre
une communication notable des activités des orchestres à travers la France. Le cœur
d’Orchestres en fête ! est certes la présentation de concerts de qualité, mais
l’événement consiste essentiellement en un travail d’explication des actions, par les
acteurs, à l’ensemble des partenaires. Au cours de la période, tout est mis en œuvre
pour parvenir à toucher les élus et les financeurs, afin de faire valoir le dynamisme
des orchestres, notamment en matière éducative. Les responsables des ensembles
justifient ainsi les subventions publiques et privées par le biais d’un argument autre
que la musique elle-même.
Ces cinq dernières années, on voit qu’il y a une tendance à communiquer de
manière forte sur l’activité des phalanges européennes. Orchestres en fête ! en est
une vitrine, dont l’objectif est d’espérer une pérennisation du niveau des
financements des orchestres, dont il va à présent être question.
63
Sommerliche Musiktage Hitzacker. 64
Listen up est un festival regroupant plus de 30 orchestres britanniques, qui s’est tenu de 2004 à 2006
et réunissant plus de 450 événements sur 275 sites différents, dont des écoles.
26
III- La convergence des futures activités de démocratisation malgré des modes
différents de financement
Analyser les modes de financement permet d’une part, de différencier
l’autonomie et la dépendance des formations musicales en Europe, et d’autre part de
dégager les tendances et perspectives des actions éducatives. On verra que les
modèles de financement sont opposés (A) et que la part du financement privé
augmente (B), tout comme le nombre d’actions de sensibilisation lors de résidences
et de festivals (C).
A - Des modèles de financement opposés
Schématiquement, les financements des orchestres et des actions éducatives
en France et en Allemagne proviennent majoritairement de subventions étatiques (1),
tandis que les britanniques sont attachés à un modèle de financement mixte (2).
1) Des actions dans le ressort du Service Public en France et en
Allemagne
Antoine Pecqueur soulève que de nombreuses formations ne communiquent
pas leurs crédits alloués au domaine de la pédagogie car selon les orchestres, « il est
difficile de séparer, dans le budget de l’orchestre, le montant dédié aux actions
éducatives de la totalité65
». Il conviendra par conséquent de se pencher davantage
sur le financement général des orchestres.
En Allemagne, les orchestres permanents sont financés principalement par le secteur
public, ce qui représente 44,2 % de leurs ressources au cours de la période 2008-
200966
. Les financements proviennent généralement de l’Etat fédéré et de
subventions locales ainsi que de concessions de licences radiophoniques et de
télévision. Cependant, la majorité des orchestres bénéficient d’un financement mixte
en provenance de l’Etat fédéré et des municipalités. Depuis les années 2000, il y a
65
La lettre du musicien, 2ème
quinzaine de mai 2009 - n° 373. 66
Deutscher Musikrat: Ausgaben und Einnahmen der Kulturorchester (charges et ressources des
orchestres), 4 octobre 2010.
27
une ligne budgétaire relative aux actions éducatives et les musiciens sont rémunérés
au prorata de leurs activités. Un taux quotidien est appliqué pour chaque jour où
l’orchestre travaille. Il y a un « taux correspondant aux actions éducatives qui couvre
la moitié du ‘taux journalier normal’67
». Autrement dit, la rémunération des
musiciens est une forme d’honoraire supplémentaire. En France, le soutien de l’Etat
se décline en régions au travers des Directions régionales des affaires culturelles. Les
24 orchestres subventionnés par le Ministère de la Culture et de la Communication
perçoivent des subsides publics qui s’élèvent comme suit : Etat (22,3%), Région
(18,3%), Département (2,7%) et les villes (38 %). Depuis 2008 et du fait de la crise
financière, « l’Etat à travers les DRAC incite les orchestres à développer leur
recherche de fonds privés68
». Cependant, les effets de la crise peuvent logiquement
se répercuter sur les montants de mécénat dédiés à la culture. Bien que la part des
subventions publiques soit encore relativement conséquente dans le budget des
orchestres, soit 80 %, il n’en reste pas moins que l’on peut légitimement se demander
si l’on ne va pas de plus en plus vers un mode de financement anglo-saxon.
