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1 Les albums de musique évangélique : des racines et des ailes Communication présentée aux 12 èmes Journées Normandes de Recherche sur la Consommation Yohan BERNARD Maître de conférences IAE de l’Université de Franche-Comté CREGO EA 7317, axe CERMAB Pour citer ce papier : Bernard Y. (2013), Les albums de musique évangélique : des racines et des ailes, Actes des 12èmes Journées Normandes de Recherche sur la Consommation, 28-29 novembre, Caen. Coordonnées professionnelles UFR SJEPG / IAE 45 D avenue de l’Observatoire 25030 Besançon Cedex [email protected] www.yohanbernard.fr 03 81 66 66 43

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Les albums de musique évangélique : des racines et des ailes

Communication présentée aux 12èmes Journées Normandes de Recherche sur la Consommation

Yohan BERNARD Maître de conférences

IAE de l’Université de Franche-Comté CREGO EA 7317, axe CERMAB

Pour citer ce papier : Bernard Y. (2013), Les albums de musique évangélique : des racines et des ailes, Actes des 12èmes Journées Normandes de Recherche sur la Consommation, 28-29 novembre, Caen. Coordonnées professionnelles UFR SJEPG / IAE 45 D avenue de l’Observatoire 25030 Besançon Cedex [email protected] www.yohanbernard.fr 03 81 66 66 43

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Les albums de musique évangélique : des racines et des ailes

Communication pour les 12èmes Journées Normandes de Recherche sur la Consommation

Résumé Cet article aborde la sous-culture évangélique française en étudiant la manière dont sont présentés les albums de musique évangélique par le principal distributeur de musique de la communauté évangélique française. Dans la logique du modèle de la circulation du sens de McCracken (1986), il s’agit d’identifier les significations symboliques qui sont chargées dans ces produits au travers de leur distribution pour comprendre en quoi elles représentent des ressources symboliques mises à la disposition des consommateurs. Les résultats suggèrent que les albums musicaux évangéliques sont présentés à la fois comme des produits religieux permettant de connecter le consommateur à la divinité (comme « des ailes » permettant de s’élever vers Dieu) et à la communauté, et en même temps comme renforçant des marqueurs identitaires profanes empruntés à la culture-mère (comme les styles musicaux liés à la génération du consommateur, ou sa langue) faisant ainsi écho à l’identité non religieuse du consommateur (ses « racines »). Mots-clés : religion, musique, évangélique, sous-culture, ressources symboliques

Evangelical music albums: roots and wings Abstract This article deals with the French evangelical subculture. It does so by studying how the evangelical music albums are presented by the main retailer of music in the French evangelical community. In line with the McCracken’s (1986) model of Movement Meaning, we try to identify the symbolic meanings that are loaded into these products through retailing in order to understand how they represent symbolic resources available to consumers. The results suggest that the evangelical music albums are presented both as religious products connecting consumers to God (like "wings" to ascend to God) and to the community, and at the same time as strengthening profane identity markers coming from the mother-culture (such as musical styles linked to the consumer’s generation, or language) echoing the non-religious identity of the consumer (his/her "roots"). Keywords: religion, music, evangelic, subculture, symbolic resources

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Les albums de musique évangélique : des racines et des ailes Depuis 1970, une nouvelle église évangélique se crée en moyenne tous les 10 jours en France (Liechti, 2012). Dans un pays de tradition catholique ou la pratique religieuse continue globalement de s’éroder (INSEE, 2005), l’expansion de ce phénomène religieux interpelle. Les médias s’en emparent régulièrement pour souligner le dynamisme des églises protestantes d’obédience évangélique en France, mais aussi leurs efforts et leurs méthodes en matière de prosélytisme, non sans quelques craintes1. Au-delà de leur croissance numérique, ces églises et leurs différentes institutions foisonnent de projets, de rassemblements nationaux, de sites Internet et de créations culturelles en tous genres. A titre d’exemple, le site de vente de produits musicaux chrétiens évangéliques Séphora2 (fr.sephoramusic.com) propose près de 1400 albums musicaux (CD) ! Le mouvement évangélique présente un certain intérêt pour l’étude du comportement du consommateur. En effet, contrairement à la plupart des religions qui condamnent la focalisation sur la richesse matérielle (Belk, 1983 ; Ross, 1991), la complaisance à l’égard de la consommation semble avoir remplacée l’ascétisme moral dans le christianisme évangélique américain (O’Guinn et Belk, 1989). Dans cette recherche, nous nous proposons d’étudier la communauté évangélique française, et plus spécifiquement sa sous-culture, en nous focalisant sur les produits musicaux évangéliques (essentiellement les CD). Nous nous situons dans le modèle de la circulation du sens de McCracken (1986) dans lequel les objets matériels (ici les CD musicaux) sont chargés de significations culturelles par le système marchand (publicité, système de la mode, etc.) Nous nous focaliserons sur la manière dont les albums musicaux sont proposés aux consommateurs évangéliques par le principal distributeur français de musique évangélique (Séphora). La problématique traitée est donc la suivante : Quelles significations sont associées aux produits musicaux évangéliques par le système marchand évangélique français ? En quoi ces significations représentent-elles des ressources symboliques mises à la disposition des consommateurs visés ? Ce travail permet d’enrichir les réflexions sur l’articulation entre sous-culture et culture-mère. Il amène également à considérer le cas particulier de la consommation de produits religieux par des consommateurs-pratiquants. Dans une moindre mesure, c’est un cas original de marketing des arts de la culture.

1. CADRES THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE

1.1. Question de recherche et ancrage théorique La recherche en comportement du consommateur s’est notamment inspirée des phénomènes religieux pour comprendre comment les consommateurs investissent les objets matériels au travers de la sacralisation du profane (Belk et al., 1989 ; O’Guinn et Belk, 1989). Dans cette approche, la religion est utilisée comme une métaphore pour éclairer les relations entre les

1 Une rapide recherche sur Youtube avec les mots clés « église évangélique » conduira le lecteur vers plusieurs

reportages diffusés à la TV. 2 A ne pas confondre avec l’enseigne de parfumerie qui porte le même nom.

