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Les bruits qui pensent

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Comment développer les compétences individuelles de chacun au sein d'un projet de pratique musicale en service d'accueil de jour pour personnes adultes handicapées. Epreuve intégrée du CPSE de Grivegnée LIEGE (BE) par Gilles JUDICE

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Page 1: Les bruits qui pensent
Page 2: Les bruits qui pensent

Remerciements

La rédaction de cette épreuve intégrée n’aurait pas été possible sans l’intervention

consciente d’un certain nombre de personnes. Je souhaite ici les en remercier.

Je tiens d’abord à remercier très chaleureusement l’ensemble des membres de l’équipe

pluridisciplinaire du S.A.J.A «!le Chêne!» et sa direction qui m’ont permis de bénéficier de son

encadrement. Je les remercie également de m’avoir donné les moyens nécessaires à ma

recherche.

Les conseils qu’ils m’ont prodigués, la patience et la confiance qu’ils m’ont témoignées ont

été déterminants dans la réalisation du travail présenté dans les pages à venir.

Mes remerciements s’étendent également à tous les enseignants ayant professés durant mes

années d’études ainsi qu’à toutes les personnes qui travaillent dans les institutions qui m’ont

accueilli, ces deux dernières années, en tant que stagiaire et éducateur.

Enfin, je tiens à remercier tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation et à

la correction de ce travail. J’adresse, dans ce sens, un remerciement tout particulier à tout

mes correcteurs et à Anaïs Servais pour l’illustration de la jaquette de l’album «!Les bruits qui

pensent!» qui figure également sur la couverture de ce document.

1

Page 3: Les bruits qui pensent

2

Page 4: Les bruits qui pensent

Introduction! 7

Contexte! 8

Les ateliers! 9

La vitrine artisanale! 10

La compagnie de l’arc-en-ciel! 10

Définitions et éclaircissements! 10

SAJA! 10

Compétence! 11

Pratique musicale! 12

La route vers un projet de pratique musicale visant le développement des compétences! 13

Cellule individuelle informelle avec un usager! 13

Problématique liée à lʼaspect informel de la mise en place dʼune cellule individuelle " 14

Notion de neutralité, dʼinfluence" 18

Le dilemme entre la logique d’action et de formation pour l’éducateur spécialisé! 19

Première ébauche de construction du projet" 21

Pourquoi développer les compétences chez les personnes adultes handicapées, et notamment des compétences liées en partie à l’art"?! 23

Du savoir pour les personnes handicapées " 24

3

Page 5: Les bruits qui pensent

Utilisation du clavier maître! 25

Support visuel" 25

Psychomotricité" 25

Rythme " 26

Enregistrement" 26

Mode relationnel avec les usagers, statut d’un éducateur garant d’un atelier! 26

Les notions musicales de base! 29

L’improvisation! 29

La difficulté d’adaptation à un groupe! 30

Projet de Pataphonie" 30

La démarche de projet! 31

Les freins! 32

La place réservée à l’émotionnel! 34

Développement de lʼaffectivité, la compétence émotionnelle " 34

Entamer un travail sur les émotions avec les bénéficiaires" 36

L’animation! 37

Compétence émotionnelle et communicative " 37

Mémoire collective, bande-son du spectacle " 40

La composition de musiques de film! 40

Définition d'objectifs particuliers pour chaque bénéficiaire! 42

Les objectifs définis pour chacun" 42

La détente par lʼécriture " 43

La relaxation autonome, une compétence pour calmer lʼangoisse, gérer ses émotions " 45

4

Page 6: Les bruits qui pensent

Le transfert du savoir dʼun usager aux autres " 45

Forme de l'atelier à terme des expériences! 46

Conclusion! 48

Bibliographie! 49

5

Page 7: Les bruits qui pensent

6

Page 8: Les bruits qui pensent

«!La compétence ou l'incompétence n'ont pas d'âge.!»de Michel Bouthot

Extrait du «!Chemins parsemés d'immortelles pensées!»

Introduction"

# Au cours de cette année, j’ai vécu un stage au sein du Service

d’Accueil de Jour pour Personnes Adultes handicapées «!Le Chêne!».

Composé de divers ateliers, les projets artistiques et créatifs sont des

leitmotivs qui émaillent le noyau pivot du fonctionnement quotidien du

centre.

C'est en rapport avec certains de ces projets artistiques et la constatation

des difficultés à fournir un accompagnement individualisé dans une

dynamique de groupe que mon ambition d'accompagner les personnes

dans le développement de leurs compétences germa pour espérer, au

départ tigelle prenant ses premières marques, devenir la plante trachéophyte 1acheminant chacun vers le développement de ses compétences. Si tant est

que cela soit la finalité du chemin, l'important reste la route et les nervures

formées dans sa traversée.

Cette motivation prend un appui théorique sur le dilemme entre la logique

d'action et de formation2, piège en aval aussi bien qu'en amont d’une

certaine entreprise d'apprendre aux autres de l'immatériel tout en produisant

des objets tangibles et monnayables. Elle s'appuie également sur la

pédagogie du piano, les outils didactiques qui concernent l'apprentissage

d'une pratique musicale, un point de vue psychologique et communicatif en

terme de perception des émotions et leurs appréhensions, ainsi que sur un

axe analytique concernant l'organisationnel, l'institutionnel et les différents

statuts pouvant être perçus (profs- élèves-bénéficiaires-éducateurs)

7

[Botanique] Plante qui possède des vaisseaux conducteurs.

1 Perrenoud, Philippe Mettre les démarches de projet au service du développement de compétences? Document de travail pour le séminaire de recherche de LIFEFaculté de psychologie et des sciences de l'éducation université de Genève 2003, p 1 et 17/26

Page 9: Les bruits qui pensent

La mise en place concrète des choses a pu se faire grâce à l'occasion qui

m'a été donnée de consacrer un jeudi matin par semaine à l'expérimentation

d'un atelier de pratique musicale au sein du S.A.J.A.

J'ai au terme du chemin parcouru, une idée plus claire qu'au début de ce

que devrait être un atelier de pratique musicale visant au développement des

compétences de chacun.

La démarche polythétique3 de cette expérimentation sera

chronologiquement racontée avec les premières tentatives, la prise de

conscience des fausses routes, les flops, les réussites, des découvertes et

des éléments ayant permis d'avancer vers un atelier prototype de plus en

plus en adéquation avec mes objectifs ainsi qu'en lien avec ma question de

départ!:

«!Comment développer les compétences de chacun au sein d'un

projet de pratique musicale dans un Service d'Accueil de Jour pour

personnes Adultes handicapées!?!»

C’est donc bien ici la retranscription d’une année de tâtonnement dans

l’élaboration d’un atelier de pratique musicale au sein d’un S.A.J.A. Mais

cette construction faite au fil du temps, forte de son inconstance, n’a pas été

dénuée de jalons dirigeant mon action vers plus de sens en termes de

développement des compétences individuelles au sein d’un atelier en centre

de jour. Tout au long de l’année, je me suis efforcé de constituer un carnet

de bord le plus complet possible, et de rédiger les comptes rendus de tous

les entretiens professionnels auxquels j’ai participé. Cette démarche se

voulait anticipative sur la rédaction de cette épreuve intégrée.

Contexte"

# Le S.A.J.A «!Le chêne!» est un centre d'accueil de jour pour

personnes adultes atteintes d'un handicap mental léger, modéré ou sévère

où l'ensemble des sphères constitutives à l'autonomie et au développement

83 Démarche pas à pas, comprenant plusieurs thèses

Page 10: Les bruits qui pensent

des personnes sont prises en compte. La pratique et le positionnement de

l’équipe éducative permettent de développer une image positive de la

personne handicapée et d'en assurer valorisation, intégration et

développement personnel. «!Le chêne!» adhère à la notion théorique de la

normalisation qui ne prône pas la négation des différences dues au

handicap, mais organise un système social qui va donner à la personne

handicapée les moyens de dépasser au maximum les contraintes de son

handicap et d'accéder à une vie la plus «!ordinaire!» possible aussi bien au

niveau social que culturel et professionnel. Un nouvel agrément survenu peu

après 1994 a permis d'élargir le cadre éducatif ainsi que d'initier et

concrétiser de nouveaux projets artistiques, théâtraux et sportifs.

Les ateliers

Le S.A.J.A. met en oeuvre différents ateliers visant divers objectifs en relation

avec les projets pédagogiques individuels des personnes. Via ces ateliers de

productions permanents, les objectifs sont!:

• L'acquisition d'un niveau global d'autonomie permettant l'insertion et la

valorisation dans une activité socialement reconnue (vitrine artisanale,

spectacle, manifestation publique)

• L'apprentissage de gestes et attitudes transférables en milieu professionnel

• La construction d'habilités et de conduites transférables dans le projet de

chaque personne

"

Une plage horaire définit les personnes participantes aux ateliers aux

diverses heures de la journée. Entre les temps prévus pour les ateliers, il

existe les moments de pause et d’heure de table. Ces instants sont

l’occasion de travailler tous les points qui ne sont pas inhérents aux ateliers

et à leurs spécificités mais qui, néanmoins, constituent des visées

importantes du travail socio-éducatif accompli au centre.

9

Page 11: Les bruits qui pensent

Les différents ateliers!:

‣ Terre, modelage

‣ Menuiserie

‣ Artisanat

‣ Décoration

‣ Sport

‣ Couture, «!costumerie!»

‣ Théâtre, chant, corporel

‣ Groupe de parole

‣ Cuisine

La vitrine artisanale

Tous les deux ans, le Chêne organise une journée dédiée à l’exposition et à

la vente de produits conçus entièrement ou en partie par les usagers du

centre. Ceux-ci attendent impatiemment cet évènement car leur famille et

amis se retrouvent dans ce lieu de vie important pour eux et ils peuvent

montrer avec fierté ce qu’ils ont fabriqué et ce qu’ils ont fait du temps

consacré aux ateliers. C’est évidemment aussi une occasion de réunir des

fonds supplémentaires pour l’ASBL.

La compagnie de l’arc-en-ciel

La compagnie de l’arc-en-ciel, c’est le nom donné au collectif réunissant les

usagers du S.A.J.A, qui concurremment, en tant que comédiens,

techniciens et autres illusionnistes, offrent un spectacle de théâtre visant

divers objectifs pédagogiques et l’amusement de tous. Et l’a.s.b.l récolte

ainsi des fonds !

Définitions et éclaircissements

SAJA"

Appelé aussi centre de jour, un S.A.J.A. propose des activités diverses et un

accompagnement sur le plan social, psychologique et thérapeutique. Les

10

Page 12: Les bruits qui pensent

personnes le fréquentant ont un handicap ne leur permettant pas de

travailler en atelier protégé. La population accueillie ne comprend

normalement pas de personnes considérées comme «!nursing!» (catégorie

C). Cependant, en considération du vieillissement des personnes

handicapées, cette catégorie tend à augmenter.

Compétence

Selon les dictionnaires de Druide4 la compétence est l’aptitude reconnue

légalement d’une autorité à traiter d’une question, à en juger, à

accomplir un acte, selon des modalités déterminées, ou encore, la

connaissance approfondie, expérience reconnue dans un domaine, qui

donne qualité à quelqu’un de juger, de décider.

Selon Philippe Perrenoud5, la compétence est le rapport entre la

connaissance et l’action, elle part du savoir pour lui donner plus de

sens permettant ainsi une meilleure compréhension des éléments qui

couvrent la vie, une meilleure anticipation et la capacité d’agir et de

décider au quotidien.

Je rejoins personnellement cette dernière lecture, étant moi même issu de

l’enseignement de promotion sociale où la place de la pratique suscite — à

mon idée — l’émergence de nouvelles compétences sur base de savoirs.

D’autre part, la question du développement des compétences individuelles

naît du fait que je prête à chacun la potentialité d'accéder à celles-ci. Car, si

la compétence, s'acquérant sur base d'un savoir, permet à la personne une

appréhension personnelle dans son environnement, elle détermine la

manière de procéder à l'encontre d’une pierre d'achoppement!; en d'autres

termes, la façon dont la personne va se comporter face à l'adversité.6

Chacun évoluant dans son environnement – à son rythme, à sa manière –

possède donc des savoirs instigateurs de compétences lui permettant de le

11

4 Du logiciel «Antidote HD» url: http://www.druide.com/a_dictionnaires.html l

5 Philippe Perrenoud, sociologue, né en 1944. docteur en sociologie et anthropologie

Perrenoud, Philippe Mettre les démarches de projet au service du développement de compétences?

