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LES AVOCATS DOIVENT FAIRE LEUR RÉVOLUTION : réflexions sur le modèle économique des cabinets d’avocats d’affaires Sébastien VANNEROT Directeur Général d’USG LEGAL (FRANCE) Vice-président du cercle Alexis de Tocqueville Attaqués de toutes parts, les avocats d’affaires français sont depuis plusieurs années maintenant, et plus particulièrement en ces temps de crise, au cœur d’une crise profonde qui, si le laissez-faire actuel demeure, pourrait aller jusqu’à menacer Paris comme place interna- tionale du droit. Pour la première fois depuis longtemps, les avocats ont connu en 2011 une très légère baisse de leurs revenus après vingt ans de croissance continue, baisse que les avocats avaient réussi à anticiper lorsqu’ils avaient obtenu en 2011 une e xtension législative (loi n°2011-331 du 28 mars 2011) de leur périmètre d’intervention, pensant ainsi contrer la baisse prévisible de leurs revenus et la place de plus en plus importante des juristes d’entreprise. Mais les avocats se trompent de combat, le mal est beaucoup plus profond que cela et la défiance des clients envers leurs avocats n’a jamais été aussi importante. Il est grand temps que les avocats repensent en profondeur leur place dans la société et dans l’économie et, ce faisant, leur modèle économique, part la plus visible et la plus contestée par leurs propres clients. © EFFICIENCE JURIDIQUE, janvier 2013 > http://efficiencejuridique.wordpress.com < UN CONSTAT ALARMANT Dire que le modèle économique actuel des cabinets d’affaires est totalement à contre-courant du mo- dèle économique de leurs clients en deviendrait presque un pléonasme tellement cette vérité est aujourd’hui criante : le modèle économique de la grande majorité des cabinets d’affaires est actuel- lement basé sur une économie de l'offre 1 alors même que le commerce international, dans son ensemble, est dirigée par la demande 2 . Le modèle économique basée sur le temps passé (la mesure de l’effort) était totalement compré- hensible au regard de l’histoire des honoraires et de la place du droit dans la société jusqu’aux an- nées 70 ou 80. Bien qu’historiquement compré- hensible, ce modèle représente aujourd’hui l’exact contre-exemple du commerce international ; il sanctionne positivement l’effort mais négative- ment le résultat ; il récompense l’improductivité au détriment de la productivité. Les forces de ce mo- dèle sont aujourd’hui devenues ces faiblesses. La persistance d’un tel modèle met en lumière, s’il était encore besoin, la politique d’aveuglement (volontaire ?) des barreaux français quant aux profondes mutations que connaît actuellement l’industrie du droit au plan international, laissant apparaître de tous bords de nouvelles solutions de contournements, pour ne pas dire de nouveaux concurrents, face aux grands cabinets d’affaires. Les reproches adressés aux cabinets d’affaires sont généralement toujours les mêmes : manque de connaissance et de proximité avec leurs clients ; service inadapté quand il n’est pas inexistant, manque de valeur ajoutée et donc honoraires trop élevés. En l’espèce, les symptômes sont l’exact reflet des causes : un modèle économique adapté aux avocats (le temps passé protège le mode de facturation des avocats) mais inadapté aux clients (pour lesquels le montant à payer est indifférent de la valeur ajoutée apportée par l’avocat). Il est donc temps de se plonger au cœur du modèle économique des cabinets d’avocats et, à ce titre, de s’intéresser aux travaux du professeur Stephen Mayson ou encore de Messieurs William Cobb et Ronald J. Baker sur le sujet. QU’EST-CE QU’UN MODÈLE ÉCONOMIQUE ? L'expression « modèle économique » ou « business model» est d’apparition relativement récente et sa définition n’est pas encore totalement normalisée, raison supplémentaire de s’intéresser aux travaux du professeur Stephen Mayson 3 . Tout d’abord, le business model ne se confond pas avec la stratégie : la stratégie définit les produits et services proposés autour notamment de la créa- tion davantages concurrentiels. De son côté, le business model tente d’expliquer comment les différents facteurs-clefs de l’activité déployée doivent se combiner et fonctionner de manière cohérente dans le cadre de la stratégie établie. En d’autres termes, le business model est

LES AVOCATS DOIVENT FAIRE LEUR RÉVOLUTION …s.damsys.com/go/articles/usg_legal_la_necessaire_revolution_des... · business model donne ainsi à la stratégie sa néces-saire cohérence

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LES AVOCATS DOIVENT FAIRE LEUR RÉVOLUTION :

réflexions sur le modèle économique des cabinets d’avocats d’affaires

Sébastien VANNEROT

Directeur Général d’USG LEGAL (FRANCE) Vice-président du cercle Alexis de Tocqueville

Attaqués de toutes parts, les avocats d’affaires français sont depuis plusieurs années maintenant, et plus particulièrement en ces temps

de crise, au cœur d’une crise profonde qui, si le laissez-faire actuel demeure, pourrait aller jusqu’à menacer Paris comme place interna-

tionale du droit. Pour la première fois depuis longtemps, les avocats ont connu en 2011 une très légère baisse de leurs revenus après vingt

ans de croissance continue, baisse que les avocats avaient réussi à anticiper lorsqu’ils avaient obtenu en 2011 une extension législative

(loi n°2011-331 du 28 mars 2011) de leur périmètre d’intervention, pensant ainsi contrer la baisse prévisible de leurs revenus et la place

de plus en plus importante des juristes d’entreprise. Mais les avocats se trompent de combat, le mal est beaucoup plus profond que cela et

la défiance des clients envers leurs avocats n’a jamais été aussi importante. Il est grand temps que les avocats repensent en profondeur

leur place dans la société et dans l’économie et, ce faisant, leur modèle économique, part la plus visible et la plus contestée par leurs

propres clients.

© EFFICIENCE JURIDIQUE, janvier 2013

> http://efficiencejuridique.wordpress.com <

UN CONSTAT ALARMANT

Dire que le modèle économique actuel des cabinets

d’affaires est totalement à contre-courant du mo-

dèle économique de leurs clients en deviendrait

presque un pléonasme tellement cette vérité est

aujourd’hui criante : le modèle économique de la

grande majorité des cabinets d’affaires est actuel-

lement basé sur une économie de l'offre1 alors

même que le commerce international, dans son

ensemble, est dirigée par la demande2.

Le modèle économique basée sur le temps passé

(la mesure de l’effort) était totalement compré-

hensible au regard de l’histoire des honoraires et

de la place du droit dans la société jusqu’aux an-

nées 70 ou 80. Bien qu’historiquement compré-

hensible, ce modèle représente aujourd’hui l’exact

contre-exemple du commerce international ; il

sanctionne positivement l’effort mais négative-

ment le résultat ; il récompense l’improductivité au

détriment de la productivité. Les forces de ce mo-

dèle sont aujourd’hui devenues ces faiblesses.

La persistance d’un tel modèle met en lumière, s’il

était encore besoin, la politique d’aveuglement

(volontaire ?) des barreaux français quant aux

profondes mutations que connaît actuellement

l’industrie du droit au plan international, laissant

apparaître de tous bords de nouvelles solutions de

contournements, pour ne pas dire de nouveaux

concurrents, face aux grands cabinets d’affaires.