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individus et les objets de consommation. Ils finissent d’ailleurs par montrer que la frontière entre profane et sacrée est de moins en moins pertinente (Arnould et Price, 2004). D’autres travaux étudient l’influence de la religion sur le comportement du consommateur à l’égard de produits profanes (e.g. Essoo et Dibb, 2004), à l’égard d’actions marketing particulières (comme par exemple la publicité choquante, Parry et al., 2013) ou plus généralement à l’égard de la consommation (e.g. Pras et Vaudour-Lagrâce, 2007 ; Lindridge, 2005 ; Touzani et Hirschman, 2011). Les travaux qui s’intéressent à la consommation de produits religieux par des consommateurs-pratiquants (fidèles d’une religion) sont plus récents et moins nombreux. Ils tendent à montrer que la production de sens par le religieux est influencée par la culture de consommation et qu’il existe une relation symbiotique entre religion et consommation, plutôt qu’une opposition (Touzani et Hirschman, 2008 ; Higgins et Hamilton, 2011). Par exemple, Yip (2008) s’est intéressée aux paroles des chants pentecôtistes américains pour étudier les liens entre la culture de consommation et les discours religieux véhiculés par ces chants populaires religieux. Il a constaté une grande porosité entre les deux et un mélange entre les discours classiquement chrétiens et les valeurs contemporaines de la société américaine (réussite personnelle, individualisme, etc.) Rinallo (2009) a étudié des communautés néo-païennes italiennes et la manière dont leurs membres investissent des objets matériels pour nourrir leurs rituels religieux. Non seulement ils projettent des dimensions spirituelles sur de nombreux objets, mais le choix et l’investissement de ces objets sont largement influencés par les représentations de la magie dans les médias de masse (cinéma, TV). Là encore, on observe donc une articulation subtile entre les artefacts de la société de consommation et des significations et pratiques religieuses. Enfin, Higgins et Hamilton (2011) se focalisent sur la consommation de produits et services typiquement religieux par les catholiques (messes, crucifix, cierges, etc.) pour approfondir la notion de consommation sacrée. Nous nous inscrivons dans cette lignée en étudiant des objets marchands religieux (CD musicaux évangéliques) destinés aux consommateurs croyants-pratiquants (évangéliques). Le cadre conceptuel retenu est celui du modèle de la circulation du sens de McCracken (1986) enrichi par Mick et al. (2004). Le système marchand (producteurs et distributeurs) chargent les biens proposés sur le marché de significations culturelles en utilisant la publicité, la mode, le packaging, la mise en scène dans les points de vente, etc. (potentialisation du sens). Ces significations sont puisées dans le réservoir symbolique de la culture. Les biens ainsi chargés sont consommés au travers de rituels de consommation qui permettent aux consommateurs d’actualiser ce sens et de se l’approprier. Ils peuvent le recevoir tel quel ou le transformer et le bricoler (actualisation du sens). L’intégration de ces significations permet alors au consommateur de nourrir et / ou de communiquer son identité. Cette recherche se focalisera uniquement sur la potentialisation du sens. En particulier, nous chercherons à révéler les significations culturelles qui sont chargées dans les CD musicaux évangéliques. L’opérateur en jeu sera le principal distributeur de musique dans la communauté évangélique : l’entreprise Séphora, dont le site Internet se présente comme « le portail francophone de la musique chrétienne ». En tant que distributeur, Séphora met en valeur les produits (sur son site Internet et via son catalogue papier) et joue donc un rôle de potentialisateur de sens. En identifiant les significations culturelles en jeu, nous chercherons à comprendre en quoi elles représentent des ressources potentielles mises à la disposition des consommateurs évangéliques par le système marchand afin de nourrir leur identité individuelle ou sociale.

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1.2. Eléments de méthodologie Cette communication est la première tentative de formalisation d’une réflexion déjà ancienne de l’auteur. Elle a débuté formellement en janvier 2009 par la création d’un journal de bord accompagnée d’une découverte et d’une immersion progressives dans la communauté (démarche ethnographique) : lecture de plusieurs livres présentant le protestantisme (Willaime, 2005 ; de Turcheim, 2006) et la communauté évangélique française (Fath, 2005 et 2010), participation à plusieurs offices religieux dans des églises différentes (baptistes et pentecôtistes), participation à un rassemblement de jeunes chrétiens évangéliques, écoute de plusieurs CD de musique évangélique, visionnage de plusieurs DVD de concerts de musique évangélique, visite de plusieurs sites Internet. Cette longue période de découverte et d’immersion s’explique par le fait que ce thème de recherche, bien que très stimulant, n’est pour l’instant pas central dans le programme personnel de recherche de l’auteur. L’immersion et les observations ont donc été réalisées en pointillés sur plusieurs années. Au fur et à mesure, l’auteur essayait de mettre en relation ce qu’il découvrait avec des cadres théoriques qu’il connaissait, essentiellement dans une perspective CCT. C’est ainsi que la problématique traitée dans cet article a émergé (parmi d’autres). Pourquoi avoir retenu comme objet d’étude les CD musicaux ? Outre le fait que la communauté évangélique française soit très prolifique en la matière, les produits musicaux ont un potentiel symbolique très fort susceptible de rendre audible et tangible notre rapport au monde (Lortat-Jacob et Olsen, 2004). La musique est un objet qui renferme les tendances et les contradictions de la société et de la culture (Adorno in Paddison, 1982). Comprendre comment les albums musicaux sont chargés de significations peut donc renseigner sur la sous-culture elle-même. Pourquoi avoir retenu l’entreprise Séphora ? D’autres entreprises distribuent des albums de musique évangélique. Il ne nous a pas paru pertinent de retenir des distributeurs non évangéliques (comme Amazon) puisque cette étude porte spécifiquement sur la sous-culture évangélique. Il fallait donc privilégier une entreprise clairement membre de la communauté évangélique. D’autres distributeurs, appartenant à la communauté, ne sont pas spécialisés dans la vente de musique (comme la CLC ou La Maison de la Bible) et offrent donc un choix beaucoup plus limité de CD. Finalement, Séphora représente un objet d’étude particulièrement idoine car (1) elle est spécialisée dans la distribution de produits musicaux ; (2) elle propose un assortiment large et profond (près de 1 400 références rien que pour les CD) ; (3) elle est clairement identifiée comme une institution évangélique en France (Fath, 2005). Les données retenues pour traiter notre problématique – outre les observations liées à l’immersion dans la communauté et le journal de bord qui les accompagne – concernent directement la manière dont les CD musicaux sont présentés par le distributeur Séphora. Les données suivantes ont été spécifiquement collectées et analysées (lecture flottante ; émergence de thèmes ; structuration des thèmes) :

Site Internet Séphora (présentation et mise en valeur des albums)

Catalogue papier Séphora (3 à 4 parutions par an)

Présentations des CD sur le site et le catalogue (texte de présentation, mise en valeur particulière)

Abonnement à la newsletter de Séphora (mise en valeur des albums)

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Avant de pouvoir présenter les résultats, il semble important de familiariser le lecteur avec le milieu évangélique français.

