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LES ALEAS DE LA REPRODUCTION SOCIALE: ‘LIE: CAS DE LA BOURGEOISIE D’ARLES SOUS LE SECOND E~PIRE’~ PAULALLARD L’idCe que la reproduction sociale est la r&gle dans la plupart des soci&Cs est largement admise. D’une gCn&ation 2 I’autre les familles transmettent un hkritage social bas& sur l’existence ou la non existence d’une fortune, d’un niveau culture1 et d’un statut c’est ;i dire d’une position dans la hitkarchie sociale. Les nombreuses etudes d’histoire sociale portant sur les pkriodes modernes ou contemporaines ont abondamment dkmontrk l’importance de la transmission des fortunes pour la conservation des positions acquises et la sociologic, de son c&k, a depuis longtemps attire l’attention sur le poids spkifique de I’appareil Cducatif’ et son riile dans le maintien des inCgalit&s sociales et culturelles. Toutes les recherches mettent en avant la stabilitk apparente des structures sociales, et la tendance g&kale du systbme qui est la conservation des posi- tions acquises.’ Dans les classes dkfavori&es qui cumulent les desavantages du manque de fortune et de i’inadaptation culturelie au systkme dominant, la reproduction sociale est subie. Les individus qui composent ces classes ont peu de chance d’acckder un jour ri une situation meilleure. Dans les classes supkieures, au contraire, la reproduction sociale est voulue et renforcke par les possibilitks de transmission des patrimoines et l’on sait par des etudes kcentes sur la sociCtC actuelle ou pas&e que ceux-ci sont souvent consid~rables,:~ par le systkme scolaire qui transmet les valeurs dominantes et aide, en renforc;ant les in& galit& culturelles, Amaintenir ou B amkliorer des situations dkj& acquises dks le dkpart. Les classes moyennes sont entre les deux, en l’absence de patrimoine B transmettre, elles essaient d’utiliser au mieux les possibilitks de promotion offertes par l’apprentissage scolaire mais I’acc$s au niveau supkrieur est rare. Dans ces conditions, chaque groupe social Ctant protkge par des barrikres diffici~ement franchissables ies cas d’ascension sociale sont plut8t rares. Ces derniers ne prennent vraiment de l’importance que lorsque l’expansion kcono- mique determine un accroissement numkrique des classes supkrieures. La simple reproduction dkmographique de ces classes ne suffisant pas &assurer la croissance nkcessaire des effectifs, il faut qu’un sang neuf les alimente. Lorsque l’expansion ralentit, la mobilit sociale diminue et les barribres redeviennent infranchissables. Sous une forme ou sous une autre, ces explications se retrouvent dans beaucoup d’ouvrages.” *This article is a revised version of a lecture delivered at the Colloque ‘Histoirc des Mentatitiis, Histoire des rhistances, ou les Prisons de longue durCe, Aix-La Baume, 20-21-22 septembre 1980.

Les aleas de la reproduction sociale: ‘Le cas de la bourgeoisie d'sarles sous le second empire’

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LES ALEAS DE LA REPRODUCTION SOCIALE: ‘LIE: CAS DE LA BOURGEOISIE D’ARLES SOUS LE SECOND

E~PIRE’~

PAULALLARD

L’idCe que la reproduction sociale est la r&gle dans la plupart des soci&Cs est largement admise. D’une gCn&ation 2 I’autre les familles transmettent un hkritage social bas& sur l’existence ou la non existence d’une fortune, d’un niveau culture1 et d’un statut c’est ;i dire d’une position dans la hitkarchie sociale. Les nombreuses etudes d’histoire sociale portant sur les pkriodes modernes ou contemporaines ont abondamment dkmontrk l’importance de la transmission des fortunes pour la conservation des positions acquises et la sociologic, de son c&k, a depuis longtemps attire l’attention sur le poids spkifique de I’appareil Cducatif’ et son riile dans le maintien des inCgalit&s sociales et culturelles.

Toutes les recherches mettent en avant la stabilitk apparente des structures sociales, et la tendance g&kale du systbme qui est la conservation des posi- tions acquises.’

Dans les classes dkfavori&es qui cumulent les desavantages du manque de fortune et de i’inadaptation culturelie au systkme dominant, la reproduction sociale est subie. Les individus qui composent ces classes ont peu de chance d’acckder un jour ri une situation meilleure. Dans les classes supkieures, au contraire, la reproduction sociale est voulue et renforcke par les possibilitks de transmission des patrimoines et l’on sait par des etudes kcentes sur la sociCtC actuelle ou pas&e que ceux-ci sont souvent consid~rables,:~ par le systkme scolaire qui transmet les valeurs dominantes et aide, en renforc;ant les in& galit& culturelles, A maintenir ou B amkliorer des situations dkj& acquises dks le dkpart.

