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25 BULLETIN DE LIAISON DU CTSCCV / VOL. 14 N° 1/2004 INTRODUCTION Le développement de l’industrie agroalimentaire et, en particulier, l’utilisation de matières premiè- res nouvelles ainsi que le besoin de créer de nouveaux produits expliquent l’intérêt accru porté au groupe de bactéries lactiques diverses (Novel, 1993). Après un bref tour d’horizon de la diversité des bactéries lactiques, seront décrites les propriétés spécifiques de celles qui ont une incidence favorable sur la qualité des produits carnés, à savoir sur le plan organoleptique (métabolisme glucidique et composés aroma- tiques, métabolisme des lipides, métabolisme des protéines/protide/arginine) et sur le plan sanitaire (acidification, production de peroxyde d’hydrogène, production de bactériocines). DIVERSITÉ DES BACTÉRIES LACTIQUES PRÉSENTES DANS LES PRODUITS CARNÉS Deux sortes de bactéries lactiques sont à distin- guer : les souches naturellement présentes dans les produits carnés et les souches apportées par les ferments. LES SOUCHES NATURELLEMENT PRÉSENTES DANS LES PRODUITS CARNÉS Les bactéries lactiques peuvent être naturelle- ment isolées d’une diversité de milieux carnés (viandes fraîches ou fermentées telles que les saucissons). Les souches naturellement présen- tes dans les viandes et les produits carnés sont principalement (Montel et al., 1991 et Hugas, 1998) : Les domaines de connaissances sur les bactéries lactiques se sont considérablement dévelop- pés en partie grâce au progrès des techniques analytiques en génétique et en physiologie. La compréhension des mécanismes d’action de ces micro-organismes permet d’améliorer leur sélection et d’optimiser leur maîtrise technologique, et contribue ainsi à la progression de la qua- lité des produits fermentés. Le présent article est consacré à la description des bactéries lactiques en fonction de leur diversité et de leur spécificité. Dans une seconde partie, sera développée l’importance des caractéris- tiques de la matière première et de la technologie utilisée sur l’activité physiologique des bac- téries lactiques. Les bactéries lactiques dans le milieu des viandes et produits carnés 1 ère partie : classification et spécificité LEÏLA MEKHTICHE, CTSCCV ÉTUDES RÉSUMÉ

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BULLETIN DE LIAISON DU CTSCCV / VOL.14 N° 1/2004

INTRODUCTION

Le développement de l’industrie agroalimentaireet, en particulier, l’utilisation de matières premiè-res nouvelles ainsi que le besoin de créer denouveaux produits expliquent l’intérêt accruporté au groupe de bactéries lactiques diverses(Novel, 1993). Après un bref tour d’horizon de ladiversité des bactéries lactiques, seront décritesles propriétés spécifiques de celles qui ont uneincidence favorable sur la qualité des produitscarnés, à savoir sur le plan organoleptique(métabolisme glucidique et composés aroma-tiques, métabolisme des lipides, métabolismedes protéines/protide/arginine) et sur le plansanitaire (acidification, production de peroxyded’hydrogène, production de bactériocines).

DIVERSITÉ DES BACTÉRIESLACTIQUES PRÉSENTES DANS LES PRODUITS CARNÉS

Deux sortes de bactéries lactiques sont à distin-guer : les souches naturellement présentes dansles produits carnés et les souches apportées parles ferments.

LES SOUCHES NATURELLEMENT PRÉSENTESDANS LES PRODUITS CARNÉS

Les bactéries lactiques peuvent être naturelle-ment isolées d’une diversité de milieux carnés(viandes fraîches ou fermentées telles que lessaucissons). Les souches naturellement présen-tes dans les viandes et les produits carnés sontprincipalement (Montel et al., 1991 et Hugas,1998) :

Les domaines de connaissances sur les bactéries lactiques se sont considérablement dévelop-pés en partie grâce au progrès des techniques analytiques en génétique et en physiologie. Lacompréhension des mécanismes d’action de ces micro-organismes permet d’améliorer leursélection et d’optimiser leur maîtrise technologique, et contribue ainsi à la progression de la qua-lité des produits fermentés.Le présent article est consacré à la description des bactéries lactiques en fonction de leur diversitéet de leur spécificité. Dans une seconde partie, sera développée l’importance des caractéris-tiques de la matière première et de la technologie utilisée sur l’activité physiologique des bac-téries lactiques.

