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,~NT~ \J ne, ~ [ DE CHEDDAD 1 ROMAN ARABE DES TEMPS ANTÉ-ISLAM1QUES TRADUIT PAR L.-MARCEL DEVIC J. - DEPUIS LA NMSS.tr-.CE D'.\~TAR JUSQU'A LA CAPTt\TITÉ ET .\ 1.:\ DtLl\"n.\~CE DE CH1\S PARIS COLLECTION HETZEL - LIBRAIRIE J. HETZEL. Il:l, RUE JACOB -

Les Aventures d Antar Fils de Cheddad HETZEL 1864

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DEROMAN ARABE

CHEDDADDES TEMPSTRADUIT

ANT-ISLAM1QUESPAR

L.-MARCEL

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DEPUIS

LA NMSS.tr-.CE ET .\1.:\

D'.\~TAR DECH1\S

LA CAPTt\TIT

DtLl\"n.\~CE

PARISCOLLECTION LIBRAIRIEJ. HETZEL.

HETZELIl:l, RUE JACOB -

LES

AVENTURES D'ANTARFILS DE CHEDDAD

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MONSIEUR ET MADAME DEVIeAU MARRONIER-TOIRAC

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LES AVENTURES

D'ANTARFILS DE CHEDDADROMAN ARABE DES TEMPS ANT - ISLAMIQUESTRADUIT PAR-

L. - MAR CEL

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DEPUIS LA NAISSANCE D'ANTAR

IUsqU'A LA CAPTIVIT ET A LA DLIVRANCE DE CHAS

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, PARISCOLLECTION HETZEL J. HETZEL, DITEUR, 18, RUE JACOB

PRFACE

Parmi les nombreux ouvrages qu'a produits, dans une pripde de sept huit sicles, la fconde imagination des Arabes, le roman intitul ( Siret Antar, AVENTURES D'ANTAR, J occupe une place dis tingue et pour ainsi dire unique, par son sujet et son tendue. Clbres dans tout l'Orient, particulirement en Syrie o elles tiennent presque lieu de toute littrature, les Aventures d'Antar ne sont con nues en France que par quelques fragments de tra dudion dont les plus anciens datent de trente ou quarante ans. Toutefois, quelques annes plus tt, un anglais, Terrick Hamilton, avait traduit en sa langue un tiers environ du roman, et une imita tion franaise d'une petite partie de cette version avait paru en iSi9, sans nom d'auteur, chez ArthusIl.

VI

PRFACE

Bertrand. Avant cette poque, le texte arabe mme manquait nos orientalistes, ou du moins nos bibliothques publiques n'en contenaient que des manuscrits trs-incomplets. C'est seulement vers 1832 que la bibliothque de la rue de Richelieu acquit le seul exemplaire sans lacunes qu'elle possde, le nO 1683 du supplment arabe. L'anne suivante, M. Caussin de Perceval, l'minent professeur du Collge de France, publia d'abord, l'pisode de la Mort d'Antar, un des plus beaux chants lyriques de toutes les langues, J a dit M. de Lamartine *,~et ensuite celui de la Mort de Zohir. M. Cardin de Cardonne (183i, 1837), et plus tard M. Cherbonneau (18i5) et M. G. Dugat (18i8, 1853), arabi sants distingus, ont traduit plusieurs autres fragments assez tendus; mais ces publications, faites dans le Journal Asiatique, n'OJit pu, malgr leur mrite, franchir un cercle limit de lecteurs spciaux. La Revue Germanique a aussi donn, en 1862, quelques morceaux que l'on retrouvera dans le prsent volume. Le roman d'Antar a attir l'attention d'un grand nombre d'orientalistes. On ignorait et le nom de Vil dullomflNlill",t,." : Antar.

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l'auteur et la date du livre. Aprs de longues discussions, on s'accorde gnralement aujourd'hui, d'aprs les indications de M. de Hammer *, en attnbuer la rdaction originale un mdecin de Djzira (sur le Tigre). Abou'I-MoayyedMohammed, fils/ d'EI-Modjelli, fils d'Es-Sayirh, qui vivait dans la.......-------'--''''''"''

premire moiti du XIIe sicle, mais qui a emprunt les matriaux de son ouvrage des crivains beaucoup plus anciens, notamment l'historien Asmai, 1 contemporain d'Haroun-er-Rachid. Le livre eut unl tel succs qu'il valut son auteur le surnom d'ElAntan, c l'Antarien, qualification applique depuis des conteurs de profession qui courent les -eafs et les lieux de runion pour y rciter des pisodes de ce roman. Les murs bdouins que peint Abou'l-Moayyed, dans un tableau trs-vivant et trs-vrai, aussi vrai peuttre en t86' qu'au temps auquel il se rapporte, ces murs, dis-je, n'offrent aucune ressemblance avec celles des Arabes des villes, auxquelles nous ont accoutums les charmants rcits des Mille et une Nuits. Au lieu de ce peuple d'artisans, de pcheurs, de portefaix, au lieu de cette bourgeoisie de marchands, Journal AriGt., Avril tS38.

PRFACE de ces souverains absolus et magnifiques, qui manient pleines mains les milliers de pices d'or, et qui, pour une pince de poivre oublie dans un rago11t, condamnent un homme au dernier supplice, nous trouvons ici les vrais Arabes du dsert, ayant pour toute occupation la chasse et la guerre, pour toute proprit leurs troupeaux, pour toute richesse les profits du pillage, pour toutes lois les volonts individuelles. Le roi lui-mme, dans chaque tribu, . n'a depouvoirque ce qu'on veut bien lui en ac.corder. comme au plus prudent et au plus brave, pour la dfense du camp ou le succs des expditions guerrires. L'action se passe au VI' sicle de notre re. An/tar ou Antara, fils de Cheddad, est contemporain d'Abd-Allah, pre de Mahomet. Antar n'est pas un personnage de fantaisie. C'est un guerrier illustre qui fut aussi un des plus grands potes arabes des temps ant-islamiques. Son Diwan, compris dans un recueil clbre, Ackr es-Sitta Pomes des Six, ' contient de magnifiques pices de vers o il chante ses amours et vante ses exploits. Mais l'auteur du roman n'a pas scrupuleusement respect l'histoir~, du reste mal connue, du fils de Cheddad. il s'est plu faire de son hros le type le plus lev du caVIII

PRtFACE

valier bdouin. N d'un mir et d'une ngresse prise dans une rhazia, Antar a vaincre tous les prjugs de la naissance et de la couleur. Btard, esclave et ngre, mais dou d'une prodigieuse vigueur, d'une vaillance toute preuve,. d'une loquence forte et sauvage, d'une libralit et d'une gnrosit sans limites, pouss par un amour chevaleresque pour sa cousine~ parvient, force de prouesses, triompher de toutes les rsistances, se fait reconnattre par son pre, est admis au rang des nobles, pouse celle qu'il aime et devient le premier de sa tribu qui est la premire parmi les nomades de l'Arabie. Dans un prologue assez long, Abou'IMoayyed, en vritable Arabe, commence son rcit, sinon la cration du monde, du moins au dlnge, quand No et ses enfants restrent seuls sur la terre. Il fait passer sous les yeux du lecteur une srie de personnages bibliques quelque peu transforms par la tradition musulmane.: Cham, fils de No; Couch, fils de Cham; Canaan, fils de Couch; le gant Nemrod que Dieu maudisse 1 , sous le rgne duquel les hommes se dtournent du culte du ToutPuissant pour adorer les idoles; Abraham, l'ami de Dieu, et. son fils Ismal, souche des Arabes. Abraham lve la

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Cba Il l'endroit du dsert o le Seigneur avait fait jaillir une source pour dsaltrer Agar et Ismal fugitifs. Cetle source est le puits de Zemzem. Le saint patriarche laisse sur un rocher la trace de ses deux pieds, et les Arabes jurent volontiers par cetle trace vnre qu'ils appellent la Station d'Abraham. Adnan, l'un des fils d'Ismal, est la tige des BniAbs chez lesquels est n Cheddad, pre d'Antar. Les quatre enfants de Nizar, petit-fils d'Adnan, ont une aventure assez singulire, souvent rapporte par les crivains arabes, et qui a t plusieurs fois imite par des conteurs europens. Ce prologue se termine par l'histoire du mariage de Zohir, roi des BniAbs, avec la belle Toumadir ou Tmadour, pisode intressant dont M. de Lamartine a donn une brillante analyse. C'est en ce point seulement, c'estdire la naissance d'Antar, que commence notre traduction. Leroman d'Abou'lMoayyed est crit en prose mle de vers. La prose, rime et cadence, comprend tout ce qui est rcit. Les vers sont des chants d'amour, des dtis qu'changent les guerriers avant l'attaque, ou des chants de triomphe aprs le combat. Parfois trs-belles, parfois aussi ces tirades potiques ne supportent pas la traduction. Elles sont loin

11 PRFACB d'ailleurs d'tre identiques dans les divers manuscrits. Aussi ai-je d en supprimer ou en courter quelques unes, bien que je me sois fait un devoir de n'essayer que le moins possible d'embellir mon original. Malgr l'excellence de la littrature arabe, il faut avouer qu'il ne s'y rencontre peut-tre pas un seul ouvrage de longue haleine dont une traduction strictement fidle et sans coupures ft lisible pour nous. Ceci est particulirement vrai du Siret Antar, tel que nous le possdons aujourd'hui. Je suis loin de croire en eft'et que la rdaction, d'ailleurs passablement diverse de nos manuscrits, soit la rdaction primitive d'Abou'l-Moayyed. Le cadre du roman prtait trop bien aux additions de toute sorte, pour que les copistes n' aient point t tents d'y introduire maint rcit pris l d'autres sources. C'est l'opinion de M. Caussin de Perceval, juge bien comptent en cette matire. (Je prie cet excellent professeur, ainsi que le savantM. Reinaud, de me permettre de leur tmoigner ici toute ma reconnaissance pour leurs bonnes leons et leurs bienveillants conseils. Sans leur secours, mon travail et t impossible.) Ceux qui ont parcouru des manuscrits arabes sa~ent qu'on n'y trouve le plus souvent ni ponctuation, ni alinas, ni divisions d'aucune sorte, si ce

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PRtFACE

n'est quelques mots de convention, tels que ~ Le , raconteur a dit" ou simplement c Il a dit, ' ou encore 'c Cela (avait lieu) et... , Je ne me suis pas fait scrupule de couper ma traduction par chapitres auxquels j'ai ajout des sommaires. Je terminerai eet, aperu par quelques lignes d'un illustre crivain, admirablement ,vers dans tO!}t ce qui touche l'esprit et l'uvre des races smitiques :c Je ne sais, dit M. E. Renan, s'il y a dans toute

l'histoire de la civilisation un tableau plus gracieux, plus aimable, plus anim que celui de la vie arabe avant l'islamisme, telle qu'elle nous apparait dans les Mollacdt et surtout dans ce type admirable d'Antar : libert illimite de l'individu, absence complte de loi et de pouvoir, sentiment exalt de l'honneur, vie nomade et chevaleresque, fantaisie, gaiet, malice, posie lgre et indvote, raffinement d'amour. Cette fleur de dlicatesse de la vie arabe finit prcisment l'avnement de l'islamisme. ,

(tude. d'histoire religie,,,e).

LES

AVENTURES D'ANTARFILS DE CHEDDAD

PREMIRE PARTIE

CHAPITRE 1Une rhazia. - Naissance d' Antar. ~ Le loup. - Dadji cras. Abia, fil~e de Malec. - Le dlaleur puni.!