Page 13: Les bruits qui pensent

faire. Chaque personne est différente quant à la possession plus ou moins

abondante de savoirs, la question prend son sens en terme

d'individualisation dans l'acheminement pointant vers l'acquisition et le

développement de nouvelles compétences. Cet acheminement pourra soit

se baser sur les savoirs existants, soit partir du principe qu'une compétence

serait nécessaire pour la personne - à ses yeux - pour son évolution

personnelle, son bien- être, et construire le savoir pour catalyser cette

compétence.

L'outil didactique ou pédagogique peut varier dans la quête de la

compétence par le savoir acquis ou construit. Dans le cadre des jeudis matin

consacrés à l’atelier que j’ai mis en place au centre, c'est l'outil de la

pratique musicale qui est adopté.

Pratique musicale

La pratique musicale est ici vue comme l'appréhension de l’acte musical

dans tout ce qu’il a de concret. C’est-à-dire!: comment cela fonctionne!?

Avec quels objets!? Comment l’entendons-nous!? À quoi sert-elle!? Toute

explication est suivie d’une expérimentation sensible pour permettre

l’acquisition de savoirs, d’une base qui sera commune entre les personnes

participantes à l’atelier et qui permettra le développement de diverses

compétences liées à la musique. Mais la pratique musicale peut également

permettre le travail du rapport aux autres et à soi-même, aider à une

ouverture sur sa sensibilité, à améliorer chez le bénéficiaire la qualité

d’écoute, la concentration, la maitrise psychomotrice. Elle est notamment

utilisée pour permettre la découverte, l’identification d’émotions et de

sentiments générés par les éléments constituant la communication musicale

de l'exécutant vers l’auditeur.

12

Page 14: Les bruits qui pensent

La route vers un projet de pratique musicale visant le développement des compétencesCe qui suit représente réellement les aboutissants nés de l’inconstante

expérimentation heuristique visant à l’élaboration d’un atelier de pratique

musicale. J’ai choisi de coucher sur ces pages le fruit de mes réflexions, des

remises en question, des réunions, des synthèses théoriques et de leurs

applications, le tout dans un ordre qui s'aligne sur celui des évènements

passés durant cette dernière année. Et ainsi, montrer comment j’ai pu mettre

à profit les enseignements prodigués lors de ma formation, mêlant analyse

sur le terrain, remise en question permanente, formulation d’hypothèses,

écrits professionnels, travail d’équipe et vérification sur base de théories et

de pratiques.

Cellule individuelle informelle avec un usager

Arrivé au centre depuis peu, je me suis vite investi dans l’atelier théâtre. Les

aspects artistiques m’attirant naturellement davantage.

Le responsable de l’atelier théâtre - Alexandre - et moi avons discuté de

l’importance de l’accompagnement individuel, et notamment d’un travail en

cours avec S.R., un des usagers du centre avec lequel un travail de ce type

est en cours, travail qui consiste en l’apprentissage d’une chanson choisie

par lui, dans le but de la présenter en public lors de l’évènement «!vitrine!».

En discutant avec moi, Alexandre m’a proposé de reprendre le flambeau et

d’entamer avec S.R. un travail d’apprentissage de la chanson qu’il pourrait

chanter devant les autres lors de la vitrine. S.R. a accepté la proposition et

s’est engagé à travailler la chanson sérieusement.

13

Page 15: Les bruits qui pensent

Peu de temps après cette discussion et dès la première rencontre en

individuel avec lui, S.R. me fait part de sa volonté de changer de chanson,

car la première qu’il avait choisie lui «!foutait le bourdon!», et il n’osait pas le

dire à Alexandre. Je lui ai proposé d’en choisir une autre et de me donner sa

réponse le lendemain. Son choix s’est alors porté sur «!du coté de chez

Swann!» de Dave.

Problématique liée à l’aspect informel de la mise en place

d’une cellule individuelle

Extrait du carnet de bord du 8 novembre 2012

Dans un premier temps, j'ai été amené à expliquer comment se déroulait actuellement cette activité avec S.R. J'explique donc que cela se passe bien, que S.R. est investi et motivé et que la relation est bonne entre nous deux.Ensuite, l’équipe a exprimé la volonté de clarifier les choses étant donné que le projet s'était mis en place plutôt de manière informelle, un rappel de la structure horaire convenue à la base a été fait. En effet, au départ, et de manière formelle, la direction m’avait demandé de « tourner » dans les différents ateliers du centre en observation active.Il est apparu que ma référente de stage avait des craintes concernant la réaction que je pourrais avoir si le projet aboutissait à un échec, échec qui pourrait être néfaste pour moi pour je ne sais quelle raison.Plus tard, le référent de S.R. aborde le fait que le risque encouru que S.R. lâche le projet peu de temps avant sa finalité est grand. Mais il aborde également le fait que les psychoses de S.R. et/ou que la détérioration du relationnel entre lui et moi ou avec les éducateurs ainsi qu'avec sa mère pourraient prendre des proportions qui nécessiteraient des interventions éducatives et un travail psychologique dans le but de « réparer les dégâts » et que l'échec du projet pourrait être un évènement déclencheur. de psychoses.Le référent de S.R. me parle ensuite des difficultés que S.R peut avoir à s'inscrire dans un projet dans lequel il est contraint de quelques manières que ce soit.L'idée de se situer, en tant que professionnel, entre le mandat et la demande est abordée. C'est à dire, concrètement, se placer autant que possible entre la demande de S.R. qui est de participer sans contraintes à ce qu'il aime bien et le mandat et les obligations liées au centre avec son PP. Des propres mots du référent de S.R. : « Car on ne peut pas, sous prétexte du projet pédagogique mettre S.R. dans une situation de mal-être ». Je demande, après cela à rencontrer la psychologue du centre pour discuter avec elle de la pathologie de S.R. et de mes pistes d'action, pour savoir si elles sont adaptées et si elles ont du sens.

14

Page 16: Les bruits qui pensent

En effet, le souci se portait sur mon manque de background concernant la

psychose et ses conséquences dans l’aboutissement d’un travail sur le long

terme. Suite à l’entretien avec la psychologue de l'institution, j’ai pu tenter

d’adapter les choses au mieux pour S.R.

D’après la psychologue, S.R. évolue en dent de scie, et cela, en fonction de

sa relation avec sa maman. Quand la maman ne va pas bien, S.R va bien et

inversement. Il faut savoir qu'il y a une relation vraiment fusionnelle entre eux.

S.R. a réussi à avancer dans son autonomie, notamment par le biais du

centre, mais ce n'est pas gagné. Sa maman lui met périodiquement le

grappin dessus pour qu'il effectue diverses tâches dans la maison, et donc

le paradoxe des états de bien-être de l'un et l'autre s'explique par le fait que,

si sa maman ne va pas bien, elle s'occupe moins de S.R. et donc il est plus

libre de faire ce qu'il lui plait.

Ce qui a frappé la psychologue chez S.R., c'est qu'il s'attache plus à la

personne s’occupant d'un atelier au sein du centre qu’à l'activité elle-même.

Quand il est bien avec la personne il va vouloir aller dans l’atelier et vice et

versa. La personne évoluant sur une structure psychotique a un rapport à

l’autre spécifique!; lui est égal à l’autre, ce n’est rien ou c’est tout, pas

d’entre-deux, la dynamique se veut basée sur le mode de fusion

relationnelle.7

Je me suis demandé par après si, pour le bien-être de S.R., je devais viser

plus particulièrement l'atteinte d'un objectif ou plutôt viser la continuité d'une

relation de qualité en changeant d'objectif même si le précédent n'a pas été

atteint. Ce à quoi la psychologue m’a proposé ce qui suit!:

«!Je pense qu'il faut d'emblée le cadrer et poser des limites, parler avec lui

du fait qu'il sait lui-même qu'il a des problèmes pour aller au bout des

choses pour des tas de raisons qui lui sont personnelles, mais que c'est

important pour lui et pour nous, qu'il aille jusqu'au bout de ce qu'il

entreprend. Si quelque chose ne va pas, le dialogue est toujours possible et

la situation peut être adaptée pour que cela se passe mieux.!»

J'ai expliqué, suite à sa réponse, que j'avais dans ce sens prévu des

«!portes de sortie!» au cas où S.R. me parlerait de difficultés à continuer

l'activité ou à répondre à ses attentes!;

157 Cours de psychopathologie de 3e année au CPSE de Grivegnée donné par madame Greffe

Page 17: Les bruits qui pensent

L'objectif présenté à S.R. est de chanter et de présenter son travail fait

autour de la chanson devant un public lors de la vitrine. Mon objectif/but réel

est qu'il assume ses capacités, son potentiel et qu'il prenne confiance en lui

et ses capacités. En montrant son travail aux autres, c'est une preuve qu'il

assume en lui ces différents aspects.

Si l'objectif de chanter et donc de présenter son travail devant un public lors

de l'événement vitrine ne pouvait être atteint pour quelque raison que ce

soit, les portes de sortie que je proposais et qui devaient permettre la

négociation avec S.R. ainsi que d'atteindre le but réel du projet étaient les

suivantes:

‣ il pourrait présenter son travail plus tard, continuer de travailler le chant, et

donner une représentation devant les usagers et éducateurs à une date qui

ne serait pas nécessairement prévue. Dans ce plan il est possible, par

exemple, que S.R. chante en duo avec la personne de son choix ou qui

connait la chanson;

‣ S.R. aurait la possibilité de pouvoir enregistrer sa chanson et d'en

posséder ensuite un CD sur lequel il aurait chanté et participé au mixage

pour ensuite le faire écouter à d'autres.

La psychologue m’a ensuite rappelé qu'il ne faut pas oublier chez S.R. le

facteur stress et relaxation!: il va au yoga deux fois par semaine et cela lui fait

beaucoup de bien, des techniques de relaxation peuvent être utilisés avec lui

et cela peut être efficace. Elle me confirme également que le système des

portes de sortie est une bonne idée du moment qu'il aille jusqu'au bout de

l'activité. Ces portes de sortie pouvaient être discutées avec S.R. pour

l’inclure dans son projet, car il a conscience de ses difficultés à aller jusqu’au

bout des choses.

En effet, selon les principes de psychopathologie, S.R. serait en proie à des

angoisses d'anéantissement, de morcellement, auxquelles il aurait trouvé

une parade dans la déréalisation et des productions hallucinatoires. Le repli

autistique et la catatonie8 font également partie des mécanismes de défense

de la personne psychotique.9

16

8 ◆[PSYCHOLOGIE] Syndrome de la schizophrénie caractérisé par une inertie psychomotrice, une négation du monde extérieur, des attitudes et des gestes stéréotypés.

9 Ibidem

Page 18: Les bruits qui pensent

La psychologue m’affirme que S.R. est plus ouvert au monde maintenant

que lorsqu’il est arrivé au centre, il est moins raide dans ses mouvements,

mais garde une certaine fermeté dans le geste. Le yoga l’aide dans ce sens,

il sent son corps et pratique des mouvements calmes et ritualisés.

Plus tard, cette cellule individuelle s’est arrêtée. En cause, la difficulté dans

l’aménagement d’un horaire prenant en compte des temps investis pour une

seule personne à la fois, et la charge considérée trop lourde pour un

stagiaire en termes d’accompagnement d’une personne psychotique. Cela

était aussi lié à un souci d’éthique: si l’institution se permet de dégager du

temps pour qu’un éducateur s’occupe durant une heure par jour

uniquement d’une personne, alors elle se doit de pouvoir rendre disponible

ce type d’accompagnement pour tous, et ça, ce n’est malheureusement pas

réaliste. L’équipe a soulevé le fait que S.R. n’avait pas réellement sa place

dans un S.A.J.A, qu’il pouvait être efficace pour beaucoup de choses et qu’il

pourrait travailler en atelier protégé, mais, d’un autre coté, sa relation avec sa

mère le bloque dans une évolution qui lui ouvrirait les portes de son

autonomie.

Les stratégies éducatives dans l’intégration de la personne handicapée

mentale évoluent avec le regard de la société sur cette population. Pour

qu’une personne soit considérée déficiente mentale il faut qu’on lui

reconnaisse également une altération du comportement adaptatif 10, et c’est

là une des difficultés de S.R., la difficulté de s’adapter à des situations

extérieures dénudées du cadre connu et mis en place autour de lui. Ici, je

parle du cadre institutionnel dans le quel il évolue au Chêne, mais aussi du

cadre imposé par le système familial dont il fait partie.