Les bactéries lactiques dans le milieu des viandes et produits carnés1ère partie : classification et spécificité

LEÏLA MEKHTICHE, CTSCCV

ÉTUDESR

ÉSU

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• Lactobacillus casei subsp. casei, Lactobacillussakei, Lactobacillus curvatus, Lactobacillusbrevis, Lactobacillus plantarum,

• Carnobacterium piscicola, Carnobacteriumdivergens,

• Leuconostoc mesenteroides subsp. mesente-roides, Leuconostoc gelidum et Leuconostoccarnosum,

• Pediococcus pentosaceus.

Ces espèces sont caractérisées par un largespectre de fermentation.

LES SOUCHES APPORTÉES PAR LES FERMENTS

Les micro-organismes naturellement présentsdans les viandes triées ont suffi pendant long-temps à assurer les fermentations et les matura-tions. Quelquefois, des accidents de fabricationarrivaient malgré tout et rendaient les produitsimpropres à la consommation. Pour optimiser lamaîtrise de leurs produits, les fabricants ont étéamenés à utiliser des ensemencements demicro-organismes choisis et sélectionnés pourcertaines actions spécifiques et bénéfiques pourl’évolution des produits (Dabin et al., 1994). Lesbactéries lactiques produites comme fermentscommerciaux dans les produits à base de viandes sont des cultures pures appartenant aux genres Lactococcus, Streptococcus, Lacto-bacillus, Leuconostoc, Pediococcus ou enmélange avec des microcoques (Staphy-lococcus carnosus, Staphylococcus xylosus…).Les bactéries constituant ces ferments sont desespèces définies et leur activité globale caracté-rise les propriétés du ferment : l’acidification, laprotéolyse, la formation d’arômes, l’obtentiond’une texture,… (Novel, 1993). Les performan-ces effectives des souches starter dans lesconditions réelles du produit relèvent encorebeaucoup de l’empirisme. Ces propriétés sont

évaluées encore très générale-ment sur des milieux modèleset non sur des milieux alimen-taires.

SPÉCIFICITÉ MÉTABOLIQUE DESBACTÉRIES LACTIQUES

Pour expliquer l’adaptation des bactéries lactiquesdans le milieu de la viande et des produits carnés,différents travaux ont étudié leur croissance dansdes environnements qui sont souvent effectués enmilieu modèle. Les principales propriétés fonda-mentales physiologiques des bactéries lactiquesayant une incidence sur la qualité des produits àbase de viande reposent sur les différents métabo-lismes protéique, lipidique et glucidique. Cetteincidence a trait aux qualités organoleptiques etaux aspects sanitaires des produits.

A INCIDENCES SUR LA QUALITÉ ORGANOLEPTIQUE

Les bactéries lactiques participent à l’élabora-tion de la texture, de la couleur et de la flaveur(goût, odeur et arôme) des produits carnés àl’aide de différents métabolismes.

Le métabolisme lipidique

Dans les produits carnés fermentés, l'ensemble desmicro-organismes, dont les bactéries lactiques, ontune action à la fois sur le tissu musculaire et sur letissu adipeux. La protéolyse et la lipolyse des tissussont prépondérantes. Toutefois, durant la matura-tion des saucissons, ces activités sont faibles auxvaleurs de pH de ces produits (Montel et al., 1998).

La lipolyse est importante dès l’étuvage ; elle seproduit pendant la maturation et se traduit par uneaugmentation constante des diglycérides, desmono-glycérides et des acides gras libres. Lesenzymes tissulaires interviennent également dansces dégradations.

Les lactobacilles auraient un rôle mineur dans l’ac-tivité lipolytique contrairement aux microcoquesqui ont des activités lipolytiques importantes.

