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PROVINCE DE LUXEMBOURG RéseauLux Les Assises Du lire au livre Marche-en-Famenne 4 octobre 2011 Les actes

Les Assises du Livre

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Assises du 04/11/2011

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PROVINCE DE LUXEMBOURG

RéseauLux

Les AssisesDu lire au livre

Marche-en-Famenne

4 octobre 2011

Les actes

Les photographies sont de Christian DEBLANC (SDAC)

Avant-lire

Luxembourg 2007, capitale culturelle de l’Europe.Chacun s’en souvient, et personne n’a oublié la contri-bution de la Belle Province, à Athus, où un villageéphémère de culture intense a été dressé en juin de laditeannée, tout bâti de conteneurs. Plus de 300 artistes,toutes disciplines confondues, s’y étaient mis à l’oeuvrepour le régal du public : du photographe au peintre, ducomédien au chanteur, du poète au musicien... On leverra par la suite sur le terrain, si le Mai’li Mai’loculturel, organisé en 2010 et 2011 aux Musées duFourneau Saint-Michel, a éclos des coeurs de la GrappeCulture, c’est un peu dans l’esprit du PEC de 2007...

Né dès 2000, le concept de Luxembourg 2010 estdepuis lors devenu Réseaulux, sous la présidence duGouverneur, Bernard Caprasse. C’est de ce concept,résolument tourné vers l’avenir et le développementprovincial, qu’a surgi le Mai’li Mai’lo qui allait lui-même enfanter plusieurs grappes – en particulier la GrappeCulture –, regroupements de services, d’associations, depersonnes qui souhaitaient évoluer dans la directionvoulue par chacune de ces grappes.

La présidence de la Grappe Culture revint,logiquement, à Philippe Greisch, Député provincial encharge de la Culture. Il en sera un moteur parfaitementrodé.

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Les objectifs? D’abord établir un état des lieux complet,tous secteurs culturels confondus. Ce fut initié à Redu, avectoutes les communes luxembourgeoises qui avaient acceptéle principe, concrétisé à Arlon, comme on le lira plus loin.Un site internet a vu le jour rapidement, avec, pour chaquecommune, les liens vers le théâtre, les artistes, les créateurs,les services et institutions ou associations à caractèreculturel. Culturelux.be s’est, quelque temps après sacréation, intégré à au-fait.be, l’agenda culturel luxembour-geois par excellence.

Après les États généraux de la Culture, à Arlon en2009, ceux du théâtre amateur et semi-professionnel en2010, quoi de plus naturel, en 2011, que de se tournervers le livre, pour lequel l’évolution numérique posequestion, tout comme l’apprentissage de la lecture, dubien lire... Le présent livret donne à son lecteur unaperçu des échanges qui ont eu lieu sur le site communau Centre culturel de Marche et à la Bibliothèqueprovinciale qui abrite aussi le Service du LivreLuxembourgeois. Bien ancrées dans son concept, lesAssises Du lire au livre ont bénéficié d’une aidebudgétaire de Réseaulux.

Chacun pourra suivre les interventions desparticipants, sous deux formes : le livre et la vidéo qui enest le complément. Il n’a pas été possible, cela va de soi,de rendre tous les dialogues tenus dans chacun desateliers. Les modérateurs vous proposent cependant unesynthèse élaborée par les secrétaires qui ont mis leurcompétence au service de tous.

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Six thèmes porteurs sont dès lors évoqués : lapromotion du livre, l’édition et la diffusion du livre,l’apprentissage de la lecture et ses difficultés, aimer lire,la création littéraire et, enfin, après le papier...

Que tous les témoins qui ont animé ces ateliers, ontapporté leur savoir et leur expérience, soient iciremerciés. Sans oublier les 260 personnes qui sontvenues des quatre coins de notre province (et d’ailleursaussi, soulignons-le), ni tous ceux qui, de près ou de loin,ont contribué à la réussite de nos Assises. Nous disonsun merci tout spécial à Marc Quaghebeur qui, au piedlevé, a remplacé – sur le thème prévu s’il vous plaît! – unorateur désisté la veille, mais a aussi donné unedimension très vaste à ces Assises, en rappelant quetoutes les francophonies du monde devraient pour lemoins avoir des relations culturelles, littéraires enparticulier. Une ouverture que les participants n’ont pasmanqué de relever. Un nouveau défi qui commence àhabiter certains esprits...

Jean-Luc GEOFFROYPour la Grappe Culture

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Accueil par M. Bernard CAPRASSE,Gouverneur de la Province de Luxembourg

Je suis heureux d’être parmi vous ce matin. Je tiensune fois de plus à rendre hommage à Philippe Greischqui, comme Responsable de la Grappe Culture dans« Luxembourg 2010 » et dans « Réseaulux» ensuite,accomplit depuis quelques années un travail remarquable.

Cet éloge s’adresse aussi à ses équipes, et singu-lièrement aux fonctionnaires provinciaux. Sans l’inter-vention de la Province, la vie culturelle luxembourgeoiseserait très difficile.

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Le bilan de la Grappe culture est impressionnant : lesite internet Culturelux, le Colloque Culture àTransinne, puis le Colloque Printemps culturel, et lesEtats Généraux du Théâtre en sont de bons exemples. Ily a aussi Mai’li-Mai’lo, formidable projet, remarquablesuccès ! Près de 5.000 personnes ont déambulé dans lesallées du Fourneau Saint-Michel pour apprécier lesdifférents spectacles d’acteurs, d’artistes fédérés parl’initiative. Le colloque de ce jour s’inscrit dans la mêmeperspective.

Luxembourg 2010! Réseaulux! La force des réseaux!Travailler ensemble de manière transversale, en préférantla coopération à la compétition! Cela stimule l’intelligenceet l’innovation!

Les luxembourgeois l’ont compris ! Ils sont plus decinq cents à travailler de la sorte de manière permanenteen un vaste réseau qui maille le territoire.

Le thème de ce jour vient à son heure.

Lecture ! Chère lecture ! Je te dois sans doute une partimportante de ce que je suis. Adolescent, en effet, tu fusma seule compagne lors de ces longues soirées passéesdans ma chambre au Collège dont je ne revenais chezmoi qu’une fois toutes les trois semaines. J’ai dévoré descentaines de livres. Ils ont, j’en suis convaincu, déposé enmoi un terreau qui a tout au long des années fertilisémon imagination, structuré ma pensée.

Cette passion, nombreux sont ceux de ma générationqui, pour des raisons similaires, – l’absence d’autres

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loisirs les résume – la partagent ! Il convient de latransmettre aux nouvelles générations ! Mais au faitlisent-elles moins ? On le dit. Pour ma part, je ne suis paspessimiste. Elles lisent sans doute autrement. Ainsi, ellessont familières des supports électroniques. Ordinateurs,« iPod», « iPhone», « iPad», liseuses « Kindle» et autressont leurs quotidiens ou le deviendront inéluctablement.

À nous de nous adapter à la modernité afin deconseiller, d’orienter les jeunes qui la côtoie naturel-lement. Les nouvelles technologies ouvrent de nouvelleset phénoménales perspectives. Il convient cependant dedévelopper l’esprit critique à l’égard des contenusqu’elles véhiculent ! Telle doit être notre mission vis-à-visde la jeunesse. Je ne crois pas cependant que l’éditiontraditionnelle soit pour autant condamnée.

Ainsi, de mon côté, je ne me départirai pas du contactcharnel avec le livre. J’aime le toucher, le renifler, j’adorelorsque le dos craque, lorsque les pages sont sous mesdoigts.

J’accepterai cependant que ce plaisir soit plus rare. Ilsera plus choisi qu’avant. Nombre de livres utilitairespourront trouver place dans la liseuse électronique queje me propose d’acquérir ! Mais dès aujourd’hui, j’accèdechaque jour aux encyclopédies et bibliothèquesvirtuelles.

Ces mutations renouvellent aussi le questionnementclassique sur l’accès à la culture et singulièrement à lalecture.

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Comment éviter à nouveau l’exclusion devant lescoûts de ces nouveautés ? Quel est le point de vue deséditeurs, des libraires, des auteurs ?

Voici brièvement énumérées quelques considérationsen guise d’introduction à cette journée dont je sais déjàqu’elle sera féconde.

Bernard CAPRASSE,Gouverneur de la province de Luxembourg

Président de Réseaulux

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Introduction par M. Philippe GREISCH,Député provincial en charge de la Culture

Monsieur le Gouverneur,Chers collègues,Madame la Directrice générale,Mesdames et Messieurs les écrivains, éditeurs, libraires,enseignants, bibliothécaires,Mesdames et Messieurs, en vos titres et qualités,

Permettez-moi de commencer mon allocution par lalecture d’un texte de Jérôme PEIGNOT, poète etessayiste. « On n’y songe jamais assez mais lire est un prodige. Il faut s’adonner, s’abandonner à la lecture. Il faut se livrer à

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elle comme aux plus grands transports…Et allez alors, allons-y ! Un, deux, trois : c’est parti ! Nos yeux dévorent les phrases. Nous sommes comme unsouffle : nous attisons la fournaise des mots. Lire, c’est avancer, basculer d’un mot dans l’autre, bouler surles lignes, faire la roue. Lire vous gonfle d’une stupeur maîtrisée, du vertige de seretrouver au bout de soi, sauvé. Lire, c’est étouffer, demander grâce, une trêve, parce que c’esttrop beau.»

Mais pour en arriver là, vous en conviendrez, il fautavoir eu le bonheur d’apprendre à lire, d’abord pour sasurvie, ensuite, pour le plaisir que la lecture procure.

Je suis particulièrement comblé de vous voir sinombreux à Marche-en-Famenne, aujourd’hui, dans cemerveilleux complexe qui regroupe la Maison de laCulture Famenne-Ardenne, le Centre sportif de la Ville deMarche, le Service provincial du Livre luxembourgeois,ainsi que les Bibliothèques et Ludothèques provinciales(dont la très dynamique section locale).

Pareille proximité encourage bien entendu leséchanges structurés tels que préconisés par RéseauLux(anciennement Luxembourg 2010).

Comme l’a rappelé Monsieur le Gouverneur,RéseauLux constitue plus que jamais un ambitieuxprojet, aux regards multiples, pour notre province ; unprojet qui s’inscrit délibérément dans la transversalité, lacréativité et la modernité, dans le respect de la réalité denotre contrée rurale.

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C’est en 2007 que la Grappe Culture a vu le jour ausein de Luxembourg 2010, dans la foulée de Luxembourget Grande Région, capitale européenne de la culture.

Quelques dates :

- le 21 octobre 2008, nous avons réuni lesmandataires des 44 Communes à l’Eurospace Center deRedu (une trentaine de communes étaient présentes), envue d’échanger et de débattre des problématiquesculturelles globales telles qu’elles se posent en provincede Luxembourg.

- le 17 mars 2009, un superbe symposium intitulé« Colloque du Printemps culturel» a été organisé à laMaison de la Culture d’Arlon. Dans la foulée d’uneconférence captivante du Professeur Michel QUÉVIT, sesont tenus six ateliers, destinés à préciser les grandsenjeux culturels du moment et à creuser des pistesd’actions concrètes sur le terrain provincial.

- la même année, le 7 novembre 2009 (toujours à laMaison de la Culture d’Arlon), nous avons organisé« Les États généraux du théâtre en province deLuxembourg». Nous sommes allés à la rencontre dumilieu artistique contemporain et avons entendu quatreintervenants en séance plénière : ChristineGUILLAUME, Directrice générale de la Communautéfrançaise, Katty MASCIARELLI, Directrice d’un Centrede Théâtre-Action, Jacques DEDECKER, Secrétaireperpétuel de l’Académie royale de langue et littératurefrançaise et Bernard BEUVELOT, metteur en scène. Lesateliers de l’après-midi étaient centrés sur la création en

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région, la production et la diffusion, ainsi que sur lebinôme théâtre et société.

Il me plaît de souligner qu’un des résultats tangiblesdes échanges évoqués s’est traduit dans l’établissementd’une cartographie détaillée des structures culturelles(centres culturels, musées, bibliothèques...) desCommunes de la province de Luxembourg. C’est unoutil pratique, né de notre volonté de favoriser lacommunication et l’information au bénéfice de tous lescitoyens. Intégré au site www.au-fait.be, l’agendaculturel numérique est piloté par les soins du Service dela Diffusion et de l’Animation Culturelle.

Le colloque de ce jour intitulé «Les Assises du Lire auLivre : quels enjeux pour l’avenir de notre société» se placeen droite ligne des manifestations précédentes et vient lesenrichir. Durant cette journée, nous allons en effet lier sousdes angles multiples les questions de l’accès de tous aulivre et à la lecture : lire pour le plaisir, pour découvrir,comprendre, évoluer, se déterminer, se libérer, s’intégrer …C’est une belle occasion pour nous arrêter sur un secteurdans l’ensemble encore trop discret quant à sa placeessentielle dans notre société.

À ce sujet, je pense pouvoir souligner, Madame laDirectrice générale, que le Décret du 30 avril 2009 relatifau développement des pratiques de lecture organisé parle réseau public de la lecture et les bibliothèquespubliques et qui est axé sur la construction d’un projetadapté à la réalité du territoire, rencontre au mieux lespréoccupations de la Grappe Culture de RéseauLux.

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Notre volonté est aussi d’insister sur l’importanceque revêt la lecture littéraire. La littérature est un moyende comprendre le monde, mais aussi de nous connaître,de construire notre identité. Permettez-moi de fairemienne la réflexion de Danielle SALLENAVE à cepropos : lorsque manque l’expérience de la fiction littéraire,de l’univers romanesque, il manque à « la vie» d’être une « vieavec la pensée, une vie réfléchie, une vie examinée »(Le Dondes Morts, Gallimard, 1991). À méditer ! chers amisenseignants et étudiants. Il nous apparaît, en effet,capital de satisfaire le goût du romanesque des jeunes etde les encourager à exercer leur imaginaire à partir desmots.

Accéder aux textes, à la littérature, suppose aupréalable, bien évidemment, l’acquisition de la compé-tence de lecture. Quelles méthodes d’apprentissage de lalecture choisir? Quelles stratégies d’incitation à lire?Maîtriser la lecture n’est pas chose aisée, ni pour l’enfanten âge d’école primaire, ni pour l’adulte en réinsertion(aux cours de FLE ou d’alpha).

Nous avons fait le choix de favoriser l’intégrationdans nos institutions culturelles (et spécialement dansnos bibliothèques) des personnes éloignées de la lecturequi souhaitent commencer ou recommencer unprocessus d’alphabétisation, ainsi que des populationsétrangères très souvent avides d’apprendre le français.La province de Luxembourg soutient les initiatives deLire et Écrire et du Miroir Vagabond.

Enfin, comment éviter d’aborder dans nos ateliers laquestion de l’évolution de la lecture dans un environ-

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nement qui devient chaque jour davantage numérique.Les activités de lecture sont-elles en voie de devenir pluscomplexes en raison de la transformation des outilstechnologiques et de la diversification des supports? Ilnous appartient aussi de nous pencher sur les enjeux deces changements et de considérer dans quelle mesure ilsoffrent la possibilité d’acquérir de nouvelles expériencesde lecture.

Car, Mesdames et Messieurs, il nous faut bienreconnaître que le livre est en pleine révolution, enpleine mutation. Avec l’internet qui bouleverse tout ; quibouleverse à la fois son écriture, sa fabrication, soncommerce et son usage.

Le livre ne se fait plus, ne se distribue plus, ne sevend plus comme avant. Le livre va même plus loin : ilse dématérialise, il disparaît. Ne reste plus que sonessence, que le message. Qui circule presque à la vitessede la lumière.

Dès lors, tous les professionnels du livre ont àreconsidérer leur métier ; à s’adapter à ces changementsprofonds.

