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Les cahiers de recherche du
C R ICollectif de Recherche sur l’I tinérance
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUESÀ MONTRÉAL
Marie-France Thibaudeau
Jean Fortier
Paule Campeau
Juin 1999
Les cahiers de recherche du
C R ICollectif de Recherche sur l’I tinérance
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUESÀ MONTRÉAL
Marie-France ThibaudeauProfesseure émérite
Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal
Jean FortierAgent de recherche
CLSC des Faubourgs
Paule CampeauÉtudiante au doctorat
Département de sociologie, Université du Québec à Montréal
Juin 1999
TABLE DES MATIÈRES
Liste des tableaux...............................................................................................................................
Remerciements...................................................................................................................................
Présentation........................................................................................................................................
1. La problématique...........................................................................................................................
1.1 Les urgences psychiatriques de garde .....................................................................................
1.2 Les objectifs de la recherche....................................................................................................
2. Les écrits sur les personnes itinérantes et les services psychiatriques............................................
2.1 Le profil des personnes itinérantes..........................................................................................
2.2 Le rapport des personnes itinérantes aux services psychiatriques............................................
2.3 Les caractéristiques des services psychiatriques et la réponse aux besoins..............................
2.4 L’approche coercitive..............................................................................................................
3. La méthode et les outils de recherche............................................................................................
4. La clientèle des urgences psychiatriques de garde.........................................................................
4.1 Les caractéristiques sociodémographiques..............................................................................4.1.1 Le sexe et l'âge.................................................................................................................4.1.2 Le lieu de résidence des personnes itinérantes..................................................................4.1.3 Le revenu..........................................................................................................................
4.2 Les modes et les motifs de fréquentation de l'urgence psychiatrique.......................................4.2.1 Les intervenants référents.................................................................................................
4.3 L'intervention de l'urgence psychiatrique de garde...................................................................4.3.1 La vérification des antécédents hospitaliers......................................................................4.3.2 Le diagnostic psychiatrique..............................................................................................4.3.3 Les services offerts par l’urgence psychiatrique...............................................................4.3.4 Les dispositions prises lors du congé...............................................................................
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
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5. Les perceptions du phénomène par les intervenants ......................................................................
5.1 Le profil des personnes itinérantes..........................................................................................
5.2 L'utilisation des urgences psychiatriques.................................................................................5.2.1 L'attitude des personnes itinérantes face aux soins...........................................................
5.3 L'intervention des équipes des urgences et des intervenants référents......................................5.3.1 Le rôle des intervenants des urgences psychiatriques.......................................................5.3.2 Le rôle des intervenants référents.....................................................................................
5.4 Les principales contraintes à l’intervention..............................................................................5.4.1 Le manque de renseignements sur les personnes .............................................................5.4.2 Les limites légales............................................................................................................5.4.3 Les difficultés de collaboration.........................................................................................5.4.4 Le protocole pour l'application de la sectorisation............................................................
5.5 Une organisation idéale des services psychiatriques................................................................5.5.1 Une approche de suivi systématique clinique dans le milieu.............................................5.5.2 La centralisation des renseignements et des services psychiatriques.................................5.5.3 Développer l'hébergement et les services aux toxicomanes...............................................5.5.4 L’assouplissement de l’application de la loi....................................................................5.5.5 Un plan régional d’intervention spécifique et une volonté politique.................................
6. Discussion ....................................................................................................................................
Conclusion.........................................................................................................................................
Bibliographie......................................................................................................................................
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 3.1
Variables à l'étude et instruments pour recueillir les données......................................................... 16
Tableau 4.1
Nombre de personnes itinérantes par urgences psychiatriques....................................................... 18
Tableau 4.2
Âge de la personne itinérante selon le sexe et la provenance (N et %)............................................ 20
Tableau 4.3
Type d'hébergement de la personne itinérante selon la provenance................................................. 21
Tableau 4.4
Source de revenu de la personne itinérante selon la provenance..................................................... 22
Tableau 4.5
Type de diagnostic psychiatrique selon la provenance de la personne itinérante............................. 25
Tableau 4.6
Type de services offerts et acceptés par les personnes itinérantes selon leur provenance....................
Tableau 4.7
Type de dispositions prises selon la provenance de la personne itinérante ..................................... 28
PRÉSENTATION
Ce document est inspiré du rapport de recherche des mêmes auteurs intitulé Les personnes
itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants : profil, services d’urgence
psychiatriques et nouvelles interventions remis à la Régie régionale de la Santé et des Services
sociaux de Montréal-Centre en avril 1997. Ce rapport, réalisé dans le cadre d’un projet mené au
CLSC des Faubourgs, comporte deux parties. La première décrit les résultats d’une recherche sur
la fréquentation par les personnes itinérantes des urgences psychiatriques de garde de la région de
Montréal (6A) durant une année et la deuxième étudie l’expérimentation de deux approches
d’intervention, soit le maillage et le suivi systématique clinique (case management). Le rapport
étant relativement volumineux et n’ayant été rendu disponible qu’aux organismes et institutions
ayant participé à la recherche, les auteurs, en collaboration avec le Collectif de recherche sur
l’itinérance (CRI), ont décidé d’en tirer deux synthèses s’adressant tout particulièrement aux
intervenants du milieu concernés par la problématique. Cette première synthèse présente les
résultats de la recherche : le profil des personnes itinérantes qui fréquentent les urgences
psychiatriques de garde, les services qui leur sont dispensés et la perception du phénomène par les
intervenants tandis que la deuxième1 décrit et analyse l’expérimentation du suivi systématique
clinique (case management) réalisé par l’Équipe Itinérance du CLSC des Faubourgs qui s’est
avérée l’expérimentation la plus concluante du projet.
1 Thibaudeau, Marie-France, Verenka, Pierre et Fortier, Jean. 1999. Le suivi systématique clinique des personnesitinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants. Cahiers de recherche du CRI. Montréal : Collectif derecherche sur l’itinérance.
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
2
1. LA PROBLÉMATIQUE
Depuis une dizaine d’années à Montréal, la dispensation des services psychiatriques aux
personnes itinérantes qui souffrent de troubles mentaux sévères et persistants2 et qui sont en crise
ou en difficulté pose problème aux intervenants des milieux communautaires et à ceux du réseau
public de la santé et des services sociaux. En 1990, dans la foulée de l’Année internationale des
sans-abri (qui a eu lieu en 1987), la Ville de Montréal et le ministère de la Santé et des Services
sociaux mettaient sur pied un Plan conjoint de services pour les personnes itinérantes de Montréal.
Ce dernier prévoyait diverses mesures pour s’attaquer à ce problème dont la mise sur pied d’une
Équipe Itinérance multidisciplinaire au CLSC Centre-Ville3, d’une équipe de psychiatres-parrains
et d’une équipe de case management à Diogène. L’équipe du CLSC des Faubourgs était
mandatée pour intervenir à Dernier Recours Montréal en vue de faciliter l’accès de la clientèle aux
services du réseau de la santé et des services sociaux et particulièrement aux services
psychiatriques. L’année suivante, un comité aviseur au ministre de la Santé et des Services sociaux,
présidé par le Dr Jocelyn Aubut, évaluait la situation des services offerts aux personnes itinérantes
souffrant de troubles de santé mentale et de toxicomanie et formulait des recommandations. Pour
sa part, la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux recevait, en 1994, le rapport d’un
Comité aviseur Itinérance multiproblématique qu’elle avait mandaté pour formuler un projet de
services spécialisés pour cette même population.
Au centre-ville de Montréal, les intervenants des organismes communautaires et ceux de
l’Équipe Itinérance4 du CLSC des Faubourgs sont toujours confrontés à des personnes itinérantes
dont l’état requiert des soins psychiatriques et qui n’en reçoivent pas. Ces personnes, souvent
coupées de la réalité, désorientées, inaptes à prendre soin d'elles-mêmes et à administrer leurs biens,
vivent sur la rue et fréquentent les refuges et les centres de jour. Leur contact avec le système de
santé et de services sociaux survient le plus souvent lors d’une crise ou de difficultés qui font en
sorte que les techniciens-ambulanciers d’Urgences Santé ou les policiers les amènent à l'urgence
psychiatrique de garde.
2 Nous employons ce terme dans le même sens que chronique pour désigner les troubles qui perdurent dans le tempsmême si la personne n’est pas toujours en crise.
3 Depuis, le CLSC Centre-Ville a été regroupé avec le CLSC Centre-Sud pour former le CLSC des Faubourgs.
4 L’équipe multidisciplinaire compte un coordonnateur, deux travailleurs sociaux, deux infirmières, un médecin àdemi-temps, des psychiatres-consultants à temps partiel et une secrétaire.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
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Dans cette recherche, sauf indication contraire, nous entendons par personne itinérante, une
personne qui n'a pas de logement stable, sûr et salubre pour les soixante jours à venir, qui est
dépourvue d'un réseau de soutien significatif et qui a de faibles revenus ou n'en a aucun. Il s’agit de
la définition généralement utilisée dans le milieu, formulée par le Comité des sans-abri de la Ville de
Montréal (1987) et reprise par le gouvernement du Québec dans son Protocole interministériel sur
le phénomène de l’itinérance au Québec (1993).
1.1 Les urgences psychiatriques de garde
Comme les services psychiatriques sont sectorisés sur l’île de Montréal, les services
d'urgence psychiatriques à la population itinérante sont régis par le Protocole pour l'application de
la sectorisation dans les urgences psychiatriques de la région 6A5 (Szkrumelak et Prelevic, 1992).
Il s’agit d’une entente entre les services de psychiatrie qui répartit la garde à chaque semaine entre
les 14 urgences psychiatriques6 de la région à tour de rôle. L’urgence de garde a la responsabilité
d'évaluer et de traiter les personnes itinérantes qui sont amenées à l'urgence par la police et par
Urgences Santé. Le protocole concerne les patients adultes (âgés de 18 ans et plus), a sa propre
définition de la personne itinérante pour fins psychiatriques, exclut les personnes souffrant de
certains troubles et prévoit les services à offrir et des règles de fonctionnement. Sont considérés
comme itinérants :
a) les patients avec adresse en dehors des régions sectorisées à Montréal; b) les patients avecadresse inconnue ou incertaine; c) les patients avec aucune adresse stable, significative. [...]Les patients itinérants doivent avoir un diagnostic de TROUBLE FONCTIONNEL. LesTroubles organiques, la Déficience mentale et l'usage abusif de drogue ou d'alcool SONTEXCLUS de la définition de l'itinérance pour fins psychiatriques (Szkrumelak et Prelevic,1992 : section 6.01).
Ne sont pas soumis à ce protocole les patients itinérants qui se présentent d'eux-mêmes
dans l'urgence de leur choix (section 6.03), ni les patients traités activement dans une des unités du
service de psychiatrie en deçà des six derniers mois (section 6.08). Quant aux personnes
itinérantes hébergées dans des ressources, elles doivent être dirigées vers le centre hospitalier du
secteur où se situe la ressource (section 6.05). Le protocole prévoit l’offre de trois types de
5 Afin de ne pas être répétitif, nous utiliserons à l'occasion le terme protocole de sectorisation ou tout simplementcelui de protocole.
6 Ce nombre est passé à douze suite à la fermeture des hôpitaux Reddy Memorial et Reine Elizabeth.
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
4
services psychiatriques : “ l’évaluation psychiatrique à l'urgence; l'observation et-ou
hospitalisation si requis; et l'amorce d'un traitement en interne et suivi en externe ” (section 6.07).
1.2 Les objectifs de la recherche
Les intervenants des organismes communautaires et ceux de l’Équipe Itinérance du CLSC
des Faubourgs doivent faire face régulièrement aux lacunes des services psychiatriques aux
personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants. Souvent, ces dernières
vivent une crise ou éprouvent des difficultés dans les ressources communautaires. Dans ces
situations, les intervenants se disent dépourvus et font appel à l’Équipe Itinérance du CLSC des
Faubourgs qui se trouve elle-même confrontée aux limites du système des soins psychiatriques
pour cette population. Puisque les urgences psychiatriques de garde constituent la principale
ressource psychiatrique disponible et fréquentée par les personnes itinérantes, cette équipe
présentait à la fin de 1993 un projet de recherche et d’expérimentation à la Régie régionale de la
Santé et des Services sociaux de Montréal-Centre. Le projet avait un double objectif : 1) mieux
cerner le phénomène des services psychiatriques aux personnes itinérantes souffrant de troubles
mentaux sévères et persistants en crise ou en difficulté dans la région de Montréal (06), en
particulier celui des urgences psychiatriques de garde et 2) améliorer l’intervention auprès de cette
population. Le projet fut accepté l’année suivante et a été réalisé de 1995 à 1997.
De façon plus spécifique, la recherche visait à connaître le nombre de personnes itinérantes
rejointes par le système des urgences de garde, leurs principales caractéristiques de même que les
services dispensés par les urgences psychiatriques. Elle voulait aussi connaître le point de vue des
principaux intervenants directs du système. Elle désirait également vérifier l’hypothèse d'un
“ noyau dur ” de personnes itinérantes fréquentant le circuit des urgences de garde de façon
répétitive. Seule une étude non publiée de Migneault (1993) existait sur la clientèle itinérante de la
semaine de garde de l'urgence psychiatrique de l'hôpital Douglas. Par contre, elle ne visait pas à
étudier le fonctionnement des urgences psychiatriques comme tel ni à évaluer le Protocole pour
l’application de la sectorisation. Nous présentons successivement un aperçu des écrits sur le
phénomène, de la méthodologie et des résultats de la recherche.
2. LES ÉCRITS SUR LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
5
Plusieurs études portent sur les personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères
et persistants et sur leurs rapports avec les services psychiatriques, surtout aux États-Unis depuis
1980 (Bachrach, 1990, 1992; Butler-Slagg, 1994; Cohen, 1990; Cohen et Tsemberis, 1991; Farr,
1986; Lamb, 1983, 1990, 1992; Lipton, 1983; Roth et Bean, 1986). On retrouve aussi un certain
nombre d’études québécoises depuis la fin des années 1980 (Comité aviseur Itinérance
multiproblématique, 1994; Fournier, 1991; Fournier et Mercier, 1989, 1996; Fournier et Ohayon,
1993; Laberge et Morin, 1995; Plante et Monette, 1990; Comité aviseur auprès du MSSS, 1991;
Robert, 1990). Cette recension des écrits permet de découvrir que les principaux aspects du
phénomène sont bien connus et que bon nombre de solutions intéressantes sont mises de l’avant
par leurs auteurs. Nous présenterons ces études selon le schéma suivant : d'une part, les
caractéristiques des personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants et
leurs rapports aux services des urgences psychiatriques et d'autre part, les caractéristiques de ces
services psychiatriques et leur réponse aux besoins de cette clientèle.
