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LES CENT LES CENT ANS DE L ANS DE L ’AF : ’AF : ENTRETIEN ENTRETIEN AVEC JEAN VEC JEAN TULARD TULARD p. 2 3:HIKLKJ=XUXUUU:?c@r@p@a@a; M 01093 - 2750 - F: 3,00 E LE B LE BAC À Q C À Q UOI ? UOI ? Plus de 600 000 candidats sont en train de passer les épreuves du baccalauréat. Ils étaient 31 en 1809, l'année qui suivit la création de cet examen par Napoléon par décret du 17 mars 1808. En cent ans, le bac s'est “démocratisé”, disent quelques imbéciles heureux qui croient que cette augmentation du nombre ne tient qu'à la forme "démocratique" du régime poli- tique. Que les conditions so- ciales, économiques, techniques, aient rendu la culture accessible à un plus grand nombre de jeunes Français, nul ne peut en prendre ombrage. Seulement voilà : la sacro-sainte démo- cratie, s'étant emparée de l'édu- cation, ne pouvait offrir aux gé- nérations montantes qu'un ca- deau empoisonné. Elle n'a été capable de tendre qu'à l'égalité par le bas et, ainsi, de ravaler d'année en année le baccalau- réat au niveau d'un sous-certifi- cat d'études qui donne fort peu d'espérance aux lauréats, ac- cumulant trente ou cinquante fautes dans leur dissertation, d'échapper au chômage les an- nées suivantes... Le baccalau- réat est si déprécié que, parmi les meilleurs, presque seuls s'en sortent ceux qui ont les moyens de s'inscrire dans une école pré- paratoire... En guise de "dé- mocratie", bravo ! C'était fatal : la démocratie, pour fonctionner, avait besoin de former elle-même et selon ses "valeurs" les futurs électeurs. Il lui fallait donc par l'école égali- ser les conditions, mettre tous les enfants dans le moule de l'É- mile de Rousseau et les entas- ser dans des écoles surchar- gées. On affecte de les croire tous doués pour les mêmes études, alors qu'un bon nombre s'épanouirait plus en apprenant un métier dès l'âge de 14 ou 16 ans ! La démocratie immole les jeunes générations sur l'autel de son idéologie. M.F. L’ACTION FRANÇAISE 3 s N° 2750 62 e année Du 19 juin au 2 juillet 2008 Paraît provisoirement les premier et troisième jeudis de chaque mois www.actionfrancaise.net « Tout ce qui est national est nôtre » 2 0 0 0 Réforme Réforme constitutionnelle : constitutionnelle : Les révisionnistes Les révisionnistes contr contr e la F e la Fr ance ance PAGE 5 Le drame Le drame de la condition humaine : de la condition humaine : Gusta Gustav e e T hibon, hibon, témoin de l'éter témoin de l'éter nel nel PAGES 8 ET 9 Négociations européennes Négociations européennes avec la T avec la T urquie : urquie : La Commission La Commission ser ser t les islamistes t les islamistes PAGE 7 INSTITUTIONS COMBAT DES IDÉES ÉTRANGER Les résultats du référendum irlandais cho- quent les partisans du traité de Lisbonne et irritent les gouvernements européens, furieux de cette nouvelle remise en cause de "l’Eu- rope légale" par le "pays réel" d’un État de l’Union. L’argument du nombre est couram- ment utilisé par les européistes pour minorer et culpabiliser le vote irlandais, comme le montrent ces lignes du Figaro (14-15 juin) : « Il a suffi de quelque trois millions d’élec- teurs, moins de 1 % de la population de l’Union, pour gripper à nouveau la ma- chine européenne. » Ni cet argument, ni les propos méprisants d’un Alain Duhamel ou d’un Serge July, ne sont très populaires au- près des électeurs irlandais, considérés comme des parias ou des “enfants gâtés” qui auraient cassé le jouet constitutionnel euro- péen par la simple expression d’un droit que leur reconnaît leur constitution nationale. L’européiste Cohn-Bendit allait plus loin encore en se plaignant que l’on puisse faire voter des citoyens d’un État sur un tel texte, si fondamental selon lui mais trop compliqué pour être soumis au jugement des gens… En somme, le contournement parlementaire est le meilleur moyen de faire le bonheur des peuples malgré eux… Cela peut se défendre dans une démocratie représentative "abso- lue" qui nierait complètement (et interdirait même, comme en Allemagne, traumatisée à juste titre par l’usage qu’en fit Hitler) l’idée du référendum, symbole de la démocratie di- recte. Mais certaines démocraties d’Europe, comme la France, conservent le référendum, et pas seulement comme ultima ratio, et il se- rait dangereux d’oublier que cette possibilité constitutionnelle a, dans notre pays déjà très attaché à l’élection directe au suffrage uni- versel du chef de l’État (même si c’est sou- vent sans illusions particulières et, à mon avis, à tort), une certaine aura quand il s’agit de thèmes majeurs ou intéressant les électeurs, comme on a pu le constater en 2005… "Nouvelles chouanneries" Il n’y a qu’à entendre la colère de ces ci- toyens français qui se sentent dépossédés d’un "droit" parce qu’ils ne sont plus convo- qués pour cette ratification quand ils y ont déjà dit non en 2005 sur un traité “sosie”… Du coup, le “1 %”irlandais se trouvait chargé de tous les espoirs des "nonistes" de tout poil, et beaucoup plus représentatif, symbo- liquement sans l’être concrètement, des as- pirations de nombreux citoyens des pays de l’UE. Il n’est pas certain que, la prochaine fois, l’Union européenne accepte qu’une na- tion puisse ainsi l’empêcher de "constitution- naliser en paix" : on pourrait placer la loi eu- ropéenne au-dessus de la souveraineté de l’Irlande et interdire tout vote sur l’UE autre que la désignation d’élus au Parlement eu- ropéen... Par ailleurs, les Verts européens proposent de transformer la prochaine as- semblée européenne en assemblée consti- tuante : le même processus qu’en 1789… Celui-là même qui, après juillet de la même année, s’empressa d’oublier les 60 000 ca- hiers de doléances rédigés dans les territoires de France pour mieux légiférer "librement" sans se soucier des réalités populaires, au nom de cette "volonté nationale" qu’ils, et eux seuls, étaient censés incarner. On connaît le résultat : la confiscation de la parole et de la rédaction de la loi par une assemblée majo- ritairement "bourgeoise", tout empreinte de libéralisme et de grands principes, tant que le peuple restait tranquille. N’est-ce pas, en définitive, ce que sou- haitent des européistes pressés de voir leur rêve aboutir, sans trop regarder les méthodes employées ? Mais à éviter le peuple dans les urnes, on risque de le croiser dans la rue… Les "nouvelles chouanneries" commencent d’ailleurs à préoccuper nos gouvernants… JEAN-PHILIPPE CHAUVIN Nous sommes tous des Irlandais P P A A GES 3 ET 7 GES 3 ET 7

LES CENT ANS DE L’AF :ENTRETIEN AVEC JEAN TULARD …

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LES CENT LES CENT ANS DE LANS DE L’AF :’AF : ENTRETIEN ENTRETIEN AAVEC JEAN VEC JEAN TULARD TULARD pp.. 22

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LE BLE BAAC À QC À QUOI ?UOI ?Plus de 600 000 candidats

sont en train de passer lesépreuves du baccalauréat. Ilsétaient 31 en 1809, l'année quisuivit la création de cet examenpar Napoléon par décret du 17mars 1808. En cent ans, le bacs'est “démocratisé”, disentquelques imbéciles heureux quicroient que cette augmentationdu nombre ne tient qu'à la forme"démocratique" du régime poli-tique. Que les conditions so-ciales, économiques, techniques,aient rendu la culture accessibleà un plus grand nombre dejeunes Français, nul ne peut enprendre ombrage. Seulementvoilà : la sacro-sainte démo-cratie, s'étant emparée de l'édu-cation, ne pouvait offrir aux gé-nérations montantes qu'un ca-deau empoisonné. Elle n'a étécapable de tendre qu'à l'égalitépar le bas et, ainsi, de ravalerd'année en année le baccalau-réat au niveau d'un sous-certifi-cat d'études qui donne fort peud'espérance aux lauréats, ac-cumulant trente ou cinquantefautes dans leur dissertation,d'échapper au chômage les an-nées suivantes... Le baccalau-réat est si déprécié que, parmiles meilleurs, presque seuls s'ensortent ceux qui ont les moyensde s'inscrire dans une école pré-paratoire... En guise de "dé-mocratie", bravo !

C'était fatal : la démocratie,pour fonctionner, avait besoin deformer elle-même et selon ses"valeurs" les futurs électeurs. Illui fallait donc par l'école égali-ser les conditions, mettre tousles enfants dans le moule de l'É-mile de Rousseau et les entas-ser dans des écoles surchar-gées. On affecte de les croiretous doués pour les mêmesétudes, alors qu'un bon nombres'épanouirait plus en apprenantun métier dès l'âge de 14 ou 16ans ! La démocratie immole lesjeunes générations sur l'autel deson idéologie.

M.F.

L’ACTION FRANÇAISE3 s ❙ N° 2750 ❙ 62e année ❙ Du 19 juin au 2 juillet 2008 ❙ Paraît provisoirement les premier et troisième jeudis de chaque mois ❙ www.actionfrancaise.net

« To u t c e q u i e s t n a t i o n a l e s t n ô t re »

2000

Réforme Réforme const i tu t ionnel le :const i tu t ionnel le :

Les révisionnistesLes révisionnistescontrcontre la Fe la Frranceance

P A G E 5

Le drame Le drame de la condi t ion humaine :de la condi t ion humaine :

GustaGustavve e TThibon,hibon,témoin de l'étertémoin de l'éternelnel

P A G E S 8 E T 9

Négociat ions européennesNégociat ions européennesavec la Tavec la T urquie :urqu ie :

La Commission La Commission sersert les islamistest les islamistes

P A G E 7

n INSTITUTIONS n COMBA T DES IDÉESn ÉTRANGER

■ Les résultats du référendum irlandais cho-quent les partisans du traité de Lisbonne etirritent les gouvernements européens, furieuxde cette nouvelle remise en cause de "l’Eu-rope légale" par le "pays réel" d’un État del’Union. L’argument du nombre est couram-ment utilisé par les européistes pour minoreret culpabiliser le vote irlandais, comme lemontrent ces lignes du Figaro (14-15 juin) :« Il a suffi de quelque trois millions d’élec -teurs, moins de 1 % de la population del’Union, pour gripper à nouveau la ma -chine européenne. » Ni cet argument, ni lespropos méprisants d’un Alain Duhamel oud’un Serge July, ne sont très populaires au-près des électeurs irlandais, considéréscomme des parias ou des “enfants gâtés” quiauraient cassé le jouet constitutionnel euro-péen par la simple expression d’un droit queleur reconnaît leur constitution nationale.

L’européiste Cohn-Bendit allait plus loinencore en se plaignant que l’on puisse fairevoter des citoyens d’un État sur un tel texte,si fondamental selon lui mais trop compliquépour être soumis au jugement des gens… Ensomme, le contournement parlementaire estle meilleur moyen de faire le bonheur despeuples malgré eux… Cela peut se défendredans une démocratie représentative "abso-lue" qui nierait complètement (et interdirait

même, comme en Allemagne, traumatisée àjuste titre par l’usage qu’en fit Hitler) l’idée duréférendum, symbole de la démocratie di-recte. Mais certaines démocraties d’Europe,comme la France, conservent le référendum,et pas seulement comme ultima ratio, et il se-rait dangereux d’oublier que cette possibilitéconstitutionnelle a, dans notre pays déjà trèsattaché à l’élection directe au suffrage uni-versel du chef de l’État (même si c’est sou-vent sans illusions particulières et, à mon avis,à tort), une certaine aura quand il s’agit dethèmes majeurs ou intéressant les électeurs,comme on a pu le constater en 2005…

"Nouvelles chouanneries"

Il n’y a qu’à entendre la colère de ces ci-toyens français qui se sentent dépossédésd’un "droit" parce qu’ils ne sont plus convo-qués pour cette ratification quand ils y ontdéjà dit non en 2005 sur un traité “sosie”…Du coup, le “1 %”irlandais se trouvait chargéde tous les espoirs des "nonistes" de toutpoil, et beaucoup plus représentatif, symbo-liquement sans l’être concrètement, des as-pirations de nombreux citoyens des pays del’UE. Il n’est pas certain que, la prochainefois, l’Union européenne accepte qu’une na-

tion puisse ainsi l’empêcher de "constitution-naliser en paix" : on pourrait placer la loi eu-ropéenne au-dessus de la souveraineté del’Irlande et interdire tout vote sur l’UE autreque la désignation d’élus au Parlement eu-ropéen... Par ailleurs, les Verts européensproposent de transformer la prochaine as-semblée européenne en assemblée consti-tuante : le même processus qu’en 1789…Celui-là même qui, après juillet de la mêmeannée, s’empressa d’oublier les 60 000 ca-hiers de doléances rédigés dans les territoiresde France pour mieux légiférer "librement"sans se soucier des réalités populaires, aunom de cette "volonté nationale" qu’ils, et euxseuls, étaient censés incarner. On connaît lerésultat : la confiscation de la parole et de larédaction de la loi par une assemblée majo-ritairement "bourgeoise", tout empreinte delibéralisme et de grands principes, tant quele peuple restait tranquille.

N’est-ce pas, en définitive, ce que sou-haitent des européistes pressés de voir leurrêve aboutir, sans trop regarder les méthodesemployées ? Mais à éviter le peuple dans lesurnes, on risque de le croiser dans la rue…Les "nouvelles chouanneries" commencentd’ailleurs à préoccuper nos gouvernants…

JEAN-PHILIPPE CHAUVIN

Nous sommes tous

des IrlandaisPPAAGES 3 ET 7

GES 3 ET 7

Page 2: LES CENT ANS DE L’AF :ENTRETIEN AVEC JEAN TULARD …

2 L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008

L’AF REÇOIT

L'ACTION FRANÇAISE 2000 –L'irruption d'un grand journalroyaliste dans le débat politiquen'est-elle p as extraordinaire àun moment où la Républiquesemblait bien ét ablie ?JEAN TULARD – La Républiqueétait beaucoup moins ferme quevous semblez le dire. Le mouve-ment anarchiste était encore vi-vace. Et puis 1908, c'est l'annéede l'apparition des Pieds Nickelés,une bande dessinée d'un nouveaugenre qui, à l'instar de Guignol centans plus tôt, apparaissait commeune réaction contre des valeurstrop établies, fussent-elles cellesde la république... Se manifestaitainsi le refus d'un conformisme néde la Révolution française...

Alors L'Action Française, dansla ligne de Joseph de Maistre etde Louis de Bonald, poussait plusloin la contestation, en s'en pre-nant à l'universalisme et à l'abs-traction qu'avait développés l'idéo-logie des Droits de l'Homme, cetteidéologie à laquelle, dès la Révo-lution, des hommes comme Mira-beau ou Talleyrand étaient bientrop intelligents pour adhérer. Ilsavaient soutenu par exemple leprincipe de la distinction entre ci-toyens passifs et citoyens actifsqui représente une complète né-gation de l'universalisme révolu-tionnaire. De même on toléraitalors l'esclavage... Vous voyez :la Révolution n'avait pas hésitéà mettre en doute les principesqu'elle proclamait. Elle s'étaitmême bien gardée d'en appliquercertains. Mais avec le temps, cesprincipes avaient été pris au sé-rieux. L'Action Française en 1908incarnait le premier grand rejet de la Révolution.

Il faut considérer aussi le mou-vement nationaliste, la fièvre pa-triotique qui se manifestait depuis

une dizaine d'années face aux me-naces sur la nation. On avait peurcette fois que la république selaisse aller et renonce à reprendrel'Alsace et la Lorraine.Donc, le re-fus de l'idéologie des Droits del'Homme allait de pair avec le re-fus de l'aliénation de la nation. Lesdeux courants se sont rejoints dansL'Action Française.

École de bon sens

L’AF 2000 – Dans quels do -maines l'influence de L'ActionFrançaise vous semble-t-elles'être le plus exercée ?J.T. – Elle a rayonné principale-ment par un certain bon sens, soninfluence a été importante à uneépoque où la république était en-core traversée par des courantspatriotiques et où les instituteursenseignaient l'attachement à laFrance. En revanche son roya-lisme a eu moins d'influence, larépublique tenait bon et ne se sen-tait pas menacée. Depuis 1848 oùle suffrage universel avait été pro-clamé, le régime tenait par les en-gouements qu'il provoquait. Le suf-frage censitaire aurait garanti unecertaine modération et avec lui,sans doute serions-nous revenusà la monarchie, facteur de sou-plesse et de stabilité. Sans doutel'Action française a-t-elle eu en1919 des élus députés, notam-ment Léon Daudet, mais ensuiteelle s'est retrouvée isolée.

Savoir parler clair

L’AF 2000 – En tant qu'historien,comment jugez-vous l'apportqu'a représenté L'Action Fran -çaise dans votre domaine? J.T. – Un apport immense. Déjàgrâce à Maurras et aux perspec-tives qu'il ouvre dans Jeanne d'Arc,

Louis XIV et Napoléon. Ensuite parle fait que ce sont des historiensd'Action française, notammentJacques Bainville et Pierre Gaxotte,qui ont animé, à la maison Fayard,la collection Les Grandes Étudeshistoriques. Je me suis toujours ré-clamé des méthodes, du style, dela vision de Bainville. J’ai eu l'hon-neur de rééditer en 1975 La Ré-volution française de Gaxotte, le-quel était normalien et agrégé d'his-toire. Il a été attaqué, je l'ai défenduen montrant, références à l'appui,l'immensité des lectures et des re-cherches qu'il avait entreprises.Tout à l'opposé de l'histoire idéo-logique des Lefebvre ou des So-boul, représentants d'une "nouvellehistoire" chez lesquels les pagesphilosophiques masquent la fai-blesse de pensée et de recherches.

Chez les historiens d'Actionfrançaise qui mettaient l'accent surnotre histoire nationale, l'histoirese définissait par le souci de laclarté. Pensez au Napoléon deBainville, merveille de limpidité, ouencore à sa Petite Histoire deFrance, continuée par moi-mêmechez Valmonde. Tous possédaientune grande culture et une solide

formation, ils étaient capables detraiter des sujets difficiles tout enrestant clairs. Je reconnais la qua-lité du journalisme d'Action fran-çaise à cette limpidité de l'expres-sion et à la rigueur de la langue.Ils vivaient la vérité, ils n'avaientpas besoin de l'enjoliver pour serendre agréables, alors que lespages hermétiques des historiensmodernes sont une preuve de peurdevant la vérité. Je rends hom-mage à Bainville et Gaxotte quim'ont appris à être clair.

Mauvais procès

L’AF 2000 – Cher Maître, je mepermet s de dédier vos p arolesà nos jeunes rédacteurs, quenous habituons à lire et relireBainville et Maurras. Maintenantpouvez-vous nous dire pour -quoi, selon vous, L'Action Fran -çaise , en dépit de la qualité ex -ceptionnelle des plumes quil'ont illustrée, est aujourd'huiaussi marginalisée dans le dé -bat politique ?J.T. – Il y a eu l'Action françaised'avant 40 et celle d'après 40. Déjàcondamnée par le pape en 1926,mais réconciliée avec Rome en1939, elle s'est retrouvée après laguerre accusée de collaborationavc les Allemands. Procès pro-fondément injuste, car elle avaitseulement soutenu le maréchalPétain et, avec lui, des idées aussinaturelles que travail, famille, pa-trie. Pour Maurras, ce qu'il a ap-pelé la « divine surprise », c'étaitqu'au moment où tombaient sur laFrance de grands malheurs, il yait eu un maréchal républicain,sans aucun lien avec l'Action fran-çaise, pour remettre à l'honneurces idées salvatrices. On a alorslancé cette contre-vérité d'une Ac-tion française collaborationniste,d'autant plus absurde que ceuxqui à Paris symbolisaient la colla-

boration, tels que Brasillach, etsurtout Rebatet dans Les Dé-combres, s'en sont pris violem-ment à Maurras.

Le procès fait à l'Action fran-çaise en 1944 entre dans le cadrede l'épuration sauvage tendant àanéantir tout ce que l'on appelaiten gros la droite. Ses représen-tants ont été frappés d'inégibilitéet une pseudo droite s'est instal-lée : dire qu'elle hérite de l'Actionfrançaise serait une plaisanterie.On a vu alors apparaître des mou-vements populaires attachés à unepersonne (De Gaulle, qui avait unegrande envergure, Poujade, LePen), mais auxquels il a toujoursmanqué le support de la volontéréelle de rétablir la monarchie,seule force de pondération pos-sible dans un pays ballotté danstous les sens. Il faut, pour avan-cer vers la "terre promise" un guidesûr, un repère. Nicolas Sarkozyavait compris qu'il fallait donnerl'impression d'avoir un programmeet la volonté de l'appliquer, maisil n'a peut-être pas assez de "cha-risme" pour cela. La France a be-soin d'un arbitre : vichysme, gaul-lisme, Front national, sarkozysme,ne sont que des succédanés.

L'idée de nation

L’AF 2000 – Quel avenir entre -voyez-vous pour l'Action fran -çaise, son journal, ses idées ?J.T. – Je veux redire que la qua-lité propre à l'Action française, c'estle bon sens. C'est sans doute ceque réclament les Français, maisl'image trop répandue d'un Maur-ras vitupérant fait oublier que l'Ac-tion française repose sur un équi-libre et qu'elle invite à remonter àl'idée de nation. Une chape deplomb tombe aujourd'hui sur nous.Le "politiquement correct" s'im-pose partout, il y avait plus de li-berté d'expression au temps de laIIIe République. L'Action françaisereste une réaction contre l'univer-salisme révolutionnaire et pourl'idée de nation. Celle-ci est en-gloutie aujourd'hui par l'Europe etle mondialisme qui entendent sup-primer toute barrière. Il y a de quoiêtre pessimiste. Mais il y a la Pro-vidence !