2. PRESENTATION DU MILIEU EVANGELIQUE FRANÇAIS Il ne s’agit pas ici de proposer une monographie ethnographique de la communauté évangélique française. L’objectif des paragraphes suivants est de fournir quelques indications clés sur la présence évangélique en France (2.1) et de mentionner les spécificités essentielles des croyances évangéliques (2.2). Ces éléments sont indispensables à la bonne compréhension des résultats qui seront analysés dans la partie 3.

2.1. La communauté évangélique française La France, pays de tradition catholique, compte malgré tout 1,7 millions de protestants (Liechti, 2012). 600 000 déclarent pratiquer leur religion (tous âges confondus). Parmi eux, 460 000 se réclament du protestantisme évangélique. La pratique de la religion protestante en France est donc surtout évangélique (77 % des protestants pratiquants sont évangéliques). Les mouvements protestants historiques (luthéro-réformés) sont aujourd’hui en perte de vitesse. D’ailleurs, le Président actuel de la Fédération Protestante de France – organe de représentation du protestantisme français auprès des pouvoirs publics et des médias – est un pasteur évangélique. Le terme « évangélique »3 désigne une variété de confessions chrétiennes issues de la Réforme protestante : baptiste, pentecôtiste, méthodiste, apostolique, assemblée de Dieu, etc. Il est difficile d’en dresser une cartographie précise car ces mouvements d’obédience protestante, souvent originaires des USA, cultivent une certaine indépendance et rejettent donc toute institutionnalisation forte. Il existe bien un Conseil National des Evangéliques de France (CNEF, www.lecnef.org), mais toutes les églises n’y sont pas rattachées. En 2012, on n’identifiait pas moins de 45 unions ou groupements d’églises pour environ 2 100 lieux de culte en France métropolitaine (Liechti, 2012). Ces organisations nombreuses et disparates ont l’habitude de travailler en réseau sans reconnaître de liens organiques entre elles (Fath, 2005). Les 460 000 évangéliques de France forment néanmoins une communauté très dynamique, bien que parfois incomprise par la société française du fait de ses valeurs et croyances spécifiques (Fath, 2010).

2.2. Les spécificités évangéliques Au sein de la culture française, la communauté évangélique française a véritablement développé une sous-culture, avec ses valeurs spécifiques, ses rites, ses croyances, ses normes de comportement (Fath, 2010). Pour familiariser le lecteur avec les doctrines de la religion évangélique, on peut identifier 5 points qui distinguent la foi évangélique des autres croyances et pratiques chrétiennes (Fath, 2005, 2010 ; de Turckheim, 2006) :

Une croyance en l'infaillibilité de la Bible. Comme pour tous les protestants, la Bible est le seul texte sacré de référence. Mais, à la différence des traditions plus historiques, les évangéliques développent une interprétation littérale de la Bible. Pour eux, ce texte sacré a été directement inspiré par Dieu. Cette conception les amène, par

3 A ne pas confondre avec le terme « évangéliste ». Un évangéliste est un missionnaire, quelqu’un qui diffuse la

« bonne parole ». Un évangélique est un chrétien protestant d’obédience évangélique. Le terme évangélique est donc un adjectif qui peut également être employé comme substantif.

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exemple, à refuser de resituer un livre biblique comme la Genèse dans son contexte historique. Ils prônent ainsi un créationnisme qui s’oppose à la théorie de l’évolution. Par ailleurs, leur rapport au texte les amène fréquemment à citer de courts passages de la Bible, plutôt qu’à privilégier des études approfondies de corpus plus longs comme c’est l’usage dans les autres mouvements protestants.

La centralité du thème de la Croix : cette métonymie renvoie à la mort de Jésus par crucifixion. C’est parce que Jésus est mort qu’il peut sauver ceux qui placent leur confiance en lui. L’importance du sacrifice messianique est partagée par d’autres traditions chrétiennes, mais les évangéliques insistent particulièrement sur ce point. On retrouve ainsi fréquemment le thème du « sang » de Jésus (ou de l’Agneau sacrifié) dans les chants évangéliques.

La conversion individuelle : naitre de nouveau. La conversion un changement personnel engendré par une expérience religieuse. Elle s'interprète comme un processus en trois étapes (Fath, 2005) : 1) l’individu reconnaît Jésus-Christ comme son « Sauveur », mort pour ses péchés et ressuscité pour son salut, 2) il se repent (regret du mal commis) et 3) choisit de se conformer à un modèle (« suivre Jésus »). En milieu évangélique, ce processus est appelé à produire une reconfiguration globale de l'itinéraire biographique du converti, désormais « né(e) de nouveau » (born again). La conversion implique un détachement avec certaines valeurs et attitudes en vogue dans la culture d’origine du croyant (par exemple, dans le domaine de l’éthique sexuelle, condamnation très forte de la fornication et de l’homosexualité) ainsi qu’un attachement à une église locale dans laquelle le fidèle pratique (groupe d’appartenance local).

L'engagement du croyant (militantisme). Les évangéliques veulent promouvoir leur foi et leurs croyances auprès de leurs contemporains. Le prosélytisme est une conséquence de leur conversion. Elle revêt d’ailleurs un caractère normatif : un « bon » évangélique se doit de partager sa foi avec les non croyants ou les croyants d’autres obédiences. Le contraire serait signe d’égoïsme et/ou d’une conversion superficielle. De nombreux programmes d’évangélisation sont ainsi mis en place (concert de musique chrétienne dans des quartiers sensibles, site Internet, etc.) ce qui contribue au dynamisme et à la visibilité (relative) de la communauté.