Les classes moyennes sont entre les deux, en l’absence de patrimoine B transmettre, elles essaient d’utiliser au mieux les possibilitks de promotion offertes par l’apprentissage scolaire mais I’acc$s au niveau supkrieur est rare.

Dans ces conditions, chaque groupe social Ctant protkge par des barrikres diffici~ement franchissables ies cas d’ascension sociale sont plut8t rares. Ces derniers ne prennent vraiment de l’importance que lorsque l’expansion kcono- mique determine un accroissement numkrique des classes supkrieures. La simple reproduction dkmographique de ces classes ne suffisant pas & assurer la croissance nkcessaire des effectifs, il faut qu’un sang neuf les alimente. Lorsque l’expansion ralentit, la mobilit sociale diminue et les barribres redeviennent infranchissables. Sous une forme ou sous une autre, ces explications se retrouvent dans beaucoup d’ouvrages.”

*This article is a revised version of a lecture delivered at the Colloque ‘Histoirc des Mentatitiis, Histoire des rhistances, ou les Prisons de longue durCe, Aix-La Baume, 20-21-22 septembre 1980.

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Pourtant les exemples qui nuancent ces schemas ne manquent pas. 11s montrent a quel point meme en periode de croissance Cconomique faible les classes superieures se renouvellent constamment y compris dans les systemes sociaux en apparence les plus rigides. Car la principale cause du renouvelle-

ment tient au fait que la reproduction sociale m&me dans les milieux les plus favorises n’est pas parfaite. Ainsi, pour prendre un exemple recent,” en 1964 en France, quarante-trois pour cent des fils de cadres superieurs se retrouvent dans les spheres elevees de la societe (cadres superieurs, professions lib&ales, industriels et grands commercants). Ce taux tres Clevt illustre bien la force de la reproduction sociale, par comparaison, seulement un et demi pour cent des fils d’ouvriers accede a ce niveau, mais il signifie aussi que plus de la moitie des fils des cadres superieurs sont sortis de leur milieu d’origine et sont redescendus dans la hierarchic sociale. En general ils sont retombes dans les categories moyennes, tres peu aboutissent dans l’exercice d’un travail manuel.

Des etudes similaires ont conduit Alain Girard” a Cmettre l’hypothese d’une reproduction sociale qui atteint la proportion des deux tiers des fils qui restent dans leur milieu d’origine pour l’extreme elite, celle des grands dirigeants, cas extreme du recrutement autarcique car en dessous de ce groupe social la proportion tombe a moins de la moitie.

Ces exemples et cette hypothese concement notre Cpoque. La societe d’autrefois apparait plus stable et la mobilitt sociale plus limitee. Pourtant bien des observations contredisent cette affirmation. Nous rappellerons simple- ment pour memoire l’exemple celebre donnt par P. Goubert dans la these sur Beauvais et le Beauvaisis, entre 1600 et 1789: la noblesse du bailliage de Beauvais s’est presque completement renouvelee. En 1789 il ne restait que dix familles sur les ciuquante-huit qui Ctaient deja nobles sous Henri IV, toutes les autres Ctaient nouvelles.7

La mesure du taux du renouvellement d’une generation a l’autre nous parait importante pour mieux comprendre les mecanismes qui assurent la superiorite d’un groupe social sur l’ensemble d’une societe. Les rates du systeme peuvent en effet reveler l’influence de certains rouages de la mecanique sociale. Mais mCme sans entrer dans des analyses aussi fines, d’ailleurs difficiles a mener d’apres les sources utilistes, la simple connaissance du taux de renouvellement suffit pour s’interroger par exemple sur la transmission des valeurs propres a une elite sociale d’une generation a l’autre. Lorsque la famille n’assure pas cette transmission, ce qui est le cas des nouveaux Venus, par quelle mediation cette nouvelle elite adopte-t-elle ou n’adopte-t-elle pas les idees de son milieu d’adoption?

I1 semble difficile d’apporter en l’etat actuel des recherches des reponses precises a ces questions de fond. Toutefois il est possible de mesurer dans le cadre d’une etude locale le taux de reproduction des principaux groupes sociaux.