Cette journée devrait, nous l’espérons, leur permettrede se rencontrer, de discuter, de se réinventer… De fairecause commune !

Et l’occasion est belle aussi pour les acteurs de cequ’on appelle la lecture publique de repenser leur rôle ;de reconsidérer l’acte de lire, ce que George STEINERappelle « une lecture bien faite». Je cite :

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« Quelles sont les modalités du rendez-vous entre chacunde nous et (…)ce que nous appelons, au seuil de l’èreélectronique et à la fin de l’âge de Gutenberg, un livre ; ou,pour employer le jargon actuel, un texte, un événement detextualité?». Qu’est-ce que lire? Qu’est-ce que faire lire?Qu’est-ce donc qu’une lecture bien faite?

Il me reste à remercier chaleureusement lesintervenants référents dont les propos ne manquerontpas de nourrir, bien mieux que je n’ai tenté de le faire,les réflexions qui vont être soulevées dans les différentsateliers :

Madame Christine GUILLAUME, Directrice généralede la Culture au Ministère de la Communauté française;

Monsieur Marc QUAGHEBEUR, écrivain, poète,critique et essayiste, Directeur des Archives et Musée dela littérature (Bruxelles) ;

Malheureusement, pas Monsieur Vincent ENGEL,écrivain, critique et essayiste, Professeur de littératurecontemporaine à l’U.C.L., qui nous a informés, hier après-midi, qu’il ne pourrait être présent. Nous en sommesvraiment désolés.

Merci à tous les acteurs présents à ce Colloque (etplus spécialement aux nombreux témoins qui animerontles ateliers)

Merci à Jean-Pierre PIRSON qui a accepté d’animerla journée avec le dynamisme qu’on lui connaît.

Je salue bien entendu les interventions pleinesd’esprit de la Compagnie Alvéole et du Grand Asile.

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Je remercie également RéseauLux, les membres de laGrappe Culture et la Maison de la Culture Famenne-Ardenne dirigée par Hubert FIASSE, qui a mis cet espaceà notre disposition.

Merci aussi au personnel du Service du Livreluxembourgeois et des Bibliothèques et Ludothèquesprovinciales.

Pour terminer et avant d’écouter MadameGUILLAUME, je ne résiste pas à la tentation de citerVictor HUGO : « Qui que vous soyez qui voulez cultiver,vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livrespartout».

Je vous souhaite à toutes et tous une excellentejournée.

Texte de Victor HUGO :

À qui la faute?

Tu viens d’incendier la Bibliothèque?

— Oui.J’ai mis le feu là.— Mais c’est un crime inouï !Crime commis par toi contre toi-même, infâme !Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !Ce que ta rage impie et folle ose brûler,C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage

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Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.Une bibliothèque est un acte de foiDes générations ténébreuses encoreQui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,Dans ce qui commença pour ne jamais finir,Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,Dans le divin monceau des Eschyles terribles,Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,Tu jettes, misérable, une torche enflammée!De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !As-tu donc oublié que ton libérateur,C’est le livre? Le livre est là sur la hauteur ;Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine,Il détruit l’échafaud, la guerre, la famineIl parle, plus d’esclave et plus de paria.Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou CorneilleL’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloîtreÀ mesure qu’il plonge en ton cœur plus avant,Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre,Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,

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Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !Car la science en l’homme arrive la première.Puis vient la liberté. Toute cette lumière,C’est à toi comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.Le livre en ta pensée entre, il défait en elleLes liens que l’erreur à la vérité mêle,Car toute conscience est un nœud gordien.Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,Le progrès, la raison dissipant tout délire.Et tu détruis cela, toi !

— Je ne sais pas lire.

Victor Hugo.

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Allocution de Madame Christine GUILLAUME,Directrice générale de la CultureFédération Wallonie-Bruxelles

Monsieur le Gouverneur,Monsieur le Député provincial,Mesdames, Messieurs, en vos titres et qualités,

Je remercie la Province de Luxembourg d’avoir bienvoulu aujourd’hui m’inviter à prendre la parole àl’occasion de votre journée de réflexion du Lire au livre,quels enjeux pour la société de demain.

Nous vivons aujourd’hui une époque excitante où lesacquis culturels passés vivent des changementsfondamentaux par l’évolution des techniques, desprocessus de communication, et où l’évaluation despolitiques passées et la diversification des acteurs nousamènent à revoir notre action.

Les valeurs et les enjeux pourtant n’ont pas changé.

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En effet, il s’agit toujours de veiller à former etéduquer tout au long de la vie : l’école en est un desrelais essentiels.

Il s’agit toujours de développer au maximum laconscience citoyenne des personnes et des groupes en lesaidant à prendre part aux enjeux de société , à s’impliquerdans la vie sociale et culturelle, à susciter l’expression et lacréation, à favoriser la conservation des patrimoines;l’accès à la culture pour tous reste bien une des prioritésque les gouvernements ont poursuivis les uns après lesautres et plus près de nous, la Ministre Fadila Laanan.

Dans tous les secteurs de la vie culturelle, des effortsont été déployés depuis 40 ans, pour professionnaliserles opérateurs, leur offrir des législations de plus en plusabouties et spécifiques.

La politique culturelle s’est ainsi construiteprogressivement afin de rendre compte de l’éclosion denouveaux enjeux, du dynamisme des opérateursculturels, du talent de ses créateurs.

Il n’est pas inutile de rappeler, qu’à de raresexceptions, les politiques culturelles menées enFédération Wallonie-Bruxelles depuis 40 ans ont étémises en œuvre pour répondre à des demandes duterrain. Elles ont rarement été le fait de plans prédéfinis,destinés à traduire à travers une politique volontaristedes enjeux identifiés au niveau des gouvernements.

Depuis quelques années, nous sommes confrontés,comme je le disais au départ, à une série d’enjeux etd’évolutions qui bousculent nos pratiques et nousforcent à repenser nos modèles…

Celui des secteurs d’activités tout d’abord et durapport au territoire

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De plus en plus, nous sommes témoins d’initiativesprises par des opérateurs qui ne se contentent plusd’aborder un projet par un seul axe, celui d’unediscipline, celui d’une forme d’action culturelle.

De plus en plus, les artistes, les opérateurs mélangentles pratiques, croisent les publics, mettent à mal lesbonnes vieilles catégories d’activités sur lesquellesétaient fondées les législations et la structure del’administration de la culture ; les interlocuteurs sontmultiples, les actions sont transversales.

Plus que jamais, le décloisonnement est à l’ordre dujour et il n’est plus de projet qui ne se métisse et quin’allie les genres et les formes, les publics de certainesinstitutions avec celles des autres, quand c’est toutsimplement le croisement de logiques régionales avecdes logiques transfrontalières et internationales qui sontélaborées et défendues.

Même si cette évolution est quelque peudéstabilisante car elle dispose encore de peu de balises,j’y vois cependant un souffle d’énergie puissante, quipousse à dépasser les carcans et force, à l’heure ou tantd’acteurs de terrains existent , dépendant de différentsniveaux de pouvoir, à tenter d’aborder les publics, lesprofessionnels et les opérateurs dans une perspective dedéveloppement plus global.

Il ne s’agit pour aucun, de perdre son identité, ni denier sa spécificité. Il est par contre question de donner unsens plus fort à une action qui est menée, parce qu’elleest fondée sur des collaborations, des complémentaritéset des partenariats en tout genre, qui optimalisent lesprojets, les harmonisent et leur donnent une plus grandepertinence. Elles obligent par ailleurs, et j’y vois un bon

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signe, les administrations à se parler davantage pourmaximaliser leurs interventions.

En effet, au-delà de la perspective de l’offre culturellequi a longtemps nourri les politiques publiques, il estnécessaire d’aborder la question des droits culturels despopulations et de structurer, un temps soit peu, nosinterventions, pour une répartition des moyens et desressources, mieux équilibrée et adaptée.

Tel est le chantier que nous avons abordé dans le cadredu projet des Assises du développement culturelterritorial, aux fins d’élaborer, arrondissement pararrondissement, un diagnostic partagé des ressourcesculturelles, en collaboration avec les acteurs locaux, qu’ils’agisse des pouvoirs publics ou des opérateurs culturels.L’objectif est bien de croiser, par une approche transversale,toutes les données qui permettent de rendre compte desservices et de l’offre culturelle proposés afin d’établir unplan de développement culturel concerté, tant avec lespouvoirs publics qu’avec les opérateurs impliqués par untel projet.

Trois axes sont envisagés dans le travail entrepris.La gouvernance, c’est-à-dire le croisement des

politiques menées aux différents niveaux, quelle concer-tation, quelles économies d’échelles, quels partenariats…

Le développement territorial : quelles sont les réalitésde terrain, quelles sont les ressources locales en termed’aménagement, de mobilité des publics, d’affectationdes espaces, quels sont les équipements etc.

Le développement culturel : quels sont les organi-sations et les structures culturelles qui produisent del’offre et quelle offre? que manque- t- il?

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Ces assises ont commencé à Bruxelles en ce débutd’année…elles se sont poursuivies par l’arrondissement deNamur en juin et celui de Thuin au mois de septembre.

Elles se poursuivront le 15 décembre dans laprovince de Luxembourg, en principe, à Libramont….Je vous invite tous à y être présents.

Alors, pourquoi ce long préambule pour en arriverau sujet de ce jour…

Parce que sur le territoire, sur un territoire à définir,tous les opérateurs qui disposent d’un lieu, tous ceuxdont l’action vise la population, ont un rôle à jouer, dansla nouvelle dynamique culturelle qui s’installe.

On le sait à présent, le nouveau décret du 30 avril2009 sur la pratique de la lecture, s’inscrit d’ores et déjàdans ces logiques transversales.

En attendant l’arrêté d’application de ce décret qui a étévoté en juillet, les plans pluriannuels de développement dela lecture ont préparé, depuis 3 ans, les bibliothécaires àcette nouvelle dynamique, les ont amenés à se former et àapprocher sous un angle nouveau leur métier de base, avecdes hauts et des bas…un métier à revoir mais un projetpassionnant à partager.

Martine Garsou, DGA des livres et lettres a témoignélors de la journée de formation et de débat à la Marlagne,il y a quinze jours de l’impact transversal de cette politique

Celle-ci fut un succès par le nombre de projetsrentrés :En 2008 : 49 projets introduits, 26 retenus.En 2009 : 62 projets introduits, 34 retenus.En 2010 : 27 projets introduits, 19 retenus.

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Au total : 138 projets introduits, 79 projets soutenus.

Par la variété des thématiques proposées

On a ainsi pu constater que les grands axesdéveloppés par ces projets sont liés à :- l’éducation permanente via un travail, par exemple,

sur la citoyenneté, sur l’expression, les témoignagesau travers notamment d’ateliers d’écriture, ou encoresur le développement de l’esprit critique.

- la réduction de la fracture numérique, en menant desactions diversifiées dans les EPN à destination dedifférents publics (jeunes, seniors, …), en organisant desinitiations et des formations aux nouvelles technologies,ou encore en travaillant avec le public de l’insertionsocio-professionnelle.

- l’apprentissage du français, notamment grâce à despartenariats avec des organismes d’alphabétisation.

- l’approche différenciée de publics spécifiques : petiteenfance, ados, aînés, habitants de certains quartiersou communauté d’origine étrangère, personnes àmobilité réduite, …

- la promotion du livre et de la lecture via desprogrammes d’animation dont les objectifs sont aucentre des plans de développement.

Environ 29 % des projets pluriannuels sélectionnésont proposé un programme d’actions permettant auréseau local de lecture de présenter et d’organiserl’ensemble de son action de manière cohérente etstructurée sur 3 ans. Certains portent une attentionparticulière à des publics spécifiques, par exemple àl’enfance et à la petite-enfance.

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25 % ont visé de nouveaux publics non atteints par leréseau local tels que les personnes retraitées, lapopulation de quartiers peu desservis, les adolescents,les petits enfants et leurs encadrants (ONE, crèches,gardiennes, institutrices maternelles), les personnes àmobilité réduite, …

20 % ont cherché à atteindre la population en mettantl’accent sur de nouveaux objets comme la bande dessinée,un fonds documentaire sur l’histoire locale, ou l’échangeentre les citoyens via la collecte inter-communautés etintergénérationnelle d’éléments de leur culture orale, ou enmettant l’accent sur de nouveaux services tels que parexemple un point emploi, un service écrivain-public, unservice d’accompagnement individualisé à la recherchedocumentaire, ….

16 % ont visé la création et le fonctionnement d’unespace public numérique.

9 % ont mené des actions à destination de publics peualphabétisés en français ou illettrés.

Les types de partenariat qui ont été développés sontégalement intéressants à analyser:

La plupart des projets ont inscrit dans l’organisationde leur action des partenariats avec d’autres associationset institutions : synergies avec la vie associative – jeuneset adultes : 33 % , avec les secteurs artistiques, les centresculturels : 18 % , avec les CPAS, les divers programmesd’action visant la formation continuée, l’insertionsociale : 31 % , avec le milieu scolaire : 11 % , avec lesautres opérateurs du Réseau public de lecture : 5 %.

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Toutes les provinces ou régions ont été représentéeset 423.800 € ont été affectés aux 26 projets sélectionnés en2008.

540.370 € affectés aux 34 projets retenus en 2009,299.435 € affectés aux 19 projets sélectionnés en 2010.

Soit au total : 1.263.605 € affectés aux 79 projets.

On le constate donc, les bibliothèques et lesbibliothécaires sont et seront amenés à jouer un rôle deplus en plus transversal dans le développement de lalecture, à l’échelle d’un territoire et de ses différentsacteurs, qu’ils soient ou non culturels et éducatifs.

À côté des bibliothèques, les librairies jouent un rôleaussi essentiel sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la labellisation d’un certain nombre d’entreelles, tel que nous l’avons initié depuis trois ans, participeà cette volonté de renforcer celles qui poursuivent l’objectifd’une diversité de l’offre, d’une présence substantielled’auteurs de la Fédération Wallonie –Bruxelles, del’accessibilité, de présence d’outils de recherche bibliographiques et de formation permanente.

Nous comptons actuellement 59 librairies labelliséesdont 6 dans la Province de Luxembourg et une ici àMarche : l’Odyssée.

Les aides qui leur sont octroyées portent tant sur desanimations, en présence ou non des auteurs, des prêtssans intérêt que sur des propositions de formation.

Si le développement culturel territorial est un destout grands enjeux de cette décennie, l’impact desnouvelles technologies sur tous les métiers de la chainedu livre sont et seront également déterminants dans la

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manière d’aborder nos objectifs de formation à la lecture,de promotion des auteurs et de démocratisation de laculture.

L’impact au niveau du marché du livre, s’il estmoindre que celui vécu dans le domaine du cd et du dvdse traduit malgré tout par une diminution, en eurosconstants par rapport à 2010.

En cause :- le recul parmi les acheteurs de livres, de la part des

« grands lecteurs» (ceux qui achètent plus de 20ouvrages par an) ;

- la concurrence, particulièrement auprès des jeunes,des nouvelles formes de loisirs

- la disponibilité croissante de contenus gratuits surinternet

En tout état de cause, année après année, les ménagesconsacrent une part toujours moins importante de leurrevenu à l’achat de livres.

C’est pourquoi, il est essentiel de revoir nos stratégiescar si on lit moins de livres, on n’en lit globalement pasmoins notamment par le biais de tous les nouveauxoutils de communication et nos efforts doivent portersur tous les secteurs où la lecture est un supportindéniable de la communication, de la connaissance, del’expression et du partage d’expériences. Ils conduiront,nous l’espérons, les publics, à s’ouvrir, par ce biais, auxrichesses de notre production littéraire, et à la diversitédes ressources éditoriales, au patrimoine qui constituenotre histoire.