Personnes itinérantes
souffrant de troubles
mentaux sévères et
persistants
Services
des urgences
psychiatriques
LA COMMUNAUTÉ
rapport aux services
réponse aux besoins
2.1 Le profil des personnes itinérantes
Dans une conférence présentée à Montréal en 1990, Plante et Monette, psychiatres à
l'hôpital St-Luc, résument les caractéristiques des personnes itinérantes souffrant de troubles
mentaux sévères et persistants en citant Farr (1986) :
La majorité des patients mentaux itinérants sont en rupture de banc avec la société, ilsmanquent de nourriture ou de logis, ils n’ont habituellement aucun lien familial, sontexploités et deviennent facilement victimes sur la rue. Ils tendent à être incapables d'utiliserles services de support traditionnel à cause de l'inaccessibilité de ces programmes, de leur
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
6
peur ou de la nature de leur maladie. Ils tendent à avoir une nature indépendante qui interfèreavec leur habileté à vivre dans un environnement structuré. Ils ont des problèmes de santéphysique sérieux dus à leurs pauvres conditions de vie et à leur non acceptation ou leurinhabileté à chercher des soins médicaux. La vaste majorité préfèrent vivre dans la rue plutôtque d'être institutionnalisés. Plusieurs caractéristiques des patients mentaux chroniques engénéral contribuent à leur itinérance et aux difficultés de leur donner des services : incapacitéà faire face à leurs problèmes avec les réalités de la vie quotidienne, une tendance à l'acting-out dans leur comportement, des problèmes chroniques à rencontrer les besoins de survie debase et une inhabileté ou un manque de motivation pour rechercher de l'aide des travailleursde la santé mentale ou de la santé physique (Plante et Monette, 1990, p. 4; traduction desauteurs).
Parmi les troubles mentaux dont souffre cette population, la schizophrénie est
prédominante. La maladie mentale chronique occasionne des séquelles importantes :
désorganisation de la pensée et des actions, faible capacité ou incapacité à solutionner les
problèmes, déficits sociaux, inhabileté à tolérer la frustration et à faire face au stress, manque
d’habileté à se mobiliser à cause de la dépression (Lamb, 1990; Lipton, 1983). Pour ces personnes,
les bureaucraties, comme celle de la sécurité sociale, seraient insurmontables, ce qui les priveraient
des rares ressources publiques disponibles. De plus, la dépression et la paranoïa les empêchent
d’accepter de l’aide. Bachrach (1992, p. 462) insiste sur l'importance des handicaps causés par la
maladie mentale sévère en précisant trois niveaux de handicap : celui des symptômes de la maladie
qui peuvent être traités par la médication, celui de la réponse de chaque individu à la maladie qui est
habituellement traitée par la psychothérapie et, en troisième lieu, la réaction de la société à ces
personnes qui se traduit par l'absence d'opportunité sociale et la stigmatisation. L'auteure considère
ces personnes comme des victimes à la fois de leur maladie, de la société et de l'échec des services
en place à répondre à leurs besoins. Elle remet également en cause la croyance selon laquelle ces
personnes “ ont choisi ” l'itinérance comme mode de vie et souligne qu’elles vivent une souffrance
émotionnelle, de la peur et de la solitude.
Someone who has been on the streets and is homeless and jobless and who has a disability,who doesn't have a car or food or a friend, and doesn't know what to do with their situation, isin pain. Most people would probably agree that if given a choice they would trade that levelof emotional pain for some good old-fashioned physical hurt anytime. But there is nochoice. If you talk to someone who has been there, they will tell you they were alone andafraid. So afraid that help doesn't look like help, but like more torture (Bachrach, 1992,p. 462).
Cette population dispose en général de très peu de ressources financières et sociales. Ce
sont des individus marginaux, sans racine, sans abri et sans réseau de soutien adéquat (Bachrach,
1990). Ils sont plus désaffiliés des réseaux de soutien que les autres malades mentaux et cette
désaffiliation contribuerait à leur fragilité psychologique, à leur taux de mortalité élevé, pourrait
constituer un facteur les ayant amenés à l'itinérance et elle rend plus difficile la dispensation des
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
7
services psychosociaux (Butler-Slagg, 1994). Pour leur part, Lamb et Lamb (1990) soutiennent
que la maladie mentale précède généralement l'itinérance et contribue au fait de devenir et de
demeurer itinérant de même que l'itinérance aggrave la maladie mentale et ajoute des barrières quant
aux soins à apporter. Ces personnes se distinguent des autres personnes itinérantes par leur moins
bonne santé physique, une histoire d’itinérance et d’utilisation des refuges plus longue, par le fait
qu’elles sont plus démunies par rapport au marché du travail, qu’elles sont plus désaffiliées,
méfiantes, victimisées et impliquées dans des activités criminelles et qu’elles évitent les services de
santé (Fournier et Ohayon 1993, p. 224). Enfin, les deux tiers souffrent aussi de troubles reliés
aux abus d’alcool et de drogues (Lamb, 1990; Raynault, 1994).
Parmi les études réalisées à Montréal, Fournier (1991) révèle que 16,4% de la clientèle des
missions et refuges de Montréal souffre de schizophrénie, que les 30 à 44 ans sont les plus affectés
de troubles mentaux sévères, que les trois quarts de ces derniers souffrent également de troubles
reliés à la consommation de substances toxiques et que le tiers (32%) de l’ensemble de la clientèle
a un double diagnostic de troubles mentaux et de toxicomanie. De plus, Fournier et Mercier (1996,
p. 121) indiquent que 28 à 37% des sans-abri ont présenté une pathologie mentale au cours de leur
vie. Raynault (1994), qui a étudié les dossiers des 245 personnes itinérantes hospitalisées à
l’hôpital St-Luc en 1988-89, constate que les troubles mentaux constituent le diagnostic principal
de la majorité d’entre elles (62,9%) et qu’une toxicomanie était présente chez les deux tiers
(66,9%). Plus récemment, le Comité aviseur Itinérance multiproblématique (1994) estime qu’au
moins 1250 adultes itinérants fréquentant les ressources du grand Montréal souffrent à la fois de
troubles mentaux sévères et persistants, de toxicomanie et de maladies physiques. Selon le Comité,
ces personnes vivent des conditions de vie précaires, subissent les effets de l’isolement, de
l’incompréhension et du rejet, refusent les services du réseau de la santé et des services sociaux ou
sont refusés par ces derniers et ont besoin de services qui dépassent les états de crise et répondent à
leurs problèmes chroniques (Comité aviseur Itinérance multiproblématique, 1994).
2.2 Le rapport des personnes itinérantes aux services psychiatriques
Les différentes études soulignent la sous-utilisation des services par les personnes
itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères, le fait qu’elles ne se reconnaissent pas malades,
qu’à l’hôpital elles soient plus intéressées à combler leurs besoins de base qu’à utiliser les services
psychiatriques, le refus de la médication et de la psychothérapie, la peur d’être réhospitalisées,
l’incapacité d’entreprendre la démarche de consulter et leur préférence pour la vie dans la rue qui
offre liberté, anonymat et distance interpersonnelle désirée (Fournier et Ohayon, 1993; Goldfinger,
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
8
1986). Elles ont l’habitude de recourir aux services d’urgence des hôpitaux de sorte que la
continuité des soins devient extrêmement difficile (Cohen et Tsemberis, 1991). Pour leur part,
Sachs-Ericsson et al. (1994) constatent que les personnes qui utilisent les services sont plus
nombreuses que les non utilisatrices à souffrir de dépression majeure (21,7% vs 6%), à présenter
un trouble de personnalité antisociale (19,6% vs 6%) et à avoir un problème d’abus de drogue et
d’alcool (30,4% vs 14,9%).
En terme quantitatif, Cohen et Tsemberis (1991) notent qu’à New York, 18 986 personnes
itinérantes furent transportées à l'urgence psychiatrique en 1990 sur une population totale de
70 000 à 90 000 itinérants. À Chicago, Butler-Slagg et ses collaborateurs (1994) rapportent que,
sur les 1430 personnes itinérantes desservies en deux ans par un projet-pilote d'outreach, plus de
70% souffraient de troubles majeurs de santé mentale et 21% avaient été hospitalisées suite à leur
intervention dont un peu plus de la moitié contre leur gré. Selon ces auteurs, ce taux
d'hospitalisation psychiatrique traduit la fragilité de cette population, son isolement et son aliénation
face au soutien existant et au système de traitement. À Montréal, dans son étude des personnes
itinérantes hospitalisées à l'hôpital St-Luc durant l'année 1988-89, Raynault (1994, p. 275) note un
nombre de visites à l'urgence variant de une à 19 avec une moyenne de 4,6 visites, un nombre
moyen d'admission de 1,7, une durée moyenne de séjour de 13,9 jours. Parmi ces personnes, les
femmes sont plus jeunes que les hommes et souffrent plus souvent de maladie psychiatrique tandis
que les hommes fréquentent les refuges depuis plus longtemps et font davantage de visites à
l'urgence. L’auteure souligne également que les professionnels de la santé ne connaissaient le
statut d'itinérance de leurs patients que dans 63,7% des cas.
À Montréal, le Comité aviseur Itinérance multiproblématique (1994, p. 22-23) a analysé
l'utilisation des services en place. Les femmes itinérantes affirment que les attitudes autoritaires de
certains intervenants ont eu pour effet de retarder toute démarche de demande d'aide. Elles se
sentent incomprises, ce qui fait renaître chez elles un sentiment de détresse marqué par un profond
sentiment de solitude et de découragement. Elles déplorent le manque de respect de la personne en
crise, la brutalité des hommes dans la rue et l'incompréhension de certains policiers. Les hommes
pour leur part, se plaignent de la froideur des contacts avec certains intervenants et disent rencontrer
parfois un manque d'hospitalité et d'écoute. Par ailleurs, ces derniers soulignent avoir accepté de
l'aide parce qu'ils ont rencontré des intervenants capables d'un contact chaleureux qui leur ont
apporté un appui moral dans un climat de confiance, tout en évitant de leur faire subir des
jugements de valeur. Des personnes itinérantes qui ont réussi à s'en sortir attribuent ce succès à
cette relation de confiance avec un intervenant capable d'un contact personnalisé et respectueux. Ce
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
9
lien de confiance leur a fait accepter de se soumettre à un suivi régulier parce qu'elles bénéficiaient
d'une attitude d'écoute et d'un engagement qui ne menaçait pas leur besoin d'autonomie.
2.3 Les caractéristiques des services psychiatriques et la réponse aux besoins
Plusieurs auteurs (Fournier et Ohayon, 1993; Lamb, 1990; Roth et Bean, 1986) font état des
limites des services psychiatriques disponibles pour les personnes itinérantes souffrant de troubles
mentaux, en particulier l’insuffisance des mesures mises en place après la désinstitutionnalisation et
ses conséquences pour ce qui est de l’accessibilité aux services. Ils affirment que très peu de
ressources furent mises sur pied dans la communauté afin de traiter ces personnes et de les aider à
se loger, à se réinsérer socialement, surtout dans le cas des malades chroniques et des plus jeunes
qui n’ont pas connu l’institutionnalisation. La condition de sans-abri chez les malades mentaux
révélerait un manque de ressources adéquates et les barrières dans l’accessibilité aux services. Ces
ressources seraient réservées aux personnes moins malades et elles seraient fragmentées,
inadéquates et sectorisées. Lamb (1990, p. 649) reprend la position de l'Association des
psychiatres américains qui préconise la mise en place d'un système complet et intégré de soins
comprenant un éventail de ressources de logements supervisés et offrant du soutien, un système de
suivi systématique clinique (case management); de l'intervention de crise adéquate, complète et
accessible autant dans la communauté que dans les hôpitaux, des lois moins restrictives sur le
traitement involontaire et des services courants de traitement et de réadaptation dispensés de façon
active dans le milieu (outreach).
Cohen et Tsemberis (1991) soulignent la faiblesse de la coordination entre les services :
l’absence de continuité entre les services internes et externes des hôpitaux, la coupure (disruptive
division) entre les services de santé mentale et de toxicomanie et le manque de coordination entre
les systèmes de santé mentale, de services sociaux et de justice. Les personnes itinérantes souffrant
de troubles mentaux seraient donc le reflet des conséquences les plus visibles des dysfonctions des
systèmes de services et traduiraient l’échec des politiques de désinstitutionnalisation à procurer des
alternatives viables dans la communauté.
Cohen (1990) constate aussi l’attitude stigmatisante du personnel hospitalier. Certaines
personnes sont considérées comme de bons patients (meilleur fonctionnement, introspectifs),
d'autres, comme les patients chroniques ou abusant de drogues, sont considérées comme incapables
ou ne voulant pas accepter les traitements. Cette résistance, consciente ou non, des cliniciens à les
soigner affecterait la disponibilité et l'efficacité des traitements. Ainsi, les malades mentaux qui
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
10
abusent de l'alcool ou des drogues sont souvent perçus par le personnel comme manipulateurs et
non motivés à accepter les soins. À l'urgence psychiatrique, ils sont souvent stéréotypés comme
intraitables de sorte qu'on leur refuse l'admission. Comme solution, ces auteurs prônent le
parachèvement d’un système de services de santé mentale dans la communauté qui soit accessible,
coordonné, intégré, complet et qui mette l’accent sur le soutien au logement et au revenu.
Cette perception d’absence de motivation et l'influence du cadre légal sur l'accessibilité aux
services psychiatriques sont aussi étudiées par Laberge et Morin (1995, p. 395-400) dans le cas des
personnes souffrant de troubles mentaux et aux prises avec la justice. Selon ces auteures, les
services de santé réguliers perçoivent souvent les clientèles indésirables comme peu motivées,
refusant de reconnaître leurs problèmes psychiatriques et ne faisant pas d'effort pour prendre leur
vie en mains. “ It is without a doubt the argument that carries the most weight in this milieu to
justify not responding to or refusing access to this treatment-resistant clientele ”. La perception de
non-motivation serait basée sur des stéréotypes reliés à certains comportements des personnes,
comme une histoire de non-prise de médication ou d'abus de substances, qui influenceraient le
professionnel responsable de l'évaluation à leur refuser l'accès aux services même si elles en ont
besoin. Cette situation se produirait souvent dans un contexte de ressources limitées. Laberge et
Morin soulignent également que la perspective d'un refus de traitement par le patient, l'obligation
d'obtenir son consentement pour l'hospitalisation ou celle d'entreprendre des démarches
compliquées auprès de la cour dans le cas d’un refus, ajoutées à une perception très négative de la
clientèle, constituent des freins puissants à l’accès aux soins psychiatriques pour cette population,
particulièrement dans les hôpitaux généraux. Le critère de “ dangerosité ” n'étant pas défini par la
loi, son interprétation est laissée à l'entière discrétion du psychiatre qui évalue la situation : “ in
function of a number of factors — contextual, organizational, individual — with the effect that
undesirable categories of patients are excluded ” (Laberge et Morin, 1995, p. 398).