La relation personnelle du croyant avec Dieu. Le converti a vécu une expérience de rencontre avec la divinité ; il s’est senti appelé. Cette expérience va perdurer, sous des formes variées, tout au long de son cheminement spirituel. Pour le croyant évangélique, la relation avec Dieu passe notamment par une « connexion » particulière avec l’Esprit de Dieu (l’Esprit Saint). L’emphase placée sur l’Esprit varie d’une confession à l’autre (significative mais modérée dans son expression chez les baptistes, essentielle et très « visible » chez les pentecôtistes). Cette relation a tendance à prendre le pas sur les aspects doctrinaux, particulièrement chez les évangéliques de tendance pentecôtiste. Voici par exemple la déclaration d’un pasteur évangélique (citée in de Turckheim, 2006 : 176) : « Les pentecôtistes se méfient de la théologie. Ils veulent du concret. Jésus n'a pas choisi des théologiens comme apôtres, mais des pécheurs de poissons. La foi n'est pas une connaissance doctrinale mais une relation avec un Dieu vivant. »

Ces quelques éléments permettent de percevoir les grands contours du « réservoir » symbolique de la sous-culture évangélique française. Nous allons maintenant voir si ces significations se retrouvent dans la manière dont les CD de musique évangélique sont promus par l’entreprise Séphora.

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3. LES RESULTATS L’observation et l’analyse des matériaux collectés ont permis de révéler un ensemble de significations culturelles associées par Séphora aux albums musicaux qu’elle propose à ses clients évangéliques. Nous les présenterons en deux temps : d’abord, les significations puisées dans la sous-culture évangéliques autour de la notion centrale de « louange » (3.1), puis d’autres significations empruntées à la culture-mère ou d’autres groupes de référence (3.2).

3.1. Les bénéfices-clients de la « louange » La grande majorité des présentations de CD mentionne soit le mot « louange », soit font référence à ce thème et son dérivé (« adoration »). Les albums promus dès la page d’accueil par une bannière animée mentionnent souvent ce thème (voir figure 1). La majorité des présentations de CD associe les albums à la « louange », même lorsqu’ils n’appartiennent pas aux rubriques « louange ». Voici par exemple la présentation intégrale de 3 albums sur le site Séphora4 :

Luc Dumont, Lumière du Monde Il y a quelque chose qui distingue la musique de Luc Dumont : ce quelque chose, c’est la combinaison d’un talent rare, d’un travail acharné et de l’inspiration divine. Un trio gagnant qui fait de chacun de ses albums bien davantage qu’un simple produit de consommation : un puissant canal pour rapprocher le Créateur et ses créatures. De studios en concerts en passant par l’écriture de livres, l’auteur-compositeur-interprète québécois continue d’inspirer les auditeurs et lecteurs de l’ensemble de la francophonie. Après une abondante discographie qui s’achevait jusqu’ici sur Plus loin et Je peux tout, cette nouvelle production délivre onze nouveaux chants de louange, dont plusieurs sont inspirés des psaumes de David. Faciles à retenir et à chanter, ces compositions vont à n’en pas douter intégrer les compilations et répertoires d’églises dans les mois à venir. LOUISE, Chez Moi Dans un style pop, avec des influences soul et RnB, le premier album de Louise a pour but d’encourager et d’édifier les chrétiens. Au fil des chansons, Louise nous invite à une relation toujours plus intime et réelle avec Dieu. Sa volonté nous a été révélée par son fils Jésus, et nous est toujours accessible par sa Parole, la Bible. Cette vérité centrale est proclamée et nous invite à réfléchir à l’impact de la bonne nouvelle de l’Evangile dans chacun des aspects de notre vie. Que ce soit dans notre témoignage personnel, notre adoration, notre vie amoureuse, notre service pour les autres, ces chansons nous rappellent notre rôle d’ambassadeurs du Christ et notre responsabilité par rapport au monde qui nous entoure. Un encouragement à nous rapprocher de Dieu par nos pensées, nos paroles et surtout nos actes… Olivier Voyer, L'aube d'un jour nouveau Durant l’été 2008, Olivier Voyer a participé au concours « Relève Gospel », concours annuel dont la vision est de rechercher les meilleurs talents du Canada francophone. Il a terminé parmi les finalistes. C’est à cette période précisément que l’artiste découvre alors la puissance et la libération associées à la louange. Ses compositions se transforment peu à peu afin de refléter cette nouvelle réalité. S’en suit une implication active dans son église locale en dirigeant la louange et en prenant en charge le groupe de jeunesse avec son épouse. En 2011, le projet d’enregistrer son 1er album débute officiellement. Mettant la musique au service de

4 Ces 3 présentations sont fournies dans leur version intégrale afin de familiariser le lecteur avec les matériaux qui

ont servi de base à nos analyses. Les citations ultérieures seront plus brèves et illustreront un point précis.

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Dieu, Olivier veut avoir un impact dans la vie des chrétiens de la francophonie à travers une louange qui édifie, unit et libère.

Mais que signifie ce mot « louange » dans la sous-culture évangélique (approche emic) ? Dans le sens commun (dictionnaire), « louer » signifie exalter quelque chose ou quelqu’un, en célébrer les mérites, témoigner qu’on en est satisfait. La louange est donc un discours par lequel on fait l’éloge de quelque chose ou de quelqu’un. Dans les rituels chrétiens, elle se pratique habituellement lors du culte dominical par des chants, la lecture de textes, etc.

Le sens évangélique de la louange Le sens qu’en donnent les évangéliques va plus loin. En s’appuyant sur un texte expliquant justement ce qu’est la louange sur le site évangélique Enseignemoi.com5, on comprend que la louange est une nécessité vitale pour le croyant-évangélique :

C’est une manière d’être « connecté » à Dieu. "Louer veut dire s'adresser à Dieu. Louer signifie exalter, glorifier et magnifier Dieu, ses attributs, son essence, ce qu'Il est. Nous découvrirons les bénéfices de continuellement LOUER Dieu d'un cœur reconnaissant et avec une bonne attitude. Louer Dieu démontre notre assurance dans la foi. Une communion avec Dieu ne peut pas exister sans la louange." C’est ainsi, par exemple, que les chants de louange de Louise « nous invite à une relation toujours plus intime et réelle avec Dieu » et ceux de Luc Dumont sont « un puissant canal pour rapprocher le Créateur et ses créatures ». Pour le croyant évangélique, la louange permet d’entrer en interaction avec Dieu et de nourrir sa relation personnelle avec la divinité.