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Au nom de Dieu clment et misricordieux. Asma a racont cette histoire merveilleuse. Dans l'ancien temps, les enfants d'Abs et d'Adnan habitaient le Hedjaz. Les Bni-Abs taient les plus braves de tous les Arabes: on les avait surnomms les Cavaliers des Destins et dp. la Mort. Ds l'ge de dix douze an!!, un absien tait un cavalier accompli. La la tribu avait pour chef le noble roi Zohir, fils de1

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LES AVENTURES D' ANTAR

Djzima, qui commandait la fois aux f'nfants d'Abs, de Dhobyan, de Rhatafan etde Fzara, tous issus d'Ad Dan. Or dix (\avliers absiens, devenus pauvres et privs de tout par suite de leur large hospitalit, rsolurent de faire une expdition et une rhazia sur les biens des Arabes, suivant l'usage de ces temps-l. Ils se runirent et alIrE'nt trouver l'mir Cheddad, fils de Carad, qu'ils instruisirent de leur dessein; car il tait leur chef et leur hros au jour du comb~t. L'mir approuva ce projet, et les onze guerriers partirent de ia terre de Chrebba. revtus d'armures de fer et de cottes de mailles, cherchant l'occasion de prendre des chevaux et des chameaux. Ils s'loignrent de leur pays, ne voulant pas piller dans le voisinage de leurs demeures, et entrrent dans le Ymen, sur le territoire des Bni-Cahtan. Ils s'embusquaient durant le jour, et la nuit s'avanaient dans les tnbres. Ils arrivrent ainsi auprs des montagnes de Adja et de Selma; et dans la valle ils dcouvrirent une tribu riche et nombreuse, dont les tentes taient pour la plupart en toffes de soie, et dont flottaient les bannires et les enseignes, Le camp tait vivant comme la mer bruyante, et l'on voyait se mouvoir, comme les vagues qui s'entrechoquent. les esclaves, les jeunes hommes, les bp.I1es jeunes filles et les chevaux aux couleurs va-' rie51. Ces ge,lB taient cn scuril contre les vicissitudes de la fortune, Effrays de la toule des chevaux et des guerriers, les Bni-Abs n'usrent les attaquer et se dtournrent vers les pturages. L mille chamelles paissaient au large; leur bosse bien nourrie penchait sur le ct, tant l'herbe et les

tILS DE CHEDDADplante~ abondaient en ce lieu. Une esclave noire les faisait paLre. Belle, souple et bien proportionne, elle se balanait sur ses hanches comme 'ime branche flexible. Son sein tait ferme, et ses dents blanches et fratches comme des grlons. A ses cts taient deux ngrillons, ses tils, qui tournaient autour d'elle droite et gauche, et J'aidaient garder le troupeau. Lorsque les Bni-Abs aperurent ce facile butin, ils y coururent en hte et chassrent les chamelles devant eux comme des livres. Aiguillonnes de tous cts par la pointe des lances, Jes chamelles allongrent le pas et prcipitrent leur marche. Les deux ngrillons les suivaient avec leur mre, et sur leurs traces marchaient les Bni-Abs, prpars recevoir quiconque les atteindrait. Ils cheminaient depuis peu, quand soudain la poussire s'lve derrire eux, et sous ses flots retentissent les cris des hommes el le grondement des braves. Ce sont des cavalierd qui courent la poursuite des pillards. Bientt ils les rejoignent. Malheur vous! crient-ils. Vous voil pris et humilis! la hunte et l'edclavage vous atteignent. O vom~ sauvera la fuite, quand nous sommes sur vos pas? Vos pieds vous ont conduits au terme de votre existence. Vous vous tes hts vers la mort et la catastrophe. Il Les Bni-Abs tourne:1t bride, pointent les lances, reoivent le choc des assaillants et se ruent sur eux comme des fallcons, affermissant leur cur ct poussant des cris terribles. Lesang c0ule et ruisselle, les cavaliers jonchent la face de la terre, pture prochaine des btes fauves. Bientt les guerr~ers ennemis perdent courage. Impuissants soutenir le choc des Bni-Abs, ils tour-

LES AVENTURES D'ANTAR

nent les talons, laissant leur braves massacrs et abandonnant leurs dpouilles. Les Absiens recueillent les armes des morts, rassemblent le8 chevaux disperss dans la plaine, les joignent aux chamelles et se htent vers leur pays, travers les plaines et les valles.

Il

Le soir, ils firent halte au.pord d'un tang. L'lIlr Cheddadjeta les yeux sur cette jewle femme qu'ils avaient pousse devant eux avec le troupeau, et l'amour pour elle fut doux son cur, et il dsira la possder; car il avait vu la dlicatesse de ses extrmits, la souplesse de sa taille, If:: balancement des vagues de ses hanches, la beaut de sa noire couleur, la coquetterie de ses yeux et la magie de ses paupires. Il avait vu l'clat de ses yeux plus tranchants que les sabres du trpas, et l'clair de ses dents plus brillantes que les miroirs. Et son sourire tait doux et sa taille flexible; et, comme a dit lepote:

n y a dans les noires une expression telle que si tu en pntrais le sens, tes yeux ne regarderaient plus ni les blanches ni les rouges ; Une souplesse de hanches, llne coquetterie de regards qui enseignerait la sorcellerie l'ange magicien Harout. La lentille place sur la joue blanche, si ce n'tait

FILS DE CHEDDAD

sa noirceur, quel prix aurait-eIle pour les amoureux? Le musc, s'il n'tait noir, ne serait point le musc. Et sans la noirceur de la nuit, tu ne contemplerais point l'aurore. D L'mir Cheddad prit la ngresse l'cart, la renversa et lui fit violence. Ses compagnons l'aperurent et voulurent l'imiter; car, cette poque d'ignorance, les hommes ne distinguaient pas le bien du mal. C'tait dans un temps d'intervalle, entre l'apparition des deux prophtes Jsus et Mohammed; ils s'agitaient sou!'. la puissance et la volont de nieu, sans prophte qui les empcht de chevaucher les crimes, sans loi qui roglt le permis et le dfendu. Mais les sages attendaient nuit et jour le lever du soleil de la prophtie, notre seigneur Mohammed, l'envoy, l'lu de Dieu. Ils n'avaient d'autre religion qlle de se montrer fermes protger le voisin, dfendre ceux qui demandaient leur sauvegarde, et observer les devoirs de l'hospitalit.

III

L'mir Cheddad abandonna le butin entier ses compagnons et se rserva cette esclave noire et ses deux enfants. Elle s'appelait Zbiba, et de ses fils l'an se nommait Djrir et le plus jeune Chiboub. De retour au camp, l'mir l'envoya aux pturages avec les ngrillons, pour faire paitre ses chameaux.

LES A VENTURES 0' ANTAR

Les jours et les nuits passrent sur elle; et sa grossesse apparut et sa dmarche s'alourdit. Les mois s'colllrent, le terme fix par le Crateur arriva. Une nu.t, elle eria jusqu'au point du jour, et mit au monde un enfant mle. Cet enfant tait noir comme l'lphant, il grognait, il avait le nez pat, les narines larges, les ch;lveux crpus, les babines pendantes, les coins des yeux troubles. Il tait d'humeur difficile. En voyant ce corps robuste, ces pieds normes, ces oreilles longues, ces pru -nelles tincelantes et ces puis..-.antes paules, l'mir Cheddad reconnut sa propre structure. Il fut rempli de joie et donna sm fils le nom d'Antar. Lorsque sa mre l'empchait de tter, il grondait et rugissait comme un lion, ses yeux prenaient la couleur du sang de dragon et brillaient comme deux charbons ardents. A l'ge de neuf mois, il se roulait parmi les cordes des tentes, saisissait les pieux et les arrachait. Il renversait les chiens dans la poussire. se battait avec les petits garons et les jetait terre. Il atteignit ainsi le mois du sevrage et l'on s'entretenait de lui dans toute la tribu.

IVCependant les cavaliers qui avaient fait l'expdition avec Cheddad. ayant oui parler de cet enfant extraordinaire, se runirent pour l'aller voir. Chacnn d'eux jugeait que l'eufant devait entrer dans sa part du butin,

FILS DE CHEDDAD

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L-des!'us une rixe s'lve; on en vient aux injures, le sabre est tir, et la querelle ft devenue sanglante, sans 'autorit du roi Zohir. Ce prince, inform de la dispute, envoie qurir les rivaux. Ce jour-l, il donnait un festin aux nobles seigneurs de la tribu. Il mangeait avec eux, lorsqlle Ched dad eL les dix cavaliers arrivent, s'avancent, font leur salut et baisent la terre devant le roi. Zohir demande quelle est la cause de leur querelle. On l'instruit de l'affaire, on lui conte l'expdition dans laquelle Cheddad s'est appropri la ngresse et ses enfants. La ngresse, disent-ils, a mis au monde un fils qui a tout l'extrieur d'un ngre, et chacun de DOUS dispute la possession Cheddad. li Cette aventure surprend le roi: " Je veux voir l'enfant, dit-il Cheddad, amne-le. " Cheddad sort et revient avec Antar. Zohir l'examine ettrouve sa figure semblable celle d'un lion irrit. Il A toi! crie-t-il, en lui jetant un morceau de la vi:mde servie devant lui. Un des chiens qui taient l, plus prompt que l'enfant, saisit la viande au vol avec l'agilit d'un faucon et prend la fuite. Antar, peu solide encore sur ses jeunes jambes, s"lance en grondant vers le chien, l'atteint ~t de ses mains dj vigoureuses lui fend la gueule jusqu'aux paules et lui ravit sa proie. A celle vue, Zohir et ses convives sont saisis du plus vif tonnement. s Par Dieu! disent-ils, voil vraiment ce qu'on peut appeler de la vigueur et de l'intrpidit *... Le mot antara signifie intrpidite guerrire.

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LES AVENTURES D'ANTAR

- Cousins, dit le roi Zohir aux cavaliers, ne vous querellez plus au .sujet de cet enfant; et puisque vous ne pouvez vous accorder, adressez-vous EI-Fezari, le cadi des Arabes, il prononcera sur votre diffrend, car il est habile juger de telles difficults. J) Les cavaliers se retirent, monLent cheval et vont trouver le cadi. Aprs avoir oui l'affaire, le cadi adjnge l'enfant Cheddad, parce qu'il tait leur chef, que lui seul avait approch la jeune ngresse et qu'il leur avait d'ailleurs donn leur part du butin. cc Nobles Arabes, dit-il en achevant, vous avez t ddommags en prenant les chamelles. Et puis l'enfant ne ressemble-t-il pas Cheddad? cessez donc cette querelle et que la paix et l'amiti se rtablissent entre vous. JI Les paroles du juge calment les Bni-Abs qui repartent. De retour en sa demeure, Cheddad, que ce jugement a rempli de joie, donne une riche tente Zbiba pour elle et pour ses enfants, et lui fournit tout ce qui est ncessaire leur entretien.

vAntar grandissait, il suivait sa mre aux pturages et l'aidait avec ses frres la garde des troupeaux dans le dsert. Il passa ainsi sa premire enfance; il prit de la vigueur, ses muscles se dvelopprent et ses os devinrent

FILS DE CHEDDAD

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solides. Il tait rude envers ses camarades et battait ses frres. Le soir, lorsqu'on rentrait du pturage, il se jetait au milieu des esclaves, choisissait parmi les mets les morceaux qui lui convenaient, et se dfendait intrpidement contre ceux qui cherchaient le repousser avec leur bton. Il tait en hostilit avec tous les gens de la tribu. 1 Voyant cela, son pre Cheddad lui confia un troupeau de brebis avec lequel il s'enfonait dans le dsert et se drobait aux regards au fond des solitudes. Il y passait le jour galoper da us la plaine, courir sus aux chiens pour s'exercer aux manuvres guerrires. Et sa force augmentait de jour en jour et sa vigueur devenait prodigie~se. Telle fut sa vie jusqu' l'ge de dix ans.

VI

Un jour qu'il avait pouss ses brebis au large dans e dsert jusqu'au moment. de la forte chaleur, et s'tait fort cart du campement des Bni-Abs, il arriva auprs d'un bois o il se mit couvert avec son troupeau contre l'ardeur du soleil. Les brebis paissaient librement et Antar veillait sur elles. quand tout coup un loup sort d'un fourr et se jette sur le troupeau qui se disperse de tous cts. Antar se met la poursuite du loup, l'atteint et le frappe entre les yeux d'un coup de bton si terrible que la1.