À Montréal, Robert (1990, p. 45) met en évidence les problèmes d’accès des malades
chroniques vivant dans la communauté aux services externes de psychiatrie. D'abord, il faut avoir
obligatoirement un rendez-vous. De plus, les services ne sont pas disponibles en dehors des heures
régulières de bureau de jour. Or, la rigidité des horaires est un élément discriminatoire pour la
clientèle psychotique qui éprouve des difficultés à fonctionner avec des notions temporelles. Les
services de première ligne seraient donc assurés par les urgences des hôpitaux et les cabinets des
omnipraticiens. Selon l’auteure, la rupture entre les services offerts à l’intérieur de l’hôpital et ceux
à l’extérieur constitue la grande faiblesse du système de soins.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
11
Pour sa part, le Comité aviseur auprès du MSSS (1991) constate que cette clientèle est bien
connue des différents points de services du réseau médical et social et qu’elle s’y promène sans
s’y accrocher. Les causes qu’il identifie concernent les intervenants (préjugés ou manque de
connaissance, impuissance engendrée par la lourdeur, la chronicité et la complexité des problèmes
de la clientèle), les services en place (non adaptés aux besoins, manque de ressources) et les
personnes itinérantes (refus de toute forme d’encadrement à cause de leur style de vie ou de leur
maladie, le fait que la personne doit réaliser qu’elle a un problème, qu’elle désire le modifier,
qu’elle connaisse les différentes ressources et qu’elle s’y rende). Le rapport recommande la mise
en place d'un système de case management afin de dépister et d'apprivoiser cette clientèle,
d'identifier et de prioriser ses besoins, de la référer, de l'accompagner dans les services et de faire la
liaison avec le réseau de prise en charge. La même année, suite à la fermeture de Dernier Recours
Montréal, la Ville de Montréal et le ministère de la Santé et des Services sociaux revisaient le Plan
conjoint et se donnaient comme objectif “ d'assurer aux personnes itinérantes présentant à la fois
des problèmes de maladie mentale sévère et de toxicomanie des services adaptés à leurs besoins ”
(Ville de Montréal et MSSS, 1991) et mettaient en place une équipe de case managers rattachée à
l’organisme Diogène.
Mercier et ses collaboratrices (1994, p. 15, 34-35) dans leur évaluation du suivi du Plan
conjoint constatent que l'accessibilité aux services d'urgence psychiatriques demeure variable et que
les communications avec certains centres hospitaliers s'établissent encore difficilement. Elles notent
qu'il semble que plus on s'éloigne du centre-ville, moins le personnel hospitalier est sensibilisé et
ouvert à la problématique de l'itinérance. Pour ce qui est de l'organisation générale des services,
elles affirment que l'unanimité est faite autour du modèle d'intégration des personnes itinérantes aux
services réguliers, bien que l'on reconnaisse qu'il s'agisse d'un processus à long terme qui se réalise
par étapes. Elles ajoutent que les attentes quant à une amélioration de l'accessibilité des services
sont à la mesure des possibilités offertes par le système lui-même. Ainsi, dans un contexte où les
services de traitement et de réadaptation en santé mentale et en toxicomanie sont débordés et où les
programmes de soutien à la vie autonome sont largement sous-développés, les mesures
d'accessibilité ne peuvent qu'avoir des effets limités, surtout quand on parle d'effets à long terme.
Pour sa part, le Comité aviseur Itinérance multiproblématique (1994) propose la mise sur
pied de services spécialisés pour les personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et
de toxicomanie. Il préconise l’adoption d’une approche psychosociale qui s’appuie sur une vision
d’ensemble de la personne et qui vise à l’aider à reprendre du pouvoir sur elle-même et sur son
environnement afin de mieux se maîtriser et de désirer prendre soin d’elle-même. Il prône aussi le
développement d’une gamme complète de services de même que la coordination, l’accessibilité et la
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
12
continuité de ces services, l’accompagnement stable pour les personnes et l’aide à la sortie de
l’itinérance et à l’intégration dans un nouveau milieu de vie et d’appartenance.
2.4 L’approche coercitive
Plusieurs auteurs américains traitent des approches d’intervention à adopter avec les
personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants. Le cahier de recherche
(Thibaudeau et al., 1999) sur le suivi systématique individualisé (case management) accorde une
large place à cette question. Nous nous limiterons ici au débat sur l’approche coercitive qui
interpelle tous les intervenants. Lamb (1990, 1992, p. 1211) et Lamb et ses collaborateurs (1992, p.
8) défendent le droit fondamental du malade d’être soigné même contre son gré et l’élargissement
de la Loi du malade mental concernant l’hospitalisation involontaire tandis que Mossman et Perlin
(1992) prônent l’approche volontaire, considérant d’abord l’itinérance comme une situation de
pauvreté et un problème social.
Les premiers font valoir que nous ne pouvons pas en bonne conscience abandonner ces
malades à la vie dangereuse, chaotique et précaire de la rue. Nous devons donc agir avec les
ressources disponibles, notamment l'hospitalisation. Des équipes d'outreach devraient permettre de
rejoindre ces personnes sur la rue et d'amener à l'hôpital celles qui n'ont pas la compétence pour
décider de se faire soigner, qui présentent un danger pour elles-mêmes ou pour les autres ou qui
sont gravement handicapées. L'admission à l'hôpital devrait se faire sur une base volontaire mais, si
nécessaire, elle devrait l’être de manière involontaire. Cette hospitalisation devrait être brève, le
temps de traiter la crise, mais pour certaines personnes elle pourrait se prolonger. Lamb note que
plusieurs de ces patients refusent les traitements lorsqu'ils sont plus sévèrement symptomatiques
mais qu'ils les reconnaissent comme très précieux une fois rétablis. Il insiste également sur le
besoin de structure pour les patients chroniques (1990, p. 651). La grande majorité d'entre eux
aurait besoin de logement supervisé à leur sortie de l'hôpital. Divers types de situations de vie dans
la communauté se situant sur un continuum à partir de peu à beaucoup de structure devraient être
disponibles. Ainsi, la prise de leur médication psychotropique devrait être supervisée et ces
derniers pourraient profiter de la liberté qu'ils sont capables d'assumer. Il s'agit selon lui d'une
décision clinique basée sur les besoins de chaque patient et sur son degré de contrôle interne pour
s'organiser lui-même et faire face aux demandes de la vie. Selon Lamb, un certain nombre de
patients nécessiteront une structure 24 heures par jour, notamment ceux qui ont également de
sérieux problèmes d'abus de substances. Il souligne à ce propos qu'aucune activité ne peut
contribuer plus au burnout des intervenants que d'essayer de traiter ces patients en milieu ouvert,
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
13
c'est-à-dire dans la communauté. Enfin, dans le cas des patients sévèrement atteints dont le
jugement et la capacité de décider sont affectés, il préconise l'élargissement de la Loi du malade
mental pour permettre l'hospitalisation involontaire de la personne en cas “ d'incapacité grave due à
la maladie mentale ” et en cas “ d'inhabileté à assurer ses propres besoins de base (se nourrir, se
vêtir et se loger) ”.
Mossman et Perlin (1992, p. 952-955), au contraire, font état des limites de la
pharmacothérapie, particulièrement chez les schizophrènes. Une fraction substantielle des patients
répond peu à la médication psychotropique ou rechute même s'ils la prennent régulièrement. De
plus, la plupart des patients aux prises avec des troubles chroniques de pensée conservent cette
incapacité toute leur vie. Ils reprochent à Lamb et ses collaborateurs d'ignorer les réactions des
anciens patients psychiatriques face à leur traitement involontaire. Même si certains patients
réagissent de façon positive, pour d'autres ce refus de traitement peut se baser sur une connaissance
personnelle ou sur des appréhensions légitimes face à la piètre qualité du traitement dispensé dans
certains hôpitaux d'état américains. Le choix d'un sous-groupe de personnes itinérantes malades
mentales d'éviter le système public de santé mentale et de vivre sur la rue avec leurs symptômes
plutôt que de souffrir des effets secondaires des médicaments en institution peut être un choix
raisonnable compte tenu de la réalité de plusieurs de ces hôpitaux. Ils soulignent aussi que de
nombreux rapports démontrent que les patients chroniques qui reçoivent des traitements non
institutionnels comportant un soutien social adéquat réussissent mieux à vivre dans la communauté
que ceux qui ont été institutionnalisés.
Selon eux, Lamb et ses collaborateurs ne tiennent compte que des aspects individuels et
biologiques de la clientèle et négligent l'ensemble du contexte social et économique. La maladie
mentale et la désinstitutionnalisation ne sont pas les causes premières de l'itinérance des personnes
souffrant de troubles mentaux graves puisque les personnes itinérantes déjà traitées en psychiatrie
ont des histoires et des caractéristiques similaires à celles qui ne l'ont pas été, soit la pauvreté, le peu
d'habiletés pour le travail, l'absence de logement et de soutien social. L'itinérance serait d'abord une
situation de pauvreté et les personnes pauvres en général sont plus à risque de souffrir de troubles
mentaux. La situation d'itinérance résulterait des développements sociaux et d'attitudes face aux
pauvres et aux malades mentaux dans la société américaine tels que la baisse nette de revenu annuel
des Américains depuis dix ans, les pertes substantielles de logements sociaux pour les pauvres et de
logements spécialisés pour les personnes avec incapacité chronique depuis vingt ans, la coupure du
supplément de revenu de la Sécurité sociale mise en place par le gouvernement Reagan qui fait en
sorte que seulement une fraction des personnes itinérantes reçoit l'aide gouvernementale dont les
barèmes ont baissé depuis trente ans, et le chômage chronique vécu par plusieurs personnes aptes
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
14
au travail avant de devenir itinérantes. Les auteurs soutiennent que, même si une partie des
personnes itinérantes pourraient bénéficier de traitements psychiatriques, seulement un petit nombre
a besoin d'hospitalisation psychiatrique. Selon eux, il n'existe qu'une petite fraction de cette
population qui ne dispose pas de la compétence pour décider de son besoin d'hospitalisation.
Les auteurs dénoncent donc l'hospitalisation involontaire et réaffirment l'importance de
respecter la liberté de choix de ces personnes comme on le fait avec les personnes aux prises avec
d'autres problèmes médicaux. Ils soulignent que la décision volontaire de chercher l'aide médicale
permet habituellement la création d'une relation thérapeutique et ils rappellent le rôle central de
l'estime de soi dans la vie émotionnelle des patients. L'hospitalisation involontaire renforcerait l'idée
que le système public de santé mentale peut régler le problème de l'itinérance et empêcherait la
société d'examiner les questions sociales et économiques fondamentales. Il revient aux tribunaux
de juger de la compétence des personnes à refuser les soins. Ils suggèrent aux psychiatres de se
méfier de la collusion possible entre la bureaucratie gouvernementale et la psychiatrie pour ne pas
que celle-ci en vienne à assumer un rôle de contrôle social. Ils privilégient la réponse aux besoins
matériels de base de ces personnes : nourriture, logement, vêtements.
Comme on peut le constater, ce débat sur les services psychiatriques aux personnes
itinérantes soulève plusieurs questions notamment celles des limites de la psychiatrie et de l'hôpital
psychiatrique, de l'insertion sociale des personnes après l'hospitalisation psychiatrique, de
l’importance accordée aux facteurs sociaux comme la pauvreté et celle, fondamentale, de la finalité
de l'intervention. À ce propos, Robert (1990, p. 54-55) estime que l'itinérance et la judiciarisation
des malades mentaux nous amènent à questionner l'efficacité du modèle centré sur l'hôpital afin
d'insérer socialement les personnes psychiatrisées. Elle souligne l'importance de s'intéresser aux
conditions de vie de ces dernières afin de réussir leur maintien dans la communauté. Selon
l'auteure, il convient d'accorder de plus en plus d'importance au soutien, à l'accompagnement et à
l'aménagement d'un cadre de vie qui favorise le maintien de ces personnes dans la communauté
plutôt qu'à la guérison de la maladie mentale comme telle. Comme dans le cas des itinérants, les
psychiatrisés sont avant tout des personnes pour qui la participation à la vie sociale est réduite,
sinon inexistante. Les interventions nécessaires pour ces deux clientèles sont de nature sociale et
concernent l'hébergement, la réponse aux autres besoins de base (nourriture, vêtements et soins de
santé physique et mentale), les loisirs et le travail.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
15
3. LA MÉTHODE ET LES OUTILS DE RECHERCHE
L’approche de l’enquête exploratoire a été choisie. La clientèle des 14 urgences
psychiatriques de garde7 d’une année et 47 intervenants ont été rejoints. Une fiche de profil (voir
tableau 3.1) complétée par une personne-répondante de chaque équipe d’urgence de garde a permis
de recueillir les caractéristiques sociodémographiques des patients, leurs caractéristiques de santé,
les services dispensés et les dispositions prises après la consultation. Par ailleurs, 24 entrevues
semi-structurées, individuelles ou de groupe, ont servi à connaître la perception des deux principaux
groupes d’intervenants concernés : d’une part, ceux des 14 équipes d’urgence psychiatrique (19
entrevues auprès de 25 personnes) et d’autre part, les intervenants qui réfèrent ou qui amènent les
personnes itinérantes qu’on a regroupé sous le terme d’intervenants “ référents ” (5 entrevues
auprès de 22 personnes). Il s’agit des intervenants des refuges et des centres de jour
communautaires du centre-ville, du personnel d'Urgences Santé, des policiers des postes 25 et 33 et
des psychiatres-parrains. Ces entrevues portaient sur le profil de la clientèle, le fonctionnement de
leur service, l’intervention réalisée, les difficultés rencontrées et les solutions proposées.
La cueillette des fiches de profil s’est déroulée sur une période de 52 semaines (soit quatre
cycles de garde) du 8 mai 1995 au 5 mai 1996)8 ; les renseignements ont été codifiés et traités à
l'aide du logiciel EXCEL. Les fiches de profil utilisent la définition de personne itinérante pour fins
psychiatriques du Protocole pour l’application de la sectorisation dans les urgences
psychiatriques de la région 6A.
Les entrevues auprès des intervenants ont été réalisées durant les premiers mois de l'étude et
portent sur les personnes itinérantes telles que définies dans la première partie. Elles ont été
enregistrées, retranscrites et analysées à l'aide du logiciel Nud.ist. Nous présenterons d’abord les
résultats obtenus au moyen des fiches de profil puis les perceptions des intervenants recueillies lors
des entrevues.
Tableau 3.1Variables à l'étude et instruments pour recueillir les données
Variables Instruments Date 7 Douze urgences font partie d’un hôpital général et deux font partie d’un hôpital psychiatrique.
8Au cours de l’année, le nombre d’urgences est passé à douze à cause de la fermeture des hôpitaux Reddy Memorial etReine Elizabeth dans le cadre de la restructuration du réseau de santé montréalais. Ainsi, 14 hôpitaux participaient ausystème de garde lors des deux premiers cycles de garde et 12 lors des deux derniers cycles.