La louange est à la fois une conséquence de la foi du croyant (et donc une preuve de sa foi) et un élément qui renforce sa foi. "La foi et la louange marchent main dans la main. En marchant par la foi, nous donnons continuellement à Dieu toute la louange, peu importent les circonstances. C'est comme cela qu'Abraham reçut sa bénédiction. La louange renforça sa foi." La présentation de l’album d’Olivier Voyer se conclut ainsi : « une louange qui édifie, unit et libère », ce qui signifie que la louange construit le croyant et le renforce. Quant à Antydot’, son album A lui tous les oscars est présenté comme « un outil qui vise à booster notre foi en nous rappelant des vérités percutantes tout droit tirées de la Parole de Dieu. » C’est aussi pour cela que les présentations de CD contiennent fréquemment des rappels de croyances ou doctrines évangéliques, comme c’est le cas pour Chez moi de Louise : « Sa volonté [de Dieu] nous a été révélée par son fils Jésus, et nous est toujours accessible par sa Parole, la Bible. »

Il n’est donc pas étonnant que le thème de la louange soit omniprésent dans la présentation des CD, y compris pour les albums qui n’appartiennent pas aux rubriques « louange » du catalogue Séphora. Les CD musicaux évangéliques sont des supports au rituel personnel de la louange (pratique religieuse personnelle) et permettent de fournir des chants pour les offices religieux du dimanche (rituel collectif dans le groupe d’appartenance). Ces objets sont fondamentaux car, en nourrissant la louange, ils permettent une hiérophanie (manifestation du sacré telle que peut la vivre l’être humain). On retrouve ici la fonction d’incarnation du divin de la musique soulignée par Lortat-Jacob et Olsen (2004). Ils nourrissent en outre la foi du croyant, l’ancrant dans la communauté évangélique (groupe de référence). Les CD sont également présentés comme pouvant satisfaire la recherche de variété des consommateurs (découvrir de nouvelles mélodies, de nouvelles paroles, pour son plaisir et /

5 http://www.enseignemoi.com/articles/pensee/louer-dieu.html accédé le 17/06/2013. Les citations extraites de

cette page Web apparaissent entre "".

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ou pour renouveler le culte du dimanche). D’où des références nombreuses au renouvellement de la louange dans la présentation des CD. Par exemple, l’album Oh ! J'aime ton nom (Les français chantent GRAHAM KENDRICK) est présenté comme « Un magnifique album pour renouveler votre répertoire et pour vous encourager dans une adoration rafraichissante ». Comme si, pour garder son potentiel « hiérophanique », la louange devait recourir à des chants régulièrement renouvelés. Ce que propose Séphora au travers des albums musicaux, c’est de la louange : achetez un CD et vous pourrez louer Dieu ; votre louange sera renouvelée, vous entrerez dans la présence de Dieu, vous pourrez partager ces chants avec votre église locale en les chantant en assemblée, vous pourrez les fredonner tout au long de la journée et enrichir ainsi vote foi, etc. Après cette description emic, il convient de proposer une analyse etic des bénéfices-clients des albums musicaux proposés.

Figure 1 – Images formant la bannière animée promotionnelle de la page d’accueil du site Internet de Séphora en août 2013

Des bénéfices-clients spirituels Bien que la spiritualité ne se confonde pas avec la religion (Ulvoas-Moal, 2010), il n’est pas surprenant d’observer que les albums sont associés à des promesses-clients de nature spirituelle. La typologie des motivations spirituelles de Skousgaard (2006) semble bien s’appliquer et permet de catégoriser les principaux bénéfices-clients mentionnés dans les présentations de CD. Les motivations existentielles sont liées à la recherche d’un sens à sa vie : l’espoir, le but de la vie, la place de l’individu (sentir qu’il a une place dans le monde), etc. De nombreuses présentations d’albums évoquent les croyances évangéliques comme l’espoir dans un monde meilleur, la valeur personnelle du croyant, l’amour de Dieu pour les humains, etc. Se faisant, ces albums sont proposés comme renforçant ou affirmant les croyances du consommateur évangélique et marque les catégories mentales propres à la sous-culture (péché, amour,

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repentance, rédemption, vie éternelle, etc.) qui donnent elles-mêmes du sens à l’existence du croyant. La présentation de l’album de Louise rappelle ainsi que les croyants évangéliques ne sont rien de moins que les ambassadeurs de Dieu sur Terre et ont une mission à accomplir en faveur du Monde. Quant à K-Fresh, avec son album Grâce à Dieu, il souhaite « apporter à sa génération une musique qui redonne envie de se dépasser, d’aller plus loin ». On retrouve ici l’idée d’albums musicaux qui renforcent la foi (ce qui est une des vertus de la louange comme nous l’avons vu plus haut). Les motivations connectives consistent à rechercher un lien avec des autres extérieurs (d’autres gens, la nature ou une Puissance Supérieure) ou avec un autre intérieur (soi-même). Par exemple, les chants de Marion Franceschini dans son album Retour à l'essentiel « nous invitent à entrer dans la présence de Dieu. » On retrouve ici l’emphase sur la relation du croyant avec Dieu et l’expérience de sa présence (hiérophanie). Mais la relation se vit aussi avec les autres croyants. Cette relation entre pairs ne se limite pas seulement à la participation aux rituels du groupe d’appartenance local (au travers du culte du dimanche qui sera nourri par les chants proposés sur les CD) mais concerne l’adhésion à un groupe de référence plus large, celui de la communauté évangélique française. Par exemple, écouter l’album de Louange Vivante & Sylvain Freymond, Plus fort que tout, serait « une belle manière d’apprendre de nouveaux chants et de rester connecté au flot de la louange francophone ». Les émotions transcendantes concernent la recherche d’expériences qui peuvent aller des plus paisibles (harmonie intérieure, confort, sentiment de sécurité) aux plus fortes (joie, extase, exaltation, ravissement). Les CD sont vantés pour leur capacité à accompagner la méditation personnelle, mais aussi pour susciter des émotions fortes, donner envie de danser, etc.