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En 2010, le livre numérique a connu undéveloppement considérable et la Fédération Wallonie –Bruxelles a marqué son intérêt pour cette nouvelleorientation des métiers de la chaine du livre enorganisant plusieurs rencontres et journées dunumérique.

Face à ce phénomène, les librairies, les bibliothèques,les éditeurs sont amenés à revoir totalement leurstratégie et notre politique de soutien doit êtredavantage orientée vers des aides à la numérisation et unsoutien structurel à leur redéploiement.

Pour faire face à ces différents enjeux, un pland’action pour le développement numérique de la chainedu livre en Fédération Wallonie - Bruxelles a été créé ausein de l’administration, créant une plate-forme deconcertation aux fins d’aborder, avec les différentsacteurs de la chaine du livre, les défis du numérique.

Mesdames, Messieurs, des perspectives nouvelless’annoncent pour tous les acteurs culturels, reflets à lafois de l’évolution des métiers, des pratiques et dupaysage culturel ; l’avenir que nous sommes peut-êtreincapables d’imaginer se construit chaque jour.

Pour y faire face et l’accompagner dans sonémergence, il nous faudra plus que jamais continuerd’affirmer les valeurs qui sont les nôtres, qui sont cellesde l’émancipation des hommes et des femmes, leurépanouissement personnel, intellectuel et affectif dansune société démocratique, diversifiée et solidaire.

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Pour cela l’exercice des droits à la culture, danstoutes ses dimensions, toutes sa diversité, toute sarichesse devra être garanti et protégé.

C’est ce à quoi toute politique de soutien à la lecturedoit et devra contribuer.

Je vous souhaite une bonne journée de réflexion etd’échanges.

Je vous remercie

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Allocutions de Marc QUAGHEBEUR,Directeur des Archives et Musée de la Littérature

L’édition littéraire. Indéfiniment dans les interstices dumonopole parisien ?

La question qui nous rassemble est en fait celle desFrancophonies. Il s’agit à mon sens, de la véritableproblématique d’avenir de notre langue – et donc enpartie de notre destin, ici même. Répondre à ce défipostule que nous nous prenions enfin en main nous-mêmes, sans nous en remettre à un Grand Autre.

Qu’il n’y ait rien à attendre de l’actuel locataire del’Élysée dont les propos sur La Princesse de Clèves vontbien plus loin que l’anecdote qui dopa les ventes du chef-d’œuvre de madame de La Fayette – il s’agit par ailleursd’un changement dans la tradition française qui atoujours lié pouvoir et littérature – est secondaire parrapport aux enjeux de l’aujourd’hui. L’avenir dufrançais, dont nombre de nos ancêtres sont les enfants etles inventeurs depuis aussi longtemps que les Français,

passe par l’espérance et la volonté de voir un jour noscousins français accepter de devenir francophones. C’est-à-dire d’être eux aussi des enfants des Francophonies.

Il est d’ailleurs frappant de constater qu’à l’intérieurdu territoire de la République – ce qui est logique en unsens mais en dit long sur ce qu’il faut bien appelerl’idéologie de la langue –, les œuvres littéraires issuesdes Antilles font partie des littératures francophones, etnon de la littérature française. C’est que leurs assisessont autres, tout en participant au système et aux valeursde la République. C’est que l’universel dans lequel s’estproférée la littérature de la France est un universelabstrait – tout sauf foncièrement pluriel.

Nous sommes en fait, et depuis très longtemps – etpour des raisons à l’égard desquelles il n’y a pas à porterde jugement moral rétroactif –, devant des faitshistoriques singuliers, liés à une construction nationalequ’il s’agit d’analyser et de dépasser. Car ces réalitéshistoriques sont devenues des essences – ce qui finit parengendrer une immobilité périlleuse. Lorsqu’en sus, cesmythologènes ne correspondent plus du tout au réel,l’affaire devient encore plus problématique. Ellenécessite donc des alternatives. Et d’autant plus quel’emprise de ces façons de dire et de concevoir lesterritoires et les modalités de la langue française pèsetoujours à l’égal du passé. Au beau temps de mes étudesde philologie romane, à la fin des années 1960, nosvénérés maîtres, André Gosse entre autres, nousapprenaient que Lorrains, Wallons ou Picards faisaientpartie d’une aire latérale (de la France) alors que c’est ennos terres que se sont retrouvés certains des plus anciens

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monuments de la langue ; et que c’est au cœur de notremémoire linguistique que se sont conservés certainsvocables que nos cousins ont abandonnés.

En quoi constituerions-nous une aire latérale sinonparce que nous acceptons et intériorisons, même enterme de linguistique, un schéma de type théologique,qui n’est plus de saison ni de raison. Ce schéma est lefruit d’une autre Histoire que la nôtre mais constitueaussi le cheval de Troie d’une hégémonie. Cette façon depenser et d’organiser procède en effet, directement, de lafaçon dont s’est faite l’unification française – momenthistorique important, au demeurant, de l’Histoire del’Europe. Tout sauf naturel, ce processus d’unification estune construction politique, longue et lente (sous LouisXVIII, la moitié des départements français ne parlaittoujours pas français). Cette forme de constructionhistorique, qui a choisi de se réaliser à travers la centra-lisation la plus poussée du monde, a donc privilégié l’Unet l’assimilationnisme plutôt que le pluriel. Les modèlesqui en procèdent et l’accompagnent ne sont donc pasforcément ceux qui conviennent aux réalités d’autresfrancophones, dont les nôtres.

Ce processus historique s’est en revanche produitdans un territoire qui rassemble, aujourd’hui encore, leplus grand nombre de locuteurs du français – ce quijoue, bien évidemment, sur les rapports de force àl’intérieur d’une langue. Tel n’est point le cas des autreslangues impériales européennes. Les Portugais sont 10millions (auxquels on peut sans doute ajouter un chiffreéquivalent d’immigrés – il en est un petit nombre dansle Grand-Duché voisin) alors que le Brésil approchera

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bientôt les 200 millions d’habitants. Si l’on comparel’Espagne et le Mexique, on va presque du simple audouble, à quoi s’ajoute tout le reste de l’Amérique latinenon lusophone. Les sujets européens de sa GracieuseMajesté sont dans une proportion d’un à quatre parrapport aux États-Unis, à quoi il faut au moins ajouterune partie du Canada, de l’Afrique du Sud, l’Australie etla Nouvelle Zélande, etc. Il s’agit donc bien d’unesituation historique, et non pas d’un inéluctable.

Comme il est logique, un tel rapport de force va de pairavec des dispositifs symboliques et organisationnels – etdonc éditoriaux – qui sont ceux dans lesquels nous vivons.Ces dispositifs symboliques comme ces schémasintellectuels ne cessent de se reproduire, parfois même làoù on pourrait s’attendre à ne point les retrouver. Le moded’approche de la littérature qui prédomine aujourd’huidans les universités francophones de Belgique(l’interprétation bourdieusienne), présente les littératuresfrançaise et francophones comme Centre et Périphéries. Ceconstat n’est pas faux si l’on examine le système éditorial etculturel de la langue française mais n’apporte que deséléments très partiels d’analyse des textes. Il induit en outre– et renforce à sa façon – une vision impériale de la langueet de la littérature, presque essentialiste, qui est précisémentce qu’il s’agit de modifier. Et précisément parce qu’ilrepose, pour une part, sur des bases discutables,aujourd’hui surannées. Un monde roman aussi ancien quele(s) nôtre(s) ne serait qu’une périphérie? Commentpourrait-il dès lors prendre en charge sa propre Histoire?

Si toutes les Francophonies constituent, aujourd’huiencore, des périphéries par rapport à un Centre unique

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– centre lui-même unique par rapport au territoire de laRépublique puisque le Centre n’est pas la France maisParis –, il va de soi que la réalité éditoriale actuelle desFrancophonies, comme leur avenir culturel, procèdetoujours, fondamentalement ou pour partie, de ceschéma et de cette situation que chacun a plus ou moinsintériorisés comme une évidence alors qu’ils ne vont pasde soi. La preuve de la singularité du schéma franco-francophone se retrouve non seulement dans lescomparaisons que j’ai effectuées avec d’autres languesimpériales mais aussi avec d’autres langues européennesimportantes. L’édition de langue allemande – etnonobstant le poids et l’emprise de la Républiquefédérale – se vit aussi à Bâle, à Zurich ou à Vienne. EnRépublique fédérale, elle ne se concentre pas sur les seulsBerlin ou Francfort. Même chose en Italie. On publie biensûr à Rome, mais plus encore à Milan. On publieégalement à Turin, à Palerme ou à Naples.

Nous Francophones dépendons toujours, en revanche,prioritairement de ce qui se fait et se voit reconnu à Paris.Quelles que soient l’intelligence et la culture de certains deses acteurs, le VI arrondissement de Paris ne sauraite

aujourd’hui, à lui seul, répondre aux défis du Monde. Ilaurait donc intérêt à entrer dans une dialectique, au seind’une même langue, avec d’autres pôles éditoriaux etsymboliques. Mieux vaudrait lire et relire, de temps à autre,le prologue, dans Les Chênes qu’on abat, du dialogue entreAndré Malraux et le général de Gaulle dans la retraite dela Boisserie.

Cette situation historique nous concerne d’autantplus directement que l’invention comme la situation

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éditoriale sont celles-là : et que l’une comme l’autresupposent, tant des échanges et des synergies trans-frontalières et transacadémiques que des capacitésd’autonomie. Les critères de prise en compte et depublications de textes qui s’écrivent aujourd’hui dans larégion tragique des Grands Lacs d’Afrique Centralepeuvent n’être pas exactement les mêmes que ceux quiprévalent à Bruxelles, Lausanne ou Paris.

Cette situation Centre-Périphéries, les Francophonesont continué de l’accepter, même après lesIndépendances. Celles-ci ont certes entraîné, y comprisen Belgique et en Suisse, une prise en compte, plus oumoins importante, du corpus de chaque pays. S’estnéanmoins maintenu, ou instauré, un rapport bilatéralentre chacune des Francophonies et Paris. Nous n’avonsdonc pas inventé de véritable circulation transversaleintrafrancophone, à l’heure des réseaux qui plus est. Celavaut pour l’Europe, comme pour le Maghreb, pourl’Afrique centrale ou les îles de l’Océan indien ; pour leCanada même. Dans la presse, à Rabat ou à Casablanca,vous trouverez des commentaires sur des livresmarocains publiés au Maroc à côté de ce qui concerne lalittérature française de France, mais rien sur ce qui sepasse en Algérie ou en Tunisie. Nous sommes loin defaire mieux, faut-il le dire. Que savons-nous, en lisant LaLibre Belgique, Le Soir ou l’un des quotidiens du groupeVers L’Avenir, de ce que les éditions Zoé publient parexemple à Genève ? Trouvez-vous cela normal,nécessaire et intelligent ?

Pourquoi, dès lors, en sommes-nous là ? L’affaire valoin, comme j’ai pu m’en rendre compte à maintes

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reprises. Même un livre comme celui de l’écrivain suisse,Étienne Barilier , consacré à un parcours planétaire des1

réflexions qui ont vu le jour après le 11 septembre (enEurope, en Amérique, dans le monde arabe et en Asie)n’a pas franchi les portes de bronze de nos œillères, endépit des efforts que j’avais déployés pour sa prise encompte. Or, ce livre est bien plus pensé que lesnombreuses approximations d’un Bernard-Henri Lévy,par exemple. En son temps, ce grand prêtre des lettresparisiennes que fut notre compatriote Alain Bosquetn’agissait pas différemment, lui qui annonçait à toutcandidat à la réception parisienne qu’il ferait tout pourqu’il n’y ait pas d’article sur son livre si celui-ci étaitédité en Belgique.

Ces façons d’être et de faire constituent aujourd’huiplus qu’une hypothèque. Elles obèrent la chance uniquequ’offre la pluralité des littératures francophones, unechance qui ne durera pas indéfiniment.

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Que s’est-il passé à partir des XIX et XX siècles ? Àe e

mes yeux en effet, il n’est pas de Francophonies au sensstrict avant la bataille de Waterloo, le Traité de Vienne etla construction des États-Nations européens qui vontplonger dans le carnaval noir de 1914-18. Et cela, mêmes’il existe, tout au long des siècles, des écrivains nonfrançais de langue française ou des vieux territoires, telle nôtre, dans lequel l’écriture en français est très

Étienne Barilier, Nous autres civilisations... : Amérique, Islam, Europe,1

Carouge-Genève, éditions Zoé, 2004.

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ancienne. C’est que les Francophonies en tant que tellesnaissent d’une part, du lent déclin (il ne concernetoutefois nullement la culture pendant près de 150 ans)de l’hégémonie française sur l’Europe et de l’échec duPremier Empire ; d’autre part, de la logique conjuguée del’idée d’État-nation liant langue, État et territoire et decelle de la langue comme Volksgeist ; de l’impossibilité,enfin, pour des pays tels que la Belgique et la Suisse(mais aussi Haïti) de se retrouver dans ces schémas touten ayant à « faire avec», comme le disent fort biencertains usages populaires non estampillés de la langue.

Dans ce contexte d’émergence et de désexistencerelative, alors que le XIX siècle français produit unee

pléiade d’écrivains majeurs, que la Belgique est une despremières puissances industrielles de la planète et voitsurgir, à la fin du siècle, une génération d’écrivains quiconnaît une reconnaissance internationale, que se passe-t-il, en gros, au niveau de l’édition francophone dans leroyaume ?

La première moitié de l’après 1815 voit le sens del’adaptation, la position structurelle (périphérie proche)et le système de libre concurrence se conjuguer dans ledéveloppement massif en Belgique de contrefaçonsfrançaises. L’édition belge fonctionne donc très bien ; ellese vend un peu partout en Europe. Stendhal, qui setrouve en Italie, lit dans ce type d’édition les titres quiparaissent à ce moment-là à Paris. Ils lui arriventaisément et coûtent moins cher que leur versionparisienne. La liberté politique qui caractérise la Belgiqueproduit elle aussi des effets dans l’édition. Elle amènedes opposants français à Napoléon III ou d’anciens

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Communards à publier à Bruxelles. C’est dire que laBelgique éditoriale, tout en ayant une production propre,occupe d’abord – structurellement et volontairement –une marge. Elle n’est jamais sortie de ce schéma depuisdeux siècles. Étant entendu qu’aujourd’hui, avec laprolifération des concentrations capitalistes, les margessont devenues beaucoup plus restreintes. Elles se sontmême réduites à peau de chagrin.

Les hasards de cette vie éditoriale, ressemblent certesà des occasions manquées. Cela n’infléchit pasfoncièrement l’analyse, très rapide hélas, que je suis entrain d’effectuer. L’exemple d’Hugo et des Misérablespublié à Bruxelles au temps de l’exil de l’écrivain dansles îles anglo-normandes eût en effet pu donner lieu àsuite puisque l’édition Lacroix avait l’intention depublier Les Rougon-Macquart de Zola – ce qu’il ne putmettre à exécution du fait de spéculations immobilièreshasardeuses du côté de Biarritz. Cela étant, rien ne ditqu’après la chute du Second Empire, on ne se fût pastrouvé, in fine, devant la situation qui prévalut. Car leproblème, je le répète, est structurel et culturel.