2) L’attachement britannique à un modèle de financement « mixte »
Au Royaume-Uni, le secteur public finance les orchestres à hauteur de 35%
de leur budget. Le reste des crédits provient du secteur privé (14%) et les ressources
propres s’élèvent quant à elles à 51%. Les sources du financement public sont
principalement les subventions du Conseil des Arts ainsi que les Conseils des
autorités locales, auxquelles il convient de rajouter les fonds provenant de la loterie
nationale69
. Cependant, le financement des actions éducatives au Royaume-Uni
présente une disparité par rapport au fonctionnement en France et en Allemagne. Il
n’y a pas de lignes budgétaires consacrées à la pédagogie. Il y a une distinction entre
l’activité de l’orchestre dite classique, basée sur les concerts et les activités de
démocratisation culturelle. A cet égard, les budgets des actions de sensibilisation
proviennent à 90% de fonds privés accordés par des fondations. L’Etat ne prend en
charge que 10% du coût70
. Au London Symphony Orchestra notamment, deux
67
Constanze Wimmer, Exchange. Die Kunst, Musik zu vermitteln, Edition Stiftung Mozarteum
Salzburg. 68
Antoine Pecqueur, La lettre du musicien n° 367. 69
Sources: ABO, 2010, A sound Investment, the mixed economy model of UK orchestras, page 3. 70
Compte-rendu du stage de l’AFO organisé en janvier 2006 à Newcastle.
28
personnes sont ainsi chargées spécialement de trouver les fonds nécessaires au
montage des actions.
Les britanniques semblent attachés à ce modèle de financement et Darren Henley y
fait référence dans sa lettre ouverte, puisque la recommandation n° 13 précise que
« l’éducation musicale à l’école et en dehors de l’école doit continuer d’être financée
par un modèle économique mixte ». La vie des orchestres au Royaume-Uni
s’apparenterait donc à un défi permanent vis-à-vis des actions éducatives, consistant
en la recherche de fonds. Les formations britanniques ne comptent pas sur les aides
étatiques pour mener leurs actions ce qui paraît opportun, puisque le gouvernement
de David Cameron a récemment décidé de « réduire de 11% les subventions
publiques […] allouées aux orchestres71
».
Les actions éducatives sont financées en Grande-Bretagne principalement par
des fonds privés, système de financement vers lequel cheminent la France et
l’Allemagne.
B - Vers une privatisation du financement des actions éducatives ?
On constate dans l’ensemble des pays européens que, d’une part, le rôle des
fondations est croissant (1) et que d’autre part, le recours aux partenariats privés et au
mécénat s’accentue (2).
1) Le rôle croissant des fondations
Si le recours aux fondations pour financer les ensembles orchestraux (et donc
les actions éducatives) est relativement ancré dans les cultures britanniques et
allemandes, il l’est en France depuis une période plus récente. Au Royaume-Uni, les
fondations financent essentiellement les projets perçus comme « novateurs »,
« additionnels » ou qui entrent dans la planification pour l’avenir. Les actions
éducatives ont donc pleine vocation à être soutenues par les fondations, ce qui a été
notamment le cas en 2003 avec la rénovation de l’Eglise Saint-Luke, initiée par une
fondation. Ces établissements à but non lucratif financent par ailleurs de nombreuses
résidences d’orchestres, à condition que des actions de sensibilisation y soient
71
Axel Gyldén, 11 avril 2011, l’Express, « Londres : batailles au pays des orchestres symphoniques ».
29
menées72
. En Allemagne, de nombreuses institutions musicales sont fondées sur le
modèle de l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Ce dernier est composé de quatre
entités juridiquement distinctes parmi lesquelles la « Fondation Philharmonie de
Berlin », structure entre autres responsable des actions éducatives. Des quatre entités,
la Fondation est la seule habilitée à recevoir des fonds privés, bénéficiant d’un
régime fiscal avantageux pour les entreprises mécènes. Depuis que le programme
éducatif a été lancé en 2002, la Deutsche Bank en est d’ailleurs l’unique mécène. En
France, le recours aux fondations dans le financement des orchestres est récent et
date du début des années 2000. Deux fondations interviennent dans le champ des
orchestres, à savoir la Fondation Audiens Générations et la Fondation de France,
toutes deux destinées à encourager et récompenser les projets artistiques et culturels.