PROPOS RECUEILLIS

PAR MICHEL FROMENTOUX

Jean Tulard : L'immense apport de l'AF en histoire

Dans le cadre de l'année du centenairede la naissance de L'Action Française quo -tidienne , nous avons rencontré le professeurJean Tulard, membre de l'Institut, qui nousa accordé chaleureusement cet entretien.Nous en remercions bien vivement le grandhistorien, directeur d'études à l'École pra -tique des Hautes Études, professeur à l'uni -versité de Paris-Sorbonne et à l'Institut d'É -

tudes politiques de Paris, ancien présidentde la Société de l'histoire de Paris, présidentd'honneur de l'Institut Napoléon, membre duconseil d'administration de la Cinémathèquefrançaise, membre de l'Académie desSciences morales et politiques, qu'il a pré -sidée en 2005, et auteur d'une multitude d'ou -vrages, tous passionnants, notamment surla Révolution et l'Empire.

Directeur de 1965 à 2007 : Pierre Pujo (✟)Directeur de la publication : M.G. PujoRédacteur en chef : Michel FromentouxPolitique : Pierre Lafarge (chef derubrique), Georges Ferrière. Étranger :Pascal Nari, Sébastien de Kererro. Économie : Henri Letigre. Enseignement, famille, société :Michel Fromentoux (chef de rubrique),Aristide Leucate, Guillaume Chatizel, Jean-Philippe Chauvin. Médecine : Jean-Pierre Dickès. Livres : Anne Bernet, Pierre Lafarge,Philippe Aleyrac, Jean d’Omiac, François Roberday. Culture : Renaud Dourges, Monique Beaumont, Alain Waelkens. Combat des idées :Pierre CarvinHistoire :Francis Venant (chef de rubrique), Yves Lenormand, René Pillorget. Art de vivre : Pierre Chaumeil. Chroniques :Jean-Baptiste Morvan, François Leger. Médias : Denis About, Arnaud Naudin. Rédacteur graphiste : Grégoire Dubost. Abonnement s, publicité, promotion :Monique Lainé

10 rue Croix-des-Petit10 rue Croix-des-Petit s-Champs-Champ s s 75001 Paris75001 Paris

Tél. : 01 40 39 92 06 - Fax : 01 40 26 31 63

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Jean Tulard« L'Action française reste

une réaction contre l'universalisme révolutionnaire. »

EXIL FISCAL

Deux quotidiens belges affir-ment que le groupe franco-belgeDexia envisage de faire de Parisson siège social unique afin de par-ticiper davantage à la consolidationdu secteur bancaire français. Et direque les libéraux nous répètent àl'envi que le système fiscal françaisn'est pas attractif !

PROMESSE

Pendant la campagne électo-rale, Nicolas Sarkozy nous avait pro-mis une diplomatie en rupture avecles compromissions, qui ne mâ-cherait pas ses mots pour défendreun certain nombre de valeurs. Le

ton s'est finalement adouci et à sonfutur nouvel ami, Bachar al Assad,Sarkozy demande « que la Syriese désolidarise le plus possiblede l'Iran dans sa quête pour avoirune arme nucléaire ». "Se désoli-dariser le plus possible", voilà uneformule très diplomatique... Et quandl'Iran aura l'arme atomique, on sup-pose qu'ils devront éviter "le pluspossible" de l'utiliser...

AUMÔNE

On savait les caisses vides. Ilfaudra désormais admettre que laRépublique abandonne toute di-gnité. Ainsi le ministre de l'Écono-mie et des Finances Christine La-garde a-t-il dû remercier le groupe

pétrolier Total pour sa contributionvolontaire de 30 à 40 millions d'eu-ros, permettant à l'État d'augmen-ter la prime à la cuve versée auxfoyers non imposables se chauffantau fuel. Des courbettes pour 40 mil-lions d'euros, à peine plus du tiersdu prix d'un avion Rafale... Le paysest tombé bien bas.

MÉTAPHORE

Philosophe, le président de laRépublique a eu ce mot pour son"homologue", le sélectionneur Ray-mond Domenech : « Le football aun point commun avec la poli -tique : tous les Français sont sé -lectionneurs, tous les Françaissont présidents de la Répu -

blique. » La différence, c'est qu'unsélectionneur qui promettrait la vic-toire et accumulerait les défaites negarderait pas son poste pendantcinq ans.

GUILLAUME CHATIZEL

ERRATUM

Dans notre article de premièrepage du dernier numéro de L'AF2000, La bêtise en érection, le nomdu jeune conseiller municipal de Ta-verny poursuivi d'ignoble façon a été par erreur orthographiéAlexandre Sommonot au lieu de Si-monnot. Nous lui présentons nosexcuses et rappelons à nos lecteursqui voudraient le soutenir qu'ils peu-vent l'appeler au 06 62 34 28 19.

Page 3: LES CENT ANS DE L’AF :ENTRETIEN AVEC JEAN TULARD …

L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008 3

POLITIQUE

■ Comme tous les journaux d'opi -nion, L'Action Française 2000 abesoin de l'aide financière de sesamis pour vivre. À l'approche desvacances, vous êtes encore troppeu nombreux à avoir répondu àl'appel "100 euros pour l'AF" . Cettepériode estivale est pourtant unepériode difficile pour nos finances ;c'est pourquoi nous lançons un ap-pel pressant à votre générosité.

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C'est un devoir pour tout adhé-rent à nos idées, si vous voulez queL'AF continue.

Et si vous achetez le journal aunuméro, sachez qu'un exemplairevendu en kiosque nous rapporte30 % de moins qu'en abonnement,sans compter le coût des "invendus".Alors, n'attendez pas plus, poursouscrire un abonnement (voir p. 11)

● Et puis, participez à la sous -cription selon vos moyens , ce

mois-ci, avant de partir en vacances.Cela nous permettra de passer l'étésans trop de soucis.

Pour nous, c'est vital. Merci d'avance.

MARIELLE PUJO

P.S. : Certains de nos abonnés ontremarqué avec plaisir un change-ment dans le dernier numéro deL’Action Française 2000. Nous nous

efforçons de tenir compte des cri-tiques et suggestions de nos lec-teurs. N'hésitez pas à nous écrire.

LISTE N° 6

100 euros pour l'A.F . : Ray-mond de Sagazan, 500.

Versements réguliers : Jean-Michel de Love, 7,62 ; Mme Belle-garde, 15,24 ; Raymond Sultra,

17,78 ; Joseph Lajudie, 20 ; MmeMarie-Magdeleine Godefroy, 22,87 ;Mme Marie-Christiane Leclercq-Bourin, 30 + 28 ; Mme Tatiana dePrittwitz, 45,73.

Total de cette liste : 702,24 s

Listes précédentes : 7 198,56 s

Total : 7 357,80 s

Total en francs : 48 264,96 F

* Prière d’adresser vos dons à Mme Geneviève Castelluccio :L’Action Française 2000, 10, rue Croix-des-Petits-Champs,75001 Paris.

NOTRE SOUSCRIPTION POUR L’A.F.

AA IDEZIDEZ --NOUSNOUS !!

«La crise séculaire del'Irlande est la plusforte réponse qui se

puisse adresser aux théoriciensdes régimes de p arlement et decabinet », écrivait Maurras dansL'Action Française du 26 no-

vembre 1913, montrant l'échec to-tal dans ce pays « des plus bellesmaximes du libéralisme ». C'étaitau temps où ce pays luttait pourarracher son indépendance à l'An-gleterre qui l'opprimait. Toujoursaussi indomptables et patriotes,les Irlandais, ce jeudi 12 juin, ontinfligé à "l'Europe" un Non cinglantpar 53,4 % de suffrages contre46,6. Ils ont dit non parce que l'em-ballage savamment ficelé du traitéde Lisbonne ne leur inspire au-cune confiance et qu'ils y voientune méchante astuce pour fairepasser le projet de "constitution"européenne. N'ayant conquis querécemment leur indépendance,donc fiers de leurs libertés arra-chées au prix de tant de sacrifices,les Irlandais n'ont pas envie devoir leur destin se fondre dans ce-lui d'un magma technocratique.

La volontéd'être soi-même

Ils ont ainsi donné un grandcoup de pied dans le château decartes que des messieurs très sé-rieux, à Bruxelles, s'évertuent àconstruire pour y faire vivre despeuples "heureux"... La mine ef-farée de ces idéologues est plu-tôt risible. Alors, ils y vont degrandes déclarations affirmant quele scrutin irlandais ne changerarien à leur grand projet, et que leprocessus de ratification du traitéde Lisbonne devra se poursuivredans les huit pays européens oùil n'a pas encore eu lieu. Mêmequand ils font semblant de croireque ce résultat électoral n'estqu'une péripétie, ils ont du mal àcacher un certain mépris pour ce

tout petit peuple qui ose s'immis-cer dans la cour des grands.

Ce lundi 16 mai, l'Union euro-péenne a décidé de « donner dutemps » aux Irlandais pour, a ex-pliqué le ministre français des Af-faires étrangères Bernard Kouch-

ner, « qu'ils comprennent les rai -sons de ce non et qu'ils nousdonnent un cert ain nombre d'ex -plications ». Sous-entendu : lesIrlandais ne savaient pas ce qu'ilsfaisaient en votant non, discutonsencore et encore, ils finiront bienpar comprendre et par "bien" vo-ter. Comme si l'on pouvait "avoir"à l'usure un pays qui veut tout sim-plement être lui-même...

Cet autoritarisme pervers sevoit aussi chez ceux qui traitentles Irlandais d'ingrats, incapablesde reconnaître ce que l'Europe afait pour eux. Si ces européistesagissaient plus dans le politiqueque dans le moral, ils sauraientque la reconnaissance n'est pasle premier des ressorts de la po-litique. Les Irlandais considèrentd'abord – c'est leur devoir – l'in-térêt de leur pays : ce qu'ils ontreçu de l'Europe en matière éco-nomique ne compense pas lesobligations tatillonnes auxquellesils sont soumis ou encore les at-teintes à leur identité catholique.En outre, ils entretiennent aussides liens avec la riche commu-nauté irlandaise américaine...

Le plus marri dans cette affaire-là est assurément le président de

la République française NicolasSarkozy, d'abord parce qu'il s'estdémené obstinément pour arriverà ce traité de Lisbonne qui ne faitplus recette, ensuite parce qu'àpartir de ce 1er juillet c'est à lui queva revenir la présidence de l'Union

européenne ! Lui qui aime mieux"fonctionner" que réfléchir croyaitbien que tout problème institu-tionnel étant résolu, il allait pouvoirfaire "avancer" l'Europe et pour-suivre l'uniformisation des poli-tiques en matière d 'immigration,d'environnement, d'énergie...

Un casse-tête pour Sarkozy

Il va donc constater – maissaura-t-il en tirer une leçon ? – quedans une maison bâtie en dépitdes règles les plus naturelles dela construction, il est vain de vou-loir s'installer pour travailler... ÀPrague, ce lundi 16, il a fait mined'aborder sans souci la difficulté,notamment en tentant d'amadouerles Tchèques, en grand nombreeurosceptiques, au sujet des élar-gissements que ceux-ci souhai-tent de l'Europe vers les Balkans.

En fait, ce qu'enseigne le pe-tit grain de sable de Cromwell cris-tallisé par les Irlandais, c'est quel'Europe n'est pas un glacis sansaspérités. Elle est extrêmementdiverse, composée d'États et denations ayant chacun une longuehistoire, une identité propre, un

héritage de mœurs et de traditionsparticulier, donc un amour-propreenraciné dans les siècles. Rien decommun avec les États-Unis quise sont bâtis à partir de pratique-ment rien. Le rêve européiste, onpeut le prédire, s'effondrera, tôt ou

tard, de cet universalisme béat quinie les réalités et qui, du fait même,creuse beaucoup plus d'incom-préhensions qu'il ne conduit à deréelles ententes.

La démocratiecontre les nations

Il faut louer les Irlandais denous donner une leçon de réa-lisme, qui n'a rien à voir avec uneleçon de "démocratie", comme onl'entend dire ici ou là. Certes, lespeuples, dans l'affaire européenne,voient plus clair que les parle-ments, tout simplement parce qu'ilsvivent concrètement les méfaitsd'une Union qui multiplie les en-traves dans tous les domaines,dont celui de l'emploi. Les parle-ments, eux, sont trop soumis auxpressions idéologiques pour quel'on puisse leur faire confiancedans la défense des nations.

Il serait suicidaire de croire,pour autant, que la souverainetéet la pérennité d'une nation repo-sent avant tout sur un pourcen-tage de voix. C'est justement ladémocratie, qui, en distillant cetteidée depuis la Révolution dite fran-çaise, a conduit l'Europe dans l'im-

passe où elle se trouve. Faisantreposer la nation sur la mythique"volonté générale", on a détruittous les corps particuliers qui fai-saient la force de cette nation,puis, ayant voulu imposer à l'Eu-rope entière le modèle révolu-tionnaire prétendu libérateur, ona mis l'Europe à feu et à sang pourdeux siècles ; et l'on essaie main-tenant de recoller les morceauxen continuant de déraciner les na-tions pour mieux les "unir". Aubout de cette histoire de fou, lespeuples sont amenés à considé-rer la patrie plutôt comme le lieuoù l'on se sent bien ici et mainte-nant que comme l'héritage despères engageant toutes les gé-nérations dans une communautéde destin. Que des référendumspuissent parfois dans l'immédiats'opposer victorieusement au pro-cessus européiste, applaudis-sons ! Mais n'oublions pas quedans l'étymologie du mot nation,il y a naissance, donc héritage, etque la volonté majoritaire d'unegénération donnée n'est en rienune assurance pour l'avenir.

Une occasion à saisir

Pour nous Français, l'exempleirlandais va autrement plus loinqu'un exemple de démocratie. Ilnous montre que la Babel bruxel-loise est beaucoup moins solidequ'on veut nous le faire croire etqu'il lui en faut peu pour se mettreen émoi. Il est donc temps – c'estle rôle de l'Action française – sai-sissant l'occasion, de renforcerchez nous l'esprit national et denous organiser pour contesterBruxelles, au nom de notre his-toire qui nous fait être ce que noussommes, et au nom d'une autreEurope, reposant sur des nationshistoriques qui s'engageront entreelles à s'organiser dans la com-plémentarité de leurs qualitéspropres et non dans l'asservisse-ment à un universalisme mercan-tile. Quel malheur qu'en ces tempsoù "l'Europe" bat de l'aile, la Francen'ait pas à sa tête celui qui d'âgeen âge, par sa présence même,dit non à toute atteinte à la sou-veraineté : le Roi !

MICHEL FROMENTOUX

Nous sommes tous des Irlandais

Le rêve européiste,s'effondrera,tôt ou tard,de cet universalismebéat qui nie les réalités

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4 L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008

ASPECTS DE LA FRANCE

Dans les années de maprime jeunesse, je revoisen un gros bourg de Haute-

Bretagne une "place des Quatre-Vents", avec une auberge portant

ces mots comme enseigne. Je re-gretterais fort que l'une ou l'autreait depuis changé de nom... Il meresterait la joie maligne et sansdoute assez farfelue que ce titreme suggère. Les courants d'airsemblent toujours avoir un aspectfacétieux. Une tentation taquineme donne l'envie de réunir sousle titre d'"Aux Quatre-Vents" unecollection de mes propres chro-niques. Ce serait, ma foi ! une as-sez notable et prestigieuse coif-fure : peut-être un chapeau em-panaché pour mousquetaire du

temps jadis, ou le chaperon à gre-lots pour quelqu'un de ces bouf-fons de cour dont la réputationétait de dispenser aux princes uneparadoxale sagesse... Mais jepense ne pas pouvoir justifier long-temps et dignement cette voca-tion vaniteuse, héroïque ou fan-tasque ; non plus que d'imiter Vic-tor Hugo qui intitula une de sesdernières œuvres : Aux Quatre-Vents de l'Esprit...

Et pourtant mon ambition se-crète serait de réclamer le secoursdes grands courants d'air de laplace rustique et des émanationsodoriférantes et culinaires de l'au-berge, afin de ragaillardir l'espritde nos contemporains. On peutrêver de brises alanguies ettendres pour les augures politiquescédant à la pulsion de l'engueu-lade périodique. Et même la "bise",si elle semble désigner le "Vent deNordet", exagérément rafraîchis-sant, figure aussi dans noslexiques pour évoquer familière-ment un baiser !

Le vent, comme l'antique Ja-nus, est un dieu à double face, etje ne doute point que, dans letemps présent, l'un et l'autre vi-sage ne soient tout à tour favo-rables, hygiéniques et salutairespour l'âme et la patrie françaises.

Des mots bien chez nous

"Bise" et "brise" sont des motsbien de chez nous, d'un styleconforme aux anciennes chansonsdu folklore. Et si, à la mi-mai je doistenir compte des variations équi-voques d'un mois inauguré avecdes douceurs surprenantes et conti-nué par des tempêtes parfois por-teuses de grêle et de neige, quipeut-être ont dû tapisser là-basmême la place des Quatre-vents,il est vrai qu'il en est souvent ainsi,et que s'allonge entre Pâques etPentecôte une allée de temps tourà tour solaire et enneigée. Pourbien des raisons, ne maudissonspas les Quatre-Vents ! Ils sont sou-

vent respectables et même sacrés: dans l'Évangile de saint Jean, Jé-sus dialogue la nuit avec le bon Ni-codème et lui dit : « L'Espritsouffle où il veut et vous enten -dez sa voix. V ous ne savez nid'où il vient ni où il va, et il enest de même pour tout hommequi est né de l'Esprit. » Et notrebon aumônier, dans l'année de phi-losophie, présumait qu'au début lemême mot désignait le souffle del'Esprit et le Vent de la nuit.

Et si je voulais réunir tous lesarguments pour la "défense et illus-tration du vent", je n'aurais garded'oublier les girouettes, jadis hon-neur féodal au temps de nos aïeuxet toujours propices à l'imagina-tion étrange et plaisante : je voisainsi, sur une page d'illustrations,une foule de girouettes en "ombreschinoises". Les unes figurent descoqs, d'autres des familles dechats, un laboureur sur une flècheindicatrice, et même une sorcières'enfuyant, comme il se doit, ju-chée sur un balai... Images nobleset rustiques pour un esprit toujoursattentif aux Quatre-Vents et auxpromesses du Destin.

JEAN-BAPTISTE MORVAN

Pourquoi ne pas recourir aux grands courants d'air et aux émanationsodoriférantes de l'auberge pour ragaillardir nos esprits ?

"Aux Quatre-vents..."

CHRONIQUE

RévRéveiller les eiller les parparlerlers locaux ?s locaux ?

Dans le cadre du site duquotidien Le Figaro, je me suispermis d’intervenir dans le dé-bat sur la question des languesrégionales reconnues, presqueen catimini, par l’Assembléenationale à la fin du mois demai, dans une indifférencepresque totale. Il semble bienque les jacobins soient désor-mais dépassés et qu’ils ne mè-nent plus que des combats deretardement sur de multiplessujets, même s’il peut advenirque leur "nationalisme", quandil s’adresse à la question del’existence de la France "mal-gré" l’Union européenne, peutse croiser avec celui des mo-narchistes attachés à la libertéde parole et de manœuvre denotre « cher et vieux pays »,pour reprendre l’expression cé-lèbre du général De Gaulle.

La monarchiefédérative

Né en Bretagne en paysgallo (à Rennes), je suis tou-jours agacé des falsificationshistoriques et des reconstruc-tions a posteriori, plus idéolo-giques qu’autre chose, et je dé-nonce le bilinguisme français-breton dans ma ville natale deRennes où on n’a jamais parlébreton, ni au Moyen Âge ni àune autre époque, à part, de-puis les années soixante, dansquelques cercles d’intellectuelset d’universitaires, mais sûre-ment pas dans le peuple localqui, dans les faubourgs et lescampagnes avoisinantes, s’ex-primaient en gallo, parler localqui n’a rien à voir avec la languebretonne ! Cette mise au pointétant faite, je suis tout à fait fa-vorable à la reconnaissancedes langues provinciales et lo-cales, ne serait-ce qu’à titre pa-trimonial et culturel, sans mé-connaître que le français doitrester, non pas la seule langueofficielle, mais la langue com-mune de tous les Français, pa-trimoine de civilisation de notrenation et reconnaissance deson unité au-delà des diffé-rences et des diversités.

Les rois de France s'adres-saient au pays en évoquant« les peuples de France » : laRépublique, elle, s'est voulue"une et indivisible" et a détruitles parlers locaux car elle avaitpeur de la diversité et des tra-ditions. La République est in-capable d'accepter les libertésprovinciales sans menacerl'unité du pays. La France avait,pourtant, développé un modèleoriginal d'incorporation des pro-vinces et des communautés ausein de la nation, par l'œuvrepatiente de ses rois : en somme,la monarchie fédérative estmoins frileuse que cette Répu-blique encore marquée par desrelents de jacobinisme...