Le cadre choisi est la ville francaise d’Arles situee dans le departement des Bouches du Rhone a une soixantaine de kilometres de Marseille. Cette cite provencale commande l’acces a la Camargue, terre singuliere, constituee par le delta du Rhone. La commune d’Arles, vers 1860, compte vingt-cinq mille habitants et s’etend surplus de mille kilometres car&s. Elle a la particularite de

Les Al&as de la Reproduction Sociale 13

m$ler intimement vie rurale et vie urbaine. P&s de quinze mille personnes resident dans la cit6 et dix mille en dehors, dans des fermes isolkes ou re- group&es en hameaux. La marine est alors la principale activitk urbaine, elie assure la liaison entre la navigation fluviale sur le Rh6ne et la navigation

maritime. Sous le Second Empire un quartier ouvrier tend h remplacer la population de marins ruinCe par la concurrence des chemins de fer. MalgrC tout la ville garde son aspect traditionnel. Son riche terroir produit du blC et un fourrage rCputC, export6 dans toute la France.

La structure de la propriCtC rurale est caractCriske par l’importance des grands domaines qui appartiennent soit 2 des propriktaires forains soit h la bourgeoisie arlksienne. Ces domaines sont 10~6s 5 de riches fermiers qui exploitent les terres avec leurs propres capitaux et font travailler une multitude d’ouvriers agricoles.

La mkthode la plus efficace et la plus complbte pour ktudier la reproduction sociale serait la reconstitution de vbritables gkkalogies familiales. Inutile de prkiser que l’on se heurte 18 & une sorte d’impossibilit6 pratique d&s lors que l’on veut constituer un Cchantillon reprksentatif d’une population et non dtudier quelques cas isok. La mobilit gkographique qui atteint couramment pour une petite ville comme Arles vingt-cinq B trente pour cent de la popula- tion, curnuKe sur deux ou trois g&&rations rend toute recherche extremement longue et les individus qui restent ne sont pas forckment t&s reprbentatifs.

La gCnkalogie familiale ne peut done Ctre qu’une monographie exemplaire 1imitCe g quelques cas. 11 faut avoir recours g d’autres sources qui prksentent l’avantage d’un accks facile et d’une bonne reprCsentativitC de l’ensemble de la population.

L’utilisation des registres de mutation8 jointe & des vkrifications dans Y&at civil donne une bonne assise statistique g une telle etude. Les registres en effet indiquent la profession des hkritiers. L’Ctat civil des d&s fournit dans de nombreux cas la profession du pbre du dtfunt ce qui permet une observation sur trois gCnCrations.g

La principale difficult6 mkthodologique rCsulte de la classification socio- professionnelle sur laquelle vont reposer les comparaisons. I1 faut s’assurer de sa cohkrence; cela a pu &re fait g&e & la mise en corrklation de divers paramgtres, niveau de fortune, alphabbtisation, endogamie, etc. . . .

Dans le cadre d’une ville provenGale comme Arles au milieu du XIX&me sikle, oh l’emprise du monde rural est t&s forte, la bourgeoisie telle que l’a dkfinie Maurice Agulhon recouvre une rCalit6 sociale bien 6tablie et reconnue.“) M. Agulhon place dans cette bourgeoisie les personnes qui vivent de leurs rentes, foncikes ou mobilikres. Ce sont pour la plupart des proprik- taires dCsign& comme tels. Cette dknomination a encore au milieu du XIXkme sicilcle un sens bien prCcis, du moins ti Arles, elle dCsigne un individu qui a suffisamment de fortune pour vivre de ses rentes sans travailler de ses mains ou exercer un mCtier du commerce. Vers la fin du XIX&me sikcle l’utilisation du terme cessera de recouvrir une quelconque rCalitC sociale et ce sent les paysans possesseurs de leurs terres qui se dksigneront ainsi.

Mais il est vrai que vers 1900 la bourgeoisie ne se reconnait plus 2 son apparente oisivetk mais B son labeur. Les valeurs de la bourgeoisie industrieuse

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et conquerante ont gag& peu g peu toutes les regions franqaises Climinant les vieilles valeurs, survivances de 1’Ancien R$gime.

A ces propriktaires s’ajoutent tgalement les personnes qui exercent une profession lib&ale: notaire, mkdecin, avocat auxquels on peut adjoindre les hauts fonctionnaires. Tous posskdent outre leur talent, une solide fortune personnelle.