La principale problématique du recours aux fondations, surtout en France du fait de
la jeunesse du phénomène, réside dans la « précarité » du financement. En effet, ce
dernier est perpétuellement remis en question et dépend de la capacité des
responsables en communication des orchestres à convaincre les mécènes.
2) L’augmentation significative des partenariats privés et du mécénat
Aujourd’hui, force est de constater que la tendance du mécénat « pointe
l’intérêt des entreprises envers les projets culturels à vocation sociales et
éducatives73
». En France, le principal mécène dans le domaine actions de
sensibilisation est la Caisse des dépôts et de consignation74
. La caractéristique de ce
mécénat musical, existant depuis un peu moins de vingt ans consiste en une politique
totalement orientée vers les jeunes publics et une recherche permanente des
partenaires dont le souhait est de suivre la Caisse des dépôts. Celle-ci est entre autres
propriétaire et mécène du Théâtre des Champs-Elysées à Paris qui fait l’objet d’un
grand nombre d’actions de découverte ou d’initiation musicale soutenues par la
Caisse. La démarche des actions éducatives s’inscrit dans le cadre de partenariats
avec des orchestres régionaux et ensembles orchestraux. Le soutien est conditionné
72
On peut noter l’exemple du Manchester Camerata, en résidence à Chester avec le soutien de la
Fondation de la Bank of America. Lors du festival de Chester, des actions éducatives y ont été
menées. 73
Rencontres de la médiathèque, 17 novembre 2010. Cité de la musique. Responsable des actions
éducatives, page 12. 74
Institution financière publique en France créée en 1816. La Caisse exerce des activités d’intérêt
général pour le compte de l’Etat et des Collectivités.
30
par la nécessité de familiariser des nouveaux publics à la musique via la
sensibilisation à l’écoute, « l’intervention de musiciens, l’apprentissage d’extraits
chantés ou joués75
». Un point mérite de retenir notre attention car dans un entretien
réalisé en 2002, Marie-Jo Bluteau souligne que l’engagement de la Caisse des
dépôts, particulièrement envers les enfants n’ayant pas accès à la musique, « reste
une entreprise musicale ; pas une action sociale76
». On peut dès lors se demander
sans pouvoir y apporter de réponse, si la raison invoquée à travers la notion
d’ « entreprise musicale » a évolué depuis ces dix dernières années, ou bien si la
Caisse des dépôts met en avant simplement le plaisir du mécène à agir par
conviction, passion et raison.
Au niveau européen, une tendance se confirme ces deux dernières années, à savoir
que le nombre d’entreprises mécènes augmente tandis que les budgets sont moins
importants. Va-t’on vers une privatisation du financement des actions éducatives ?
Même si l’Etat français souhaite que les orchestres développent leur recherche de
fonds privés, il convient de nuancer la notion de privatisation. En effet, la Deutsche
Bank finance le réseau Netzwerk Orchester und Schulen au même titre que le Fonds
d’action SACEM finance les activités d’éducation de l’Orchestre de Paris et
l’Orchestre national de Lyon, afin de créer un dynamisme au sein des institutions
culturelles et une prise de relai par les collectivités locales (ou Länder) et les
sponsors.
La situation au Royaume-Uni semble quelque peu différente, Etat où les
mécènes semblent de plus en plus difficiles à convaincre, ces derniers « préférant
souvent le football77
». La tendance en Grande-Bretagne, ce qui est également
présent en Allemagne, ce n’est pas tant le financement par les mécènes qui a évolué,
mais les formes des actions éducatives elles-mêmes ainsi que la propension des
orchestres à prendre part à des projets transfrontaliers.