JEAN-PHILIPPE CHAUVIN

* http://jpchauvin.typepad.fr

La rumeur courait depuis lafin de l’an dernier les milieuxmédicaux militaires ; c’est par

un article de Sud-Ouest du 22 fé-vrier dernier que les intéressés

l’ont appris : il est question de fu-sionner l’école du Service de Santédes armées (ESSA, connue dansle monde entier sous le nom de"Santé navale") de Bordeaux aveccelle de Lyon. Pourquoi ? Pour devulgaires raisons budgétaires ins-pirées par la Révision généraledes politiques publiques censéetraquer de prétendus “gaspillages”qu’induirait la défense militaire dela France. Traduite sur le plan stra-tégique, elle équivaut à cetteconception inepte d’"interopérabi-lité" qui voudrait que les arméesde terre, de mer et de l’air, bienqu’opérant sur des théâtres d’opé-rations distincts, soient étalonnéesde la même manière ! Il est assezcaractéristique de l’avilissementde l’esprit public que, par des che-mins détournés, la fausse droiteau pouvoir fasse à l’intérieur del’antimilitarisme budgétaire pri-maire, tout en s’alignant à l’exté-rieur sur la politique atlantiste.

Cette menace sur Santé na-vale n’est pas nouvelle : déjà, en1982, le socialiste et franc-maçonCharles Hernu voulait sa peau.

Mais, à l’époque, la mobilisationunanime de la municipalité con-duite par Jacques Chaban-Del-mas, des anciens de l’école et dela population bordelaise dans son

ensemble (près de 100 000 si-gnatures à la pétition) avait fait re-culer le ministre de la Défense,quelque peu chahuté lorsqu’il vintprésider le baptême de la promo-tion de médecins, le 28 mars1982 ; trois mois après, il retiraitson projet.

Une institutionprestigieuse

En cent dix-sept années,l’école a formé 9 000 médecins devingt-quatre nations ayant servi enmajorité outre-mer. Elle compte enoutre trois cents élèves morts pourla France. S’il est vraisemblablequ’en dépit de la suppression, il ya dix ans, du numerus claususd’élèves féminins, le recrutementva diminuer dans les années qui

viennent, tout comme le nombred’années d’internat, rien ne justi-fie le regroupement à Lyon, quicoûterait plus cher que le statuquo, le maintien en l’état de l’école

dans ses locaux historiques ducours de la Marne qui appartien-nent à la ville. Les rapports avecla faculté de Médecine sont ex-cellents et Bordeaux est en pointeen ce qui concerne la médecinetropicale, un domaine redevenucapital avec l’extension des "opé-rations extérieures" de nos ar-mées. Il n’est pas à négliger nonplus que les emplois de quatr-vingts civils sont menacés.

Cette fois, le ministre, le couarddémo-chrétien Hervé Morin, n’apas osé venir au baptême de pro-motion qui a eu lieu l’après-mididu samedi 5 avril 2008, mais il estimportant que les Bordelais et engénéral les patriotes témoignentpar tous les moyens au présidentde la République, chef des armées,leur désaccord avec une initiative

qui amoindrirait nos capacités mi-litaires, qui affaiblirait notre po-tentiel scientifique et qui porteraitun coup sérieux à l’économie lo-cale, au prestige de la ville et deson université. Dans une pers-pective purement comptable, leprésident de la République a ré-cemment déclaré que l’Arméen’avait pas pour vocation de « fairede l’aménagement du terri -toire » ; il n’y est pas du tout ! Lepatrimoine militaire, intellectuel,moral, immobilier, humain ajouteinfiniment davantage d’"attracti-vité" à une cité que la créationd’une "zone franche" pour les en-treprises anonymes et vagabondespar essence !

La logique du libéralisme

Un Comité bordelais de dé-fense de Santé navale, groupantde simples citoyens amoureux deleur école et des amis de sesélèves, s’est constitué. Un clip vi-déo, intitulé Santé navale vivra !sera bientôt en ligne sur la toile,et une pétition est ouverte depuisle 1er avril, dans un certain nombrede lieux publics de Bordeaux. Nesoyons donc pas les derniers desFrançais, ne nous laissons pasfaire par la logique du libéralismeappliqué à tout, de la médecine li-bérale à la médecine militaire : dé-fendons nos biens communs, qu’ils’agisse de nos services publicsou des établissements militaires !

VINCENT GAILLÈRE

* Pour tout renseignement complé-mentaire, écrire au CAEC, BP 80093,33035 Bordeaux Cedex.

Le pouvoir sarkozienfait à l’intérieur de l’antimilitarismebudgétaire primaire,tout en s’alignant à l’extérieur sur lapolitique atlantiste !

Santé navale vivra !

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L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008 5

ASPECTS DE LA FRANCE

FAMILLE DÉCOMPOSÉE

Le gouvernement prépareune loi sur sur « l’autorité pa -rentale et les droits des tiers ».L'avant-projet en a été présentéà... l’Interassociative lesbienne,gaie, bi et trans, dont les repré-sentants étaient reçus au minis-tère de la Justice le 13 juin, enprésence du secrétaire d’État àla Famille Nadine Morano. L'In-ter-LGBT se félicite des réponsesdonnées à une partie de ses re-

vendications. « En effet, le textesoumis à la concertation pro -pose notamment : de garantirle droit de l’enfant d’entrete -nir des relations personnellesavec le tiers [...] ; la possibi -lité pour un parent de donnermandat à un tiers pour lesactes "de la vie quotidienne"de l’enfant ; la possibilité pourles deux parents d’autoriseren commun un tiers à ef fec-tuer des actes "importants" del’autorité parentale (santé, édu -

cation, droits fondamentaux) ;la possibilité de partager l’exer -cice de l’autorité parentaleavec un tiers par simple ho -mologation par le juge, et nonaprès une procédure de juge -ment comme aujourd’hui. » Enrevanche, l'adoption simple del'enfant par le conjoint ne reste-rait possible qu'au sein d'uncouple marié. « Certains so -ciologues et associations fa -miliales ont fait part de leurcrainte d'une "concurrence"

entre adultes qui serait néfastepour l'enfant », rapporte l'AFP.La concertation engagée ven-dredi devrait se poursuivre pen-dant une quinzaine de jours.Avec, on l'espère, d'autres invi-tés que les porte-parole de l'ho-mosexualité militante.

COLBER TISME

L'État a annoncé le 12 juinson intention d'entrer à hauteurde 9 % dans le capital des Chan-

tiers de l'Atlantique. Une menacede délocalisation planait sur ledernier grand chantier naval na-tional... La France veut ainsi « sé-curiser ses intérêts straté -giques et industriels » selon leprésident de la République. Cetteminorité de blocage devrait per-mettre d'assurer la conservationde nos capacités de productioncivile et militaire. « C'est une ex -cellente opération » selon Fran-cis Vallat, président de l'Institutfrançais de la mer, cité par l'AFP.

Il est habituel d’affirmer que laConstitution du 4 octobre 1958,même et surtout pour des roya-

listes, instaurait un compromis ins-titutionnel relativement acceptable

entre la démocratie parlementaireet la monarchie, au sens où le chefde l’Exécutif, grâce à sa fonctiond’arbitrage et par le truchement deprérogatives propres (dissolutionde la chambre basse, dictaturetemporaire, contreseing des dé-crets, etc.), disposait d’une réelleprééminence. Contre les excèsd’un parlementarisme aussi bavardqu’enlisant, le constituant (origi-naire ou dérivé) avait introduit uncertain nombre de garde-fous (maî-trise gouvernementale de l’ordredu jour, double session, etc.) quivolent en éclats, au fur et à me-sure des réformes constitution-nelles, la dernière projetée ne fai-sant nullement exception à la règle.

La constitution doit s’adapter

On a coutume d’enseigner, auxétudiants de première année dedroit, la distinction entre "consti-tution rigide" et "constitutionsouple", la première étant plus dif-ficile à réviser que la seconde,celle-là devant recourir à des pro-cédures plus lourdes que celle-ci.La Constitution de la Ve Répu-blique, de sa première modifica-tion le 4 juin 1960 à la dernière du4 février 2008, a été révisée pasmoins de vingt-trois fois, alorsmême que son article 89 fixant laprocédure de révision la classaitinitialement dans la catégorie des“constitutions rigides” !

Doit-on s’émouvoir d’une tellefrénésie révisionniste ? Oui, si l’onconsidère, en juriste orthodoxe,que la Constitution, comme touterègle juridique a besoin d’un mi-nimum de stabilité, a fortiori parcequ’elle est située au sommet de

la hiérarchie des normes. Non, sil’on observe, en constitutionnalistepragmatique formé à l’école maur-rassienne et instruit du droit consti-tutionnel d’outre-Manche, qu’aufond, la loi fondamentale doits’adapter aux mutations sociétales,voire technologiques.

En ce cas, et ce n’est pas lemoindre des paradoxes de laConstitution actuelle, quel intérêtd’avoir une constitution écrite etpourquoi ne pas lui préférer uneconstitution coutumière (autre dis-tinction traditionnelle du droitconstitutionnel) ? Le Conseil consti-tutionnel lui-même, depuis 1971,se reconnaît le pouvoir exorbitantet totalement contra legem, de “dé-couvrir” des principes de valeurconstitutionnelle, hypocritementrattachés à des sources juridiquesécrites (les “lois de la République”antérieures à 1946), mais fonciè-rement issues d’une interprétationconstructive et réaliste du droit.C’est toute la question de la “su-praconstitutionnalité” qui se posemais qui, en l’état actuel de nosinstitutions, ne revêt aucun intérêtet ne pourra en avoir tant que laFrance n’aura pas recouvré sapleine et entière souveraineté.

Une constitutionsans État

Car il faut bien comprendre qu’iln’y a de motif légitime et sérieuxà réformer la constitution d’un État,que si l’on se situe encore dansles limites d’un État souverain. Pre-mier acte politique par excellenceavant de devenir une règle de droit,la constitution (dérivé du latinconstituere qui signifie instituer,fonder) n’a d’utilité et de pertinenceque dans un espace politiquedonné et circonscrit. Cet espaceest représenté par l’État en sestrois éléments constitutifs (gou-vernement, territoire et population)

dont la cohérence d’ensemble estassurée par un acte statutaire (laConstitution) définissant les règlesd’exercice du pouvoir par des ins-titutions étatiques souveraines. Lasuppression ou l’absence de l’undes trois éléments précités rendimpossible l’établissement d’une

constitution. Ainsi, la France, dontle gouvernement véritable estplacé entre les mains de Bruxelleset de la Cour de justice des Com-munautés européennes, ne peutplus se prévaloir d’une quelconqueconstitution et la réforme sarko-zienne de la Constitution de 1958ressemble à une simiesque pan-talonnade.

La monarchie,seule possibilité

Cela fait, hélas, un bout detemps que la France n’est plus unÉtat. Tout au plus peut-elle se pré-valoir du statut d’entité fédérée oude gouvernorat… Ainsi, la préten-due “Constitution européenne” quel’on cherche à nous imposer mal-gré un niet catégorique ad refe-rendum, est une imposture voireune hérésie juridique car elle im-plique la création d’un "État euro-péen" (aussi absurde qu’un "Étatafricain", soit dit en passant) en-core inexistant (dans la théorieclassique, c’est l’État préalable-ment institué qui se dote d’uneconstitution et non la constitutionqui engendre l’État) !

Il ne sert donc à rien de glo-ser sur une vingt-quatrième révi-sion constitutionnelle ayant pourobjet comme pour effet d’affaiblirla France à l’intérieur sans la ren-forcer à l’extérieur. Le projet adoptéen première lecture par l’Assem-blée nationale prévoit, par ex-emple, de limiter considérablementl’usage de l’article 49-3 (qui pré-voit l’adoption d’un projet de loisans vote) aux lois de finances et

de financement de la sécurité so-ciale, amoindrissant, dès lors, lamarge d’action et d’influence del’Exécutif, tandis que les sénateurs,devant qui le projet passe actuel-lement en débat, souhaitent sup-primer l’amendement des députésUMP prévoyant l’usage du réfé-rendum pour l’adhésion de toutÉtat représentant plus de 5 % dela population de l’Union euro-péenne. Motif avancé par les sé-datifs ambulants du Palais duLuxembourg : ne pas choquer laTurquie. De plus, dans un paysdéjà asphyxié par les revendica-tions tous azimuts de droits-créances (les fameux droits "à"l’emploi, l’éducation, RTT, va-cances, etc.), nos apprentis sor-ciers du droit constitutionnel, sui-vant en cela une proposition de lacommission Balladur (qui repre-nait déjà une vieille lune socia-liste), prévoit l’institution d’unequestion préjudicielle de constitu-tionnalité qui permettra à tout ci-toyen de demander à un tribunalde saisir le Conseil constitutionnelaux fins de le voir se prononcersur la constitutionnalité d’une loi.Sans parler de la création d’un im-probable "défenseur des citoyens"alors qu’il existe déjà un média-teur de la République et des jugesadministratifs.

Combien ces fines plaisante-ries vont-elles coûter à la collecti-vité ? Le roi fainéant Sarkozy, ilest vrai, n’en est pas à une gabe-gie près, du moment que son pa-trimoine n’en soit pas affecté. Onle voit, cette énième réforme con-stitutionnelle, non seulement n’ap-porte rien, mais encore démontrel’impuissance désormais prover-biale de la France à se remettredes coups mortels assénés sansrelâche par la Gueuse, depuis l’ins-tauration de la première de sesdevancières. C’est dire qu’il estimpérieux de doter à nouveaunotre vieux pays de « la seuleconstitution possible » selonMaurras, à savoir la monarchie,« condition de toute réforme »mais aussi « complément nor -mal et indispensable » de celle-ci. Selon la formule bien connuemais finalement ignorée du Mar-tégal, il est crucialement de salutpublic de restaurer, « la monar -chie traditionnelle, hérédit aire,antip arlement aire et décentrali -sée, c’est-à-dire la monarchiereprésent ative et corporative ».

ARISTIDE LEUCATE

aleucate@yahoo. f r

Les révisionnistes contre la France

Cette énième réformeconstitutionnelledémontrel’impuissancedésormais proverbiale de la France à se remettre des coups mortelsassénés sans relâchepar la Gueuse.

THIERRY DESJARDINS

Galipettes etcabrioles à l'Élysée

Fayard - 240 p. - 16 euros

Nicolas Sarkozy fatigue jus-qu'à ses thuriféraires les plusconvaincus ; quant à ceux desFrançais qui éprouvaient pourlui une sympathie des plus li-

mitées, il les exaspère au-delàde l'imaginable. Thierry Des-jardins ne se cache pas d'avoirvoté, non pour l'homme, maispour son programme. Sa dé-ception est à la mesure des es-poirs trop vite placés en lui.

Or, et c'est là le pire, ce quichoque le plus, chez le Prési-dent, ce n'est point qu'il netienne pas ses promesses élec-torales, ou n'ait pas les moyensde les tenir, mais qu'il se révèle,en toutes occasions, si inférieurà son rôle et donne, de sa fonc-tion, et de la France, une imagegrotesque et caricaturale vitedevenue insupportable.

C'est donc bien l'homme,ses travers, ses tics et ses in-nombrables bévues, qui se re-trouve ici au cœur de ce pam-phlet brillant et cruel. Certainss'en sont émus, jugeant indé-cent de revenir sur une vie sen-timentale que le chef de l'Étatn'a que trop tendance à mé-diatiser. Pourtant, Desjardinsne se trompe pas de cible, etne fait que dire tout haut ceque la France, ahurie, pensede moins en moins bas. S'yajoute un relevé systématique,lucide et argumenté, des in-cohérences politiques, des er-reurs diplomatiques, et des for-faitures, le mini-traité simplifiéen donnant l'exemple achevé,qui sont en train de faire deSarkozy le plus désastreux denos gouvernants.

Bilan d'un an de règne ?Sans doute, mais surtout, endépit de l'image caricaturaleque Thierry Desjardins se faitde l'ancien régime, démons-tration efficace qu'aucun sou-verain de rencontre ne rem-placera jamais le légitime...

ANNE BERNET

Demain, tout citoyen pourrait demander à un tribunal de saisir le Conseil constitutionnel.

Combien ces fines plaisanteries vont-elles coûter à la collectivité ?

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6 L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008

ASPECTS DU MONDE

Comme maints organes del’Union européenne, Euro-just est méconnue du grand

public. C’est pourtant une pièce es-sentielle du troisième pilier, celuide la coopération policière et judi-ciaire en matière pénale. Aujour-d'hui, marchandises et capitaux cir-culent librement de Séville à Var-

sovie et d'Helsinki à Athènes, tan-dis que des millions de personnesne s’aperçoivent même plusqu'elles traversent régulièrementplusieurs frontières pour négocierun contrat, partir en vacances ouétudier. Profitant de la brèche ainsiouverte, les réseaux criminels ontdepuis longtemps étendu leurs ac-tivités à une dimension continen-tale – quand ce n'est pas davan-tage – et jouent de la mosaïquedes législations nationales.

Afin de lutter plus efficacementcontre ces formes nouvelles de cri-minalité, le Conseil de l’Union eu-ropéenne a institué Eurojust danssa décision du 28 février 2002. Ils’agit en premier lieu d’améliorer,dans le domaine de la coopérationjudiciaire, la coordination entre lesautorités compétentes des Étatsmembres. Mais ne serait-ce pasaussi l’ébauche d’un véritable es-pace judiciaire européen, un pré-lude à l’uniformisation rêvée dudroit pénal pour faire éclore une“Europe de la Justice” affranchiede la tutelle nationale ?

Quelle nécessité ?

Dans son rapport sur le projetEurojust, le Parlement européenavait souligné que sa création ré-pondait aux lacunes de la simplemise en réseau des magistrats etprocureurs européens. La décisionfut ainsi placée sous le signe del’urgence, une nécessité certesmartelée, mais jamais démontrée.Eurojust n’en vit pas moins le jour,en tant qu’organe de l’Union eu-ropéenne doté de la personnalitéjuridique. Elle est composée d’unmembre national détaché par cha-cun des États membres, selon sonsystème juridique, avec la qualitéde procureur, de juge ou mêmed’officier de police. C’est une fineéquipe, parfaitement européenne,dont les activités sont financéespar le budget général de l’Union.Derrière Eurojust se profile, nousl’avons dit, le désir transparent d’ai-guiser, grâce à une structure si-tuée au niveau européen, la luttecontre les formes graves de cri-minalité dans l’Union, notammentlorsque celle-ci est organisée. En-core fallait-il définir ces différentes"formes graves". L’article 4 de ladécision du Conseil y pourvut al-lègrement : sont en ligne de mirela criminalité informatique, lafraude, la corruption et toute in-fraction pénale touchant aux inté-rêts financiers (sacro-saints) de laCommunauté, le blanchiment desproduits du crime, la criminalité audétriment de l’environnement (sansdoute un gage donné à l’écologi-quement correct) et la participationà une organisation criminelle. Si lechamp d’action d’Eurojust nesemble donc pas démesuré, la dé-cision prévoit cependant la possi-bilité d’inclure, sans aucune limite,les infractions commises en rela-tion avec ces formes graves de criminalité.

Eurojust peut agir soit par l’in-termédiaire des membres natio-naux concernés, soit en tant quecollège. Dans le second cas de fi-gure, les États membres ne sont

pas en mesure de refuser ses de-mandes à moins d’en formuler lesraisons dans un avis motivé. Cesdispositions formelles seraient in-quiétantes pour l’indépendancemême des États européens, si lediscours juridique ne masquait pasune faiblesse béante : en effet,chaque État membre définit seulles pouvoirs judiciaires qu’il sou-haite conférer à son membre na-

tional au sein de son propre terri-toire, ainsi que l’étendue de sondroit d’agir à l’égard des autoritésjudiciaires étrangères. Par consé-quent, il appartient aux Étatsmembres qui veulent jouir au mieuxde toutes les possibilités offertespar Eurojust de donner aux repré-sentants nationaux les pouvoirsutiles à l’amélioration de la co-opération judiciaire. Force estd’admettre que les États ont, pourla plupart, transposé au minimumles obligations énoncées par lestextes européens : il est même descas rares de non-transposition endroit interne de la décision du 28janvier 2002. C’est bien la preuveque le corset demeure mal ajusté.

Un boninstrument ?

La souveraineté authentiqueétant dans le libre choix de ses dé-pendances en vertu des intérêtsnationaux, Eurojust pourrait êtreun instrument commode pour in-terpeller simultanément les res-ponsables de réseaux criminelstransnationaux et geler le fruit deleurs trafics. Il est bien évident quel’essor de la criminalité organiséeet des réseaux terroristes appelleun échange plus fluide des infor-mations entre polices et justicesnationales. À ce titre, l’accroisse-ment du chiffre des saisines illustreun besoin qui s’accentue au fil dutemps. La représentation de laFrance auprès d'Eurojust se com-pose de trois magistrats (dont lereprésentant national) et de deuxassistants juristes. C'est l'une des délégations les plus impor-tantes, avec la représentation duRoyaume-Uni et celle de l'Alle-magne. Certains “petits” pays nedisposent que d'une seule per-sonne. La France possède ainsiun atout sérieux. Ajoutons à celaqu’Eurojust a apporté une contri-bution précieuse dans plusieurs af-faires, comme celle du banquier

Elsner, qui fut mêlé à un scandalepolitico-financier en Autriche et quiput être extradé de France, ou en-core l'affaire dite “Pachtou”, quipermit le démantèlement de la plusimportante filière d'immigrationclandestine en Europe et l'arres-tation de plus d'une cinquantainede personnes en France, en Ita-lie, en Grèce, en Turquie et auRoyaume-Uni. Par ailleurs, Euro-

just a contribué à résoudre cer-taines affaires terroristes, par l'in-carcération de membres d'une cel-lule islamiste en Espagne quiprojetait un attentat, l’arrestationde l'assassin du cinéaste Theo VanGogh ou encore de Mohammedl'Égyptien, l'un des financiers pré-sumés des attentats de Madrid, ar-rêté en Italie et extradé vers l'Espagne.