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
16
1. Profil de la personne itinérante- sociodémographique- psychiatrique- utilisation de l'urgence
2. Services dispensés- services rendus par l'urgence- dispositions prises lors du congé
Fiche de profil(remplie par la personne-répondantede l'urgence psychiatrique)
Mai 1995 à mai 1996
3. Perceptions du profil et de l’intervention
- profil des personnes itinérantes- intervention des intervenants- difficultés rencontrées- solutions proposées
- Guide d’entrevue semi-structurée auprèsdes 14 équipes d’urgence psychiatrique
(19 entrevues, 25 intervenants 9)
- Guide d’entrevue semi-structurée auprèsdes intervenants référents(5 entrevues, 22 intervenants : 6 desrefuges et des centres de jour, 6 policiers, 5techniciens-ambulanciers et dirigeantsd’Urgences Santé et 5 psychiatres-parrains)
Avril à septembre 1995
9 Dans le cas des équipes d’urgence, il s’agit généralement d’entrevues individuelles. Dans certaines urgences, deuxentrevues individuelles ont été menées, l’une avec l’infirmière, l’autre avec le psychiatre ou la travailleuse sociale.Dans deux cas, il s’agit d’entrevues de groupe de l’équipe de l’urgence. De leur côté, les intervenants référents onttous été rencontrés dans le cadre d’entrevues de groupe de deux à six personnes.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
17
4. LA CLIENTÈLE DES URGENCES PSYCHIATRIQUES DE GARDE
Durant les 52 semaines de garde étudiées, les 14 équipes des urgences psychiatriques ont
complété 200 fiches de profil couvrant 44 semaines (tableau 4.1). Une urgence n’a pas fourni de
données pour trois de ses quatre tours de garde et cinq autres ne l’ont pas fait pour une semaine
chacune pour un total de huit semaines manquantes. Ces 200 fiches correspondent à autant de
visites effectuées par 188 personnes itinérantes différentes, 177 personnes s’étant présentées une
seule fois, dix cumulant deux visites et une seule s’étant présentée à trois reprises durant l’année.
Le tableau 4.2 présente le nombre de personnes itinérantes reçues par chacune des urgences
psychiatriques durant la semaine de garde. Il faut rappeller qu’il s’agit de personnes considérées
“ itinérantes ” aux fins psychiatriques par le Protocole pour l’application de la sectorisation dans
les urgences psychiatriques de la région 6A. Cette définition diffère de la nôtre car elle inclut les
personnes qui peuvent compter sur un réseau de soutien significatif et sur des revenus et elle exclut
les personnes qui abusent de l’alcool et des drogues et celles qui souffrent de troubles organiques
et de déficience mentale.
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
18
Tableau 4.1Nombre de personnes itinérantes par urgences psychiatriques
Hôpital10 Montréal Extérieur deMontréal
Total11
Douglas (4/4)
Général de Montréal (1/4)
Général Juif (4/4)
Hôtel-Dieu (3/4)
Jean-Talon (3/4)
Louis-H Lafontaine (3/4)
Maisonneuve-Rosemont (4/4)
Notre-Dame (4/4)
Reddy Memorial (2/2)
Reine Elizabeth (2/2)
Royal Victoria (4/4)
Sacré-Coeur (3/4)
St-Luc (3/4)
St-Mary's (4/4)
13
3
8
15
4
11
11
11
10
3
12
8
8
18
7
3
1
5
5
2
3
5
0
3
10
7
3
8
20
7
9
20
9
13
14
16
10
6
23
15
11
27
Total 135 62 200
De façon générale, il y a environ deux fois plus de personnes itinérantes provenant de l'île
de Montréal (68,5%), que de l'extérieur (31,5%). Le nombre de personnes reçues par semaine de
garde varie de une à onze personnes par semaine, la moyenne étant de 4,5. Il faut souligner que les
personnes pour lesquelles nous avons obtenu des renseignements sont celles vues à l'urgence
psychiatrique de garde suite au processus de filtrage des urgences générales dans le cas des douze
10 Les chiffres entre parenthèses représentent le nombre de semaines pour lesquelles nous avons obtenu les fiches deprofil comparativement au nombre de tours de garde traversées au cours du projet.
11 Nous ignorons la provenance de trois des personnes. Cette information manquante fait en sorte que le totalgénéral n'est pas toujours la somme des chiffres des colonnes précédentes.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
19
hôpitaux généraux. Nous n'avons aucune information sur celles qui sont amenées à l'urgence
générale et qui sont parties sans avoir été vues par le personnel de l'urgence psychiatrique soit parce
qu'elles n'y ont pas été référées ou parce qu'elles ont quitté l'hôpital avant d'avoir été vues. De plus,
les renseignements factuels sur la personne (soit son lieu de résidence, sa source de revenu, s'il y a
lieu) ne sont pas vérifiés auprès d'une tierce personne. Les résultats présentés décrivent le nombre
de “ visites ” effectuées durant les semaines de garde plutôt que le nombre de personnes. Enfin,
à titre de comparaison avec les semaines régulières, le personnel des urgences psychiatriques était
invité à compiler l'information au sujet des personnes itinérantes qui se sont présentées à l’urgence
psychiatrique durant la semaine suivant leur semaine de garde. Durant ces 44 semaines régulières,
seulement 30 personnes itinérantes ont été reçues par dix équipes d’urgence.
4.1 Les caractéristiques sociodémographiques
Les fiches de profil décrivent les principales caractéristiques sociodémographiques des
personnes itinérantes. Après les avoir situées quant au sexe et à l’âge, nous verrons les résultats
sur deux éléments de notre définition de personne itinérante, soit le fait qu'elle dispose ou non d'un
revenu et qu'elle se trouve ou non dans une situation d'instabilité résidentielle. Nous n'avons aucun
renseignement sur le troisième élément de la définition, soit le fait pour la personne itinérante de
disposer d'un réseau de soutien social significatif.
4.1.1 Le sexe et l'âge
Près de trois personnes itinérantes sur quatre (72,4%) sont des hommes. Pour le groupe de
la région de Montréal, cette proportion est de 67,2%. Une étude exploratoire cite une proportion
similaire (75%) d'hommes parmi la population itinérante en général (ministère de la Main d'oeuvre
et de la Sécurité du revenu, 1988).
En examinant la provenance, on remarque qu'il y a deux fois plus de femmes (32,8%) dans
le groupe de Montréal que de l'extérieur (16,1%). Toutes ces personnes se répartissent assez
également dans quatre groupes d'âge (tableau 4.2). Ces proportions sont presque les mêmes que la
personne provienne, ou non, de l'île de Montréal. En ce qui concerne la proportion de jeunes, les
chiffres correspondent au plus bas taux cité par différentes études, soit 25% (MSSS, 1992).
Tableau 4.2
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
20
Âge de la personne itinérante selon le sexe et la provenance (N et %)12
Âge Montréal Extérieur de Montréal TotalH F T H F T H F T
29 ans et moins 2326,7
1023,3
3325,4
1326,0
00
1321,7
3727,0
1018,5
4724,5
30-39 ans 2630,2
1534,9
4131,5
1632,0
330,0
1931,7
4230,7
1935,2
6131,8
40-49 ans 1922,1
1125,6
3023,8
1326,0
660,0
1931,7
3223,4
1731,5
5026,0
50 ans et plus 1821,0
716,2
2519,3
816,0
110,0
914,9
2618,9
814,8
3417,7
Total 86100,0
43100,0
130100,0
50100,0
10100,0
60100,0
137100,0
54100,0
192100,0
Valeurs manquantes : 8
4.1.2 Le lieu de résidence des personnes itinérantes
Les personnes itinérantes citent une variété de lieu de résidence (tableau 4.3). Ce dernier
correspond à un moment circonscrit dans le temps, soit celui où la personne fréquente l'urgence.
Ces lieux de résidence sont dans l'ordre : l'absence de logement (la rue) (40,5%); un refuge
(22,6%); un logement (17%); une autre forme de logement (10,2%); une chambre (4%); un
logement partagé (3,4%); et une famille d'accueil (2,3%). Les proportions sont similaires si l'on
compare les hommes et les femmes, sauf en ce qui concerne les refuges et la rue. Ainsi, 30% des
femmes disent habiter un refuge comparativement à 19,7% des hommes. Et un peu moins d'une
femme sur trois (30%) vit dans la rue en comparaison à près d'un homme sur deux (44,9%).
Une autre façon de voir ces données est de regrouper les catégories de types d'hébergement
caractéristiques des personnes itinérantes (soit la rue, refuge et chambre) et celles qui laissent croire
à une plus grande stabilité résidentielle (logement partagé, logement et famille d'accueil). Ainsi,
84,1% des personnes itinérantes du groupe de Montréal se trouvent en situation d'instabilité
résidentielle comparativement à 51,1% des personnes qui ont une adresse à l’extérieur de la région.
Dans le cas de ces dernières, près du tiers (30,2%) cite un logement comme type d'hébergement.
12 Les pourcentages sont calculés sur les valeurs présentes.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
21
Tableau 4.3Type d'hébergement de la personne itinérante selon la provenance
Hébergement Montréal Extérieur deMontréal
Total
N % N13 % N %
Aucun (la rue) 61 49,6 10 18,9 72 40,5
Refuge 31 25,2 9 17,0 40 22,6
Chambre 3 2,5 4 7,6 7 4,0
Partage un logement 2 1,6 4 7,6 6 3,4
Logement 14 11,4 16 30,2 30 17,0
Famille d'accueil 2 1,6 2 3,6 4 2,3
Autre forme 10 8,1 8 15,1 18 10,2
Total 123 100,0 53 100,0 177 100,0
Valeurs manquantes : 23
4.1.3 Le revenu
Un peu plus du tiers des personnes (36,2%) ne disposent d'aucune source de revenu
(tableau 4.4). On remarque une différence selon le sexe mais non selon la provenance. Ainsi,
72,9% des femmes ont une source de revenu pour 60,2% des hommes. La principale source de
revenu, pour l'ensemble des personnes, est la sécurité du revenu (78,5%). Les plus jeunes en
bénéficient dans une plus grande proportion.Tableau 4.4
Source de revenu de la personne itinérante selon la provenance
Revenu Montréal Extérieur deMontréal
Total
N % N % N %
13 Au sujet de la forte proportion de personnes vivant dans la rue ou dans un refuge (35,9%), et ce, pour unepopulation venant de l'extérieur de Montréal, nous avançons deux explications. D'une part, peut-être que le personnelde l'urgence a indiqué le lieu où vit la personne au moment où elle est à l'urgence, même si ce n'est pas sa“ résidence ” habituelle. D'autre part, ce peut être effectivement le lieu où vit la personne. En témoigne une noted'un intervenant d'une urgence au sujet d'une personne qui est itinérante à Joliette et à Montréal.
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
22
Revenu (total) 76 62,3 35 67,3 112 63,6
sécurité du revenu 63 82,9 20 66,7 84 78,5
prestations(assurance-chômage, CSST)
1 1,3 1 3,3 2 1,9
emploi 4 5,3 3 10,0 7 6,5
pension (devieillesse,d'invalidité)
2 2,6 3 10,0 5 4,7
autre 6 7,9 3 10,0 9 8,4
Aucun revenu 46 37,7 17 32,7 64 36,4
Total 122 100,0 52 100,0 176 100,0
Valeurs manquantes : 24
4.2 Les modes et les motifs de fréquentation de l'urgence psychiatrique
Près de deux personnes sur trois (62,6%) fréquentent l'urgence sur une base involontaire.
Une légère différence de proportion existe entre les femmes (69,2%) et les hommes (59,8%). Les
personnes de l'extérieur de l'île de Montréal sont amenées plus souvent à l'urgence involontairement
(74,1%) que celles de la région métropolitaine (58,5%). Si on observe cette variable en tenant
compte de l'âge, on remarque que pour les personnes de moins de 40 ans, environ une sur deux
(53,4%) est amenée à l'urgence de façon involontaire, tandis que c’est le cas de trois personnes sur
quatre (74,7%) pour celles ayant plus de 40 ans.
Les raisons invoquées quant à la fréquentation de l'urgence psychiatrique pour l'ensemble
des personnes itinérantes sont les suivantes : demande d'évaluation (43,7%); crise (24,0%); autre
type de raison (23,0%); et plainte (9,3%). Près du tiers des personnes de l'extérieur de l'île de
Montréal (32,7%) fréquentent l'urgence psychiatrique à cause d'une crise, comparativement à 20,6%
pour celles de Montréal. Une proportion deux fois plus élevée d'hommes (27,8%) que de femmes
(14,0%) fréquente l'urgence en raison d'une crise. On remarque qu'un peu plus de personnes de 40
ans et plus sont amenées à l'urgence en raison d'une plainte (11,5%) ou d'une crise (28,2%)
comparativement à celles ayant moins de 40 ans (8,0% et 21,0% respectivement).
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
23
4.2.1 Les intervenants référents
Dans la moitié des cas (50,3%), les personnes ont été conduites à l'urgence psychiatrique
par Urgences Santé. La police intervient dans un cas sur cinq (21,1%), soit en effectuant le
transport seule ou en aidant les techniciens-ambulanciers. Elle intervient seule un peu plus souvent
auprès des femmes (20,0%) que des hommes (8,9%). Nous n'avons pas d'information au sujet du
lieu physique d'où provient la personne ni sur la ou les personnes qui ont demandé l’intervention
d’Urgences Santé ou de la police.
Avant d'amener la personne à l'urgence, un contact préparatoire a été effectué dans un peu
plus du tiers des cas (36,2%). Spécifions que lorsque le transport se fait par ambulance, les
techniciens-ambulanciers n'avertissent le personnel de l'hôpital que s'il y a une urgence. Ce contact
est principalement fait par le technicien-ambulancier (34,8%) ou par un membre du personnel de
l'hôpital d'où provient le patient lorsqu'il s'agit d'un transfert (30,4%).
4.3 L'intervention de l'urgence psychiatrique de garde
4.3.1 La vérification des antécédents hospitaliers
Un peu plus de trois personnes sur quatre (77,5%) sont “ inconnues ” de l'établissement.
Les personnes “ connues ” sont en majorité du groupe de Montréal (N=40). La plupart de ces
dernières ont un dossier médical pour une raison de santé mentale ou de santé mentale et santé
physique et trois sur quatre sont connues du service d'urgence. Dans la moitié de ces cas, la visite
remonte à moins de six mois. Le personnel vérifie si la personne est connue d'un autre
établissement dans 73,7% des cas. Dans les commentaires écrits sur les fiches de profil, on
remarque que cette recherche de renseignements se fait en lien avec les règles régissant l'application
de la sectorisation, c’est-à-dire on recherche à quel secteur psychiatrique la personne appartient
pour la rediriger vers celui-ci.