75
www.caissedesdepots.fr 76
Aimer la musique, aimer faire aimer la musique. Editions Caisse des dépôts et des Consignations,
2002. Marie-Jo Bluteau, chargée de mission pour le mécénat musical. 77
Op. cit. note 73.
31
C- La tendance au renforcement des actions éducatives lors de festivals
et de résidences
Qu’il s’agisse de projets d’éducation artistique transfrontaliers (1) ou de
participation à des festivals de musique classique (2), les grandes phalanges
européennes ont répondu présentes alors que l’on n’imagine pas encore les orchestres
français se rendre à Londres ou Berlin pour mener des actions éducatives.
1) Un Orchestre britannique à Paris par le biais du projet « Take a
bow »
Depuis environ quatre ans, on voit se développer en Europe des projets
transfrontaliers de démocratisation de la musique classique. Cependant, les projets ne
vont que dans un sens : de l’Angleterre vers la France ou de l’Allemagne vers la
France, mais jamais dans le sens inverse. L’année 2008 a été l’occasion de voir
apparaître le projet « Take a bow », signifiant littéralement « saluer » et « tirer son
archet ». Cet événement permet de réunir des musiciens de l’Orchestre symphonique
de Londres et une centaine d’élèves d’établissements scolaires d’Île-de-France à
partir de huit ans. Ce projet se décompose sur une année en ateliers avec les
musiciens et s’achève par un concert au sein de la Salle Pleyel à Paris, partenaire de
l’événement aux côtés de la Cité de la musique. La vocation de ce projet est de réunir
des professionnels de la musique et des néophytes n’ayant parfois jamais eu un
instrument entre leurs mains. L’activité éducative du LSO n’est pour ainsi dire plus à
démontrer et ce, même à l’échelle européenne. L’Orchestre philharmonique de
Berlin n’est pas non plus en reste en la matière. En effet, lors de sa venue à Paris au
début de l’année 2007, la formation instrumentale a proposé un projet éducatif
impliquant des élèves de Paris et de Berlin, qui ont échangé des idées de création
d’une œuvre via internet. L’événement s’est terminé par un concert de l’orchestre
berlinois à destination des scolaires Salle Pleyel.
Au-delà des actions d’éducation ou de sensibilisation à l’écoute, c’est le
rayonnement des orchestres en Europe qui est en jeu. Ces projets conduisant des
formations instrumentales anglaise et allemande à Paris peuvent d’une certaine
manière sonner comme un désaveu pour les phalanges françaises. Ces dernières ne
32
sont pas jusque là invitées à l’étranger pour mener des actions éducatives. Les
festivals de musique classique ne semblent pas se tromper en proposant de telles
actions à leur public.
2) L’attrait de partenaires privés grâce à la présence de l’Orchestre
symphonique de Londres au Festival d’Aix-en-Provence
Le festival d’Aix-en-Provence s’est longuement associé avec l’Orchestre
Philharmonique de Berlin de 2006 à 2009 et depuis 2010, c’est l’Orchestre
symphonique de Londres qui est mis à l’honneur et à qui l’on accorde une résidence
chaque été jusqu’en 201378
. C’est grâce à cette résidence qu’en 2010, le LSO a
développé un cycle d’activités liées à l’orchestre et à l’activité instrumentale. La
présence de l’orchestre britannique a pour conséquence de conforter les partenaires
du festival, voire d’en attirer de nouveaux. A noter que certaines entreprises
mécènes79
, à partir de 2011, ont renforcé leur action de soutien aux orchestres, dont
l’aide accordée à l’Orchestre des Jeunes du Festival d’Aix-en-Provence.
Certains orchestres s’exportent mieux que d’autres et proposent de plus en
plus d’actions éducatives hors des salles de concerts et surtout en dehors des
établissements scolaires. Dorénavant, ce type d’activité pédagogique semble être une
composante essentielle et incontournable des résidences d’orchestre notamment à
l’étranger, ainsi qu’une condition d’apport de fonds privés par les mécènes. A n’en
pas douter, le fait que l’orchestre symphonique de Londres s’exporte de cette
manière, conciliant concerts et actions éducatives, implique certes une motivation
sociale mais à laquelle il convient d’associer une motivation économique.