Homogénéitéjudiciaire

Tout irait pour le mieux dans lemeilleur des mondes si l’Europen’était pas fébrile à l’idée de pas-ser de la coopération intergouver-nementale à l’intégration, commeà son habitude. Il y a fort à parierhélas qu’Eurojust ne soit qu’uneétape dans l’édification d’un es-pace judiciaire homogène àl’échelle européenne. Une vaguede doléances se fait déjà entendrepour réclamer une prompte "euro-péanisation" des affaires pénales.En dépit de ses succès, les euro-péistes ne sauraient se contenterlongtemps d’Eurojust, qui a legrand tort, à leurs yeux, de ne pas"harmoniser" les droits nationaux.Elle est un organe de rapproche-ment dont la nature laisse aux Étatsmembres les attributs de la sou-veraineté. Il n'est pas à l'heure pré-sente de procureur européen ni dedroit pénal unifié en Europe : seulsles parquets des États sont sus-ceptibles d'engager des poursuitespénales contre les auteurs de dé-lits nationaux. Pour M. Benoît De-jemeppe, procureur du roi àBruxelles, cette idée est tout sim-plement intolérable : « Nous vi -vons dans un régime européende partage de souveraineté àtous les échelons. Il convient des'en rendre compte dans le do -maine judiciaire. Il est presquesûr que le p arquet européenverra le jour à l'avenir . […] L'UEa une vocation plus large d'in -

tégration politique. Elle n'est p asseulement une zone de libre-échange. Le Parquet européensera l'un des élément s quiconcrétiseront cette volonté po -litique. Eurojust ne peut êtreconsidérée que comme uneétape vers une forme d'intégra -tion plus import ante au regardde la fraude communaut aire, etnon comme un point d'arrivée.Il convient de faire un effort d'in -tégration. »

Un hors-d'œuvreraffiné

La voix de ce fervent européisteest loin d’être isolée sur l’échiquiereuropéen. Le projet de Constitu-tion prévoyait que la matière pé-nale donnerait lieu à des lois eu-ropéennes adoptées non plus àl’unanimité, mais à la majorité ; ceslois devaient ainsi pousser à l’har-monisation des règles de procé-dure pénale. La création d’un par-quet européen était également ins-crite dans le projet défunt pourcombattre les fraudes au budgetcommunautaire. Le projet précisaiten outre que ledit parquet pourraitvoir sa compétence étendue auvaste domaine de la criminalitégrave par une décision unanimedes États membres de l’Union eu-ropéenne. Il faisait fi des diver-gences régnant entre les concep-tions nationales du droit pénal. Unexemple l’atteste : en Italie, le Mi-nistère public fait partie de la ma-gistrature. Il est indépendant detoute puissance politique, qu'ellesoit exécutive ou législative. Dansd'autres pays en revanche, un liende dépendance subsiste entre leparquet et l'exécutif. La Constitu-tion eût été dès lors un pas degéant vers l’établissement d’unenorme judiciaire supranationale.

La création d'un “ministère pu-blic européen” ne peut se conce-voir sans la mise en place d'uneinstance juridictionnelle pénale auniveau européen et d'une unifica-tion des droits et des procédurespénales afférentes. Cela signifiequ’un parquet européen serait nonseulement le prélude à l’unificationdes droits pénaux, mais aussi àl’avènement certain d’une cour pé-nale européenne. Les Étatsmembres de l’UE se verraient len-tement dépossédés du droit derendre justice, pouvoir régalien s’ilen est. En enterrant le projet deConstitution européenne proposéau référendum par le présidentJacques Chirac, les Français ont-ils banni à tout jamais cette pers-pective ? Rien n’est moins sûr. Letraité de Lisbonne, dont la ratifi-cation se poursuit à l’heure où nousécrivons cet article, garde en effetla substance pénale de la Consti-tution avec la possibilité d’instituer,par une décision prise à l'unani-mité après approbation du Parle-ment, un parquet européen à par-tir d'Eurojust. D’abord cantonnéaux intérêts financiers de l’Union,son champ d’action pourrait gran-dir ensuite. Par un audacieux tourde passe-passe, le même plat nousest ainsi présenté une deuxièmefois ; Eurojust ne fut qu’un hors-d’œuvre raffiné : l’Union euro-péenne ou l’art de transformer unecoopération effective et efficace enun projet idéologique uniforme…

DIABLE BOITEUX

Eurojust n'est-il pasl’ébauche d’un véritableespace judiciaireeuropéen,un prélude àl’uniformisationrêvée du droit pénal ?

FLAMBÉE DU PÉTROLE

La Commission euro-péenne s'est-elle découvert unefibre sociale ? Le 11 juin, ellea demandé l'adoption rapidede politiques répondant à lahausse des prix du pétrole, ac-ceptant « que les Étatsmembres prennent des ini -tiatives à court terme afind’aider les couches de la po -pulation les plus défavori -sées ». Bruxelles entend sur-tout accélérer la recherched'une plus grande efficacitéénergétique, améliorer la trans-parence des stocks commer-ciaux de pétrole, soutenir l'or-ganisation d'un sommet mon-dial sur les marchés pétroliers.Le Conseil européen devait dé-battre de ses propositions les19 et 20 juin. À l'ordre du jour,également : des discussionssur la hausse des prix des den-rées alimentaires.

DES PÊCHEURS QUI VOIENT ROUGE

La Commission euro-péenne a annoncé le 13 juin lafermeture prématurée de lapêche au thon rouge en Médi-terranée et dans l'Atlantique Estpour la flottille des senneurs àsenne coulissante (de grandschalutiers). Une décision « né-cessaire pour protéger cetteressource fragile et assurerla restauration du stock » se-lon la Commission, qui se dit« déterminée à utiliser tousles moyens nécessaires pouréviter la répétition de la sur -pêche substantielle observéeen 2007 ». Michel Barnier, mi-nistre de l'Agriculture et de laPêche, a déploré un choixopéré « sans confrontationdes éléments techniques ».La technocratie bruxelloisenous inspire en effet une cer-taine suspicion, mais elle n'estpas la seule : les gouverne-ments ne se défaussent-ils pasde l'impopularité consécutive àl'application de leurs propresdécisions ? Le 19 décembre2007, un accord s'était dégagéà l'unanimité sur la fixation desquotas ; six mois plus tard, ilsse gardent bien de le rappelerà l'opinion publique.

G.D.

Vers une Europe de la Justice

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si l’Europe n’était pas fébrile à l’idée de passer

de la coopération intergouvernementale à l’intégration, comme à son habitude...

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L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008 7

ASPECTS DU MONDE

La Cour constitutionnelleturque a annulé le 6 juin laloi autorisant le port du voile

islamique dans les universités dece pays. Cette loi a été jugée

contraire au principe de laïcitéinscrit depuis Kémal Atatürk dansla Constitution, que le gouverne-ment actuel, de tendance isla-miste, tente progressivement desupprimer avec l'appui de la bu-reaucratie européenne deBruxelles. Les onze juges, qui ontstatué à la demande de nombreuxdéputés de l'opposition, se sontfondés sur un article non amen-dable de la Constitution stipulantque la « République turque estun État laïque ».

Sur le plan intérieur, cette dé-cision est un véritable camoufletinfligé au gouvernement et auPremier ministre. Elle constitueun coup d'arrêt spectaculaire

porté au processus de l'islami-sation de la société turque en-trepris par le pouvoir. D'autantplus qu'une autre décision estsusceptible d'être prise par la

Cour : l'interdiction de l'exercicede toute activité politique pendantcinq ans par soixante et onze per-sonnalités et cadres politiques fa-vorables à l'islamisme radical, quela Cour ne confond pas avec l'is-lam, et accusées d'œuvrer contrela laïcité de l'État. Parmi ces per-sonnalités... le Premier ministreErdogan et plusieurs membresde son gouvernement.

Cet arrêt, s'il était rendu, équi-vaudrait à la dissolution du parti is-lamiste AKP au pouvoir à Ankaraet la tenue de nouvelles électionslégislatives. Arrêt excessif dirontcertains. Mais décision parfaite-ment conforme au droit constitu-tionnel turc. Elle relève des affaires

intérieures de ce pays, que nousn'avons pas à juger. Ce qui estétonnant, voire scandaleux, c'estl'attitude de la Commission deBruxelles et les menaces de sanc-

tion brandies par elle, au nom dela... démocratie. Le 12 juin laCommission a envisagé, en guisede "sanction" et de "mesure de ré-torsion" de suspendre les négo-ciations d'adhésion de la Turquieà l'Union européenne, si la Courconstitutionnelle allait plus loin danssa politique de défense de la laï-cité, autrement dit de lutte contrel'islamisme en interdisant l'AKP.

Un islamismeradical

On croit rêver ! La bureau-cratie bruxelloise soutient avecl'accord des gouvernements del'UE l'islamisation d'un pays, de

bientôt cent millions d'habitants,candidat à l'adhésion à l'Union !Au nom de la démocratie qui plusest ! Bruxelles va-t-elle se per-mettre d'arbitrer bientôt les déci-sions prises par le Conseil consti-tutionnel en France ou le Tribu-nal constitutionnel suprême deKarlsruhe en Allemagne ? Com-ment ces "instances bruxelloises"osent-elles s'opposer au nom dela "laïcité" à la mention des ra-cines chrétiennes de la civilisa-tion européenne dans le traitéconstitutionnel, et soutenir l'im-position progressive de la chariadans un pays candidat à l'Union ?On ne comprend que trop l'atti-tude du peuple irlandais qui a ditnon à cette Europe qui voudraitdissoudre les nations, leurs cul-tures, leur identité, et qui, curieu-sement, soutient l'islamisme ra-dical dans un pays candidat à l'ad-hésion. Car, il ne s'agit pas d'unproblème de liberté de croyance,ni de la mise en cause d'une re-ligion, en l'occurrence l'islam. Maisde défense de l'islamisme radicalque le droit et la jurisprudenced'un pays souverain condamnentet que la "Commission" soutient.

Il est regrettable qu'aucunevoix ne se soit élevée, nulle part– même par M. Cohn-Bendit –pour protester contre cette atti-tude inqualifiable des autoritésbruxelloises et pour défendre leprincipe de la distinction de la re-ligion et de l'État en Turquie. Deuxpoids, deux mesures.

PASCAL NARI

Drôle d'Europe qui voudraitdissoudre les nations,leurs cultures,leur identité,et qui,curieusement,soutient l'islamisme radicaldans un payscandidat à l'adhésion.

La Commission au service des islamistes ?

Une décision contestable de la BCE

Les dirigeants de la Banquecentrale européenne vien-nent d'annoncer leur inten-

tion de relever leurs taux de baseà partir du 1er juillet prochain.

Décision contestable pour saforme. Un changement des taux,annoncé trois semaines en avancen'est pas, ou n'a pas été jusqu'àprésent, dans la tradition desbanques centrales. Mais décisioncontestable, et croyons-nous dé-plorable en soi. La BCE invoquele danger inflationniste, la haussedes prix qui se dessine à l'horizon,et craint la spirale infernale sa-laires-prix susceptible de mettreen danger l'équilibre précaire del'économie européenne et le faibletaux de croissance dans certainspays membres de la "zone euro".

Le raisonnement est simple :en pratiquant une hausse destaux, on freine la demande glo-

bale, on grève les coûts, donc onmet un coup d'arrêt à la pressioninflationniste. C'est probablementle seul point d'accord entre clas-siques et keynésiens. Le raison-nement serait valable si l'inflationqui se profile n'était pas importée.Or, dans l'économie globalisée,mondialisée comme on dit, cettepolitique des taux ne pourraitguère être efficace. Pourra-t-elle

agir sur la hausse du pétrole, surla forte augmentation de la de-mande dans les pays émergeants,sur la spéculation soutenue sinonpratiquée par quelques grandesmultinationales ? Cette politiquede variation des taux est efficace

aux États-Unis, dont l’économieest relativement protégée ; bienmoins en Europe, où l’économieest totalement ouverte.

Un problèmestructurel

En revanche, une telle politiquede hausse des taux provoquera, àpeu près sûrement, un renchéris-

sement des coûts intérieurs, frei-nera la demande de logementsneufs ou anciens et pourrait en finde compte constituer un facteur deralentissement de la croissance etaggraver la situation de quasi-stag-flation que l'Europe est en train de

connaître. Elle sera donc, selontoute vraisemblance, contre-pro-ductive. Le problème cardinal dela politique monétaire de la BCE,orientée uniquement vers la luttecontre l'inflation, et ce avec desmoyens inadéquats, est structurel.La BCE n'est responsable devantaucune instance politique. Ce n'estpas le cas de la Réserve fédéraleaméricaine, à laquelle elle voudraitêtre comparée, qui doit rendrecompte de sa politique devant leSénat des États-Unis, qui est sou-mise à un contrôle politique régu-lier et contraignant. Ce sont donc,les statuts de la BCE qui devraientêtre modifiés. Les partis politiqueseuropéens le promettent lors descampagnes électorales et l'oublientimmédiatement après.

Si le climat de morosité actuelperdure, aggravé par la politiquecontestable de la Banque centrale,l'équilibre précaire actuel pourraitêtre mis en danger et tout le sys-tème monétaire européen s'effon-drer. En Allemagne,déjà, selon lessondages que l'on ose publier, cequi n'est pas le cas en France,44 % de l'opinion réclame la fin del'euro et le retour au mark. Salu-taire avertissement !

SERGE MARCEAU

Dans l'économieglobalisée,la politique des taux de la Banquecentrale européennene pourra guère être efficace.

PAUL-MARIE COÛTEAUX :

«« La victoirLa victoire e des nades nationstions »»Le 13 juin, le député fran -

çais au Parlement européena publié un communiqué sa -luant l'issue du référendumirlandais. En voici quelquesextraits :

La très nette victoire du nonen Irlande confirme ce qu'an-nonce de toutes parts le XXIe

siècle : le grand retour des na-tions. Elle s'ajoute au non quela France a opposé voici troisans à la supranationalité euro-péenne, suivie par la Hollande.Elle s'ajoute aussi à tout ce quenous savions, notamment grâceà une multitude de sondagesconvergents, de la résistancedes peuples à la supranatio-nalité de Lisbonne. [...] Ensomme, les oligarques deBruxelles sont refusés par l'Eu-rope dont ils portent si indu-ment le nom. C'est la méthodeMonnet qu'abattent aujourd'hui,avec la France et la Hollande,ce fier peuple Irlandais dont ilfaut saluer le courage. [...] Onsait que la fameuse méthodeconsistait à s'en remettre aucouple infernal que forment laCommission de Bruxelles et laCour de Luxembourg pourconstruire [...] un État supra-national chapeauté par Wa-shington. Elle est morte. [...]

Tous les points de la prési-dence française [...] peuvententrer en application sur le fon-dement du traité de Nice. [...]Toute tentative de faire autre-ment que de rester dans lecadre de Nice ne serait qu'uneforfaiture supplémentaire, tantil est vrai que tout traité doit êtreratifié par chacun de ses si-gnataires ou devient nul. Lis-bonne est mort, Nice s'applique.Hélas, pour nos grandioses bâ-tisseurs, il fixait la répartitiondes voix au Conseil et dessièges au Parlement, en sortequ'il sera lui aussi caduc dèsqu'interviendra une nouvelle ad-hésion : ce n'est donc pas sim-plement Lisbonne et Nice qu'ilfaut remplacer mais tous lestraités : en d'autres termes, édi-fier un nouveau traité fondateurpour une autre Europe. [...]

Il faut supprimer la Com-mission européenne et la Courde Luxembourg, et placer leConseil européen et le Parle-ment de Strasbourg (à réunir,à terme, avec le Conseil del'Europe), au service d'un en-semble de coopérations entreÉtats, en privilégiant cinq do-maines d'action : une politiquecoordonnée de la recherche,une politique industrielle, unepolitique commerciale (en ré-habilitant notamment, en toutdomaine, la préférence com-munautaire), assorties d'unpacte de défense véritablementeuropéen (c'est à dire délivréde l'OTAN), ainsi qu'une sur-veillance accrue des frontières,renforçant des contrôles natio-naux si mal assurés aujourd'hui.[...] Cette autre Europe est pos-sible : la France doit la pro-poser aux peuples, qui d'ailleursn'en veulent aucune autre.

* www.pmcouteaux.org

La lutte contre l’inflation demeure la priorité de la BCE... conformément à ses statuts.

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8 L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008

COMBAT DES IDÉES

[...] Des conférences à La Lou-vesc auprès du tombeau de saintRégis aux grands colloques ca-tholiques à Paris ou à Lausanne,j'ai dès mes jeunes années éténourri de la pensée de GustaveThibon jusqu'au jour où j'ai pucompter au nombre de ses amis,[...] l'invitant à parler à l'Institutd'Action française – lui demandantdes entretiens pour diverses pu-blications –, le rencontrant coifféde son béret, l'imperméable au

bras (il était prudent), une valiseà la main, en partance pourquelque endroit sur l'un des cinqcontinents (car il a parlé dans lemonde entier !) – ou encore biensûr lui rendant visite à Saint-Mar-cel d'Ardèche, le seul endroit aumonde où il se sentait bien, et jepeux vous affirmer que nos en-tretiens n'étaient pas tristes. [...]

Poète et paysan

Tous ceux qui l'ont rencontrése souviennent de son pas ba-lancé, de sa stature solide, de sonsavoureux accent chantant, de ses observations paysannes, deses intarissables citations de Mistral, de Hugo, de Maurras, deNietzsche... D'autres l'ont seule-ment aperçu lors de ses trop rarespassages sur le petit écran. Maisil fallait le voir, poète et paysan,sur sa terre charnelle, chez lui, aumas de Libian à Saint-Marcel d'Ar-dèche, presqu'aux portes de laProvence, là où il naquit le 3 sep-tembre 1903. Il allait être ainsiplongé de bout en bout dans letragique XXe siècle, n'entrant dansle XXIe que le temps d'un salutpuisqu'il fut rappelé à Dieu le19 janvier 2001, à 97 ans. Un sa-lut, dis-je, en fait plutôt une bou-teille à la mer contenant un mes-sage que je vais essayer de vousprésenter maintenant, car il est untrésor inestimable.

L'âme vivaroise

D'abord, il fut toujours à mesyeux l’incarnation de l’âme viva-roise, pétrie de terre ardente et debesoin d’infini. Thibon a semé toutesa vie une sagesse et un bon sensde nature à aider ses lecteurs etses auditeurs à retrouver le mys-tère caché derrière les choses,derrière les mots, ce mystère àl’aune duquel se trouvent relativi-sés nos agitations, nos matéria-lismes, nos illusions...

Contemplant au soleil cou-chant, par-dessus les feuillagesscintillants, de la fenêtre de sa mai-

son, l’horizon majestueux quis’étend, de l’autre côté du Rhône,du Vercors au Comtat Venaissinet que domine le cône du Ventoux,l'enfant du pays contait ainsi sespremières émotions esthétiques :« Je percevais en cette visionle reflet d’un monde dontl’homme ne peut saisir que p aréclairs la pureté mystérieuse etje sent ais longtemp s s’agiter aufond de mon âme ce levain denost algie, cet appel amer etdoux vers l’impossible quelaisse après soi le cont act avecla beauté trop p arfaite. »

Cette existence entre ciel etterre se déroula jusqu’à vingt ansdans la ferme paternelle. Son père,en bon paysan cultivé, possédaittous les livres de Victor Hugo, com-prenait le latin et composait desvers. Mais un beau jour Gustaveeut soif d’aventure, quitta le nid,essaya ses ailes. Puis il revint bienvite vivre entre ses parents le restede son âge et puiser sur son solancestral les leçons d’ordre etd’équilibre compensant son tem-pérament anarchique. Il fut alorspris d’une irrésistible frénésie desavoir : il apprit tout seul, avec uneprodigieuse facilité d'assimilation,le latin, le grec, le provençal, l'ita-lien, même l'allemand, les mathé-matiques, la biologie, la médecine ;il dévora les philosophes et lespoètes et devint lui-même tout àla fois un penseur, un poète et undramaturge.

Restaurationintérieure

Ses premiers livres ayant parusous le régime du maréchal Pé-tain (Diagnostics en 1940, Destinde l’homme en 1941, L’Échelle deJacob en 1942, Retour au réel en1943...), certains lecteurs superfi-ciels ont voulu faire de Thibon lephilosophe du retour à la terre.C’est oublier qu’il appelait essen-tiellement les Français abasour-dis par la défaite à une restaura-tion intérieure, à une remise envaleur du sens des responsabili-tés dont le paysan, échappant àla sécurité facile autant qu’à l’es-prit d’aventure, était le meilleurexemple. Ne nous méprenons passur sa façon d’évoquer la vie despaysans du temps de son en-fance : « Bornés en surface, lespaysans n’avaient p as d’autreressource que de s’enfoncerdans l’ép aisseur : la profondeurétait la dimension naturelle deleur vie. » Avec cela ils étaient aularge dans le temps, œuvrant pourcontinuer les ancêtres et pour pré-parer leur descendance. Certes,cette vie présentait certains côtésétouffants, mais les vertus sociales,dont la religion constituait la trame,avaient le mérite « d’assurer , àl’intérieur de la masse humaine

qui n’est composée ni de hérosni de saint s, une cert aine conti -nuité de mœurs ». Bien sûr, lesimbéciles de tout temps ont re-gardé de haut les gens de bonsens et c'est ainsi qu'il fut un jourtraité par Bernard-Henry Lévy de« philosophe bovin ».[...]