Les reproches adressés aux cabinets d’affaires sont

généralement toujours les mêmes : manque de

connaissance et de proximité avec leurs clients ;

service inadapté quand il n’est pas inexistant,

manque de valeur ajoutée et donc honoraires trop

élevés. En l’espèce, les symptômes sont l’exact

reflet des causes : un modèle économique adapté

aux avocats (le temps passé protège le mode de

facturation des avocats) mais inadapté aux clients

(pour lesquels le montant à payer est indifférent

de la valeur ajoutée apportée par l’avocat).

Il est donc temps de se plonger au cœur du modèle

économique des cabinets d’avocats et, à ce titre, de

s’intéresser aux travaux du professeur Stephen

Mayson ou encore de Messieurs William Cobb et

Ronald J. Baker sur le sujet.

QU’EST-CE QU’UN MODÈLE ÉCONOMIQUE ?

L'expression « modèle économique » ou « business

model» est d’apparition relativement récente et sa

définition n’est pas encore totalement normalisée,

raison supplémentaire de s’intéresser aux travaux

du professeur Stephen Mayson3.

Tout d’abord, le business model ne se confond pas

avec la stratégie : la stratégie définit les produits et

services proposés autour notamment de la créa-

tion d’avantages concurrentiels.

De son côté, le business model tente d’expliquer

comment les différents facteurs-clefs de l’activité

déployée doivent se combiner et fonctionner de

manière cohérente dans le cadre de la stratégie

établie. En d’autres termes, le business model est

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l’articulation des éléments essentiels de la firme

capable de créer ensemble et délivrer au client

suffisamment de valeur effective pour pouvoir

capturer de manière effective une part de celle-ci

afin d’engendrer des résultats et des retours sur

investissement.

Pour les besoins du présent article nous désigne-

rons les structures d’exercice des avocats sous le

vocable de « firme » et conserverons le vocable

anglais de « business model » car aucune traduction

française n’est satisfaisante à nos yeux, exception

peut-être faite de l’expression québécoise « mo-

dèles d’affaires » mais qui, dans le sens commun,

désigne plus un business plan qu’un business model.

Au-travers de ses recherches, le Professeur May-

son a réussi à définir les facteurs-clefs et structu-

rants du business model des cabinets d’avocats (les

firmes) : (i) la création de valeur, (ii) les res-

sources ; (iii) les investissements et (iv) les re-

tours. Ces éléments ont pour objectif de lier direc-

tement la stratégie à son application en se faisant

le reflet de la réalité de son exécution. D’un point

de vue pratique, le business model est tout sauf un

exercice théorique et statique ; il doit au-contraire

être régulièrement revu et adapté afin de s’ajuster

à l’écosystème de la firme, tout comme devrait être

régulièrement mise à jour la cartographie des

risques de l’entreprise. Le business model a l’intérêt

d’éprouver la stratégie de la firme en la confron-

tant à la structure et aux process de celle-ci : le

business model donne ainsi à la stratégie sa néces-

saire cohérence interne.

En dépit de la difficulté de l’exercice, les bénéfices

du business model sont multiples : (i) conceptuali-

ser la firme comme un jeu interdépendant de choix

stratégiques ; (ii) rechercher des liens dynamiques

supplémentaires entre le positionnement et les

activités de la firme au-travers de combinaisons

spécifiques afin d’encourager la firme à identifier,

créer et conserver un ou plusieurs avantages con-

currentiels ; (iii) assurer un certain degré de cohé-

rence entre la stratégie, la structure, la rentabilité,

la croissance et les options de sortie de la firme ; et

(iv) rendre plus explicite et lisible les choix straté-

giques et structurels pris.

LES FACTEURS DU MODÈLE ÉCONOMIQUE

Rentrons un peu plus dans le détail des quatre

facteurs constitutifs du business model :

la création de valeur, c’est-à-dire la manière

dont la firme cherche à créer de la valeur pour

ses clients, en ce compris des sous-facteurs-

clefs tels que le positionnement et la factura-

tion ;

les ressources, c’est-à-dire l’étendue et la na-

ture des ressources auxquelles la firme doit ac-

céder afin de créer de la valeur et atteindre ses

objectifs et déterminer si ces ressources de-

vraient être internalisées ou au contraire ex-

ternalisées ;

l’investissement, c’est-à-dire la philosophie et

la méthodologie permettant de construire et fi-

nancer la firme mais aussi sécuriser les retours

sur investissements ;

les retours, c’est-à-dire la manière dont la

firme envisage, dans le temps, de capturer du-

rablement pour elle-même une part de la va-

leur ajoutée créée par l'investissement et l'utili-

sation des ressources de la firme ; dans de

nombreux cas, la capacité de la firme à capturer

la valeur et de générer des résultats dépendra

en grande partie de l’inscription de la firme

dans la chaîne de création de valeur globale et

de sa proximité ou, au contraire, de son éloi-

gnement du client final.

Le business model est jeu dans laquelle les inter-

dépendances sont complexes et profondes : chaque

facteur du business model est affecté par les

autres, ce qui explique que chaque business model

est unique.

LE FACTEUR CRÉATION DE VALEUR

Le facteur création de valeur est l'élément primor-

dial du business model. Il nécessite de considérer le

positionnement de la firme dans la chaîne de créa-

tion de valeur dans son ensemble. L’identification

de ce positionnement est essentiel car (i) la valeur

peut être créée de différentes manières (internali-

sation ou externalisation ; sous-traitance ou joint-

ventures, etc.) et (ii) sauf pour client ou l’acheteur

final, le coût d'approvisionnement correspond au

prix du fournisseur (ce qui affecte directement le

facteur retours).

La création de valeur est l'élément-clef de l'avan-

tage concurrentiel de la firme ; il n’y a pas

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d’avantage concurrentiel à ressembler à la concur-

rence, pas plus qu’il n’y a de prime à la différence à

moins que celle-ci ne délivre de la valeur ou un

avantage au client). Le business model de la firme

doit s’assurer que la valeur ou l’avantage créé est

effectivement délivré au client.

A cet égard, la capacité de la firme à créer de la

valeur dépend de trois facteurs principaux :

la nature du marché sur lequel la firme

cherche à conquérir ;

le positionnement et la crédibilité de la firme

sur le marché retenu ;

la capacité à délivrer de la valeur ajoutée ef-

fective à ses clients.

Le marché

Pas d’avocats sans clients… La firme doit bien évi-

demment disposer d’une compréhension claire de

la nature de son marché et des attentes de ses

clients. Qui adresser au travers des services propo-

sés et expertises développés ? A quelle étape de la

chaine de valeur la firme se situe-t-elle ? A chaque

segment de marché correspondra à une typologie

de clients qui nécessitera une réponse juridique

différenciée mais aussi une typologie de firmes,

aux service différenciés, aux techniques de business

development, modes de facturation et structures

d’exercice différentes. Dans ce cadre, une vraie

question se pose : comment les clients choisissent-

ils leurs firmes (bouche-à-oreille, réputation, con-

naissances, etc.) ? Comment achètent-ils leurs

prestations juridiques (en personne, via des appels

d’offres, des prescripteurs, une assurance de pro-

tection juridique, etc. ?). Combien dépensent-ils ?

Combien sont-ils prêts à dépenser ? Quelles sont

leurs contraintes, leurs attentes ? Comment éva-

luent-ils la valeur apportée de ces services ?

La réponse à ces questions viendra d’une étude

marketing approfondie mais aussi et surtout du

benchmark de l’historique de la firme dans le

cadre d’une revue stratégique de ses activités,

activité nécessaire et indispensable avant la défini-

tion de toute stratégie et de tout business model.