Dans cette bourgeoisie traditionnelle nous incluons aussi les nkgociants qui, en principe, en sont exclus de par leur activitk Mais dans la rCalitC nombre d’entre eux acht%tent des domaines et deviennent propriktaires sur la fin de leur vie en abandonnant le nkgoce. Les relations matrimoniales entre ces deux groupes sont d’ailleurs trks Ctroites et ce sont eux qui rkunis, forment 1’Clite de la sociCtf5 arlksienne.

Cette Clite arlCsienne solidement implant&e localement se reproduit large- ment d’une gknkration & l’autre. Les dots aident les jeunes m&napes B s’installer et plus tard les patrimoines transmis au moment du d&&s assoient dkfinitive- ment la situation sociale des fils et des filles de la bourgeoisie. L’endogamie au mariage est tr&s forte et augmente les possibilitks de transmission d’un statut social essentiellement base sur la richesse.

Comme on peut le voir sur le tableau suivant l’klite arlt%ienne n’est pas le seul groupe social 2 se reproduire de gkntration en gCnCration.

Tableau 1. Mobilit intergCn&ationnelle B Aries en 1860 (hommes)

Catkgorie socio-professionnelle du pkre et du grand-p&e

Cultivateurs Ouvriers Artisans

Commeqants Employ& publics Employ& privCs Bourgeois et nkgociants Globalement Effectifs

Pourcentage d’individus appartenant i la m&me categoric socio-professionnelle

Que leur pkre Que leur grand-p&e 73,s 57,5 33,3 *

67 44 39 14 26,7 *

62,5 62 75 55 63,5 51

298 206

*Effectifs trop peu nombreux pour calculer des pourcentages.

Les rksultats sont d’autant plus remarquables que la repartition de la popu- lation en catkgories socio-professionnelles reste relativement stable durant la premikre moitik du XIXi?me sikcle, elle ne commence B Cvoluer qu’aprks 1848. A l’absence de dynamisme kconomique correspond une forte inertie sociale. Les ouvriers et les employ&s publics font exception car ce sont les deux seules catkgories en expansion et elles font done largement appef $ un recrutement exog&e.

Pourtant observke sur trois gtnCrations la reproduction sociale, quoique particulikrement ClevCe, n’est pas suffisante pour assurer la permanence des positions sociales apparemment les mieux assurkes. Gukre plus de la moitiC des

Les Al&s de la Reproduction Sociale 15

petits fils de notables restent dans la catkgorie de leur grand-p&e. On peut en dkduire qu’8 l’kchelle du sikle sur quatre ou cinq gCnCrations seules seront restkes en place un nombre rkduit de familles.

Les fils de notables qui quittent leur milieu originel restent, du moins 5 la

premikre gCnCration, dans des groupes sociaux proches (cf. Tableau 2). Dans le cas arlksien le milieu rkpulsif, celui que l’on quitte pour n’y revenir que rarement est le milieu agricole. La coupure entre milieu urbain et milieu rural est trks nette.

Tableau 2. MobilitC sociale par rapport au pkre

Niveau social du pkre Niveau social des fils (%) I II III IV

I Cultivateurs 73,5 5,9 16,9 3,7

II Ouvriers 5.6 33,3 55,s 5.6

III Classes moyennes urbaines* 4,2 14,3 73,9 736 IV Notables 25 75

*Classes moyennes urbaines: artisans, commersants, employ& publics, employ& privks. Dans le cas d’Arles ces catkgories sont t&s proches: m@me niveau de fortune, relations matrimoniales ClevCes, alphabktisation, etc. .

Tableau 3. MobiIitC sociale par rapport au grand-p&e

Niveau social du grand-p&e

I Cultivateurs II Ouvriers

III Classes moyennes urbaines

IV Notables

Niveau social du petit-fils (%) I II III IV

57,5 9,2 28,7 436 * * * *

11,l 839 67,8 12,2

5 - 40 55

*Effectif trop faible pour calculer un pourcentage.

Le fils de notable dCchu devient petit commerGant, quelquefois artisan, car sous le Second Empire dans le cadre arkien, les deux milieux sont fort proches l’un de l’autre, tant par leur fortune que par leur mode de vie, il est difficile de les diffkrencier. Les emplois publics subaltemes sont aussi un Cchappatoire fort honorable comme les douanes ou le service des imp&.