4.3.2 Le diagnostic psychiatrique
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
24
Le psychiatre de l’équipe de l’urgence psychiatrique pose un diagnostic dans trois cas sur
quatre (75,8%) (tableau 4.5). Les femmes (83,6%) sont plus sujettes que les hommes (73,2%) à se
faire donner un tel diagnostic. Cela va dans le sens des observations à l'effet que les femmes sont
plus psychiatrisées que les hommes (Bachrach, 1987; Raynault et al., 1994). Nous avons regroupé
ces diagnostics dans cinq catégories : schizophrénie (38,1%); troubles de personnalité, de
comportement ou de personnalité antisociale (30,6%); trouble bipolaire (12,2%); dépression ou
tendances suicidaires (11,5%); et psychose (7,3%). Ces résultats se rapprochent de ceux de
Migneault (1993) à l’urgence de l’hôpital Douglas.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
25
Tableau 4.5Type de diagnostic psychiatrique selon la provenance de la personne itinérante
Diagnosticpsychiatri-que
Montréal Extérieur de Montréal Total
N % N % N %
Diagnosticposé
99 73,9 49 80,3 150 75,8
Schizo-phrénie
32 33,3 22 44,9 56 38,1
Psychose 7 7,3 4 8,2 11 7,5
Dépression,suicidaire
11 11,5 6 12,3 17 11,6
Troubles depersonnalité
37 38,5 8 16,3 45 30,6
Troublebipolaire
9 9,4 9 18,3 18 12,2
Aucundiagnostic
35 26,1 12 19,7 48 24,2
Total 134 100,0 61 100,0 198 100,0
Valeurs manquantes : 2
Nous observons une différence entre les femmes et les hommes. Ces derniers reçoivent
plus souvent le diagnostic de schizophrénie (41,2% vs 31,1%) et celui de trouble bipolaire (14,6%
vs 6,7%) tandis que les femmes sont plus fréquemment diagnostiquées dans la catégorie des
troubles de personnalité, de comportement ou de personnalité antisociale (42,2% vs 25,5%). Des
différences existent également selon la provenance de la personne et ce, pour trois diagnostics. Les
schizophrènes et les personnes souffrant de trouble bipolaire sont plus nombreux dans le groupe
de l'extérieur de Montréal. Le diagnostic de troubles de personnalité, de comportement ou de
personnalité antisociale est quant à lui deux fois plus utilisé pour les personnes de Montréal
(38,5%) que de l'extérieur de cette région (16,3%). Cette différence est en partie attribuable au fait
qu'il y a une proportion plus élevée de femmes dans le premier groupe. L'utilisation plus fréquente
du diagnostic de troubles de personnalité, de comportement ou de personnalité antisociale pour les
personnes itinérantes de Montréal semble traduire une réalité plus importante de personnes
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
26
marginales et déviantes alors que les diagnostics posés pour le groupe venant d'ailleurs suggère
qu'il s’agit dans une plus forte proportion de personnes souffrant réellement de troubles mentaux.
Nous avons examiné le caractère involontaire de la fréquentation de l'urgence psychiatrique
à la lumière du type de diagnostic psychiatrique posé. Le diagnostic qui se démarque est celui de
dépression ou tendances suicidaires, moins de la moitié de ces personnes (41,2%) fréquentant
l'urgence sur une base involontaire. Cette situation est fort différente de celle des personnes
souffrant de trouble bipolaire, quatre personnes sur cinq (83,3%) étant amenées à l'urgence sur une
base involontaire et de celles recevant un diagnostic de psychose (70,0%) et de schizophrénie
(67,3%).
Même si la fiche de profil ne comportait pas de question précise sur la toxicomanie ou les
troubles physiques, le personnel des urgences a noté que 28,0% des personnes étaient toxicomanes.
Les personnes itinérantes de Montréal (31,9%) le seraient dans une proportion supérieure à celles
d'ailleurs (21,0%). Les intervenants indiquent que la substance dont on abuse est surtout l'alcool,
suivie par la cocaïne. Ce taux est élevé compte tenu que le Protocole pour l’application de la
sectorisation exclut l'usage abusif de drogue ou d'alcool de sa définition de l'itinérance. Le
personnel rapporte également que 12,0% des personnes rencontrées souffrent d'un problème
physique, tel que la séropositivité ou le sida, les infections urinaires, la malnutrition et l'épilepsie.
Les personnes itinérantes de Montréal semblent beaucoup plus affectées par ces problèmes
(14,1%) que celles venues d'ailleurs (4,8%).
4.3.3 Les services offerts par l’urgence psychiatrique
Divers types de services sont offerts à la personne itinérante par les intervenants de
l’urgence psychiatrique (tableau 4.6) tels que la garde sous observation, l'offre de médicaments ou
d'une ordonnance, l'hospitalisation et le suivi en consultation externe. Ils le sont dans la majorité
des cas (89,3%), les personnes de l'extérieur de Montréal se voyant offrir des services dans une
proportion un peu plus élevée (95,2%) que celles de Montréal (86,4%) et les femmes (96,2%) plus
que les hommes (87,5%). Pour l'ensemble des personnes, les services offerts sont dans l'ordre : la
garde sous observation (55,1%), l'offre de médicaments ou d'une ordonnance (48,9%),
l'hospitalisation (27,8%) ou un suivi en consultation externe (4,5%).
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
27
Tableau 4.6Type de services offerts et acceptés par les personnes itinérantes selon leur provenance
Services Montréal Extérieur de Montréal TotalN % N % N %
Observations - offert - accepté
5852
50,992,9
3935
66,194,6
9787
55,193,6
Médicaments - offert - accepté
5443
47,487,8
3226
54,289,7
8669
48,988,5
Hospitalisation - offert - accepté
3226
28,186,7
159
25,469,2
4937
27,882,2
Consultationexterne - offert - accepté
72
6,1 10
1,7 82
4,6
Les trois premiers types de services sont acceptés dans la grande majorité des cas. Par
contre, parmi les huit personnes à qui on a offert le suivi en consultation externe, seulement deux
ont accepté. Une différence existe entre le pourcentage d'acceptation de l'hospitalisation par le
groupe de Montréal (86,7%) et celui d'ailleurs (69,2%). Elle peut être causée par le fait qu'une plus
grande proportion de schizophrènes et de personnes souffrant de trouble bipolaire, qui ont un taux
plus élevé de fréquentation involontaire, se retrouve dans ce second groupe. Neuf personnes se
sont aussi fait offrir une référence dans une ressource de désintoxication et huit d'entre elles l'ont
acceptée.
Si on relie l’offre de services au diagnostic, on constate que les services sont presque
toujours offerts (92,7% et plus). Par contre, dans le cas du diagnostic de dépression ou tendances
suicidaires, aucun service n’est offert à une personne sur quatre (23,5%). Ces services sont aussi
acceptés dans la grande majorité des cas. L’observation est presque toujours acceptée (92,3%), les
médicaments et l’hospitalisation également (88,4% et 84,6%). Cependant, l’hospitalisation (66,7%)
et les médicaments (73,3%) sont acceptés dans une proportion moindre par les personnes souffrant
de troubles de personnalité. Enfin, sur les six personnes sur 39 ayant refusé l’hospitalisation, trois
ont un diagnostic de schizophrénie et les trois autres se répartissent dans les trois catégories de
diagnostic suivantes : psychose, troubles de personnalité, trouble bipolaire.4.3.4 Les dispositions prises lors du congé
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
28
Une disposition est prise suite à la visite à l’urgence psychiatrique pour trois personnes sur
quatre (78,6%). Dans seize cas, aucune disposition n'a été prise parce que la personne est partie
sans avoir reçu son congé (N=9) ou parce qu'elle a refusé (N=7). L'âge et le sexe de la personne
n'influencent pas le fait qu'on prenne une disposition lors de son congé de l'urgence. Pour la
majorité des personnes (78,4%), une seule disposition est prise. Deux dispositions sont prises
pour 19,9% des personnes et trois pour 1,7% d'entre elles.
Tableau 4.7Type de dispositions prises selon la provenance de la personne itinérante
Dispositions Montréal Extérieur deMontréal
Total
N % N % N %
Dispositions prises 105 77,8 46 79,3 154 78,6
Hospitalisation 24 22,9 7 15,2 32 20,8
Transfert vers unautreétablissement
19 18,1 19 41,3 40 26,0
Référence poursuivi enconsultation externe
14 13,3 0 0 14 9,1
Référence versressourcepour itinérants
40 38,1 7 15,2 47 30,5
Assistancematérielle
12 11,4 9 19,6 21 13,6
Congé chez ami-famille
6 5,7 6 13,0 12 7,8
Aucune disposition 30 22,2 12 20,7 42 21,4
Ces dispositions sont les suivantes (tableau 4.7) : référence vers une ressource pour
itinérants (30,5%); transfert vers un autre établissement (26,0%); hospitalisation (20,8%); assistance
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
29
matérielle (13,6%); référence pour un suivi en consultation externe (9,1%); congé chez un ami ou
un membre de la famille (7,8%). Une assistance matérielle (vêtements, billet d'autobus) est offerte
plus souvent aux femmes lorsqu'elles quittent l'urgence qu’aux hommes (18,6% et 11,7%
respectivement). Les mesures varient selon la provenance de la personne itinérante. Ainsi, le
personnel des urgences offre plus d'assistance matérielle aux personnes de l'extérieur de Montréal
sous la forme d'un billet d'autobus, par exemple, afin que la personne retourne chez elle. Souvent,
le personnel indique que la personne est suivie dans un établissement de la région où elle habite.
C'est ce qui pourrait expliquer que près de la moitié des personnes de l'extérieur de Montréal
(41,3%) sont transférées vers un autre établissement. Quant aux quatorze personnes qui sont
référées pour un suivi en consultation externe, elles vivent toutes à Montréal. De même, on réfère
vers une ressource pour personnes itinérantes une proportion deux fois plus élevée de personnes
vivant à Montréal (38,1%) qu'à l'extérieur (15,2%).
5. LES PERCEPTIONS DU PHÉNOMÈNE PAR LES INTERVENANTS
Rappelons que 47 intervenants, soit 25 des urgences psychiatriques et 22 intervenants
référents, ont été rencontrés individuellement ou en groupe dans le cadre de 24 entrevues semi-
structurées et que celles-ci poursuivaient quatre objectifs : 1) dresser un profil des personnes
itinérantes desservies (selon la définition de notre recherche14
); 2) connaître l'intervention des
différents acteurs auprès de ces dernières; 3) connaître les obstacles auxquels ils font face; 4)
connaître les solutions qu'ils entrevoient pour améliorer les services. Les résultats de ces entrevues
font état de deux grandes perceptions, voire de deux systèmes d’explication du phénomène selon
les deux groupes d’intervenants. Nous regroupons ces résultats sous quatre rubriques : 1) le profil
des personnes itinérantes desservies; 2) l’utilisation faite des urgences psychiatriques; 3) leur
intervention et ses limites; et 4) les pistes de solutions. Nous présentons d’abord le point de vue
des équipes des urgences psychiatriques, puis celui des intervenants référents.
5.1 Le profil des personnes itinérantes
Les deux groupes d’intervenants décrivent de façon relativement similaire leur clientèle
itinérante. Ce portrait ressemble à celui tracé à l’aide des fiches de profil, soit en majorité des 14 Au début de chaque entrevue, les intervenants étaient informés de notre définition de personne itinérante.
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
30
hommes, certains précisent dans deux cas sur trois, âgés entre 25 et 45 ans, la moyenne d'âge des
femmes étant plus élevée que celle des hommes (environ 45 ans). Elle est surtout composée de
francophones qui proviennent du Québec. Il y a divergence sur la quantité de personnes itinérantes
en question. Le personnel des urgences rapporte qu'il s'agit d'un petit nombre de cas tandis que
certains intervenants référents sont d’avis contraire. Ainsi, les intervenants d'Urgences Santé notent
que ce nombre est élevé, surtout au centre-ville, mais que ce territoire commence à s'agrandir vers
l'est (quartier Hochelaga-Maisonneuve). Un technicien-ambulancier ajoute : “ ce que je trouve
inquiétant c'est que ça augmente et ils sont de plus en plus jeunes ”. Cette divergence
s’expliquerait par le fait que les intervenants référents font état des personnes qu’ils amènent à
l’urgence tandis que les équipes des urgences psychiatriques connaissent ceux qui leur sont référés
en consultation par l’urgentologue.
Les équipes des urgences rapportent que la schizophrénie représente le diagnostic
psychiatrique le plus fréquent, “ des schizophrènes résiduels qui se sont ajustés à leur vie
d'itinérance... ils vont être fous mais ils vont savoir arrêter de l'être quand c'est vraiment essentiel ”,
“ ils ont toujours vécu avec leur voix ”. “ Il y a beaucoup de schizophrènes chroniques qui
choisissent l'itinérance parce que c'est difficile d'établir une relation puis de maintenir des relations
interpersonnelles ”. Les deux groupes d’intervenants soulignent que la toxicomanie est très
présente. Elle serait associée selon certains aux troubles sévères de comportement et de
personnalité et elle pourrait camoufler des troubles bipolaires. Un intervenant d’urgence estime
que les deux tiers de la clientèle itinérante aurait des problèmes de psychiatrie, la même proportion,
des problèmes de toxicomanie ou d'alcoolisme et “ une bonne partie ont les deux ”. Un collègue
affirme :
la grosse majorité des cas, c'est même pas des patients qu'on peut classer de façon fermecomme étant psychiatriques, c'est des gens qui présentent des troubles de comportement maisqui ont des pathologies d'alcoolisme ou d'itinérance connues depuis des années... une foisque la période de “ désintoxe ” physique est terminée, souvent les symptômespsychiatriques s'estompent, ou ne sont pas assez importants pour nécessiter unehospitalisation ou une mise en observation.
Pour les intervenants référents, la problématique psychiatrique semble plus floue. Ainsi, un
policier perçoit certains itinérants comme dangereux et fous : “ mais on dirait qu'ils [le] sont
jamais trop pour être enfermés, ça fait qu'ils les relibèrent tout le temps ”. Du côté des techniciens-
ambulanciers, un intervenant résume la perception : “ pour nous autres, c'est comme on peut pas te
dire la différence si il est psychiatrique ou pas, pour nous autres, ils le sont presque tous ”.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
31
Enfin, les intervenants décrivent des personnes en marge de la société, en rupture ou
exclues, qui vivent une multiplicité de problèmes interdépendants. Leurs problèmes de santé
mentale et de toxicomanie occasionnent des problèmes de santé physique, des problèmes avec la
justice, des problèmes sociaux et des problèmes d'utilisation des services disponibles pour leur
venir en aide. Une intervenante d’urgence souligne : “ souvent on se rend compte qu'ils sont sur
la black list parce qu'ils ont eu des épisodes de violence un peu partout dans les hébergements ”.
5.2 L'utilisation des urgences psychiatriques
Les équipes des urgences psychiatriques expliquent que la principale raison de la référence
à l'urgence psychiatrique est que ces personnes “ dérangent ” l'environnement. “ Les itinérants
qui nous sont amenés c'est pour des comportements perturbateurs dans la société, habituellement au
centre-ville ”, “ souvent elles [les femmes] sont amenées parce qu'elles étaient dans des endroits
d'hébergement... [et qu'elles] posaient des problèmes ou elles semblaient errer dans la rue ”, “ it's
usually behavioral complaints from other people, there are very few patients who come to the
hospital because of personal distress ”. Par ailleurs, certaines personnes “ viennent avec des
plaintes médicales, parfois c'est des gens qui viennent chercher de la drogue... ”. Pour leur part, les
policiers seraient souvent appelés lorsque la personne est “ en manque ” ou qu'elle a trop
consommé. C'est dans ce genre de situation que la personne risque d'entrer en crise et de poser un
geste nécessitant leur intervention.
Selon les équipes des urgences, les principales demandes ne sont pas d'ordre psychiatrique.
Les personnes itinérantes demandent rarement des soins psychiatriques même si elles sont
malades. En général, ce sont des demandes pour un gîte et de la nourriture (surtout l'hiver) et
quelquefois pour de la drogue, des médicaments ou pour une désintoxication, “ ils viennent ici
pour être hébergés parce que... y'ont dépensé leur chèque, ... sont sur la liste noire qu'ils [les
ressources d'hébergement] ne veulent pas réaccepter ”.