Le positionnement sur le marché

Le positionnement de la firme sur le marché est un

élément fondamental de la perception de valeur

par les clients. Le positionnement « natif » de la

firme influencera substantiellement et naturelle-

ment la sensibilité au prix que le client sera prêt à

débourser en contrepartie des conseils juridiques.

La perception de la valeur ajoutée et la perception

du prix sont décorrélées l’une de l’autre mais de-

meurent en tout état de cause purement subjec-

tive. En d’autres termes, c’est toujours l’œil du

client qui déterminera la manière dont la firme et

ses services sont perçus. Un seul exemple suffira à

comprendre : deux promoteurs immobiliers réali-

sent une opération identique de promotion d’une

valeur de 100 millions d’Euros. Le premier promo-

teur est un géant du secteur et l’opération sus-

indiquée ne représente qu’une faible partie de son

activité annuelle. Le second promoteur est un petit

promoteur pour qui cette opération représente

trois années de travail. Le travail juridique à réali-

ser est exactement identique. Pensez-vous que les

services et la valeur-ajoutée apportés seront con-

sidérés de manière identique ? Allez-vous facturer

de manière identique vos deux clients ? Le mode

de facturation actuel, basé sur le taux horaire,

semblerait pencher vers l’affirmative alors même

que les attendus et donc la sensibilité au prix de

chacun de ces deux clients est fondamentalement

différente.

Le positionnement de la firme se base notamment

(i) l’importance et la valeur ajoutée des services

effectivement fournis aux clients et (ii) la crédibili-

té perçue de la firme à fournir ces mêmes services

(étant donné ses ressources et son track record).

La valeur délivrée au client

Les clients perçoivent la valeur ajoutée sur une

échelle de valeurs allant de bas à élevé. Au sein de

cette échelle, il existe une relation directe entre la

valeur ajoutée et la sensibilité au prix : la sensibili-

té au prix est inversement proportionnelle à la

perception de la valeur ajoutée. En d’autres

termes, moins la valeur-ajoutée est perçue par le

client, plus la sensibilité au prix est importante ;

plus la valeur-ajoutée perçue est importante,

moins la sensibilité au prix est importante.

Dans ce cadre, l’une des difficultés majeures réside

dans le fait que la perception de la valeur ajoutée,

et donc le positionnement de la firme, évolue rapi-

dement en fonction du marché et de la concur-

rence.

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En conséquence, un service considéré comme à

forte valeur ajoutée à un moment T peut être perçu

comme une commodité, c’est-à-dire sans réelle

valeur ajoutée différenciante, à T+1.

Sur ce point en particulier, les avocats semblent

avoir volontairement occulté le changement de

paradigme intervenu au cours des dernières an-

nées dans la chaîne de valeur de l’économie des

services et du savoir. La smile curve s’est inversée

et la valeur ajoutée de l’exécution est désormais

considérée comme de moindre valeur comparée à

la valeur ajoutée de la conception (nécessitant une

forte expertise) ou encore l’émergence de solu-

tions complètes (nécessitant une connaissance

intime des clients) alors même que ces services

d’exécution sont justement et encore aujourd’hui

considérés à tort comme un point fort, voire une

vraie valeur ajoutée, des firmes. Cette ignorance

par les firmes du sens de la courbe de la valeur

ajoutée démontre si besoin était encore que les

avocats sont demeurés dans une économie de

l’offre et non de la demande. Une seule question :

connaissez-vous un cabinet d’avocats qui inves-

tisse en R&D, en amont des demandes éventuelles

de leurs clients ?

A côté de cela, d’autres facteurs externes peuvent

également influer sur le positionnement de la

firme et, par voie de conséquence, influer positi-

vement ou négativement la perception de son posi-

tionnement. Tel est le cas en raison du manque

d’uniformité des marchés, de l’appréciation des

clients de leur propre valeur ajoutée dans leur

propre environnement ou encore la perception de

leurs propres contraintes ou urgences.

Tenir compte de la capacité financière mais égale-

ment de la volonté (ou non) des clients

d’augmenter leur contrepartie en raison d’une

élévation de la valeur ajoutée perçue sont des fac-

teurs déterminants du positionnement de la firme

et de ses objectifs stratégiques.

La valeur ajoutée perçue, puisque subjective, ne

peut être systématique. Pour répondre à cette

problématique, la firme doit donc nécessairement

prendre en compte ses propres coûts de produc-

tion et la nature des ressources utilisées pour déli-

vrer les services afin de pouvoir répondre de ma-

nière différenciée à chacun de ses clients et maxi-

miser la valeur ajoutée pour chacun d’entre eux.

Pour certains d’entre eux, maximiser la valeur

ajoutée peut signifier réduire la qualité de service ;

il ne faut pas que cela soit choquant pour les

firmes.

La crédibilité de la firme

La plupart des firmes aspirent à proposer des

prestations à forte valeur ajoutée. Par voie de con-

séquence, en augmentant la concurrence sur ce

segment de marché, elles le banalisent et rendent

les clients plus sensibles au prix.

Et pourtant, il existe un fossé gigantesque entre les

aspirations de ces firmes et la réalité du marché,

fossé théorisé par le consultant William C. COBB4.

Le choix du positionnement de la firme sur son

marché doit être conduit par l’appréciation de sa

crédibilité dans quatre (4) domaines :

sa réputation (celle de son personnel, de son

portefeuille-clients, de ses prestations, etc.) ; le

positionnement de la firme dépendra notam-

ment de son historique car une réputation ne

s’achète pas, elle se construit de manière volon-

taire ;

sa structure de coûts : le luxe affiché, et par

conséquent le niveau de coûts fixes apparents,

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modifieront bien évidemment la perception des

clients à proposer des services à bas prix. A

l’inverse, une firme hébergée dans des locaux

bas de gamme sera perçue comme moins cré-

dible pour proposer des prestations à forte va-

leur-ajoutée même si cette dernière proposi-

tion repose sur aucun raisonnement logique.

sa situation géographique : le choix géogra-

phique de l’implantation des firmes, en particu-

lier dans le domaine des services profession-

nels dont relèvent les avocats, ne doit bien évi-

demment rien au hasard ; l’emplacement choisi

dictera les marchés que la firme pourra ou ne

pourra pas (légitimement) adresser ;

sa taille : l’importance de la firme, que ce soit le

nombre de ses implantations ou le nombre de

ses employés, crédibilisera ou, au contraire,

desservira la firme dans sa capacité à pouvoir

assumer des affaires importantes ou des dos-

siers volumineux ou, contraire, à de montrer

agile et dynamique.

Ce qui faisait, jusqu’à encore récemment, la force

des grands cabinets d’affaires, anglo-saxons en

particulier, constituent aujourd’hui leur point

faible et le marqueur probant du fossé qui les sé-

parent désormais de leurs clients. Beaucoup de

choses ont changé au cours des dix dernières an-

nées et ce que les clients étaient encore prêts à

tolérer il y a encore quelques années n’est au-

jourd’hui plus accepté, d’autant moins que le mar-

ché des services juridiques s’est largement étendu,

mondialisé mais aussi et surtout banalisé, contrai-

rement à la croyance des avocats.

Pour faire un parallèle, la réputation, la structure

de coûts, l’emplacement et la taille de la firme cor-

respondent en réalité, si l’on substituait un produit

au service proposé par les firmes, à la marque, le

packaging, le réseau de distribution et la présence

internationale du produit proposé par la firme.