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LES AVENTURES D'ANTAR

cervelle jaillit entre les oreilles et l'anim:d tombe raide mort. Antar lui coupe la tte et les quatre pattes et s'en retourne en grondant comme le lion courrouc. G Ah 1 bte rapace 1 disait-il, tu prtendais dvorer les brebis d'Antar. Mais tu ne connaissais pas sa puissance et son intrpidit. D Il met la tte et les quatre membres dans sa besace et chante ainsi son triomphe:ct Eh bien 1 loup, c'est vers la mort que tu t'es ru; c'est toi qui es d.evenu ma proie. Croyais-tu que mes trl>upeaux taient au premier occupant? Ton sang a arros la terre. Il Tu as dispers mon troupeau 1 tu ne savais donc pa s que je suis un lion terrible? tu as vu comme je t'ai trait, chien du dsert 1 1)

A l'approche de la nuit, Antar retourne aux tentes. Sa mre vient lui et le dbarrasse de sa besace. Elle y trouve les dpouilles du loup. Toute surprise, elle interroge son fils dont le rcit la pntre d'admiration et de terreur. Elle prend cette tte et ces quatre membres sanglants et va les montrer SOIl matre Cheddad. G Dornavant, dill'mir, ne te spare plus de ton fils, ni nuit ni jour. ,,'alles paltre les troupeaux ensemble, toi et lui, et ne vous cartez pas trop loin dans le dsert de peur de devenir la proie de quelque ennemi. - J'ai entendu, j'o~irai; dit. Zbiba. Le lendemain et les jours suivants en effet, elle emmena avec elle ses trois enfants aux pturages. Lorsqu'ils taient loin, Antar, sans consulter sa mre, s'cartaitavec les chevaux, qu'il montait tantt l'un tantt l'autre, pour acqurir les qualits d'Wlparfait cavalier.

FILS DE CHEDDAD

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Il chevauchait en long et en lalg.~ dans la plaine, tenant la main, en guise de lance, un roseau dont il s'exerait pointer les troncs d'arbre. Zbiba se gardait bien. de raconter ces faits Cheddad de peur qu'il ne ft prir SOlI fils sous les coups; et Antar put continuer de se livrer chaque jour ses exerci ces guerriers, dans l'espoir d'acqurir plus tard honneur et gloire. Ce fut bientt un cavalier intrpide et vigoureux. Lorsqu'un chameau s'cartait, Antar courait lui avec des cri!' effroyables, le saisissait par la queue et la lui arrachait. Il renversait les btes rcalcitrantes, les tranait par-dessus les coUins et les domptait. Si l'animal entrait en fureur et s'emportait, le terrible .berger lui brisait le cou ou lui sparait tes mchoires

.---'

VII

Le roi Zohir avait deux cents esclaves pour Caire patre ses chevaux, ses chamelles, ses chameaux et ses brebis. Chacun de ses dix fils en avait autant. Chas, qui tait l'an et qui devait un jour succder son pre, avait parmi les siens llll cer~in Dadji, homme violent et orgueilleux, que les autres esc.laves redoutaient cause de sail matre. Cher au pl'ince pour sa vigueur elle soin qu'il prenait des biens conlis sa garde, Dadji tal t insolent envers tous, et tous lui obissaitmt, faibles et forts, de prs el de loin. Antar seul ne faisaitde lui aucun cas et le traitait avec autant de mpris qu'un chien.

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LES AVENTURES D' ANTAR

Or, un jour, les pauvres, les veuves et les orphelins taient rassembls auprs de l'tang pour abreuver leurs chameaux et leurs moutons. Et Dadji avec les troupeaux de ses mattres s'tait empar des avenues de l'aiguade, et en dCendait l'approche tous les bergers. Et voil qu'une vieille Cemme des plus ges, grave et respecta. ble, jadis riche et portant encore les signes de la noblesse, s'approche et dit Dadji : cr Seigneur, accorde moi une grce ; permets que j'abreuve ces pauvres brebis qui seules me restent des biens que m'ont lgus les seigneurs. Leur lait est ma nourriture. Je suis une pauvre Cemme ; la fortune m'a lanc ses flches, elle a fait prir mes hommes et m'a attrist dans mes enfants et mon mari. Sois compatissant pour mon isolement et ma pauvret. Exauce ma prire 1 JI Lorsque l'esclave Dadji, au milieu de la Coule des hommes et des femmes, entendit le discours de -la vieille, son sang bouillonna, son palais fut rempli d'amertume, et l'cume sortit au coin de sa bouche. Il se tourna vers celle femme et la poussa dans la poitrine. Elle tomba sur le dos et sa nudit parut au jour. Aussitt les esclaves clatrent de rire. A cette vue, Antar ~entit l'honneur arabe bouillonner dans sa,' tte. Il ne put maltriser son courroux; une teinte jaune couvrit son visage noir comme la nuit. Il s'lana vers l'esclave Dadji, et d'une voix terrible: Malheur toi 1 s'cria-t-il, malheur toi, fils de l'adultre, nourrisson de l'esclave puante 1 Qu'elle est cette infamie, etpourquoidshonores-tu ~sfemmes ara. bes 7 Que Dieu coupe tes articulations et les articulations de quiconque t'approuve 1D Dadji tait large d'paules, fort et robuste. Al'injure

FILS DE CHEDDAD

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d'Antar il faillit s'vanouir de colre. Il s'lana sur lui et le frappa d'un coup de poing au milieu du visage; peu s'en fallut qu'il ne lui fit jaillir les yeux hOrs de leur orbite. Antar reste un moment tourdi par la violence du coup; mais bientt revenant lui, il prend l'esclave par un pied, le renver:;e, le saisit d'une main ~ntre les jambes, de l'autre au cou, le soulve jllsqu' montrer la noirceur de ses aisselles, et de son corps frappant la terre, il en filit entrer la longueur dans la largeur. Quand les esclaves voient les calamits descendre slir Dadji, ils poussent de tous cts des cris contre Antar: 1.1 Malheur toi! Tu as tu l'esclave du prince Chas. Quel est celui d'eotre les hommes qui te protgera? Il Aussitt ils l'attaquent avec des htons et des pierres. Antar, sans dfense contre la multitude. prend d'abord la fuite. En conrant, il dpouille sa tunique et l'entortille alltour de son bras pour se couvrircontre les coups, ainsi que font les guerriers dans la bataille. Alors saisissant Je bton d'lm des esclaves, il revient sur eux comme le lion sur les chasseurs, et lutte contre ses assaillants.

VIII

Or Malie, le plus jeune des fils du roi Zohir, tait un prince beau, brave, loquent et bon. Sa figure tait semblable l'aurore et sa taille droite comme la lance.

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LES AVENTURES D'ANTAR

Son pre l'aimait tendrement; toute la t1'bu le chris sait et coutait sa parole. Ce jour-l, il lait all goter les plaisirs de la chasse, et ses esclaves marchaient devant lui comme des lions. Arriv dans le voisinage 'de l'abreuvoir, il entend des cris retentir daus la plaine et voit la poussire s'lever et s'accrotre. Il pique en avant, se dirige vers cette masse confuse, et s'enfonce dans la poussIre pour COIlnatre les causes du tumulte. Et voici qu'il aperoit une foule nombreuse d'esclaves acharns autour J'un ngre seul contre tous. Ce ngre, c'tait Antar: le sang coulait de tout son corps meurtri par les btons et les pierres; mais SOli nergie n'tait point branle. Il disait:IJ N'aie pas recours la fuite, mon mel Elle ne te sauverait point de la mort. Sois ferme; la fermet au combal tient lieu de noblesse, la mort n'arrive qu'au terme fix. l) Ne fuis point la mort, et ne te dshonore point aux yeux des nobles arabes. 0

Malic vit cette bravoure, et son cur en fut to~ch. (( Que Dieu te comble de faveurs, s'cria-t-il, ngre aux bras robustes, aux muscles vigoureux. Et VOLIS,' misrables! que Dieu maudisse vos pres et vus mres impudiques. Eh quoi 1 vous vous tes tous runis ell tratres contre un seul esclave plus jeune que vous. Ar rire, maudits, si vou,; ne voulez tous laisser votre vie au tranchant de mon sabre! Il Les esdaves disparul'ent. L'mir Malic appela Antar i.mprs de son trier, et l'interrogea sur les causes de cc

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Combat. Le rcit du jeune homme lui valut la sympathie du prince, qui vit en lui deux nobles qualits: la bra' voure et le zle pour les femmes. Marche mon ct, lui dit-il, et sache que tu as un protecteur contre quiconque vit sous,la vote' du ciel; mange le pain et boit l'eau. Et je ne renoncerai pas te dfendre, dt ma tte voler devant moi. Il Antar, plein de joie, baisa le pied du prince; puis il marcha sa suite avec les esclaves.

IX

Malic arrivait proche de ses tentes, lorsqu'il aperut son frre Chas qui accourait, un sabre tincelant la main, mont sur une jument plus rapide que la pluie, d'orage. Il bouillait de fureur. Mon frre, lui dit Matic, d'o vient l'agitation o je te vois? - Sache, mon frre, rpondit Chas, que ce vil btard a tu mon esclave Dadji, et que je suis venu pour lui trancher la tte avec ce sabre. - J'eu jure par Dieu, repl'il Maik, tu ne peux. toucher ce jeune homme, je l'ai pris sous ma sauvegarde, et je ne lui retirerai point ma protection, duss-je sacrifier ma vie. " Mais Chas ne veut rien enlendre ; il accable son frre de maldictions, et bondit, le sabre la main, pour frapper Antar qui marchait ct de son dfenseur.

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Malic, galement irrit, tire aussi le sabre du fourreau et s'interpose. Les deux frres allaient battre, lorsque survint leur pre. le roi Zohir, suivi d'une escorte. Il avait appris l'aventure des esclaves et sur l'heure tait mont cheval. A sa vue, le prince Malic est plein de confusion et Chas s'carte de son frre. Mon fils, dit le roi son ain, fais-nous cadeau de cet esclave, moi et ton frre, et je te donnerai dix des miens. Il Chas se retire sans ouvrir la bouche. et Zohir, s'adressant Antar, lui.dit: (1 Malheureux 1 puurquoi as-tu tuu l'esclave de mon fils? Il Le ngre, les yeux en pleurs, redit l'histoire. Et Zohir souriant: Il Antar, dit-il, a parfaitement agi. Puis, se tournant vers les cavaliers qui l'entouraient, et parmi lesquels tait Cheddad inquiet pour son fils: (( Voil, continua le prince, un garon qui combattra l'injustice et sera zl pour les femmes. Vois-tu. Cheddad. comme il a hrit de ta fiert. 11 sera un jour le modle des hommes. le dfenseur des femme.s et des enfants; il hara la violence et suivra le chemin de la justice. Prends ton fils, je te le confie jusqu'au jour o je te le redemanderai, et veille attentivement sur lui . A compter de ce jour, le roi Zohir et son fils Malic conurent pour Antar IIne grande affection.

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xLorsque le fils de Cheddad retourna aux tentes, les filles de la tribu se runirent autour de lui pour l'interroger et couler le rcit de son aventure. Vinrent aussi Jes femmes de ses oncles et sa cousine qui s'appelait AbIa; 'Car la nouvelle de ses exploiLS s'tait rpandue dans le camp. AbIa tait plus jeune qu'Antar dans la vie. Elle tait brillante comme la June, d'une beaut merveilleuse et d'une grce parfaite. D'un caracLre rieur, elle aimait jouer el plaisanter avec Antar, son serviteur et l'es clave de SOli uncle. Elle vint donc lui ce jour-l, parmi Jes jeunes filles: CI Eh bien, vil ngre 1 lui dit-elle, pourquoi as-tu tu l'esclave du prince Chas? - Par Dieu 1 maitresse, rpondit le jeune homme-. il n'a eu que son compte: il a maltrait une vieille femme sans dfense, il l'a frappe la poitrine et renverse; il a bless sa pudeur'et fait d'elle un objet de rise pour les esclaves. J'ai voulu lui reprocher sa conduite; il m'a frapp au visage, la colre s'est empare de moi; je l'ai tu. - Tu as bien fait, dit AbIa en souriant, et nous sommes heureuses de te voir hors de danger. Tu as mrit aujourd'hui auprs de nos mres le titre de fils, . et celui de frre auprs de nous.

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Les femmes et les filles se retirrent nsuite, et il n'tait pas de femme parmi les Bni-Abs qu'Antar ne servit avec empressement, ds qu'il avait rempli ses devoirs auprs dl' Samiya, l'p'luse de son pre. C'tait la coutume des femmes arabes de boire du lait le matin et le soir. Les esclaves apr~ l'avoir trait, le faisaient refroidir au soume du vent et le leur apportaient. Ainsi faisait Antar pour Samiya, la femme de son pre, pour It>..s pouses de ses oncles Zakhmet-elDjouad et Malec *, et pour Abia, la fille de celui-ci. Et ce qui ~estait, il le donnait boire aux femmes du camp.