Des travaux menés par l’équipe de Moléna en1991 ont mis en évidence un très net effet lipoly-tique des staphylocoques “utiles” et des bactérieslactiques sur des milieux modèles. Dans la mêmeannée, les mêmes auteurs ont montré qu'avec lepH des viandes et la composition du tissu adipeuxen acides gras à longues chaînes, l’activité lipoly-tique des bactéries lactiques semblait négligeable

* Ces éléments seront plusspécifiquement développésdans la deuxième partie.(de cette étude)

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dans les produits carnés. De même, la dégrada-tion des lipides par les lactobacilles est faible dansles produits carnés fermentés (Desmazeaud, 1996).

Le métabolisme protéique

En plus de l’activité lipolytique, on recherche aussiune certaine protéolyse, les peptides et les acidesaminés étant des précurseurs d’arômes dans cesproduits (Desmazeaud, 1996). La dégradation desprotéines en oligopeptides serait essentiellementdue aux enzymes tissulaires, les enzymes micro-biennes n’interviendraient que très faiblement.Toutefois, le potentiel enzymatique des bactériesconstitue un avantage notable pour le développe-ment rapide des caractéristiques de la flaveur etpeut occasionner une plus grande diversification(Montel et al., 1998). Durant la maturation des pro-duits carnés fermentés, les teneurs en composésazotés solubles (peptides, acides aminés) aug-mentent progressivement sous l'action d'enzymesendogènes combinées ou non à celle d'enzymesexogènes. Ces dernières peuvent être apportéespar les micro-organismes contaminant naturelle-ment les produits ou par les ferments microbiens(bactéries lactiques, Staphylococcus non patho-gène) volontairement inoculés lors de la prépara-tion des mêlées de départ.

Dans différents genres de bactéries lactiques(Lactobacillus, Leuconostoc, Lactococcus), c’est

une protéase liée aux enveloppes cellulaires qui,grâce aux ions Calcium, réalise la première étapedu processus de dégradation des protéines(Beliard et al., 1991).

Des travaux récents effectués à l’INRA de Theix(2001) ont montré que pour Carnobacterium pisci-cola, à pH = 2,4 et 7,2, les principaux métabolis-mes détectés sont ceux du : 1-méthyle butanal, 1-méthyl butanol et de l’acide alpha-ketoisoca-proique tandis qu’à pH = 6,2, le catabolisme de laleucine est maximum et est caractérisé par uneforte production d’acide 1-methyl butanol. Deplus, le catabolisme de la leucine était plus impor-tant pendant la phase de croissance (Larrouture-Thiveyrat et al., 2001).

D’un point de vue technologique et dans le cas dusaucisson, l’activité protéolytique des bactérieslactiques est faible malgré l’aspect qualitatif domi-nant de celle-ci dans le produit. Néanmoins, l’activitédes bactéries lactiques interviendrait indirectementdans la protéolyse par un abaissement du pH quientraîne une diminution de la solubilité des protéineset augmente l'activité des protéinases acides. De même, les microcoques sont faiblement protéo-lytiques même si certaines souches sont capablesd'hydrolyser la gélatine ou les protéines sarcoplas-miques (Desmazeaud, 1996).

Le métabolisme de l’arginine

Tous les tissus utilisent de l’arginine pour la syn-thèse de leurs protéines et cet acide aminé estprésent dans la plupart des protéines tant anima-les que végétales. Par exemple, l’arginine repré-sente 6,9 g / 16 g d’azote dans le muscle de porcet 6,8 g / 16 g d’azote pour le muscle de veau(Guilhermet, 1996). C’est le deuxième substraténergétique après le glucose qualifié d’”éventuel-lement” indispensable. Il est cependant peu abon-dant dans la viande en l’état. Sa disponibilité pourles bactéries nécessite une hydrolyse préalabledes protéines, une importation des peptides résul-tants, puis une hydrolyse intracellulaire de cesmêmes peptides.