78
Résidence organisée par le Réseau européen d’académies d’opéra (ENOA pour le sigle anglais). 79
Il s’agit notamment du groupe Vivendi ou encore HSBC.
33
Conclusion :
Les actions éducatives conduites par les orchestres européens permanents
amènent à se poser des questions relatives aux positions politiques et au rôle de l'Etat
en matière d’éducation musicale, au Royaume-Uni, en Allemagne et en France. Les
politiques culturelles des pays respectifs traduisent une prise en compte de
l’importance de donner aux jeunes, un appétit pour la culture, via les actions de
sensibilisation. Un sentiment d’évidence semble émerger en Europe, basé sur la
nécessité et les effets fructueux de ces actions. A l’échelle des trois pays, l’ensemble
des orchestres bataille pour parvenir à convaincre les partenaires publics et privés du
bienfondé des activités pédagogiques. Cependant, à côté de la crise économique, les
orchestres traversent également une crise de légitimité dont il résulte que les
institutions musicales doivent en permanence justifier leur existence.
Les orchestres sont les interprètes en collectif d’une musique complexe et
abstraite nécessitant du temps pour l’apprécier et une certaine curiosité. Lors des
ateliers éducatifs, les élèves sont amenés à s’exprimer aux côtés des musiciens, à
travers la mise à disposition d’instruments adaptés. Autrement dit, les actions
éducatives permettent une pratique artistique et un moyen d’expression personnelle
pour chaque enfant, amené à être créateur, inventif. Pour apprendre la musique, des
professeurs sont mis à disposition des élèves par les ministères de l’Education. Mais
face à la faiblesse de l’enseignement musical dans l’enseignement général, les
orchestres interviennent pour compenser cette carence, mais davantage dans une
optique de sensibilisation que d’apprentissage. Cependant entre ces deux acceptions,
les cloisons ne sont pas étanches pour parvenir à éveiller la curiosité des élèves face
à une œuvre musicale. L’intervention de l’orchestre reste dans le ressort de l’étincelle
et il est primordial que les enseignants aient confié aux enfants des clés d’écoute en
amont de la séance éducative. Ainsi, les formations instrumentales complètent
l’enseignement musical mais ne se substituent pas au rôle des Etats dans leur mission
régalienne d’éducation. Il n’en reste pas moins, ce qui constitue par là même une
limite à cette étude, que l’on manque d’évaluation des actions éducatives qui sont
menées au niveau européen. Il en résulte ainsi une nécessité accrue de communiquer
sur la richesse des activités de sensibilisation, sur leurs effets sur les publics touchés,
en y affirmant l’importance de la dimension sociale. On pourra également souligner
que dans l’ensemble des pays, la culture orchestrale a sa place dans l’éveil des
34
enfants. Par ailleurs, les actions éducatives permettent vraisemblablement de
favoriser la fréquentation, de légitimer une institution musicale sur un territoire80
déterminé. Elles participent à l’intégration sociale et confèrent une certaine
dimension à la notion de création au cœur de la société. De cette manière, les
activités éducatives des formations instrumentales en Europe entrent dans un champ
d’action qui dépasse le simple cadre de la musique et confirment les propos de Pierre
Boulez qui affirme que « l’orchestre est un ensemble de possibilités 81
».
80
Les anglo-saxons préfèrent utiliser le terme communauté. 81
Compositeur, pédagogue et chef d'orchestre français né à Montbrison en 1925.
35
Bibliographie
Ouvrages généraux et spéciaux, manuels.