Une définition de la personne psychotique!:

(...)Sujet chez lequel plusieurs facteurs constitutionnels, organiques ou

affectifs, peuvent entraver l’émergence des facultés intellectuelles. Toute

acquisition nouvelle est rejetée, car elle pourrait compromettre un compromis

difficilement acquis d’où une ouverture au monde limitée. Les troubles sont

diversifiés!: vision déformée de la réalité, difficultés à mettre en forme, à

symboliser, à intégrer les expériences dans un ensemble cohérent. Les

1710 Sociologie et déficiences – FSSEP Université Lille 2 – Corrine DELMAS, p15/20

Page 19: Les bruits qui pensent

personnes psychotiques sont souvent socialement en opposition à

l’organisation sociale, scolaire ou autre, ce qui les conduit à perturber les

activités auxquelles ils participent ou à adopter des conduites d’évitement ou

d’inhibition et trouver refuge dans la toxicomanie ou le suicide.11

Ainsi, c’est subrepticement que ma volonté de m’adapter au mieux pour

tous commença à prendre forme dans ce qui allait devenir un atelier qui

permettrait de développer les compétences de chacun en son sein. Je suis

conscient que l’individualisation du travail est chez moi un besoin

professionnel. Concrètement il est cependant souvent difficile d’y parvenir. Il

permet néanmoins plusieurs choses!:

‣ la création d'une relation de confiance privilégiée,

‣ la meilleure connaissance du bénéficiaire,

‣ de dégager des pistes d'actions cohérentes,

‣ de viser des objectifs plus grands, plus lointains.

Il reste alors à composer avec les moyens humains et horaires dont l’équipe

dispose dans ce cadre institué qui pourrait devenir l'écueil d’actions

éducatives plus pertinentes.

Notion de neutralité, d’influence

Mais en parlant d’accompagner quelqu’un sur des chemins construits

conjointement, une question me vient à l’esprit: si le travailleur social a un

devoir de neutralité envers ses bénéficiaires, comment faire la part des

choses entre ce que la personne souhaite pour elle-même, et ce que

l’éducateur estime être capital à acquérir ou d’être cessé pour elle!? Et

comment ouvrir le dialogue à ce propos!?

Dans certains cas, quelques éléments concourants aux difficultés

d’intégration des personnes devront être évoqués pour, sans doute, faire

l’objet de modifications. Un concept de neutralité veut que la technique du

passage à gué12 soit employée pour éviter le choc entre deux cultures

lorsque certains comportements sont mal vus ou interprétés et que la culture

18

11 Ibidem

7 Le passage à gué est l'endroit le moins profond de la rivière, où l'on peut passer à pied. Exemple de la femme qui porte ses ballots, lorsqu'elle traversait le passage à gué, elle ne pouvait pas tout

emporter, elle était obligée de laisser une partie derrière elle.

Page 20: Les bruits qui pensent

prépondérante du pays souhaite exprimer le besoin de limiter leurs

répercutions. Dans le cas de comportement freinant le développement de la

personne, le passage à gué pourrait devenir une technique aidant au

dialogue entre éducateur et bénéficiaire!; au lieu de tenir un discours du type

«!Tu n’iras pas loin comme ça, ici ça ne fonctionne pas ainsi, tu dois

changer!», on pourrait tenir un discours plutôt culturel en disant «!Nous

allons nous enrichir par l'échange de nos richesses, mais certaines choses

doivent être laissées là d'où elles viennent.!»13Cela pourrait éviter une

frustration liée à la comparaison de deux modes éducatifs divergents, une

stigmatisation qui discrédite indélicatement la personne.

Selon Erving Goffman, «un individu est dit « stigmatisé » lorsqu'il présente un

attribut qui le disqualifie lors de ses interactions avec autrui. Le stigmate

correspond donc à toute caractéristique propre à l’individu qui, si il est

connu, le discrédite aux yeux des autres ou le fait passer pour une personne

de statut moindre. Cet attribut constitue un écart par rapport aux attentes

normatives des autres à propos de son identité. Chaque individu est plus ou

moins stigmatisé en fonction des circonstances, mais certains le sont plus

que d'autres.»14

De cette manière, le fil rouge de mes pensées me mène indubitablement au

titre suivant qui évoque, pour moi, un autre aspect important dans un

fonctionnement visant le développement des compétences de chacun.

Le dilemme entre la logique d’action et de

formation pour l’éducateur spécialisé

J’ai pu constater la difficulté d’individualiser les bienfaits qu’un atelier peut

fournir à l’ensemble des bénéficiaires qui l’occupent. Et par la même

occasion, me rendre compte du caractère purement occupationnel de

certaines étapes de travail reléguées systématiquement aux mêmes usagers,

de par leurs compétences ou incompétences.

19

13 Cours de neutralité 2ieme année 2011-2012, IPFS Namur

14 Stigmates. Les usages sociaux du handicap (1963, trad. et publié en français, aux éditions de Minuit en 1975).

Page 21: Les bruits qui pensent

En considération des réflexions élaborées autour d’ un entretien avec ma

référente de stage, il convient - à mon sens - de compléter avec un «!sous-

dilemme!» la colonne de la logique de formation dans le tableau du dilemme

des logiques d'action au sein d'une démarche de projet.15 Ci-dessous, je

vous invite à prendre connaissance du tableau inspiré de Perrenoud16

constitué dans son fondement pour un contexte enseignant avec mes

modifications qui traduisent - dans le cadre éducatif en S.A.J.A. - la réflexion

menée sur le terrain qui m’a aidé à mieux analyser les pratiques éducatives

dans les ateliers au S.A.J.A.

Projet

Logique d'action

La logique d'action vise plus à finaliser un rendu final auquel le projet s'est mis au service. Exemple!: un projet qui vise à construire des couvertures de livres; le projet a pour but essentiel de finir un nombre bien précis de produits pour une date échéante et l'éducateur finira le travail s'il est en retard, il outrepassera un travail approfondi sur les manquements au niveau des capacités des bénéficiaires que le projet aurait fait apparaitre pour permettre la concrétisation du but essentiel.

Logique de formation

Limitée!:

L'action se cantonne aux modalités/finalités techniques dans l'utilisation de l'outil que propose le projet. (Exemple!: dans un projet d'atelier de fabrication d'éléments décoratifs, on ne se sert que des techniques ayant un rapport avec la fabrication de ces objets, et du début à la fin de l'atelier, l'éducateur aura usé de cet outil pour atteindre un certain nombre d'objectifs ayant été réfléchis et décidés auparavant).Ouverte!:

Les possibilités qu'offre le projet dépassent l'utilisation seule et limitée des outils existants grâce au projet.(Si un usager ressent le besoin de rentrer en relation avec l'éducateur pour exprimer une émotion ou une difficulté qui sort du cadre du projet de l'atelier en cours, il est le bienvenu et l'éducateur sera à son écoute en laissant de coté, pour un instant seulement, les impératifs liés au projet et aux résultats attendus)

20

9 Mettre les démarches de projet au service du développement de compétences!?Philippe Perrenoud, Document de travail pour le séminaire de recherche de LIFEFaculté de psychologie et des sciences de l'éducation université de Genève 2003

16 Ibidem

Page 22: Les bruits qui pensent

17

Je pense qu'un projet orienté vers une logique de formation ouverte

favoriserait la création de relations de confiance, de développement ou

d'apprentissage de compétences relationnelles aussi bien pour les

bénéficiaires que pour l'éducateur. Cette logique favorise également le

travailleur dans un souci de formation personnelle. Cela m’a permis de

reconsidérer mon action, d’ajuster mon accompagnement dans l'intérêt des

bénéficiaires et de mon intégration dans l’équipe, de prendre conscience

que les personnes savent souvent mieux que nous ce dont elles ont besoin.

Si une personne ressent une difficulté, peut-être est-ce intéressant de

développer la compétence utile pour pouvoir l’exprimer pour ensuite affiner

la perception et l’évaluation de ses besoins de manière autonome et mieux

savoir si cela peut attendre ou non.

Première ébauche de construction du projet

Dans un premier temps, avec comme seule expérience en terme de projet

de pratique musicale la cellule individuelle avortée avec S.R. et des essais de

«!boeuf!» avec les usagers du centre avec le piano, il fallait que je mette mon

projet sur papier, celui de la formation d’un atelier de pratique musicale.

C'est dans le cadre d'une 3e année d'étude en éducation spécialisée en

promotion sociale qu'il m'a été demandé de définir les objectifs personnels

que je désirais atteindre cette année, notamment, par le biais du stage de

480 heures effectué tout au long de l'année scolaire. Mes objectifs étaient les

suivants!:

‣ travailler l'animation en la voyant comme moyen pour favoriser

l'expression chez les bénéficiaires, la valorisation, le

développement personnel en essayant d'individualiser pour établir

des objectifs parallèles adaptés;

‣ amener du sens dans les actes, travailler l'argumentation.

21

11 La formation est vue ici comme l'éducation, qui favorise la mise en oeuvre de méthodes et de techniques spécifiques, le développement personnel, la maturation sociale et l'autonomie des personnes accompagnées ou éduquées. Tiré des carnets de l’éducateur 2013.

Page 23: Les bruits qui pensent

J'avais la possibilité de pouvoir organiser et animer une activité de groupe au

sein du «!Chêne!». Occasion de pouvoir travailler dans l'optique d'atteindre

mes objectifs personnels, mais aussi de nourrir, d'enrichir le panel de

compétences disponibles au centre et qui mises ensemble en font éclater de

nouvelles. C'est en particulier dans le cadre de l'atelier théâtre et chant que

l'activité devait se dérouler, et c'est pour cela que son organisation devait

découler en partie de la structure mise en place par son responsable. Dans

le premier document rédigé pour la présentation de mon projet - en rapport

avec mes compétences et celles que je suis susceptible d'acquérir - je

passe en revue ce qu'il est possible de travailler et de quelle manière. Plus

loin, dans une partie «!communication!» de la première présentation de mon

projet, j’ai abordé la nécessité de la transparence et du transfert des

informations concernant l'atelier et ses activités annexes pour le reste de

l'équipe pluridisciplinaire.

Ce document restait un plan à travailler, une structure qui demande essais,

réflexion, concertation, recherche, évaluation par les pairs ainsi que par les

participants. À ce moment-là, je pensais également à une méthode

d'évaluation qui devait se construire par la suite afin de permettre une

analyse des notions qui posent problème au participant de manière

individuelle et groupale.

L’activité proposait de travailler divers points du monde musical!:

‣ amener à se relaxer et à sentir son corps,

‣ différencier les notions fortes/faibles,

‣ différentiation de la hauteur, aiguë/basse,

‣ conscience qu'une note à un début et une fin,

‣ acquisition du rythme, reproduction par l'audition et par le visuel,

‣ improvisation, création musicale participative,

‣ la théorie.

22

Page 24: Les bruits qui pensent

Pourquoi développer les compétences chez

les personnes adultes handicapées, et

notamment des compétences liées en partie à

l’art!?

De nos jours, nous sommes passés d’une logique réadaptative à

l’autonomie essentiellement centrée sur la personne déficiente mentale, à

une logique de rééducation de la société sur le regard qu’elle porte à l’égard

de ces populations. Même si la grande tendance reste de porter la personne

handicapée au niveau requis pour fonctionner pleinement dans la société,

l’architecture urbaine s’adapte pour des accès et des aides plus

éclectiques.18

D’accord, des portes semblent s’ouvrir pour ces personnes - « les enfants

extraordinaires », comme les nommait le conducteur du car du centre -.

Mais, de nouvelles voies d’accès ouvertes par la société demandent un pas

en avant pour les personnes concernées, comme de nouvelles

compétences pour les emprunter à bon escient.

Je prends un exemple dans le domaine qui nous intéresse ici!; les facilités

mises en oeuvre pour accueillir les personnes dites handicapées lors de

représentations festives, je parle notamment de concerts. Certes, des

estrades se dressent, des rampes poussent au-devant des scènes

permettant un accès visuel pour les personnes en chaises roulantes et des

interprètes en langage des signes se retrouvent sur scène avec les artistes

pour une traduction destinée aux personnes malentendantes. Mais quel est

le sens d’adapter les accès s’ils ne sont pas accompagnés d’un

apprentissage à l’amour des belles choses!?

L’accès à la culture se développe pour tous, mais tous n’ont pas les

compétences de l'appréhender, d’exercer l’art de goûter à ses fruits, d’en

ressortir de quoi grandir encore et d’accéder à un mieux-être. Je suis

23

18Sociologie et déficiences – FSSEP Université Lille 2 Personnes en situation de handicap et société : les différentes thématiques

Corrine DELMAS, p19/20

Page 25: Les bruits qui pensent

personnellement convaincu que ce type d’enseignement serait bénéfique

pour tout être humain dans un processus d’acculturation.