« Une invitation à pénétrer dans un monde de douceur et de paix pour écouter sereinement la voix de Dieu » Collection Mélodies pour Dieu « Il nous appelle à danser dans l’unique but de s’approcher de plus en plus de Dieu » C-Bastio, Reach the sky « Un album pour chanter, danser et surtout pour glorifier Dieu » Mamsy, Je l’aime « Le groupe nous emporte rapidement au rythme des percussions dans une adoration dynamique et chaloupée. » Groupe Adorons l'Eternel (GAEL), 1 Heure d'adoration avec Jésus - Vol.3 « Les parties musicales sont étudiées pour élever les âmes dans l’action de grâce, la louange et le combat. Essayez, laissez-vous emporter par la musique et laissez sortir le guerrier qui est en vous ! » Claude & Julia Payan, La joie du Seigneur est ma force

La présentation de deux albums de Stéphane Query dans le catalogue Séphora « Sélection Hiver 2011-2012 » permet de retrouver simultanément ces 3 bénéfices, même si d’autres présentations se focalisent sur l’un ou l’autre de ces bénéfices.

L’Espoir d’une génération est le septième album de louange du pasteur chanteur québécois : un souffle de fraicheur et d’espoir. […] Les chants de reconnaissance, de pardon, d’amour et d’abandon entre les mains de Dieu ne cessent d’emporter nos cœurs dans la joie et la louange. Découvrez également son précédent album live Ecrivons l’histoire […] Un album dynamique et chaleureux qui élève nos cœurs au plus près de notre Créateur.

Ces bénéfices font également écho aux spécificités évangéliques (les 5 points évoqués plus haut). On voit ici comment la musique (et les CD en particulier) sont proposés comme des marqueurs des catégories culturelles de la sous-culture (parole de Dieu, conversion,

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engagement, pardon, etc.) Mais au-delà de ces bénéfices qui restent liés aux spécificités de la communauté évangélique, les albums musicaux sont également associés à d’autres significations a priori extérieures à la communauté.

3.2. Des marqueurs culturels profanes en symbiose En plus des bénéfices-clients spirituels liés aux spécificités de la religion évangélique, la présentation des CD par Séphora met l’accent sur des marqueurs culturels profanes : des styles musicaux et des références identitaires linguistiques ou ethniques.

Des styles musicaux profanes De nombreuses religions considèrent que seuls certains styles musicaux sont acceptables pour la louange, l’adoration et le culte (Dianteill, 2004). Par exemple, dans la culture afro-américaine des USA, le blues est « la musique du diable », et le gospel celle « du bon Dieu » (Dianteill, 2004). Il n’en est pas de même chez les évangéliques. Lorsqu’on considère les catégories qui permettent d’indexer les albums proposés sur le site Internet de Séphora (listées à gauche de la page d’accueil), on ne trouve pas moins de 26 clés d’entrée réparties de la manière suivante :

14 styles de musique profanes (e.g. country, latino, folk, soul, RnB, instrumental, jazz & blues, metal & hard-rock, pop & rock, rap, reggae, etc.)

2 catégories ethniques et linguistiques (afro-caribéen, autres langues)

5 catégories diverses (lectures et textes parlés, livre audio, enfants, play-backs, nostalgie musique)

Et seulement 5 catégories spécifiquement religieuses (louange anglophone, louange francophone, enseignements audio, Israël, Noël)

De plus, les présentations de CD soulignent très souvent le ou les styles – essentiellement profanes – présents dans l’album :

« Variant les styles (rumba, salsa, folk), l’artiste exhorte à développer une relation plus intime avec le Créateur ». Irène Makosso, Alliance « Dans un style pop soul, Zan désire apporter avec simplicité un parfum de louange à ‘Celui qui est’, et ajouter une nouvelle couleur au paysage musical francophone. » Zan, Je veux te dire « Manou est le phénomène incontournable du rap-hip-hop-ragga ». Manou, Atypik « Composé de plusieurs musiciens professionnels de jazz, ce groupe a trouvé une réelle identité et son propre style : ‘le funk électro-jazz’, avec certaines tendances soul. » Nissi

La valorisation de ces styles musicaux, en grande partie profanes, souligne que contrairement à d’autres religions, le mouvement évangélique ne considère pas qu’il existe des styles spécifiquement religieux (acceptables pour la louange et le culte) ou spécifiquement païens (inacceptables pour la louange et le culte) : on peut louer et adorer Dieu sur tous les styles musicaux. L’emphase placée sur des styles musicaux essentiellement profanes illustre également la symbiose entre des éléments religieux (autour du thème de la louange) et des marqueurs issus de la culture populaire ambiante (styles musicaux profanes). Cette symbiose s’exprime encore plus fortement par l’initiative de certains artistes qui reprennent des hymnes protestants traditionnels (considérés comme de la musique religieuse dans la tradition

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protestante) et les réarrangent musicalement sur des rythmes de blues ou de jazz. C’est le cas de Sébastian Damrey et Jimmy Lahaie qui ont sorti en 2011 un album intitulé Héritage composé de 13 reprises de chants traditionnels réarrangés. Devant le succès rencontré par cet album, ils ont réalisé un deuxième volume puis un DVD. La sous-culture évangélique reprend et recycle ici des éléments empruntés à 2 cultures : la culture ambiante populaire et la culture protestante traditionnelle. Ce phénomène se retrouve également dans une collection de CD plus ancienne, Un chant nouveau (6 albums et une compilation à ce jour), dont l’objectif est de proposer de nouveaux arrangements de chants d’église bien connus. Il s’agit donc de conserver les paroles et la mélodie, mais de moderniser l’ensemble en y insufflant des accents contemporains (surtout pop). Ces initiatives font l’objet d’une large promotion dans les catalogues Séphora (couvertures, pleines pages intérieures, etc.) mais aussi dans ses newsletters et sur son site Internet. C’est donc un exemple intéressant de mélange entre des marqueurs religieux (autour de la louange) et profanes (styles musicaux contemporains), les deux chargeant les albums proposés de significations empruntées à deux cultures différentes : l’une profane, l’autre religieuse. Ces mélanges s’observent dans d’autres domaines et enrichissent les attributs symboliques des albums musicaux proposés par Séphora.