Passons à la fin du siècle, moment où surgissent toutd’abord en Belgique des écrivains naturalistes importants,Eekhoud et Lemonnier, qui ne sont pas condamnés à êtrepour autant de petits écrivains naturalistes. Cetteacception, toujours d’usage chez certains universitaires,coule dans le marbre le jeu Centre / Périphérie. Lesannées 1880-90 sont aussi le temps – et ces écrivains-làont plus largement franchi encore, que leurs collèguesnaturalistes, le seuil de la renommée en dehors desfrontières du royaume – des écrivains symbolistes de la

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génération léopoldienne : les Rodenbach, Elskamp, VanLerberghe dont les œuvres sont loin d’avoir toujours unvéritable équivalent en France. Le temps donc d’ÉmileVerhaeren et de Maurice Maeterlinck. Ce dernier étaitriche et le deviendra plus encore. Or cette grandebourgeoisie belge de la fin du XIX siècle, qui va donnere

à la langue française et à l’Europe certains écrivainsmajeurs – l’un d’entre eux décrochant même le prixNobel –, ne produit pas l’équivalent d’un GastonGallimard. Aucun de ces fils de famille ne s’est dit « tiensje vais utiliser l’argent familial pour créer une grandemaison d’édition», ce qui sera le cas – mais pour lethéâtre – à la génération suivante, du fils de la biscuiterieDelacre.

En soi, cela peut paraître curieux. En même tempscela paraît très logique, car nul d’entre eux ne remet enquestion le primat symbolique et institutionnel parisien.Ces Belges, qui baignent dans l’aura de Mallarmé et dansl’ouverture du Mercure de France sont en outreconvaincus d’apporter du différent et du vivant àl’universel français auquel ils finissent d’ailleurs parparticiper sans avoir à se dénier, ce qui ne sera plus le casaprès 1918. Ils veulent être des écrivains et sortir deslimites marchandes de leurs pères ou grands-pères. Celapasse par Paris, et par Paris d’abord.

Il ne s’agit pas de dire qu’il ne se produit rien, alors,au niveau éditorial. Ainsi va-t-on assister en Belgique àune aventure merveilleuse mais limitée, celle de l’éditeurEdmond Deman dont on a célébré les fastes au MuséeRops à Namur. Les Archives & Musée de la Littératureavaient soutenu et publié, dans les années 1990, la

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biographie réalisée par Adrienne et Luc Fontainas decette figure attachante et singulière. Emblématique de laquête de l’Art et du Rare, cette activité fut par excellencecelle d’une marge. Les livres publiés par EdmondDeman sont tirés à peu d’exemplaires. Ce sont deséditions parfaites, comme les illustrations qui lesaccompagnent. Manet en est, et Mallarmé qui se voitdonc publié à Bruxelles, et admirablement. Cela nechange rien pour autant à la donne.

Après la Première Guerre mondiale, on le sait, rienne sera plus tout à fait comme auparavant. La Belgiquelittéraire n’échappe donc pas à la fermeture des nationssur elles-mêmes. Elle intègre à sa façon la crispationfranco-française de la victoire tout en mythifiant lacommunauté de langue et en jouant de processus dedénégation de Soi qui créent le fossé avec un peuple quiconnaît alors une vraie ferveur patriotique. L’on se doteainsi de maisons qui marqueront le cours éditorialdurant plus de 50 ans. Elles creuseront le champ belgo-belge mais ne rayonneront pas hors frontière nin’accueilleront force écrivains étrangers. La Renaissancedu livre, côté catholique, Labor, côté socialiste, en ont étédes emblèmes (parmi d’autres).

Ces maisons, qui ont disparu récemment, voulaientassumer la production littéraire francophone de laBelgique à un moment où, pour passer dans les maillesdes filets littéraires parisiens, mieux valait faire oublierqu’on était belge. Cette attitude, qui fit florès, déforçaune part du projet en cours après 1918 – en révélant lalogique contradictoire. Maeterlinck, lui, s’était toujoursrefusé à ce type de palinodies déshonorantes. Il n’entre

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point à l’Académie française puisqu’il eût dû, à l’époque,abandonner sa nationalité et la troquer pour la française.

Dans cet entre-deux-guerres, où l’on met en place denouvelles maisons d’édition qui vont faire du belgo-belge, on voit, en même temps, se développer – ous’imposer – des maisons parfois anciennes commeCasterman avec la BD et Tintin. Une nouvelle fois, etlogiquement par rapport au schéma structurel qu’il s’agitde modifier, nous avons affaire à un genre parallèle quela critique française considère comme hors corpus :comme de la paralittérature. Les rotatives tournentcertes, au maximum ; des marchés sont conquis. Celademeure sans effet sur le littéraire canonique dans lequella maison d’édition tournaisienne n’investit d’ailleurspas foncièrement. Comme si l’idée de se positionner horsde France dans ce qui constituait une des clefs del’identité et de l’imaginaire français se serait située entrele crime de lèse-majesté et l’impossible avéré.

L’aventure verviétoise des éditions Marabout aprèsla Libération ne déroge pas aux règles qui dessinent lepaysage. Occupation d’un créneau relativementmarginal laissé aux Périphéries (le « pocket » ; comme lesrécits fantastiques et d’aventures, etc.). Blocage relatif dumarché français. Absorption et déperdition ultérieures.Le potentiel éditorial dont nous parlons, il faut en outrele souligner, ne s’était pas concentré à Bruxelles. LaWallonie possédait en effet de beaux fleurons, certainsdes plus importants mêmes. J’en ai cité deux. Noussavons qu’il en existait bien plus.

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Frappant aussi de constater comme ne s’est pasproduite l’alliance entre des industries qui marchaient,et les pouvoirs publics dont l’aide a toujours concerné lebelgo-belge. Ce fait allait s’accroître avec le processus defédéralisation de l’État belge. De ce moment, il se fait queje fus un acteur.

Je me permettrai donc de relater l’une ou l’autreexpérience qui me paraissent indicatives ou significativesd’une situation et d’une Histoire dont je persiste à croirequ’elle peut et doit être changée ; qu’elle n’est pas unDestin. Il s’impose donc pour changer cette Histoire et enanalyser les situations, d’en décoder et enseigner lesconstituants et de se battre avec les représentations et lescomportements constitutifs qui amènent à un certaintype d’aliénation. Ces motifs imaginaires se trouventsouvent, et plus qu’ailleurs, véhiculés par les « élites»littéraires ou intellectuelles. C’est que la centralisationparisienne confinant au monopole sur la langue et lalittérature conduit « naturellement» ces élites soucieusesd’émerger et de rayonner, à passer par des fourchescaudines qui les amènent, subtilement ou violemment, àrenier leur(s) collectivité(s) d’origine.

Lorsqu’il s’est agi de lancer des structures decollection patrimoniale, totalement absentes il y a moinsde 40 ans, je me suis tourné vers trois maisons de bonniveau, fort différentes les unes des autres par ailleurs –et en amenant, qui plus est, la promesse de la mannepublique (pour couvrir le risque ou faire accepter ledéfi). Complexe était une jeune maison ouverte auxsciences humaines, au monde, à la culture. Y soufflaientl’espoir et l’énergie de 1968. Je m’entendis répondre que,

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Maeterlinck mis à part, il n’y avait pas d’écrivains belgesdignes de ce nom. Je suis allé également chez Duculot,qui publiait le Grevisse. Cette maison avait de l’intérêtpour l’Histoire, pour la Belgique et pour certains aspectspointus de la littérature – la maison gembloutoise avaitpar exemple publié, peu auparavant, un beau volumesur Lautréamont. Las, du Belge, je ne pus quem’entendre dire que c’était trop risqué ! Je me suis éga-lement rendu en 1977 chez Casterman où je rencontraisun homme, lui aussi intelligent, cultivé et ouvert, JeanDelfosse, qui avait été de l’aventure de La Revue Nouvelleet dirigeait d’excellentes collections. Je plaidais.Casterman avait un système de diffusion, et des rotativesperformantes. L’extrême politesse des réponses n’enarrivait pas moins au même constat que chez les autres :trop risqué ! Or il y avait, je le répète, une garantie descrédits d’État.

Nous nous trouvons donc bien face à une logique.Longue, lente et constante, elle consiste à ne pas prendreen charge, à partir de ce qui est sans doute la plus vieilleFrancophonie du monde, le corpus propre – voire plus.Or, comme l’a rappelé tout à l’heure ChristineGuillaume, ce petit territoire possède une productivitéculturelle et littéraire extrêmement importante. Mais lamarge persiste à refuser de s’occuper foncièrement de cequi paraît ne concerner que le Centre. En découle dèslors le fait que ce qui relève du littéraire en Belgiquerevient généralement à des éditeurs relativementmarginaux (i.e., en ne disposant pas de grands moyensfinanciers). L’alternative des transversales francophonesqui se dessine après les Indépendances fut tout autantdélaissée alors qu’au même moment, un des fleurons de

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l’édition belge – l’édition religieuse – perdait une partimportante de son fonds de commerce : les missels, quela nouvelle liturgie issue du concile Vatican II avaitrelégués au rang de vieilleries. Il est tout aussi importantde rappeler qu’à l’époque, l’Académie royale de langueet de littérature françaises avait voulu imposer le conceptde « littérature française de Belgique» alors que celui-ciperdait toute pertinence avec l’émergence desFrancophonies. Que se passe-t-il donc, dans le champ quinous préoccupe, au moment de l’invention des Commu-nautés et Régions en Belgique – c’est-à-dire dans ladécennie qui va de la parution, à Paris, du numéro desNouvelles littéraires intitulé L’Autre Belgique (qui dit adieuà la Belgique de papa) aux manifestations d’EuropaliaBelgique en 1980 (elles mettent notamment en place unelibrairie consacrée exclusivement aux Lettres belgesfrancophones) et commence à redessiner le panoramalittéraire pour aboutir au Manifeste wallon de 1983.

Dans la foulée du bref récit que je viens de faire demes tractations (en 1977) auprès de trois éditeurs, il estévident qu’à mes yeux, la question de l’accès aupatrimoine littéraire, préalable à sa réappropriation,passait par des solutions éditoriales et des solutionscompétitives. Il s’agissait donc de mettre en place dessystèmes permettant d’avoir accès à notre patrimoine etde produire des auteurs contemporains, à l’intérieur destructures d’un certain gabarit. Sur le patrimoine, il fautse souvenir qu’en 1977, même Maeterlinck ou Verhaerenne se trouvaient plus qu’en bouquinerie, grosso modo. Onest arrivé à une forme de réussite, particulièrement auniveau symbolique ; la dimension industrielle, elle, estdemeurée quelque peu en rade.

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Ce fut tout d’abord l’invention de « Passé Présent»par Jacques Antoine (et l’accélération qui lui est donnéepar nous à travers Europalia 80) ; suivie de la créationd’« Écrits du Nord ». C’est, dans la foulée, la créationchez Labor de la collection de poche « Espace Nord » quiopère une véritable percée dans les années 1980.L’accompagnent la collection pédagogique « Un livre,une œuvre» et la collection savante « Archives du futur»,qui a précédé « Espace Nord » et « Un livre, une œuvre».

Jacques Antoine doit toutefois déposer son tablier autournant des années 1990 mais voit son travail poursuivipar Lysiane D’Haeyère, qui devra renoncer elle aussi aumilieu des années 2000. C’est le moment où Labor arriveaussi en fin de course. Le départ de Jacques Fauconnierà la tête de cette maison, au tournant des années 1980-90,avait par ailleurs grevé une partie du travailpédagogique entrepris dans la décennie écoulée. Lesaléas de la vie de nos maisons d’édition ont donc pesé,sans pour autant le détruire, sur ce processus. Celui-cin’a jamais réussi par ailleurs, faute d’accord(s) avec degrosses maisons, à atteindre vraiment le marché français.Pas uniquement du fait d’un protectionnisme qui va depair avec le centralisme dont je parlais tout à l’heure. Onvit donc assez rapidement des maisons françaisesrééditer des titres qui avaient revu le jour grâce à nous…

Cela m’amena à songer à une collection francophoneincluant la Belgique. La première négociation se fit àBruxelles, au restaurant «Le Docteur», entre le directeur del’Âge d’homme et celui de Labor. Elle visait à commencerpar une collection de poche belgo-suisse qui s’ouvriraitensuite à d’autres Francophonies, à commencer par le

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Québec. Les deux hommes ne purent s’entendre. Je reprisle projet, autrement. Je le proposai à Hubert Nyssen, à la findes années 1980, à Strasbourg. Cela donna la collection«Babel»; et le transfert, dans cette collection, d’une sériedes meilleures ventes des titres «Espace Nord» (présencemassive dans les 20 premiers titres). Nous avons donccontribué, et intellectuellement et financièrement, au débutde la collection «Babel». Celle-ci est toutefois très vitedevenue l’affaire quasi exclusive d’Actes Sud, qui en ad’ailleurs fait quelque chose de remarquable, mais defoncièrement éloigné du projet francophone qui avait été àsa base. L’erreur qui fut la mienne est d’avoir voulu passerpar une structure se trouvant en France, même si un Belges’en trouvait à l’origine. La réalité, et ce sont des élémentsd’Histoire sur lesquels il est intéressant que nousréfléchissions, ce sont les limites (et les refus) à l’intérieurdu jeu belge – cet étrange mélange d’absence d’ambition etde retrait prudent par rapport au domaine symbolique parexcellence de notre langue –, comme les pesanteurs d’unsystème externe pluriséculaire.

Hanté par la nécessité de structures d’actionpermettant d’intervenir dans le champ éditorial pouraider à y développer des structures performantes dansnos domaines, et de les rendre autonomes, je proposai,au milieu des années 1980, la création d’un Fonds d’aideà l’édition. Le ministre qui en accepta le principe et endégagea les crédits ne voulut pas, en revanche, lesconcentrer, comme je le lui avais suggéré – propositionqui n’eût concerné que des périodes limitées – sur desobjectifs précis balisés dans le temps. À mes yeux, celapermettait d’avoir des formes de capitalisation et dedémarrage ; puis, comme je l’ai dit, de laisser croître. Le

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Fonds fonctionna sur d’autres principes. Il répondit à desdemandes ponctuelles. Il ne modifia pas le champ ni nepermit de créer des alternatives par rapport aux «majors»français.

Ces quelques exemples me paraissent indiquer quenous devons sortir de la position de décalage, qui nouspermet certes d’occuper des créneaux que les Françaisn’occupent pas, mais non point de créer de véritablesalternatives francophones. Deux exemples peuvent, unefois encore, nous aider à y réfléchir. La collectionthéâtrale d’Émile Lansman, expérience tout à faitremarquable, ou les publications de la Maison de laPoésie à Amay connaissent un rayonnement et unerelative absence de concurrence parce qu’elless’intéressent à des domaines marginaux pour l’éditionfrançaise, peu rentables en sus. Autre chose est bien sûr,du roman…

Si nous prenons l’histoire de l’édition belgefrancophone des 30-40 dernières années (mais enFlandres ce n’est pas mieux, ce qui vaudrait la peineaussi d’être interrogé), la plupart des acteurs sur lesquelsles pouvoirs publics ont pu miser, et avec lesquels nousavons travaillé, ont été absorbés ou ont perdu leuridentité, voire ont disparu. D’autres, telle Luce Wilquinou Les Impressions nouvelles, ont certes, et fortheureusement, vu le jour. La question me paraît toutefoisdevoir être approfondie, et jusqu’en nos modes defonctionnement.

Lorsque Marabout s’est trouvé en difficulté, pour unebonne part à cause du problème de la diffusion

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(problème sur lequel il y aurait aussi matière às’interroger longuement), les pouvoirs publics ont vouluintervenir. Il s’agissait encore du Ministère de la Culturefrançaise. Les Régions existaient déjà. L’Inspection desFinances a dès lors considéré que ce problèmeéconomique était une compétence régionale, ce qui n’estpas faux mais partiel (on aurait quand même pu trouverdes synergies). Tout cela déboucha sur une conclusionclaire : nada.

Si l’on y regarde de près, à chacun des effondrementséconomico-culturels du champ, nous n’avons pas eu lesmoyens de faire face réellement aux questions ou avonsdû y répondre en interne. À chaque initiative nouvelle,nous nous sommes trouvés ensuite devant des impassesrelatives. Par rapport aux objectifs que nous pourrionstenir, jusqu’à présent nous n’avons donc pas mis enplace des dispositifs à la fois suffisamment légers etimportants pour permettre la constitution de maisonsd’édition francophones non françaises aptes à occuperd’autres créneaux que les marges. Ce problème va bienplus loin que la Belgique, au demeurant. C’est là-dessusque je terminerai mon exposé.