Du savoir pour les personnes handicapées

La société actuelle tend à appréhender le savoir comme une pile d’objets à

accumuler, à penser que ce qui touche à la culture fait partie du domaine du

facultatif, d’un «!plus!» non négligeable, mais qui ne fait pas partie de la vraie

vie. Pourtant, l’amour des belles choses peut s’apprendre comme on

apprend à lire, la culture est un aspect de la vie qui peut contrebalancer celui

de la vitesse, de l’agitation, de l’urgence qui est devenu l’ingrédient

indispensable pour mieux se mouvoir dans notre monde. En gros, est-ce

perdre son temps que de jouer de la musique!?19

Non, la musique n’est pas en reste dans un processus éducatif et

socialisant.

Et, dès lors, prendre du temps pour sa pratique n’est pas négligeable.

Peut-on laisser de côté le moindre aspect de cette socialisation!? Apprendre

à savoir choisir est aussi important dans la vie, et les disciplines artistiques,

dans ce qu’elles ont de formateur dans le jugement du goût et de l'esprit

critique, ont quelque chose d’unique.20

Extrait du compte rendu d’une réunion sur la présentation de projet des stagiaires.

La directrice : « En fait, c'est un projet ambitieux, il y a beaucoup de choses. »Certaines personnes émettent leurs craintes.

D'une part, par rapport au fait que tous ne seraient pas capables d'assimiler tous les aspects de l'activité, et d'autre part, si je vais avoir le temps pour tout passer en revue.Une éducatrice : « Et qu'est ce que cela va donner après ? » Je réponds à cela que c'est aussi un apport culturel, la finalité n'est pas nécessairement « matérialisable »...

24

19L'éducation musicale, une pratique nécessaire au sein de l'écoleBrigitte Soulas

Édition!: L'harmattan 2008

20 Ibidem

Page 26: Les bruits qui pensent

Une autre éducatrice : « Moi, à mon avis, ils ne vont pas comprendre ». Moi : « c'est pour cela que ça doit être adapté ». Cette même éducatrice : « j’ai des doutes »... Alexandre, responsable de l’atelier théâtre, parle ensuite du travail testé auparavant, avec les usagers et le clavier. Que les notions vues à ce moment-là ont pu être apprises avec une expérimentation directe et qu'ils ont compris. Il dit par la suite, que la question que nous allons avoir à nous poser à un moment, c'est: « Est-ce que l'on va continuer à faire pratiquer tout le monde ? ». Il prend l'exemple d’un usager dont la partance prochaine en home ainsi que son âge avancé, ne lui permettent plus de s'inscrire dans un projet à long terme avec comme objectif, soit de jouer un rôle dans un spectacle, soit d'apprendre de nouvelles choses. Pour la directrice, ce n'est donc pas avec lui qu'il faut entamer des choses que les personnes ayant plus de potentiel sont en mesure de faire. Car il est en partance.

Utilisation du clavier maîtreLe clavier maître est le nom donné à un piano relié à un ordinateur équipé

d’un logiciel musical, qui, de par sa fonction, génère des sons divers et

variés et permet l’enregistrement, la séquence et le partage sur divers

supports médiatiques.

Support visuel

Un clavier c’est d’abord la manière la plus simple, la plus concrète de

«visualiser la musique». Il offre une appréhension21 directe dans

l'expérimentation musicale, on appuie et le phénomène sonore se produit.

La possibilité d’annoter les touches du clavier permet d’adapter la

pédagogie pour la mémorisation de mélodies et de l’emplacement des

notes.

Psychomotricité

Le clavier est un outil offrant des perspectives sur le travail psychomoteur,

notamment la précision du toucher. La concentration est un aspect

important de l’apprentissage musical important, avec le clavier, il faut se

concentrer pour jouer proprement.

2521 Compréhension en termes philosophiques : Compréhension, saisie des objets de pensée par l’esprit.

Page 27: Les bruits qui pensent

Rythme

Comme le mouvement est simple, de prime abord, l’apprentissage du

rythme peut se faire avec les touches. Le clavier est un clavier maître relié à

un logiciel, un son adéquat, de batterie par exemple, peut être choisi pour

travailler le rythme.

Enregistrement

Le logiciel permet mieux encore: l’enregistrement. Il permet l’autoévaluation

par le recul, le partage qui induit fierté et estime personnelle.

Mode relationnel avec les usagers, statut d’un

éducateur garant d’un atelier

Le problème dans la perception de mon statut était intrinsèquement lié à un

manque de rapprochement relationnel avec les personnes, à une distance

émotionnelle qui se rapprochait plus d’un rapport professeur à élève que

d’un rapport d’accompagnateur au quotidien avec ses bénéficiaires. En

effet, la fréquence hebdomadaire de mon atelier musical s’est installée au

même moment que je découvrais l’approche éducative en S.A.J.A. Elle a fait

sortir de mon champ de vision l’action globale que l’éducateur doit poser

dans les actes du quotidien au centre. L’atelier ou l’animation doit servir à

l’atteinte des objectifs de vie des bénéficiaires et non devenir l’objectif lui-

même.

Cette manière particulière d’appréhender mon statut a donné suite à un

entretien avec ma référente de stage. En bilan de cet entretien, il m'a été

donné de constater dans ma pratique qu'une place trop étroite a été

accordée à la construction de relations de confiance entre les usagers et

moi-même. Et également, qu'une réelle intégration au sein de la structure de

l'équipe pluridisciplinaire n'était pas un fait accompli.

Par rapport à cette intégration dans l'équipe, le fait de ne pas participer aux

réunions me laissait en dehors de la méthode de réflexion et de traitement

26

Page 28: Les bruits qui pensent

de cas propre à l'équipe. Mais la distance relationnelle entre les usagers et

moi a pu jouer dans un creusement d'écart entre l’équipe et moi.

Après l'entretien, il m'a semblé plus qu'évident qu'un décalage entre mes

valeurs et celles du personnel du centre s'était effectué, ou en tout cas entre

les valeurs de l'équipe et celles qui pouvaient émaner de ma pratique et de

mon comportement.

Suite à ma réflexion, je me suis rendu compte de la difficulté que j'ai eue

jusque-là à entrer en relation avec les usagers du centre. Le statut d'adulte,

que je leur reconnaissais pour la plupart sans équivoque, me mettait dans

une situation de malaise lors de certaines situations. Je prends l'exemple

d'un accompagnement dans le deuil, le réconfort d'un usager lorsqu'il

souffre de violentes crampes à l'estomac ou le contact physique lors d'une

activité en piscine. Je ne cherchais pas assez à les connaître, et à ce

moment-là beaucoup restaient encore, pour moi, de parfaits étrangers. Cela

m’a profondément interpellé.

En en ayant déjà pris conscience plus concrètement déjà la semaine

précédant l’entretien, j'ai commencé par m'installer avec eux à leurs tables

respectives lors du repas. Cela pour diner avec eux et créer des espaces de

rencontres dans un moment privilégié, une table après l'autre. Je le disais

comme ceci lors d'une conversation avec une stagiaire «!si c'était à refaire,

au début de ce stage, je demanderais des espaces de temps, ne fussent

que d'une durée de 15!min, une fois ou deux par jour, pour rencontrer

chacun, et me présenter.!» Comment aurais-je pu continuer dans une

optique de développement des compétences individuelles sans mieux

connaitre les personnes visées par ce dessein, puisque la place de

l’évaluation des capacités, de la détention de savoirs est cruciale dans la

préparation des mécanismes qui permettront le développement de

compétences!?

Les différents mondes (Stevheno et Boltanski), la double contrainte

repérée

La place de l’organisationnel joue un rôle substantiel dans la conception et le

suivi de l’atelier musical dans ce qu’il a d’inédit, et peut devenir générateur

27

Page 29: Les bruits qui pensent

de doubles contraintes pouvant être repérées en suivant une méthodologie

de l’analyse propre à cet aspect.

Détecter les enjeux qui se jouent dans l’institution en utilisant la grille

d’Ardoino22, déterminer les buts de systèmes, de missions, et les systèmes

de buts sont autant d’aspects de la méthodologie qui peuvent servir à

améliorer chez le travailleur social la vision globale de l'institution et la

détermination de sa place en tant qu’acteur parmi d’autres sur cette scène

qu’est l'institution.

Mais c’est réellement avec une approche selon les différents mondes de

Stevheno et Boltanski orientées vers l’analyse organisationnelle du Chêne

que j’ai pu voir se profiler une meilleure vue de l'institution pour finir par

détecter et communiquer le problème de double contrainte auquel j’étais

relié.

Au sein du S.A.J.A., une grande importance est donnée au fait d’être

performant, efficace et productif au sein d’un atelier pour lequel on a été

nommé responsable. Ce principe peut se vérifier selon l’époque de l’année.

En effet, une année sur deux — de manière alternative —, le S.A.J.A. met en

place la vitrine artisanale ainsi que le spectacle joué en public.

Une action globale, extra-atelier, est valorisée tout au long de l’année. Mais

au moment où la production d’objets tangibles et monnayables ainsi que le

spectacle arrivent, il est mieux vu de s’investir dans les ateliers qui

contribuent soit à la vitrine, soit au spectacle. La double contrainte résidait

en ce que l’on attendait de moi!c’est à dire davantage d’investissement dans

un rôle d’éducateur du quotidien, dans l’extra-atelier, au plus proche des

usagers dans les moments charnières, suivi d’une critique précisant qu’un

éducateur n’est pas là que pour fonctionner uniquement dans un atelier. Et

dans le même temps, on me demandait de dégager plus de temps pour

l’atelier musical afin de permettre l’avancement dans les préparatifs, les

répétitions et la conception de musiques liées au spectacle.

28

22 Une grille d'analyse qui contextualise l'action: les niveaux d'actions d'ArdoinoFace à une situation, à un événement, on a plusieurs éclairages possibles, des angles différents. La situation

pourra être résolue différemment si on l’analyse d’un autre niveauElle est constituée du niveau personnel, interpersonnel, groupal, organisationnel, institutionnel, et idéologique.

Page 30: Les bruits qui pensent

Les notions musicales de base

Extrait du carnet de bord du 5 décembre 2012

Après avoir présenté l'activité et échangé ensemble nos connaissances actuelles et nos goûts, j'ai commencé à expliquer les notions de notes fortes, faibles, longues et furtives. Qu'une note, c'est un son auquel nous avons donné un nom. Par exemple, la note de « do » est un son qui sera toujours le même, seule la hauteur (aiguë ou grave) la durée et la force changent. J'ai distribué des feuilles qui m'ont servi de support visuel à mes explications.Le clavier était disposé dans le sens vertical pour mieux appréhender cette notion de « hauteur ».J'ai demandé à tous de venir me rejoindre autour du piano, et de demander qui connaissait la gamme de « do» . Sandrine la connaissait et j'ai continué mes explications concernant la gamme, le nombre de notes qui sont présentes dedans, etc.J'ai commencé les exercices pratiques en rapport aux différentes notions citées plus haut. Je leur ai aussi demandé de me retrouver les différents « do » sur le clavier.

Ensuite, nous avons commencé l'improvisation en mettant en pratique les notions vues précédemment avec, en plus, celle du jeu en groupe. En effet, lors des improvisations, et cela sans l'avoir expliquer, ils suivaient ma façon de jouer. C'est-à-dire que si je jouais plus fort, ils jouaient plus fort, pareil pour la vitesse de jeu.Moi à la guitare, eux au piano ou chacun au piano, les impros ont permis de mettre en pratique les notions en s'amusant et en ayant des résultats concrets. Elles ont permis aussi d'approfondir la notion de sentiments ainsi que les façons de jouer selon que l'on veuille faire quelque chose de gai ou pas.

L’improvisation

À l'aide d'un clavier maitre relié à un ordinateur équipé d’un programme de

séquence musicale, il était possible, sur base d'une piste audio en tonalité

do majeur - car la gamme complète du do majeur est contenue dans les

touches blanches du clavier - , de faire improviser des mélodies aux usagers.

L'exercice, même s’il avait une finalité ludique et participative, avait

néanmoins comme idée de fond de permettre aux personnes de

comprendre la mécanique de l'intégration d'une mélodie sur fond musical, et

peut-être de parvenir à transposer cette mécanique lors du chant.#

29

Page 31: Les bruits qui pensent

Extrait du carnet de bord du 11 décembre 2012

Ce lundi après midi, alors que la quasi totalité des usagers a été réquisitionnée pour décorer le sapin de Noël, Sandrine, elle, est venue dans le grand salon où je me trouvais pour faire quelques réglages au clavier maitre.