En d’autres termes, la grande majorité des acteurs

du petit monde des cabinets d’avocats d’affaires

parisiens sont structurés comme s’ils étaient des

Apple ou Nespresso alors même qu’il a été démon-

tré à plusieurs reprises que la part de marché de

ces mêmes acteurs ne dépassait que rarement plus

de 40% du marché et que plus le nombre d’acteurs

présents sur ce créneau augmentait, plus le mar-

ché des prestations à haute valeur ajoutée se ré-

duisait, car banalisée.

Un dernier exemple suffira à démontrer, s’il était

encore besoin, le fossé existant entre certaines

firmes et leurs clients. Que penser de la structure

de coûts de certains cabinets parisiens qui dépen-

sent plus de 10 millions d’euros par an en loyer

alors que parallèlement toutes les grandes entre-

prises ont fui Paris au profit de la proche banlieue

et, depuis quelques années maintenant, fuient la

proche banlieue pour la grande banlieue comme

Saint-Denis, Massy ou encore Saint-Quentin en

Yvelines afin de réduire plus encore leurs coûts de

structure inutiles. Les prestations délivrées dans

des locaux parisiens à dix millions d’Euros seront-

elles nécessairement meilleures ou à plus forte

valeur ajoutée que celles délivrées depuis Saint-

Denis ? Je vous laisse le soin de répondre mais il

apparaît que les avocats sont à l’origine au-

jourd’hui de nombre de leurs propres contraintes.

Ce paradoxe est d’autant plus notable pour les

analystes économiques du droit que nous sommes

que - compte tenu de la nature même des services

proposés - le montant du loyer pays encapsule en

lui-même nécessairement les moyens de produc-

tion de la firme (les hommes) et constitue donc le

reflet des coûts de production.

Certains acteurs innovants de l’industrie des ser-

vices juridiques, comme l’américain Axiom Law,

tentent actuellement de casser ce modèle et pro-

posent des prestations à forte valeur ajoutée avec

une structure de coûts significativement plus basse

que ses concurrents. Cela fonctionne parfaite-

ment et leur seule problématique aujourd’hui est

de gérer leur croissance.

Le choix du positionnement de chaque firme sur le

marché imposera ses propres exigences, con-

traintes et opportunités en matière de structure,

de locaux, de personnel, d’emplacement, de mon-

tant des honoraires, etc. C’est pourquoi il est ex-

trêmement difficile de positionner la firme de ma-

nière précise sur l'échelle de valeurs : cela néces-

site un travail de positionnement permanent. Plus

la valeur perçue du service proposé se réduit, plus

un travail d’adaptation sera nécessaire pour

rendre compatible la structure de coûts du service

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avec la valeur ajoutée perçue (moins de temps

collaborateur, moins de temps associé, plus de

technologies, plus d'industrialisation, etc.). Une

telle adaptation est d’autant plus nécessaire et

cruciale que la très grande majorité du travail dis-

ponible est considéré comme de la commodity,

c’est-à-dire un service nécessaire, voire banalisé,

mais non différenciant hormis par les prix raison

pour laquelle il est important de pouvoir identifier

de réelles propositions de valeur.

La proposition de valeur

Une proposition de valeur est l’aspiration de la

firme elle-même à procurer de manière effective

un avantage à son client, mais pas seulement5. Une

vraie proposition de valeur doit également pouvoir

procurer de la valeur directe au client et de ma-

nière indirecte au client de son client.

En toutes hypothèses, l’avantage concurrentiel est

vain à moins qu’il ne créé de la valeur à la fois pour

le client et pour la firme. La valeur apportée naît de

la combinaison de plusieurs facteurs : la nature et

la qualité des services fournis (ou non), son rôle

exact attendu (spécialiste, expert, volume, etc.), la

manière dont le service est fourni au client (en

face-à-face, à distance, etc.) et le mode de factura-

tion.

C’est ainsi qu’il est primordial de ne jamais perdre

de vue que la valeur délivrée au client n’est pas

créée par les efforts déployés par la firme pour

délivrer ses services mais par les avantages directs

et significatifs que le client retirera de ses relations

avec la firme. En d’autres termes, la proposition de

valeur qui devra être effectivement délivrée au

client n’a aucun rapport direct avec les efforts

déployés (donc le temps passé) pour rendre ce

service.

Si aucune proposition de valeur ne peut être effec-

tivement identifiée, formulée et soutenue, alors la

firme est nécessairement conduite à la seule con-

currence sur les prix parce que celui-ci sera alors

le seul facteur différenciant susceptible d’être utili-

sé par le client pour comparer et choisir....

D’expérience, la majeure partie des firmes aujour-

d'hui disposent de l’expertise nécessaire pour

créer cette valeur au bénéfice de leurs clients mais

sont incapables de la leur délivrer, et par consé-

quent, de la capturer correctement.

Le chiffre d’affaires est l’échelle de mesure clas-

sique grâce auquel la firme peut savoir si de la

valeur a été créée ou non et ce, sur la base du pos-

tulat que si aucune valeur ajoutée n’était perçue

par le client, la firme ne réaliserait alors aucun

chiffre d’affaires.

La réalité est toute autre : le principal moteur du

chiffre d’affaires est la capacité de la firme à créer

et délivrer de manière effective des « propositions

de valeur ». Les travaux des professeurs Mayson6

et Maister7 ont abouti à identifier neuf (9) proposi-

tions de valeur génériques applicables aux cabi-

nets d’avocats. L’accouchement – c’est-à-dire la

délivrance effective - de toute proposition de va-

leur est l’élément central et crucial dépendant de la

capacité de la firme à acquérir, développer et, plus

largement, accéder aux ressources nécessaires à

son activité, quel que soit le mode d’accès à ces

ressources.

Le fondement de la création de valeur réside dans

la compréhension par la firme que celle-ci peut

être délivrée à plusieurs niveaux : plus la création

de valeur et sa délivrance effective dépendent d’un

comportement collectif et de ressources distinctes

au sein de la firme, plus l’environnement sera fa-

vorable à la création de valeur et à sa capture

comparativement à une création de valeur dépen-

dant d’un seul individu (de type rainmaker). Dans

ce dernier cas, le phénomène de capture de valeur

sera alors hypothéqué, pour les raisons explicitées

ultérieurement.

Le défi des firmes consiste donc à proposer une

multitude de propositions de valeurs à leurs

clients et cela complexifie naturellement inévita-

blement les affaires et donc le modèle développé.

Il convient donc, avant toute chose, de se ques-

tionner sur le fait de savoir si un ou plusieurs busi-

ness models doivent construits et exploités.

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Classiquement, les firmes telles que les cabinets

d’avocats sont intimement convaincues que la

création de valeur réside dans le faire-valoir de

leur expertise, l’utilisation d’avocats qualifiés et

expérimentés facturant le temps passé et la capaci-

té de leurs clients à payer les honoraires ainsi dé-

comptés. C’est bien évidemment une erreur…

La valeur peut être créée de différentes manières

et à différents niveaux, y compris même dans les

cas où l’expertise ne frôle pas l’excellence, voire

même, dans les cas où l’expertise ne constitue pas

le bénéfice majeur attendu par le client. Ce phé-

nomène sera sans nul amené à s’accentuer encore

sous l’influence de la génération Y pour laquelle

tout ou partie de certains services seront perçus

par les clients comme ayant peu ou pas de valeur

ajoutée et devront être nécessairement fournis à

titre gracieux.

LA FONCTION RESSOURCES

Les facteurs différenciateurs, tels que la valeur

ajoutée ou l’avantage concurrentiel, ne peuvent

évidemment pas reposer sur rien. Le rôle du busi-

ness model est donc de définir les ressources et les

compétences nécessaires pour sécuriser le posi-

tionnement de la firme sur le marché mais aussi

dans la chaîne de création de valeur.