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Aujourd’hui, pour que la vie circule dans notrelangue ; pour que l’on puisse intéresser nos enfants etpetits-enfants à la littérature, il s’agit de sortir deschémas d’approche dépassés ; et de pouvoir enfinprendre en compte l’extraordinaire situation qui est lanôtre. Le français est réparti un peu partout dans lemonde, sans y être dominant. Il existe donc dans des

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pays dont il ne constitue qu’une des langues. Cessituations plurilingues variées concernent un peul’Europe ; beaucoup l’Afrique ; une petite partie desAmériques ; et quelques petits morceaux d’Asie etd’Océanie. Un corpus de textes tout à fait extraordinairesen procède. Il permet de se promener dans le mondecomme dans des Histoires, en une même langue. On ydécouvre ainsi des façons tout à fait différentes etsingulières de vivre, de penser, d’aimer.

Or ces textes ne circulent pas entre nous. Ils necirculent pas du fait du schéma centralisateur et de soncorollaire, le bilatéral. De ces positions de périphériedont j’ai parlé tout à l’heure, en conséquence. Du faitaussi peut-être – et de nouveau c’est logique à un certainniveau – des politiques publiques. Celles-ci se sont eneffet inscrites dans les schémas structurels existants,qu’elles n’ont pas vraiment remis en cause. Nous avonsaussi, un peu partout, aidé à la publication de tel ou teltitre ; de telle ou telle collection devant valoriser lesauteurs du pays concerné. Nous n’avons pas créé pourautant de réseaux francophones. Nous avons doncperpétué de fait une situation postcoloniale de la langueet de la littérature.

Pour sortir des positions dites périphériques et d’unrapport bilatéral avec le Centre qui minorise toujours, defait, celui qui l’accepte (ce système ne s’arrangera pasavec les concentrations capitalistes – à supposer que lesmaisons d’édition françaises ne soient pas elles-mêmesun jour phagocytées par les maisons anglo-saxonnes oupar d’autres), il nous faut inventer des circulationsfrancophones transversales. En somme, aboutir à

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pouvoir un jour être édité, comme Belge, à Tizi-Ouzou ;comme Québécois, à Lausanne ; et comme Français, àKinshasa.

Si l’on arrive à cette situation plurielle, quelque chosede différent se jouera dans la langue, comme dans lalittérature. Les uns comme les autres ne dépendront plusd’un seul type de critère d’appréciation ; d’un modedominant de narrativité. Pourquoi, dans le mondefrancophone, la narration classique continue-t-elletoujours par exemple, après une parenthèsemodernissime bien trop expérimentale pour êtredevenue publique, d’avoir une telle ampleur ? Lorsquevous lisez un roman russe, vous partez je ne sais pas oùet ne vous en plaignez pas. Pourquoi en va-t-il autrementdans notre langue ? Personnellement, je trouve celabeaucoup plus amusant que la narration classique,réaliste, médiatique. Cela peut évidemment se discuter.

Dernière remarque : comment se fait-il que cetteinvention de structures éditoriales capables de noussortir tous du monopole de l’Hexagone en soit toujourspratiquement au point presque mort ? Et cela, cinquanteans après les Indépendances africaines. En dépit d’essaislouables (en Algérie, au Maroc ou en Tunisie parexemple), essais qui dépassent rarement les frontières dupays concerné mais ressemblent à de nombreux égardsà ce que nous avons connu en Belgique, des décenniesdurant ; en dépit, d’autre part, de l’existence (et desmoyens) des instances devant servir la Francophonie,force est de constater que rien de fondamental,susceptible de modifier le chiffre d’or du système, n’estadvenu.

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Les causes et les relais en sont bien sûr nombreux. L’onme permettra tout d’abord de pointer l’ambigüité duvocable Francophonie qui sous-tend l’OIF (Organisationinternationale de la Francophonie) au vu des pays qui enfont partie. Un autre terme eût sans doute mieux servi lacause. L’on me permettra en outre de pointer la manie dusingulier, là où l’on se trouve par excellence devant unpluriel. Il existe des Francophonies culturelles, complexes,différentes – dont la nôtre (elle-même tout sauf une). Iln’existe en revanche pas de lieux où les connecter et lesfaire vivre. Que l’Algérie ne fasse pas partie de l’OIF est ledroit de ce pays. Elle n’en est pas moins une Francophonieculturelle majeure. À mes yeux, les Francophoniesculturelles sont les seules qui existent réellement. Ellesn’ont que peu à voir avec la vision de l’Europe française,fascinante mais qui appartient au passé. Elles sont uneréalité et un avenir, fragile, menacé, potentiel. Si l’onaccepte de sortir des schémas actuels de fonctionnement…

Je terminerai par une anecdote – celles-ci meparaissant souvent révélatrices. Roger Dehaybe, qui futun des grands serviteurs de la Communauté française deBelgique (au CGRI), fut aussi Administrateur général del’Agence de coopération culturelle et technique, l’ancêtrede l’OIF. Pour le sommet de Beyrouth, il avait créé unecommission de réflexion sur l’édition francophone quej’avais été chargé d’animer. Une quinzaine de personnesen firent partie. Nous avons bien travaillé, me semble-t-il. Nos propositions n’avaient rien de révolutionnaire.Elles mettaient en cause certains privilèges dans lemarché, comme certaines scléroses de fonctionnement.Au sommet de Beyrouth, d’un document de 20 pages, ilest resté deux lignes.

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L’invention des Francophonies ne passera pas pardes discours mais par des actes. Des actes à traverslesquels nous nous prendrons en charge et créerons desréseaux avec les autres pays francophones.

Pour y arriver, c’est une volonté transformatrice quidoit se mettre en œuvre. Et ce sera – ou pas – unevolonté politique qui la relaiera.

Francophones, encore (et enfin !) un effort !

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Quelques perspectives pour le devenir de nos lettresau sein des Francophonies

En 1975, je l’ai dit tout à l’heure, le patrimoinelittéraire francophone belge n’existait pas dans lecommerce ou sommeillait dans les réserves des bonslibraires. À certains égards, cela offrait parfois desoccasions extraordinaires. J’ai ainsi acheté l’éditionoriginale de Blessures de Paul Willems à Tournai, chezDecalonne, à cinq francs belges. Depuis, le marché, bienévidemment, a monté ; et le volume existe dans lacollection « Espace Nord ». C’est alors que vont se lancer,et la collection « Passé Présent», et les œuvres poétiquescomplètes de Marcel Thiry, et le processus consistant àrééditer deux textes, subsidiés, après le choix effectuépar les Parlementaires du Conseil de la Communautéfrançaise dans une liste de huit titres.

Par la suite, l’action systématique de la Communautéfrançaise a permis de constituer un patrimoine littéraire

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belge francophone accessible. À quoi il convientd’ajouter des initiatives privées, comme la série ToutSimenon aux Presses de la Cité, ou la série Toine Culotchez Racine qui réédite également Jean Mergeai. Ondispose ainsi, aujourd’hui, d’un socle d’à peu près 500textes ou bouquins. Cela dit, ces textes ne présentent pastous la même importance selon que l’on envisage lesdivers enjeux de distribution de leur lecture.

Quand nous avons créé la collection « Espace Nord»,il s’agissait à la fois de donner au Belge cultivé le moyende retrouver les textes qu’il aimait ou qu’il avait àdécouvrir – ce qui fut le cas pour la plupart des gens dema génération – mais aussi de permettre aux établis-sements secondaires, de disposer d’un corpus de textespermettant l’enseignement de nos auteurs – et cela,même si les programmes ont toujours été en la matièred’une frilosité extrême, pour ne pas dire coupable. Ils’agissait en outre, à travers les postfaces des volumes,de donner une approche universitaire sérieuse du texteréédité. Cela devait permettre de construire progres-sivement un corpus scientifique qui irait de pair avec lacollection « Archives du futur» pour les grandesmonographies et les éditions critiques ; et, à l’époque,avec des documents pédagogiques dans la collection« Un livre, une œuvre» que dirigeait Daniel Blampain.Les préfaces étaient confiées à un écrivain, dans unprocessus de réappropriation et de circulation collectivespar conséquent.

Aujourd’hui, le rapport des adolescents à la lecturen’est plus le nôtre – pour nous, la lecture c’était Dieu enquelque sorte – ni même celui de l’époque du lancement

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des collections structurelles. Il nous faut donc procéderautrement. Dans le corpus de textes déjà réédités, et touten continuant à éditer, à prix de vente réduits, d’autrestextes du corpus (on pourrait très aisément les publier àtirage restreint vu les nouvelles méthodes d’impression,comme nous en avions discuté avec le dernier directeurde Labor), il faut sans doute choisir une série de textes –bien évidemment Pelléas, mais bien sûr d’autres œuvres– qui bénéficieraient d’un appareil pédagogique soupleet varié (pas de ceux où l’on impose au prof soncheminement), d’une série de documents permettant detravailler les choses avec les étudiants dans les collèges,les lycées ou les athénées ; et de créer ainsi une sorte decorpus réduit, basique, accessible et désirable.

Non pas un Panthéon tombé du ciel mais une matièrevivante, avec des transversalités, françaises et franco-phones. Pelléas, on peut le mettre en synergie avecBérénice de Racine ou La Princesse de Clèves de Madamede Lafayette mais aussi avec Partage de Midi de Claudelet Les Nuits de Strasbourg d’Assia Djebar.

Il s’agit d’amener en outre les étudiants à sortir dugénie tombé du ciel et à approcher la matérialité de lacréation d’un texte. J’essaye ainsi, pour le moment, àtravers une opération-pilote que je souhaite étendre l’anprochain, et notamment au Luxembourg, d’amener desclasses à découvrir les archives littéraires de textes qu’ellesétudient ou étudieront. Il y a aujourd’hui, me semble-t-il, etc’est un paradoxe – mais ce sont souvent les paradoxes quifont progresser l’Histoire – quelque chose d’intéressant àjouer, au moment où l’ordinateur va faire disparaître lesmanuscrits – sauf pour les nouveaux savants qui liront les

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disques durs à supposer qu’on les ait gardés et qu’ilsn’aient pas été piratés par un hacker. Approcher donc lestraces matérielles du travail de l’écrivain, entrer dans sonatelier. Ce travail autour des archives devient d’autant plusenvisageable que la numérisation de certains documentsrend possible un travail qu’aucune exposition ne sauraitconcurrencer. Il présente l’avantage de désacraliserl’archive. On peut de la sorte espérer sortir enfin de cettenotion romantique du génie (des génies, il n’y en a pasbeaucoup, si ce n’est d’autoproclamés) qui a fait tellementde ravages, sans tomber dans la négation de l’œuvre.

Il convient aussi, me semble-t-il, de développer unedémarche comparative, et comparative intrafran-cophone. Les surréalismes belge et français, par exemple,diffèrent à bien des égards, ce qu’explique et quiexplique l’Histoire. Les Suisses, eux, sont demeurés rétifsà cette esthétique. Voilà des questionnements quipeuvent ouvrir à de nouvelles perspectives de compré-hension du monde. À travers certains comparatismes, onvoit en outre qu’il y a des œuvres qui tranchent. Quandj’étais jeune, à Amsterdam, au Rijksmuseum, la Ronde denuit de Rembrandt était exposée dans une salle où setrouvaient d’autres rondes de nuit. Là, on voyait bienqu’il se passait quelque chose d’autre chez Rembrandtalors qu’à l’origine c’est une scène de genre. On voyaitque s’y produisait la métamorphose de l’Art. Plutôt qued’assommer les gens d’assertions d’autorité, mieux vautleur faire découvrir des réalités à travers un processusfonctionnant sur les différentiels.

L’écriture est un acte lent, compliqué, artisanal, d’oùémergent parfois des chefs-d’œuvre. Grâce aux archives

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littéraires, on peut donner à voir comment l’écrivainarrive à quelque chose de meilleur, de plus singulier.Parfois, il coupe trop et, à la limite, ne publie pas lameilleure version. Parfois, en revanche, la décantationcrée la grâce. Tout cela dessine un autre type de rapportà la littérature.

Après ces remarques sur notre patrimoine littéraire,et les moyens comparatistes pour y faire accéder, j’enviens à un second type de considération. Commentarticuler l’historique, le local historique, et les formesuniverselles ? Des formes universelles qui ne soient pasl’universel abstrait qui a découlé, pour faire court, de laRévolution française et d’une histoire nationale, celle dela France. On sait aujourd’hui la quasi-impossibilitéd’étendre au monde qui nous entoure et qu’il s’agit deconstruire les principes sur lesquels s’est fondée cetteunification. Qu’on le veuille, ou non, il y a d’abord pourl’enfant un enracinement local. C’est également le caspour un écrivain. Je signale toujours, par exemple, ladette que je dois à Unimuse à Tournai. Le Service du livreluxembourgeois qui nous rassemble aujourd’huifonctionne sur un principe de cet ordre; sur cette nécessité,qu’il faut défendre bec et ongles, sans s’y limiter bienévidemment. Il n’y a ni dialectique ni ouverture sansconscience apaisée de Soi. Quelque chose donc qui parte dulieu, du vécu, mais qui ne s’y circonscrive pas uniquementtout en permettant de s’y enraciner. Cela doit déboucher,à un moment donné, sur des réflexions de fond au niveaudidactique.

Comment avoir une insertion locale, comment avoirdes corpus de textes – par exemple en primaire – qui ont

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à voir avec une réalité immédiate ? Puis, comment entrerdans le triple corpus – français d’une part, francophonede Belgique de l’autre, francophone dans le monde enfi?nSi l’on adopte des mécanismes d’approche comparative,je le répète, on fera progresser les Q.I. de nos élèves.Comparer Lemonnier et Zola, c’est quand même trèsintéressant. Le faire ensuite avec le Suisse Édouard Rodpuis l’Italien Verga et le Portugais Eça de Queirosdonnerait sans doute d’autres attitudes individuelles etcollectives, d’autres aptitudes de rapport au monde. Sil’on accepte le principe de la prise en compte dansl’enseignement des complexités et de la diversité, on nepeut que constater que les littératures francophonespermettent d’y faire accéder de façon merveilleuse.Pourquoi y sommes-nous toujours rétifs ou frileux ? Dela même façon que l’enracinement local doit se trouverà l’origine de l’enseignement, une phase ultérieureconsiste dans la multiplication des circulations, ce quipermet de mieux mettre au monde ; de faire advenirdans du réel.

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Voilà le premier volet de remarques que je souhaitaisfaire et qui concerne l’enseignement. Le deuxième voleta trait au champ littéraire belge actuel. Comment ledécrire ?

Nous avons toujours quelques grands vieillards.Henry Bauchau aura 100 ans en 2013. Il se montretoujours actif puisque deux nouveaux livres doiventsortir incessamment. Il faudrait comparer son œuvre àcelle des autres ancêtres de la Francophonie, Aimé

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Césaire qui nous a quittés et le Cheikh Hamidou Kane.À Bauchau, il faut ajouter Guy Vaes, plus jeune d’unedécennie, et qui pourrait bien nous ravir encore d’unlivre surprenant comme il les affectionne. Parmi lesfigures tutélaires, on peut également citer DominiqueRolin, mais elle a cessé d’écrire, et Jacqueline Harpman.