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
32
5.2.1 L'attitude des personnes itinérantes face aux soins
Contrairement aux données des fiches de profil, les intervenants des urgences
psychiatriques rapportent que la plupart du temps les personnes itinérantes n'acceptent pas les
services psychiatriques offerts par les urgences. Ils avancent diverses raisons : d'abord, plusieurs y
sont contre leur gré et ne se considèrent pas malades; certaines craindraient le système de soins;
d’autres n’auraient que le besoin de dégriser, d'un abri, de nourriture mais pas de soins
psychiatriques ni de désintoxication.
Souvent les difficultés que ces gens-là ont, on parle de psychopathologie par exemple, c'estqu'il n'y a pas de difficultés. Il y a un système qui est difficile... mais c'est pas parce qu'ilssont malades... La réponse est je veux pas me faire soigner par personne puis de toute façonje ne suis pas malade.
Ces gens-là [les vieux schizophrènes] les sortir de leur psychose, ils y tiennent pas du tout...Être obligé de voir la réalité telle qu'elle est quand ça fait 25, 30 ans que t'as pris l'habitude dene pas la regarder, le gars n'a pas de motivation à ça... Les vrais itinérants de métier t'arrivespas à les accrocher.
Souvent, ils ne sont pas en état de répondre parce qu'ils sont gelés comme une balle à causede l'alcool ou des médicaments qu'ils ont pris. Au moment où ils sont capables de se mettreun pied en bas du lit, c'est reparti.
Selon ces derniers, ce ne sont pas des gens qui demandent des services psychiatriques. Ils
s’accommodent de leur mode de vie. Quelques intervenants ajoutent que c'est leur choix.
Pour leur part, les intervenants référents se disent préoccupés par le non-recours aux
services psychiatriques. Ainsi, des intervenants communautaires affirment que : “ ceux en
général... qui m'inquiètent le plus, c'est ceux qui sont pas dérangeants. C'est le monsieur qui a des
gros problèmes mais qui s'isole dans un coin, qui dit jamais un mot ”. Ces derniers ne sont pas
référés aux urgences psychiatriques. Un psychiatre-parrain, quant à lui, souligne la grande
difficulté de rejoindre la clientèle plus jeune qui “ n'a jamais été en contact avec la psychiatrie, n'a
jamais eu de soins, refuse complètement toute figure d'autorité, refuse tout ce qu'on présente, a une
négation de sa maladie qui est encore pire que les gens un peu plus âgés ”.
5.3 L'intervention des équipes des urgences et des intervenants référents
La question du rôle des équipes des urgences psychiatriques et des intervenants référents
constitue le noeud des divergences entre les deux systèmes de compréhension du phénomène des
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
33
soins psychiatriques aux personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants.
Les premiers sont responsables de dispenser les soins psychiatriques aux personnes itinérantes en
situation de crise tandis que les deuxièmes déplorent qu’elles ne sont souvent pas prises en charge
ni traitées comme leur état l’exige. Chaque groupe nous livre sa perception de son rôle ainsi que
des limites auxquelles ils sont confrontés.
5.3.1 Le rôle des intervenants des urgences psychiatriques
De façon générale, les intervenants des équipes des urgences psychiatriques,
particulièrement les psychiatres, rappellent que leur mandat consiste à répondre à des personnes en
situation de crise de nature psychiatrique, i.e. aux prises avec un problème psychiatrique aigu,
sérieux et relativement nouveau, et à évaluer le degré et la qualité de l'urgence. Parmi les principales
difficultés, ils font état de la nature des cas qui leur sont référés, des limites de la psychiatrie à
l'endroit des patients toxicomanes et récalcitrants et des lois et règles en vigueur.
... j’ai tendance à ne pas insister s'ils [les vieux schizophrènes] ne me demandent rien departiculier, je vais les laisser sortir, parce que c'est futile. Si je trouve qu'il n'est pas malade ouque c'est une maladie pour laquelle je ne peux [rien] faire, je vais dire non.
... je me dis comme médecin, il me semble que je devrais lui apporter quelque chose pourqu'il soit moins délirant, moins halluciné, pour ne pas apeurer tout le monde tout le temps. Iln'était pas demandeur de rien. Je ne pouvais pas forcer un traitement parce que là il n'étaitpas dangereux, il était certainement bizarre mais il n'était pas dangereux.
De plus, plusieurs des cas ne seraient pas de véritables urgences psychiatriques : “ on se
sent un peu démuni face à tout ça, parce qu'on sait pas trop l'aide qu'un hôpital psychiatrique peut
leur apporter compte tenu qu'ils ne présentent pas nécessairement des gros cas sévères de
psychiatrie, c'est souvent des problèmes d'ordre comportemental ou des troubles de personnalité ”.
Ils soulèvent aussi la question des soins psychiatriques réguliers (ou non urgents), notamment ceux
dispensés par le service de consultation externe de l'hôpital : “ Ça va assez bien pour les
personnes qui ont besoin d'être hospitalisées parce qu'on les garde, on s'en occupe... mais c'est les
gens qui auraient seulement besoin de rendez-vous rapides, en général ces gens-là on ne leur offre
pas ces rendez-vous... il y a un problème dans le système, [on] aide mal ces gens-là. ”
Par ailleurs, certains considèrent que l'urgence psychiatrique n'a pas à s'occuper des patients
chroniques connus, qui ne viennent pas à leurs rendez-vous en consultation externe, ni des cas de
toxicomanie qui devraient être pris en charge par les ressources en toxicomanie. Ils soulignent la
difficulté de recevoir ce type de patients : “ lorsqu'elles ont un double diagnostic clair et quand le
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
34
centre de désintoxication dit que quelqu'un est suicidaire, c'est comme une patate chaude, personne
ne veut la tenir trop longtemps et nous disons que nous pensons que le problème primaire est
l'abus de drogues et d'alcool ”. Pour plusieurs, ces cas représentent une grande partie de la
clientèle : “ La majeure, c'est l'alcoolisme et la toxicomanie, sauf que ces cas-là, c'est pas
encadrable, c'est très difficile à suivre pour un hôpital de courte durée comme le nôtre ”. Ceci
soulève la question de l'accès aux soins et de la disponibilité de ressources adaptées pour ces
personnes, particulièrement celles ayant des troubles de comportement.
Quand les gens sont sous l'effet de la drogue ou de l'alcool, la psychiatrie ne veut pasvraiment les toucher tant qu'ils ne seront pas désintoxiqués. Puis, ils ne veulent pas se fairedésintoxiquer, ça fait qu'ils sont jamais suivis cette population-là...
Quand leur problème psychiatrique ou leur itinérance est jumelé à un problème detoxicomanie, ça devient très très difficile parce qu'il n'y a pas de ressources pour ces gens-là.
Le polytoxicomane qui a des troubles de comportement en plus, qui n'est pas nécessairementpsychiatrique, mais qui a des fichus troubles d'adaptation, de comportement, ça fait tellementpeur puis finalement il y a personne qui ose s'approcher d'eux autres.
Enfin, les équipes des urgences soulignent les contraintes des lois et des règles de
l'urgence.
... c'est un contexte d'urgence, t'as 24 heures, puis là de plus en plus les normes ministériellesnous obligent à décider dans l'espace de 8 ou 12 heures. Donc, il faut que tu coures au pluspressant. Si c'est pas le candidat idéal pour aller faire une descente chez McDonald, tu lelaisses partir.
... pour ces gens-là qui ne demandent rien, qui nous sont tombés dessus tout à fait au hasard,qui vont probablement être ailleurs un autre tantôt, puis qui représentent 1% de nos clients àpart ça, il y a d'autres chats à fouetter, c'est aussi simple que ça.
De plus, chaque hôpital développe ses façons de faire ou son processus de filtrage en
fonction des intervenants en place, de l'expérience passée, de leurs attitudes plus ou moins
interventionnistes. Ainsi, un psychiatre explique qu'il lui arrive régulièrement de refuser de voir un
patient référé par l'urgentologue après étude du dossier s'il juge qu'il ne peut rien faire dans son
cas. Il donne l’exemple d’une personne qui refuse habituellement de collaborer aux traitements.
Un autre s’interroge : “ we have worked very hard at getting the emergentologist, when they ask
for a consultation in psychiatry, to have some kind of a question to ask of us. So they may decide
themselves the guy is a drug addict and a bum and they say psychiatry is going to say what do you
want us to do? and they will get sent out ”.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
35
5.3.2 Le rôle des intervenants référents
De façon générale, les intervenants référents expriment des doutes, plus ou moins
fortement, quant à leur rôle auprès des personnes itinérantes et ils éprouvent un sentiment de futilité
sinon d’inutilité puisque, selon eux, les personnes itinérantes ne reçoivent pas de l’urgence les
soins dont elles auraient besoin. En premier lieu, les techniciens-ambulanciers, selon la procédure
de leur service, se préoccupent d’abord de savoir si la personne a un problème physique et
procéderont à son transport même si tout semble normal : “ on est obligé de transporter tout
bénéficiaire qui veut aller à un hôpital même si on sait qu'il a rien ”. Cependant, ils rapportent que :
“ dès que c'est un itinérant, c'est jamais [facile]... surtout quand les urgences sont débordées, il y a
beaucoup d'ouvrage, ça, ça irrite quelque peu les gens qui le reçoivent ”. Un jugement sévère est
d’ailleurs formulé par la direction d'Urgences Santé : “ ... je pense pas que l'action d'Urgences
Santé change quoi que ce soit. L'action des centres hospitaliers ne change rien vous savez dans...
t'sais, vous le stabilisez pis vous le remettez dans la rue, bon! ”.
Les policiers, pour leur part, croient qu'on ne fait que tourner en rond puisqu'il n'y a pas de
traitement en profondeur, à moyen ou long terme. Intervenir auprès des mêmes personnes de
façon régulière leur pose problème. “ À un moment donné, on devient saturé. Quand ça fait sept
fois dans le mois que tu transportes le même, là tu te poses des questions ”. Ceci les amène à ne
plus vouloir s'occuper de certaines personnes. Selon eux, la judiciarisation ne représente pas une
solution non plus mais dans certains cas, ils n'ont pas le choix de porter des accusations. La
personne sera incarcérée un certain temps puis relâchée sans que rien n'ait été réglé. “ ... que tu
portes des accusations, que tu l'envoies à l'hôpital, tu sais que tu vas le revoir ton bonhomme une
semaine après, ça va être la même chose, il aura pas changé, pis au point de vue amélioration de sa
condition il y aura absolument rien ”.
Cet avis est partagé par les intervenants des refuges et des centres de jour : “ he's arrested,
he goes back to jail, he receives some medication in jail. As soon as he comes out, he doesn't have
anything organized, so it's... the cycle is repeating itself ”. Ces derniers disent se sentir désarmés
lorsqu’une personne itinérante est en crise car ils n'ont pas le personnel pour intervenir sur le plan
professionnel. Ils ne savent pas quoi faire face à l'agressivité et au potentiel de dangerosité des
personnes. Quand ces dernières provoquent des crises chez les autres personnes présentes dans le
centre, il est difficile de calmer tout le monde. “ I'd say the people we are having the most
difficulty with are the people that are absolutely mentally ill, refusing to take any medication or
follow any treatment, the people that become aggressive easily so that they create an atmosphere
that is difficult for the rest of the group to handle ”. Lorsque de telles situations surviennent, les
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
36
intervenants savent que mettre la personne dehors ou appeler la police ne réglera rien, puisque cette
dernière va “ juste lui faire faire le tour... et le lâcher ”. Selon eux, il est difficile d'amener les
autorités concernées, comme la police et l'Institut Philippe Pinel, à intervenir et lorsqu'elles
interviennent, “ as soon as he comes out... the cycle is repeating itself ”. C’est pourquoi dans
certaines situations, les intervenants s'abstiennent de faire appel à la police ou à Urgences Santé.
Les psychiatres-parrains pour leur part, mettent en cause la formation des psychiatres :
“ on est formé à l'université de façon très sophistiquée... on a presque pas appris à s'occuper
vraiment de la population chronique, elle a toujours eu une très mauvaise presse ”. De plus, les
médecins n'ont pas appris comment apprivoiser ceux qui ne veulent rien savoir d'eux. Ils ont été
formés à travailler avec un diagnostic à la fois, à travailler l'aspect psychiatrique et psychologique
mais pas la toxicomanie et l'alcoolisme de sorte que certains psychiatres sont démunis face aux
nombreux diagnostics et aux interactions entre les problèmes comme c’est le cas des personnes
itinérantes.
5.4 Les principales contraintes à l’intervention
Nous avons demandé aux intervenants d'élaborer sur les principales contraintes à leur
intervention. Ces derniers font surtout état de la difficulté d'obtenir des renseignements sur la
personne itinérante, des limites imposées par les lois concernant le malade mental, des difficultés de
collaboration avec les autres acteurs et des limites reliées au protocole pour l’application de la
sectorisation.
5.4.1 Le manque de renseignements sur les personnes
Pour les équipes des urgences, le manque de renseignements sur les personnes constitue
une contrainte importante. Différentes raisons l’expliqueraient, entre autres : le refus de collaborer
de la personne itinérante; le peu de renseignements transmis par la police et Urgences Santé; et
l’absence de mécanismes de centralisation des renseignements de base entre les hôpitaux. Les
équipes déplorent que les techniciens-ambulanciers et les policiers ne les informent pas des
circonstances entourant leur intervention, de l'adresse de la personne qui a placé l'appel ni de
l'endroit où ils ont pris une personne. “ Pour la retracer [l’information], on fait des téléphones, ça
n'a pas de bon sens. On n'a pas d'information. Des fois, on n'a même pas le bon nom, on n'a pas
la bonne date de naissance ”. Cette recherche accapare beaucoup de temps, coûte très cher au
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
37
système de soins de santé et le manque de renseignements limite l’intervention : “ on se bute
toujours à ici et maintenant. C'est ce qu'on voit, c'est le portrait qu'on a ”. “ ...c'est un peu difficile
de mettre un diagnostic puis un traitement quand c'est une première évaluation puisque c'est un
nouveau dossier ”. De plus, ce manque d’information entrave l'application de la règle du suivi des
six mois prévue au protocole. En bout de ligne, la qualité de l'intervention des équipes des
urgences psychiatriques s'en trouverait compromise.
5.4.2 Les limites légales
Les diverses lois encadrant la pratique auprès des malades mentaux constituent une
contrainte majeure pour les deux groupes d’intervenants. Il s’agit en particulier du droit de la
personne de refuser l’évaluation et le traitement ou de l’impossibilité de retenir ou de traiter une
personne contre son gré sauf si elle représente “ un danger immédiat pour elle-même ou pour
autrui ”. Cette question se situe au coeur du phénomène des soins psychiatriques aux personnes
itinérantes. Les intervenants des ressources communautaires font état de la difficulté d'obtenir un
ordre de cour pour qu'une personne se fasse évaluer par un psychiatre. Ceci est confirmé par les
intervenants des urgences qui mettent en cause les modifications apportées au Code civil : “ Alors,
au lieu de prendre trois heures pour avoir un ordre de cour [comme auparavant], ça peut prendre
trois à quatre jours. Alors le patient qui nous arrive trois à quatre jours plus tard, il est vraiment en
besoin là de médicaments, très souvent, il faut l'attacher ”.