11 est difficile de prkciser si le destin des frbres est identique, cela semble le cas le plus frkquent mais quelquefois les destins divergent tel ce fils de courtier et petit-fils de propriitaire qui devient forgeron alors que son frkre reste courtier. Ou encore cet autre exemple de diversite dans les destins familiaux. Le grand-p&e est nkgociant, le pkre nkgociant lui-mCme, finit sa vie comme rentier-propriktaire (sa fortune 1CguCe est constituke de crkances sur des particuliers). Un de ses fils lui a succCdC, mais les deux autres occupent l’un une charge assez modeste: il est greffier de justice, l’autre est simple employ6 des douanes.

L’ige des hkitiers introduit dans ces dkcomptes une incertitude dans la

I6 Paul Allard

mesure ou une position sociale ne s’acquiert pas immediatement. 11 faudrait pouvoir suivre un individu durant toute son existence car la situation person- nelle peut Cvoluer, en particulier la reussite n’intervient souvent qu’avec l’age. ‘I

Pour ses filles la bourgeoisie fait le meme effort de promotion que pour ses fils et grace a des strategies matrimoniales qui font une large part a l’endogamie sociale, les filles restent aussi souvent que leurs f&es dam le milieu de leur pere ou de leur grand-p&e (cf. Tableau 4).

Ce n’est pas le cas dam les autres categories, la mobilite sociale des filles y est tres superieure a celle des garcons car dans ces milieux la reproduction sociale est bake sur la transmission du metier, qui se fait de pere en fils.

Cependant si par leur mariage les filles peuvent changer de categoric socio- professionnelle elle change plus rarement de niveau dans la hierarchic sociale (cf. Tableaux 5 et 6).

Tableau 4. MobilitC intergCnCrationnelle (femmes)

Cateorie socio-professionnelle du pkre ou du grand-p&e

Cultivateurs Ouvriers Artisans Commerqants Employ&s publics Employ& privCs Bourgeois et nkgociants Globalement Effectifs

Pourcentage de femmes restant dans la catkgorie socio-professionnelle

De leur pkre De leur grand-p&e 54,7 38 29,4 *

14,3 20 25 * 11 *

17,6 23 68,2 56,2

40,4 31,9 207 146

*Effectifs trop faibles pour calculer un pourcentage.

Tableau 5. MobilitC sociale par rapport au p&e

Niveau social du p&e Niveau social des filles (%) I II III IV

I Cultivateurs 54,7 11,6 27,9 538 II Ouvriers 38,9 61,l

III Classes moyennes urbaines 6,4 29,5 52,6 11,5

IV Notables - 9 22,8 68,2

Tableau 6. Mobilitt sociale par rapport au grand-p&e

Niveau social du grand-p&e Niveau social des petites-filles (%) I II III IV

I Cultivateurs 38 23,9 31,l 7 II Ouvriers * * * *

III Classes moyennes urbaines 538 21,6 56,9 15,7 IV Notables 18,8 25 56,2

*Effectifs trop faibles pour calculer un pourcentage.

Les Ale%s de la ~e~roduc~~ Smiale 17

Les filles abandonnent plus ~~quemment que leurs f&es le milieu rural. Nombre d’entre etles, par exemple, epousent des ouvriers du chemin de fer venus Nord de la France pour la plupart.

Comme ces tableaux nous I’indiquent aussi bien pour Ies garcons que pour les filles, les taux de reproduction, pour Clew% qu’ils soient, laissent tout de mCme la place ;i un renouvellement d’ampleur variable, mais jamais negligeable selon lcs categories socio-professionnelles. Celles-ci sont done plus ou moins h&&o- genes suivant I’origine sociale des individus qui les composent. Le Tableau 7 montre quelle proportion d’i~di~idus a repris le statut social du p&e ou du grand-p&e.

Tableau 7. Influence de la reproduction sociale dans la composition des catkgories s~io-profession~elies

Cat&gorie socio-professionnelle des individus

Cultivateurs Ouvriers Artisans Commer~ants EmpioyCs publics Employ&4 priv& Bourgeois et rkgociants

Pourcentage d’individus appartenant B la mCme catkgorie socio-professionnelIe

Que leur p&e Que leur grand-p&e 94,3 82 25 ;u

60,3 52 44 10,s 2.5 *

50 56,3 56 42

*Effectifs trop faibfes pour calculer un pourcentage.

Se& les cultivateurs se reproduisent de man&e quasi autarcique, comme now I’avons vu le quart de leurs fils quittent la terre a chaque g&&ration, mais au contraire des autres categories sociales ils ne beneficient pas de l’apport d’un sang neuf.