Pour Lactobacillus sakei, Carnobacterium piscicolaet Carnobacterium divergens le métabolisme del’arginine semble conditionné par la concentration

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en glucose. Il s'établit lorsque la concentration estinférieure à 0,02%. Au contraire, l’activité dePediococcus pentosaceus n’est pas soumise à cetype de régulation. Lactobacillus plantarum etLactobacillus curvatus sont, quant à eux, incapa-bles de dégrader l’arginine (Montel et al., 1991).

L’arginine est indispensable à Lactobacillus sakei.Il est capable de la dégrader en produisant del'ammoniac et de l'ATP. Une arginine aminopepti-dase de cette espèce vient d’être caractérisée etcontribue à l’arôme de produits carnés fermentés.L’activité de cette arginine aminopeptidase estoptimale à pH = 2,0 et à + 17°C. Cette enzyme estinhibée par quelques cations divalents (Cu2+, Hg2+,Zn2+) mais est activée par des agents réducteurs,des agents chélateurs et par du chlorure desodium (Hamazaki et al., 2003).

Le métabolisme glucidique et la production

des composés aromatiques (esters)

Les bactéries lactiques transforment les glucidesessentiellement en acides qui peuvent être méta-bolisés en d’autres composés (cétones,alcools,…).

Toutes les souches de Staphylococcus synthéti-sent les esters d'éthyle. Ces derniers sont présentsdans les produits fermentés et leur caractéristiquearomatique contribue à la note fruitée des produits(Montel et al., 1998). Ils ont été détectés dans lejambon cru maturé pendant une longue périodeavec une teneur faible en flore bactérienne. Leurorigine dans ce cas pourrait être chimique (Stahne,1999). Le germe Staphylococcus warneri était leproducteur le plus élevé par opposition auStaphylococcus carnosus dans le cas de milieumodèle mais ce résultat ne correspond pas à ceuxobtenus sur produits (Stahne, 1999).

En 2002, l’INRA de Theix a mis en évidence uneenzyme de la glycolyse, la phosphofructokinase,concernant la souche Lactobacillus sakei grâce àune approche protéomique. Cette enzyme estsynthétisée à faible teneur à 4°C et en présence deNaCl.

B INCIDENCES SANITAIRES

Le métabolisme des bactéries lactiques conduit àla formation de métabolites ayant un effet assainis-sant sur les produits.

L’acidification

Le métabolisme des sucres conduit, notamment, àla production de l’acide lactique résultant en unabaissement du pH du milieu. Cet effet est recher-ché dans la fabrication des produits alimentaires.Ce processus est également propice aux bactérieselles-mêmes et leur fournit de l’énergie(Desmazeaud, 1996). L’acidification qui résulte dela fermentation des glucides de la viande est peuimportante du fait de la faible teneur en glucidesde celle-ci (0,8 à 1,2 g/kg de viande). C’est pour-quoi, l’acidification est très dépendante de l’ajoutde sucres lors de la fabrication des produits carnésfermentés.

Les bactéries homofermentaires convertissent leglucose en excès, en acide lactique à plus de90%, alors que les bactéries lactiques hétérofer-mentaires peuvent produire des quantités notablesd’acides organiques (acide acétique notamment)autre que l’acide lactique.

L’action acidifiante est variable en cinétique et enintensité d’une souche à l’autre mais dépend aussides conditions de milieu : nature et dose des suc-res apportés, température d’étuvage, aw initiale,présence de composés activateurs ou inhibi-teurs… (Montel et al., 1998 et Durand, 1999).

La formation de peroxyde d’hydrogène

L’action inhibitrice liée à la production de per-oxyde d’hydrogène H2O2 par les bactéries lac-tiques a été établie par Wheater en 1922. Leslactobacilles produisent des peroxydes et del’eau oxygénée H2O2 qui s’accumulent dans lemilieu malgré la présence de catalases tissulai-res et microbiennes. Ces composés ont uneaction antimicrobienne notamment contreStaphylococcus aureus et Pseudomonas.

Parmi les bactéries lactiques isolées de laviande, un très grand nombre est susceptible delibérer du peroxyde d’hydrogène en aérobiose dansdes milieux de culture glucosés. Ces composés

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résultent essentiellement du métabolisme aéro-bie des glucides (Aliment Recherche, 1999).