Enracinement

Thibon, enraciné sur la terre vi-varoise, ne perdait pas pour au-tant de vue l'universel. Il écrivaitdans la préface dont il a honoré ladernière édition de mon livre surla vaste aventure régionaliste duPigeonnier en Vivarais en 1972 :« L'arbre qui ét ale ses fleurs ausoleil de tous n'a-t-il p as besoindu coin de terre où s'enfoncentses racines ? » Car il pensait évi-

demment que, contrairement à lagrande illusion des mondialistes etdes amateurs de Mac-Do, ce n'estpas en ressemblant à tout le mondeque l'on s'élève à l'universel.

Puis-je évoquer quelques-unsdes bons mots dont il émaillait sesconférences ? Se moquant deshommes d'aujourd'hui incapablesde voir où les mènent leurs in-conséquences et leur manque deréflexion sur le long terme, il évo-quait une personne tombant de lafenêtre du dixième étage et disanten passant devant le cinquièmeque tout allait bien... Ou encore,du même ordre d'idée, un trou-peau d'oies syndiquées manifes-tant dans la rue en criant "Vive lefoie gras !" Comme poète il segaussait des versificateurs illisibles

si nombreux aujourd'hui qui croient« rendre hommage à l'invisibleen défigurant le visible » et ilvoyait dans leurs cris hystériquesles « spasmes de l'impuis -sance »... Il disait aussi que l'am-bition des jeunes d'aujourd'huid'être dans le vent est une « am-bition de feuille morte ». Au su-jet de l'envahissement du mondepar la technocratie : « Plus uneâme est éloignée du mystère ori -ginel, plus elle est condamnéeà se nourrir de chiffres : l'in -ventaire remplace pour elle l'in -vention... » [...]

Éternité retrouvée

Pour en revenir à la manièrethibonienne de concevoir le passé,je veux ajouter que, pour lui, le

passé n’avait d’intérêt que dans lamesure où sa durée reflétait lamarque de l’éternité. Assistant enmoins d’un siècle à plus de bou-leversements que le monde n’enavait connu durant trois millénaires,il ne succombait ni au mythe duprogrès (« l’accélération conti -nue est le propre des chutesplus que des ascensions ») ni àcelui du repliement sur soi, maistremblait pour l’avenir plus qu’il nepleurait sur le passé, voyant lemonde s’écarter des lois intan-gibles de la création. « Le monden’ét ait pourt ant p as resté figéau cours de ces trois mille ans,et cela donne à penser que cetinvariant qui avait subsisté à tra -vers la fuite des siècles répon -dait vraiment à quelque néces -

sité éternelle. » Tel était le souciprimordial de Thibon : par-delà letemps, retrouver, plus que lepassé, l’éternel. « Tout ce quin’est p as de l’éternité retrouvéeest du temp s perdu. »

Au-delà du passé

Mais Thibon nous conduit au-delà du passé. Il s’agissait pourlui de restaurer non pas le passéen tant que tel, mais l’acquis del’expérience humaine, à com-mencer par la relation organiqueet féconde entre les hommes, entreles générations, entre l’homme etDieu. Contre l’idéal des “Lumières”posant un individu émancipé etabstrait qui « erre à la surface delui-même », le philosophe de Ceque Dieu a uni (1945), La Crisemoderne de l’amour (1953), Notreregard qui manque à la lumière(1955), voulait rendre à l’hommeses attaches et ses limites, gar-diennes de la force et de l’unitédes individus comme des socié-tés, et point du tout des prisons.« Nous vivons à l’intérieur denos limites comme le sang dansl’artère ; la paroi de l’artère n’estpas une prison pour le sang, etce n’est p as “délivrer” le sangque d’ouvrir l’artère. »

La politique et le sacré

Thibon ne faisait pas de poli-tique, mais il était très lucide : « Àdroite on dort, à gauche onrêve. » Mais son souci de sauverl’harmonie dans l’homme et entreles hommes ne pouvait que leconduire à rejeter les principes in-dividualistes de Droits de l'Hommeet à rejoindre Maurras, son ami,et sa conception de la monarchiecomme la forme de gouvernementla plus naturelle puisque fondéesur les lois du prolongement desgénérations d'âge en âge, la plus"incarnée" (le roi est un être dechair), la plus capable d’allier l’unitéet la diversité dans une synthèsesupérieure et de porter le souci dubien commun (la chose publique,la "république" au vrai sens dumot, la res publica) au niveau d'uneexigence sacrée. Au sujet de l'éga-litarisme qui étouffe aujourd'huinos sociétés, faisant perdre auxjeunes le sens de l'émulation, éri-geant chaque désir en un "droit del'homme", Thibon rappelait avecréalisme que l'inégalité est la loide la nature. « Des hommeségaux, on n'en rencontre quedans les cimetières »...

Simone Weil

Le plus souvent il nous inviteà plonger au cœur du drame dela condition humaine, la vôtre, lamienne, quelles que soient nosconvictions philosophiques ounotre religion. Par plusieurs de sesouvrages, ce chercheur d’absolus’affirma comme l’un des plusgrands penseurs spirituels du XXe

siècle : Vous serez comme desdieux (1959), L’Ignorance étoilée(1974), Le Voile et le Masque(1985), L’Illusion féconde(1995). Plus il avançait en

Gustave Thibon nous invite à plonger au cœur du drame de la conditionhumaine,la vôtre, la mienne,quelles que soientnos convictionsphilosophiques ou notre religion.

Gustave Thibon, témoin de l'éternel

Notre rédacteur en chef Michel Fro -mentoux a prononcé au cours de l'été 2007,dans sa ville natale d'Annonay , en Vivarais,une conférence rendant hommage à l'unde ses maîtres pétris de même terre, le phi -losophe qui était aussi un poète et un mo -

raliste, Gustave Thibon (1903-2001). Nousen publions ci-dessous les principaux pas -sages notamment à l'intention de nos jeuneslecteurs qui, aujourd'hui, n'entendent guèreparler de ce grand penseur en classe dephilosophie.

Le visage de Gustave Thibon plane sur Saint Marcel d’Ardèche,

son pays natal.

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COMBAT DES IDÉESLES GRANDS TEXTES POLITIQUES

Bossuet : Politique tirée de l'Écriture sainte

« Bossuet admett ait laRépublique lorsqu'il la trou -vait en conformité avec l'his -toire, avec la géographie etenfin avec les trait s naturelsd'un peuple donné. L'ordredivin pour Bossuet, c'ét aitl'ensemble des conditionsnaturelles créées et soute -nues p ar Dieu et qui, con-nues de nous, formentl'ordre de la science. Mêmedépouillée de son app areilthéologique, La Politique ti -rée de l'Écriture sainte restele livre d'une science trèsferme. Tous les théoricienspolitiques le savent. AugusteComte l'a inscrite dans sa bi -bliothèque positive. »

CHARLES MAURRAS

Gazette de France, 6 sept. 1900

La Politique de Bossuetparut en 1709, cinq ans aprèsla mort de son auteur. Nousallons en brosser le plan àgrands traits pour montrer lajustesse du jugement deMaurras et réfuter les contre-sens qui ont été faits sur cegrand livre qui, commed'ailleurs les écrits politiquesde saint Thomas, est plusproche d'Aristote, d'AugusteComte et de Maurras que deFénelon et des nuées théo-cratiques.

Respecter la loi naturelle

Le premier livre expose lesprincipes de la société parmiles hommes et le premier ar-ticle s'intitule : L'homme estfait pour vivre en société.Quels sont les fondements dela société ? « Un même Dieu,un même objet, une mêmefin, une origine commune,un même sang, un mêmeintérêt, un besoin mutuel... »

Le second article parle desEtats, des peuples et des na-tions : la société humaine aété violée et détruite par lespassions et, dès le commen-cement des choses, s'est di-visée en plusieurs branchespar les diverses nations quise sont formées. Pour formerles nations et unir les peuples,il a fallu établir un gouverne-ment (article III) : seule l'au-torité peut mettre un frein auxpassions et à la violence de-venue naturelle aux hommes.

Il n'y a d'union que par l'au-torité du gouvernement. Parle gouvernement, chaque par-ticulier devient plus fort (lefaible égale le fort, le pauvre,le riche grâce à la justice ap-puyée sur l'autorité). Le gou-vernement se perpétue etrend les États immortels.« Toutes les lois sont fon -dées sur la première detoutes les lois, qui est cellede la nature, c'est-à-dire surla droite raison et sur

l'équité naturelle. » L'ordredivin est donc l'ensemble desconditions naturelles crééeset soutenues par Dieu.

Le deuxième livre étudiel'autorité. Dieu est le vrai roi.Le premier empire parmi leshommes est l'empire pater-nel. La monarchie forme laplus commune, la plus an-cienne et la plus naturelle desformes de gouvernement. Legouvernement monarchiqueest le meilleur et sa meilleureforme est héréditaire, maisBossuet admet d'autresformes de gouvernement :« Il faut demeurer dans l'Et atauquel un long temp s a ac-coutumé le peuple. C'estpourquoi Dieu prend en saprotection tous les gouver -nement s légitimes, enquelque forme qu'ils soientétablis. »

Autorité royale et absolue

Les livres III, IV et V ex-pliquent la nature et les pro-priétés de l'autorité royale quidoit être soumise à la raisonet qui est absolue. « Pourrendre ce terme odieux etinsupport able, plusieurs af -fectent de confondre le gou -vernement absolu et le gou -vernement arbitraire. » Seulun gouvernement indépen-dant peut rendre la justice.« La justice n'a de soutienque l'autorité et la subordi -nation des puissant s. »

Gare au contresens

Mais pourquoi cet ouvragede politique naturelle s'intitule-t-il Politique tirée de l'Écrituresainte ? Beaucoup de per-sonnes, qui ne connaissentpas le livre, croient que Bos-suet se fonde sur des pres-criptions évangéliques. Il n'enest rien. Sa méthode consisteà poser des propositions, àles démontrer, et à illustrer ladémonstration par desexemples tirés de la Bible, es-sentiellement de l'Ancien Tes-tament, de l'histoire du peuplehébreu. La Politique tirée del'Écriture sainte est un traitéqui s'appuie sur une doubledémarche de l'esprit : déduirede la raison en partant de laréalité de la nature humaine,induire de l'histoire. Le toutsous le regard de la théolo-gie, mais sans confusion,comme le souligne Maurras.Le Saint-Esprit nomme les roispasteurs des peuples, maisc'est aussi le nom que leurdonne Homère. En 1912, lechanoine Cagnac, démocrate-chrétien, lettré fort distinguépar ailleurs, publiera un Fé-nelon, Politique tirée de l'É-vangile. Tout un programme.

GÉRARD BAUDIN

LLEE TTRÉSORRÉSOR DEDE LL’A’ACTIONCTION FRANÇAISEFRANÇAISESous la direction de Pierre PUJO

Avec Sarah BLANCHONNET, Stéphane BLANCHONNET, Grégoire DUBOST, Michel FROMENTOUX, Vincent GAILLÈRE , Pierre LAFARGE, Aristide LEUCATE, Alain RAISON, Francis VENANT

Depuis sa fondation en 1899,l'école d'Action française a produitun nombre considérable d'ouvragesde critique historique, politique, lit-téraire, qui, ensemble, constituentun trésor.

Trente et un de ces ouvragesont été sélectionnés pour faire l'ob-jet d'articles publiés dans L'ActionFrançaise 2000 en 2004 et 2005.Ont été privilégiés ceux qui per-mettent d'approfondir la pensée po-

litique de l'Action française en sou-lignant leur actualité.

À travers les études rassem-blées dans ce recueil, le lecteur sefamiliarisera avec Jacques Bain-ville, Augustin Cochin, Léon Dau-det, Pierre Gaxotte, Pierre Lasserre,Charles Maurras, Léon de Mon-tesquiou, Maurice Pujo, le marquisde Roux, Henri Vaugeois, décou-vrant ainsi l'originalité de la pen-sée d'AF.

Éd. de l’Âge d’homme, 138 p,, 20 s. Disponible à nos bureaux : 22,11 s franco (chèque à l’ordre de la PRIEP).

À LIRE ET À OFFRIR

âge, plus il était crucifié parla folie du monde moderne :

« En désirant de toutes sesforces la puissance matérielle,l’homme l’a obtenue, mais, enmême temp s, laissant la placeà l’homme qui se fait son rival,Dieu semble s’être retiré dumonde. »

Il faut ici que je revienne auxannées de l'Occupation où, loindes accusations stupides des in-tellectuels à la sauce politique-ment correcte, Gustave Thibon ac-cueillit chez lui pour la protégerSimone Weil (avec un W, surtoutne pas confondre !). Ancienne mi-litante d'extrême gauche, chasséede l'enseignement du fait de sesorigines juives, elle arriva un jourde 1941 au mas de Libian, de-mandant le refuge contre unesimple initiation aux durs travauxdes champs. Bien vite Thibon futséduit, non certes par sa beauté(il a parlé à son sujet d'un « nau-frage de beauté » – on peut êtreplus galant...), mais par sa beautéde cœur. Cette jeune fille était as-soiffée autant que lui d'absolu, demysticisme, d'ascétisme, de dé-pouillement. Elle ne resta quequelques mois, puisqu'elle partitpour New York, puis pour Londresoù elle mourut en 1943 alorsqu'elle cherchait à servir la "Francelibre", mais cela suffit à Thibonpour plonger dans un abîme deréflexions qui devaient s'appro-fondir surtout dans ses dernièresannées où il éprouva cruellementle phénomène qui laisse, hélas,insensibles nos contemporains hé-donistes et matérialistes : le phé-nomène de l'« agonie de Dieu ».

Thibon se sentait en effet deplus en plus plongé dans la « nuit

obscure », au point de considé-rer comme une expérience spiri-tuelle, le fait de douter non pas deDieu, mais en Dieu. Cela paraîtsubtil, mais ne l'est point. N'allezpas croire que Thibon connut ledésespoir : nous sommes ici auxantipodes de Sartre. Thibon prê-chait l'espérance contre l'espoir.Je cite : « On ne possède Dieu,dans sa pureté surnaturelle qu'àtravers le désespoir pâti et sur -monté. » En somme Dieu délivrede son existence, non par despreuves, mais des épreuves.

Le Cielsans promesse ?

C'est là un mal pour un bien,mais l'homme reste bien seulquand même l'Église du Christ estplongée dans la crise. On doit au-jourd'hui « tout retrouver p ar soi-même, douloureusement, sansêtre porté p ar le social ». Autre-fois en effet il était tout natureld'être baptisé, de faire sa premièrecommunion, de se marier, de res-ter fidèle à sa femme au moins enapparence..., de respecter cer-tains principes d'éducation... Avoirperdu ces repères peut être unbien en ce sens que les certitudestrop tranquilles et les habitudesroutinières rendent parfoisl'homme imperméable à l’actionde la grâce et au sens du mys-tère ; le « trop défini » peut mas-quer « l’infini » de même que lesdogmes les plus précieux quandils cessent de n'être que des « si -gnaux indicateurs » peuvent pas-ser à côté du mystère. Là Thibonva au-delà des causes immédiatesde la crise de l'Église, qui estd'ailleurs la crise des Églises, lacrise du sacré ; il montre qu'ap-paraissant trop souvent, depuis leXIXe siècle, comme une simplemorale, voire une pudibonderieavec des interdits, l'Église s'esttrouvée ces derniers temps sou-vent désarmée pour rendre sen-sible le mystère dont le mondemoderne a pourtant, même s'il nel'avoue pas, un si grand besoin.Thibon détestait l'hypocrisie :« Deux sortes d'êtres que je nepeux p as supporter : ceux quine cherchent p as Dieu et ceuxqui s'imaginent l'avoir trouvé. »Ou encore : « Il faudrait distin -guer deux sortes de vices : les

péchés commis sans plaisir etles vertus pratiquées sansamour . » Thibon, l'apôtre de l'au-thenticité...

Mais le fait actuel de tout de-voir retrouver par soi-même peutêtre aussi une expérience pé-rilleuse. Thibon se retrouvait seulface à Dieu « chaque jour demoins en moins étranger et deplus en plus inconnu », souhai-tant mourir « dans la nuit » parrespect de la lumière inconnuequ’il n’entrevoyait plus que « sousla forme de l’éblouissement ».

Thibon est allé, voyez-vous,jusqu'à la limite de l'athéisme, c'esten cela qu'il est très moderne ettouche tout homme, chrétien oupas, inquiet sur sa destinée. Mais,rétorquait-il, le Christ Lui-mêmen’a-t-il pas ressenti au moment deson agonie au Mont des Olivierscet effroi devant le « Ciel sanspromesse » ? N'a-t-Il pas dit aumoment de Son sacrifice su-prême : « Mon père pourquoim'avez-vous abandonné » ? N'a-t-il pas alors Lui-même éprouvéun « athéisme purificateur » ?Thibon plonge ici au fond du dramehumain, au fond du désespoir d'unmonde livré à lui-même, mais il ensort : « Il faut bien que cet Êtresoit nécessaire pour qu’onéprouve le besoin d’en douterou de le nier . »

L'espérance en la Création

[...] Il me faut conclure. Thibonne cessera jamais d’aider les gé-nérations futures à vaincre touteforme de matérialisme, à scruterle mystère au-delà des appa-rences, à surmonter tout désarroidans un monde effondré, et sur-tout à placer l’espérance non pointen l’homme – que les philosophiesmodernes rendent fou –, maisdans les lois immuables de laCréation qui seules le garderontde sombrer dans le néant. Danstous les bouleversements et leseffondrements de notre vilaintemps, quand tout nous sembleobscur, quand l’éclipse semble at-teindre même les vérités divines,ce n’est pas la lumière qui nousabandonne, mais c’est « notre re -gard qui manque à la lumière ».

MICHEL FROMENTOUX

Thibon est alléjusqu'à la limite de l'athéisme,c'est en cela qu'il est très moderne et touche tout homme,chrétien ou pas,inquiet sur sa destinée.

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HISTOIRE

Truffé d’anecdotes et de ca-lembours, fortement docu-menté et finement écrit, le

dernier livre de Patrick Buisson seveut un ouvrage d’histoire desmentalités portant sur la viesexuelle des Français durant les“années érotiques” de l’Occupa-

tion. La thèse défendue par l’au-teur est la suivante : la France aconnu pendant cette période desdébordements de sexualité queVichy ne parviendra pas à jugu-ler, une sorte d’érotisme des an-nées sombres fort éloigné du pré-tendu “ordre moral” annoncé parle maréchal Pétain. En effet, se-lon Patrick Buisson, la France,bien que saignée par la guerre,fut d’abord une terre de repos etde délectation pour les soldats al-lemands et cette atmosphère fes-tive alla de pair avec une certainelibéralisation des mœurs combat-tue aussi bien par Vichy que parla Résistance.

Le livre s’ouvre sur la des-cription de la “débandade” fran-çaise (terme à prendre au senssexuel du terme) de juin 40. Cequ’ont connu les Français en troissemaines de combats qui seconcluent par un effondrement del’armée française, ce n’est passimplement une défaite militaire,mais bel et bien la destitution sym-

bolique de la société patriarcaletraditionnelle. Les Français n’ontpas su protéger leurs femmes etvoici maintenant qu’ils livrent leursépouses à l’ennemi : l’invasion estune forme de “saillie”. Avec prèsde deux millions de prisonniers deguerre, l’homme français se trouvehumilié et sa virilité anéantie parla présence d’une troupe d’occu-pation constituée de jeuneshommes blonds qui ne craignentaucunement de montrer leurscorps musclés et nus. « Pour lesmaîtres du Reich qui ont fait du

corp s masculin le symbole ducorp s de la nation allemande,l’incarnation objective de la supériorité de la race, il y a danscette exhibition permanente un évident souci de prop agandeainsi qu’un p arfum d’apothéose.Ils estiment ne p as avoir de meilleurs représent ants,meilleurs ambassadeurs queces corp s harmonieux dont lacinéaste Léni Riefenst ahl a fixésur la pellicule l’idéal de beautédans Les Dieux du stade , le do -cument aire qu’elle réalisa à l’oc -casion des Jeux olympiques deBerlin en 1936. Sept ans d’untotalit arisme et d’une disciplinesans faille ont fait de ces sol -dats des hommes de bronze,empanachés de blondeur . C’estdans ce moule unique qu’ontété coulés les millions de jeunesallemands qui déferlent sur l’Europe. L ’éros mâle est leurétendard, quand bien mêmes’imaginent-ils combattre sousd’autres couleurs. » De fait,comme l’indique Patrick Buissondans son ouvrage, c’est le goûtde la luxure qui précipite les Teu-tons à Paris : dès la ville conquise,ce sont immédiatement cabarets,cinémas et maisons closes quisont mis à disposition des Alle-mands pour une fête qui va durerquatre ans.

Naufrage d’unevirilité française

Le problème qui se pose alorsau gouvernement issu de l’armis-tice est de savoir comment main-tenir un semblant de lien conjugalalors que les hommes sont pri-sonniers en Allemagne et que cer-taines femmes ne sont pas toutesindifférentes à la superbe germa-nique. Vichy doit faire face à desfrais d’occupation absolumentconsidérables qui ne lui permet-tent pas, économiquement, de sedonner les moyens d’une politiquefamiliale efficace destinée auxépouses des prisonniers et ne peutfaire face aux “stratégies fémininesde survie” qui consistent, pour cesfemmes, soit à travailler directe-ment pour l’ennemi soit à coucheravec lui. « Ces femmes de pri -sonniers de guerre, V ichy lesvoudrait exemplaires, stoïqueset fidèles. En pratique, chacuna bien conscience que la capti -vité, en ép argnant la vie deshommes mais en différant leurretour à une date indéterminée,a ouvert le grand bal des cocus.Dévirilisée, la France l’est ausens propre à cause de ce mil -lion et demi d’hommes man -quant s. De cette nation femellepar déficit de mâles, les gou -vernant s savent qu’ils ont toutà redouter : la dissolution desliens conjugaux mis à rudeépreuve p ar l’absence du chefde famille, le déséquilibre dessens et des sentiment s détra -qués p ar la brisure des foyers,les comportement s erratiquesque dictent la lassitude, le dé -couragement, le désespoir ,quand ce n’est p as, selon le motd’un prisonnier , cette “fureur quitient les femmes au ventre”.

