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LES ATHÉES ONT-ILS TUÉ DIEU ? Camille Riquier et al. Editions Esprit | Esprit 2014/3 - Mars/Avril pages 124 à 130 ISSN 0014-0759 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-esprit-2014-3-page-124.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Riquier Camille et al., « Les athées ont-ils tué Dieu ? », Esprit, 2014/3 Mars/Avril, p. 124-130. DOI : 10.3917/espri.1403.0124 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions Esprit. © Editions Esprit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 15h01. © Editions Esprit Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 15h01. © Editions Esprit

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LES ATHÉES ONT-ILS TUÉ DIEU ? Camille Riquier et al. Editions Esprit | Esprit 2014/3 - Mars/Avrilpages 124 à 130

ISSN 0014-0759

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-esprit-2014-3-page-124.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Riquier Camille et al., « Les athées ont-ils tué Dieu ? »,

Esprit, 2014/3 Mars/Avril, p. 124-130. DOI : 10.3917/espri.1403.0124

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Distribution électronique Cairn.info pour Editions Esprit.

© Editions Esprit. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Dialogue entre Camille Riquier et Pierre Zaoui*

ESPRIT – On associe souvent le nihilisme à la mort de Dieu. Si « Dieuest mort » est d’abord une parole chrétienne (on la trouve chez Lutheret chez Hegel, où elle symbolise le scandale de la crucifixion), ellereçoit toute sa portée philosophique avec Nietzsche. Pour celui-ci, lamort de Dieu est un événement culturel et historique, mais surtout lerésultat d’un acte, puisque ce sont les hommes qui ont tué Dieu,portant par là une responsabilité dans l’effondrement des anciennesvaleurs. Y a-t-il toujours un moment destructeur et potentiellementnihiliste dans l’athéisme ? En d’autres termes, l’athéisme se distingue-t-il de l’agnosticisme seulement par son caractère négatif ou est-ilpossible de le penser comme une affirmation ?

Camille RIQUIER – Ce qui distingue Nietzsche du chrétien n’esteffectivement pas de dire que Dieu est mort, mais qu’il « demeuremort1 » et ne ressuscite pas. Et pour cela, il fallait tuer égalementle Père. Ce meurtre s’est d’ailleurs fait de façon beaucoup moinsspectaculaire que celui du Fils, repérable entre tous, qui a son lieuet sa date. Mais il fut en un sens bien plus réussi. Ce fut le crimeparfait, accompli sans laisser de traces, sans même qu’il fût néces-saire de faire couler le sang – tout en douceur, insidieusement, inté-rieurement, profondément, à l’insu même de ses assassins. Comme

* Camille Riquier est philosophe, membre du Centre international d’études de la philo-sophie française contemporaine (CIEPFC) et enseigne à l’Institut catholique de Paris. Il arécemment dirigé, avec Frédéric Worms, Lire Bergson, Paris, PUF, 2013. Pierre Zaoui, philosophe, enseigne à l’université Paris VII-Diderot ; il a récemment publié la Discrétion, oul’art de disparaître, Paris, Autrement, 2013.

1. Friedrich Nietzsche, le Gai Savoir, trad. fr. P. Wotling, Paris, Flammarion, coll.« Garnier », 1998, § 125.

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tous les grands événements, il est venu sur des « pattes decolombes » et n’a pas fini de faire son chemin jusqu’aux oreilles deshommes. Pour cela, il a suffi qu’on le nie dans son cœur, ce quitoujours se fait insensiblement sans même qu’on y pense. C’est ceque nous avions commencé de faire « en détachant cette terre de sonsoleil », en l’abandonnant à sa chute, et nous avec elle.

La mort de Dieu

Il faut bien entendre dans ce fragment célèbre la voix de Pascalqui continue de résonner dans celle de Nietzsche : « le silenceéternel de ces espaces infinis m’effraie », dit l’incrédule2 ; « est-ilencore un haut et un bas ? N’errons-nous pas comme à travers unnéant infini ? », dit l’insensé. Le silence de Dieu éclate dans l’uni-vers et affole quiconque s’obstine à l’y chercher, qui n’a plus aucunhorizon pour s’orienter, aussi bien spatial que temporel – le « bonsens ». Pascal est le penseur « le plus table rase » qu’il y ait eu aumonde, écrivait Péguy, qui connaissait peu Nietzsche, « le penseurle plus absolu et en un certain sens, au temporel, […] le penseur leplus nihiliste3 ». Le constat nihiliste est donc partagé et remonte aumoins à Pascal qui se désolait déjà d’un dieu perdu, « dans l’hommeet hors de l’homme ».