- Pascale Lismonde, Les arts à l’école. Le Plan de Jack Lang et Catherine Tasca,
Editions Gallimard, 2002
- Gérard Ganvert, L’enseignement de la musique en France. Situations, problèmes,
réflexions. L’Harmattan, 1999
- Hélène Jarry, L’éducation musicale de la maternelle à l’université, CRDP Bourgogne,
2003
- Karin v. Welck et Margarete Schweizer, Kinder zum Olymp, Wege zur Kultur für
Kinder und Jugendliche. Wienand Verlag, 2004
- Constanze Wimmer, Exchange. Die Kunst, Musik zu vermitteln. Stiftung Mozarteum
Salzburg, 2010
- Philippe Fanjas et Marie-Pierre Macian, Prêtez l’oreille ! Livre blanc des actions
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- Alain Surrans, L’abécédaire de l’orchestre. AFO éditions, 2009
- Faire aimer, Aimer la musique, Aimer faire aimer la musique, Editions Caisse des
dépôts et des consignations, 2002
- Jacques Siron, Dictionnaire des mots de la musique. Editions Outre Mesure, 2006
- Orchestres au présent, 1er
forum international des orchestres français, AFO éditions,
2001
- L’Orchestre dans la ville, 2ème
forum international des orchestres, AFO éditions, 2003
- Forum Européen des orchestres, AFO éditions, 2005
Articles de journaux, de revues et de périodiques :
- Clarisse Fabre, Le Monde, 2007
- Jean-François Zygel, Télérama, 9 janvier 2008
- Nathalie Krafft, Rue 89, 5 juillet 2010
- La lettre du musicien, 2ème
quinzaine de mai 2009 - n° 373
- La lettre du musicien n° 367, Antoine Pecqueur
- L’Express, « Londres : batailles au pays des orchestres symphoniques », Axel Gyldén
- Revue spécialisée Das Orchester, de 2005 à Août 2011
36
Articles parus sur internet.
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Document de l’Unesco, publié en 1970 par l’Organisation des Nations Unies pour
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- La politique culturelle en République fédérale d’Allemagne, 1973, Etude publiée par
l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, imprimerie
des Presses Universitaires de France
- Ute Schäfer, Dokumentation du 25 mars 2011, Schulische und außerschulische
musikalische Bildung - Wie kann eine erfolgreiche Verzahnung gelingen?
Etudes, rapports.
- Gerald Mertens, Communiqué de presse, Berlin, 25 janvier 2011
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- Association of British Orchestras, Unlocking potential education and the orchestra,
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- Lucie Kayas, février 2002, Musiques et jeune public, Rapport DMDTS du Ministère
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Textes de loi nationaux et communautaires, décrets, ordonnances.
- Annexe à la Directive nationale d’orientation 2011-2013. Orientation spécifique du
programme 224
- Cahier des missions et des charges pour le réseau national des orchestres en région,
août 2010
- Loi n° 88-20 du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques
- Landesschulgesetz: www.kultur-macht-schule.de
37
Sites officiels.
- Ministère de l’Education nationale : www.education.gouv.fr
- Ministère de la Culture et de la communication : www.culture.gouv.fr
- Department for Culture, media and sport: www.culture.gov.uk
- Department for children, schools and families: www.education.gov.uk
- Kulturstiftung der Länder : www.kulturstiftung.de
- Cité de la Musique: www.cite-musique.fr
- Arts Council of England: www.artscouncil.org.uk
- Conseil de la Création artistique: www.conseil-creation-artistique.fr
- Deutscher Musikrat : www.deutscher-musikrat.de
- Caisse des dépôts et consignations: www.caissedesdepots.fr
Sites internet.
- Association Française des Orchestres: www.france-orchestres.com
- Association of British Orchestras : www.abo.org.uk
- Deutsche Orchestervereinigung : www.dov.org
- Orchestras live: www.orchestraslive.org.uk
- Orchestres en fête ! : www.orchestresenfete.com
- RESEO : www.reseo.org
Abréviation :
- AFO: Association Française des Orchestres
- ABO: Association of British Orchestras
- DOV: Deutsche Orchestervereinigung
- LSO : London Symphony Orchestra
Convention :
Par convention, les termes « actions éducatives », « actions de sensibilisation », « actions de
démocratisation culturelle » et « actions d’éveil musical » sont synonymes.
38