(p. 286) Pour lutter contre l’infidé-lité féminine, Vichy va doncprendre deux mesures : limiter ledroit au divorce en le rendant pluscompliqué ; encourager la natalitéen poursuivant les efforts de laIIIe République des suites de laPremière Guerre mondiale. L’ob-jectif est bel et bien de contrôlerla sexualité féminine alors que laprostitution occasionnelle connaîtun essor considérable.

« La singularité de l’Ét atfrançais, une fois posé le dia -gnostic du déficit démogra -phique comme cause profondede la défaite, est de jeter lesbases théoriques de cette éco -nomie corporelle qui, au nomde la “régénération nationale”,s’arroge le droit de s’immiscerdans l’intimité des couples etd’accentuer la répression dessexualités hors normes. En cela,l’épisode de V ichy constituebien une première tent ative denationalisation du corp s fémi -nin. La maternité n’est plus unchoix de vie mais un devoir ci -vique auquel doivent se plierles désirs individuels. Ne p asobéir à cette impulsion instinc -tive, organique, c’est p articiperà ramener l’humanité au chaos,c’est se placer “hors la loi” na -turelle et en marge de la com -munauté nationale. “Une femmecoquette, sans enfant s n’a p assa place dans la cité, c’est uneinutile”, affirme un tract duCommissariat général aux fa -milles. Être pleinement fran -çaise suppose, au contraire, unaccomplissement consenti etactif de la vocation maternelle. »(p. 351) La politique suivie par Vi-chy sera donc “nataliste” et nonpas “familialiste” : elle privilégierala démographie aux dépens de lamorale. Une première loi sur lesaccouchements sous X permettraà toute femme désireuse de me-ner à bien sa grossesse deconserver l’anonymat. Une se-conde, nommée “loi du jardinier”,légitimera les enfants adultérinsnés d’une seconde union : ils se-ront ainsi près de 250 000 à êtrereconnus entre 1941 et 1945. Sile nombre des avortements clan-destins explose malgré leur ré-pression sévère, il n’en demeurepas moins que la France, malgréles privations et pénuries, connaî-tra un véritable “boum” démogra-phique à partir de 1942.

Le triptyque Travai, Famille,Patrie invitait à un redressement

moral visant à substituer “l’espritde sacrifice” à l’“esprit de jouis-sance”. Mais Vichy aura bien dumal à mettre en conformité sondiscours avec ses actions tant l’as-cétisme moral semble faire défautà un certain nombre de ministres,voire au chef de l’État lui-même(on peut lire à ce sujet le chapitreintitulé La vie dissolue de PhilippeOmer Pétain, p. 110). Pour régé-nérer les mœurs françaises, on in-

voquera le sport (invention de l’É-ducation générale sportive) et l’ontentera de “reviriliser” la France àtravers les Chantiers de la jeu-nesse : la France, elle aussi, aurases jeunes hommes beaux, nuset musclés.

Retour à l’ordre moral ?

« En proclamant que la vic -toire allemande est d’abord unevictoire du sport, V ichy s’em -ploie à faire p arler les fait s touten les ordonnant dans unemaïeutique propre à flatter lebon sens des Français. Letriomphe des athlètes alle -mands aux Jeux olympiques deBerlin de 1936, grandiose ré -pétition des cap acités du Reich,n’annonçait-il p as la déroute denos troupes quatre ans plustard ? L’équipe allemanded’athlétisme n’avait-elle p asécrasé l’équipe de France le 15août 1939 à Munich p ar 106point s contre 45, n’abandon -nant à nos compétiteurs qu’unprémonitoire succès au 1 10mètres haies, autrement dit : letrophée de la course d’obs -tacle ? Plus accablant s encore,ces chiffres que le nouveau ré -gime cite à l’envi au point d’enfaire un thème de prop agandepar voie d’affiche : entre 1918et 1936, le pourcent age dejeunes Français déclarés in -aptes au service milit aire estpassé de 24 à 33 %, tandis quecelui des jeunes Allemands re -fusés à la conscription chut aitde 23 à 17 % durant la mêmepériode. Aux yeux de V ichy , l’ex -plication est simple : c’est laFrance des banquet s et des as -sis, la France des buveursd’apéros et des st ations domi -nicales dans les bistrot s enfu -més qui a perdu la guerre. Al -coolisme, t abac, sédent arité,mauvaise aliment ation ont fa -briqué une “race déchue”, cri -blée de t ares, incap able de ré -

sister aux légions allemandessupérieurement entraînées. »(pp. 162-163) Cet effort sera mal-gré tout insuffisant et l’un desgrands reproches que fera la Ré-sistance à Vichy est de n’avoir parsu reconstruire la nation autourd’une identité masculine forte. Onconstatera chez de nombreux col-laborateurs un culte du corps al-lemand qui fera d’eux des “eu-nuques du fascisme”.

Un brouillage des genres

« Le modèle suprême surquoi se projette cet idéal deforce et de puissance n’est plusle modèle français mais celuide l’occup ant célébré commela synthèse de l’athlète grec etdu chevalier médiéval. Car à ladifférence de la Résist ance quis’efforce de créer son propremodèle guerrier , les adeptes dela collaboration sont très vitefascinés p ar les soldat s alle -mands, succombent à la tent a-tion de les imiter , rivalisent pouren démarquer l’esthétique. Lecontraste est alors frapp antentre une mythologie de la vi -rilité nationale construite en op -position à une “France effémi -née” en proie à l’inversion et àla lésine sexuelle – la Francedes “hommes-femmes” déca -dents de l’avant-guerre – et uneattitude marquée peu ou proupar la soumission à la virilitéétrangère qu’incarne l’occup ant.Ainsi le lourd climat homoéro -tique créé p ar la présence de latroupe allemande infléchit-il àla fois l’idéologie collabora -tionniste et le comportement deceux qui en sont pour le moinsimprégnés » (p. 244)

Ces collaborateurs, bien sou-vent homosexuels, seront dénon-cés par radio Londres comme leszélateurs d’une soumission pas-sive à l’ennemi (il suffit de songerà Abel Bonnard surnommé “Ges-tapette“). Par ailleurs, la mode des“zazous” prônant un individualismehédoniste généreusement désen-gagé de la politique et de touteagressivité guerrière n’est guèreau goût aussi bien de Vichy quede la Résistance : ils brouillent euxaussi les genres en montrant deshommes aux cheveux longs et desfemmes aux épaules carrés. Aufinal, c’est la seule volonté de com-battre l’occupant qui pouvait re-construire cette virilité française,celle que Patrick Buisson retrouvechez ces jeunes manifestants du11 novembre 1940 : « Ce pruritde jeunes mâles à la sèvebouillonnante, cette fièvre néede la possession ou de la me -nace de dépossession que laconcurrence des Allemands fai -sait courir à leurs prérogativesmasculines. » (p. 108)

GAËL FONS

* Patrick Buisson : 1940-1945 – An-nées érotiques – Vichy ou les infor-tunes de la vertu. Albin Michel, 570 p.,24 euros. Un second tomme paraîtraen septembre prchain : La GrandeProstitutuée et la Revanche des Jules.

Vichy ou les infortunes de la vertu

La France a connupendantl’Occupation des débordementsde sexualité que Vichy ne parvint pas à juguler,une sorte d’érotismedes annéessombres...

Affiche pour la “journée des mères” le 21 mai 1944La politique suivie par Vichy sera “nataliste”

et non pas “familialiste”.

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L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008 11

PORTRAIT

"Roi par la grâce de Dieuet la Constitution”, le roiHarald V, soixante et

onze ans, est aujourd'hui le chefde la plus jeune monarchie d'Eu-rope, puisque fondée en 1905 parson grand-père le roi Haakon VII.

Pour des esprits formatés se-lon la logique républicaine, il y aassurément quelque chose de pa-radoxal dans le fait que les Nor-végiens, venant d'obtenir la des-titution du roi de Suède-Norvège,se soient empressés pour garan-tir leur toute nouvelle indépen-dance et leurs libertés d'appeler...un roi ! C'est un républicain, le di-plomate et explorateur Fridtjof Nan-sen, qui donna la meilleure expli-cation : « Nous avons choisi lamonarchie pour trois raisons.Premièrement, nous avons be -soin d'être fort s contre un re -tour offensif de la Suède, et lamonarchie est le régime qui éco -nomise le mieux les forces. Se -condement, nous ne sommespas riches et la monarchie estle régime le moins coûteux. T roi -sièmement, nous aimons notreliberté, et la monarchie est le ré -gime le moins oppressif. » (Citépar Lucien Dubech, Pourquoi jesuis royaliste, 1928.)

Premier roi né sur le sol norvégien

Était déjà tracée dans cette pa-role la ligne de conduite de la dy-nastie qu'incarne avec succès leroi actuel, alors que depuis cesdernières années les relations avecla Suède se sont considérable-ment améliorées, comme on a pule constater lorsqu'en septembre2005 les rois des deux pays ontfêté ensemble le centenaire deleur "divorce"... Tant il est vrai quedes nations incarnées chacune parune famille royale dont la présencemême garantit la souveraineté etapaise les passions, sont plus fa-cilement que d'autres portées àeffacer entre elles les souvenirsfâcheux. Il faut dire que la Nor-vège ayant appris au cours desâges sous le joug suédois, plusanciennement danois, quelles ser-vitudes représentent les unionsimposées, n'a pas voulu entrerdans l'Union européenne ; laSuède, elle, y est entrée. L'amitiéexemplaire entre les deuxroyaumes ne doit donc rien à l'Eu-rope fourre-tout de Bruxelles...

Le roi Harald V est le petit-filsd'Haakon VII (1872-1957), néCharles de Danemark, lequel sefaisant l'homme de la Norvègecomprit tout de suite qu'il devaitfaire bénéficier sa patrie d'adop-tion des bienfaits de la monarchie

dont le premier est la conserva-tion de l'État dans son être propre.Si le premier roi accepta la dé-mocratie, ce fut beaucoup moinspar idéologie que pour reconnaîtrele fait propre à ce pays qui avaitforgé son identité et sa commu-nauté de destin en luttant pour saConstitution écrite dès 1814.

Haakon VII, qui avait épouséen 1896 la princesse Maud, filledu roi d'Angleterre Édouard VII,eut le grand mérite de maintenirson pays dans la neutralité pen-dant la Grande Guerre. Son fils,Olav, né en 1903, épousa Marthade Suède (sœur de la reine Astridde Belgique). Naquirent de ce ma-riage d'abord deux filles : Ragn-hild et Astrid, puis enfin le 21 fé-vrier 1937 un fils Harald (le roi ac-tuel), dont la venue au monde futsaluée dans tout le pays par uneexplosion de joie. Pour la premièrefois depuis 567 ans, un prince royalnaissait sur le sol norvégien ! Lacontinuité était assurée.

D’une guerre à l’autre...

Le jeune Harald fut vite plongédans les malheurs de la SecondeGuerre mondiale. Les troupes deHitler ayant pénétré en Norvègedans la nuit du 9 avril 1940, le fa-mille royale, le gouvernement, leStorting (parlement) quittèrent pré-cipitamment Oslo par le train. Le10 mai, le roi Haakon, pourtantbien décidé à rester parmi sonpeuple, refusa la formation d'ungouvernement pronazi : il futpoussé dans ses retranchementset contraint avec son fils le princehéritier Olav de s'embarquer pourLondres où il allait devenir l'âmede la résistance norvégienne.

Ayant réussi à faire partir laprincesse Martha et ses enfants,dont Harald, pour la Suède, puisles États-Unis, Olav effectua plu-sieurs séjours outre-Atlantique,s'entretenant amicalement avec leprésident Roosevelt. Nommé com-mandant en chef de l'armée nor-végienne en 1944, il rentra dansson pays le 13 mai 1945, seule-ment cinq jours après la capitula-tion allemande, bravant tous lesrisques d'attentat, préparant le re-tour triomphal du roi son père(7 juin 1945).

Formation politiqueet sportive

Le vieux roi régna encore dixans, présidant au remarquable dé-veloppement économique de sonroyaume, tandis qu'Harald effec-tuait ses études à l'universitéd'Oslo, puis s'engageait à l'Aca-démie militaire norvégienne, dontil devait sortir diplômé en 1959.Mais alors, Haakon était décédédepuis deux ans et le père d'Ha-rald était devenu, le 21 septembre1957, le roi Olav V. Âgé de vingtans, le nouveau prince-héritier se

tint désormais aux côtés de sonpère, participant au Conseil desministres, entreprenant desvoyages officiels à travers lemonde, s'efforçant de promouvoirles intérêts norvégiens à l'étran-ger, créant des organismes hu-manitaires, allant parfaire sesétudes au Balliol College de l'uni-versité d'Oxford.

À cette sérieuse formation po-litique, il joignait une intense for-mation sportive : suivant l'exemplede son père, médaille d'or olym-pique de voile en 1928, Haraldporta plusieurs fois le drapeau nor-végien à l'ouverture des Jeuxolympiques, remporta lui-même la

Coupe d'or des Pays scandinaveset fut en 1987 champion du mondede voile. Son mariage, le 29 août1968, dans la cathédrale d'Osloavec Sonja Haraldsen, une rotu-rière, défraya la chronique, maisil avait dû patienter neuf ans avantd'obtenir l'approbation du roi et duStorting – preuve évidente d'ungrand et presque héroïque amour !

Quand Olav V décéda le17 janvier 1991, pleuré par tout le peuple qui alluma des bougiesdevant le palais royal, la monar-chie norvégienne avait conquistous les cœurs. Selon un sondageeffectué en 1988, 91 % des Nor-végiens se prononçaient pour la monarchie, 4 % contre et 5 %sans opinion.

Harald, devenu Harald V, futintronisé, la reine Sonja à ses cô-tés, dans la cathédrale luthériennede Nidaros, à Trondheim, aprèsavoir prêté devant le Storting leserment voulu par la Constitution :« Je promet s et je jure de vou -

loir gouverner le royaume deNorvège conformément à saConstitution et à ses lois ; ainsiDieu tout-puissant et omniscientme soit en aide. » Depuis ce jour,selon la Constitution : « La per -sonne du Roi est sacrée ; il nepeut être ni blâmé ni accusé. Laresponsabilité incombe à sonConseil. »

Un rôle de "station réceptrice"

Harald, qui a fêté l'an dernierson soixante-dixième anniversaire,suit toujours la ligne tracée par sonpère disant : « J'ai recherché un

équilibre entre le symbole demajesté que je représente etmon rôle de "st ation réceptrice"d'une sorte de cont act essen -tiellement humain. »(Cité parChristian Cannuyer : Les Maisonssouveraines d'Europe. Éd. Bré-pols, 1989). Il soutient solidementles traditions monarchiques. Vi-

vant modestement, se tenant tou-jours au-dessus des conflits par-tisans, respectant scrupuleuse-ment la Constitution, ne mettanten avant son jugement personnelque si la succession parlementairese passe mal, il se dépense sanscompter, avec la reine, en dépla-cements officiels, allocutions poli-tiques, mécénat et œuvres carita-tives. Sa passion pour le sport esttoujours aussi vivace : en 1994, ila présidé les Jeux olympiques deLillehammer, qu'il avait contribuéà organiser. Et d'ores et déjà il adéclaré qu'il ne bouderait pas lesJeux olympiques de Pékin cet été2008. En outre il remet chaque an-née à Oslo le diplôme officiel auprix Nobel de la Paix.

Le roi depuis 2003 donne àson entourage quelques inquié-tudes au sujet de sa santé. Àchaque fois la régence est assu-rée par son unique fils et deuxièmeenfant, le prince héritier HaakonMagnus, né le 20 juillet 1973. Ce-lui-ci a épousé le 25 août 2001 enla cathédrale d'Oslo une mère cé-libataire, Mette-Marit TjessemHoiby, née le 19 août 1973 – cequi a, très momentanément, faitbaisser la cote de popularité durégime... De leurs deux enfants In-grid Alexandra, née le 21 janvier2004, et Sverre Magnus, né le 3décembre 2005, c'est, en vertud'un amendement à la Constitu-tion signé en 2005, l'aînée IngridAlexandra, et non le fils, qui mon-tera un jour sur le trône.

La famille royale n'a nul besoinde multiplier les alliances rotu-rières, ni d'offrir tant de conces-sions au féminisme à la mode (quirisque de briser une lignée) pourtoucher le cœur du peuple norvé-gien. Celui-ci se sait querelleur (ildescend des Vikings...) et sent lanécessité de l'élément sacré destabilité et d'unité nationale qu'estla couronne au-dessus des pas-sions partisanes.

MICHEL FROMENTOUX

Pour des espritsformatés selon la logiquerépublicaine,il y a quelque chose de paradoxal dans le fait que les Norvégiensse soient empresséspour garantir leur toute nouvelleindépendance et leurs libertésd'appeler... un roi !

Après le roi des Belges Albert II ( L’Ac -tion Française 2000 du 3 janvier 2007) et leroi d'Espagne Juan-Carlos 1er (L’Action Fran -çaise 2000 du 12 juin dernier), nous conti -nuons de brosser le portrait des rois et

reines d'Europe. Aujourd'hui le roi de Nor -vège nous fera réfléchir sur la chance qu'ont ces nations qui, à leur sommet, n'au -ront jamais de place libre pour une espècede Nicolas Sarkozy .

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Le roi Harald V de Norvège

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12 L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008

CULTURE

Le 1er juin 2008 fut un jour fu-neste pour la scène mon-diale de la haute couture. En

effet, elle a perdu l'un de ses pluscélèbres créateurs, le FrançaisYves Saint Laurent alors âgé de71 ans. Récipiendaire de la Lé-

gion d'honneur au rang de grandofficier, décernée par François Mit-terrand, il est né sur le sol algé-rien et arrive à Paris à sa majo-rité. À 19 ans, il entra comme mo-déliste à l'atelier de Christian Diorauquel il succéda deux ans plustard à sa mort. Dans les mois sui-vants, il fut mobilisé pour se rendreen Algérie combattre pour laguerre d'indépendance. Il dut at-tendre sa démobilisation pour dé-pression nerveuse afin de rentrerau pays et fonder sa propre mai-son de haute couture, financéepar un milliardaire américain quicrut en son talent.

“Ministre de la Mode”

Qu'appelle-t-on exactementhaute couture ? Cette appellationest jalousement et juridiquementcontrôlée. Sous les paillettes etles froufrous se cachent desrègles précises et inviolables que

les maisons doivent respecterpour pouvoir entrer dans cetteprestigieuse famille. La premièreet la plus importante est que lesvêtements doivent être produitsde manière artisanale. Chaqueannée, les maisons de la haute

couture sont nommées par unecommission du ministère de l'In-dustrie. Il n'existe plus aujourd'huien France qu'une dizaine de mai-sons de haute couture.

Cette pratique est née desmains de Charles Frederick Worth,un Britannique venu s'installer àParis pour créer en 1858 la pre-mière maison de haute couture.Dix ans plus tard, son fils et luicréèrent la Chambre syndicale dela Couture parisienne à laquelleadhérent encore aujourd'hui lesmaisons bénéficiant de l'appella-tion "haute couture" nommées parelle. Elle fait depuis lors partie in-tégrante de la suprématie fran-çaise et, si elle semble parfois hé-siter entre art pur ou véritable ha-billement, elle permet de fairesubsister des fournisseurs ancrésdans un artisanat traditionnel ir-remplaçable comme le plumassierLemarié ou le brodeur Lesage.

Comment la France s'est-elledressée jusqu'au premier rang ?

Si Paris est aujourd'hui la capitalede la mode, c'est grâce à Louis XIVqui tint sous son règne à s'entou-rer des plus grands créateurs. Unpionnier fut Rose Bertin, qui créales toilettes de Marie-Antoinette 1.La Reine la nomma même ministre

de la Mode. Les Françaises desprovinces prirent connaissance dela mode parisienne grâce aux gra-vures des almanachs et elle de-vint très vite un idéal. Cette modes'exposa ensuite au regard desétrangères grâce aux voyages deses riches ambassadrices. C'estd'ailleurs ce que traduit l'abbéJacques Delille par ce quatrainécrit en 1837 :

Ainsi de la parure aimable[ souveraine

Par la mode du moins la France[ est encor reine,

Et jusqu'au fond du Nord portant [ nos goûts divers,

Le mannequin despote asservit [ l'univers.

L'engouement pour la modefrançaise était tel que l'impéra-trice Catherine II de Russie pro-mulgua une loi somptuaire à sonencontre. La France tint bon maisles menaces contre la haute cou-

ture parisienne ne manquèrentpas : pendant l'Occupation, lesAllemands fermèrent de force lamaison de Mme Grès car ils jugè-rent que sa collection présentaittrop souvent les couleurs du dra-peau national, le bleu, le blanc etle rouge ; après la guerre, lesAméricains tentèrent de résisterà l'influence de la mode française,en vain puisque Christian Dior im-posa chez eux son "New Look"qui révolutionna le monde.

Un avenir menacé

Quel fut l'impact des créateursde haute couture français sur l'his-toire de la mode ? Madeleine Vion-net inventa la coupe en biais aprèsla Première Guerre mondiale, quipermit de mouler souplement lesfemmes et un drapé parfait. Puisson contemporain Paul Poiret créala jupe-culotte qui eut un grandsuccès. En 1926, Gabrielle "Coco"Chanel fit scandale avec sa petiterobe noire. Elle était trop courtepour les mœurs de l'époque et sur-tout, le noir était réservé auxveuves et aux domestiques. À lamême époque, Jean Patou lançala première collection de "sports-wear" qui trouvera le soutien de lacélèbre championne de tennis Su-zanne Lenglen. Il fut le premier àavoir l'idée de signer ses créationsde ses initiales.