XI

Un jonr, il entra 'daus la tente de son oncle Malec, au moment o la mre d'Abia peignait les cheveux de sa tille; ils retombaient sur s"s paules, noirs comme la nuit. A cette vue, Antar fut pleill de trouble. Abia s'enfuit et sa chevelure tranait dernire elle. Antar perdit la raison, Hne vit plus, il ,u'eutendit pins. Son cur tressaillit., et sa langue improvisa ces vers: J'ai vu une blanche dont les longs cheveux tranent jusqu' lerre, noirs comme la nuit sombre. Ils la cachent; Le nom de ce frre de Cheddad est identique celui du fils de Zohir. C'est pour viter une confusion de personnes que nous crivons l'un Malie et l'autre Male.

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Sous leurs boucles noires, elle est semblable au jour naissaut, et sa chevelure est la nuit tnbreuse. li Ses aUraits ravissent ceux qui l'tmtourellt, chacun s'empresse la servir, Enivr du bonheur d'admirer sa beaut, sa grce, sa perfeclion. Et moi, je cacherai mon amour au fond du cur, jusqu' ~ que la fortune me :;oit favorable. Cependant les jours elles nuits passrent, le trouble et la passion s'accrurent dans le cur d'Anlar. Ou arriva l'poque des Mois Sacrs, a~ premier jour de Redjeb : c'tait le temps de fle des Arabes idolLle:;. Dans ce mois de Redjeb, ils faisaient le plerinage et visitaient le temple de la Mekke, agenouills et prosterns devant le:; idoles. Ceux qui demeuraient au camp, femmes, filles, guerriers et seigneurs, se prosternaient aussi pour joindre leurs adorations celle des vi:;ileurs de la Cba. En ce jour donc, les Bni-Abs tirrent leurs idoles, le:; hommes et les femmes revtirent leurs vtements de fte, les seigneurs firent des exercices guerriers, et les jeunes filles se livrrent la danse. Abia tait parmi elles, pare de colliers de pierreries,. Son visage tait en fleur, elle brillait commd le soleil et la lune. Anlar vit cette beaut, et dans le ravissement il baissa les yeux, mdita et dit ces vers : Une belle vierge a atteinllll.on cur avec les tlches de son regard dont ls blessures ne gurissent jamais. Elle est passe, elle allait la fte, parmi les jeunes

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filles la gorge arrondie, semblables des gazelles dont les regards sont des javelol~ Elle a march, et j'ai dit: C'est la branche du saule agite au souffie du vent. 1) Elle a regard, et j'ai dit: C'est une gazelle effarouche, surprise par les dangers au milieu du dsert. Elle a souri, et j'ai vu les perles briller entre ses lvres qui cachent le remde des amoureux malad,es Elle s'est prosterne devant la grandeur de son Dieu, et les grands dieux se sont penchs vers sa beaut. li Lorsque AbIa entendit Antar clbrer ainsi ses attraits, tandis qu'elle marchait au milieu de ses compagnes, son cur en ressentit une vive joie, et durant le re..~te du jour elle ne cessa d'occuper l'attention du jeune homme par ses regards et ses propos. Antar tait perdu et sans voix;.avant la fin de la fte so:} amour tait au comble, et, dans le feu de la passion, son me l'entretenait de mille penses.

XII

Le lendemain, il alla, suivant l'habitude, porter le lait aux femllles. Mais son cur tait proccup; ses pieds marchrent ver::; l'objet de son amour, et il fit boire Abia avant Samiya, l'pouse de son pre Chetldad. Abia reut l'cuelle de la main d'Antar, et avec sa

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beaut le foudroya. Pour Samiya, elle fut violemment irrite. Elle et mieux aim mourir que de subir un tel affront, aussi rp80lut-elle de s'en plaindre son poux. Quelques jours se passrent. Un esclave nomm Dadjir, qui appartenait Rabi, fils de Ziad, vint trouver Chcddad et lui dit: Seigneur, sache que ton esclave Antar s'expose chaque jour au danger d'tre pris avec tes troupeaux qu'il pousse au large dans le dsert. De plus, il s'arme d'un roseau en guise de lance et s'exerce pointer contre les troncs d'arbre, il saute du dos d'un cheval au dos d'une jument, les empche de patre et les fait maigrir par la course. Je lui en ai fait des reproches; il m'a frapp, il m'a battu; et si j'avais insist, il m'aurait tu. A ce rcit, Cheddad fut rempli de courroux. Tu dis vrai, mon fils, rpliqua-t-il. Car depuis que je lui ai confi le soin de faire patre les chevaux, ils n'ont pas gagn d'embonpoint; il les monte, les pousse dans la plaine et fait envoler leur chair par la fatigue. Samiya entendit cet entretien et vit que l'heure tait venue de se venger. Elle ouvrit donc son mari la blessure de son cur et lui apprit qu'Antar portant le lait faisait boire. AbIa avant elle. Ce rapport accrut la colre de Cheddad. Lorsque son fils revint du pturage, il le saisit par le b~as, le lia solidement, le frappa coups de fouet et le mit tout en sang. Antar ne dit mot et ne demanda pas la cause de ce traitement. Sa mre Zbiba, debout auprs de lui, voyait cela et se taisait, n'osant illterroger son maUre. Mais, ensuite, elle questionna une autre ngresse, qui l'instruisit de la dnonciation de l'esclave Dadjir et de la plainte de Samiya.

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Zbiba garda Je secret et prit patience jusqu'au matin. Lorsque parut l'aurore, elle vint trouver Antar et lui conta ce qu'elle avait appris. Sache, mon fils, dit-elle, que c'est Dadjir, l'p,sclave de Rabi, qui t'a trahi aupr!l de ton maUre et t'a valu cette laide affaire. Et Samiya, elle anssi, s'est fche de ce que tu ne la fai~ais boire qu'aprs Abia. Ne recommenep plus, mon fils, ne contrarie plus son dsir; n'oublie pas que tu es un esclave, et ne tourne pas tes yeux vers la maUre!lse Abia: ce serait la canse de ta perte. )) Antar avait cout les paroles de sa mre. Il se raidit dans sps liens, les rompit et prit sa course travers la plaine en criant: Aujourd'hui, je tuerai Dadjir le vil esclave, et je le laisserai tendu dans le dsert, pture des bles sauvages. J C'est ainsi que je rafrachirai mon cur et rendrai le calme mon esprit. D

Il ne tarda pas dcouvrir son dnonciateur parmi les bergers. CI Malheur toi! lui cria-t-i1. Tu as fait un rapport mon matre, il m'a chti, il m'a battu et couvert d'opprobre. D Disant ces mots, il saisit Darljir par les parties molles du ventre, le soulve, et frappant la terre avec le corps de l'esclave, il lui broie le crl}e, dont la cervelle jaillit en long et en large. Mais quand il le ,voit inanim, il craint pour sa propre vie, prend la fuite et gagne les tentes du prince Malie, celui qui dj l'avait pris sous sa protection.

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XIII

L'mir Malic accueillit Antar avec bont. Lorsqu'il connut cette nouvelle affaire, il sourit, tranquillisa son protg, le laissa sous sa tente et se dirigea vers le campement des Bni -Ziad. Il n'y trouva que les femmes. Rabi, lui dit-on, est un festin o l'a convi ton pre. le roi Zohir. JI L'mir va donc aux tentes de son pre. A son arrive, les seigneurs absiens taient assis sur les coussins de la joie, et les coupes circulaient parmi eux. Rabi et les autres Bni-Ziad taient les plus proches du roi j les esclaves, debout, s'empressaient les servir. l\hlic entre et salue l'assemble. Tous se lvent,' et Rabi lui dit: Il 0 Malic, prends place et assieds-toi, rar tous les convives resteront debout, tant que tu ne seras point assis. - Oncle *, dit l~ prince, veux-tu rendre mon cur joyeux? - Oui certes, dit Rabi. par la vie de tous ces illustres seigneurs.

* Les cavaliers d'une mme tribu se dQnnent le nom de courin., comme descendant, l'origine, d'un mme pre, et' les Ijeunes leDs appellent les personnes ges mon onele.

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- Eh bien 1 je ne veux point m'asseoir que tu ne m'aies Cit don de ton esclave Dadjir. - Et comment ce dsir t'est-il venu l'esprit? - En voyant sa bonne mine, son adresse et son empressement. - Ass~eds-toi donr" dit Rabi, je te le donne et deux autres esclaves avec lui, si tu le souhaites. - Prends tmoin les convives, insista le prince. - Oui, dit le fils de Ziad, et j'en atteste aussi Celui qui a lev le haut firmament et tendu la vaste terre: Dadjir est toi, et jamais je ne te rclamerai rien son sujet. - Soyez donc tmoins contre lui, s'cria Malic, vous tous ici prsents 1 Et sache, Rabi, que ton esclave est mort; Antar l'a tu el s'est mis sous ma sauvegarde. Et toi, par la vie de mon pre que voici, gardetoi de l'inquiter pour ce meurtre. D A ces paroles, Rabi fut saisi d'une violente colre. Il baissa la tte, plein de rage de se voir jou en prsence de ses compagnons. Et de ce jour 'une haine terrible pour Antar tomba dans son cur. La mort lui et sembl plus doue qu'une telle humiliation. Cependant le roi Zohir dit son fils : u Mais qu'est-ce donc qui inspire Antar la manie de tuer les esclaves, et que prtend-il? 1) Malie rpta ce qu'il savait, et le roi sourit et admira la prompte vengeance que le ngre avait tire de son dlateur. Le soir, l'mir Malic retourn chez lui, instruisit Antar de sa conduite avec Rabi. Lejeune esclave baisa les mains du prince, appela sur lui les bndictions du ciel, clbra sa gnrosit et dit ces ver~ sa louange :

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.0 toi, en qui seul reposent mes esprances, Voil longtemps que pse sur toi le poids de mes affaires. Les hommes gnrel1x ont porter de lourdes charges. Il Tu t'es fait mon patron, tu m'as combl de tes bienaits, mon unique ressource, tu m'as sauv de la mort et de la catastrophe. D

CHAPITRE IlLa Valle des Lions. - Festin interrompu. - Les fils du roi Zohir. - L'embuscade. - Antar veut tre libre .

Cependant la colre tait extrme dans le cur de Cheddad. Il confia son chagrin ses frres Malec et Zakhmet. Fils de ma mre et de mon pre. leur dit-il. mon cur est plein d'angoisse et je ne sais quoi me rsol1. dre. Les actions de cet esclave noir m'inquitent. Je crains qu'il ne finisse 'par tuer quelque seign~ur noble et puissant. qu'il rpande ainsi le trouble dans la tribu et nOLIs plonge dans une mer de ~allg et de vengeances. - C'est vrai, rpondit Zakhmet, et si nous n'y prenons garde. il nous jettera dans un extrme danger. Il faut avouer. s'il tait sage, qu'il n'a point son pareil. Mais aprs une telle action, nous ne pouvons plus lui

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confier la conduite du btail. et nous n'avons d'aulre ressource que de le faire prir pour tre en paix son sujet. Laissons-le retourner aux pturages; nous lui terons la vie dans quelque endroit cart, et nous tiendrons l'affaire secrte, de faon que ni homme ni femme n'en ait connaissance. J Cheddad approuva l'avis de son frre, et, le matin, quand le prince Maliclui vint demander la grce d'Antar, il l'accorda aussitt et permit que son esclave ment encore patre ses troupeaux. Durant quelques jours il oublia le jeune ngre; mais lin matin il appela ses frres pour leur demander l'accomplissement de leur parole.