Je jouais quelques morceaux au piano, Sandrine s'est mise à côté de moi et a écouté. J'ai commencé de manière informelle à lui demander de me trouver une mélodie sur le clavier, en lui rappelant les concepts vus avec elle jeudi dernier. Au final, elle a trouvé une mélodie, 4 notes, il n'en fallait pas plus. Je lui ai retranscrit les notes (Si Mi-Ré Sol), et elle a travaillé à les reproduire. J'utilisais un marqueur effaçable pour lui faire des repères sur les touches, mais Sandrine est capable de me retrouver n'importe quelle note excepté les dièses.

Cette mélodie a été intégrée et jouée en « live » avec un groupe de 2 accords que je jouais, puis enregistrée. Sandrine a ensuite ajouté les notes de violon et de basse, et je lui ai envoyé par mail la version finale. Sandrine était très fière du résultat et elle a dit que cette musique lui donnait beaucoup d'émotions.

La difficulté d’adaptation à un groupe

Le projet de pratique musicale a été mis en place dans le but de pouvoir

favoriser les compétences de chacun. La composition musicale de mélodies

permet aux usagers de développer leur sensibilité artistique, le travail en

équipe, le respect de l'autre, la socialisation, la découverte culturelle, la

psychomotricité, etc. Mais je remarquais que tous n'avaient pas la possibilité

de développer leurs compétences. Cela était dû - en partie - au fait que le

travail de composition musicale ne pouvait se faire que soit par séquences

individuelles, soit par groupe de deux maximum. Et que certains ne

disposent pas des ressources nécessaires pour utiliser les outils à

disposition dans le but de développer leurs compétences.

Projet de Pataphonie

La Pataphonie est un mot employé pour désigner un lieu dédié à la création

d'un environnement sonore inattendu et improvisé, produit via des

instruments inventés et le plus souvent fabriqués avec des matériaux de

récupération.

30

Page 32: Les bruits qui pensent

La pratique de la Pataphonie, ainsi que la conception des instruments qui y

en font partie, me donnait l’occasion d'utiliser la démarche de projet au

service du développement des compétences.

Bien sûr, le projet permettait de faire le point sur certaines lacunes au niveau

des savoirs, des capacités et des ressources plus normatives23. Cette

posture d'analyse critique sur les manques que certaines personnes peuvent

avoirs (posture qui peut être autocritique) devenait alors le point de départ de

la construction de compétences en parallèle avec le développement de

celles déjà existantes. Les compétences pouvaient être développées si

l'expérience était réelle, mais aussi si la personne estimait avoir de bonnes

raisons de vouloir mieux faire. L'objectif du projet devait donc être attractif.

La démarche de projet24

Je désirais suivre l’exemple donné dans le document de travail de Perrenoud

qui dit qu’un projet est une entreprise collective gérée par le groupe et

l'éducateur où l'éducateur anime, mais ne décide pas de tout.

Le projet est une entreprise qui s'oriente vers une production concrète

(artisanale, création artistique) et qui induit un certain nombre de tâches dans

lesquelles tous les usagers pourront s'impliquer et jouer un rôle actif qui peut

être adapté en fonction de leurs moyens et intérêts. Ces tâches doivent

s'inscrire dans une dimension collective qui les relie les unes aux autres.25

31

23 Des attitudes, des valeurs, des normes, des règles intériorisées, un certain rapport au savoir, à l'autre, au pouvoir.

24Mettre les démarches de projet au service du développement de compétences!?Philippe Perrenoud

Document de travail pour le séminaire de recherche de LIFEFaculté de psychologie et des sciences de l'éducation

université de Genève 2003

25 ibidem

Page 33: Les bruits qui pensent

Mes objectifs dans le projet «!Pataphonie!» rejoignaient conséquemment les

exemples cités dans le document, avec toutefois une redirection se

rattachant à la réalité du centre:

‣ entrainer la mobilisation des savoirs et savoir-faire acquis,

construire des compétences, en développer d'autres;

‣ donner à voir des pratiques sociales qui alimentent le sens des

savoirs et des apprentissages;

‣ découvrir de nouveaux savoirs, de nouveaux horizons, dans le

but de sensibiliser ou de motiver;

‣ placer les personnes devant de nouveaux obstacles qui ne

pourront être franchis que par de nouveaux apprentissages;

‣ permettre d'identifier des acquis ou des manques dans une

perspective d'évaluation bilan ou d'auto-évaluation;

‣ développer la coopération;

‣ développer l'autonomie dans les choix et les idées à développer.

Les freins

L'une de mes craintes concerne un problème assez classique dans le

déroulement d'un projet en collectivité. C'est le fait que ce sont souvent les

personnes les plus avancées qui vont vivre le projet comme un défi

personnel, les personnes en difficulté pourraient être indifférentes aux

pratiques et préférer les tâches familières, bien délimitées, où l'on ne prend

pas trop de responsabilités et que l'on peut accomplir comme un automate.

Le dilemme entre les deux logiques, vu dans sa modification explicitée plus

haut était à prendre en compte également. Je prends une question qui pose

un problème concret!:

« Que fait l'éducateur durant l’atelier!? »

a. il est au centre de la démarche, tout s’organise autour de lui,

b. il observe, conseille, joue le rôle de médiateur ou de personne

ressource.

32

Page 34: Les bruits qui pensent

Ici, le souci est de pouvoir rencontrer l'objectif de professionnalisation qui

impose un cadre et une instance supérieure, tout en laissant l’opportunité à

chacun de prendre des initiatives en autonomie et de gérer son

environnement.

Ou encore: quel type de bilan fait-on à la fin!?

a. on évalue la réussite, la satisfaction des autres extérieurs au projet,

b. on analyse la démarche, on cherche à expliciter ce que chacun a

appris26.

À nouveau, le dilemme que l'objectif de professionnalisation et du

développement de compétences, de l’autonomie et d'apprentissages

suivant le rythme personnel de chacun est réel et vient rendre plus complexe

la construction d'un bilan d'évaluation basée sur des objectifs qui ne se

contredisent pas. En ayant pris connaissance du concept de la démarche de

projet, j’ai pu, après avoir fonctionné sans l’appliquer, choisir une manière de

travailler qui naviguait entre les deux logiques en transformant les diverses

activités du projet — comme l’improvisation, le travail sur les émotions

expliquées ci-dessous — des sortes de sous-projet dans lesquels je pouvais

fonctionner selon tel ou tel principe cité dans le tableau du dilemme.

Une fois les instruments fabriqués, dans cette optique de balancement entre

les deux logiques, ils offraient la possibilité de parfaire certains savoirs sur la

musique et le phénomène sonore!; le bois vibre et produit un son, le son

diffère suivant le type de bois et la longueur de la planche, etc.

Plus techniquement, la pratique de la Pataphonie permettait d'appréhender

une autre notion musicale - ma foi commune à d’autres domaines de l’art

comme le cinéma, le théâtre et autre - qui est celle de la prise de conscience

qu’une musique à un début, un milieu et une fin.

Pour savoir comment elle le permet, il faut d’abord savoir comment se

déroule une séance de Pataphonie.

3326 Ibidem

Page 35: Les bruits qui pensent

Un «chef Pataphon» est désigné: il aura la tâche de choisir quels instruments

débuteront la musique, lesquels seront conjugués à d’autres par la suite,

pour finir par être arrêtés successivement suivant son choix. Avec comme

règle de faire ressortir le début, le milieu et la fin du morceau. Chaque

Pataphoniste interprétera le rythme et les notes de son choix tout en tentant

de maintenir une certaine cohérence dans l’ensemble, c’est l’aspect plus

groupal et communicatif qui rentre ici en jeu.

La place réservée à l’émotionnel

Suite à l’entretien et à ma remise en question, ma réflexion m’a mené vers

d’autres questionnements!: quelle place pourrai-je laisser, dans le cadre

de l'atelier que j'anime, au développement de compétences

émotionnelles, aux interactions externes au projet se produisant au

sein du groupe de participants!?

Si un projet est lancé, il est soumis à des impératifs de résultats; que ceux-ci

soient d'ordre matériel ou éducatif nécessite malgré tout de gérer l'ensemble

des participants pour que l'atelier ne se transforme pas en groupe de parole.

Car, l'interruption – intempestive ou non – de l'activité pour exprimer les

ressentis en cours rentre en inadéquation avec l'objectif de

professionnalisation qui vise à faire évoluer les usagers dans un cadre

règlementé faisant référence à un régime de travail classique. Cela ralentit le

projet et bloque certaines actions éducatives initialement visées par la mise

en marche du projet.

Néanmoins, nous ne nous trouvons pas dans une classe ou un milieu

réellement professionnel qui préconise une démarche d'intériorisation sur les

émotions liées aux événements extérieurs faisant partie de la vie privée. À ce

moment-là, je voulais donc rendre possible l'émergence des affects

personnels de ceux qui le souhaitent ou en ressentent le besoin au sein de

l'activité musicale.

Développement de l’affectivité, la compétence émotionnelle

La compétence émotionnelle, c’est savoir distinguer ses émotions, les

comprendre. C’est savoir davantage analyser d’où elles viennent, par quoi 34

Page 36: Les bruits qui pensent

sont-elles déclenchées. C’est aussi mettre les bons mots sur ce que nous

vivons.

«!ce que nous remarquons, nous le nommons!»(Daniel Goleman, l’intelligence émotionnelle — volume 1 — Édition j’ai Lu — 7130/M)

Par la musique, sa pratique et son écoute, je prétendais ouvrir des voies

d’accès entre l’émotion que suscite une oeuvre musicale et l’affectivité27 des

personnes.

Les différents sons, les timbres, les intensités, les rythmes: tous ces aspects

qui composent l’oeuvre musicale pouvaient être autant de catalyseurs

d’émotions que la langue française elle-même n’aurait pu décrire avec autant

de finesse que ce que le phénomène sonore impulse chez les Êtres qu’il a su

toucher28.

Mais comment procéder!? C’est à ce moment-là qu’en vue de pouvoir au

mieux organiser mes prochaines séances de pratique musicale, j'ai

rencontré Véronique, la psychologue du S.A.J.A. Mon but était de pouvoir

discuter avec elle de la meilleure façon d'aborder un travail sur le

développement d'une compétence émotionnelle chez les usagers du centre.

Je lui ai communiqué mon idée d'utiliser des pictogrammes ou des photos.

Elle m'a parlé du fait qu'elle avait à disposition du matériel prévu à cet effet

comme des dessins de personnages en pieds représentant les émotions et

qu’elle avait elle-même entamé ce travail dans un autre centre. À ses yeux, le

développement d’une compétence émotionnelle chez les personnes

handicapées est un domaine d’action éducative trop peu exploité.

Malheureusement, il s’est avéré que son matériel éducatif ne convenait pas

pour tous les usagers.

Les ayant testés, et m’étant rendu compte de la difficulté de certains à

repérer l’expression d’une émotion dans un personnage vu en entier, j’ai

35

27 L’ affectivité est comprise dans le sens de ce qui lie à la fois le corps le sentiment et l’esprit. l'affectivité est nourrie par sa réceptivité et ses réactions au monde réel environnant : tiré du livre «Entre le cri et la parole,

écoute, éducation, musique. Une pédagogie du pianoEdith hiltbrand-Andrade

Édition!: Georg 2008, édition médecine et hygiène, département Georg

28 Entre le cri et la parole écoute, éducation, musique. Une pédagogie du piano - Edith hiltbrand-Andrade

Page 37: Les bruits qui pensent

décidé de confectionner des cartes à partir de dessins existants de visages

exprimant des émotions de façon plus claire.

Entamer un travail sur les émotions avec les bénéficiaires

Dans un premier temps il nous a semblé - à Veronique et moi - utile de

travailler sur les quatre émotions de base. Rien n'empêchant de les

approfondir plus tard.

Les quatre émotions de base sont la joie, la tristesse, la peur et la colère.