Cela comprend bien évidement les ressources

humaines pas seulement ; les ressources finan-

cières, techniques ou technologiques, les partena-

riats, l’organisation ou encore les process doivent

être envisagés. Toutes ces ressources ne pourront

évidemment pas être toutes internalisées et le rôle

primordial du management de la firme sera alors

de définir celles qui devront être internalisées de

celles auxquelles la firme pourra accéder de ma-

nière ad hoc ou par le biais de sous-traitance ou de

partenariats.

De manière synthétique, les ressources de la firme

correspondent à la délicate alchimie des res-

sources financières, physiques, humaines, sociales

et organisationnelles nécessaires à l’exercice de

l’activité de la firme.

Sur les cinq types ressources citées, seules trois

peuvent légitimement appartenir à la firme en tant

que telle, les autres étant seulement mises à dispo-

sition de celle-ci : les ressources financières, phy-

siques et organisationnelles. Ce sont bien ces

mêmes ressources qui devront permettre à la

firme de maximiser la capture de la valeur ajoutée

et ainsi de générer des retours pour elle-même.

Or, bien évidemment, aucune firme ne peut exister

sans ressources humaines : le capital humain

(compétences, expériences et savoirs) est

l’élément nécessaire et consubstantiel à la création

de valeur mais la question, dans le cadre de

l’analyse du business model, est de savoir dans

quelle mesure le capital humain est attaché à la

firme ou indépendant de celle-ci. En d’autres

termes, comment le capital humain contribue-t-il à

la proposition de création de valeur de la firme ?

Quelle valeur est créée sur la base de propositions

exigeant un comportement collectif, la forme la

plus attachée et plus dépendante de la firme.

Le capital humain étant par nature indissociable de

son détenteur, l’incorporation du capital humain

dans la firme a deux conséquences : l’impossibilité

de se l’approprier et sa limitation. Parce qu’il est

nécessairement personnel, le capital humain im-

plique l’individu tout entier dans une démarche

d’investissement constante (l’individu s’enrichit en

permanence de nouveaux savoirs et expériences).

D’autre part, le capital humain est limité à

l’individu qui l’incorpore : il dépend de ses capaci-

tés physiques et mentales, de son cycle vital. La

gestion des ressources humaines, le talent mana-

gement et, plus largement, toute politique qui ten-

drait à favoriser la fidélité et le développement du

capital humain sont donc des outils essentiels.

Complément naturel des ressources humaines, le

capital de ressources sociales couvre, quant à lui, le

réseau de relations, de valeurs, de croyances,

normes et obligations réciproques portées par le

capital humain. A cet égard, les professionnels du

droit ont une croyance forte à penser que les

clients et prescripteurs « leur appartiennent », en

particulier lors des périodes à risque (négociations

salariales, menaces de quitter le cabinet, etc.).

C’est une erreur fondamentale…

Les relations sont par définition à double-sens.

Assurément, celles-ci sont nouées au-travers des

membres de la firme et ces derniers sont libres de

choisir s’ils souhaitent ou non les mobiliser dans

l’intérêt de cette dernière. D’un autre côté, ces

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mêmes relations n’appartiennent pas plus aux

individus qu’à la firme, puisqu’elles sont à double

sens. Il existe donc un risque fort quant à la viabili-

té des business model qui reposeraient pour une

grande part sur ces ressources sociales, ce réseau

de relations, dans la mesure où la firme ne peut

s’assurer que les ressources sociales appropriées

seront mises à la disposition de la firme mais éga-

lement utilisées dans son intérêt et non dans

l’intérêt des individualités.

Afin d’être en mesure de délivrer de manière effec-

tive et donc d’être en position de capturer une

partie de valeur créée, les firmes doivent trouver

et mettre en place la bonne alchimie entre les dif-

férentes ressources, afin de s’assurer que celle-ci a

accès à toutes les ressources auxquelles elle se doit

d’accéder pour l’exercice de son activité, soit en

internalisant, soit en concluant les accords perti-

nents (sous-traitance, partenariats, joint-ventures,

ad hoc, etc.).

En principe, toutes les ressources nécessaires à

l’exercice de l’activité définie par le positionne-

ment de la firme doivent pouvoir être accessibles.

Bien évidemment, toutes les ressources considé-

rées comme stratégiques tant pour la firme que

pour la pérennité de son business model doivent

être internalisées dans la mesure du possible afin

de maximiser la capture de la valeur ajoutée créée.

La sous-traitance est en principe la forme habi-

tuelle de fourniture dans la chaîne de valeur jus-

qu’au client final, sous réserve que le fournisseur

créé et capture pour lui-même une part de la va-

leur ajoutée du cycle, faute de quoi celui-ci sera

naturellement amenée à disparaître. L’analyse des

coûts de transaction suggère qu’une telle approche

puisse être retenue dès lors que le ratio coûts/

bénéfices d’un contrat spot avec un sous-traitant

est supérieur aux coûts d’une internalisation.

Les ressources humaines des firmes – élément

consubstantiel à création de valeur des cabinets

d’avocats - sont aujourd’hui au cœur de toutes les

tensions. Historiquement, les ressources humaines

étaient synonymes d’emploi à temps plein

d’avocats expérimentés et d’internalisation du plus

grand nombre de ressources aboutissant à des

cabinets de plus en plus grands, de plus en plus

gros, embarquant en leur sein toutes les compé-

tences possibles, cabinets que les travaux de re-

cherche en la matière dénomment le « Big Law »8 et 9. En parallèle, la majorité des chercheurs prédi-

sent la fin ces mêmes cabinets, trop gros pour sur-

vivre et s’adapter aux profondes modifications du

marché des services juridiques. La pression gran-

dissante sur ces firmes, en particulier les firmes de

type « big law », poussent celles-ci à repenser leur

modèle pyramidal et commencent à s’ouvrir vers

l’outsourcing, l’off-shoring ou encore à des alterna-

tives salariales jusque là inenvisageables (temps

partiel, travail à distance, temps partagé, etc.).

L’augmentation des recrutements latéraux est à la

fois la preuve du besoin de « juste-à-temps » dont

font désormais preuve les cabinets mais sont aussi

le reflet des travers ayant hypothéqué le modèle

des « big law », à savoir une croissance volontai-

rement supérieure à la croissance organique de

leur capital humain et organisationnel, synonyme

d’une parte de valeurs communes et de l’abandon

d’un comportement collectif.

Par ailleurs, la pression des clients sur les hono-

raires aboutira également nécessairement à faire

redescendre le niveau d’intervention de chaque

maillon de la chaîne au niveau inférieur : une part

du travail réalisé par l’associé sera désormais as-

surée par un collaborateur senior, celle du senior

par un collaborateur junior, celle du collaborateur

junior par un paralegal et celle du paralegal par

des outils informatiques. Cette pression, qui ne

cessera de s’accroître au fur à mesure que le mar-

ché grandira, s’accentuera sur les firmes qui ne

sauront pas introduire dans leur capital organisa-

tionnel plus de process, de marketing, de modes de

facturation alternatifs, de gestion de projet et, plus

largement, plus d’efficience et d’efficacité.

LE FACTEUR INVESTISSEMENT

Le facteur investissement reflète les ambitions des

associés pour la firme : son marché, sa taille, sa

capacité à financer son développement et sa crois-

sance. Les aspirations de la firme quant à son posi-

tionnement, sa croissance et sa rentabilité sont

directement influencées par les associés, eux-

mêmes influencés par leurs propres expériences.