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Lorsque Antar partit, ils le suivirent de loin dans l'intention de le tuer. Antar poussa le troupeau devant lui, au large dans le dsert, et quand il se vit seul, il se mit dire des vers, se complaisant dans le souvenir de sa cousine Abia. Ce jour-l, il s'carta fort loin des tentes. 11 songeait ce qui lui tait advenu d'heureux et de malheureux; les larmes inondaient ses joues; car cette nuit mme il avait vu l'image d'Abia dans un songe, il avait bais son visage par-dessus le voile et lui avait parl. En rvant ainsi, Antar pal'vint une valle nomme la Valle des Lions, car ces animaux y abondaient ainsi

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que les panthres. L, les chevaux se dispersrent de tous cts et se mirent paltre. Antar tait venu en ce lieu, parc~que l'herbe y atteignait la taille d'un homme, et que pas un esclave de la tribu d'Abs n'et os y conduire ses troupeaux ni en approcher cause des terribles htes qui l'habitaient. Il Peut-tre, pensait-il, que je rencontrerai un lion et le tuerai. " Il monta sur une colline, tandis que ses btes paissaient, et promena ses regards dans toutes lesdirections. Et voici que du fond de la gorge sort un lion au large mufle, aux yeux tincelants, dont les rugissements branlent la vaMe. Il a de larges babines et gronde comme le tonnerre. Sur sa face sombre brillent ses yeux, comme l'clair dans les tnbres de la nuit. Il s'avance, il s'arrte, robuste, large d'paules, levaut sa tte norme. Lorsqu'il sortit du ravin, et que les chevaux eurent flair son approche, ils prireut la fuite avec terreur, et les chameaux effars s'chapprent de toutes parts. A cette vue, Antar descendit dans la valle. le sabre nu la main. Il aperut ce lion aux griffes puissantes, qui se battait tes flancs de sa queue. Poussant un hurlement qui fit retentir les montagnes : Sois le bienvenu, s'cria-t-il, pre des lionceaux, chien du dsert, dominateur des btes sauvages 1 Tu e, fort, tu es puissant, tu es fier d'exciter l'effroi. Je ne doute pas que tu ne sois le prince des lions. le sultan de.'4 btes fau vas; mais tu ne tarderas point perdre tes titres et tu seras avili. Je ne suis point semblable aux hommes que tu as rencontrs. C'est moi qui tue les

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braves et rends les enfants orphelins. Tu as voulu m'effrayer par tes rugissements; et moi je ne te tuerai point avec le sabre et la lance, c'est de ma main nue que je te ferai boire la coupe du trpas.

C'est moi qui suis le vrai lion, le hros que redou~ tent les guerriers au jour de la bataille. Il Lorsque ma main brandit le sabre au fort de la mle, les esprits des cavaliers tombent dans le dlire. Je ne songe point la mort, alors mme qu'elle est en face de moi, et je m'explique en toute langue avec quiconque m'interpelle. 1) Vois-tu? jfil jette le sabre, mais prends garde ces mains! c'est avec elles que je viens toi, chien du dsert! D

III

C'est en ce moment que Cheddad arriva avec ses frres pour tuer Antar. Ils le virent attaquer le lion et entendirent ses paroles. Antar tait tomb sur la bte fauve avec la rapidit de la grle; i1la saisit aux mchoires et lui fendit la gueule jusqu'aux paules, en pOlissant un cri dont retentirent les flancs du ravin. Le lion expire. Antar le traine par lElS pattes sur la peute de la colline, fait un monceau de broussailles et se procure du feu avec deux morceaux de bois sec qu'il frotte l'un contre l'autre. Il fend le ventre du lion, jette les entrailles, spare les pattes antriel1res et:1

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tte, et met le reste sur le brasier. Quand le fumet de la viande tmoigne qu'elle est cuite, il la retire et la mange. Son repas achev, il va Ja source, s'y lave; puis venant au pied d'un arbre touffu, il place sous sa tte la tte du lion, ramne sur son visage le pan de sa tunique et s'endort d'un profond sommeil. Pendant ce temps, son pre et ses oncles observaient toutes ses actions et se sentaient pntrs de crainte. Voil un prodigieux esclave, dit Zakhmet, boulever~ par ce qu'il avait vu. C'est un garon avec qui un homme sage n'agira point la lgre. - Eh bien, mon frre, dit Malec non moins effray, comment arranges-tu cette affaire? La chose me parait srieuse, et nous aurons quelque peine nous en tirer. Qui de nous osera l'approcher, sans crainte qu'il ne le tue, lui fende le ventre et le traite comme il a trait ce lion? Il Cheddad prit la parole : ( Mon avis, dit-il, est que nous revenions sur nos pas, l'honneur sauf. ~ous tions venus pour veiller la dfense du troupeau, n'est-ce pas? Or celui qui nous inspirait des craintes, Antar l'a tu. Nos vux sont remplis. Partons. 1 L-dessus ils s'en retournrent, et tous trois l'envi vantaient la bravoure et la force du jeune ngre.

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IV

Le soir, lorsque Antar ramena le btail des pturages, son pre l'accueillit en souriant, l'embrassa avec tendresse et le fit as..'leoir pour manger avec lui. tandis que tous les aurres esclaves taient debout. Pendant qu'ils s'entretenaient, arrive un messager du roi Zohir qui se prsente Cheddad, le salue et dit : (1 Le roi Zohir m'envoie vers toi pour te dire: a Pre1) nez votre quipement de guerre, toi et tes frres. " Car il mdite une importante expdition et veut faire une rhazia chez les 8ni-Tmim. Demain, la pointe du jour, il veut marcher vers leurs collines et dtruire leurs habitations de fond en comble. - J'ai entendu. j'obirai, rpondit Cheddad. Il Et sur l'heure il alla prvenir ses frres et tous les cavalier:-lquil'avaient pris pour chef. CI Demain, dit-il Anlar, tous les guerriers de la tribu vont partir, et les tentes resteront vides de leurs dfenseurs. Je te confie donc, toi, nos demeures et les "femmes. Quand les bergers iront aux pturages, ne t'carte pas avec eux. - Mon maUre, rpondit le jeune homme, si je Ile m'acquitte dignement de la charge que tu me confies, fais-moi passer le reste de ma vie dans les liens. Il eheddad le remercia et lui promit qu' son retour il lui donnerait un Doble coursier pour son usage.

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vA l'aurore, les guerriers montrent cheval, arms . de sabres et de lances, et partireut avec le brave roi Zohir qui marchait leur tte. Lorsqu'il ne resta plus un seul cavalier d;ns le campement des Bni-Carad, les femmes, les filles, les esclaves noirs et blancs, se mirent discuter ensemble sur ce qu'on devaitfaire. Samiya, l'pouse de Cheddad, ordonna de prparer un grantl festin au bord de l'tang Zat-el-Arsat, d'gorger des brebis et de tirer le vin dans les jarres. Antar voyait avec joie ces prparatifs de fte, parce que avec les femmes se trouvait AbIa, semblable la gazelle altre, pare de colliers et de. vtements aux brillantes couleurs. Empress la servir, il demeurait enchan sa noire chevelure, noy dans les mers de l'amour. Les femmes savourrent les mets et firent circuler les coupes pleines de \;11. On tait au printemps, la terre souriait de sa beaut nouvelle, les tangs regorgeaient d'eau, les fleurs paraient les hautes collines de leurs miIIecouleurs. SIII' le haut tiesarhres, les oiseaux s' entretenaient et modulaient leurs chants les plus doux. C'tait une journe semblable calle dont le pote a dit: CI La prairie brille de blanches femmes. aux riches poitrines, pleines de grce et de coquetterie, d'une

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beaut parfaite, la taille lance, aux belles grappes cie cheveux, aux yeux assas.'lins. D Les convives s'abandonnrent entirement la joie, les jeunes filles se mirent chanter en dansant. Le vin avait rpandu des roses sur leurs joues, et les seins se montraient sans voiles. Abia dansa avec ses compagnes et partagea leurs folies. Elle rit et un clair partit de ses dents. Elle jouait avec ,les pans de S011 voile et le mielde sa salive. Antar la regardait, perdu d'amour

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Tout coup le cri de guerre des Bni-Cahtan retentit dans la plaine: cc la l-Cahtan ! la l-Cahtan ... ! 1) Et soixante-dix cavaliers couverts de cuirasses et de cottes de mailles envahissent le champ de la fte. Aux cris joyeux succdent les pleurs et les lamen tations. Les guerriers enlvent les femmes et les filles, les chargent sur leurs chevaux et se htent de regagner les dserts. Un fier cavalier s'est rendu maUre d'AbIa, dont les larmes coulent c9mme la pluie et dont les joues sont couverte~ cie pleur. Antar, ce terrible spectacle, croit voir le soleil s'obscurcir et la lumire du jour se voiler de tnbres. Il cherche une arme autour de lui et ne dcouvre rien. CependantiI s'lance sur les pas des ennemis en criant: Littral : 0 pour Cahtan 1

LES AVENTURES D'ANTARft Infmes! vous avez fait captives les nobles femmes d'Abs, les pouses des rois de l'poque. Malheur vous! soyez avilis! Il atteint le dernier cavalier, celui l mme qui emportait Abia. Antar se prcipite sur lui comme une panthre, l'arrache de la selle et le jette terre avec toute la furel1r dont il est anim. Le guerrier, le con rompu, rend le dernier soupir. Antar s'empare de son cheval et de ses armes, et court comme un torrent sur les autres cavaliers. Malheur vous, mprisable cohue! disait-il. Je suis l'mir !\ntar,fi1s de Cheddad. Par le crateur des hommes, si vous ne relchez les captives, je sparerait vos ttes de vos paules. Il attaque l'arrire-garde, et sa lance termine la vie des retardataires. Dj vingt braves gisent sur le sol, quand le reste de la troupe se retourne d'une seule bride et revient sur Antar. qui l'accueille avec l'audace du lion en fureur. Le cur du hros est plus ferme qne le roc ; son sabre accomplit les arrts du destin. 1\ reconnait le chef de la troupe, arrive lui, et d'un coup de lance lui traverse la poitrine de part en part. er Si c'est l ce que nOlis prouvons de la main d'un esclave noir, se disentles guerriers saisis de terreur, que sera-t-il de nous avec les nobles cavaliers? Fuyons! sau'Yons-nous 1D Ils abandonnent leurs captives, tournent bride et s'enfuient sur leurs rapides coursiers. Et Antar triomphant s'crie :

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Voil comment je traite l'ennemi qui me mconnat.

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On me reproche ma noirceur;' moi, je m'en glorifie. D Si j'ai de sots dtracteurs, eh! ne sait-on pas que le bien excite toujours l'envie? D Je suis le fils de mes uvres et de mon sabre; c'est en lui que gisent ma gloire et ma noblesse. D Vingt-cinq chevaux, les dpouilles des morts et la dlivrance de toutes les femmes, tels sont les fruits de sa bl'avoure. SamiYd, qui auparavant tait irrite contre lui, change sa haine en affectipn, et Antar devient plus doux son cur que le 'sommeil aux yeux lasss d'une longue veille. Lor,;qu'on fut de retour au camp, Samiya, craignant les reproches de son poux, fit jurer tous, femmes et esclaves, de cacher avec soin les vnements de la journe. Antar prit le mme engagement. -

VII

Peu de jours aprs, le roi Zohir revint de son expdition contre les Bni-Tmim; il ramenait un riche butin, et les Bni-Abs taient pleins de joie. Le lendemain, Cheddad monta cheval et s'en alla aux pturages, pour visiter ses troupeaux. En examinant les chevaux, il en vit plusieurs qu'il ne reconnut pas pour siens, et avec eux tait Alltar mont sur une jument noire qu'il poussait drQite et gauche, comme un cavalier fier de sa monture. .Malheureux! dit Cheddad, qui apparentcette

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cavale, et qui sont ces' magnifiques chevaux que je ne connais pas? D C'taient les chevaux des Bni-Cahtan qu'Antar avait tus, et la jument tait celle de leur chef. Quant aux armes et aux harnachements, Antar les avait cachs dans la demeure de son oncle. Mais le ngre, fidle au serment qu'il avait fait Samiya: a Mon matre, dit-il, j'tais sur les pturages de Cahtan, lorsque j'ai vu passer des marchands qui conduisaient d'innombrables troupeaux i ils taient pleins d'inquitude et craignaient l'attaque des cavaliers arabes. Je lea suivais, j'ai trouv ces chevaux spars d'eux; je les ai pris .et je suis revenu. - Esclave maudit 1 s'cria Cheddad. Ce ne sont point l des chevaux qu'on ait abandonns, et tu n'as pu les prendre que de dessous leurs matres. Sans doute, misrable, tu t'es Lenu cach dans ce.'~ dserts, et quand passait un voyageur, tu le massacrais pour t'emparer de ses dpouilles, sans t'inquiter de sa qualit ni de sa tribu. Et sans dout~ tu te proposes de continuer ainsi, jusqu' ce que tu aies jet le trouble parmi les Arabes et soulev contre nous la rprobation et la guerre. Il En achevant ces mots, Cheddad saisit Antar par le bras, le ramne aux tentes, le lie de cordes serres et le frltppe avec fureur. f Dsormais, dit-il, tu demeureras enchaln et tu n'iras plus aux pturages. D Il frappe perdre haleine et Antar reste impassible sous les coups. Mais Samiya a entendu la voix irrite de son mari;