Plusieurs choses nous ont semblé être importantes à prendre en compte

dans la préparation d’exercices visant au développement de la compétence

émotionnelle!:

1. pour certains usagers, il est difficile de différencier les notions de plaisir

et de déplaisir, il est donc intéressant, par le biais de la musique,

d’engager un dialogue individualisé après écoute sur les ressentis des

personnes;

2. la notion d'ouverture d'esprit doit être abordée pour permettre un

accès aux sentiments et aux émotions pouvant être perçu dans de

nouvelles écoutes musicales;

3. si une personne mélange musique et sentiments pour le chanteur

(fétichisme), c’est intéressant de l’aider à différencier ces deux aspects,

ce sont deux mondes différents. Il faut réfléchir sur les modalités qui

permettent d’amener la personne à s'ouvrir à l'écoute d'une musique

où son chanteur favori ne rentre pas en ligne de compte (objectivé

l’écoute, le choix);

4. il est important de demander quel est le ressenti dans le corps et dans

la tête lors de l'écoute de la musique pour dégager des affects

concrets;#

5. il faut bien s'assurer que les exercices proposés sont compris, et la

compréhension qu’ils en ont réellement;

6. il faut cadrer les choses lorsqu'on parle de ressentis personnels:

sensibiliser au respect de la parole de l’autre et à la confidentialité qui

doit être inhérente dans le cadre de ce type d’exercice.

36

Page 38: Les bruits qui pensent

L’animation

L’exercice se déroule comme suit!: une composition musicale sélectionnée

pour son panel d’intentions variées est jouée dans la salle. Pendant ce

temps, les participants déposent une image qui représente le mieux

l’émotion qu’ils ressentent au moment même où ils la perçoivent. S’ensuit un

dialogue qui revient sur les différentes étapes qui ont constitué l’exercice

durant l’écoute. Ensuite on fouille, on verbalise, on vulgarise, on tente de

construire du savoir sur les intentions musicales de l’auteur: Qu’est-ce qu’un

accord dit «!triste!» ou «!joyeux!», «!mineur!» ou «!majeur!». Cela permet

également de faire participer tout le monde en même temps.

Pour construire ces savoirs qui deviendront les soubassements d’éventuelles

compétences, il fallait trouver une manière de faire intervenir le corps, la

pensée et l’émotion, le tout en un même acte, afin d’assimiler les choses, de

parfaire notre mémoire collective...

Compétence émotionnelle et communicative

Extrait du carnet de bord du 2 janvier 2013

Sandrine fait une remarque alors que Daniel joue sur le piano avec un son de violon à la 7e octave : « ça fait mal aux oreilles ». Daniel s'est retourné et est sorti de la pièce. A mes yeux, il semblait vexé. Dans les faits, il m’a expliqué, devant Sandrine, que ça l'embêtait qu’elle ait une réaction négative envers lui alors qu’il joue. Lors d'un déplacement latéral du groupe pour mieux se positionner devant le micro, Daniel est sorti de la pièce...

37

Page 39: Les bruits qui pensent

...Il m'a expliqué que Philippe lui avait dit de se bouger. Je lui ai expliqué que c'était suite à ma demande, qu’il peut venir expliquer à Philippe que la façon dont il lui a demandé était peut être vexante pour lui. Je lui explique que je préfère qu'il me dise dans la salle ce qu'il l'embête. Il répond « OK » et me rejoint dans la salle. Il explique à Philippe qu’il a été embêté qu’il lui dise sèchement de se bouger, Philippe s’est excusé, et Daniel aussi pour être sorti.

En lien avec la communication et la découverte d’émotions, de sentiments,

une critique de l’axiome numéro 129 de la systémique émise par Mr Thomas

dans un cours de sociologie de la communication - de «!il est impossible de ne

pas communiquer!» nous passons à «!il est impossible de ne pas interpréter!» - a retenu

mon attention et porté à mon esprit la question suivante en lien avec mon

sujet!:

Qu’est-ce qui peut être véhiculé, compris ou construit de manière

mutuelle, consciente ou non, dans le lien se produisant entre un

exécutant musical et un auditeur, voire entre deux co-exécutants!?

Pour Alfred Schütz30, dans son livre «!faire de la musique ensemble. Une

étude des rapports sociaux.!» Le lien entre l'exécutant et l'auditeur ainsi que

celui entre deux co-exécutants tombe sous le joug de la définition du lien

social selon Weber — «!le comportement d’une multiplicité de personnes

qui, selon leur définition subjective, sont mutuellement concernées et

orientées en vertu de ce fait!». — Le problème est que de la part de

l'auditeur, la co-exécution de la démarche polytétique31 n'est qu'une activité

interne, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'interaction avec l'exécutant ou les

autres auditeurs. Mais l'auditeur peut interpréter les aspirations que les

exécutants ont placées dans leur composition et leur jeu, si tant est qu'ils en

aient placé.

38

Il est impossible de ne pas communiquer: toute parole, tout silence, tous gestes conscients ou non, tous gestes volontaires ou non, réussis ou non a/ont une valeur de communication puisqu’il a un effet sur le comportement des autres. Cours de systémique de Madame Claessens, enseignante à l’IPFS de Namur et psychologue.

10 « FAIRE DE LA MUSIQUE ENSEMBLE. UNE ÉTUDE DES RAPPORTS SOCIAUX » Auteur : Alfred Schütz De Boeck Supérieur | Sociétés 2006/3 — no 93

31 La co-exécution de la démarche «pas à pas» de l’oeuvre musicale: Alfred Schütz veut dire par là que l’auditeur d’une oeuvre musicale ré-exécute l’oeuvre en temps réel dans une démarche interne, car une composition ne peut se contempler dans un positionnement «meta» comme un livre qui, chapitre après

chapitre, nous fournit une vue d’ensemble des concepts explicités. Ecouter la musique, c’est l'exécuter dans sa tête pendant que le musicien l'interprète, c’est la co-exécution.

Page 40: Les bruits qui pensent

Lorsque l'exécutant place une action orientée vers le monde externe, c'est

qu'il est en rapport avec la pensée de l'auteur – par ce que l'auteur a pu

transmettre par l'écriture musicale – et son rapport avec les auditeurs.

Pour Alfred Schütz, et je cite!: «!Toute communication possible présuppose

un rapport de “syntonie” entre celui qui fait la communication et le récepteur

de la communication.!» Ce qui nous ramène au fait que si une des deux

parties n'a pas dans ses intentions de communiquer quelque chose, l'acte

de syntonisation ne peut que difficilement se faire. On peut alors considérer

que l'interprétation de l'expression qu'un auditeur peut faire de ce qu'il reçoit

n'est pas toujours voulue comme telle par l'exécutant.

Cela nous fait revenir à la critique émise sur l'axiome 1 de la systémique

«!On ne peut pas ne pas interpréter!». On ne peut pas empêcher le passage

d'une expression de se produire et même si cela n'a pas été décidé par

l'émetteur. Nous laisserons donc la légitimité aux différents auditeurs d'une

oeuvre musicale de ressentir de la tristesse ou de la joie indépendamment

de la visée de l'auteur et/ou de l'exécutant, car la musique peut ne pas avoir

l’intention de communiquer mais elle est difficilement ininterprétable.

Et c’est justement là que le savoir demande à être construit autour des

intentions en musique. Comment l’auteur fait-il passer la tristesse, la joie, la

peur ou la colère dans sa composition!? Si nous passons en revue les

techniques utilisées, si nous les expérimentons, alors nous les assimilons.

Dans un groupe, la mémoire - d’abord individuelle - peut devenir collective et

permettre à tous d’avoir un langage commun et de mettre des mots sur les

émotions pour tenter de traduire au plus juste les ressentis occasionnés par

la musique. La compétence permettant le passage d’une introversion

émotionnelle vers une extraversion peut être travaillée par le biais d’écoutes

musicales. Cette écoute se doit d’être conjuguée avec un dialogue créant le

lien avec un vécu (voire créer un vécu), une expérience sensible directe des

concepts (on touche le piano et le phénomène sonore se crée), l’utilisation

du corps et de la voix dans l’expression des émotions, l’amusement, le

respect et une relation de confiance.

39

Page 41: Les bruits qui pensent

Mémoire collective, bande-son du spectacle

Dans le cadre de l’atelier théâtre, un exercice a été proposé aux personnes

du groupe texte par Alexandre. Il consistait en la formation d'un cercle avec

les chaises où les usagers devaient s’asseoir.

Ils devaient regarder durant 5!min une boite posée à terre au milieu du

cercle, et devaient imaginer ce qu'ils pourraient mettre dedans, comment

était la boite, etc.

Je me suis aperçu qu'ils avaient beaucoup de difficultés à imaginer les

choses, comme s’ils pensaient qu'il y avait une réponse vraie, mais qu'ils ne

la connaissaient pas, que l'imaginer, l'inventer dérogeait à une règle.

Pour la composition de bandes-son qui serviraient au spectacle de la

compagnie l’arc-en-ciel, il fallait faire preuve de créativité, d’imagination.

Pour créer une mélodie jouée pour un numéro de funambule, il faut visualiser

la légèreté des gestes, la tension de la corde, le mouvement des artistes, les

palpitations de la foule durant cette délicate manifestation d’équilibre, le

romantisme de la rencontre entre deux fildeféristes qui se rejoignent partant

de chaque extrémité du cordage tendu pour eux.

Alors, comment amener chez chacun un espace de représentation, cette

mémoire collective qui saura catalyser l’inspiration pour une création venue

de l’intérieur et dirigée vers le monde extérieur dans un substrat plus

évocateur que s’il avait été exprimé dans la langue de Molière!?

La composition de musiques de film

Pour créer un tel espace, il faut des référents, comprendre, analyser,

appréhender des oeuvres déjà existantes!; en quelque sorte créer un vécu

artistique ressenti.

40

Page 42: Les bruits qui pensent

Extrait du carnet de bord du 10 janvier 2013

(...)Ph. m'a parlé d'un film muet de Dracula datant de 1920 alors que je leur faisais écouter des musiques de films d'horreur. Il m'a donné l'idée de composer avec lui une musique qui conviendrait pour une scène dans « Dracula, le prince des ténèbres ». Ph a fait du bon travail en inventant une mélodie sur un fond de violons en Do mineur. Nous avons ensuite joué une scène de cinéma muet où Dracula arrive par derrière sa victime et tente de la vampiriser.Deux scènes similaires ont été jouées : une avec L. (Dracula) et Ph. (la victime) et une autre avec P. (Dracula) et A. (la victime) La musique de Ph. a été rajoutée aux séquences vidéo et elle a ainsi été mise en valeur.

J'ai tenté de faire passer par la pratique et l'aboutissement d'une idée, le fait que la musique sert de support aux émotions jouées dans les films. Que la musique elle-même peut faire passer des émotions et des sensations.

Par là, je pouvais donner un exemple de référence commune - tout le monde

connaissait Dracula - et lancer un brainstorming avec la question de ce que

représente Dracula pour eux. Avec leurs idées, leurs représentations, je leur

donnais des exemples musicaux qui donnaient le ton approprié à une

situation angoissante, macabre, fantomatique, etc.Je donnais un exemple de

scène jouée dans le film!: Dracula s’approche de sa victime qui ne se doute

de rien, ambiance noir et blanc, film muet, image torturée d’une vieille

caméra, brouillard et action!!

Les explications conjuguées avec une expérimentation sensible sur clavier

ont permis à Ph. de composer une mélodie qui collait avec le thème.

Une fois la mélodie composée, je rajoutais les accords rythmiques et les

rôles étaient distribués pour jouer la scène qui serait filmée. Les références

collectives étaient créées, le groupe savait de quoi il parlait en termes de

musique de film d’horreur.

« Dans le cours de mon éducation musicale, on a méconnu la puissance et

l’efficace influence de ces éléments. »

Louis-Alphonse Holtzem, Bases de l’art du chant : traité théorique et pratique, Gallica

41

Page 43: Les bruits qui pensent

Extrait du carnet de bord du 11 décembre 2012

Les ateliers et leurs horaires se sont petit à petit réorganisés pour donner place à une structure plus précise et plus rigoureuse que les jours suivant la vitrine et les vacances. Au final, mon activité musique se déroule le jeudi matin, et pour l'après-midi je suis redirigé vers d'autres ateliers, tout ceci est consigné dans mon horaire personnel de stage. Le thème du spectacle qui sera présenté pour novembre 2013 a été défini. Ce sera le thème du cirque, et plus précisément la vie au sein du cirque. Pour le reste, les choses sont encore au niveau de la construction et de l'écriture.Et par rapport à ce thème, au sein de mon activité, je travaille des compositions de bande-son qui pourraient être utilisées pour le spectacle. Je travaille avec les usagers qui me donnent les idées et créent les mélodies eux-mêmes. Ainsi S. a-t-elle composé avec moi la musique pour un spectacle de funambule (mélodie vraiment impressionnante tant les concepts musicaux vus auparavant ont été utilisés à bon escient), D. une musique pour grande parade de cirque et L. une musique pour un numéro de prestidigitation.Ce jeudi, j'ai continué le travail ayant été entamé dans ce sens. A. a joué une mélodie que je lui ai apprise suivie d'une improvisation.