Malheureusement, la hautecouture est en voie de disparition.Le nombre de femmes pouvants'offrir ce genre de tenues a étédivisé par dix durant ces cinq der-nières décennies. Les créateursaccusent le coup en lançant desproduits dérivés comme du par-fum ou des bijoux.

MADEMOISELLE PAD

1 – Catherine Guennec : La Modistede la Reine. Jean-Claude Lattès,2004, 250 pages, 18 euros.

Yves Saint Laurents'est éteint le 1er juin.Il était l'héritierd'une lignée de grands créateursfrançais fondée sous le règne de Louis XIV.Quelle influence ont-ils exercée sur l'histoire de la mode ?

Fort dépitée de manquer, aumusée d’Orsay, une expo-sition menacée de clore

prématurément, me voici, le nezau vent, dans ce beau quartier

des bords de Seine. Hasard oufaveur insolite, je tombe en arrêtdevant une vitrine d’antiquaire,nombreux en ce secteur, lequelne propose ni meubles signés, nisomptueuse argenterie, ni por-celaines orientales mais des aqua-relles et dessins et, coïncidenceextrême, tous productions de lafamille d’Orléans, émanant de lacollection personnelle de feu Mon-seigneur le comte de Paris. Il fautsonner pour se voir ouvrir l’huis.J’obtempère sans hésitation...

Un fort aimable hôte me reçoitet m’invite à admirer de plus prèsles œuvres proposées. Toutes sontencadrées récemment mais dansdes supports d’époque, c’est à direde style Louis-Philippe, dorés et

chantournés. On y trouve, bien sûr,des aquarelles de la princesse Ma-rie dont le Louvre présente cettesaison une rétrospective, exposi-tion d’ailleurs malmenée par la cri-tique qui qualifie volontiers les

œuvres de « mièvres » et « saintsulpiciennes » ; c’est, il est vrai,de la peinture de jeune fille appli-quée mais douée et pleine de sen-sibilité. Parmi les œuvres expo-sées, me retient entre autres, une

plaisante aquarelle de silhouettesféminines ; l’une en visite, l’autreà la promenade et aussi une jolieamazone, bien campée sur sa ju-ment, pièce idéale pour unechambre de campagne. Car ces

souvenirs "Orléans" sont à vendre,à prix raisonnables. Toutefois cequi m’émeut davantage, ce sontdeux aquarelles figurant deschiens, de compagnie, de chasseet même un superbe bull dogue.Croqués sur le vif, ils crèvent lit-téralement le papier Canson ; uncheval aussi bellement capara-çonné de brocart bleu, d’après,est-il mentionné, un tableau de De-camps. Je déchiffre la signature :Ferdinand-Philippe d’Orléans.C’est celle du fils aîné du roi, ravià l’affection des siens par un fatalaccident de voiture sur la route deNeuilly. Ravi aussi à l’espoir de laFrance qui l’eût fait roi, avec fer-veur et grande espérance, celuidont, avec ses quatre frères, leprince de Metternich écrivait « cesont des jeunes gens commeon n’en voit guère et des princescomme on n’en voit p as » 1.

MONIQUE BEAUMONT

* A la galerie Desarnaud, 5 rue deBeaune, Paris 7e.1 – G. Saint-Bris : Les Princes du ro-mantisme. Robert Laffont.

Aquarelles et dessins de la famille d’Orléans

La haute couture en deuilLUCIEN JERPHAGNON

Laudator temporis acti

“C'était mieux avant”

Tallandier -172 p. - 7 euros

Quiconque possède quel-ques lectures, et un vernis deconnaissances historiques, sait

pertinemment que l'humanité, de-puis ses commencements, n'acessé de déplorer le triste état del'époque présente et de soupirerque c'était mieux avant... Resteà savoir quand, puisque, de gé-nération en génération, se chantela même complainte désabuséerenvoyant à un âge d'or dont onfinit par se demander si quiconquel'a jamais connu. Avant deconclure qu'en fait, c'est bel etbien sur le tragique même de leurcondition mortelle que leshommes n'ont cessé de pleurersans toujours le dire clairement.

Fort de cette vérité, le pro-fesseur Jerphagnon propose àses lecteurs une brève antholo-gie d'un pessimisme dont il fautconstater combien il représenteune constante de la littérature. Si-nistre ? Sans doute, un peu, mais,comme tout est, heureusement,dans la manière de le dire, on estplus souvent tenté d'en sourireque d'en pleurer. Quant à l'érudi-tion et l'humour, ils sont, commetoujours, à l'honneur. D'ailleurs,au bout du compte, même le plusdésespéré, à se retrouver en sibonne compagnie, se sent moinsseul, et donc, finalement, moinsmalheureux.

A.B.

En flânant rue de Lille

LA PRINCESSE MARIE ET FERDINAND-PHILIPPE D’ORLÉANS

COLLECTION YVES SAINT LAURENT - 1962

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CULTURE

Sans doute est-ce la forced'une terre et d'un peuplequi, depuis la plus haute An-

tiquité, ont su, sous toutes les do-minations, préserver ce qui les dis-tinguait. Tel est l'un des fils direc-teurs de l'Histoire de la Corse etdes Corses de Jean-Marie Arrighiet Olivier Jehasse. Conçu comme

un précis, l'ouvrage n'est certespas d'une lecture très attrayanteet l'étude des groupes sociaux ytient plus de place que celle desdestinées individuelles. Cepen-dant, cette austérité a ses méritesde sérieux et d'utilisation de tra-vaux universitaires récents.

Le peuplement de la Corse estdatable d'au moins dix-huit milleans avant notre ère. Et la civilisa-tion qui s'y épanouit assez re-marquable pour qu'Homère, dansL'Odyssée, évoque la prospéritéde cette île des Lestrygons oùabordent Ulysse et ses compa-gnons. L'affaire tourne mal puisquece peuple de pêcheurs de thonset d'éleveurs de brebis se révèlefinalement anthropophage, mais,sous cette exagération manifeste,transparaissent, avec quelquestraits de l'organisation insulaire quiperdureront, des qualités guer-rières destinées à se transmettre,elles aussi. L'histoire corse se ré-vèle en effet longue suite d'af-frontements, sur l'île même, et àl'extérieur, car les Corses ont ten-dance à s'expatrier afin de pou-voir utiliser au mieux leurs capa-cités militaires et passent volon-tiers au service de tous ceux àmême de les apprécier.

Est-ce avec l'ambition de tis-ser des alliances leur permettantd'être un jour leurs propresmaîtres ? Peut-être, mais, par leurposition stratégique, ce rêve d'in-dépendance n'apparaît guèreviable. Pas une des puissancesqui contrôla la Méditerranée ne sedésintéressa de ce territoire. Dansces conditions, l'expérience dé-mocratique d'avant-garde entre-

prise au XVIIIe siècle, après avoirchassé Gênes de l'île, et qui fit dela Corse un “laboratoire des Lu-mières” avait peu de chance deperdurer. Le rattachement à laFrance de Louis XV était quasi in-évitable, sauf à laisser l'Angleterreprendre la place, et la tenir. Faut-il voir, dans l'événement, commel'affirment les auteurs, une « plon -gée dans l'Ancien Régime avecses anachronismes, [...] voireses horreurs » ? Exagération...Nombre de contemporains prirentle rattachement comme une en-trée dans le monde moderne. Lalittérature du XIXe siècle en attesteencore. Il est aussi possible de re-garder ce rattachement, dans lecadre de l'État centralisateur post-révolutionnaire, comme un pro-cessus d'acculturation insuppor-table. Le phénomène s'étendit àtoutes les provinces, sans, toute-fois, toujours y rencontrer la mêmecapacité de résistance aux tenta-tives de nivelage laïc et républi-cain, résistance dont vendettas etbandits d'honneur participèrent àleur façon. Cette Histoire de laCorse et des Corses ne sauraitservir d'introduction à des curiosi-tés touristiques, ni retenir le grandpublic, mais, quoique orientée, elleconstitue, pour qui souhaiteraitcompléter utilement une visiond'ensemble de l'histoire méditer-ranéenne, une armature solide ou-vrant sur d'autres lectures, d'autresregards possibles.

Un roi sur l’île de Beauté

Celui, par exemple, d'Antoine-Marie Graziani, biographe d'un per-sonnage étonnant quoique terri-blement oublié, le baron Théodorede Neuhoff, qui, quelques mois,portera, sous le nom de Théo-dore Ier, la couronne de l'éphémèreroyaume de Corse.

Né de l'union inégale d'un gen-tilhomme westphalien sans-le-sou,réduit à louer ses services mer-cenaires à travers l'Europe, etd'une fille de commerçants belges,Théodore de Neuhoff, tôt orphe-lin de père, dut aux attentions del'amant de sa mère, le comte deMortagne, bien en cour auprès dela princesse Palatine, d'entrercomme page au service de celle-ci. Élisabeth-Charlotte avait sessolidarités germaniques et le jeuneNeuhoff eût pu faire carrière soussa tutelle s'il ne s'était mal conduit.

De dettes de jeu en escroqueries,Neuhoff se perdit de réputation.Se voyant fermé tout avancementen France ou dans les Alle-magnes, il passa au service de laSuède, de l'Espagne, de l'Autriche.Probable agent de renseignementde ces puissances successives,c'est déguisé en Turc que le ba-

ron débarque, en mars 1736, d'unnavire britannique sur la plaged'Aléria. Qui sert-il alors ? Les ob-servateurs, et la postérité, peine-ront à le dire. Mais le fait est qu'enpeu de temps, Neuhoff se re-trouve, manipulé sans l'admettre,proclamé roi de Corse, et qu'il ala naïveté de croire à cette cou-ronne pour rire...

Graziani raconte fort bien cequi ressemble à un roman anglaisde l'époque, aux perpétuels re-bondissements. L'histoire finira defaçon lamentable. Sacrifié à desintérêts qui le dépassaient, Théo-dore, accroché à sa royauté fan-tôme, incarnera pour les roman-tiques une figure poignante desdestinées humaines. Puis som-brera dans un profond oubli. Il mé-ritait d'en être tiré.

Violence, luxure et blasphèmes

Au vrai, la Corse n'avait pasbesoin d'aller jusqu'en Westpha-lie pour trouver pléthore de figuresétonnantes. Pierre Dominique,avec ses Récits corses, en offritquelques-unes aux passions etaux itinéraires peu communs. Lesel de cette galerie de portraits as-sez peu édifiante est d'être pré-sentée par un ecclésiastique népour porter la cuirasse à l'instarde Richelieu, qui absout de boncœur ces âmes rougeoyantes decondottieri, de reîtres, de pirates,d'apostats et de bandits – sansparler de quelques femmes qui,dans leurs somptueuses fureurset leurs vengeances raffinées, nedéparent pas l'ensemble –, leurtrouvant des vertus, incomprisesde nos tiédeurs et de nos peti-tesses, propres à les rendre ad-mirables. Les dévots s'en scan-dalisèrent, car Pierre Dominique,quelque part entre le Stendhal desChroniques italiennes et La Va-rende, répandait gaillardementdans ses pages violence, luxureet blasphèmes apparents. Ce-pendant, pour quiconque prend lapeine de le lire, cette férocitécache, outre un amour de la pa-trie charnelle qui rachetait à ses

yeux bien des fautes, des senti-ments plus chrétiens qu'il y paraît,exprimés dans une langue raffi-née et sensuelle.

Vengeance et jalousie

Somme toute, Pierre Domi-nique ne faisait qu'exprimer plusoutrancièrement que les auteurscontinentaux les ardeurs de laCorse. Il suffit, pour s'en con-vaincre, de se plonger dans LeRoman de la Corse, rassemblant,conformément à l'esprit de la col-lection Omnibus consacrée auxprovinces, aux villes ou aux pays,romans et nouvelles fondamen-taux sur le sujet. Prosper Mériméey fait évidemment figure de pré-curseur, avec, inévitables, Co-lomba et Matteo Falcone, premierregard d'un Français du continentsur cette île, en 1839 encore dé-paysante. Plus original s'avère lechoix d'un bref roman injustementoublié de Dumas, Les Frèrescorses, où le regard du touristeavisé donnait, grâce à des touchesde couleur locale bien appliquée,consistance à un récit fantastiquedans la meilleure veine duma-sienne. À un siècle de distance,c'est toujours la même histoire devengeance et de jalousie que dé-clinait Pierre Benoît en 1950 avecLes Agriates. Le roman, par-delàles drames engendrés par les co-quetteries coupables de la trop sé-duisante Aquilina, eut, dit-on, lemérite de faire découvrir ce “dé-sert” de la Corse alors ignoré etdevenu aujourd'hui l'un des sitesde l'île les plus visités.

Il y a, fatalement, dans tousces textes, en dépit du talent etdu renom de leurs auteurs, unepart d'artifice littéraire, de superfi-cialité, propres à irriter les au-tochtones. Pourtant, n'est-ce pas,encore et toujours, ce thème ré-curent de la vendetta que décli-nait Michel Lorenzi di Bradi, Corseauthentique, avec Santa Lucia, ins-piré, comme l'était Colomba, parun fait divers réel ? Le vrai SantaLucia prit le maquis après avoir

abattu le neveu et le cousin dumaire de son village, au termed'une longue série de provocationssavantes que l'honneur familialcommandait de venger. Faute depouvoir s'emparer du coupable,l'édile fit alors accuser le frère dumeurtrier, séminariste étranger àla querelle, mais qui fut expédiéau bagne sur la foi d'une longue

série de faux témoignages, les-quels se payèrent au prix dusang... Deux romans “sociaux”évoquant la misère des paysansou la renaissance des sentimentsindépendantistes, Marie di Lola,de Michèle Castelli et La Terre desSeigneurs, de Gabriel Xavier Cu-lioli, portent, sur la Corse, un re-gard résolument différent. Destextes de Maupassant, d'AlphonseDaudet (Les Douaniers, Le Pharedes Sanguinaires, L'Agonie de laSémillante) et Contes populaireset légendes de Corse, du folklo-riste Claude Seignolle, complètentle volume, offrant un panoramacomplet et équilibré.

ANNE BERNET

* Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse :Histoire de la Corse et des Corses.Perrin, 550 p., 24,50 euros.* Antoine-Marie Graziani : Le Roi Théo-dore. Tallandier, 370 p., 23 euros.* Pierre Dominique : Récits corses.Éditions de Paris, 300 p., 25 euros.* Collectif : Le Roman de la Corse.Omnibus, 960 p., 23,50 euros.

Tard devenuefrançaise,alors que, libérée du joug génois,elle se rêvaitindépendante,la Corse n'a cessé depuis de cultiver sa singularité.Pour la joie des unset l'agacement des autres.

Affaires corses

ROBERT COLONNA D'ISTRIA

ET STANISLAS FAUTRÉ

Corse, entre mer et montagne

Flammarion - 160 p. - 45 euros

S'il existe de nombreux al-bums touristiques consacrésà la Corse, celui-ci tranched'emblée sur la masse. Horsdes sentiers battus, loin desplages du littoral et des sitesgalvaudés, Robert Colonnad'Istria entraîne ses lecteursà la découverte d'endroits sau-vages et beaux, une Corsedes forêts, des criques inac-cessibles, des étangs mysté-rieux, des villages perdus dansla montagne, des cimetièresanciens, là où tous les rêvesdu passé, toutes les croyancesancestrales endormies sousla modernité paraissent prêtsà rejaillir. Stanislas Fautré,photographe des ambiancesenvoûtantes et des lieux ma-giques, au style reconnais-sable entre tous, prête songrand talent au texte et su-blime les couleurs de l'île. Unensemble étrange et fascinant.

MICHAEL KLEEBERG

Le Roi de CorseFlammarion - 340 p. - 21 euros

Le destin de Théodore,pour oublié qu'il ait été long-temps, a de quoi offrir matièreà l'imagination de vingt ro-manciers. Désireux de grandirla personnalité du baron deNeuhoff, Kleeberg en prend unpeu à son aise avec la purevérité historique, donnant à sonhéros une stature d'homme po-litique qu'il n'eût sans doutepas, et faisant de lui l'organi-sateur des événements quandil paraît surtout en avoir été lejouet naïf. Quoiqu’un peu lentparfois, l'ensemble ne manquecependant ni d'intérêt, ni d'uncertain charme.

A.B.

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14 L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008

MÉDIAS

LE TROISIÈME ŒIL

SUR LA SUR LA TTOILEOILEYOUTUBE TV

L'émergence du partage devidéos en ligne a transformé latoile. Elle confirme l'influencecroissante des sites diffusantun contenu proposé par les internautes eux-mêmes, etcontribue à brouiller les fron-tières entre les différents mé-dias. Aujourd'hui, Internet s'in-vite directement sur les télévi-seurs : en adjoignant un moduleà certains modèles commer-cialisés par Sony, il devient pos-sible d'accéder aux vidéos deYoutube sans passer par un ordinateur.

"RIPOSTE GRADUÉE"

Le Conseil d'État a donnéson aval au projet de loi "Créa-tion et Internet". Le texte de-vait être soumis à la délibéra-tion du Conseil des ministresle 18 juin. Suscitant – entreautres – des réserves de la partde la CNIL et du Parlement eu-ropéen, il prévoit d'instaurer une"riposte graduée" visant à pri-ver d'accès à la toile les inter-nautes accusés de téléchar-gements illégaux.

HOMOSEXUALITÉ

« Le web disperse la com -munauté gay . » C'est la con-clusion d'une étude menée par des chercheurs de l'uni-versité du Minnesota, dont rendcompte L'Atelier (atelier.fr). Lavisite des sites de rencontreset autres réseaux sociaux sesubstituerait en partie à la fré-quentation des bars, à la par-ticipation aux manifestations...Une "migration" vers la toile quis'observerait dans le mondeentier, et rendrait la commu-nauté homosexuelle moins vi-sible. Le développement de lafibre optique étouffera-il les re-vendications visant à ouvrir lemariage et l'adoption auxcouples de même sexe ?

MAISON BLANCHE

La course à la MaisonBlanche se jouera-t-elle sur latoile ? Barak Obama ferait les frais de l'efficacité des campagnes de "marketing vi-ral". Des courriels envoyés enmasse le présenteraient commeun musulman élevé en Indo-nésie dans une école fonda-mentaliste, rapporte Vnunet(11 juin 2008). Le candidat dé-mocrate a chargé une équipede répondre à ce genre d'at-taques. « Ces allégationsmensongères ont cependantporté leurs fruits : selon unsondage réalisé à la mi-mars,13 % des Américains pensentqu’Obama est musulman,c’est 5 % de plus qu’en dé -cembre 2007. » Son rival ré-publicain n'est pas épargné : defausses rumeurs circuleraientnotamment sur la durée de sadétention dans un camp de pri-sonniers du Vietnam. À forcede recevoir des hoax (canularset autres fausses alertes), onne s'étonne plus de la crédulitédes internautes.

TF1 MALMENÉE

La réforme de la télévision pu-blique, qui s'accompagnera d'unenouvelle coupure publicitaire surles chaînes privées, est une bé-nédiction pour TF1. Mais cela nesuffit pas à dissiper les inquié-tudes : l'action est au plus bas de-puis dix ans ; en un an, elle a perdu57 % de sa valeur (de son côté,M6 a enregistré une baisse de47 %). L'effritement de l'audienceest manifeste. Un effet « méca-nique » selon les dirigeants de lapremière chaîne, qui espèrent toutau plus ralentir le phénomène enrenouvelant programmes et ani-mateurs. Dans cette optique, lamise au ban de Patrick Poivre d'Ar-vor fait figure de soin palliatif...Pour survivre aux transformationsdu PAF, le directeur général NoncePaolini, aux commandes depuisun an, mise sur la diversifica-tion des activités : elle devra re-présenter 50 % du chiffre d'affairesd'ici quatre ou cinq ans.

LE COÛT DE LA PUB'

Les gesticulations de NicolasSarkozy coûtent cher à FranceTélévision. Anticipant la suppres-sion de la publicité, dont la déci-sion fut communiquée précipi-tamment en janvier dernier par leprésident de la République, lesannonceurs désertent les chaînespubliques. Par rapport à mai 2007,les recettes ont chuté de 21 %.« Si au moins l'arrêt de la pubavait été plus progressif, on au -rait eu le temp s de s'organiser ,de se réorienter . Mais là, c'esttellement soudain qu'on nepourra p as faire face » expliqueBruno Beliat, directeur des étudeset de la communication à FranceTélévision Publicité (FTP), cité par

Libération (13 juin 2008). Cetteannée, le manque à gagner de-vrait déjà s'élever à 150 millionsd'euros. Qui va payer la facture ?

FILLON FAIT SON SHOW

« L'antipeople défend soncouple exécutif », rapportait Li-bération le 14 juin, commentantl'intervention télévisée du Premierministre, invité la veille à s'expri-

mer sur France 2 en première par-tie de soirée. Un exercice encoreinédit depuis son arrivée à Mati-gnon ! « Avec sa pudeur enétendard, le chef du gouverne -ment a peaufiné son image deréformateur tranquille, définiti -vement allergique à la politique-spect acle. » Il s'est accaparé12 % de l'audience, devancé parla série policière de TF1, l'Euro2008 de football, et même Louisla Brocante. Séance de rattrapagele samedi suivant, toujours devantles caméras, mais sur les pistesde la Sarthe et non sous les pro-jecteurs d'un plateau de télévisioncette fois-ci : le Premier ministrecommentait sur France 2 le dé-part des 24 Heures du Mans.