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elle sort de la tente, vient lui, et, les larmes aux yeux: Cl mir Cheddad, dit eile, avant de frapper ce jeune homme, c'est moi la premire que tes coups doivent atteindre; car, j't:n jure par Dieu, il n'a pas mrit ce, traitement. Il Cheddad, dont ces paroles accroissent la colre, repousse Samiya avec violence et la renverse. Elle ~e relve, dcouvre sa tte, dnoue ses cheveux et entoure Antar de ses deux bras. Cheddad est fort surpris. u Eh quoi 1 dit~il, comment ton cur a t-il conu de l'amour pour cet esclave, aprs la haine que tu lui avais voue '/ - Rends-lui la libert, dit-eUe, et je t'apprendrai ce qu'il a fait. - Parle, D rplique Cheddad. Samiya conte aussitt tout ce qui s'est pass auprs de l'tang Zat-el-Arsat: elle dit comment Antar lui seul a ,affront soixante-dix Cahtanides, les a couverts de confusion, massacrs en grand nombre et forcs relcher leurs captives. A ce rcit, grandes furent l'admiration et la joie de Cheddad. Prodigieuse aventure 1 s'crie-t-i1; et plus ad,mirable encore est sa constance se laisser battre. D A ces mots, il coupe les cordes qui lient Antar et lui demande pardon de l'avoir injustement maltrait. Lu eune homme, que la conduite de Samiya a profondd ment mu, improvise ces vers:ft Elle est venue pour m'abriter, quand les coups pleuvaient sur moi; les pleurs inondaient ses paupires, ses cheveux taient en dsordre.

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C'tait la lune qui illumine les tnbres de la nuit. Je suis vous, vous entirement. Puissent mon souffie, ma vue et mon oue tre voLre ranon! 1) Employezmoi, lorsque arrivent les cavaliers ennemis au visage terrile, couverts de poussire. Il Et si je ne les mets en pices, au milieu des coups de lance, que je ne me dsaltre plus, que pour moi la pluie ue tombe plus du ciel! Le sabre dans ma main se teindra du sang des guerriers; les sahres ennemis resteront vierges de sang. Il Car il y a deux sor Les d'hommes: les uns, dans le choc, ont des curs semblales aux pots de terre, les autres aux rochers. 1)II(1 Voil, pensa Cheddad, 'des vers qui ne peuvent sorLir que de la poitrine d'un brave.

VIII

En ce moment un esclave du roi Zohir se prsente, s'incline et dit : mir Cheddad, le roi Zohit' te salue et dsire que tu assistes un festin qu'il donne aujourd'hui. Il L'mir prend son Iils et se rend l'invitaLion. Dans un lieu o rsonnaient les inslruments cordes, o abondaienlles quartiers d'animaux gorgs, taient reunis les nobles, les braves et les guerrl;rs illustres d'Abs et d'Adnan. Chedad s'assied avec eux et An-

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tar lie mltl aux esclaves. On mange, on boit, on conte toutes sortes d'aventures. Cheddad prend la parole son tour et redit au roi les exploits et les vers d'Antar. CI Olt est-il? dit Zohir, frapp de tant de bravoure et d'loquence. Je veux le voir. Depuis le jour o il.tua Dadji, l'esclave de mon fils, j'ai reconnu qu'on devait 10l1t attendre de loi; eL qoiconque agira ainsi qu'il l'a fait s'lvera audessus de tous ses pareils. 8 Antar est appel; il approche et baise la main du roi, qui rempli Lune coope de vin et la lui tend. Le jeune homme frmissait de plaisir, et son ami MaIk, fils de Zohir, n'tait pas moins joyeux de le voir pntrer dans les bonnes grces du roi son pre. On lui demande .des vers; il improvise uu chant la louange de la tribu d'Abs el de son illustre chef. Chacun, plein d'adml:ation, le traite avec gard, et Zohir lui donne lin vtement d'honneur. Le soir, Antar s'en retourne avec son maUre Cheddad. Son cur palpite au souvenir des honneurs dont on l'a combl. Il songe sa bien-aime AbIa qui rgne SUl' . tout son tre. Mais il songe aussi qu'il n'est encore qu'un esclave; et ceU.e pense l'empche de rvler le secret de son amour.

IX

Quelques jours aprs, Antar monta clleval, arm en guerre (Car Cheddad ne s'y opposait plus), et ordonna

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ses frres Chiboud et Djrir de pousesr devant lui le btail aux pturages. Ghiboub tait le plus habile et le plus rus des esclaves: 'tait un dmon sous la fIgure d'un homme. Poursuivi par l'ennemi, il courait devancer les gazelles, et laissait les cavaliers pars bien loin derrire lui. , Or, il al'fiva que, ce jour-l, les fils du roi Zohir faisaient un festin avec leur oncle Oucid, fils de Djzima. Ils lui avaient tmoign le d:;ir de s'loigner du camp pour aller boire et se divertir vers les pturages; et Oucid, pour leur tre agrable, avait fait faire les apprts d'une joyeuse fte, Les esclaves partirent en avant portant des tentes, des provisions et du vill. Les fils du roi et lour oncle poussrent leurs chevaux jusqu'au moment o ils dcouvrint une colline d'un aspect charmant, pre de verdure, embaume des plus doux parfums, et des flancs de laquelle ils voyaient sourdre des sources et couler des ruisseaux. C'est en ce lieu qu'on s'arrta. Les nobles convives s'entretinrent gaiement, mangrent et firent apporter la coupe. Ils vidrent les Jarres de vin, au miliell des jeux, au son des instruments et des chansons des jeunes filles esclaves, Dj leurs cerveaux ressentaient les effets des liqueurs enivrantes, lorsque l'mir Malic s'tant retourn aperut , Antar et ses frres qui faisaient patre les troupeaux sur les cQllines voisines. Eh 1 par Dieu 1 dit-il, voil l-bas mon ami Antar, dont l'amiti m'est plus prcieuse que celle d'aucun tre vivant. Sad, ajouta-t-i1 s'adressant un des esclaves. cours lui, et lui dis qu'il nous vienne rcrer par ses vers pleins d'loquence. '

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- Mon frre, dit Chag, tu ag fix tes regards sur qui ne mritait point d'tre regard. et tu as accord ta faveur qui n'tait pag digne de teg bienfaits Tu l'asglori fi au milieu des nohles seigneurs. On a cout ses vers, on l'a trait avec honneur et distinction. LIt pense m'e~t venue alor~ d'aller lui et d'arracher le ~ouflle de sa poitrine. Mais j'ai craint le blme de la tribu et je n'ai point voulu troubler la vie de mes frres et de nos cavalirs. Et maintenant, mon frre, tes loges surexci.tent la haine que j'ai pour lui. Il Comme Chas achevait ces mots, un nuage de poussire parat l'hOl'izon, retentissant des clameurs de trois cents guerriers cahtanides. Les vivres taient devenus rares dans leur tribu, et ces cavaliers s'taient avancs sur le territoire des BniAbs pour s'emparer de quelque btail Ayant aperu les nobles seigneurs qui se livraient la joie, ils s'taient dit: (1 Attaquons-Ies. Captifs, ils fourniront une riche ranon.1) Ils accouraient, la tte baisse sur l'aron de la selle, aux cris de: la l-Cahtan 1 Il A cette vue, les fils du roi Zohir sautent sur leurs chevaux, dgainent le Sbre, roulent imptueusement du haut de la colline et se plongent dans la mle. Les cavaliers s'entrechoquent comme les flots de la mer tumultueuse. Antar entend leurs cris, il s'lance, suivi de son frre Chiboub. Il pntre au milieu des combattants. Chacun de ses coups largit l'espace autour des princes resserrs par la foule des ennemis.

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Cependant quelques esdaves ont couru prvenir le roi Zohir, qui arrive la tte de ses cavaliers. Mais dj, grce la vigueur d'Antar, la droute des Cahtallides tait complte et les vainqueurs rest."lient maitres de leurs dpouilles. . De retour aux tentes, le roi revtit Antal d'un khila >1< brod d'or, le ceignit d'un sabre lame raye et lui fit amener un de ses plus nobles coursiers. Puis, s'adressant Cheddad : ft "Dornavant, dit-il, ne permets plus ton fils de conduire le btail au pturages; mais n(re vous, ce n'est pas la crainte de la mort qui m'a retenu i car je suis un cavalier intrpide i mais je redoute pour Abjer la moindre gratignure. Avec quels regrets je le perdrai! Mais j'ai mang la table des gens de la tribu, et je consens le sacrifier pour racheter les biens que vous leur avez ravis. Si ce march te convient, Abjer est toi; sinon, renonce le possder. li Antar, ces paroles, reconnut qu'il avait devant lui un cavalier dou d'un cur noble et gnreux. JI voulut mOntrer une gnrosit gale la sienne. L'ami, dit-il, j'achte le cheval, tout le Jutin te sera rendu. Et je te devrai encore une vive reconnais~ance. Comme gage de ma foi, voici ma main. Et !Ii quelqu'un de mes compllgnons t'attaque, je ferai voler !la tte. Aussitt Harith met pied terre et livre Abjer au fils d~ Cheddad qui lui donne son propre cheval. Antar s'lance sur le dos du poulain, et le fait caracoler, plus fier que s'il elIL acqu~s la souverainet de la terre entire. Les deux cavaliers rejoignent les esclaves qui conduisent le butin. Antar leur ordonne de rendre la libert aux feOlmi'S et aux captifs, et de livrer le btail et tout ce qu'on a pill. Ils obissent; les prisonniers devenus libres poussent des cris de joie, et avec Harith ils se htent de reprendre le chemin de leurs habitations. Antar les suit des yeux, immobile sur le dos d'Abjer.

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III

A peine ont-ils disparu dans la plaine., que Rhiad et ses compagnons arrivent, s'tonnent de ne plus voir le bulin et s'en onquirent auprs d'Antar. Absiens, rpond Je ngre, je l'ai chang pour vous contre ce cheval, dont le maUre a manifest mes yeux une telle noblE'sse de sentiments, que je n'ai pas voulu me montrer moins gnreux que lui. C'elt t une honte pour la tribu d'Abs, tandis que le souvenir de votre magnanimit demeurera glorieux parmi ce peuple; car l'enlvement de leurs femmes est pour les Arabes la plus terrible des calamits. Le dsert d'ailleurs n'est-il pas toujours ouvert devant VOLIS? C'est Dieu qui donne et qui reprend. Il ne permettrll pas que nous retournions au camp les mains vides. A ces paroles, le chef rugit de courroux : cc Malheur toi, infme btard! T'avions-nous charg d'acheter et de vendre? As-tu demand nolre avis? - Rhiad, dit Antar, ce qui est fait est fait. S'il plait Diell,j'espre vous ddommager de celte perte, Mais, s'il VOlIS plait, vous, d'entrer en guerre avec moi, ce sabre et celle lance sauront dfendre ma vie, et je mourrai plutt que de violer la parole que j'ai donne. - Compagnons, s'crie Rhiad dont ces mots accrois-

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senl la fureur, lirez vos sabres et tuez-le. Nous irons ensuite reconqurir la proie qu'il nous a ravie. Les Bni-Abs veulent obir; mais Antar pique son coursier, le pousse en avant, en arrire et lui fait faire d'effroyables volutions. Ah! Hls de l'adultre, dit-il, vous allez voir comment je sais manier les armes et repousser mes ennemis. Honte sur vous et mr vos mres! J) Il brandit le sabre; et Abjer, les IlaSeaux fumants, bondit sous son IOUl'd cavalier avec une incroyable vigueur. A ce spectacle, les Bni-Abs, peu rassurs, perdent l'envie de s'attaquer un si rude adversaire. Eh bien! leur dit Rhiad, Que craignez-vous e ce vil esclave, de ce btard de ngre? - Par Dieu 1 rpliquent les Absiens, tu nous pousses la bataille et tu te tiens l'cart. Voyons, lu es notre chef, Jonne l'exemple, charge d'abord el nous te suivrons, 1) Mais Rhiad. pris d'angoisse: Sage est celui, dit-il. qui n'a point maille 11 partir avec Antar. Je l'ai observ lorsqu'il est descendu pour sangler Abjer, et sa physionomie j'ai reconnu que nous ne russirions pas J'intimider*. - Je l'ai vu un jour. dit un des cavaliers, faire que chose bien extraordinaire. - Quoi donc? - Le roi Zohir lui avait donn un cheval; quand il voulut le brider, le cheval fit rsistance et se cabra:

* Testes ejus, dil le lexie arabe, ad genua pendebant, 'lui, si pavorem concepisset, usque ad gutlur retracti fuissent.