Les aspirations de la collectivité de la firme, par le

biais des associés notamment, sont difficiles à syn-

thétiser et peuvent être très diverses, de modestes

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à extrêmement ambitieuses. En partie conduit par

le facteur investissement, chaque business model

contiendra alors en son sein un objectif

d’investissement unique. Cette unicité est néan-

moins influencée par quatre éléments récurrents :

l’appétence au risque : l’appétence au risque,

ou au contraire l’aversion au risque, influera di-

rectement le positionnement (market leader ou

market follower) ;

l’horizon de temps : court, moyen ou long

terme ;

les retours sur investissement attendus : ils

peuvent être très divers et se concentrer sur un

ou plusieurs éléments du type : chiffre

d’affaires (part de marché), bénéfice (rentabili-

té), capital (croissance ou sortie) ou encore res-

sources (acquisition et développement) ;

la capacité de financement : les capacités de

financement sont rarement infinies et les aspi-

rations des associés peuvent quelques fois ex-

céder les capacités de financement, obligeant

ainsi à une révision du business model.

La combinaison de ces quatre (4) facteurs abouti-

ra, selon les choix des associés, à un objectif

d’investissement, étant précisé que le résultat

combinatoire de ces quatre catégories de retours

sur investissement possibles (chiffre d’affaires,

bénéfice, capital et ressources) engendra quinze

(15) combinaisons possibles. Parmi celles-ci, trois

(3) objectifs d’investissement (début d’activité,

part de marché et nouveau marché) ne produiront

aucun retour en bénéfice ou en capital.

Il semble donc probable que, dans ces derniers cas,

des investisseurs avisés considéreraient alors ces

objectifs d’investissements comme des investisse-

ments à court-terme ; cette analyse sera certaine-

ment celle d’investisseurs professionnels, cepen-

dant l’histoire démontre que les cabinets d'avocats

ont souvent la fâcheuse tendance, pour des raisons

d’ego en particulier, à réitérer des investissements

court-terme douteux, initialement conçus pour

pénétrer de nouveaux marchés ou acquérir de

nouvelles parts de marché mais généralement sans

aucun retour sur investissement. Un business mo-

del qui ne générerait aucun retour sur investisse-

ment ou bénéfice devrait bien évidemment être

modifié en profondeur au profit d’un business mo-

del plus rentable. Dit autrement, la plupart des

objectifs d’investissement, en particulier les objec-

tifs à court-terme, devraient toujours être considé-

rés comme des objectifs transitoires : si les objec-

tifs sont atteints, de nouveaux objectifs devraient

alors définis ; si les objectifs ne sont pas atteints,

l’hémorragie devrait alors être immédiatement

stoppée, décision que les cabinets d’avocats ont

généralement du mal à prendre. La modernisation

de la pratique et l’évolution des structures

d’exercice professionnel ont permis l’émergence

de nouvelles opportunités d’investissements qui

n’existaient pas autrefois.

En tout état de cause, la capacité de la firme à pro-

duire et à capturer une part de la valeur créée

dépendra de la position de la firme dans la chaîne

de création de valeur et de son pouvoir de négocia-

tion vis-à-vis des autres acteurs dans cette même

chaîne.

LE FACTEUR RETOUR

Générer un retour, par la capture d’une partie de la

valeur ajoutée créée, présuppose un grand nombre

de pré-requis indispensables.

Tout d’abord, il convient de s’assurer que la valeur

a effectivement créée au bénéfice des clients qui

sont prêts à rémunérer ladite valeur. Deuxième-

ment, la firme doit être capable de capturer la va-

leur pour elle-même, par préférence aux autres

demandeurs (fournisseurs ou membres de la

firme). Troisièmement, la firme doit savoir gérer

ses ressources ainsi que les coûts associés de la

manière la plus optimale possible.

Même si la firme est en position de capturer une

partie de la valeur, elle peut néanmoins échouer à

générer un retour pour elle-même en raison de son

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inaptitude ou son incapacité à engendrer une ren-

tabilité de la valeur. Le facteur retour du business

model pose en réalité la question : comment la

firme réalise-t-elle sa marge ou son bénéfice ?

La capture de valeur

Si la stratégie définit la manière dont la firme en-

tend créer un avantage compétitif, le business mo-

del définit quant à lui comment cet avantage com-

pétitif doit être délivré. Dit autrement, comment et

quelle valeur sera créée à l’avantage du client et

capturée par la firme en retour. Il est possible,

dans une chaîne de valeur, que la firme créée de la

valeur mais ne soit pas capable d’en capturer suffi-

samment pour elle-même.

Face à cette problématique, deux points doivent

être pris en compte : (i) la position de la firme dans

le processus de création de valeur et ; (ii) le pou-

voir de négociation de la firme face aux autres

acteurs de la chaîne de création de valeur.

Le concept de chaîne de valeur a été élaboré par

Michael Porter10. La capacité à créer et capturer de

la valeur est un élément crucial pour chaque parti-

cipant de la chaîne de valeur car la position rela-

tive dans la chaîne détermine la capacité de chacun

à créer et capturer de la valeur. Si la firme vend

directement à ses clients, travaille via des prescrip-

teurs ou sur la base d’appel d’offres, sa capacité à

créer et capturer de la valeur sera substantielle-

ment différente.

La problématique sous-jacente est la question de la

création et de la capture de la valeur au sein même

de la chaîne de valeur, considérée dans son en-

semble. Du point de vue des participants de la

chaîne, la capacité à capturer de la valeur sera

différemment appréciée par les autres.

Cependant dans le temps, la chaîne de valeur clas-

sique s’est considérablement complexifiée en rai-

son notamment de l’émergence d’intermédiaires,

lesquels peuvent notamment agir comme origina-

teurs ou prescripteurs (les cabinets comptables,

les assurances, les banques, etc.) mais pas seule-

ment (les juristes internes, les départements

achats, etc.) et, à ce titre, capturer une partie de la

valeur du cycle de valeur initial.

De plus, aucune chaîne de valeur n’est statique et

toutes évoluent dans un écosystème au sein duquel

les concurrents sont présents. Plus la chaîne de

valeur est longue ou complexe, plus les coûts

d’entrée dans la chaîne seront élevés et il arrive

nécessairement un moment où le point d’équilibre

est dépassé, c’est-à-dire un moment où les coûts

totaux de chaque acteur de la chaîne sont supé-

rieurs à ce que le marché peut supporter.

La capacité de la firme à capturer de valeur sera

donc en partie déterminée par la manière dont les

autres participants sont placés dans la chaîne de

valeur et leur comportement de prédation de toute

ou partie de la valeur. Plus le nombre de partici-

pants à la chaîne de valeur est important, moins la

valeur capturée sera importante pour chacun

d’entre eux et, dans ce cas, leur pouvoir de négo-

ciation, voire de nuisance, sera entièrement dévolu

à sécuriser la capture de leur part, voire plus, de

valeur.

Les avocats gagneraient beaucoup à comprendre

que les juristes d’entreprise sont leur premier allié

dans la place et non l’ennemi qu’il faut abattre et

remplacer… A cet égard, le rapport Darrois se

trompe totalement de sens…

Le pouvoir de négociation

Le fait qu’une firme occupe une position privilé-

giée dans la chaîne de valeur ne signifie pas néces-

sairement que la capacité de la firme à capturer de

la valeur soit prédéterminée.