Il serait absurde d’imaginer le chrétien accroché à ses« valeurs » et sauvé du naufrage, insensible au froid glacial qu’il faitautour de lui. Il y a, et peut-être est-elle première, une « expériencenihiliste du christianisme » comme le dit très bien VincentDelecroix4. Ce qui me frappe surtout n’est donc pas le momentpotentiellement nihiliste qu’il peut y avoir dans l’athéisme ; c’estqu’il n’est pas besoin d’être athée pour être nihiliste, bien aucontraire, ce que Nietzsche appelait le nihilisme passif. À quis’adresse en effet le « dément » qui, chez Nietzsche, annonce la mortde Dieu ? Non pas aux athées (Gottloser) que sont les esprits libres.Ce serait leur faire trop d’honneur de les appeler ainsi. Il parle toutsimplement « à ceux qui ne croient pas en Dieu », à ceux que nous

Les athées ont-ils tué Dieu ?

2. Blaise Pascal, Pensées, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1962, éd. Lafuma, frag-ment 201.

3. Charles Péguy, Un poète l’a dit, 1907 posthume, Œuvres en prose complètes, Paris,Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », éd. Robert Burac, 1988, vol. II, p. 857.

4. Vincent Delecroix, « L’expérience nihiliste du christianisme », dans Marc Crépon,Marc de Launay (sous la dir. de), les Configurations du nihilisme, Paris, Vrin, coll. « Problèmeset controverses », 2012, p. 59 sq.

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nommerions aujourd’hui volontiers des agnostiques – et qui l’ac-cueillent avec « un énorme éclat de rire ». Pascal voulait encore leurficher la frousse en leur montrant leur déréliction ; désormais ils enrient. Nietzsche voulait au contraire qu’ils ne s’en effraient plus etqu’ils aient assez de courage pour se rendre dignes de l’acte gran-diose qu’ils ont commis ; mais ils rient encore. Ils rient de leur igno-rance, et non bien sûr du franc et « gai savoir » qu’il attend d’eux– voilà peut-être ce qu’il y a de plus effrayant, à quoi le nihilismese reconnaît infailliblement, cette dérision universelle de ceux quine prennent plus rien au sérieux, pas même l’athéisme.

Pierre ZAOUI – Je ne sais pas si « Dieu est mort » est d’abord uneparole chrétienne. Voyez, par exemple, ce très étrange récit que faitPlutarque sur la mort du grand Pan dans De la disparition desoracles : à l’époque du règne de Tibère, un bateau passant près del’île de Paxos entend monter la rumeur « le grand Pan est mort,annoncez-le à tous » et tous les marins sont glacés d’effroi. DepuisEusèbe de Césarée, on a pu interpréter ce texte de mille manières :effectivement, comme l’annonce du sacrifice du fils de Dieu, la findu polythéisme et la mort du monde antique, mais aussi biencomme la mortalité des démons au sens d’êtres intermédiaires entredieux et hommes, comme la libération des superstitions populaires(Pan étant une divinité tardive et secondaire) ou anachroniquementcomme l’annonce du désenchantement du monde. Bref, dire « Dieuest mort » plutôt que « Dieu n’existe pas » peut prendre de multiplessignifications : c’est bien davantage une énigme qu’un slogan ou uneprovocation.

Tout cela dit, il est vrai que la formule exacte « Dieu est mort »ne prend sa pleine mesure qu’avec Nietzsche, ce dernier laissantentendre que l’athéisme naîtrait d’abord dans un acte violemmentnégateur, même meurtrier et donc effectivement nihiliste. « Dieu estmort ! Et c’est nous qui l’avons tué », dit Nietzsche. Mais il faut faireattention à la ruse du philosophe allemand. Car qui est pour lui ce« nous » ? Qui est l’inventeur du nihilisme ? C’est le christianismeet tout ce qu’il y a d’encore chrétien en nous, c’est-à-dire tout ce quidéprécie les valeurs les plus hautes de la vie : la force, la volonté,la grandeur, le plaisir, etc. De ce point de vue, l’athéisme n’est nihi-liste qu’en tant qu’il n’est qu’un ultime avatar des monothéismesprimordiaux. Après tout, ce n’est pas faux historiquement : il n’y apas vraiment d’athéisme dans l’antiquité gréco-romaine, parce qu’iln’y a pas de sens à nier les dieux quand une pluralité de cultes et

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de rituels est autorisée, sinon sous le coup de la colère ou du senti-ment d’injustice à la manière d’Œdipe au début d’Œdipe à Coloneou de Jason à la fin de Médée.