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Antar le saisit, le souleva el l'crasa contre ler. J) Ces paroles glacent de terreur le cur des BniAbs. (( Si c'est ainsi qu'il a trait ce cheval, se disent-ils, comment noqs traitera-t-il nOlis-mmes? Puis, s'adressant leur chef, ils ajoutent : (l Rhiad. va trouver Antar et fais-Iui don du butin, en cachant l'effroi qu'il nous inspire; sans quoi nous prirons tous aujourd'hui. Rhiad marche vers Anlar, et lui dit: (l Fils de l'oncle, n'as-tu pas honte' de te quereller avec tes compagnons, pour une plaisanterie? -Cousins, rpond le fils de Cheddad, qui devine leur effroi, je n'ai rien fait de mauvais, ni de blmable, si ce n'est d'acheter ce cheval, sur le dos duquel j'affronterai vos ennemis; mais lorsqu'on m'attaque, encore faut-il que je me dfende. - Bien, bien 1 reprend Rhiad, tu dissipes notre souci. Tu nous rends la joie, cousin. J) , JI ajoute mille paroles flatteuses. Et Antar, feignant d'y croire: Nobles seigneuril, dit-il, je n'oublierai point votre belle conduite mon gard. Je ne suis qu'un escla\"c ; mais l'esclave ne sera point un ingrat. - Compagnons, s'crie Rhiad, Antar a achet ce chc~al au prix du butin. Le lui donnez-vous. - Nous le lui donnons, rpondent tOl1s les guerriers. C'est ainsi qu'Antar devint maUre de ce noble coursier, noir comme la nuit, dont Csar ni Cosros ne possdaient poinl le pareil. La troupe se remet en marche, et, la nuit venue, s'ar-

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rte auprs d'une source dans un lieu bois, pour 'i prendre quelque repos. Le fils de Cheddad se charge de veiller la sret de la troupe, car il craint pour luimme les emMches des tnbres.

IVAu point du jour, les cavaliers de Rhiad sont en selle pour repartir, lorsqu'ils voient arriver de loin une litire de soie et de brocard, surmonte d'un croissant d'or. En avant marchent des esclaves et des jeunes filles jouant du tambour de basque; derrire suivent des guerriers, leurs lances attaches la selle. Les BniAbs reconnaissent que ce brillant cortge est celui d'une nouvelle marie; mais ils ne peuvent deviner quelle est sa tribu ni qui peut tre son poux? Voil, disent-ils, une proie que nous envoie le Seigneur du ciel et du dsert, pour compenser celle qui nous a chapp. Aussitt, baissant la tte sur leurs selles, ils fondent sur les cavaliers de l'escorte. Ces cavaliers taient au nombre de soixante-dix. Leur rsistance Ile fut pas longue, grce aux exploits d'Antar, le terrible combattant. Cinquante prirent, les vingt autre!! s'chapprent, dix droite. dix gauche; et les Ab!!iens restrent maUres de la litire et de!! esclaves. Rhiad approcha, cal"ta les rideaux et aperut dans la litire une jeune femme, belle comme la pleine lune,4.

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les paules couvertes d'un manteau brod d'QI', et le frunt par d'une range de perles semblables des toiles. Ce ne pouvait tre que la fille d'un puissant mir. 00 intertogea les captifs. Ils rpondirent : Elle s'appelle Amima, fille de Yzid, fils de Hanzhala, surnomm le Buveur de Sang, prince des princes des Bni-Thay; et l'poux qui nous la conduisons est Nakid, fils de Djellah, le cavalier du sabre et de la lance, le dfenseur des Bni-Man. Il On se remit en marche. La jeune femme pleurait. Antar, qui avait enlendu les noms de son pre et de son poux, Ile douta pas qu'ils l1e vinssent bientt la secourir et attaquer les ravisseurs. Il rsolut de mOlltrer ses compagnons Ce qu'il valait, car il n'avait pas oubli leurs paroles: CI Nous te donnerons la moiti de la part d'un guerrier . Il s'adressa donc eux et leur dit: Nobles Arabes, Dieu vous a accord le salut et la victoire. Ce butin que nous venons de faire est d'un plus grand prix,que le premiel'. Or, je voudrais. le voir tirer au SOl'l' et diviser entre nous, suivant la coutume, afiu que chacun se rjouit de sa part. - Et quoi 1 rpliqua uu des cavaHers: Tu as dj pris notre premire proie tout entire, et tu prtends avoir encore ta part de celle-ci? - Eh! ne me l'avez-vous pas cd, ce butin, moi qui vous en serai toujours reconnaissant? Est-ce donc la coutume des gnreux seigneurs de repl'elldre ce qu'ils ont une fois donn? Les esclaves eux mmes auraient honte de le faire. - Il a raison, dit Rhiad, nous ne reprenons point nos dons, Allons, tirez au sort le nouveau butin; voyez ce qui revient ' chacun, et donnez llne demi-part cet

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esc\a ve ; cal' il u'est pas autre chose en somme. Tel est mon avis. - Nobles Arabes, reprit Antar, ne faites point cela. Soyez justes, et parlez vrai. Celui-l seul est vraiment noble qui agit avec droiture. Le menteur est un lche dshonor . ._- Achve. Explique-toi. - Cousins, n'a-t-il pas t convenu que tout butin serait divis en deux parts, l'une pour moi, l'autre pour vous tous? - Malheur toi, fils de Zbiba, rugit Rhiad enflamm de courroux. Ton avidit t'a plong dans la mer d.e la sottise. Tu es fou, tu n'as plus ton bon sens. -Oui, c'est vrai. Je suis un fou de vous avoir suivis, geus pleins d'injustice et dpourvus de toute quit. Quoi qu'il en soit, j'an rai la moiti du bulin, duss-je pour cela combattre jusqu' la mort. -- Compagnons, hurla Rhiad cumant de rage, saisissez-le, charpez-le: que vos sabres le coupent en mille i'ices. Supporterons-nous plus longtemps que ce misrable s'empare de !lOS biell~ et du fruit de nos combats. Ne sommes nom, pas des cavaliers de la tribu d'Abs et d'Adnan, des guerriers illustres, galement habiles manier la lance et le sabre? A ces paroles de l~lI' chef, les Absiens poussent contre Antar des cl'is menaants; le hros prend le large et fait caraeoler Abjer avec une hardiesse inoue. La lutte semblait invitable, le combat allait commencer, lorsqu'un ll!tage de pou5sire parat l'horizon pleill de cris et d.e tumultes. Bientt les lances brillent, les sabres tincellent, et les cavaliers paraissent monts sur leurs rapides coursiers.

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vC'taient les gens de Yzid, le pre d'Ami ma. Prvenu par les Cuyards, il accourait pour reprendre sa fille. Il tait au premier rang de son escadron, arm d'une longue lance et d'un sabre de trempe indienne, couvert d'une paisse cotte de mailles, coiff d'un casque qui scintillait comme une constellation. Me voil! criait-il, moi, le Bl1Vflur de Sang, le hros de Thay et de Cahtall! J) Alors Antar dit aux Bni-Abs : CI Voil vos adversaires 1 Pui~qlle le butin est vous, avisez le dfendre, si vous tes des braves. Pour moi je n'en veux rien, ni chamelle ni chameau. Je vous laisse Mmler seuls vos affaires. J) Ce disant, il pique Abjer et monte sur une colline o il s'arrte pour les observer, appuy sur sa lance. Le Buveur de Sang et ses hommes se rllent sur les Absiens: les braves s'attaquent, les hros s'entre-dlOquent, la terre aride f>e dsaltre de sang En peu d'in&tantslesas~aillants triomphent, Amima est libre, It'5 ravisseurs abandonnent leur proie et s'enfuient perdus. Antar-voit cette droute; il jure de reprendre hii seul tont le butin. Il affermit son pied daus l'trier, arrache sa lance de terre et Cond sur les vainqueurs, comme le lion qui bondit hors du fourr. Sa voix terrible branle les rochers :

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le suis Antar, fils de Cheddad. Sur son cheval rapide comme la flche et l'clair, on dirait un des Djinns qui obissent Soliman", ses yeux sont rouge~ de sang. l'cume vient aux coins de sa bouche, l'a!!pect seul dA son terrible visage fait reculer les cavalier~. Devant lui, les Bni-Thay se dispersent comme un troupeau de bufs. Ce jour-l, les Blli-Abs purent juger de sa valeur. Ils retournent !mr leurs pas et se rejettent dans la mle. Cette attaque dcide la droute des Thayites. Antar en avait tu soixante-dix. Les Bni-Abs l'entourent et le flicitent de sa victoire. I1~ runissent le butin, replacent la jeune marie dans la litire et reprennent le chemin de la terre de Chrebba.

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Cependant l'Iakid 1 fil!! de IJjellah, avait appris la cnptivit de celle qui allait devenir son pouse. Bientt cinq mille guerrier!! de la tribu de l\Ian furent runis ses ct!!. Cette arme partit avec son chef. se flattant de l'espoir d'atteindre le pays des Bni-Abs, de les anantir et d'effacer jusqu'aux traces de leurs habitations. Car Nakid tait un de~ p~us illustres cavaliers qui . aient vcu avant l'apparition du Prophte. Jour et nuit

* On sait que le roi Salomon, selon la lgende orien laie, avait soumis les gnies son obissance.

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il hta sa marche, et enfin joignit ses ennemis encorel.oigns de leur patrie. . A la vue de cette arme et du chef intrpide qui la conduit, les Abslens se tournent vers Antar qui souriait et s'apprtait gaiement combattre: G Fils de l'oncle, disent-ils, cette troupe sans nombre va nous atteindre, ravir notre butin et faire voler nos ttes. - Personne, dit Antar, ne saurait retarder lJi devancer son heure. Que peuvent les lances et les sabres contre celui dont )'exi~tence n'est pas venue au terme fatal! Voil le jour que je souhaitais, car en quittant la tribu, je n'ai pas gard le dsir d'y retourner, aprs ma msaventure avec mon matre Cl1'eddad. Ce qui 110US arrive aujourd'hui, c'est le souverain Dispensateur des biens et des maux qui nous l'envoie. Et maintenant, que les braves se disposent au combat, et que les lches aient recours la fuite. D En achevant, il s'lance et se jelte au milieu des ennemis dont il tue une quantit innombrable. De leur ct, les Blli-Abs voient vingt des leurs massacrs. Sans espoir de salut, ils fuient et laissent Antar seul dans la mle, frappant les cous et transperant les poitrines, avec des bonds 'ren verser les montagnes. 0 le ngre intrpide! D s'crie Nakid, la vue du hros qui lutte seul coutre 1 DE voil qu'au mili':>u du subIe il uoit briller un fourreau; il le tire il lui et t,"OUDU un E~Ebre l,rge pesant, de aierreries tincelantes. Il reconnait ce fameux Dami, qui trnppr ~,ommr l'drir et roupe avant de tEKlppeL~ Plein de joie, il s'en empare en bnissant les arrts du destin, rKlrmmte nur n'empressn de Malie et ses compagnons, qui il fail le rcit de son aventrre. Il offre Dami au prince Malic qui refuse de l'accepter, et les eflvalinrs reeonnaiesent qne ln ms Ched= dad est digne de possder une telle arme. C~t vaement leur nne l,nurenEe exqdditini:k~

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la troupe arriee qeu disTtlr&ce camp des Bni-Mazen, Hassan tmoigna le dsir de en Klnant, dour eTllmeE7 pins tt Tes irA' quitudes qui l'agtaient. nour ne tasderone pas te re, da? Ini dit joindre. HaZlsan SeS cent cmpaqnone t arsine tribu avant la du triste spsetacle frappe .sa vue 1 Le gant AssaC s'est rendu maltre du camq, un gi"and ETlaSSflflze. gUflEEiers flzarvi emts .sont rfugis. derrire la colline d'Aban avec les enfants et femmes. ils redoublnut d'dfo1"ts peur ddfend,tz leur bien le plus prcieux.