Certains intervenants des équipes des urgences soulignent le paradoxe d'accorder la liberté
de choix à des personnes dont la maladie altère la capacité de juger : “ t'es aux prises avec le droit
de l'individu à définir ce qui est bon pour lui, la liberté de choix. Puis en même temps, tu parles des
problèmes qui en principe enlèvent la possibilité aux gens de faire des choix éclairés, enlèvent la
possibilité de juger avec discernement ”. Ceci les amène à poser la question du “ droit de la
personne, [qui] devrait être un droit d'avoir de bons traitements ”. De plus, des psychiatres
soulignent la difficulté d'évaluer la dangerosité : “ s'ils ne sont pas en train de frapper des gens
puis de faire des menaces de mort ou qu'ils ne sont pas activement suicidaires... mais si la personne
est en train de se négliger au point où ils deviennent malades, c'est difficile à dire... parfois on peut
même dire que quelqu'un qui dort sur la rue en plein milieu de l'hiver est un danger pour lui-même.
C'est très subjectif ”. Un psychiatre souligne aussi les limites des traitements psychiatriques dans
un contexte coercitif : “ ... mon droit d’agir disparaît du moment où les conditions qui justifient
disparaissent... [comment lui s’est-il senti] accueilli ou compris là-dedans? Il s’est senti plutôt
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
38
bousculé, forcé, avec une médication imposée, de toute façon je n’ai rien à faire icitte, c’était pas
mon problème, ils m’ont rendu malade avec leurs affaires... ”.
Les intervenants référents sont aussi très préoccupés des limites imposées par la loi. Les
intervenants communautaires mentionnent qu'on est passé d'un extrême à l'autre. Il est facile pour
un psychiatre de se servir de la loi pour se débarrasser de la personne itinérante : “ tu veux pas
avoir de soins? Ben t'en auras pas de soins. Tu t'en débarrasses et t'envoie la balle à quelqu'un
d'autre ”. Selon eux, il est nécessaire d'interpréter la loi de façon à aider le malade, ce qui ne
semble pas être fait. De plus, la loi est trop restrictive, “ il y a toutes les gens qui sont pas
dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres mais qui sont dans des conditions terribles pis qui
auraient besoin d'être soignés, au moins peut-être. C'est évident que c'est dangereux pour les droits
de la personne quelque part, mais [faudrait] peut-être leur laisser la chance ”. Enfin, ils remettent
en cause l'interprétation restrictive de la notion de dangerosité par les psychiatres et déplorent
l'impuissance relative du système de soins psychiatriques face aux besoins de cette clientèle.
5.4.3 Les difficultés de collaboration
Les intervenants des urgences mettent en cause la compréhension du rôle des urgences
psychiatriques par certains acteurs. “ On a l'impression qu'Urgences Santé ne sait pas trop qui
ramasser. Ils ramassent quelqu'un couché sur un banc,... tu cherches en vain la justification
psychiatrique, il était peut-être un peu paqueté ”. Ils déplorent des cas de dumping de certains
hôpitaux de banlieue et de CLSC, les attentes inappropriées à leur égard et le manque de
communication. Une équipe cite le cas de deux patients reçus à l’urgence faute de démarches
préparatoires à leur réinsertion de la part d’une prison et d’un centre de crise. Globalement, ils
réagissent aux perceptions et aux attentes injustifiées non seulement des intervenants référents mais
aussi des amis, des voisins, des familles et du public en général. Ces derniers associeraient souvent
toxicomanie et psychiatrie de même que les comportements ne respectant pas leur échelle de valeurs
et la maladie mentale. Par contre, ils apprécient la collaboration avec les organismes
communautaires : “ Pour les gens qui peuvent être soignés à l'extérieur de l'hôpital avec des
neuroleptiques, on a encore un bon système, Old Brewery Mission, l'Armée du Salut, moi je trouve
ça extraordinaire ces gens-là; pour le suivi aussi, on peut appeler, ils vont les suivre, ils vont les
renvoyer à l'hôpital ”. Cependant, ils soulignent les limites de ces ressources : “ ... the system
perpetuates homelessness because they have to be out by 11 o'clock or whatever the rules are and
they can't come back until 3 in the afternoon, it's different than having one stable place ”.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
39
Pour leur part, les intervenants référents expriment une certaine frustration. Selon eux, tous
essaient de se débarrasser du problème que représente cette population itinérante, le plus
rapidement possible. Un intervenant d'Urgences Santé affirme : “ j'ai l'impression qu'à l'heure
actuelle là, les services de santé qu'ils soient pré-hospitaliers ou hospitaliers, on se met la tête dans
le sable et on répond à rien ”. Ce qu’ils veulent “ c'est avoir la paix ”. Les policiers partagent
cette opinion : “ je pense qu'on les retient pas, pis peut-être dans certains cas là, je présume, on les
met de côté pis on les fait attendre jusqu'à temps qu'ils prennent la porte, c'est moins de troubles ”.
Ils ont l'impression de passer le problème d'un intervenant à l'autre, de le déplacer. “ ... il y a
personne qui est intéressé à soigner ces gens-là pis à... t'sais on sait plus où les référer ”. Ils
soulèvent également la question des listes noires qu'auraient certaines ressources communautaires.
Cela a comme effet qu'à un certain moment, ils n'ont plus d'endroit où référer les personnes. Ils
soulignent enfin le manque de ressources et de services disponibles pour cette population,
particulièrement la nuit et les fins de semaine. Pour leur part, les intervenants des ressources
communautaires reprochent à ceux des urgences psychiatriques de ne pas garder la personne
suffisamment longtemps pour pouvoir mener une intervention adéquate. Une partie du problème
résiderait dans le fait d'envoyer la personne dans un hôpital de garde alors qu'elle est connue
ailleurs. De plus, ils déplorent ne pas être pris au sérieux par les équipes des urgences; malgré
leur désir de collaboration, rien n'est fait pour les impliquer dans le dossier même si c'est chez eux
que retourne la personne itinérante à sa sortie de l'hôpital. Finalement, ils déplorent être les seuls à
s’occuper de cette population.
5.4.4 Le protocole pour l'application de la sectorisation
Dans l'ensemble, les intervenants des urgences psychiatriques sont satisfaits du protocole
parce qu'il facilite leur travail en répartissant la responsabilité d'intervenir auprès de cette clientèle
difficile. Ses qualités se résument dans son utilité (“ c'est respecté, ça fait qu'on s'entend bien ”),
sa souplesse, sa clarté (les intervenants savent à quoi s'attendre) et son équité (“ I would imagine
that St-Luc would have a lot more itinerant population than we do, I think it is fair that everybody
takes a turn ”). Par contre, du point de vue des patients, la plupart le considère comme une
contrainte. Ils identifient ses principales faiblesses en termes de discontinuité des services,
d'absence de suivi, voire d’inefficacité et de gaspillage de ressources : “ les gens sont vus par
différents hôpitaux, à différents moments donnés et puis ça n'offre pas une continuité parce que
tout le temps t'es à réévaluer la même... ”, “ après la venue dans un centre hospitalier où le
bénéficiaire n'a pas été gardé, c'est le néant pour celui qui arrive, puis il tombe dans le vide puis il
recommence... dans le fond on a rien réglé, économiquement ça coûte cher à tout le monde, à
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
40
l'État ”, “ it misses a lot of the patients that are out there ”. Ainsi, malgré la règle de suivi de six
mois prévue au protocole, “ ce qui arrive malheureusement dans la plupart des cas, c'est que les
gens, quand ils sont un peu mieux, qu'on ne peut plus les garder en cure fermée, vont foutre le
camp avec un refus de traitement et on les perd dans la brume. À ce moment-là, on considère qu'on
n'est pas responsable de les suivre parce qu'eux ont coupé le contrat ”.
De leur côté, les intervenants référents soulignent que le protocole comporte des avantages
seulement pour les hôpitaux. Il y a en effet beaucoup plus de chances que les personnes itinérantes
soient connues des hôpitaux du centre-ville. Ils sont d'avis qu'on ne fait que déplacer le problème
en amenant une personne dans un hôpital éloigné et que cela complique le suivi.
5.5 Une organisation idéale des services psychiatriques
Compte tenu des difficultés rencontrées dans la dispensation des services psychiatriques aux
personnes itinérantes, nous avons demandé aux intervenants comment ils verraient idéalement
l'organisation des soins psychiatriques. Les lignes directrices de ces propositions peuvent se
résumer ainsi : une stratégie d'intervention dans le milieu; une centralisation des renseignements de
base sur les personnes et des services; la mise sur pied de deux ou trois équipes spécialisées; le
développement d'un hébergement et de services adaptés; et l’assouplissement de l’application de la
Loi sur la protection du malade mental.
5.5.1 Une approche de suivi systématique clinique dans le milieu
Plusieurs intervenants des urgences préconisent d’abord une approche de suivi systématique
clinique (case management et outreach) dans le milieu de vie des personnes itinérantes. Celle-ci
permettrait de les rejoindre, d’établir avec elles une relation, de gagner graduellement leur confiance,
de les accompagner dans les différentes démarches (de soins, de services sociaux et autres) et
d’assurer un suivi.
Il faut les amadouer, il faut aller les chercher ces gens-là et essayer de leur offrir des chosesqui peuvent correspondre un petit peu à leurs besoins... Puis il faut qu'ils puissent y trouverdes avantages... Il va falloir qu'on aille vers eux, on n'a pas le choix, parce que ces gens-làavant d'être capables de les rentrer dans le réseau, il faut que tu établisses un lien de confiance,puis ça, ça prend du temps.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
41
I think the hospital and the emergency room for these people should be used with somebodywith a concerned identified individual who is their case manager.
Cette approche centrée sur la personne et ses besoins permettrait de s'adresser au problème
du refus des soins. Certains intervenants soulignent que l'hôpital ne peut réaliser cette intervention
mais qu'il doit être disponible quand le patient sera prêt à se faire soigner. Selon eux, le problème
n'est pas d'abord celui des soins psychiatriques d'urgence mais celui des soins psychiatriques dans
la communauté : “ je ne trouve pas que c'est là [l'urgence psychiatrique] que ça a besoin d'être
amélioré, c'est dans le “ après ” ou “ avant ” ça ”.
Une équipe suggère pour sa part d’offrir les soins directement dans les refuges : “ in an
ideal world, closer care, possibly closer medication monitoring for some, social services input in the
different residences in the community, that doesn't address the people that are truly homeless and
don't frequent these facilities, but I don't think that number is very large ”. Elle propose d'avoir une
personne-contact dans la ressource au courant de la médication, du suivi recommandé, des noms du
médecin et du travailleur social responsables. Dans la même perspective, un autre intervenant
suggère d'utiliser le réseau des CLSC pour dispenser les services dans les ressources sur le modèle
de ce qui se fait au CLSC des Faubourgs.
De façon générale, les intervenants référents proposent la même approche d’outreach et de
suivi systématique clinique. En ce sens, des intervenants des ressources communautaires suggèrent
la création d'une équipe spécialisée oeuvrant dans la communauté qui serait en lien avec les hôpitaux.
Ceux d'Urgences Santé suggèrent d’avoir recours à des travailleurs de rue. Par ailleurs, un
psychiatre-parrain prône l'approche d'empowerment. Il faut selon lui confirmer que c'est la
personne qui va s'occuper d'elle-même. Il est primordial que la personne itinérante veuille se prendre
en main.
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
42
5.5.2 La centralisation des renseignements et des services psychiatriques
Un certain nombre d’intervenants des équipes des urgences suggèrent la mise sur pied d’une
banque d’information rendant disponibles les renseignements de base sur les personnes itinérantes
non connues des établissements. Selon ces derniers, il s’avérerait assez facile de mettre en place
cette banque d'information tout en respectant la confidentialité. Ce mécanisme permettrait aux
équipes des urgences d'assurer une évaluation et un traitement plus adéquats et à long terme, et
faciliterait la collaboration avec les différentes ressources isolées qui interviennent auprès de la
personne itinérante.
Certains intervenants proposent également une centralisation des services d’urgence
psychiatriques et de suivi pour les personnes itinérantes au centre-ville car ce dernier constitue le
milieu d'appartenance de la majorité des personnes itinérantes et le lieu où sont localisés la plupart
des ressources communautaires : “ ... je me demande s'il ne pourrait pas y avoir quelques hôpitaux
dans le centre-ville qui soient ciblés pour que les ressources communautaires qui font la réadaptation
puis le suivi puissent travailler en collaboration... que ce soit plus centralisé ”. Une équipe suggère
de regrouper les services et la clientèle dans trois petits centres dans autant de secteurs de la ville qui
offriraient des services spécialisés d'urgence, d'hébergement et de suivi psychiatrique. Ceci
permettrait de dispenser des services plus adaptés et d’assurer une véritable prise en charge et un
suivi des soins d'urgence. Par contre, une équipe estime qu'il faut plutôt revoir l'ensemble de
l'organisation des services des urgences psychiatriques à Montréal et réduire le nombre d'équipes
d’urgence psychiatrique à environ quatre de façon à disposer d'équipes multidisciplinaires capables
de bien répondre à cette clientèle.
Les intervenants référents proposent également la centralisation des services d’urgence
psychiatriques au centre-ville et prônent la mise sur pied dans les hôpitaux d’équipes spécialisées
d’urgence et de suivi. Un psychiatre-parrain explique que c’est une question de logique. Les
ressources pour personnes itinérantes étant au centre-ville, il faut travailler avec elles et les hôpitaux
du secteur. Les intervenants d'Urgences Santé ajoutent que les centres hospitaliers éloignés ne
rendent service à personne. Puisque c'est le centre-ville qui est le plus touché, ils proposent qu'il y
ait une clinique ou un établissement spécialisé qui réponde aux besoins de la clientèle et qu'on cesse
de les promener d'un endroit à l'autre. Les intervenants des ressources communautaires préconisent
qu’on désigne deux ou trois hôpitaux dans lesquels se trouverait une équipe médicale et
psychiatrique ayant pour mandat de faire le lien entre l'intérieur et l'extérieur de l'hôpital.
5.5.3 Développer l'hébergement et les services aux toxicomanes
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
43
Les intervenants des urgences proposent enfin le développement de services d'hébergement
stables dans la communauté et de services à l'intention des personnes toxicomanes. “ L'hôpital n'est
pas nécessairement le bon endroit pour traiter une toxicomanie ”. Ainsi, un intervenant préconise
une formule d'hébergement dans la communauté qui permettrait l'encadrement : “ ... pendant par
exemple un minimum de temps,... une ressource dite pas d'accueil mais plutôt de résidence, qu'on
puisse y dire, bon on fait un protocole avec vous... et pendant six mois, à moins qu'il se présente des
situations très compliquées, vous devriez rester dans cette ressource-là... [afin] qu'on puisse avoir
des balises pour intervenir avec le client ”. Une autre équipe suggère le développement d'une
ressource d'hébergement de dépannage pour les personnes alcooliques et toxicomanes
“ spécifiquement pour ces gens-là, parce qu'ils ont pas besoin de médecin, d'infirmière... [on
pourrait] leur envoyer quelqu'un qui est en état d'ébriété,... tu veux pas le mettre dehors, c'est un être
humain, mais tu veux pas non plus qu'il se serve des urgences comme un abri pour la nuit ”.