Dans tous les cas, il me semble que le problème de savoir quiest le plus originairement affirmatif entre la foi monothéiste etl’athéisme est un problème insoluble : les uns défendront toujoursque l’athéisme est une négation première de toutes les valeursinstituées par les religions, les autres que l’athéisme est d’abord uneaffirmation des valeurs de la vie que les religions tentent derabaisser et de culpabiliser, et seulement en un second temps unenégation de cette négation. En revanche, il peut être plus intéres-sant de penser l’athéisme, à la suite de Nietzsche, comme undevenir interne des monothéismes, c’est-à-dire ni tout à fait commeune affirmation originelle – position trop naïve et trop orgueilleuse –,ni tout à fait comme une négation absolue, potentiellement nihiliste,plutôt comme un pont ou un état transitoire entre une nostalgie, entout cas le constat d’une absence, et une attente de quelque choseà venir. Nietzsche avait la nostalgie des premiers Grecs et attendaitl’advenue du surhomme. Il n’est pas sûr que de telles figures,construites sur celles de l’Éden et du Messie, soient encore perti-nentes : on a fait dire n’importe quoi aux Grecs et le surhomme estun nom trop sali ou infantilisé. En revanche, la structure me semblepertinente : l’athéisme demeure pris dans cet espace de formemonothéiste entre une origine perdue et un pas-encore commeentre une affirmation et une négation qui peuvent nourrir autant lenihilisme qu’une nouvelle espérance, l’un n’étant peut-être d’ailleursque l’envers de l’autre.

Faut-il prendre la foi au sérieux ?

Une des figures de l’athéisme nihiliste ne serait-elle pas l’indifféren-tisme généralisé ou le relativisme, comme si la question de Dieuperdait tout son sérieux ? On en trouverait la trace aussi bien dansles livres de Michel Onfray, où l’existence de Dieu semble reléguée aurencart des superstitions dépassées par la science, que dans une formed’extrémisme laïque qui n’envisage jamais la croyance comme autrechose qu’une superstition anachronique. L’athéisme, pour être uneposition tenable, doit-il prendre la foi au sérieux ?

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P. ZAOUI – Évidemment qu’il faut prendre la foi au sérieux ! Etd’autant plus que, suivant la juste formule de Dominique Pestre5,nous vivons aujourd’hui dans des « sociétés d’ignorance » danslesquelles plus personne ne peut maîtriser ne serait-ce qu’unepartie substantielle de la totalité du savoir disponible. De tellessociétés ne peuvent et ne pourront donc tenir qu’en mettant en placeet en soutenant un certain nombre de croyances communes. Celles-ci ne sont pas nécessairement d’ordre religieux, et heureusement,mais il serait aberrant pour les analyser de rejeter en bloc les reli-gions qui furent et qui sont encore parfois des tentatives extrême-ment subtiles pour fonder et penser des « sociétés de croyance », oudes « sociétés de docte ignorance », au lieu même d’un savoir inac-cessible.

De ce point de vue, il me semble pourtant que l’athéisme est bienplus respectueux des formes et des expériences de foi que la laïcité.Non pas parce qu’il existerait un « extrémisme laïc » – c’est à monsens une contradiction dans les termes : il n’existe que des extré-mismes, généralement droitiers et islamophobes, qui se dissimulentsous le beau nom de laïcité pour soutenir des positions insuppor-tables. Mais parce que l’idée de laïcité, aussi valeureuse soit-ellepolitiquement (comme celle de tolérance), manque dramatique-ment de profondeur métaphysique et existentielle : elle laissechacun à ses croyances privées, dans une indifférenciation quivide tout ancrage ontologique et toute orientation existentielle.Autrement dit, il y a évidemment un sens à défendre la laïcité maisil n’y a aucun sens à se dire ou pire encore à se croire « laïc »puisque par définition la laïcité est le suspens public des identités.