Toujours actives, les figures de Jean Louvet dont onfêtera, l’an prochain, les cinquante ans de Théâtre, etdont les Archives & Musée publieront le tome 3 duThéâtre Complet ; André Schmitz que l’on a fêté il y a peuau Pont d’Oye ; Pierre Mertens, dont on attend le procèsavec Bart De Wever ; Jean-Claude Pirotte qui va recevoirle prix Apollinaire, etc. Cela n’est pas rien pour unepetite communauté humaine telle que la nôtre, et je suisloin d’avoir été exhaustif.

Il faudrait y ajouter la génération qui suit de près cesecond ban des figures tutélaires. Les Jean-PierreVerheggen, Jean-Marie Piemme, Paul Emond, JacquesDe Decker, Christian Hubin, Gaspard Hons, FrançoiseLalande, Colette Nys, Michel Voiturier, WernerLambersy ou Jacques Sojcher. Ils émergent, en gros, dansles années 1970, et n’ont jamais cessé depuis d’alimenterle vivier. Ceux qui émergent ensuite, et sont parfois de lamême génération, Nicole Malinconi ou Jean-LouisLippert, par exemple, attestent cette fécondité sansressortir pour autant au postmoderne qu’illustre entreautres la figure emblématique de Jean-PhilippeToussaint. Difficile en revanche de classer dans lepostmoderne le chemin décidément singulier d’EugèneSavitzkaya.

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L’on sait comme on vit ensuite surgir, avec un accentparticulier dans la prose, nombre de femmes – CarolineLamarche, Amélie Nothomb, Sophie Buysse, GenevièveBerger, Diane Meur, et tant d’autres – les hommes n’étantpas pour autant absents du parcours (Vincent Engel, que jesuis amené à remplacer au débotté en est un fort belexemple). L’on entre ensuite, avec le nouveau millénaire,dans une nouvelle génération, plus décalée, à l’instar dumonde où nous sommes, mais toujours inventive.

Mon propos, en cette circonstance, n’est toutefois nid’énumérer un nombre maximum de talents, ni decélébrer tel ou telle, ni même d’analyser les diversesstrates et méandres de notre champ littéraire. Toujoursvivace, c’est un fait, il innove peut-être moins que par lepassé. Mais, est-ce surprenant dans le contexte debanalisation et de déshistoricisation d’une Europe qui arefusé de choisir son destin et de le prendre en mains?

Avec certains de ces auteurs encore vivants, nous avonsdéjà entamé, aux Archives & Musée de la Littérature, untravail de mémoire et d’avenir. Telle cette édition complètede l’œuvre de Louvet que j’évoquais tout à l’heure. Àl’édition des textes, et de leurs différentes versions, s’ajouteun gigantesque travail de description des conditionshistoriques dans lesquelles les pièces ont été écrites ouqu’elles relatent. Pour une partie d’entre nous seulement,les grèves de 1960 constituent encore un référent concret.Comment parler sans cela du Train du Bon dieu ?Comment, de même, pour le XIX siècle, évoquer La Légendee

d’Ulenspiegel sans un minimum de renvois aux années 1550-1580 en nos pays?

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Tout cela pose des questions d’enseignement qu’ilfaudrait approfondir et étayer, puisqu’il ne s’agit pas derenoncer à l’historicité des textes mais d’examiner lesmoyens d’y arriver avec les étudiants, dans lesconditions de l’aujourd’hui. Et d’autant plus qu’une séried’écrivains vivants, qui ont une œuvre assez importantederrière eux, peuvent parler de ce moment où l’histoireet la littérature s’articulaient dans le texte, de façon plusou moins visible et lisible.

Si je me permets d’insister, c’est qu’il me semble qu’unecaractéristique du champ actuel tend à nier l’historicité destextes – ce qui ne saurait surprendre quand on voit lesmanœuvres du capital financier, dont le management est lecheval de Troie. Pour lui, l’anonymisation générale desêtres et des choses est le parfait déduit de ses forfaitures etde ses impostures. La littérature, que ses séides, après avoirdétruit l’enseignement de l’Histoire et des Histoires,seraient ravis d’évacuer du corpus d’enseignement –souvenons-nous de Nicolas Sarkozy et de sa sortie contreLa Princesse de Clèves –, ne demeure-t-elle pas un arrière-pays? À travers la subjectivation des faits dans le creusetde l’écrit, une prise de conscience demeure donc possible,comme une appropriation personnelle. Horresco referens…Encore faut-il en trouver les chemins. Encore s’agit-il demontrer comment l’Histoire se lit, se dévoile ou se cachedans les textes.

***À cet égard, le postmoderne peut également donner

à penser. Il a donné certaines œuvres importantes dontcelle de Toussaint, je le répète. Reste que le postmoderneen soi, qu’est-ce que cela veut dire ? On est toujours postquelque chose, non ? Ici, en revanche, cela signifierait

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qu’on n’a pas d’avenir ; que la notion de modernité est àjeter aux orties…

Il est vrai qu’en son nom, quelques solides horreursou erreurs du siècle – qui se peuvent commenter – ontété commises. Quant à jeter l’enfant avec l’eau du bain…C’est cette modernité que l’on voit attaquer de pleinfouet par toutes les extrêmes droites réunies, et passeulement en terres d’Islam. On peut moderniser sansêtre ou sans tenter d’être moderne. Pour ce qui nousconcerne, il se pourrait bien que le postmoderne ait pourfonction de nous y amener.

Ainsi se trouve-t-on devant une étrange situation,celle qui aurait pour objet de nous amener à cesser depenser et de choisir, de se laisser (re)prendre par uncommunautarisme qui dit d’autant moins son nom qu’ilparaît consentir aux fantaisies de l’individu. Ce flouinterprétatif, global, cette sorte de : oh, tout ça se vaut, toutça s’équivaut – ce qui, bien évidemment, est faux – estprofondément lié à un état de société ; à un état quientend nous faire intérioriser les structures dominantesqui nous exploitent, en nous faisant croire qu’il y va denotre bonheur ou de notre survie.

La modernité avait une dimension éthique. Nousn’échappons pas aux effets de ce moment dans le champlittéraire francophone de Belgique – et d’autant moinsque la plupart d’entre nous, s’ils publient des romans, lespublient le plus souvent à Paris. Or l’Histoire ne paraîtpas souvent s’y être inscrire (même s’il existe, cesderniers temps, certains signes encourageants telsMauvignier ou Jenni). Tout cela n’est pas en soi négatif,

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il faut le préciser. Ce qui l’est, en revanche, c’estl’absence d’instrument théorique pour approcher cesfaçons de remodeler le monde à notre insu ; deréapprendre la critique et la dialectique. De ne pas croireà un nouvel essentialisme.

***La situation du roman en Belgique n’est pas simple,

en outre pour ce qui est de son édition. Elle est beaucoupplus morcelée, en Belgique et hors Belgique, que celle duthéâtre, par exemple, qui dispose des éditions Lansman;ou de la poésie, où persistent certaines structures maisoù se pose la question du renouvellement du lectorat.

La situation de l’édition romanesque à Bruxelles etdans les Wallonies s’est aggravée au fil des ans, avec ladisparition successive d’une série de structureséditoriales dont j’ai notamment parlé dans mon premierexposé. L’autre question est bien sûr celle de la percée deleurs collections en France, et dans les Francophonies,comme de leur capacité à accueillir non seulement destextes belges mais aussi des textes francophones. Malgréles coups dont il est ou a été victime, le champ continuecependant de vouloir persister, ce qui est bon signe.Vincent Engel a ainsi repris, à La Renaissance du Livre,la collection « Le Grand Miroir». Les Impressionsnouvelles de Jan Baetens et Benoît Peeters défendentSandrine Willems ou Luc Dellisse. Dans cette province,deux éditeurs ont, eux aussi, décidé de relever le défi. Etcela, après le travail de Luce Wilquin dont le parcourscommence à aligner de belles années de combatfarouche. Avec, pour chacun d’eux toutefois, la questiond’une vraie diffusion ou de nouvelles formes de

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diffusion. La réception des romans de Sandrine Willemsdemeure par exemple assez confidentielle, malgré laqualité de ses textes. Qu’en sera-t-il, chez Luce Wilquin,du dernier roman de Françoise Lalande, récit tout à faitremarquable : La Séduction des hommes tristes ? Commentfaire surgir de tels textes dans les cours ? Et comment lesfaire rayonner en dehors de nos frontières tant que nousn’aurons pas mis en place ces structures francophonestransversales dont j’ai parlé tout à l’heure ? À partir dumoment, en sus, où nous ne disposons pas suffisammentd’instruments critiques pour aujourd’hui. Une critiquequi doit pouvoir allier l’objectivité de l’approche à lasubjectivité du lecteur – la littérature étant désir. Làaussi, me semble-t-il, nous avons de vrais chantiers pourles beaux métiers de l’enseignant, du libraire, dubibliothécaire.

Peut-être le net et le numérique permettront-ils defaire circuler ce type d’information transversale et dedoubler les barrages persistants de l’édition française.Dans la presse française, jusqu’à ce jour, nous n’avonsquasiment jamais de commentaires consacrés à des livresqui ne sont pas publiés en France. Nous ne faisons hélaspas mieux chez nous à l’égard des autres Francophonespuisque nous ne rendons compte, en dehors du belge,que de ce qui nous vient de Paris.

Grosso modo, ne faisons-nous pas de même dansl’enseignement ? Nous n’avons en tous les cas pas encoreamorcé le grand tournant de l’enseignement des litté-ratures française et francophones. Il offrira à nos lettresun vrai champ de rayonnement.

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Atelier 1

La Promotion du Livre

Témoin-ressource et modérateur : Olivier WEYRICH Secrétariat : Brigitte HEUSE

Quelques pistes de réflexion :

Qu’en est-il de la promotion du livre en FédérationWallonie-Bruxelles?

À partir de son expérience d’éditeur régional, OlivierWeyrich fait un état des lieux réaliste des moyens dontl’auteur dispose pour diffuser son ouvrage en FédérationWallonie-Bruxelles.

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En sachant qu’un auteur francophone reste un auteurdiffusé régionalement (référence à l’intervention de Mr.Quaghebeur), il faut savoir qu’un auteur s’adresse à unpublic de 4,5 millions de francophones. Parmi ces 4,5millions, combien de personnes sont des lecteurs avec desgoûts et des attentes différents et donc des acheteurspotentiels d’une œuvre précise?

L’édition en Belgique francophone a un public plusrestreint que l’édition française et encore plus restreintpar rapport à l’édition anglo-saxonne. Un auteur quivend 1000 exemplaires de son œuvre doit être satisfait.

Sachant cela, il est important, pour assurer le succèsd’un ouvrage et le promotionner de manière efficace, detenir compte de la zone de distribution géographique etde cibler précisément le public à atteindre.

Ensuite, l’auteur joue un rôle primordial (Qui est-il?Quel est son réseau? Quelle est sa personnalité? Est-il« médiatisable»?).

Il faut aussi décider de la manière dont l’ouvrage seratraité dans les médias en fonction des contacts del’éditeur et de l’auteur et le faire au bon moment, quandl’ouvrage est disponible en librairie.

Enfin et c’est peut-être le plus important, l’auteurdoit savoir au départ ce qu’il souhaite pour son livre(atteindre un certain public, en vendre le pluspossible,…).

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Le débat :

Suite à ces informations, les auteurs présents se sontposé des questions quant à la manière de diffuser etpromouvoir leur œuvre.

Il est primordial de sélectionner correctement levéhicule de l’information en fonction du public cible. Unarticle, même minuscule, dans des revues telles queMoustique, Femmes d’aujourd’hui ou Télépro assure àl’auteur d’être vu par le plus grand nombre. Il faut savoiraussi que les périodiques édités par les mutualités touchentdes publics très importants.

L’Internet est aussi un outil de promotionincontournable. Le Service du Livre Luxembourgeoisoffre aux auteurs régionaux une vitrine parfaite parl’intermédiaire de son site Internet et sa présence dansles salons et autres manifestations littéraires. Il permetégalement de se faire connaître au moyen des blogs :celui de l’auteur, ceux de critiques littéraires.

Le multimédia permet aussi la promotion desouvrages par mailing. Mais l’Internet ne résout pas toutpour l’auteur. Les adresses mail de certainesbibliothèques, par exemple son saturées de demandesd’auteurs régionaux et souvent, ces messages sont passésà la trappe.

Il faut savoir que les éditeurs sont aussi sur-sollicitésde même que les médias (presse, radio ou télévision).

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En ce qui concerne la presse écrite, dans 65 % des cas,ce sont les informations communiquées par l’auteur oul’éditeur qui sont publiées telles quelles en copié-collédonc, le contenu de la fiche de présentation doit êtresoigné.

Un accès plus large à ces médias dépend essen-tiellement des relations personnelles de l’éditeur ou del’auteur.

L’éditeur doit également tenir compte du moment oùl’ouvrage va paraître. La promotion ne doit pas êtrenoyée dans d’autres événements plus marquants.

Dans notre région, pour arriver à diffuser un ouvrage,l’auteur doit se vendre lui-même chez les éditeurs, dans lessalons, les bibliothèques, les écoles. L’avenir d’un ouvragedépend beaucoup de la personnalité et de l’implicationtotale de l’écrivain mais il peut dépendre aussi de facteurstout à fait extérieurs et imprévisibles. La promotion d’unouvrage sera totalement éclipsée si un événementmarquant intervient durant cette période.

La diffusion et la promotion, et donc le succès d’unouvrage, dépendent aussi de la bonne volonté dulibraire. Si celui-ci pour des raisons X ou Y ne met pasl’ouvrage dans ses collections, la qualité, l’intérêt del’ouvrage, la meilleure promotion qui soit dans lesmeilleures conditions possibles, tout cela n’aura servi àrien !

De plus, un livre a une durée de vie. Le lancement, lapériode de communication sur un ouvrage dure de 8 à10 mois. Ensuite, il faut compter sur le bouche à oreille

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et le travail de l’auteur lui-même pour prolonger lacommunication. À ce stade, les bibliothèques peuventprendre le relais et communiquer sur l’ouvrage par desséances de présentation, dédicaces, ateliers,…

Conclusion :

Il est impossible de prévoir, malgré toutes lesstratégies de promotion d’un ouvrage, quelles en serontles répercussions. Dans le métier de l’édition, toutfonctionne à l’affectif : les relations interpersonnellesentre auteurs, éditeurs, diffuseurs, promoteurs (médias), vendeurs et le public sont le moteur essentiel.

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Atelier 2 :

L’édition et la diffusion du livre

Témoins-ressources : Jean HENROTIN (Éditeur) ; MmeCaroline CULUS et M. Vincetn ROMAIN, des ÉditonsÉmile LANSMAN ; Luc PIERRARD, Librairie OXYGÈNE.Modérateur : Éric GELHAYSecrétariat : Agnès TRULLEMANS

Émile Lansman, éditeur de pièces de théâtre à LaLouvière depuis plus de 20 ans a acquis une granderenommée en francophonie. C’est un passionné quiprivilégie l’écriture contemporaine et fonctionne auxcoups de coeur. Il aime lancer avec son centre d’écriture

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des textes pas toujours aboutis, mais à haute valeurlittéraire et scénique parce que c’est une étape dans laconstruction d’un auteur. Un texte théâtral est trèsvivant et change parfois lorsqu’il est joué.

Jean Henrottin était imprimeur dans la région deTenneville. Il y a 15 ans, il est devenu éditeur grâce àl’impulsion d’André-Marcel Adamek.

Comment choisit-on un manuscrit? Le comité delecteurs, composé de gens très différents, vérifie si c’estbien écrit, si l’histoire se tient.

Que se passe-t’il lorsque le bouquin est imprimé? Ledélégué commercial présente sa diffusion. Le librairechoisit. Il peut, le cas échéant, retourner les invendus.

Est-ce qu’on s’enrichit comme éditeur en Belgique?Non, c’est une passion. L’éditeur avance l’argent. Lesgens y mettent leurs tripes, il se passe quelque chosed’humain avant tout.