Les taux observes sont d’une maniere g&kale t&s Clew%, dans une societe a dominante traditionnelle, les positions sociales lit% au metier transmis par les parents sont relativement stables, du moins a la deuxieme gCn$ration. Certains mifieux resistent mieux a ia deuxieme g&&ration. Certains milieux resistent mieux que d’autres. Les employ& prives, qui sont essentiellement des capitaines marins du port d’Arles ont souvent un grand-pere qui occupait deja un tel emploi. Les artisans egalement posscdent une solide tradition familiale qui s’ktend sur trois gkrtrations; la moitiC d’entre eux ont un grand-p&e artisan.

La bourgeoisie arlesienne, pour laquelle le Tableau 8 donne la composition, est un milieu en definitive assez ouvert; elle accueille en son sein les reussites individuelles ou familiales des autres catkgories sociales. En 1860 plus de quarante pour cent de ses effectifs sont nb dans d’autres milieux.

On pourrait s’dtonner de cette proportion Clev$e d’individus nouveaux dans une ville que nous avons par aiheurs qualifiee de trad~tionnelIe, rappelons que soixante-quinze pour cent des fits de la bourgeoisie restent dans son sein.

Ce taux nest pas en contradiction avec les chiffres cit6 pr~c~demment. La pop~llation arlt%ienne a en effet un peu augments depuis le debut du sibcle

18 Paul Allard

Tableau 8. Composition de la bourgeoisie arkienne en 1860

CatCgories socio-professionnelles

Cultivateurs Ouvriers Artisans Commersants Employ& publics Employ& privCs Bourgeois et nkgociants Effectifs

RCpartition par catkgories socio- professionnelle d’origine

Du p&e Du grand-p&e 14,7 15,4

239 5,9 15,4 539 23,l

5,9 838 338

56 42,3 34 26

passant de vingt mille A vingt-cinq mille habitants, or la vitalit dkmographique

de la bourgeoisie arkienne est infkrieure g celle des autres catkgories sociales,

en particulier la proportion de cklibataires, chez les propriktaires est assez forte. Ainsi la bourgeoisie malgrC son fort taux de reproduction est un milieu relativement ouvert.

On acctde 5 la bourgeoisie arlksienne soit par la rkussite en milieu rural: c’est le cas souvent des fils de mknagers qui aprks quelques Ctudes destinkes 5 leur donner le vernis culture1 rkcessaire pour faire oublier leurs origines paysannes, deviennent des propriktaires citadins.” Soit aussi par la rkussite dans la petite fabrique artisanale, tel ce chaudronnier qui laisse une fortune suffisante pour que son fils soit propriktaire. Quelques commer$ants rkussissent aussi g fran- chir le niveau de richesse qui permet de vivre de ses rentes.

Une autre approche de la mobilit sociale est possible g partir des listes klectorales censitaires. D’une liste g I’autre, on constate en effet la disparition de nombreux patronymes. Ces disparitions ne sont pas toutes dues aux effets de la mobilit sociale, les raisons pour lesquelles un individu inscrit sur une liste Clectorale censitaire 2 une certaine Cpoque disparait de cette liste quelques anrkes aprks peuvent &tre fort diverses: d&&s, depart vers une autre commune, investissement en biens mobiliers qui, moins impok que les biens immobiliers, entrainent une radiation de la liste Clectorale, etc. . . . La liste n’est pas exhaustive et seule une Ctude cas par cas permettrait de dkterminer I’influence des revers de fortune et de la mobilitk sociale sur la composition des listes censitaires. I9

Mais dans la perspective qui est la nGtre il n’est pas inintkressant de constater combien un groupe social bien implant6 localement subit l’kosion du temps.

Ainsi de 1820 B 1846 malgrt? l’abaissement du tens Clectoral qui passe de trois cent francs & deux cent francs, trente-sept pour cent des noms disparaissent des listes.

Ces noms n’apparaissent plus sur les listes Clectorales municipales qui exigent pourtant un tens modeste de cinquante francs. En un peu moins d’une gCnCration plus du tiers des familles jouant un rale de premier plan B Arles ont disparu, remplackes par d’autres en pleine ascension.

En l’absence d’ktude plus fine il est difficile d’interprkter ces rksultats. Remarquons simplement qu’g 1’Cchelle d’une ville moyenne comme Arles,

Les Alkas de la Reproduction Sociale 19

ville de tradition, et peu encline au mouvement, les elites se renouvellent avec une relative rapidite.