C. RIQUIER – Combien se disent agnostiques d’un air entenduplutôt qu’athées ! L’athéisme est encore une théologie, écrivaitComte. Aussi ceux-là se croient raisonnables qui s’abstiennent detrancher pour ou contre l’existence de Dieu quand on le leurdemande, sans s’apercevoir que ce n’est pas la réponse qu’ils igno-rent, mais la question elle-même, qui a littéralement cessé de fairesens pour eux. La question de Dieu, qui était encore pour Kant un« besoin de la raison humaine », a été déracinée de bien desconsciences, au point que certains ne savent plus même ce que veutdire « croire ».

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5. Dominique Pestre, À contre-science. Politiques et savoirs des sociétés contemporaines,Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2013.

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Probablement Michel Onfray est de ceux-là, qui s’étonnentensuite que d’autres continuent à croire. Lui seul en revanche s’estfait une profession de s’en indigner, parlant ainsi de ce dont il n’aaucune idée : il n’y a plus que des « dupes » et des « victimes » d’uncôté et de l’autre des méchants « bourreaux » qui les « trompent avecconstance » ; il n’y a plus qu’un fourre-tout de névroses, psychoseset autres affaires privées et des « profiteurs embusqués » qui font« commerce d’arrière-mondes ». Même Kant, en laissant une placeà la foi, aurait manqué sa majorité, encore trop attendrie par samaman piétiste. Ce qui est le plus gênant quand on lit le Traitéd’athéologie d’Onfray6 n’est pas tant ce qu’il dit que le ton mauvaiset condescendant avec lequel il le dit. Il répète qu’il ne méprise pasles croyants et s’adresse à eux comme un père à ses enfants – avecbeaucoup de superbe et de naïveté aussi, comme tous ceux d’ailleursqui croient savoir sans savoir qu’ils croient. Car cette science faitereligion, cela aussi appartient au XIXe siècle. Si le doute le gagnaitun peu, peut-être le lirais-je davantage ; en tout cas, il serait philo-sophe.

Être athée sans prendre la foi au sérieux, c’est se réduire àembêter les curés. C’est au fond s’attaquer à l’institution et espérerfaire tomber la doctrine elle-même à bon marché. C’est combattreles autorités qui n’ont besoin que d’être dénoncées, c’est mépriserles croyances qui devraient pourtant être critiquées. Bref, c’estconfondre tous les ordres. L’athéisme mal compris peut nourrirl’homme du ressentiment aussi bien que le judéo-christianisme.Aussi en retour dois-je vous répondre qu’il ne me semble paspossible non plus d’être chrétien sans prendre Nietzsche au sérieux.Si Dieu est mort, c’est qu’il n’était pas Dieu. Bon débarras ! Cen’était qu’une des nombreuses idoles qui avait été prise pour lui,probablement la plus tenace, le dieu « kantien », le dieu moral, jugeet rétributeur du bien et du mal. Dans l’Idole et la distance7, Jean-Luc Marion a dit là-dessus des choses essentielles. En tout cas, ilimporte au chrétien de n’être pas dupe de sa croyance, et de n’ou-blier jamais le judaïsme dont il provient, qui lui a enseigné lepremier la destruction du Veau d’or. L’athée, quand il affirme qu’ilsait et que le reste n’est que superstition, me semble être la plusgrande des dupes. Et c’est encore dans le christianisme que j’airencontré la plus haute figure de l’athéisme, aux antipodes de

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6. Michel Onfray, Traité d’athéologie, Paris, Grasset, 2005.7. Jean-Luc Marion, l’Idole et la distance, Paris, Grasset, 1977.

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l’athéisme nihiliste dont vous parlez : Polyeucte, qui à peine chré-tien crache sur l’édit de l’empereur et brise au sol les idoles de boiset de métal que le peuple païen portait aux autels. Ce saint martyrque l’histoire a prêté à Corneille n’avait en effet pas reçu d’« autreBaptême que celui de son sang8 » – comme si l’acte de conversionn’avait fait qu’un avec le rejet même de l’idolâtrie. Et où aurait-iltrouvé la force de nier les faux dieux s’il ne s’était pas tourné versle vrai Dieu qui est au-delà de toute idolâtrie ? Le chrétien sincèreest peut-être aussi l’athée véritable.

Propos recueillis par Michaël Fœssel

Camille Riquier et Pierre Zaoui

8. Pierre Corneille, Polyeucte martyr, dans Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris,Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », vol. I, 1980, p. 978.

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