Des références identitaires linguistiques ou ethniques Les albums musicaux sont parfois associés à des langues ou des pays, comme s’il était important que chaque évangélique, avec son identité ethnique et linguistique, puisse trouver des albums qui lui ressemblent ; l’important étant de pouvoir « louer » Dieu dans sa langue. Ainsi, de nombreux albums sont vantés pour proposer des versions françaises de « tubes » évangéliques nord-américains. C’est le cas par exemple de deux albums de Paul Baloche, un artiste très connu Outre-Atlantique, qui a des origines canadiennes francophones. Accompagné de plusieurs artistes francophones, il a sorti 2 compilations de ses succès interprétés en français (avec d’ailleurs un accent assez prononcé…) Séphora a jugé son effort assez significatif pour lui accorder la Une de son catalogue à l’occasion de la sortie de chacun de ces albums, en été 2009 puis en été 2013 (voir la figure 2) ainsi qu’une visibilité sur la page d’accueil de son site Internet (voir figure 1). La sortie de ces albums est manifestement considérée comme un honneur qu’il fait à la communauté évangélique française (et plus largement francophone), ce qui souligne l’importance accordé au français par la communauté évangélique de France, un élément clé de la culture-mère. Dans la même veine, Séphora met régulièrement à l’honneur (pleine page du catalogue) les CD proposants des interprétations françaises de chants écrits par Graham Kendrick, compositeur-interprète britannique reconnu. La francophonie est un élément important pour la communauté évangélique française – Séphora se présente d’ailleurs comme « le portail francophone de la musique chrétienne » - sans que le consommateur évangélique français ne se fonde dans une éventuelle communauté évangélique francophone : l’évangélique français entretient des points communs mais aussi des différences avec l’évangélique québécois ou camerounais, justement parce que les cultures-mères nationales imprègnent les sous-cultures évangéliques locales. Ces différences se retrouvent dans l’évocation de marqueurs identitaires ethniques. En effet, la présentation de certains albums met l’accent sur des pays, des langues ou des cultures étrangères. C’est notamment souvent le cas dans la section « Afro-Caribéen », mais pas seulement. La seule existence de cette section dans le catalogue papier (ainsi que sur le site Internet) souligne d’ailleurs l’importance de ces références identitaires.

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« Histoire d’amour est un opus composé de 10 titres en français, anglais et mooré [langue parlée par les 5 millions de Mossi au Burkina Faso]. Beaucoup de variété, un peu de pop, de reggae, de rythmes caribéens entrainent l’auditeur dans un voyage où la simplicité des paroles permet de s’imprégner véritablement du message véhiculé. » Jonathan Napon, Histoire d’amour « Dans cet album dynamique de louange antillaise on retrouve tous les ingrédients pour un moment d’adoration exotique. » Jeudy Julner, Oh Oh Lanmou « Cette production alliant tradition et créativité, reflète l’identité, les peines et les joies du peuple élu. Des compositions originales conçues et interprétées en français (sauf un titre en hébreu) » Juifs pour Jésus, Improvisations messianiques « Dans le pur style arabe, cet enregistrement est une compilation de 11 titres de louange, exclusivement en arabe. » Chemaa, Que tu es resplendissant !

Figure 2 – Deux couvertures du catalogue papier de Séphora On voit donc que les albums musicaux promus par Séphora sont également associés à des significations directement empruntées à la culture-mère (la culture française) ou à d’autres groupes de référence ethniques ou nationaux (les Antilles, les Mossis, Israël, etc.) La louange proposée par ce distributeur de musique évangélique est donc teintée de plusieurs marqueurs identitaires profanes tels que le style musical, l’ethnie, le pays, etc. auxquels le croyant-consommateur-évangélique est resté attaché malgré sa conversion.

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4. DISCUSSION & CONCLUSION

4.1. Réponse à la problématique Quelles significations sont associées aux produits musicaux évangéliques par le système marchand évangélique français ? Ces significations sont de deux ordres :

Au travers du thème générique de la louange, les albums musicaux sont associés à des attributs symboliques spécifiques à la communauté évangélique de nature religieuse. En tant que support à la louange, les CD proposés nourrissent la relation personnelle du croyant avec Dieu et lui permettent d’expérimenter sa présence (bénéfices existentiels et émotionnels). Ils permettent également de renforcer l’appartenance à la paroisse locale (en fournissant de nouveaux chants qui seront interprétés par le consommateur et ses pairs lors des offices dominicaux) et l’identification à la communauté évangélique française (groupe de référence) en affermissant sa foi. L’appartenance et l’identification (bénéfices connectifs) sont nécessaires pour maintenir vivace l’idée de la conversion du croyant (reconfiguration globale de son itinéraire biographique) qui arrache l’individu au « monde terrestre » pour le rapprocher de Dieu. En ce sens, les CD « donnent des ailes » au consommateur-évangélique (voir la figure 3).

Mais des marqueurs issus de la culture-mère ou d’autres groupes de référence sont également chargés dans ces produits musicaux. Il s’agit des styles musicaux, de la langue, de l’ethnicité, etc. Ces éléments accompagnaient l’individu avant son expérience de conversion. Malgré la rupture impliquée par cette dernière, le croyant a la possibilité de retrouver ces repères dans les albums musicaux proposés par Séphora. En ce sens, ces CD maintiennent certaines des « racines » profanes de l’individu (voir la figure 3).

Figure 3 – Les significations culturelles associées par Séphora aux albums musicaux : « des Racines et des Ailes »

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Il est désormais aisé de répondre à la 2ème partie de notre problématique : En quoi ces significations représentent-elles des ressources symboliques mises à la disposition des consommateurs visés ? Tels qu’ils sont présentés par Séphora, les CD musicaux évangéliques permettent d’alimenter l’identité personnelle et sociale des consommateurs évangéliques à deux niveaux :

Affirmer son identité d’évangélique (la musique étant un bon moyen de marquer son appartenance, Berger et Heath, 2007), à la fois vis-à-vis de soi-même (« édifier sa foi »), vis-à-vis de ses coreligionnaires et vis-à-vis des non évangéliques (la société en général).

Affirmer (conserver) d’autres éléments identitaires comme les styles musicaux propres à sa génération (Holbrook et Schindler, 1989) (les jeunes écoutent du rap évangélique, les quadragénaires écoutent de la pop évangélique, etc.), sa langue (on n’est pas obligé d’écouter de la musique évangélique américaine lorsqu’on est un évangélique français), etc.