Les indications don&es par les comptages sur les listes electorales vont dans le sens de nos observations et confirment done i’existence d’un fort renouvelle- ment de l’elite arkienne a chaque generation.

Conclusion

Par rapport au probleme pose qui Ctait celui de la mobilite sociale des classes superieures, les quelques chiffres que nous avons propose paraissent bien modestes. D’autres etudes seraient necessaires pour quantifier avec plus de precision les conditions d’ascension ou de declin des familles avec les difficult6 methodologiques que nous avow soulignees. Toutefois il apparait clairement que la reproduction sociale est un mecanisme efficace.

La petite elite ariesienne assure a la plupart de ses enfants une place en son sein. II s’agit la d’un schema devenu classique en sociologic comme en histoire, tout groupe social qui presente quelques facteurs d’homogtneite, dans le cas present il s’agit de la richesse, de la culture et d’un statut social privilegie, tend a se reproduire.

Le systeme pourtant n’est pas parfait et ces imperfections ne sont pas negligeables car elles cumulent leurs effets sur plusieurs generations. Dans le cas de la bourgeoisie arlesienne nous l’avons vu elles entrainent un renouvelle- ment constant des familles.

On pourrait dans le cadre arlesien suggerer que la situation locale particu- here au milieu de XIXeme sibcle acdlere le processus de renouvellement, le declin de la marine arltsienne, ruinee par les chemins de fer, l’archaisme de la bourgeoisie peu a peu depossedee de ses grands domaines au profit d’acheteurs exterieurs a la commune, tout cela pourrait constituer un debut d’explication. Mais gardons-now des evidences, quarante ans auparavant, vers 1820, Arles n’etait pas encore touchee par l’industrialisation et conservait une assise Cconomique traditionnelle avec une marine florissante et une agriculture beaucoup plus riche de promesses que de reussite. Or a cette epoque le renouvellement des elites arlesiennes est tout aussi important.

Rares sont done les families qui traversent ie sibcle en conservant toujours une place privilegiee dans la sock% arlesienne.

La reproduction sociale presente en fait deux aspects suivant qu’on l’observe sur l’intervalle d’une generation, auquel cas l’impression qui predomine, a juste titre, est celle de la stabilite, voire de l’autarcie sociale de certains groupes, sur plusieurs generations, dans ce cas les phenomenes cumulatifs font apparaitre une forte dilution des groupes les plus fermes sur eux-memes.

11 apparait clairement que m&me dans un milieu rest6 traditionnel et a tendance largement conservatrice, la permanence de certaines attitudes poli- tiques, la fidelite a une culture ne passent pas obligatoirement par la stabilite du corps social. Les familles peuvent connaitre des destins fluctuants, le systeme des valeurs qui caracterisent le groupe social demeure en se transmettant par d’autres canaux que ceux de la famille.

La simple constatation de ce lent mais ineluctable grignotage des elites ne

20 Paul Atlard

suffit pas, il faudrait aussi pouvoir repondre aux questions qui en decoulent. Quelles sont les &apes qui marquent le declin d’une famille, cela commence-t- il par une mauvaise gestion du patrimoine, par une inadaptation aux nouvelies formes de placement, quel r&e I’heritage joue-t-ii dans la dispersion des

patrimoines?‘-’

Une fois la famille d&hue de son rang, que deviennent les fils ou filles de notables declasses, conservent-ils certaines de leurs habitudes, diffusent-ils autout d’eux les valeurs de leur ancien milieu social et quels liens gardent-ils avec lui, leurs enfants ont-ils plus de facilites pour ~ventu~llement gravir a nouveau les echelons de la hierarchic social?‘g

Resterait a savoir s’i1 n’existe pas parmi les familles qui composent l’elite un noyau resistant, une super-elite en quelque sorte qui se distingue par sa richesse et ses fonctions plus Clevtes et qui de ce fait assure, a l’echelle du siecle, une permanence. En tout &at de cause, elle ne pourrait Ctre que

minoritaire. Sur un siecle, le renouvellement parait etre la regle.

Paul Allard

NOTES

I. Depuis une vingtaine d’annees la sociologic francaise travaille sur la question, en particulier l’equipe form& amour de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron auteurs de Les h&iriiiers (Paris: Editions de Minuit, 1964) et de la Reproduction (Paris: Editions de Minuit, 1970).