L’accumulation de H2O2 due au déséquilibreentre les moyens de synthèse et de dégradationdans les matières premières serait susceptiblede provoquer des défauts de coloration et éven-tuellement un rancissement. Il n’est donc passouhaitable de la favoriser. Notons que dans laviande où la teneur en glucides est réduite etl’aérobiose rarement utilisée pour le stockage,les conditions sont défavorables à la productionde quantités importantes de H2O2 (AlimentRecherche, 1999).

La production de bactériocines

Ces dix dernières années, de nombreuses étudesont été menées sur les bactériocines de bactérieslactiques en raison de leurs applications potentiel-les en industries alimentaires. Les bactériocinessont des protéines ou complexes protéiques ayantdes effets bactériostatique et/ou bactéricide diri-gées contre les espèces généralement apparen-tées aux bactéries productrices.

De nombreuses espèces de bactéries lactiquesappartenant aux quatre genres Lactococcus,Lactobacillus, Pediococcus et Leuconostoc sontcapables de produire des bactériocines, mais laplupart des molécules produites ont un spectred’action limité à des souches voisines appartenantaux bactéries lactiques (Aliment Recherche, 1999et Desmazeaud, 1996). Par contre, d’autres espè-ces produisent des inhibiteurs ayant un spectred’action potentiellement intéressant incluant desgermes pathogènes contaminants des produitscarnés (Aliment Recherche, 1999).

Les effets des bactériocines sur la sécurité des ali-ments à base de viande sont limités à cause de larésistance des bactéries à Gram négatif, commeEscherichia coli, de leur inactivation dans la viandeet de la possibilité de développer une résistancedes micro-organismes cibles (Evans, 1999). C’estle cas de l’étude de Gänzle et al. (1999) qui a mon-tré qu’une souche d’Escherichia coli était activéepar l’addition de bactériocine. La grande majoritédes études s'attache à mettre en évidence l’activité inhibitrice des bactériocines contre les

contaminants des viandes uniquement dans desmilieux de culture sans passer par la réalisationd'essais d’application dans les produits carnés.

Malgré tout, les potentialités inhibitrices de bacté-riocines sont importantes et les progrès dans laconnaissance des mécanismes d’inhibitiondevraient permettre d’accroître leur utilisation entant qu’agent de conservation. C’est pourquoi l’é-tude de Callewaert et al. (2000) a montré que, pourde la viande frite au pH initial (5,7 – 6,2), la produc-tion de bactériocine par Enterococcus faeciumRZSC2 est limitée aux premières heures de l’étapede développement et s’arrête quand la concentra-tion devient plus dense. Il peut donc avoir un rôlepossible en co-culture pour inhiber rapidement lesbactéries indésirables au départ de la fermentation.

LA NISINE

La nisine produite par Lactobacillus lactis subsp.lactis est reconnue comme conservateur et commeétant sans danger pour l’utilisation dans les ali-ments par le JEFCA (Joint FAO/WHO ExpertCommittee on Food Additive) et les textes législa-tifs nationaux et communautaires des additifs dansles aliments. Son emploi est autorisé dans approxi-mativement vingt pays. Son code est l’E234. Sonlarge spectre d’action la rapproche des antibio-tiques, alors que ses autres caractéristiques répon-dent à la définition des bactériocines (AlimentRecherche, 1999). Elle exerce une activité inhibi-trice contre de nombreuses bactéries Gram positifmais elle est inactive contre les levures, les moisis-sures et les Gram négatif (sauf quelques souchesde Neisseria).

Bien qu’un effet sporicide ait été démontré pour unnombre limité d’espèces majoritairement observé,l’effet serait plutôt sporostatique. Un tel effet estimportant pour la conservation des aliments traitésthermiquement et cela signifie qu’une teneur suffi-sante en nisine doit être maintenue tout au long dela durée de conservation de l’aliment. Il a été égale-ment montré que l’altération à la chaleur, lorsque letraitement est progressif, augmente la sensibilité àla nisine. Sa stabilité dépend de l’intensité du traite-ment thermique, du pH et du type d’aliment.