Quel est le rôle du distributeur?Il doit faire connaître, convaincre. Lansman se

distribue en Belgique mais utilise un distributeur enFrance parce que c’est une garantie pour le paiement.

Il existe trois grands distributeurs en Belgique qui separtagent 90% du marché.

L’éditeur Weyrich a crédibilisé l’édition en Provincedu Luxembourg en proposant de beaux livres bienprésentés. On peut même dire qu’il y a eu un « avant» etun « après» Weyrich.

Un enseignant tient à signaler, puisqu’on parle desrelations entre auteurs, éditeurs et lecteurs, l’influenced’un autre maillon de cette chaîne : les enseignants quiforment à la lecture et à l’écriture.

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Le représentant de la Maison Lansman soulignel’influence du lecteur sur l’éditeur. Des animateurs ontsouvent demandé l’écriture d’un certain type de pièces.De même qu’Internet, avec le choix des internautes,donne rapidement une indication sur le choix deslecteurs.

Les auteurs apprécient également d’avoir le retourdes bibliothécaires et du Service du Livre Luxem-bourgeois par exemple en province de Luxembourg.

L’Internet est-il en passe de supplanter l’éditeur?Non, l’éditeur reste incontournable pour défendre le

texte et, surtout, conseiller l’auteur.À Tellin, l’éditeur Trace de Vie fonctionne sans

distributeur. Avec de petits tirages, il arrive à épuisertoutes ses éditions, va rencontrer les libraires et estattentif à la qualité littéraire.

À Libramont, le libraire Pierre Bodson remarque queles lecteurs de Neufchâteau sont différents de ceux deLibramont. Il aime promouvoir des auteurs locaux maisce sont les gros formats commerciaux comme Musso ouLevy qui le font vivre.

Les enseignants doivent être attentifs aux prix deslivres qu’ils font lire aux élèves.

Chez Lansman, on apprécie les fiches et les coups decoeur des libraires, on reconnaît qu’il y a de très bonslibraires en Province du Luxembourg.

Comment sont les relations entre éditeurs et médias?Difficiles selon l’éditeur Lansman car les gens

pensent que le théâtre se voit et ne se lit pas. Il estdifficile également pour l’éditeur Henrotin d’intéresserles grands médias, mais il faut relativiser l’impact descritiques littéraires sur l’acheteur potentiel. Nous ne

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devons pas non plus croire que tant de perles rares nouspassent sous le nez au profit de coups commerciaux carle bouche-à-oreille a un fameux poids.

Pourquoi n’y a-t-il pas de prix unique du livre enWallonie?

Parce qu’il n’y a pas encore eu de décision politiqueà ce sujet.

Quels sont les critères des éditeurs lorsqu’ilsreçoivent un manuscrit?

Il doit être complet, sur papier et en français. Il estégalement important d’avoir une présentation del’auteur et une idée du contexte. Les auteurs sont tenusau courant et parfois dirigés vers des éditeurs plusappropriés, l’avis des lecteurs (Comité) est tenu secret.

Et si l’on veut éditer à tout prix à compte d’auteur ousur le net? Le livre « papier» à compte d’auteur a trèspeu de chances de toucher un nombre minimum delecteurs : il ne peut connaître d’autre diffusion que cellefaite par l’auteur lui-même dans son entourage

Un éditeur qui reconnaît un texte le légitimise, ledéfend, offre son appui et ses conseils. Un texte qui n’estpas accompagné a très peu de chances.

Et l’évolution numérique? Elle permet de sortir des exemplaires à la demande

et facilite la prise de risque de l’éditeur.En conclusion, il faut retenir une chose commune à

tous les participants : c’est la dimension passionnelle detous ces métiers, la possibilité, la fierté qu’ont lesparticipants à défendre la qualité, à être attentifs auxcoups de coeur.

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Atelier 3

Apprentissage et difficulté de la lecture

Témoins-ressources : Marie GALLARDO, RitaSTILMANT Céline DELPORTE.Modérateur : Rita STILMANT.Secrétariat : Nicole GÉRARD.

Un facteur d’intégration (scolaire, sociale,culturelle,…) ou condition de survie?

Techniques, méthodes et astuces pour dépasser lesdifficultés?

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Présentation succincte des organismes :

Miroir vagabond asbl : Céline Delporte, coordi-natrice des cours de français (alpha et FLE) labibliothèque de Marche.ASBL implantée à Bourdon (Hotton).

Le Miroir Vagabond développe de nombreusesactions dans le nord de la Province de Luxembourg.L’association est composée de différents « secteurs» :Un secteur « Centre d’Expression et de Créativité» (CEC)Un secteur « Formation»Un secteur « Milieux de vie »Un secteur «Reflets d’Exils» (service d’accompagnementpsychosocial des demandeurs d’asile)

Une compagnie de théâtre-action (Théâtre desTravaux et des Jours)

Les principaux objectifs du Miroir Vagabond sont l’inté-gration des différentes populations (avec une attentionparticulière portée aux personnes «fragilisées»), l’insertionsocioculturelle et socioprofessionnelle (Le Miroir Vagabondest reconnu comme OISP – Organisme d’Insertion Socio-professionnelle), la découverte de la différence, la créationd’événements citoyens et «fédérateurs», toujours avec, entoile de fond, l’outil artistique et ce, quel que soit le secteur.

Le Miroir Vagabond propose des formations enfrançais, encadrées par une quarantaine de personnesbénévoles :- à la bibliothèque de Hotton où les groupes sontcomposés de 98 % de demandeurs d’asile

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- au sein de la bibliothèque de Marche où évoluent 80 %de demandeurs d’emploi et 20 % d’élèves libres, soit despersonnes demandeuses d’asile ou toute autre personnen’étant pas demandeuse d’emploi. Un des groupess’épanouissant à Marche propose de l’alphabétisation.

Les autres groupes sont indifféremment composés depersonnes diplômées que de personnes ayant été peuscolarisées.

ASBL Lire et Écrire Luxembourg : Rita Stilmant,directrice.

Lire et Écrire Luxembourg asbl, organisme d’insertionsocioprofessionnelle, promeut le droit à l’alphabétisationpour tous. Sont accompagnés des adultes pas, voire peu,scolarisés, n’ayant pas acquis les compétences de basecensées être acquises au terme de six années primaires. Auquotidien, l’association travaille avec des femmes et deshommes ne sachant pas lire, en le comprenant, un textesimple, en lien avec leur vie quotidienne.

Lire et Écrire Luxembourg n’est pas une école. Lesformateurs n’ont aucun programme à appliquer. Ilspartent des compétences, projets, objectifs et réalités dechacun des apprenants. Ils veillent à ce que ceux-cipuissent développer leur confiance en eux et se muer enacteurs de leurs apprentissages. Ceux-ci s’enracinentdans ce qui fait sens pour chacun tout en permettant à ladimension collective et à l’indispensable dynamique degroupe de se déployer.

Mouvement d’Éducation Permanente, Lire et ÉcrireLuxembourg voit la lecture, l’écriture, le calcul, la

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communication comme autant d’indispensables outils àl’exercice d’une citoyenneté active dans tous les domaines(professionnel, social, culturel, familial, économique,politique). L’enjeu est donc de permettre à l’apprenant decomprendre, d’analyser pour, enfin, pouvoir agir en pleineconnaissance de cause. La dimension participativeapprenante est l’essence même de toute démarche.

Les formatrices et formateurs de Lire et Écrire Luxem-bourg épaulent les apprenants à Barvaux, Vielsalm,Bastogne, Libramont, Neufchâteau, Bertrix, Paliseul,Florenville, Virton, Athus et Arlon. Dans ces antennes, onretrouve des groupes «Alpha» (lecture, écriture) et desgroupes «Alpha Oral» (apprentissage de la langue parlée).

Lire et Écrire Luxembourg apporte un soutienpédagogique aux formateurs en alphabétisation via lesformations de formateurs et son centre de ressources deLibramont (siège social). Enfin, des démarches desensibilisation sont menées à bien aux quatre coins duLuxembourg avec, pour objectif, la prise en compte desréalités d’illettrisme dans tous les secteurs dessinant lasociété.

Pédagogie différnciée - nouvelle : Maria Gallardo,directrice de 6 écoles primaires de Chiny

Postulat : nous sommes tous capables de réussir.

La pédagogie est d’inspiration Freinet, mais aussiMontessori, Steiner,… et s’enrichit des formations. Iln’est pas question de points, mais d’évaluation formative(chaque enfant s’évalue par rapport à lui-même et nonpar rapport aux autres), de construction des appren-

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tissages, axée sur le respect de l’enfant, de ses rythmes etcompétences. Le climat d’apprentissage est constructif.Dès lors, l’enfant a une bonne estime de lui, il se sentsoutenu. La notion de plaisir est, elle aussi, trèsimportante.

Marie Gallardo défend le principe suivant : toutepédagogie est au service de l’enfant et non l’inverse.

Les six écoles accueillent de nombreux enfantsn’ayant pas trouvé leur place dans un enseignementdavantage traditionnel, parfois en échec scolaire, issus detous milieux sociaux.

Elle conclut en verbalisant quelques mots etexpressions clefs de la matinée :

Qu’est-ce qu’un Livre? Communication avec les autres

Rêve = lecture Confiance en soi

Modification des rôles Rapport de territoires

Collaboration entre organisateurs Transversalité Donner du sens

Débat :

Au terme de ces présentations, succintes, lesparticipants ont été invités à réagir. À interroger. Àéchanger.

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- Ces enfants placés au centre de l’actionpédagogique, sont-ils prêts pour le secondaire?

Ils réalisent un travail de fin d’études en fin desixième primaire, qu’ils présentent à la classe ainsi quedevant les parents. C’est la classe et l’enseignant quiévaluent ce travail.

Cette pédagogie développe les qualités suivantes :bonne organisation de leurs devoirs, autonomie, bonnecommunication, aptitude au travail en équipe, espritd’entraide, de collaboration et capacité d’auto-évaluation.

Elle ne les prépare pas au « chacun pour soi », à lacompétition.

- Ce n’est pas l’unique réponse… Des enfants sontaussi heureux d’apprendre en dehors de cettepédagogie… Il faut des points… La société est unecompétition, c’est la réalité !

Effectivement ! D’ailleurs, on ne parle pas d’unepédagogie, mais de pédagogies. Sont en outre mis enexergue, l’être à l’autre, les dimensions d’écoute,d’accompagnement…

Quant au fait qu’il faille des points, des mises encompétition, est-ce inéluctable? Ne peut-on pas changer?Il s’agit, ici, de choix de société : quelle formation pourles enseignants? Quels accents?

- Qu’est-ce qu’éduquer?

La notion de confiance, de relation, de prise encompte des compétences, le fait d’être dans l’accom-pagnement, de permettre à chacun de trouver du sens

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aux apprentissages sont primordiaux. Baigner dans unclimat de respect, participer à une analyse réflexive, voirses objectifs et projets pris en compte sont autantd’éléments essentiels pour l’apprenant.

- Constat : il y a beaucoup d’enfants en difficulté,en décrochage scolaire pour qui retrouver l’estime desoi est primordial…

Pour y parvenir? Partir, avec la personne, de là oùelle est. Oeuvrer, avec elle, en s’appuyant sur ses savoirs,savoir-faire, savoir-être, compétences. Et, refuser leredoublement. Car redoubler, c’est refaire la mêmechose, or l’individu concerné a acquis, il a progressé. Ilest essentiel de travailler avec chacun, différemment, demanière à soutenir une montée progressive encompétences.

- Et pratiquement?

Il est moins question de responsabilité individuelleque de responsabilité systémique : le système scolairemérite d’être interrogé : quelles formations pour lesenseignants? Quelles organisations dans les écoles?Quelle capacité, de créativité? Quelles ressources pourles enseignants? Quelles réponses sont apportées auxdifficultés? Quelle place pour l’écolier, l’apprenant?

Prendre le temps d’identifier les difficultés, de lesanalyser, jusqu’à être en capacité de définir quellesréponses mettre en place?

En premier lieu, il s’agit d’identifier les freins del’apprentissage : dyslexie? Dysphasie? Problèmes devision, d’ouïe? Mais aussi : manque de confiance en soi,

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enfermement dû au jugement des autres, tensionsgroupales fortes, difficultés familiales, difficultés àtrouver une place, sa place à l’école… autant de réalitésne permettant pas d’être à l’apprentissage.

Ensuite, il est essentiel d’identifier de quelles ressourceschacun dispose : adjuvants internes, externes? (Des asso-ciations, organisations, logopèdes, bénévoles,…) Lapossibilité de suivre l’une ou l’autre formation?

Et, plus fondamentalement, se mettre à l’écoute, fairepreuve d’empathie, échanger avec l’autre, mettre desmots.

- Témoignages :

Jean-Claude, apprenant à Lire et Écrire :Enfant, il n’a pas trouvé sa place à l’école. Le jugement

que portaient les autres, un instituteur peu attentif,l’absence de soutien de ses parents qui l’ont encouragé àfaire le sot, pour l’inscrire dans l’enseignement spécial etbénéficier, ainsi, des allocations majorées, n’ont pas dessinédes conditions propices à l’apprentissage de la lecture,l’écriture, le calcul. Au fil des années, toutefois, Jean-Claudea appris un métier. Il a d’ailleurs travaillé pendant desannées. C’est suite à une perte d’emploi que son parcoursscolaire chaotique l’a rattrapé : désormais, pour décrocherun job, il faut établir un CV, une lettre de motivation. C’està cette époque que Jean-Claude, encouragé par les servicesd’intégration, a poussé la porte de Lire et Écrire : «Cela n’apas été facile!»

Mais l’accueil, le non jugement (« On ne nous collepas d’étiquette»), le respect offrent de bonnes conditionsd’apprentissage.

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Aujourd’hui, Jean-Claude a terminé la formation. Ilintervient, de manière ponctuelle, sur le projet ‘Livrespour l’Alpha’. Il travaille avec des auteurs en vue del’élaboration d’un guide d’accompagnement à l’écri-ture.

Ce projet que porte Lire et Écrire Luxembourg asbl,soutenue par les éditions Weyrich, est issu de constats deformateurs, bibliothécaires, libraires, du manque de livres«fictions» pour des adultes faibles lecteurs (régulièrement,ils ont recours à des livres pour enfants). Des auteurs telsque Claude Raucy, Jules Boulard ont relevé le défi.

Tassadit, apprenante au Miroir Vagabond : Vivant enAlgérie, elle n’est jamais allée à l’école, car celle-ci n’étaitpas obligatoire. Aujourd’hui, être capable de lire unemédication, aider ses enfants dans leur scolarité, plusd’autonomie dans les moyens de transport et larecherche d’un emploi sont autant d’éléments qui lamotivent pour l’apprentissage du français.

- Claude Gaspard (Bastogne)/Smart Readingintervient sur une méthode de lecture rapide, avec plus deplaisir.

Pourquoi une lecture rapide? Pourquoi cetteméthode, une méthode? Ce qui préoccupe, ce jour, c’estmoins l’apprentissage fonctionnel, qu’une approcheglobale qui va permettre à la personne d’apprendre àapprendre. D’emblée une attention à l’individu dans saglobalité va être accordée.

- Comment travailler au quotidien avec desadultes inscrits dans une démarche d’apprentissage dela langue?

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Partir d’une méthode, a priori, n’a pas de sens ! Leformateur s’attache à les accompagner. Il travaille, aveceux, en tenant compte de leurs compétences, zonesd’intérêts, besoins identifiés. Les notions de plaisir, desens sont essentielles : lire un livre à son enfant, lire unerecette de cuisine et la réaliser, comprendre l’actualité,un courrier, écrire une lettre… .

L’apprenant évolue, à son rythme, sur son parcoursd’apprentissage.