Définition d'objectifs particuliers pour chaque

bénéficiaire

Par la suite, chemin faisant, il me fallait déterminer plus précisément des

objectifs pour chaque participant de l’atelier en vertu des observations et des

besoins exprimés par les personnes, de la concertation avec l’équipe

éducative et des entretiens avec la psychologue.

Les objectifs définis pour chacun

Voici un exemple de définition d’objectifs individualisés basés sur les

préceptes de concertation vus précédemment!:

S!:

Travailler sur l'écoute objective, justifier ses choix et ses goûts.

Elle a bien sur le droit d’adorer son chanteur favori, mais cela n'empêche

pas d'écouter d'autres choses, ou d'apprendre à aimer, d'essayer, faire

preuve d’ouverture d’esprit.

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Page 44: Les bruits qui pensent

D!:

Difficultés par rapport à la susceptibilité, à la concentration pour gérer ses

émotions. Il faut le rassurer.

Travailler sur la concentration, qu'il s'applique réellement à une tâche

jusqu’au bout.

P!:

Limiter son temps de parole par rapport aux autres.

Son débit de parole traduit une anxiété.

Travailler sur son débit de parole en lui faisant exprimer son ressenti sur le

rythme d'une musique pour lui permettre de relativiser, de s'amuser en

apprenant à limiter son débit de parole pour se faire comprendre plus

efficacement.

L!:

Travailler sur la mémoire auditive. L'aider à retenir des choses pour entrainer

sa mémoire en apprenant les choses en chanson.

À!:

Relaxation, travailler les gestes calmes et précis.

F!:

Expression des émotions, définir ce qu'il se passe en lui.

Gestion de sa voix!: Il a peur d'avoir la même voix que son père qui crie fort.

C’est par l’observation, la concertation, par tâtonnement que ces pistes

d’actions ont pu s’établir. Dès lors, comment définir au préalable des

objectifs pour la présentation d’un projet en institution, si je suis convaincu

que c'est par l'expérimentation et l'observation du 'quotidien' interne à

l’atelier que je peux définir les objectifs cohérents par la suite!?

La détente par l’écriture

Avant d’avoir organisé en groupe l’activité autour des émotions de base, j’ai

été confronté à une situation qui a permis, à une bénéficiaire et à moi-même,

de trouver comment utiliser la musique pour calmer une angoisse de

manière individualisée. Pour le récit de la situation, j’utiliserai un prénom

d’emprunt pour respecter l’intimité de cette personne!; nous l'appellerons ici

Marie.

43

Page 45: Les bruits qui pensent

Marie est usagère du centre «!le Chêne!» depuis 10 ans. Elle est porteuse du

syndrome de Williams32. Elle est cependant capable de beaucoup de

choses, notamment de lire et d'écrire, de verbaliser ce qui se passe en elle

avec un peu d’aide. Elle venait de perdre son père à peine une semaine et

demie plus tôt, quand je l’ai trouvée en pleurs, tremblotante, disant que

c’était trop injuste et déjà entourée de deux éducateurs. Il fallut un peu plus

d’une demi-heure pour que Marie se sente un peu plus calme, mais elle

ressentait toujours une angoisse latente au fond d’elle. J’ai eu une idée, je lui

ai proposé de venir avec moi dans la salle de théâtre - où se déroulait

également l’atelier musique des jeudis matin - au calme, et de faire un

exercice avec de la musique. L’exercice était de coucher sur papier les

émotions qui découlaient d’elle sur fond musical relaxant. L’idée la tentait, les

éducateurs étaient d’accord pour qu’elle essaye. Marie m’avait déjà parlé

d’un livre qu’elle était en train d’écrire et ô combien cela lui faisait du bien

d’expliquer les choses en les écrivant, de partager son vécu par le papier. Je

me suis donc dit qu’il y avait là un outil lui permettant de re-fixer les choses,

de prendre du recul tout en extériorisant ses émotions. Marie a choisi une

musique dans ce que je pouvais lui proposer, et je l’ai laissée seule, une

demi-heure dans ce calme accompagnée de la musique. Après ce laps de

temps, je suis retourné vers elle, et nous avons discuté de ce que cela lui

avait apporté ou non, dans quelle mesure elle voudrait recommencer si à

nouveau des angoisses survenaient. Marie m’a dit que cela lui avait fait

beaucoup de bien. Elle m’a expliqué qu’au début elle écrivait les premières

choses qu’elle ressentait par rapport à la douleur de la perte de son papa,

que par la suite elle s’était évadée et imaginait des choses que la musique lui

faisait voir.

Feedback de « Marie » sur les émotions avec la musique

« Les émotions sur la musique, moi j’ai beaucoup écrit, j’ai beaucoup aimé m’imaginer et fermant les yeux et en écoutant la musique ce que je ressentais. Et c’était chouette pour moi d’écrire ce que je ressentais. Je me croyais parfois au Texas ou en Afrique quand on écoutait la musique ça nous parlait beaucoup. Et je vais continuer ça pour me détendre aussi. »

« Quand la musique s’arrêta, elle remua les paupières plusieurs fois, comme

si elle sortait d’un songe ».Gustave Flaubert, l’Éducation sentimentale, ABU, la Bibliothèque universelle

44

32 Le syndrome de Williams est une maladie génétique chromosomique monosomique liée à la perte d’un petit fragment d’un chromosome (microdélétion) qui associe un déficit intellectuel, une malformation du cœur et des

caractéristiques physiques et comportementales particulières. Un retard de croissance est aussi fréquent

Page 46: Les bruits qui pensent

La relaxation autonome, une compétence pour calmer

l’angoisse, gérer ses émotions

Bien sûr, le système permettait à Marie de pouvoir pratiquer l’exercice seule,

du moment qu’elle disposait de musique, de papier et de quoi écrire. C’est

donc par la création de savoirs sur la musique et ses intentions

interprétables que la compétence utilisant ces savoirs fût catalysée afin de lui

permettre de faire face à l’adversité, en l'occurrence à s’adapter à une

situation de mal-être insoutenable.

Le transfert du savoir d’un usager aux autres

Chacun peut trouver une manière bien à lui de gérer ses émotions, le

partage de ses propres «!trucs!» avec les autres personnes peut être vecteur

de valorisation, d’estime personnelle. Pour les autres, ce partage qu’ils vivent

peut leur donner la perspective d’une autonomie dans la gestion de leurs

émotions.

Pour expliquer comment j’en suis arrivé à cette conclusion, je vais utiliser

l’exemple d’une expérimentation faite un jeudi matin!; exemple fort à propos

puisqu’étant le point de départ des mes allégations.

Ce jeudi matin là, honnêtement, je ne savais pas quoi faire. Mais j’avais

néanmoins l’envie de surprendre en improvisant à mon tour (comme quoi

cette discipline n’est pas exclusivement réservée au domaine musical). Je

suis parti du principe que, ne sachant pas quoi faire, ce serait un usager du

groupe qui animerait l’atelier en faisant de moi un participant.

Je savais que S.R. faisait du yoga, et je savais qu’il aimait ça. Mais

pourquoi!? Qu’est-ce le yoga et comment le pratique-t-on!?

Moi!: «!S.R., tu vas animer l’atelier aujourd’hui, enfin, si ça marche pour

toi!!!»

S.R.!: «!Oui c’est ça, je ne sais pas faire ça moi, et puis comment!?!»

Moi!: «!J’aimerais que tu partages tes connaissances en terme de yoga, que

tu nous fasses un cours de yoga comme toi tu les vis et nous expliquer ce

que ça t’apporte à toi!»

45

Page 47: Les bruits qui pensent

S.R.!: «!Bon allez, d’accord, je veux bien!»

Moi!: «!Et tout le monde pourra partager ce qu’il a envie les prochaines

séances, mais avant tout S.R., n’y a-t-il pas de la musique lors de tes

séances de yoga!?!»

S.R. «!Si!»

Moi!: «!Donc, je reste dans mon domaine de compétence, je vais passer de

la musique de relaxation, dis-moi quand tu en entendras une que tu

estimeras la plus adéquate.!»

(...)

La musique a été choisie, les tapis disposés, les lumières tamisées, les

chaussures enlevées!; ok, tout était prêt, et les autres et moi avons suivi un

cours de yoga et constaté de quelle manière S.R. se détendait, gérait son

stress et ses tensions musculaires.

" "

Forme de l'atelier à terme des expériences"

Les objectifs fixés permettaient d’entamer un travail personnalisé pour

chaque usager dans le cadre de l’atelier de pratique musicale. Je désirais

développer un moyen qui me permettait plus facilement de me remettre en

question personnellement au fil de l’évolution de l’atelier, et de donner la

possibilité aux usagers d’avoir une posture critique et autocritique autour des

événements intra-ateliers.

J’ai donc mis en place des fiches d’évaluations/observations qui devaient

être remplies chaque jour en fin de séance afin de constituer un dossier pour

chaque bénéficiaire concernant leur participation et évolution à l’atelier de

pratique musicale.

46

Page 48: Les bruits qui pensent

Fiche d'observation et d'évaluation

Atelier: MusiqueUsager:Marie (ici, prénom d'emprunt)

Date: 07/03/13

Attitude en général durant l'atelier Marie est souvent présente, concentrée et volontaire. Elle demande souvent aux autres de se taire s’il y a un peu de chahut. Elle exprime beaucoup le plaisir qu'elle a d'écouter de la musique, elle est souvent la première à danser, à fermer les yeux pour mieux l'apprécier et l'écouter attentivement.En général, Marie est demandeuse pour s'essayer au piano. Je remarque qu'elle a des difficultés à gérer les mouvements précis avec ses doigts, elle tremble, ses doigts sont raides et elle peut vite ressentir un énervement/agacement quand elle ne parvient pas à quelque chose. Cet énervement est, je pense, traduit par un secouement des mains et des tapotements avec ses pieds sur le sol.Objectifs visés en particulier via l'atelier • Relaxation• Travailler les gestes calmes et précis.Observations d'après la première séance sur l'écoute musicale et les émotions ressenties Lui ayant proposé une fois auparavant d'écrire ce qu'elle ressentait sur de la musique, car elle se sentait mal en repensant au décès de son père, j’ai voulu lui proposer de continuer sur cette lancée avec l'exercice des émotions. Marie préférait écrire plutôt que d'utiliser les images (la proposition a été faite aux autres, mais ils préféraient tous utiliser les images). Elle m'a dit que cela lui faisait beaucoup de bien, et qu'elle devrait le faire chez elle.Évolution dans l'atelier La relaxation est obtenue par ces séances d'écoute musicale où je lui demande d'écrire ce qu'elle voit, ce qu'elle imagine et ce à quoi elle pense pendant la musique. Cela semble l'aider pour se calmer et relativiser les choses.

Pour la gestion des mouvements précis avec ses doigts, le travail est en cours, l'évolution n'est pas très perceptible au niveau du développement de cette compétence, cependant elle exprime moins d'énervement/d'agacement quand elle rencontre une difficulté.Hypothèses/pistes d'action Continuer dans cette optique en essayant qu'elle exprime ce qui se passe en elle durant les phases d'angoisses et les phases d'agacement.

47

Page 49: Les bruits qui pensent

Ces fiches étaient transmises en copie pour le restant de l’équipe et

permettaient un suivi régulier facilitant les remises en question et les

évaluations.

Aujourd’hui, les personnes ayant participé à l’atelier gardent comme trace un

CD gravé pour eux, celui-là même remis en copie - avec leurs accords

préalables - avec ce travail.

Ce disque est un addendum pour la conclusion qui suit, le post-scriptum

que je laisse au lecteur de ma recherche et l’aboutissement d’une

expérience menée sur le terrain m’ayant entre-autre permis de faire des

rencontres humaines formidables. Il est aussi un souvenir pour les

participants, une découverte pour d’autres et, je l’espère, le point de départ

d’une continuité dans ce projet.

ConclusionLe développement des compétences de chacun est surtout une question

d'observation, d'enrichissement par l'autre, par son vécu, son quotidien, ses

difficultés et facilité, bref, par ce qui fait de chaque bénéficiaire un être

humain comme tous les autres. Heureux d'être moi-même bénéficiaire de la

plus-value apportée par le chemin parcouru, je me rendais compte au fil des

lectures pour mes recherches que l'expérimentation sensible des choses

m'a amené là où d'autres sont déjà allés et ont développé les concepts

utiles qu’ils ont consignés, théorisés dans des bouquins. En ayant tenté

d'être le passeur vers un plus compétent, vers une meilleure conscience de

soi par la musique et sa pratique, je ne me suis pas, avant d'expérimenter,

référé à ce que d'autres ont fait sur la «!façon de faire de la musique avec

des personnes adultes handicapées!» selon tel ou tel auteur. Cela a pu me

laisser libre de toute interprétation transcendantale liée aux lectures faites

avant de me constituer ma propre expérience sur le terrain.