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. Il Massacrez les hommes et emparez-vous des femmes, rugit AssaC. Ce que vous conquerrez est vous. Je ne veux d'autre part du butin que la fille dt:' Nedjem le Maznide. D Ce spectacle fend le cur de "Hassan ; il ne se connait plus de douleur, il lui semble que l'univers s'est croul sur sa tte. Bientt, avide de vengeance, il se -jette avec sa faible troupe sur la nombreuse arme d'Assaf. A la vue de ce secours, les Maznides poussent des cris de joie et reviennent la charge. Hassan, au . milieu des ennemis, cherche le chef Assaf. Ille recon.nait sa haute stature, ila cuirasse brillante, son sabre pesant, sa longue lance. Il court. sa rencontre. Infortun, lui crie Assar, reviens sur tes pas, ou crains de boire la coupe fatale. - Tremble toi-mme, rpond Hassan, et dis adieu tes esprances. Car j'amne contre toi les cavaliers d'Abs et d'Adnan, les hros de Dhobian et de Fzara, qui vous feront connaitre votre propre valeur et vous laisseront avilis' dans ces dserts. Il Assaf rugit de courroux : . Malheur toi et ton pre' Qui es-tu? et que viens-tu faire ici ? - Je suis l'poux de cette jeune femme qlJe tu prtendais enlever, et je viens pour sparer ta tte de tes paules. - Fils de la maudite' rplique le ganl. Je ne redoute ni toi ni aucun des cavaliers qu'clairent les rayons du soleil. D Les deux guerriers sont aux prises. Les cavaliers du Ymeg couvrent la l'laiqe~ l'~ir ~st rem~li ~e cri~ ~~t[

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de gmissements. La faible troupe de Hassan r~iste peine, le jeune hros se sent faiblir sous les coups de son gigantesque antagoniste. Dj il songe sauver sa 'vie par la fuite, lorsqu'arrivent les cavaliers absiens, rapides comme des aigles, faisant trembler la terre sous les sabots de leurs coursiers. Malie, fils de Zohir, Antar, fils de Cheddad, sont leur tte. (( C'est aujourd'hui, dit Antar 1 que j'prouverai la trempe de mon sabre et que je le dsaltrerai de sang ennemi. D Il dit et lche la bride d'Abjer, dont les quatre pieds font jaillir des tincelles. Les Bni-Mazen ont repris courage et le combat redouble de violence. Antar met 'les bataillons en pices et se fraye une large voie seme de cadavres. Les cavaliers du Ymen frissonnent de terreur et se dispersent son approche. Il massacre droite et gauche; sa lance dgoutte de sang, ouvre les gorges, perce les flancs, traverse les poitrines. Tout--coup la voix du prince Malic frappe son , oreille: A moi, Antar! ou je suis morU )) Le fils de Zohir s'est jet sur un chef puissant, Messadel-Kelbi, que de nombreux guerriers sont venus dfendre. Le prince veut chapper cette Coule; mais il ,est serr de prs pr Messad dont la lance a dj Cait plusieurs victimes; car Messad est un guerrier vigoureux, connu par sa bravoure et sOn illustre naissance. C'est alors que le fils de Zohir pousse son cri de dtresse. Antar l'a entendu. Au milieu des flots de poussire, il se dirige du ct d'o est parti l'appel; il fend les, vagues de cette mer tumultueuse, gorge ceux qui

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LES AVENTURES D'ANTAR

tentent de l'arrter et parvient auprs de Mali. Il frappe, chacun de ses coups renverse un des cavaliers de Messad-el- Kelbi. Il atteint enfin le chef lui-mme, la lutte s'engage et Antar reconnait la valeur de son rivai. Mais, frapp d'un coup de lance,]e cheval de Messad s'abat et entraine son maUre dans sa chute. Protg contre le choc par sa cuirasse solide,' Messad . se relve et fuit pied dans le dsert, croyant peine son salut. Antar pntre de nouveau travers les masses de guerriers, rien ne lui rsiste, les fuyards s'chappent de tous cts. Assaf seul reste ferme avec ceux qui l'entourent; il est couvert du sang de ses victimes, son cheval marche sur un monceau de cadavres. Assaf ne veut point quitter le champ de bataille qu'il n'ait enlev sa proie, Nahima la Maznide. Mais voici qu'Antar tombe ses cts, terrible comme un djinn. Assaf pousse:un cri effroyable et se rue sur ce nouvel adversaire. Mais son heure est arrive. Le fils de Cheddad l'atteint dans le flanc; AssaC tombe et rend le dernier soupir. Ses cavaliers, avides de venger la mort de leur chef, fondent sur Antar, comme un torrent; le hros les repousse, protg par les flches' de Chiboub. Et quand une foule trop nombreu~e l'environne, il pique son cheval Abjer qui fait un bond et s'chappe avec l'imptuosit du vent du nord. Le prince Malic, de son ct, fait des prodiges de valeur. Une soif ardente dessche le gosier de tous les combattants. Enfin les tribus du Ymen dcourages prennent la fuite et abandonnent leurs dpouilles. Les Maznides et les Absiens transports de joie se

FILS DE CHEDDAD

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flicitent rciproquement de leur intrpidit et de leur succs. On rend mille actions de grces au prince Malic, et on exalte la force et la bravoure d'Antar, fils de Cheddad, le cavalier invincible.

IX

La nuit avait tendu le voite de l'obscurit. Le lendemain, les Bni-Mazen gorgent des chamelles, font un festin magnifique, et se livrent la joie avec des rjouisSances plus grandes encore qu'au mariage de Hassan. Ces ftes durrent sept jours; le huitime, Hassan reut Nahima dans sa tente, et vit ainsi toutes ses esprances combles. Ce mme jour1 les Absiens se mirent en route pour regagner leur pays. Hassan et les principaux de sa tribu les accompagnrent deqx jours entiers travers ces terres accidentes. Ces nobles Mazoides ne pouvaient se rsoudre se sparer de leurs librateurs. Mais enfin, cdant aux prires d'Antar qui les conjure de s'en retourner, ils font leurs adieux et repartent, et les Absiens continuent leur voyage. CI Sans toi, Pre des Cavaliers, disait sans cesse le le prince Malic son ami, sans ta vigueur 1 nous prissions tous en cette affaire. Tu as t le sabre des Bni-Abs. JI

CHAPITRE VUn amoureux d'Abla.- Antar est renvoy il. la garde des troupeaux. - Invasion du Buveur de sang. - L'e~clave devient libre.

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Tandis que la troupe de Malic se hLait de regagner la terre de Chrebba, la tribu d'Abs attendait dans J'in quilude le retour de ses guerriers. Mais les ennemis d'AnLar faisaient des vux pour que l'objet de leur haine ne revint pas de l'expdition. Ils se fondaient de jalousie en voyant quel degr de gloire Lait parvenu l'esclave, fils de Zbiba la ngresse. Les plus haineux taient Malec, fils de Carad, et son fils Amr, furieux l'un ct l'autr de l'amour d'Antar pour Abia, et des posies o il clbrait les attraits de sa bien-aime. Ces posies, que chacun aimait redire, avaient rpandu partout le nom d'Abia et sa rpuLation de beaut.

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AVE~'fUlS

D'ANTAR, FILS DE CIiEDDAIl

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Rabi, fils de Ziad, avait un frre nomm AUlJl'a-leMagnifique, beau jeune homme plein d'admiration pour sa propre personne, orgueilleux de sa noblesse, Loujours richement vtu et abondamment parfum. 01', il advint que ce fier seigneur devint amoureux de la jeune tille, sur la renomme de ses charmes. Il prit part sa nourrice et lui dit: tI Va aux lenles des Bni-Carad) tche d'avoir uu entretien avec AbIa. Puis sache me dire si ceLte vierge est digne d'un poux tel que moi, et si elle est aussi belle que le prtendent les vers du ngre . La nourrice partit l'instant et se prsenta la tente de Malec. Abia se leva pour la recevoir, la traita a\'ec civilit et s'entretint quelque temps avec elle. La nourrice put contempler son aise la grce et la beaut dont Dieu avait orn, la jeune fille. Elle s'en retourua merveille, ne sachant quels mots trouver pour peindre mie semblable perfection. u Bni soit Dieu, disaitelle en arrivant aux tentes des Bni-Ziad. Que son pouvoir est grand, que ses uvres sont admirables 1 - Que veux-tu dire? demanda le frre de Rabi~ . - Seigneur, rpondit la bonne femme, c'est la surprise et l'admiration qui m'arrachent ces paroles Quel beau visage! quelle taille lgante 1 quelle voix douce et harmonieuse 1 Ah! cerles Antar n'a pas menti, et AbIa est encore au-dessus. de ses log~s. Tu peux, sans hsitel', la demandel' son pre, et don uer, pour l'obteuil', tout ce qu'il te demander'!. Vivement excit par ces paroles de ,la nourrice, Amara revt ses plus beaux habits, oint tout son corps de parfums et natle ses cheveux qui retombent sur ses1)

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LES AVENTURES D'ANTAn

paules; il prend un des chevaux de Rabi, son frre, avec une selle orne d'or, dont les incrustations scintillent comme le feu, et, se faisant suivre par.un nom1lreux cortge d'esclaves, il se rend la tente de Malec, pre d'Abia. Malec et son fils Amr taient cheval. Amara les salue. Ils veulent mettre pied terre pour lui faire leurs civilits; mais le frre de Rabi les en empche. Cl Oncle, dit-il, viens te promener avec moi jusqu' l'abreuv~ir, j'ai te faire une demande qui exige le secret. . - Seigneur, rpond Malec, que ne m'envoyais-tu qurir par un esclave, je me serais aussitt rendu tes ordres: - Que Dieu te comble de biens, dit Amara, ta bont est sans gale dans la tribu. D . Ds qu'ils sont seuls, Amara reprend: ' (1 J'ai entendu vanter ta fille; vieillards et jeunes gens, tout le monde loue sa beaut. Je viens te la de~ander en mariage. Satisfais mon dsir, et ds ce jour tes amis et tes ennemis seront les miens. - mir 1 s'crie Malec, qui l'excs de la joie arrache des larmes, ma fille et moi, nous sommes tes esclaves. Je te la donne, tu es son poux. D En mme temps, il lui tend la main comme gage de sa promesse. Puis ils se sparent fort satisfaits l'un et l'autre. Amara instruit son frre Rabi de ce qui vient de se passer. Rabi lui dit: CI Je ne suis pas content de ton alliance avec les Bni-Carad, qui sont pauvres. Mais puisque tel est ton dsir, fais ta guise. Cependant prends garde Antar, lorsqu'il saura l'affaire. C'est un personnage assez rude.

FILS DE C HEDDAD

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- Bien' .bien' rpond Amara, j'ai fi mon service mille bras aussi vigonreux que les siens. Il L-dessus, il passa une nuit tranquille, sans inquitude, ne doutant pas qu'AbIa ne ft bientt en ses mains.

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Cette nuit mme, Antal' et le prince Malic arrivrent au camp, chargs de prsents et de butin, et toute la tribu les accneillit avec des transports de joie, en criant: " Gloire Dieu qui nous les a ramens. Antar, aprs avoir distribn toutes ses richesses aux membres de sa famille, se retira anprs de sa mre. Zbiba n'avait pas manqu d'apprendre l'entretien de Malec et d'Amara et la promesse de mariage change entre les deux seigneurs. Elle ne voulait .pas troubler le repos de son fils, en lui rvlant ce secret; mais Antar s'tant mis lui faire mille questions au sujet d'Abia, Zbiba lui dit: Mon fils, ne songe plus . cette jeune fille qui ne sera jamais toi. . - Pourquoi cela, ma mr