Cela dépendra en partie du pouvoir de négociation

de la firme. Souvent, le pouvoir de négociation

(disons plutôt de nuisance) est inversement pro-

portionnel à la valeur ajoutée effectivement créée

(exemple des intermédiaires prescripteurs). La

firme doit donc intégrer son positionnement relatif

dans la chaîne de valeur lorsqu’elle établit son

business model.

Les clients également ont leur propre pouvoir de

négociation qu’il convient de ne pas négliger,

d’autant que de lourdes tendances sont actuelle-

ment en train de modifier en profondeur le busi-

ness model des cabinets d’avocats.

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Tout d’abord, le nombre croissant de directions

juridiques combiné à la prégnance de la rationali-

sation des achats des prestations intellectuelles

proposées par les avocats conduisent à renforcer

le pouvoir de négociation des clients sur les avo-

cats.

Les firmes doivent faire face à modifications pro-

fondes des attentes de leurs clients, en particulier

celles des générations les plus jeunes (principale-

ment la génération Y) ; ces derniers sont beaucoup

plus habitués aux technologies et aux réseaux so-

ciaux mais pas seulement. La valeur même de cer-

tains services – ou partie de ceux-ci – a été profon-

dément bouleversée, au point qu’ils ne puissent

plus aujourd’hui être facturés. L’avenir de la pro-

fession juridique passe notamment par la détermi-

nation des éléments qui devraient aujourd’hui être

offerts ou qui au contraire peuvent être facturés.

Les enjeux sous-jacents à la création et à la capture

de la valeur ne doivent pas être sous-estimés à

l’aune de la restructuration du paysage juridique

du 21ème siècle.

La problématique de la construction ou décons-

truction de la chaîne de valeur n’est pas seulement

une problématique exogène. Aborder cette pro-

blématique au sein des firmes proposant des ser-

vices professionnels (avocats, expertise-

comptables, commissaires aux comptes, etc.) con-

siste également à s’intéresser à la chaîne de valeur

interne de la firme.

En effet, les associés et collaborateurs de la firme

sont également considérés comme des fournis-

seurs au sein de la chaîne de valeur. Dans le sys-

tème de valeurs proposé par Michael Porter, les

membres de la firme forment un sous-ensemble de

la chaîne de valeur intrinsèque de la firme et, à ce

titre, sont capables de capturer une part impor-

tante de la valeur créée pour eux-mêmes aux dé-

pends de la firme, notamment en exigeant des

avantages personnels disproportionnés (en parti-

culier rémunération) réduisant d’autant le retour

disponible pour les autres acteurs de la chaîne

(associés, firme elle-même, etc.).

La problématique de la rémunération des

membres de la firme doit donc nécessairement

abordée : il existe une confusion forte et volontaire

entre la rémunération et la répartition du bénéfice.

Cette confusion emporte nécessairement une con-

fusion dans les éléments du business model. Une

part significative de la valeur ajoutée pourrait être

capturée par le mode de rémunération des asso-

ciés au détriment de la récompense des autres

membres de la firme, ce qui créera une distorsion

dans le business model et donc hypothèquera sa

viabilité, entraînant le départ des collaborateurs.

La capacité à capturer la valeur en interne, et donc

le potentiel de spoliation du retour de la valeur

ajoutée vers la firme, dépend des facteurs sui-

vants :

la détermination de la partie prenante qui doit

être récompensée (finance, salarié, entrepre-

neur, associé, etc.) ;

le pouvoir de négociation entre les parties

prenantes potentielles ;

le degré de dépendance des individus par

rapport à la firme et vice-versa ;

l’identification des membres de la firme à la

firme elle-même ;

la crédibilité de toute menace d’un membre de

la firme à quitter la firme.

Les trois derniers facteurs évoqués poussent ainsi

sortir du cercle des associés pour adopter un com-

portement plus collectif, à disposer d’une vision

non pas axée sur les individualités mais autour de

la firme. Plus un individu est prégnant au sein de la

firme (comme un rainmaker par exemple), plus sa

capacité à capturer pour lui-même de la valeur au

détriment de la firme sera forte et moins la firme

sera en mesure de capturer de valeur pour elle-

même. Toute firme acceptant des individualités

fortes au détriment de la collectivité, de la firme,

génère elle-même sa propre dépendance et entre-

tient le cercle infernal dont il lui sera impossible de

sortir.

Si le retour attendu de l’activité exercée grâce à

l’utilisation des ressources est la création et la

délivrance de la valeur au client, la firme devrait

alors moins dépendre des individus que de la firme

elle-même (c’est-à-dire la collectivité de la firme)

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pour la productivité. Plus la création de valeur

reposera sur un comportement collectif, plus la

firme sera à même de capturer pour elle-même

une part importante de valeur créée. A l’inverser,

plus la création de valeur reposera des individuali-

tés, moins la firme sera à même de capturer la

valeur créée et plus les retours seront minorés.

Dans ce dernier cas, le business model ne pourra

pas durablement être soutenu sauf à ce que la pro-

priété de la firme reste dans les mains de ceux

dont dépendent la proposition de valeur (ce qui a

été le cas durant de nombreuses années).

Pour résumer, plus la valeur ajoutée créée dépen-

dra d’un comportement collectif, et non

d’individualités, plus la valeur ajoutée créée sera

importante et plus la probabilité de capturer une

partie de celle-ci au profit de la firme (et non au

profit de certaines individualités) sera forte. Cela

renvoie notamment au développement du capital

humain et du capital organisationnel mais aussi à

la pertinence de certains recrutements latéraux,

aussi bénéfiques qu’ils peuvent être destructeurs

de valeur.

Bénéfice dégagé

Le facteur retour ne se résume pas à la question de

savoir si une quantité de valeur créée a été captu-

rée mais si suffisamment de valeur ajoutée créée a

été capturée.

La capacité de dégager et de maintenir un niveau

de rentabilité dépendra de nombreux leviers (fac-

turation et modes de facturation alternatifs, mana-

gement de l’utilisation des ressources, utilisation

efficace de tous les moyens d’action, etc.).

Quelques questions simples suffiront à répondre à

ces questions : d’où vient le bénéfice ? Du volume

ou de la marge ? D’un mix des deux ? Quel potentiel

représentent les économies d’échelle ? A quelle

étape de la chaîne de valeur la firme se situe-t-

elle ?

En ces jours tourmentés, la rentabilité de

l’industrie est fortement remise en cause et consti-

tue une problématique qui nécessite d’être gérée

finement plutôt que d’être assumée. Pour ce faire,

les avocats se doivent de comprendre en profon-

deur les différents moteurs de leur rentabilité tout

autant que chaque composante de leur activité, ce

dont ils n’ont pas l’habitude.

Le business model doit donc établir si les retours

sont issus d’une position de marché privilégiée

permettant d’opérer sur des prestations à forte

valeur-ajoutée sur des segments de marché à

haute marge et surprime importante, d’une rente

de situation ou d’un quasi-monopole ou s’ils pro-

viennent d’une efficacité opérationnelle basée sur

le volume, l’utilisation de process et de technolo-

gies par exemple… Seule une analyse en profon-

deur de l’activité permettra de répondre à ces

questions.

Les retours sous leur forme monétaire, la marge ou

le bénéfice, peuvent être réinvestis dans la firme

elle-même pour l’acquisition ou le développement

de nouvelles ressources ou de ressources supplé-

mentaires dans l’espoir de créer et de capturer

plus de valeur ajoutée encore. Le réinvestissement

des bénéfices permet en général un retour sur

investissement plus rapide que dans le cas d’un

investissement en capital.