Des objectifs se sont dessinés au fil du temps, raccordés à l'atelier des

jeudis matin. Des évolutions ont été notées, et les exercices clarifiés au fur et

à mesure qu'ils étaient imaginés, improvisés ou inspirés par les participants.

Les éléments théoriques lus par la suite corroboraient mes expérimentations,

48

Page 50: Les bruits qui pensent

me permettaient des remises en question personnelles, et d’adapter les

choses si besoin.

Nous avons donc pu voir que la musique par sa capacité à émouvoir et à

offrir des voies de communication, permet le développement de

compétences dans sa pratique et ses activités annexes. Une année n’est

pas suffisante pour réellement dire que cet atelier est en place. Mais,

faudrait-il qu’il le soit un jour!? Quand on construit les choses au jour le jour,

on les vit, on les intègre et c’est quelque part la preuve, pour l’autre et soi-

même, que l’on trouve de l'intérêt à faire ce que l’on fait. Cet intérêt se

ressent chez l’autre et il est souvent communicatif. C’est de lui que nait

l’évolution, et donc agir avec son intérêt, sa soif de savoir, pour le bien de

l’autre, semble être la manière la plus honnête d’évoluer dans le travail

éducatif en utilisant l’atelier et les interactions qu’il génère comme outil.

En terme d’atelier, il faut également faire attention à ne pas tomber dans les

pièges du dilemme entre les deux logiques précitées plus haut, et toujours

garder un esprit d’autocritique et d’analyse institutionnelle pour rester clair

entre les valeurs de l’institution, ses propres valeurs, son mandat, son statut

et sa fonction, et cela pour fournir un accompagnement cohérent dans un

cadre précis qui demande souvent lui-même à évoluer.

Bibliographie

Entre le cri et la parole, écoute, éducation, musique. Une pédagogie du

piano

Edith hiltbrand-Andrade

Édition!: Georg 2008, édition médecine et hygiène, département Georg

L'éducation musicale, une pratique nécessaire au sein de l'école

Brigitte Soulas

Édition!: L'harmattan 2008

49

Page 51: Les bruits qui pensent

Musique et vidéo, contribution à la réflexion et à l'action pédagogique

Éditeur!: Pascal Terrien

Édition!: L'harmattan

FAIRE DE LA MUSIQUE ENSEMBLE. UNE ÉTUDE DES RAPPORTS

SOCIAUX

Alfred Schütz

De Boeck Supérieur | Sociétés

Mettre les démarches de projet au service du développement de

compétences!?

Philippe perrenoud

Document de travail pour le séminaire de recherche de LIFE

Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation

université de Genève

2003

Attentes professionnelles et compétences

«!Chronologiquement, aucune connaissance ne précède en nous

l’expérience et c’est avec elle que toutes commencent.!» EMMANUEL KANT

Document écrit. Pas d'édition citée

De la tête aux pieds n° 21 — Équinoxe d’automne 2006 Le magazine en

ligne des Ateliers du Rythme

http://www.rythme.be/mag/mag21.pdf téléchargé le jeudi 14 mars 2013

Éditeur responsable!: A. Massart — Concept et mise en page!: A.

Koustoulidis et D. Parfait — © 2006 — Avogadro

De la tête aux pieds n° 12 — solstice d'été 2006 Le magazine en ligne des

Ateliers du Rythme

http://www.rythme.be/mag/mag12.pdf téléchargé le jeudi 14 mars 2013

Éditeur responsable!: A. Massart — Concept et mise en page!: A.

Koustoulidis et D. Parfait — © 2006 — Avogadro

MUSIQUE ET HANDICAP BRISER LE MUR DES SONS

Mémoire de Marion RABIN Promotion 2007-2009 de la CEFEDEM de

NORMANDIE

50

Page 52: Les bruits qui pensent

Formation diplômante au Diplôme d’État de professeur de musique Option

enseignement instrumental et vocal ; spécialité flûte traversière

Musique en Etablissement Spécialisé

Pour Personnes déficientes mentales.

Analyse d’une expérience pilote.

Mémoire de POVILLON Camille

Diplôme de Musicien intervenant en Milieu de La Santé et en Milieu Social

Université Marc BLOCH, Strasbourg Octobre 2007

Sociologie et déficiences

III. Personnes en situation de handicap et société : les différentes

thématiques

FSSEP Université Lille 2

Corrine DELMAS 20p

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Cours pour éducateurs en fonction

Rue des Fortifications,

25 4030 LIEGE

(Grivegnée) Matricule : 6.188.223

Épreuve intégrée présentée par JUDICE, Gilles en vue de l'obtention du titre de Bachelier en

éducation spécialisée en accompagnement psycho-éducatif Année scolaire 2012-2013

Première session de septembre groupe 2A/B

Les bruits qui pensentAbstract

!Au cours de cette année, j’ai vécu un stage au sein du Service d’Accueil de Jour pour Personnes Adultes handicapées «"Le Chêne"». Composé de divers ateliers, les projets artistiques et créatifs sont des leitmotivs qui émaillent le noyau pivot du fonctionnement quotidien du centre.

C'est en rapport avec certains de ces projets artistiques et la constatation des difficultés à fournir un accompagnement individualisé dans une dynamique de groupe que mon ambition d'accompagner les personnes dans le développement de leurs compétences germa pour espérer, au départ tigelle prenant ses premières marques, devenir la plante trachéophyte acheminant chacun vers le développement de ses compétences. Si tant est que cela soit la finalité du chemin, l'important reste la route et les nervures formées dans sa traversée.

Cette motivation prend un appui théorique sur le dilemme entre la logique d'action et de formation, piège en aval aussi bien qu'en amont d’une certaine entreprise d'apprendre aux autres de l'immatériel tout en produisant des objets tangibles et monnayables. Elle s'appuie également sur la pédagogie du piano, les outils didactiques qui concernent l'apprentissage d'une pratique musicale, un point de vue psychologique et communicatif en terme de perception des émotions et leurs appréhensions, ainsi que sur un axe analytique concernant l'organisationnel, l'institutionnel et les différents statuts pouvant être perçus (profs- élèves-bénéficiaires-éducateurs)

La mise en place concrète des choses a pu se faire grâce à l'occasion qui m'a été donnée de consacrer un jeudi matin par semaine à l'expérimentation d'un atelier de pratique musicale au sein du S.A.J.A.

La démarche polythétique de cette expérimentation sera chronologiquement racontée avec les premières tentatives, la prise de conscience des fausses routes, les tentatives, les flops, les réussites, des découvertes et des éléments ayant permis d'avancer vers un atelier prototype de plus en plus en adéquation avec mes objectifs ainsi qu'en lien avec ma question de départ":

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«!Comment développer les compétences de chacun au sein d'un projet de pratique musicale dans un service d'accueil de jour pour personnes adultes handicapées!?!»

Hypothèse de recherche

!La question du développement des compétences de chacun est née du fait que je prête à chacun la potentialité d'accéder à celles-ci. Car la compétence, s'acquérant sur base d'un savoir, permet à la personne une appréhension personnelle dans son environnement. Elle détermine également la manière de procéder à l'encontre d'un obstacle en pierre d'achoppement"; en d'autres termes, la façon dont la personne va se comporter face à l'adversité.1

Chacun évoluant dans son environnement – à son rythme, à sa manière – possède donc des savoirs instigateurs de compétences lui permettant de le faire. Chaque personne est différente quant à la possession plus ou moins abondante de savoirs, la question prend son sens en terme d'individualisation dans l'acheminement pointant vers l'acquisition et le développement de nouvelles compétences. Cet acheminement pourra soit se baser sur les savoirs existants, soit partir du principe qu'une compétence serait nécessaire pour la personne, à ses yeux, pour son évolution personnelle, son bien- être, et construire le savoir pour catalyser cette compétence.

L'outil didactique ou pédagogique peut varier dans la quête de la compétence par le savoir acquis ou construit. Dans le cadre des jeudis matin consacrés à l’atelier que j’ai mis en place au centre, c'est l'outil de la pratique musicale qui est adopté.

Conclusion

Le développement des compétences de chacun est surtout une question d'observation, d'enrichissement par l'autre, par son vécu, son quotidien, ses difficultés et facilité, bref, par ce qui fait de chaque bénéficiaire un être humain comme tous les autres. Heureux d'être moi-même bénéficiaire de la plus-value apportée par le chemin parcouru, je me rendais compte au fil des lectures pour mes recherches que l'expérimentation sensible des choses m'a amené là où d'autres sont déjà allés, et où ils l’ont consigné, théorisé dans des bouquins. En ayant tenté d'être le passeur vers un plus compétent, vers une meilleure conscience de soi par la musique et sa pratique, je ne me suis pas, avant d'expérimenter, référé à ce que d'autres on fait sur la «"façon de faire de la musique avec des personnes adultes handicapées"» selon tel ou tel auteur. Cela a pu me laisser libre de toute interprétation transcendantale liée aux lectures faites avant de me constituer ma propre expérience sur le terrain.

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1 Perrenoud, Philippe Mettre les démarches de projet au service du développement de compétences? Document de travail pour le séminaire de

recherche de LIFEFaculté de psychologie et des sciences de l'éducation université de Genève 2003, p 1 et 2/26

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Des objectifs se sont dessinés au fil du temps, raccordés à l'atelier des jeudis matin. Des évolutions ont été notées, et les exercices clarifiés au fur et à mesure qu'ils étaient imaginés, improvisés ou inspirés par les participants. Les éléments théoriques lus par la suite corroboraient mes expérimentations, me permettaient des remises en question personnelles, et d’adapter les choses si besoin.

!En annexe de l’épreuve intégrée et de cet abstract se trouve un album qui retrace, à coup de musiques et de commentaires audio, les exercices aboutis de l'atelier.

BibliographieEntre le cri et la parole, écoute, éducation, musique. Une pédagogie du piano

Edith hiltbrand-Andrade

Édition": Georg 2008, édition médecine et hygiène, département Georg

L'éducation musicale, une pratique nécessaire au sein de l'école

Brigitte Soulas

Édition": L'harmattan 2008

Musique et vidéo, contribution à la réflexion et à l'action pédagogique

Éditeur": Pascal Terrien

Édition": L'harmattan

FAIRE DE LA MUSIQUE ENSEMBLE. UNE ÉTUDE DES RAPPORTS SOCIAUX

Alfred Schütz

De Boeck Supérieur | Sociétés

Mettre les démarches de projet au service du développement de compétences"?

Philippe perrenoud

Document de travail pour le séminaire de recherche de LIFE

Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation

université de Genève

2003

Attentes professionnelles et compétences

«"Chronologiquement, aucune connaissance ne précède en nous l’expérience et c’est avec elle que toutes commencent."» EMMANUEL KANT

Document écrit. Pas d'édition citée

De la tête aux pieds n° 21 — Équinoxe d’automne 2006 Le magazine en ligne des Ateliers du Rythme

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http://www.rythme.be/mag/mag21.pdf téléchargé le jeudi 14 mars 2013

Éditeur responsable": A. Massart — Concept et mise en page": A. Koustoulidis et D. Parfait — © 2006 — Avogadro

De la tête aux pieds n° 12 — solstice d'été 2006 Le magazine en ligne des Ateliers du Rythme

http://www.rythme.be/mag/mag12.pdf téléchargé le jeudi 14 mars 2013

Éditeur responsable": A. Massart — Concept et mise en page": A. Koustoulidis et D. Parfait — © 2006 — Avogadro

MUSIQUE ET HANDICAP BRISER LE MUR DES SONS

Mémoire de Marion RABIN Promotion 2007-2009 de la CEFEDEM de NORMANDIE

Formation diplômante au Diplôme d’État de professeur de musique Option enseignement instrumental et vocal"; spécialité flûte traversière

Musique en Etablissement Spécialisé

Pour Personnes déficientes mentales.

Analyse d’une expérience pilote.

Mémoire de POVILLON Camille

Diplôme de Musicien intervenant en Milieu de La Santé et en Milieu Social Université Marc BLOCH, Strasbourg Octobre 2007

Sociologie et déficiences

Personnes en situation de handicap et société : les différentes thématiques

FSSEP Université Lille 2

Corrine DELMAS 20p

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