Les intervenants référents mettent de l’avant des suggestions similaires. Un intervenant
d'une ressource communautaire propose de créer de nouvelles ressources d’hébergement car le
manque de ressources au centre-ville a comme conséquence que des gens avec des problèmes
différents se ramassent tous aux mêmes endroits. Ce dernier explique qu'il faut offrir plus de choix
aux personnes itinérantes. Pour leur part, les policiers préconisent le développement de programmes
pour les toxicomanes puisque de leur point de vue le problème prédominant semble être la
toxicomanie. Selon eux, dans le cas d’accumulation d'événements, la personne devrait être contrainte
à suivre une cure fermée. Il reviendrait aux juges de référer la personne à une institution qui
l'évaluerait, pourrait l'encadrer et lui assurer un suivi. Ainsi, les personnes demeurant suffisamment
longtemps dans une ressource, le personnel aurait le temps de trouver le problème et d'orienter la
personne vers la solution.
5.5.4 L’assouplissement de l’application de la loi
Plusieurs intervenants préconisent une clarification et un assouplissement de l’application de
la Loi sur la protection du malade mental et des autres dispositions qui constituent un frein aux
soins psychiatriques aux personnes itinérantes dans le besoin. Certains proposent que la loi autorise
l’intervention dans le cas où la personne met sa vie en danger “ dans un avenir prévisible ” faute de
prendre soin d’elle-même, plutôt que la notion de danger “ immédiat ”. Cette disposition a été
utilisée aux États-Unis, notamment à New York dans le cadre du projet HELP. Pour sa part,
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
44
l’Équipe Itinérance propose la mise sur pied d’un projet-pilote pour expérimenter cette approche à
Montréal, lequel serait encadré par un comité aviseur représentant les milieux légal, médical, social et
communautaire.
5.5.5 Un plan régional d’intervention spécifique et une volonté politique
Tous les intervenants rencontrés ont manifesté leur vive préoccupation de voir le problème
des soins psychiatriques aux personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et
persistants trouver enfin une solution. Les mesures qu’ils mettent de l’avant constituent autant de
pistes intéressantes en vue de l’adoption d’un plan régional d’intervention spécifique pour faire en
sorte que les personnes aient accès aux services dont elles ont besoin. Plusieurs ont mentionné la
nécessité d’une volonté politique d'agir de la part de la Régie régionale de la Santé et des Services
sociaux de Montréal-Centre et des établissements hospitaliers. Une équipe d’urgence l’exprime
ainsi :
... il va falloir que ce soit un choix de société carrément. Puis il va falloir que lesétablissements arrêtent de se regarder le nombril tous et chacun et de parler juste en son petitnom personnel... il va falloir que tout le monde se mette ensemble pour pousser la roue dumême bord et à commencer par la Régie régionale d'arrêter de faire des beaux projets puis deles laisser sur la tablette... Un des points, c'est que la Régie dise on centralise quelque part cesinformations-là, on crée une structure d'intervention régionale sans barrière de territoire...
6. DISCUSSION
Les entrevues auprès des intervenants de même que l’étude de la clientèle des urgences
psychiatriques de garde dans la région de Montréal enrichissent notre connaissance du phénomène
des services psychiatriques aux personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et
persistants. Ces résultats confirment ceux des études antérieures et mettent en lumière la
problématique de la dispensation des soins psychiatriques à cette population. Ils remettent en cause
l’organisation des services psychiatriques, l’absence des ressources dans la communauté et les
approches d’intervention.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
45
Les entrevues révèlent deux systèmes d’explication de ce phénomène qui s’avèrent
divergents sur plusieurs points mais aussi complémentaires et convergents en ce qui concerne les
limites du système des urgences psychiatriques en regard des besoins des personnes itinérantes et
les principales pistes de solution pour remédier à la situation. De façon générale, les deux groupes
ont des perceptions différentes des personnes itinérantes et du rôle des urgences psychiatriques.
Dans la même veine que les études présentées dans la recension des écrits, les intervenants référents
décrivent des personnes malades, désorganisées, incapables de faire face aux réalités de la vie
quotidienne, désaffiliées, incapables de tolérer la frustration et de faire face au stress, abusant de
l’alcool et des drogues, vivant une souffrance émotionelle, très démunies, exclues, marginalisées,
victimisées et judiciarisées. Pour certains, la perception de troubles mentaux est floue, ainsi pour les
techniciens-ambulanciers, presque toutes les personnes itinérantes souffrent de troubles mentaux.
L’essentiel de la problématique réside, selon ces intervenants référents, dans le fait que les urgences
psychiatriques ne répondent pas aux besoins des personnes itinérantes qu’elles leur amènent,
qu’elles ne les traitent pas, ne les prennent pas en charge et qu’elles les remettent à la rue. Les
intervenants des urgences psychiatriques de garde ne les considèreraient pas assez malades ou n’en
voudraient pas et s’en débarrasseraient en ne faisant rien pour les retenir. Dans le cas des quelques
personnes hospitalisées, elles seraient retournées à la rue aussitôt qu’elles sont stabilisées et le cycle
recommencerait. On déplacerait donc le problème d’un intervenant à un autre parce qu’en
définitive, personne ne veut s’occuper de cette population. En somme, les intervenants
communautaires ont le sentiment d’être les seuls à s’occuper des personnes itinérantes souffrant de
troubles mentaux sévères et persistants.
Décrivant leur clientèle itinérante au sens de la définition de la recherche, les intervenants des
urgences psychiatriques parlent de personnes souffrant de troubles mentaux, pas toujours sévères
ni urgents, et de plusieurs autres problématiques comme la toxicomanie, la mésadaptation sociale et
les problèmes avec la justice. Ils précisent que plusieurs ont choisi la liberté, rejettent la société et
ses services, qu’ils ne demandent pas de services psychiatriques, qu’ils sont autonomes, qu’ils
disposent de ressources personnelles leur permettant de se débrouiller seuls, certains préférant leur
folie à la responsabilisation. La plupart de ces personnes souffriraient de troubles mentaux
chroniques et refuseraient les soins et les suivis. Pour certains, il s’agirait d’une minorité parmi la
clientèle des urgences de garde. Selon les intervenants des urgences, le problème principal réside
dans une utilisation dysfonctionnelle de l’urgence psychiatrique notamment dans les cas
d’intoxication et les cas chroniques non urgents qui ne se soignent pas. Ils ne connaissent pas les
patients référés, ils ne peuvent les suivre après l’intervention, ils ne sont pas outillés pour traiter la
toxicomanie ni pour encadrer ces personnes, les dispositions légales les empêchent d’intervenir
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
46
auprès des personnes récalcitrantes dont l’état ne constitue pas un danger immédiat et l’approche
coercitive comporte d’importantes limites.
Les deux groupes s’entendent sur les limites du système actuel des urgences psychiatriques
de garde en regard des besoins des personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et
persistants associés à d’autres problématiques. Ils soulèvent non seulement la question du rôle et
des limites de l’urgence psychiatrique dans la réponse à ces besoins mais également celle des
services psychiatriques en général et des autres acteurs du milieu. Est-il pertinent d’aborder ces
personnes de façon spécialisée, à partir de l’hôpital, une problématique à la fois, en ne tenant pas
compte de leur situation globale en termes des diverses problématiques en cause, de leurs
conditions et de leurs milieux de vie (absence de logement stable, de réseau de soutien et de revenu),
de leur méfiance ou de leur refus des soins et de ce qui est structuré, et de leur désir de liberté dans
la communauté? Quelle importance relative doit-on accorder dans l’intervention auprès de cette
population aux soins de santé physique et mentale, à la réponse aux besoins de base (nourriture,
logement, vêtements, sécurité) et aux activités d’insertion sociale? Enfin, quelle place doit-on
réserver aux intervenants des organismes communautaires qui les hébergent, les accompagnent et
constituent souvent leur seul réseau de soutien?
Les résultats de la recherche suggèrent également que l’urgence psychiatrique de garde joue
le rôle de point de chute pour des personnes itinérantes en crise ou en difficulté à cause de sa
grande disponibilité et de l’absence d’autres ressources dans la communauté. Le recours à celle-ci
met en lumière la faiblesse des services psychiatriques réguliers, des approches d’intervention et de
l’organisation des services. Il est d’ailleurs significatif que le réseau des urgences psychiatriques
n’utilise pas la définition de personne itinérante du milieu. Ainsi, le système s’adresse d’abord à
des patients hors secteur plutôt qu’à des personnes sans-abri, sans réseau de support significatif et
sans revenu. Or, l’étude des profils de la clientèle sur une année révèle que les patients vivant sur
l’île de Montréal, la plupart répondent aux caractéristiques de la définition de personne itinérante du
milieu, de même qu’une grande majorité de ceux qui ont une adresse à l’extérieur. En effet, la
plupart des personnes de Montréal n’ont pas de logement stable, plus du tiers n’a aucun revenu, la
très grande majorité de celles qui en ont un reçoivent des prestations de la sécurité du revenu et les
mesures prises suite à leur congé de l’hôpital suggèrent l’absence d’un réseau de soutien chez la
grande majorité. Dans le deuxième groupe, la moitié n’a pas de logement stable, le tiers n’a aucun
revenu, les deux tiers des autres reçoivent des prestations de la sécurité du revenu, trois personnes
seulement tirent leur revenu d’un emploi et la majorité n’aurait pas de réseau de soutien si l’on se
fie aux mesures prises par l’hôpital.
Collectif de Recherche sur l’I t i né rance
47
Les données sur la clientèle confirment aussi le petit nombre de personnes reçues pendant
la semaine de garde (moyenne de 4,5 personnes) rapporté par certains intervenants des équipes des
urgences et l’étude de Mignault (1993). De plus, l’hypothèse de personnes itinérantes utilisant ce
circuit de façon répétitive, formulée par l’Équipe Itinérance du CLSC des Faubourgs, est clairement
infirmée. Par contre, ces chiffres diffèrent de ceux amenés par les intervenants référents,
notamment ceux des techniciens-ambulanciers, qui disent amener une trentaine de personnes par fin
de semaine et ceux de Raynault (1994) sur la fréquentation de l’urgence générale de l’hôpital St-
Luc par les personnes itinérantes en 1988-1989 (moyenne hebdomadaire de 31,4 personnes). Ceci
s’expliquerait par le phénomène de filtrage de l’urgence générale mentionné précédemment. Les
données révèlent également l’existence de troubles mentaux chez la plupart des patients vus par les
intervenants des urgences de garde et les autres problématiques associées comme la toxicomanie,
les troubles de comportement et les démêlés avec la justice. Elles suggèrent que les urgences
psychiatriques de garde rejoignent seulement une partie des personnes itinérantes souffrant de
troubles mentaux sévères et persistants en crise ou en difficulté, soit la portion la plus visible qui
perturbe l’environnement, souvent à cause d’une intoxication, et celles qui sont les moins réticentes
à la fréquenter. Elles permettent d’émettre l’hypothèse qu’une portion encore plus importante, plus
discrète et récalcitrante aux services psychiatriques, se retrouve à l’urgence générale, dans les
ressources communautaires et ailleurs dans la communauté.
En dépit des objectifs et des mesures concrètes prévues au Plan conjoint de la Ville de
Montréal et du ministère de la Santé et des Services sociaux (1990), des rapports des Comités
aviseurs au Ministre de la Santé et des Services sociaux (1991) et à la Régie régionale de la Santé et
des Services sociaux de Montréal-Centre (1994), la recherche révèle que l’accès des personnes
itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants aux services psychiatriques pose
toujours problème dans la région de Montréal. Elle fait d’une part ressortir les caractéristiques très
particulières des personnes itinérantes. En effet, plusieurs d’entre elles ne possèdent pas les
prérequis nécessaires à l’utilisation des services de santé mentale, comme de réaliser qu’elles ont un
problème, le désir de se faire soigner, la connaissance des ressources, la confiance dans les soins,
disposer de l’énergie pour faire les démarches, contrôler sa consommation, compter sur le soutien
d’un réseau familial ou d’amis, avoir un logement stable, une vie régulière, être situé dans le temps,
respecter sa médication et ses rendez-vous. Elle met d’autre part en lumière les limites de
l’organisation des services et des approches d’intervention auprès de cette population marginale, le
nombre élevé d’urgences psychiatriques, leur dispersion sur l’île, la faiblesse des ressources dans
la communauté et des services psychiatriques réguliers, les limites des urgences psychiatriques dans
la prise en charge et le suivi des personnes, la nécessité d’une approche qui tiennent compte des
problématiques associées, de la méfiance et du refus des soins, les contraintes légales et
LES PERSONNES ITINÉRANTES ET LES SERVICES PSYCHIATRIQUES À MONTRÉAL
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administratives et l’absence d’un plan régional de services pour cette population. C’est ce qui
amenait Bachrach (1992) à considérer cette population comme la victime de l’échec du système de
santé et des services sociaux à répondre à leurs besoins.
La recherche soulève aussi la question des rapports entre les différents intervenants en cause
notamment entre les intervenants des urgences psychiatriques des hôpitaux et les intervenants de la
communauté. Elle révèle les difficultés de collaboration et le manque de communication entre les
deux groupes de même que sa grande importance. En effet, les intervenants des refuges et des
centres de jour remplacent souvent la famille inexistante des personnes itinérantes et constituent leur
seul réseau de soutien. Elle illustre aussi que la problématique dépasse celle des services
psychiatriques et qu’il s’agit d’une problématique d’intégration et d’adaptation sociale. La
recherche suggère également la nécessité de nouvelles approches d’intervention plus adaptées qui
permettent une approche globale et un suivi de la personne. Plusieurs solutions très pertinentes sont
mises de l’avant par les intervenants, entre autres au plan de l’organisation des services et de
l’approche d’intervention. Elles permettraient selon nous de répondre aux besoins de cette
population. Leur adoption et leur mise en oeuvre dépendent en bonne partie du leadership dont fera
preuve la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux et de la collaboration entre les
institutions et les intervenants du milieu.
CONCLUSION
La population itinérante souffrant de troubles mentaux sévères et persistants représente une
population marginale mal desservie par les services de santé et les services sociaux du réseau. Les
intervenants des ressources communautaires, de l’Équipe Itinérance du CLSC des Faubourgs et les
autres intervenants de la communauté l’affirment depuis des années. Cette recherche exploratoire a
permis de leur donner la parole ainsi qu’aux intervenants des 14 équipes des urgences
psychiatriques, de mieux cerner cette problématique et de mettre de l’avant leurs pistes de solutions
pour améliorer les services et le bien-être de cette population. Dans l’actuel contexte de
restructuration des services du réseau, nous souhaitons vivement que leur message soit entendu.
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