ÉTUDES

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Dans les produits carnés, les applications concer-nent l'emploi de la nisine pour inhiber Clostridiumbotulinum. Elle exercerait en effet une inhibitionnotable sur la croissance mais cet effet serait plusfaible sur la toxicigénèse (Aliment Recherche, 1999).

Des résultats non probants concernent l’efficacitéde la nisine sur les viandes fermentées salées parrapport aux produits laitiers. Les principales diffi-cultés d'emploi de la nisine concernent sa faiblesolubilité, sa répartition inégale et son manque destabilité. De plus, la quantité devant être utiliséepour obtenir une efficacité intéressante est trop éle-vée pour que ceci soit économiquement rentable.

LA SAKACINE

La sécrétion des différentes sakacines dépendde leur bactérie d'origine. Tichaczek et al.(1994)ont montré que dans les saucisses fermentées :

• Lactobacillus sakeii Lb706 sécrète la sakacine A,

• Lactobacillus sakeii CTC494 sécrète la sakacine K,

et dans le milieu viande :

• Lactobacillus sakeii LTH671 sécrète la sakacine P,

• Lactobacillus sakeii Lb674 sécrète la sakacine674.

Katla et al. (2002) ont mis en évidence la produc-tion de sakacine P par Lactobacillus sakei sur pou-let froid coupé conditionné sous vide.

L’activité de la sakacine vis-à-vis des pathogènesdiffère selon les études. D’après Gänzle (1999), lasurvie d’Escherichia coli LTH 1600 dans desconditions variables montre qu’à un pH de 6,2, lateneur cellulaire reste inchangée au bout de 24heures avec ou sans sakacine P. Par contre,Kröckel (1994) a montré une inhibition significativede Listeria monocytogenes par ajout de sakacines.Paradoxalement, il y a suffisamment de bactério-cine active qui pourrait être extraite de saucissesau delà de 28 jours. De plus, en présence d’unefaible concentration de Lactobacille sakei Lb674,la croissance de Listeria monocytogenes est éle-vée. Toutefois, son inhibition est élevée lorsque lasakacine P est présente dans le produit au départ.Dans ce cas, l’inhibition est effective pendant unjour. Katla et al (2002) ont montré que la sakacineP est stable sur le poulet froid coupé sous vide

pendant quatre semaines et que l’inhibition dudéveloppement de Listeria monocytogenes estdue à une souche de Lactobacillus sakeii, diffé-rente de celle produisant la sakacine P.

LA CURVACINE

La curvacine A est une bactériocine produite parLactobacillus curvatus LTH 1174, souche isolée àpartir de saucisse fermentée. La souche est trèssensible au nitrite : une concentration de 10 ppmde nitrite a inhibé son développement. Les activi-tés volumétriques des bactériocines et la teneurde la production spécifique des bactériocinesétaient plus élevées en présence de nitrite desodium que pendant la fermentation sous condi-tion aérobie ou en conditions standard de supplé-ment d'oxygène. Ces résultats indiquent que l'effetinhibiteur de l'agent salant est au moins partielle-ment masqué sous des conditions anaérobies(Verluyten et al., 2003).

LA PÉDIOCINE

Hugas a montré en 1998 que les pédiocines AcHet PA-1 sont plus efficaces que la nisine. La sou-che Pediococcus acidilactici n’est pas une soucheindigène des viandes et n’est pas capable de sedévelopper ni de produire la bactériocine aux tem-pératures réfrigérées.