4.2. Discussion La potentialisation de sens par Séphora dans les CD qu’elle propose est donc forte et riche. Les albums musicaux sont présentés comme une ressource identitaire importante pour maintenir la cohérence de l’individu évangélique. Cela souligne l’importance de la consommation comme système de sens, y compris dans des communautés religieuses qui proposent elles-mêmes un système de sens théoriquement alternatif à la culture ambiante (Fath, 2010). Ces résultats soulignent également le rôle de la musique – y compris religieuse – dans la quête identitaire du consommateur post-moderne (Galan et Vignolles, 2010). Cette étude montre comment les biens marchands peuvent jouer un rôle d’interface entre les significations issues de la sous-culture religieuse et celles empruntées à la culture-mère ou à d’autres groupes de référence. Les albums musicaux sont des combinaisons originales de sens qui sont censées permettre à chaque évangélique de nourrir et de communiquer son identité. Ils permettent en outre de satisfaire parfaitement les 4 pratiques de consommation identifiées par Holt (1995) :

Vivre une expérience avec la divinité (hiérophanie).

Intégrer des croyances (foi) et un statut de converti.

« Jouer » avec ses pairs au travers des chants en assemblée le dimanche matin (renouvelés par les albums musicaux qui sortent régulièrement).

Se positionner socialement (classification) grâce aux marqueurs identitaires religieux ET profanes.

Ces résultats éclairent également le fonctionnement de la sous-culture évangélique. La coupure d’avec la société comme résultante de la conversion du chrétien évangélique est plus subtile que l’enfermement au monastère ou le rejet des productions culturelles de la société d’origine, comme cela peut être le cas chez les jeunes hommes de confession mormone (Ozanne, 1992). Bien que la communauté évangélique entre en tension avec la culture ambiante sur des questions d’éthique (e.g. l’avortement, les expérimentations sur les cellules souches, la définition du mariage, l'homosexualité, etc.), elle reprend et recycle des marqueurs culturels comme les styles musicaux ou l’ethnicité : louange rock, louange antillaise, louange française, etc. On retrouve ici une des caractéristiques des nouveaux mouvements religieux : le marqueur religieux se reconnecte à des marqueurs culturels flottants (Roy, 2008).

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Nos résultats illustrent donc en partie la sécularisation de la religion (Belk et Wallendorf, 1989 ; Einstein, 2007) et l’affaiblissement de la frontière entre profane et sacrée (Arnould et Price, 2004), comme d’autres travaux l’avaient déjà suggéré (Touzani et Hirschman, 2008 ; Higgins et Hamilton, 2011). Il y aurait une forme d’acculturation de la sous-culture évangélique à la culture-mère comparable, dans un sens, aux observations de Yip (2008) qui montrent que les valeurs de la culture ambiante nord-américaine se retrouvent dans les discours pentecôtistes, ou à celles de Rinallo (2009) qui montrent que les films et les séries TV influencent les rituels néo-païens en Italie. Nos résultats permettent peut-être également de comprendre pourquoi les mouvements évangéliques sont efficaces en matière de recrutement de nouveaux membres (Roy, 2008 ; Liechti, 2012). En effet, bien que devenir évangélique (se convertir) implique de « naitre de nouveau » et d’abandonner tout une partie de son « ancienne vie » (Fath, 2005, 2010), cela n’empêche pas de conserver des références culturelles ambiantes comme les musiques à la mode (selon chaque génération), son dialecte d’origine, sa culture ethnique, etc. : on peut devenir évangélique mais rester jeune et continuer d’écouter de la musique « jeune », on sera un évangélique jeune ; on peut devenir évangélique mais rester antillais et continuer de valoriser son identité ethnique, on sera un évangélique antillais, etc. Grâce à l’intégration de ressources symboliques associées à des marqueurs identitaires variés, les CD proposés par Séphora se présentent comme des ressources symboliques polysémiques que l’individu pourrait utiliser pour se mettre en récit et produire ainsi son identité dans un contexte de fragmentation marqué par l’appartenance et / ou la référence à plusieurs groupes sociaux (religieux, générationnel, ethnique, etc.), situation caractéristique du consommateur postmoderne (Holt, 1997).

4.3. Limites et voies de recherche Cette recherche présente des limites. Tout d’abord, le regard porté sur le phénomène étudié est potentiellement biaisé par l’absence d’une analyse systématique des matériaux collectés. Notamment, le regard du chercheur s’est davantage porté sur les albums musicaux francophones que sur les albums internationaux (essentiellement anglophones). Une analyse plus systématique devra être réalisée par la suite pour confirmer et / ou infirmer les analyses proposées dans cet article et les approfondir. Ensuite, nous avons considéré la communauté évangélique de manière globale et homogène, or elle est peut-être plus hétérogène qu’il n’y parait. Existe-t-il véritablement une communauté évangélique française ou DES communautés baptiste, pentecôtiste, etc. ? N’y aurait-il pas également des différences en termes de générations ? La question de la définition de la communauté n’est pas totalement tranchée car les spécialistes considèrent des communautés dont les contours sont variables en fonction de leurs investigations empiriques (voire par exemple les différents travaux publiés dans Fath, 2010). La référence à la francophonie interroge également nos analyses : existe-t-il une communauté évangélique francophone ? Comment se positionnerait-elle par rapport à la communauté évangélique française ? En outre, nous avons considéré les liens entre la sous-culture évangélique française et la culture-mère essentiellement entendue comme la culture française. Or il est certain que la sous-culture étudiée entretient de nombreux liens avec la culture évangélique étatsunienne. Or cette dernière est elle-même très imbriquée à la culture nord-américaine, la religion évangélique étant historiquement à la fois un ferment et une production de la culture des USA (Fath, 2004). Le réservoir symbolique de la culture évangélique française a donc des origines plus complexes que ce que nous avons considéré dans ce travail.

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Enfin, la dernière limite est surtout une invitation à poursuivre ce travail et à proposer une autre problématique dans la continuité de la nôtre. Nous avons en effet analysé comment le système marchand évangélique potentialisait / chargeait de sens les CD, mais nous n’avons pas étudié comment ce sens était reçu / actualisé par les consommateurs évangéliques (Mick et al., 2004). Il faudrait donc maintenant étudier comment ces significations sont reçues / potentialisées / bricolées / négociées par les consommateurs évangéliques eux-mêmes. Ceci implique d’aller au contact de ces consommateurs (entretiens, netnographie, etc.)

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