Les modèles appliqués aujourd’hui dans l’industrie

du droit étaient jusqu’alors essentiellement tour-

nés vers la recherche du bénéfice. D’abord, nombre

de firmes se sont concentrées sur la croissance de

leur chiffre d’affaires sans prêter attention à leur

rentabilité puis, plus récemment, les firmes ont

commencé à prêter attention à la gestion de leur

bénéfice mais uniquement sur la base d’une éléva-

tion de leur taux horaire et du nombre d’heures

facturables.

Conséquence directe, nombre de grandes firmes

sont devenus de plus en plus dépendantes de leurs

collaborateurs seniors, plus que ces derniers ne

sont dépendants de la firme car le taux de crois-

sance recherché par les associés de la firme était

supérieur aux possibilités de croissance organique,

cassant ainsi par le biais du recrutement latéral

tout le modèle d’association qui avait jusque là fait

la forces des firmes. La recherche du profit au

cours des quinze dernières années a entraîné le

modèle économique d’alors dans sa chute.

Cette situation oblige les firmes à rechercher des

modèles alternatifs à la situation actuelle afin,

d’une part, d’essayer de conserver leur modèle de

rentabilité et, d’autre part, conserver leur propre

clientèle devenue de plus en plus exigeante finan-

cièrement au cours de ces dernières ?

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Cette situation met la lumière sur la situation par-

ticulière des associés des firmes et en particulier

de leur mode de rémunération.

La situation actuelle n’est en réalité pas brillante :

les politiques d’association sont inexistantes ou

obscures, ne font généralement aucune distinction

entre la « rémunération normale » et le partage

des bénéfices, pas plus qu’il ne rémunère les vrais

créateurs de valeur au sein la firme ou ne créée du

capital pour financer la croissance.

Enfin, le système de rémunération est générale-

ment plus basé sur les individualités, donc hypo-

théquant ou détruisant de la valeur, plutôt que sur

un comportement collectif, créateur de valeur.

A cet égard, l’introduction de Legal Process Out-

sourcing ou d’Alternative Business Structure est

un élément intéressant, d’abord parce qu’ils ré-

pondent aujourd’hui à de vrais besoins non cou-

verts par les cabinets d’avocats mais surtout parce

qu’ils introduisent dans le monde du droit ces

notions d’investissement et de capital, inexistantes

au sein des firmes.

Il est nécessaire de le dire et de le répéter mais les

avocats ne sont plus une profession d’exception et

doivent, s’ils souhaitent survivre, désormais se

considérer et agir des comme des entreprises…

UNE TYPOLOGIE DU BUSINESS MODEL DES

AVOCATS ?

Les nombre de variables à factoriser dans le cadre

du business model d’une firme suggère qu’un

nombre quasi-infini de modèles peut être valable-

ment défini. Pourquoi donc autant de firmes se

ressemblent-t-elles, sans réel autre facteur diffé-

renciant que la personnalité de leurs associés alors

même que le nombre des possibilités semble infi-

ni ?

Pour être en mesure de définir mais aussi et sur-

tout de valoriser son busines model, chaque firme

doit porter une attention particulière aux points

génériques suivants :

l’analyse stratégique de l’activité doit identi-

fier les forces et les faiblesses de la firme ; pour

cela, la firme doit avoir une bonne compréhen-

sion de la nature de son marché, de ses res-

sources et de ses aspirations économiques ;

une ou plusieurs propositions de valeur doi-

vent pouvoir se dégager de la stratégie de la

firme ; il est important à ce point de connaître

le degré de dépendance des propositions de va-

leur aux individualités de la firme ; la firme doit

alors décider si la proposition de valeur est co-

hérente ou non avec son positionnement sur le

marché et dans la chaîne de valeur ainsi que sa

capacité à en capturer suffisamment pour pou-

voir en dégager un retour ;

le résultat global (dit autrement, le retour de

la création de valeur) doit être généré par une

ou plusieurs positions marché pertinentes mais

aussi par une grande efficience de la firme elle-

même ;

les ressources doivent être mise en phase avec

la stratégie et le business model ; comme indi-

qué précédemment, toutes les ressources ne

doivent pas nécessairement être internalisées

mais toutes doivent être accessibles ; bien évi-

demment, les ressources les plus critiques né-

cessaires aux propositions de valeur devront

être nécessairement internalisées ;

l’analyse financière doit pouvoir compléter

utilement le business model développé par la

firme à l’instar de n’importe quelle société ; la

rentabilité des investissements réalisés doit

être mesurée et tous les outils de financement

classiques doivent être explorés, il ne suffit pas

de regarder en fin d’année le seul bénéfice dé-

gagé mais il convient de déterminer comment

et par quel biais ce bénéfice a été dégagé.

Pour finir, la question du niveau d’analyse du busi-

ness model au sein des cabinets d’avocats est une

question extrêmement pertinente : tout dépendra

de la stratégie adoptée mais il est certain que si le

business model ne peut englober la totalité de

l’activité alors, soit la stratégie doit être revue, soit

plusieurs business models doivent être définis mais

tous doivent, dans leur ensemble, demeurer cohé-

rents.

Michael Porter soulignait à juste titre que

l’avantage concurrentiel ne peut pas être compris

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en regardant l’entreprise comme un tout ; dit au-

trement, la firme elle-même – aussi performante

qu’elle soit - ne peut être considérée en elle-même

comme un avantage concurrentiel.

Les processus de création et de capture de valeur

diffèreront nécessairement en fonction des clients,

des marchés, des secteurs…

Pour cette raison, il est possible d’imaginer la

coexistence de plusieurs business models au sein

d’une même firme correspondant aux unités stra-

tégiques de la firme ; pour autant, il est nécessaire

de réunir ces différents business models straté-

giques sous une stratégie claire, lisible et compré-

hensible par l’ensemble des parties prenantes.

Mais dans un grand nombre de cas, cette stratégie

globale n’existe pas…

CONCLUSION

Face aux difficultés rencontrées par les cabinets

d’avocats et ayant démontré à leurs dépends que

sortir du « judiciaire » pour faire du « juridique »

impose de suivre les mêmes règles que leurs

clients, les avocats doivent repenser de manière

profonde l’ancrage de leur profession dans la so-

ciété et, au-delà, leur modèle économique.

Les avocats sont devenus malgré des entreprises

du droit et doivent apprendre à agir comme telles.

Il est temps que les avocats fassent faire leur révo-

lution, leur révolution copernicienne...

[FIN]

1 L'économie de l’offre impose de produire le maximum (en l’espère de facturer le maxi-

mum) afin de transférer les coûts fixes vers les clients en espérant pouvoir produire et vendre plus que le montant desdits coûts fixes.

2 L’économie de la demande est essentiellement structurée autour de la valeur ajoutée et

du juste-à-temps. 3 Stephen Mayson, Professeur de stratégie et directeur du College of Law of England and

Wales. 4 “ How To Create Real Added Value” de William C. Cobb 5 “ The elusive value added” de William C. Cobb. 6 “Law Firm Strategy: Competitive Advantage and Valuation ” (2007) de Stephen Mayson

(ISBN 978-0199231744).

7 “ Managing the Professional Services Firm ” (1997) de David H. Maister (ISBN 978-0684834313).

8 “ The death of the big law ” de Larry E. Ribstein 9 “ The End of Lawyers?: Rethinking the nature of legal services ” de Richard Susskind (ISBN

978-0199593613) 10 “ Competitive Advantage” de Michael E. Porter (ISBN 978-0684841465)