Résumé :

Nous sommes dans une société de l’écrit. Sans unemaîtrise de la lecture, de l’écriture, nous sommes enmarge.

Parler d’apprentissage, parler de difficultés, voientles uns et les autres s’interroger, interroger : les parcours,la méthode, la responsabilité.

Or il y a moins des parcours que des freins, il n’y apas une méthode, mais des méthodes, au service desenfants, des adultes.

Les méthodes dont il a été question tout au long dudébat sont basées sur le climat, la relation, la confianceen soi, l’évaluation formative, les compétences, le nonjugement, l’échange et plus fondamentalement, laconstruction ensemble, la notion de sens, le respect, laprise en compte de la personne dans sa globalité.

Les témoins ont parlé de travaux, menés au niveaudes formations, non pas sur un mode transmissif, maisbien au gré de démarches tenant compte des rythmes dechacun, de ses compétences, des ses objectifs et des freins

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avec lesquels il doit composer. Les formateurs,enseignants sont des accompagnants. On est dans ladynamique de groupe, une dynamique solidaire.

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Atelier 4

Aimer lire

Témoin-ressource : Claude RAUCYModérateur : Jean-Luc GEOFFROYSecrétariat : Sophie BRIDOUX et Doriane DESPAS

Comment transmettre et partager le goût de lire?Comment susciter le plaisir du livre avant de savoirlire?

Né en 1939, l’écrivain Claude Raucy a beaucoup écritpour la jeunesse et a enseigné le français durant desannées à l’Athénée royal de Virton. Aujourd’hui à laretraite, il continue à se rendre dans les écoles pour allerà la rencontre des jeunes et parler de son métier.

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Claude Raucy a partagé son expérience de la lectureavec les enfants et les jeunes en tant que professeur,écrivain et père, puis grand-père.

En tant que professeur :

Durant sa carrière, Claude Raucy a essayé plusieursméthodes pour faire aimer la lecture à ses élèves.

- La première consistait à faire établir des fiches delecture avec un résumé de l’œuvre, une présentation despersonnages, une définition des mots difficiles, etc. Cetteméthode fut très vite abandonnée car ennuyeuse. De plus,avec Internet, les élèves allaient directement recopier desrésumés sans même avoir lu le livre.

- Il a essayé un autre procédé qui consistait à fairelire un certain nombre de pages par mois, l’élève étantcoté suivant le nombre de pages lues. Ce ne fut pas untrès grand succès non plus car les élèves trichaient etinventaient des titres. De plus, les parents n’appréciaientpas non plus cette manière de procéder.

- La liste des livres « indispensables » fut ensuitetentée. Une liste de 10 livres à lire pendant l’annéescolaire, quand les élèves le voulaient, était proposée.Les lectures étant « imposées », cette méthode peutamener au dégoût du livre. Cependant, il est quandmême important de faire lire les classiques… Méthodepartagée…

- Il a ensuite proposé aux élèves de choisir un livre et,quand ils le voulaient, d’en faire une présentation à lamanière d’une publicité. Cette méthode a très bienfonctionné. D’une part, elle faisait appel à leur créativité etd’autre part, elle leur permettait de faire le pont avec uneréalité qu’ils connaissaient parfaitement : la télévision.

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- Il a également eu recours à des petits « trucs» telsque amener un livre en classe, le laisser un peu « traîner»afin de susciter la curiosité des élèves, leur lire à voixhaute une dizaine de pages. Une bibliothèque était aussimise à leur disposition dans la classe même afin que lelivre fasse partie de leur environnement et de leurquotidien.

- Il propose encore de faire venir un écrivain dansla classe.

En tant que père et grand-père :

Dès leur plus jeune âge, Claude Raucy a poussé sesenfants à lire. Ils étaient entourés de livres. Vu commeune « obligation parentale», cela n’a pas eu l’effet espéré.

Peut-être aurait-il dû leur interdire, cacher ouenfermer les livres. Cela aurait pu susciter une réactionde leur part et les pousser à braver l’interdit…

En tant que grand-père, le livre et la lecture sontabordés de manière tout à fait différente. Claude Raucyraconte des histoires à ses petits-enfants, et ce afin deleur donner du plaisir et de « concurrencer» la télévisionet leurs autres occupations.

En tant qu’écrivain :

Un roman doit raconter une histoire qui passionne lelecteur jusqu’au bout. Le livre doit plaire, tant au niveaude son style, de ses personnages ou de son aspectphysique. Pour Claude Raucy, l’aspect physique est trèsimportant. Le premier contact avec le livre est un contactphysique. La couverture doit accrocher. Le format, lenombre de pages ou encore le type de caractère utilisé

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sont également des éléments auxquels il faut tenircompte.

Pour illustrer ce propos, il a apporté quatre éditionsde son livre « Cocomero », présentant chacune unecouverture différente, et a demandé à l’auditoire quellivre il lirait s’il ne devait se fier qu’à la couverture. Lescouvertures les plus récentes, plus colorées, eurent plusde succès.

Conclusion

Les grands points à retirer :

- Le livre est un objet. Ce doit être un bel objet, qui doitplaire, attirer.

- Il doit raconter une histoire et doit apporter duplaisir.

- Le livre doit faire partie de l’environnement del’enfant, que ce soit à la maison ou à l’école.

- La lecture ne doit pas être une obligation, les enfantsdoivent avoir le choix de leur lecture. Qu’importe ceque l’enfant lit, l’essentiel est qu’il lise.

Débat - discussion

Les différents participants ont ensuite échangé leurspropres expériences, méthodes et points de vue.Quelques pistes et idées ont été lancées :- le goût de lire doit être donné dès le plus jeune âge.

Quand on donne le goût de lire à de jeunes enfants,ils le gardent toute leur vie ;

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- il faut aller vers les enfants avec les livres et leurmontrer que la lecture peut être ludique ;

- il est important de susciter la participation desenfants ;

- l’enfant doit être accompagné dans ses lectures,même lorsqu’il sait lire ;

- à l’activité de lecture peut être associée une activitéd’écriture ;

- discuter des lectures, en parler pour permettre devoir le livre autrement ;

- il est également important de prendre en compte lesdifficultés de lecture ;

- la lecture à voix haute est une démarche intéressante,même auprès des grands enfants, voire desadolescents.

Deux points ont suscité un débat.- La question des fiches de lecture. Beaucoup departicipants sont contre cette pratique car elle représenteune contrainte, un contrôle et est souvent perçue commeennuyeuse à réaliser. Il peut donc en résulter une réelleaversion envers la lecture. D’autres personnes présentesne sont pas du tout d’accord. Tout dépend de la manièrede proposer ces fiches de lecture. Elles peuvent avoir uncoté ludique. Il est possible de proposer des fiches libreset personnelles et non selon un schéma.- La question des lectures imposées à l’école. Certainssont pour car les grands auteurs doivent être lus.D’autres sont contre car ces lectures et le fait qu’ellessoient imposées peuvent amener le « dégoût» de lire.

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Atelier 5

La création littéraire

Témoins-ressources : Anne-Maie TREKKER, ArmelJOB, Daniel SIMON.Modérateur : Daniel SIMONSecrétariat : Virginie GUILLAUME

Quelques pistes de réflexion :

Anne-Marie Trekker et Armel Job témoignent de leurexpérience d’écrivain. Armel Job explique qu’il se définitcomme un romancier, fabricant d’histoire, et non commeun écrivain, qui puise en lui-même pour écrire son livre.

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Débat :

L’envie d’écrire est motivée par des sentimentsmultiples comme l’envie de traduire, de transmettre sonsavoir, ses passions, ses souvenirs, son vécu, l’envie departager les choses, les relations, les expressions.

De plus en plus de personnes écrivent car le premieroutil accessible depuis l’école est le crayon etl’apprentissage de la littérature.

Le moteur du romancier est de chercher des histoiresavec une démarche d’artisan, de récolter dans des notes,des anecdotes et des souvenirs de visage lui permettantde rédiger son histoire.

Écrire permet de voir les choses autrement.

Quand on lit un roman, on n’en sort pas indemne caron se met dans la peau du personnage.

Les décors sont très importants pour l’écriture.

Quand on crée un personnage fictif, on s’attache à sespersonnages mais on doit aussi en faire le deuil lorsqu’onle tue dans le livre.

Les lecteurs doivent également faire leur deuil duroman avant de se replonger dans un autre.

Les écrivains ont peur du tarissement qui peut venirdes contraintes comme la qualité d’écriture, une datelimite. Ces contraintes sont pour certains des aides àl’écriture et pour d’autres, ce sont des idées impensables

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car ils aiment la liberté. Pour éviter les blocages,l’écrivain doit avoir de l’audace.

Le monde des adolescents est noir, proche du suicide,très dure dans les écrits. Certains pensent qu’en neparlant pas des choses dures, les enfants sont curieux etabordent ces thèmes.

Quand on écrit à l’ordinateur, on perd ses brouillons,ses corrections.

Pour savoir si on a fini son roman, son livre, il faut lesentir, se faire confiance.

Que faire pour aller au-delà du lecteur et deveniractifs? Le lecteur est un acteur du livre à travers lestables de lecture.

Conclusions et prospectives :

La création littéraire, c’est partir de rien et termineravec quelque chose.

Chacun, dans ses écrits, transcrit soit son être, soit seraconte une histoire.

Pour écrire, il n’y a pas d’enseignement, c’estl’audace qui prime.

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Atelier 6

Au-delà du papier

Témoin-ressource : Laurence HOUSIAUX (Éditons LucPire) ; Alexandre LEMAIRE (Service de la Lecturepublique)Modérateur : Jean-François FUEG, Directeur du Servicede la Lecture publiqueSecrétariat : Martine JACQUEMART

Quelques réflexions :

Le monde du livre bouillonne et inquiète car ildemeure beaucoup d’inconnues quant à l’avenir.Quel service offrir au public dans le créneau dunumérique?

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Chez Luc Pire, il n’y a pas de réel objectif de vente auniveau du numérique ce qui explique qu’aucunepromotion réelle ne soit mise en place pour l’heure. Leslivres sont automatiquement numérisés au moment del’édition et proposés en version numérique et en versionpapier. Cela n’engendre pas vraiment un coût supplé-mentaire pour l’éditeur mais propose une alternativesupplémentaire au client. Le livre numérique permetplus de liberté au niveau des prix à fixer. Ce qui expliqueparfois le coût intéressant de l’achat en ligne de l’ e-book.À remarquer cependant que les livres qui marchent lemieux en numérique ne sont pas nécessairement ceuxqui marchent en support papier.

Les maisons d’édition doivent se tenir prêtes pour lemarché futur. Les catalogues d’éditeur sont de moins enmoins sur support papier (coût oblige)

Actuellement certaines maisons d’édition en profitentpour numériser les titres de leurs auteurs pour proposerune réédition version électronique des œuvres intégralesà coût moindre car sans investissement papier et encre.L’intérêt de la numérisation peut être égalementapprochée d’un point de vue technique : la lecturenumérique permet une adaptation des paramètres delecture (taille des caractères) non négligeable vu levieillissement de la population.

Certains éditeurs d’ouvrages spécifiques tels que lesdocumentaires scientifiques proposent des livresnumériques avec des liens mis à jour fréquemment, cequi apporte un plus au niveau documentaire.

La numérisation des œuvres permet également deproposer d’autres produits, par exemple une seule

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nouvelle issue d’un recueil alors que sur support papier,l’achat du livre entier est un passage obligé.

Au niveau commercial, le web touche une tranche declients potentiels non atteints via le circuit classique. Lesréseaux sociaux représentent un outil de communicationtrès important.

Au niveau de l’offre de lecture, l’avenir est à la plate-forme multi-éditeurs, aux catalogues enrichis desbibliothèques voire aux super catalogues (Samarcande)et aux réseaux sociaux du livre. L’ensemble de ces outilsont le même objectif : limiter les démarches de l’usager.

Ces outils apportent un changement dans laprésentation de l’information mais également au niveaude la richesse de celle-ci. Un apport non négligeable estégalement la possibilité d’échanges d’avis liés àl’ouvrage.

Le nombre d’ouvrages édités augmente de façonexponentielle. L’importance de la rentrée littéraire 2011en est une belle illustration. Si dans les mois, voire lesannées qui suivent, l’édition devient majoritairementnumérique, il y a un risque certain de voir une véritableexplosion au niveau des publications. Ce qui amèneraune multiplication des informations pertinentes ou nonau sein des catalogues d’où un réel danger decacophonie au niveau de l’information. C’est à ce niveauque le bibliothécaire a son rôle de médiateur de la lectureà jouer en effectuant au sein de cette surinformation destris quant à la pertinence du contenu, en hiérarchisant lesinformations pour permettre à l’usager de bénéficierd’une proposition de lecture ou de documentationpertinente sur format numérique.

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D’un point de vue légal, on ne peut que constaterqu’actuellement il est aisé de contourner les procéduresmise en place pour protéger les droits d’auteur. Il estimportant de travailler davantage à la possibilité detraçabilité des ouvrages téléchargés.

L’auteur quant à lui a les possibilités d’éditer sonlivre sur Internet avec souscription en ligne sur certainssites. Sur AMAZON, il existe la possibilité d’éditer àcompte d’auteur.

Une crainte évoquée lors de cet atelier est le risque devoir un formatage des individus via les profilsnumérisés. Le Web = liberté? oui mais… attention à laliberté de l’individu : les recommandations de lecturepourraient enfermer le lecteur dans un profil. Il peuttoutefois être appréciable de se voir conseiller même sil’autonomie de choix du lecteur doit rester une priorité.

Les bibliothécaires rappellent que légalement on nepeut conserver l’historique de prêt d’un lecteur.Cependant, il semblerait que celui-ci ait déjà été utilisédans le cadre de certaines enquêtes.

En conclusion

Quel avenir pour les librairies et les bibliothèques?

Le libraire restera l’artisan conseil privilégié pour le« beau livre» qui conservera son support papier. Le livrepapier restera encore un objet de plaisir et d’esthétique.Ce qui n’empêche pas la crainte de voir le livre papierdevenir un produit de luxe relevant alors davantage dela bibliophilie. Il est évident que le métier va évoluer

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mais on peut davantage parler d’une adaptation qued’une révolution.

Le bibliothécaire, acteur non commercial dans lafilière du livre continuera à diffuser et promouvoir lalecture à destination du grand public et intensifiera sonrôle de médiateur du numérique afin de réduire lafracture numérique.

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Table

Avant-lire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -3-

Accueil par M. Bernard CAPRASSE. . . . . . . . . . . . . . -7-

Introduction par M. Philippe GREISCH. . . . . . . . . -11-

Allocution de Madame Christine GUILLAUME. . -21-

Allocutions de Marc QUAGHEBEUR.. . . . . . . . . . . -33-

L’édition littéraire. Indéfiniment dans les intersticesdu monopole parisien?.. . . . . . . . . . . . . . . . . . -33-

Quelques perspectives pour le devenir de nos lettresau sein des Francophonies.. . . . . . . . . . . . . . . -56-

La Promotion du Livre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -69-

L’édition et la diffusion du livre. . . . . . . . . . . . . . . . . -75-

Apprentissage et difficulté de la lecture. . . . . . . . . . -79-

Aimer lire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -91-

La création littéraire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -97-

Au-delà du papier.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -101-

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PROVINCE DE LUXEMBOURGDépartement de Enseignement, Éducation, Formation,

Nature et Culture

Achevé d’imprimer en décembre 2011pour le compte des

Éditions Chouette ProvinceService du Livre Luxembourgeois

Chaussée de l’Ourthe, 74B-6900 MARCHE-EN-FAMENNE

? 32 (0)84/31.34.78www.servicedulivre.be

D/2011/4025-03/3

Éditeur responsable : P.-H. GOFFINET, Greffier provincial,Square Albert 1 , 1 - 6700 ARLONer