Un accroc aux principes dontil se réclamait deux jours plustôt ? En partie, oui, mais ne soyonspas trop sévères. Ici, point d'allu-sion à la vie sentimentale des po-litiques, par exemple... FrançoisFillon soigne sa popularité en évo-quant une passion dont la sincé-rité n'est pas contestable. Il a par-ticipé aux deux dernières éditionsdu Le Mans Classic sur des Fer-rari et des Alpine. En juillet pro-

chain, il devrait renouveler l'ex-périence au volant de deux BMWdes années soixante-dix... Tout auplus, on lui reprochera de délais-ser la mythique berlinette pourconduire des teutonnes !

SALENGRO ET L'AF

Salengro, l'exécution d'un mi-nistre : c'est le titre d'un téléfilmqui sera diffusé sur France 2 l'an-née prochaine. Réalisé par YvesBoisset, avec Bernard-Pierre Don-nadieu dans le rôle principal, il esttourné en juin à Paris et Lille. Entreautres décors reconstitués dansla capitale des Flandres : les bu-reaux parisiens de l'Action fran-çaise. « En qualité de maire so -

cialiste de Lille, puis de députéet de ministre de l'Intérieur , Sa-lengro avait été un des boucsémissaires des ligues, raconteEugen Weber 1. C'est lui qui, mi -nistre [du Front populaire], signal'ordre de leur dissolution ; et,depuis le début de la guerred'Esp agne, Pierre Cot et luiavaient été les plus chauds dé -fenseurs de l'intervention ef -fective en faveur des républi -cains esp agnols. Naturellement,ses ennemis ét aient déterminésà l'att aquer p ar n'importe quelmoyen. [...] Le 14 juillet 1936,L'Action Française accusait leministre socialiste d'avoir étécondamné à mort [...] pour aban -don de poste et désertion de -vant l'ennemi. » Par la suite, elle« témoignait d'une cert aine re -tenue. D'abord, elle se content ade se faire l'écho, chaque se -maine, des allégations veni -meuses et dét aillées de Grin -goire . Bientôt [...], les accusa -tions devinrent une "affaire"politique. » Un tribunal d'honneurlava Salengro de tout soupçon.« Mais déjà cela ne suffisait plus.[...] Une seule p arade exist ait :avoir la peau dure [...], hausserles épaules.[...] La force d'âmenécessaire faisait malheureu -sement défaut au ministre. [...]Un soir de ce mois de no -vembre, il regagna son app ar-tement de Lille désert et froid.[...] Le découragement dut le sai -sir .[...] Il ouvrit le gaz... » C'estdonc l'histoire d'un suicide qui seramise en scène par Yves Boisset.Espérons qu'il nous livrera plusqu'un réquisitoire.

G.D.

1 – Eugen Weber : L'Action française.Hachette Littérature, coll. Pluriel, 1990,665 pages, 11,50 euros.

Dans une tribune publiée parLe Monde le 10 juin, MichelGodet, professeur au Con-

servatoire national des Arts et Mé-tiers (CNAM), et Francis Mer, an-cien ministre de l'Économie, s'at-taquent ouvertement aux bonnesconsciences républicaines, dont letapage s'est fait particulièrementbruyant à l'approche des Jeuxolympiques de Pékin : « Nos mé -dias bien pensant s s'inquiètentaujourd'hui de la Chine, qui aréussi à devenir le premier ate -lier du monde pour beaucoupde produit s manufacturés, carle coût humain et environne -mental leur en p araît socialementexplosif. Leurs critiques justi -fiées ét aient plus discrètes dutemps de la Chine de Mao, quiéchouait de manière abomi -nable. L'envers du décor ne jus -tifie p as d'occulter la réalité d'undéveloppement sans précédentdans l'histoire de l'humanité. Ilest temp s de remettre la Chineà l'endroit en relevant aussi lesaspect s extraordinairement po -sitifs de sa modernisation réus -sie à marche forcée. »

Les auteurs entendent révisernombre de clichés sur l'empire du

Milieu : « Même dans la Chineprofonde, affirment-ils, les ma -gasins regorgent de produit s debase et de superflu, et les poli -

ciers rencontrés, comme p ar-tout ailleurs dans le monde, ysont plutôt rares et générale -ment équipés seulement d'un

téléphone port able. » Mais voicileurs propos les plus frappants :

« Le Tibet fait couler beau -coup d'encre en France. Là-bas,

la perception est tout autre : de-puis la dynastie des Yuan auXIIIe siècle, il fait p artie inté -grante de la Chine. La région

autonome du T ibet compte au -jourd'hui 2,8 millions d'habi -tants, dont 92 % de Tibét ains,contre seulement 1,1 million en1951, grâce à la baisse de lamort alité infantile. Certes, lesprogrès de l'alphabétisation en -traînent la sinisation des popu -lations. Mais est-elle dif férentede celle que les instituteurs dela IIIe République ont imposéesans ménagement aux enfantsqui s'avisaient de parler bretondans les cours de récréation ?Il y a sans doute des émeuteset des répressions choquantespour un Occident al éclairé duXXIe siècle. Mais la remise aupas sanglante de la V endéeroyaliste sous la Révolution de -vrait nous rendre plus modestesdans la critique d'un empire oùles Hans comptent pour 92 %de la population, mais recon -naissent les coutumes et lesdroit s des 55 minorités qui re -présentent seulement 100 mil -lions d'habit ants sur un tot al de 1,3 milliard. » La presse nenous a pas habitués à porter un tel regard sur l'histoire de la République...

G.D.

DD A N S L A P R E S S EA N S L A P R E S S ELA RÉPUBLIQUE ET LA CHINE

« Déjà, New York fait pâle figurecomparée à l'incroyable

Shanghaï... »

François Fillon pilote des voitures de collection à ses heures perdues...

Page 15: LES CENT ANS DE L’AF :ENTRETIEN AVEC JEAN TULARD …

L’Action Française 2000 n° 2750 – du 19 juin au 2 juillet 2008 15

MILITANTISME

LE MONDEET LA VILLEB O U R G O G N E

Rassemblement royaliste du 6 juillet

L’ACTION FRANÇAISE EN MOUVEMENT

DécèsNous avons appris avec unetrès grande peine le décès le 7 juin dernier à Annonay de Mme Jean-François BLANCHONNET , née Michelle Vallet.Dame de grand cœur, toujoursaccueillante, elle était la mèrede notre ami Stéphane Blan-chonnet, président du Comitédirecteur de l'Action française,qui, avec son épouse Sarah,apporte au journal et au mouvement un concourssans relâche.Les funérailles de Mme Blan-chonnet ont été célébrées lemardi 10 juin en l'église de laSainte-Famille à Annonay. À son mari Jean-FrançoisBlanchonnet, à Stéphane et à Sarah, nous disons notre vive et affectueuse sympathie,avec l'assurance de nos fer-ventes prières.

■ Comme elle en est coutumière,la fédération Aquitaine-Grand Sud-Ouest de l’Action française a clô-turé par des manifestations d’am-pleur une année militante particu-lièrement chargée du fait du décèsdu regretté Pierre Pujo, auquel,bonne première, elle avait renduhommage dès le 8 décembre, etaussi de ses projets de dévelop-pement durable !

Le 7 mai, dans le cadre de lapréparation de la commémorationdu 70e anniversaire de sa levée,le 15 juillet 1939 par Pie XII, Phi-lippe Prévost a évoqué, devantun public bordelais et girondin cap-tivé, La Condamnation de l’A.F. :Mythes et réalité. Après une telleconférence, il ne saurait subsisteraucun doute sur son caractère ex-clusivement politique.

Le 11, la fête nationale deJeanne-d’Arc s’est déroulée dansl’ordre le plus parfait en présenced’une assistance particulièrementméritante. Après l’émouvant dépôt

d’une gerbe de lys, le délégué ré-gional Vincent Gaillère a fait, dansson discours politique, le bilan del’année écoulée et tracé des pers-pectives d’espérance en l’avenir :parmi celles-ci le fait que la fédé-ration s’appuie désormais sur unpilier supplémentaire, celui de Tou-louse où, le 9 février dernier, a eulieu la première réunion d’A.F. de-puis treize ans. On notera égale-ment que, pour la première foisdepuis dix ans, un cycle completde formation à nos doctrines a re-pris régulièrement dans la région,grâce à la dynamique sectionBéarn-Bigorre-pays basque-Landes que dirige notre très fidèleami Philippe Fortabat-Labatut.

Notre fédération compte ins-crire son militantisme sur le longterme et le fonder sur le roc in-destructible de la doctrine du na-tionalisme intégral.

A.F.-AQUITAINE

GRAND SUD-OUEST

A l’occasion des 100 ans de L’Action Française , les royalistes de Bourgogne et des provinces limitrophes

se réuniront à Saint-Jean de V aux (à 10 minutes de Chalon-sur Saône).

Il est recommandé aux responsables régionaux de prendre dès maintenant contact pour l’organisation

de leur stand au 06 62 48 12 31.

AQUITAINE : LA FÉDÉRATION VA DE L'AVANT

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dans un kiosque près de chez vous :

www.trouverlapresse.com

VOUS CHERCHEZ

L'ACTION FRANÇAISE 2000 ?

Page 16: LES CENT ANS DE L’AF :ENTRETIEN AVEC JEAN TULARD …

Vraiment, il y a des jours oùil ne fait pas bon ouvrir lesjournaux. Des jours où dans

le demi-clair matin plane l’odeurméphitique de l’encre mal séchéed’une presse aux ordres qui, sivous aviez par malheur encoreimaginé qu’elle pouvait représen-ter quelque chose de la réalité du

monde, vous donnerait envie dele finir immédiatement, ce monde,à la kalach ou même au lance-ro-quette antichar. Des jours où le li-béralisme de la bonne presse dedrouate est si abjectement humidede trouille devant les ci-devant"classes dangereuses" qu’on apresque envie de sortir les grandesorgues, qu’elles soient de Stalineou de Bourdaloue. Afin d’en ter-miner une bonne fois pour toutes.

Le cynisme au pouvoir

Des jours où non seulement levierge, le vivace et le bel aujour-d’hui semble réduit à la grise lai-deur d’un quotidien, payant ou gra-tuit c’est la même chose – les lec-teurs ne seront plus jamais queles consommateurs d’une pressede désopinion point trop désopi-lante – mais des jours hebdoma-daires aussi où les magazines ven-dus aux avionneurs de combat etaux labos pharmaceutiques, quise plaignent toute la sainte jour-née de l’éternelle prégnance de"l’esprit de Mai", font en revancheabondamment l’apologie du fric etde ses possesseurs.

Vive les riches, qu’ils disentsans vergogne. En effet, oui, viveles riches pourvu qu’on puisse lesmanger. Ça doit être bon, un jam-

bonneau de richard génétiquementimmodifié depuis l’époque de Cré-sus ; oui, ça doit être goûtu unbout de gencive suintante du pour-ceau qui n’abandonnera jamaismême la dernière des miettes deson festin au pauvre Lazare gre-lottant de vermine à l’orée de saporte ; oui, un peu de ces géantsde l’énergie, de l’automobile ou dubenchmarking à grignoter pour sonquatre-heures, ce serait que dubonheur comme racontent les dé-mons cabbalistiques de leurs af-fiches publicitaires. Alors, je le disentre nous, en passant, commeça, gentiment : il y a des jours oùl’on regrette de n’avoir pas assezgraissé son fusil. Des jours où lacolère qui rend muet balance danstout le corps des décharges d’adré-naline pareilles aux coups de se-monce d’une machine-gun. Heu-reusement pour eux, je suis chré-tien. Mais, qu’ils le sachent, ils nedureront plus très longtemps, cartoujours Il renverse les puissantsde leur trône.

Nous ne nous rendrons pas

Quoi ? Jamais il n’y a eu au-tant d’argent dans le monde, ja-mais il n’a été concentré en aussipeu de mains depuis le commen-cement de l’humanité, et encorel’on vient nous prier de leur faireallégeance ? Quoi ? Jamais on n’avu tel cynisme au pouvoir depuisau moins Sardanapale, et encorenous devrions lui faire hommagede nos vies ? Quoi encore ? Lesbanquiers ont, cette fois pour devrai, assis leur domination pourtoujours à vue humaine sur nosexistences, et encore nous de-vrions dire merci ?

Non, mille fois non, nous necrierons pas merci. Nous ne nousrendrons pas. Jamais, en nul cas,en nulle circonstance, sous au-cun mode et en aucune occur-rence on ne peut se rendre à untel ennemi, si dénué d’humanité,si loin de toute dignité, si abstraitde tout honneur, si abominable

dans ses buts, dans ses voies etdans ses intentions. On ne peut,même et surtout si l’on a toutperdu. Ce qui est notre cas.Quoi ? Déjà il a hypothéqué nosvies et réduit notre travail à del’esclavage consenti. Quoi ? Déjàil nous a eu à l’usure, c’est le casde le dire, fait du dimanche unnouveau moyen de production ets’est déclaré maître du tempscomme du sabbat. Quoi encore ?Après avoir exploité deux sièclesdurant l’homme blanc, sa femmeet ses enfants, en lui promettantla fortune et la jouissance sanscontrepartie, qui sont les seulsavantages dont il puisse donnerl’exemple, quoi ? après avoir faitde l’occidental un valet-consom-mateur, il l’abandonne à sa merdespectaculaire pour exploiter lesesclaves moins coûteux d’entre-tien du reste du globe, et l’on de-vrait baver de gratitude ? Quoi ?Il est allé déraciner des millions

d’hommes au bout du monde pourles importer ici, avec la compli-cité de tous les États, les a jetésau milieu de nulle part, nousbroyant l’un contre l’autre, l’étran-ger et moi, et en plus il nous traitede racistes ?

Les peuplesremodelés

Quoi ? Il a vanté le cosmopo-litisme, le nomadisme et le tou-risme de masse, détruisant lesfrontières, remodelant les peuplesà son gré, polluant ce qui restede planète et maintenant il noustraite de beaufs si nous ne vou-lons pas bouger, et il nous fait por-ter le poids économique de sondésastre écologique, et encore ilnous fait la morale ? Quoi, il vaencore se faire du blé sur mondos en repeignant sa firme envert, et en me faisant payer pluscher ce qu’il me revend après mel’avoir volé ? Quoi ? Il nous a dé-barrassés de tous nos moyens deproduction et maintenant il va mefaire payer la taxe "écologique"qu’il a inventée pour compenserl’émission à haute dose de gaz àeffet de serre de ses avions quitransportent les tomates chi-liennes qu’il me force à acheteravec ce qui me demeure de sa-laire dans ses supermarchés ?Quoi ? Il veut me faire travaillerle dimanche dans ses magasinsd’ameublement pour que mafemme soit heureuse de pouvoirconsommer au lieu d’aller à lamesse ? Quoi ? Il me force à em-prunter dans ses banques pouracheter un pavillon de banlieueavec un crédit à taux révisable etquand il a assez délocalisé pourque je n’aie plus de salaire pour

rembourser, il fait injecter par l’É-tat des liquidités dans sa banqueen cessation de paiement, aprèsm’avoir foutu à la porte ?

Quoi encore ? Il décuple sonsalaire, multiplie par cent sesstocks-options, son parachutedoré, ses intéressements, sa re-traite-chapeau et le cours de sesactions en dix ans, et il licencie,et il fait des plans sociaux, et ilparle de politique de rigueur, et luiqui a douze Porsche, presque au-tant d’hélicos, d’avions et deyachts, il veut taxer ma voiture fa-miliale ? Quoi ? Il emploie desclandestins au noir pour sa grandepolitique d’aménagement du ter-ritoire, et il parle de renvoyer lessans-papiers improductifs dansleur brousse qu’il a changée enterritoire de monoculture, enchamps d’agrocarburants, et ildemande qu’on réprime ferme-ment les émeutes de la faim ?Quoi toujours ? Il aime le travaildes enfants chinois, les OGM, les semenciers, les brevets sur levivant, le passeport biométrique,les caméras de surveillance, et ilme fait la leçon sur la liberté et l’égalité ?

Visages de la mort

Alors non. Finalement. Non,on ne te mangera même pas, groscochon suant du sang despauvres que tu as abattus. Non,décidément,on ne vous mangerapas, voleurs actuels qui êtes lesvoleurs de toujours, car votreconscience génétiquement modi-fiée qui résiste à tous les pesti-cides vous révèle pour ce quevous êtes : ces rats mutants ayantdéserté le règne du vivant pourtoujours, visages de la mort dansson dernier et plus violent assaut.On ne se rendra pas.

FERDINAND

Édité par PRIEPS.A. au capital de 59 880euros – 10, rue Croix-des-Petits-Champs, 75001 Paris – Imprimerie RPN – 93150 Le Blanc-MesnilNuméro de commission paritaire 0410I86761 – Directeurde la publication : M.-G. Pujo

CHRONIQUE

CETTE ANNÉE-LÀ : 1124

Cette année-là, la seizièmede son règne, Louis VI leGros, quarante-trois ans,

avait déjà bien nettoyé le royaumedes turbulences féodales. Nousl'avons vu à l'œuvre (L’AF 2000du 6 mars dernier) tandis qu'ayantrétabli la sûreté dans les cam-pagnes et les villes, il favorisaitl'éclosion de ces remparts des li-bertés françaises qu'allaient êtrepour toujours les communes. Re-trouvons-le aujourd'hui en 1124dans son rôle tout aussi éminem-ment capétien de défenseur del'intégrité française.

Les Capétiens commençaientà peine d'affermir leur souverai-neté quand en 1066, au tempsd'Henri Ier, Guillaume de Norman-die avait conquis l'Angleterre. Tou-jours vassal du roi de France, ce-lui-ci ne s'était quand même guèregêné pour donner les pires sou-cis au roi Philippe Ier, lequel avaittout entrepris pour affaiblir la Nor-mandie et la pousser à se déta-cher de l'Angleterre. On eût pucroire la chose faite quand à lamort de Guillaume le Conquérant(1087), la Normandie revint àl'aîné, le flasque Robert Courte-

Heuse (court de cuisses) et l'An-gleterre au cadet Guillaume leRoux. Sur ces entrefaites les deuxfrères s'étaient plus ou moins ré-conciliés pour partir ensemble àla première Croisade, laissant res-pirer Philippe Ier. Mais pas pourlongtemps ! Guillaume le Rouxmourant en 1100 avait alors laisséle champ libre à son autre frèreHenri Beauclerc qui s'était pro-clamé roi d'Angleterre et n'avaitfait en 1106 qu'une bouchée de laNormandie si mal tenue par Ro-bert Courte-Heuse.

En 1124, il y avait déjà dix ansque Louis VI le Gros s'acharnaitsans succès à couper en deux le monstre anglo-normand. En1113, au traité de Gisors, il avaitdû reconnaître la souverainetéd'Henri Ier Beauclerc même sur laBretagne. En 1119, nouvelle dé-route, et le roi français avait dû dene pas perdre la face au seul faitque le roi anglais, se souvenantqu'il était duc de Normandie, donc

vassal du roi de France, n'avaitpas trop poussé son avantage.

En 1120, Henri Beauclerc avaitperdu ses deux fils dans un nau-frage. Il ne lui restait plus qu'unefille, Mathilde, laquelle avait épousél'empereur germanique Henri V.L'alliance entre gendre et beau-père prenait ainsi la France commedans une tenaille... Louis VI allait-il se laisser impressionner ?

Les premières provocationsvinrent de l'Empereur en 1124,

mais dans cette "doulce France"où le sentiment national perçaitdéjà autour du Capétien, et où l'onsavourait des écrits éveillant l'idéede patrie, comme la Chanson deRoland, il se produisit l'extraordi-naire : la mobilisation spontanéede toutes les forces vives ! Louis VIse rendit à Saint-Denis pour yprendre l'oriflamme rouge et or,tandis que l'abbé Suger s'émer-veillait de « cette armée p areilleà une nuée de sauterelles ». Lestroupes de chevaliers, le comte deBlois, le duc de Bourgogne, lecomte de Nevers, le comte de Ver-mandois et les bourgeois de Saint-Quentin, de Pontoise, d'Amiens,de Beauvais et d'ailleurs arrivaienten effet de toutes parts.

Devant un peuple aussi dé-cidé, l'Empereur n'osa même pasdépasser Metz et rebroussa che-min sous prétexte d'aller réprimerune insurrection à Worms (où iltrouva la mort). Quant au roi d'An-gleterre il n'avait même pas eu le

temps de bouger, tandis queLouis VI revenait à Paris sous lesacclamations ; il avait, dit Suger,« fait briller l'éclat qui app artientà la puissance du royaumelorsque tous ses membres sontréunis ». Ce fut la première grandemanifestation de cette cohésionpopulaire qui, devant un granddanger, allait désormais permettreplus d'une fois le "miracle capé-tien". On devine que de tels sur-sauts allaient être souvent néces-saires quand on sait qu'en mou-rant onze ans plus tard (1135),Henri Beauclerc donnait tout es-poir de devenir roi d'Angleterre àson gendre, Geoffroy Plantagenêt,dont la lignée allait faire longtempsparler d'elle...

Une autre leçon de l'événe-ment de 1124 a été tirée parJacques Bainville : « Allemagne,Angleterre : entre ces deuxforces, il faudra nous défendre,trouver notre indépendance etnotre équilibre. C'est encore laloi de notre vie nationale. » LesCapétiens allaient avoir la sagessede toujours s'en souvenir.

MICHEL FROMENTOUX

Naissance du sentiment national

Il y a des joursoù l’on regrettede n’avoir pas assezgraissé son fusil...

Jouons au lance-roquette