2. Des etudes recentes sur les classes dirigeantes en France au XIX&me siecle mettent bien en evidence leur recrutement selectif et leur taux de reproduction particuh- erement eleve. Citons parmi les plus recentes: Terry Shinn, L’kcolepofytechnique. 1794-1914 (Paris: Presse nationale des sciences politiques, 1980) et Christophe Charle, Les huts fonctionnaires en France au XIXt?me siPcle (Paris: Collection Archives, Gallimard, Julliard, 1980).

3. Pour le XIX&me siecle francais, cf. la bibliographie dans l’ouvrage collectif dir@ par Adehne Daumard, Les follies franguises au XfX&re si&le (Paris: Mouton, 1973).

4. La bibliographie sur le sujet est bien trop vaste pour &tre abordee ici. Depuis P. Sorokin et sa theorie sur la mobilite sociale (Social Mobility, 1927, reedition sous le titre Social and Cultural Mobility, New York: Free Press, 1964) des centaines d’ouvrages ont CtC Ccrits. On peut se referer a la bibliographie contenue dans I’ouvrage de Raymond Boudon, ~‘~~~ga~it~ des chances, la mobilit& sociafe dam les soci&& industrielles (Paris: Armand Cohn, 1973).

5. Exemple pris dans I’ouvrage de R. Girod, MobilitP sociaie: fuits &tablis, probkmes ouverb (Geneve, Paris: librairie Droz, 1971).

6. Alain Girard, La rtkssitesociule en France (Paris: PUF, 1967). 7. Pierre Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 ri 1739, contribution ci l’histoire

so&ale de la France du XWkme sit?cte (Paris: SEVPEN, 1960). 8. Les registres de mutation par d&b consignent le detail des fortunes au moment du

de&s dans le but de p&ever I’imp6t sur les successions. Pour plus de details et pour la critique de ce type de source cf. A. Daumard, note 3.

9. Une observation sur trois generations a ete faite a partir dune enquete orale par

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Ramkrishna Mukherjee, ‘A Study of Social Mobility Between Three Generations’, in Social Mobility in Britain, sous la direction de D. V. Glass (Londres, 1954). Maurice Agulhon, La vie sociale en Provence inte’rieure au lendemain de la Rtvolu- tion (Paris, 1970). R. Girod a Ctudie ce probleme dans son ouvrage, op. cit., g partir de I’exemple genevois, il montre notamment que le milieu d’origine a toujours une influence sur la mobilite sociale d’un individu au tours de son existence. Cf. aussi Claude Levy-Leboyer, L’ambition professionnelle et la mobilit sociale (Paris: Presses universitaires de France, 1971). C’est le cas, souvent cite, de Frederic Mistral, dont le pere possedait a Maillane (a 1 vingt kilometres d’Arles) le mas du Juge. FrCrCric Mistral apres des etudes a Avignon et a Aix en Provence est devenu un Monsieur, un bourgeois de Maillane. En 1820, sous la Restauration, le tens est fixe a trois cent francs d’impot direct (il y a quatre-vingt-dix mille Clecteurs), mais pour &tre eligible il faut payer plus de mille francs. A partir de 1830, le tens pour &tre Clecteur est a deux cent francs et il faut payer cinq cent francs pour etre Clu (au total il y a cent soixante-six mille Clecteurs). Par exemple la noblesse arlesienne qui joue un role encore tres actif sous la Restauration Cpuise ses ressources en maintenant une demographic tres forte et en partageant son patrimoine a chaque heritage. Des le Second Empire, son poids specifique dans la vie sociale et politique arlesienne est considerablement diminue. Cf. Daniele Begot, ‘La Camargue dans la premiere moitie du XIXeme siecle’, these de troisieme cycle, polycopiee, Aix-en-Provence, 1977. Cf. Paul Allard, ‘Fortunes et classes sociales Arles au XIX&me siecle’, these de troisieme cycle, polycopiee, Aix-en-Provence, 1978. Les sociologues ont essay6 de repondre a ces questions. Par exemple Daniel Boy, ‘Origine sociale et comportement politique’, Revue Franqaise de Sociologic, janvier-mars 1978, montre qu’il existe souvent une relation entre milieu d’origine et conviction politique. Ce resultat n’est Cvidemment pas transposable dans le passe mais il incite a la prudence et notamment il remet en cause le schema couramment admis qui veut que les nouveaux Venus dans une classe, les parvenus, adoptent d’emblee les positions les plus conservatrices et loin de constituer une ouverture contribuent au contraire a la rendre impermeable aux influences exterieures.