LA LEUCOCINE

Des Leuconostoc carnosum isolés à partir de sau-cisses fermentées produisent la bactériocine leu-cocin F10 (Parente et al., 1996). Cette bactériocineétait capable d’inhiber toutes les souchesd’Enterococcus faecalis, Lactobacillus sake, deLeuconostoc et de Listeria, une souche deLactobacillus curvatus et une souche deStaphylococcus thermophilus. La sensibilité maxi-mum était observée parmi les souches de Listeria.Cette bactériocine est complètement inactivée partoutes les enzymes protéolytiques. Leucocine F10est extrêmement tolérante à haute température,pH5 mais est rapidement inactivée à +100°C, pH7et pH9. Le chauffage à pH5 a provoqué une aug-mentation de l'activité. Lorsque le pH est contrôléà 5,5, 6 et 6,2 la production et la croissance de bactériocine augmente très sensiblement

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comparativement à une fermentation à pH noncontrôlée. La production maximale de bactérioci-nes était obtenue à pH = 6. À pH2 et pH7 la crois-sance et la production de bactériocines étaientplus lentes. Toutes ces données sont similaires àcelles observée pour la carnocine 24A produite parLeuconostoc carnosum et mesenterocine 22 pro-duite par Leuconostoc mesenteroide et diffèrentseulement légèrement d'autres bactériocines pro-duites par les leuconostocs (Dronisos, 1995).

CONCLUSION

Les propriétés physiologiques spécifiques desbactéries lactiques contribuent à l’élaboration desqualités sensorielles et sanitaires. La deuxièmepartie s’intéressera aux actions des bactéries lac-tiques sur les produits carnés et sera axée sur leurchaîne technologique (traitements thermiques,ingrédients et additifs…).

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ÉTUDES

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Les bactéries lactiques dans le milieu des viandes et produits carnés1ère partie : classification et spécificité

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BULLETIN DE LIAISON DU CTSCCV / VOL.14 N° 1/2004

• MONTEL C., TALON R., CANTONNET M.,BERDAGUÉ J.L. (1991). Activités métaboliquesdes bactéries lactiques des produits carnés inLes bactéries lactiques Actes du colloque, Caen,12-11 sept. 1991. Éd. ADRIA Normandie et cen-tre de publications de l’université de Caen, 202 –212.

• MONTEL M.C., TALON R., FOURNAUD J., LAR-PENT J.P. (1994). Fonctions des bactéries lac-tiques dans les produits carnés. Livre Bactérieslactiques II. Éditions Lorica, 181-189

• NOVEL G. (1993). Micro-organismes industriels :les micro-organismes d’intérêt industriel. ÉditionsLavoisier Tec et Doc APRIA, 370-392, 307-323

• PARENTE E., MOLES M., RICCIARDI A. (1996)Leucocin F30, a bacteriocin from Leuconostoccarnosum. International journal of food microbio-logy, n° 33, 233-243

• SANZ Y., TOLDRÁ F. (2002) Purification and cha-racterization of an Arginine Aminopeptidase fromLactobacillus sakei. Applied and environmentalmicrobiology, vol. 68, n°4, 3980-3987

• TALON R., MONTEL M.C. (1997). Hydrolysis of

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• VERLUYTEN J., MESSENS W., DE VUYST L.(2003). The curing agent sodium nitrite, used inthe producing meat starter culture Lactobacilluscurvatus LTH 3374 under anaerobic conditions.Applied Environment microbiology, jul., vol.69,n° 7, 3833-3839

• STAHNE L.H. (1999). Volatiles Produced byStaphylococcus xylosus and Staphylococcuscarnosus during growth in sausage minces. PartI. Collection and identification. Lebensm.-Wiss.u.-Technol., n° 32, 357-364

• ALIMENT RECHERCHE. (1999). Décontaminationde la viande et des produits carnés. LettresAliment recherche INRA.

• DRONISOS E.H., BOARD R.G. (1995). A surveyof minced lamb packaged in modified atmo-spheres. Fleischwirtschaft, vol. 75, n° 3, 281-284

ERRATUMBULLETIN DE LIAISON N° 6

NOVEMBRE – DÉCEMBRE 2003

Nous tenons à apporter une précision concernant

l’article de Jean-Luc Martin intitulé

“Sel et technologie en charcuterie-salaison” à la page 13.

Cet article correspond à son intervention à l’IFN, le 17 juin 2003. Il a été publié dans La lettre Scientifique de l’Institut Français pour

la Nutrition, n° 94 du mois de juin 2003.